31.01.2025 à 17:16
Nadim Fevrier
Une motion symbolique radicale sur l’immigration avancée par la droite allemande vient d’être votée grâce aux voix de l’extrême droite de l’AfD (Alternative für Deutschland), l’alliée de circonstance en Allemagne de Marine Le Pen et Jordan Bardella, au Parlement (Bundestag). Tout cela, le jour même où le Parlement allemand commémorait les 80 ans de la libération du camp d’Auschwitz et la mémoire des victimes du nazisme. Une situation inédite dans un pays où tout accord avec l’extrême droite était, jusqu’à présent, tabou et où un véritable cordon sanitaire était en place. Un rescapé allemand d’Auschwitz a annoncé rendre sa Croix de l’Ordre du mérite pour protester contre cette alliance, justifiant « Je crains que l’Histoire ne se répète. »
En réaction, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté en Allemagne pour dire leur refus d’un tel vote et d’une telle alliance. Surtout, cet accord laisse de facto entrevoir des perspectives inquiétantes pour le pays à quelques semaines des élections législatives, alors que l’extrême droite est haute dans les sondages. Notre article.
Berlin 2025, devant le siège du grand parti de droite allemande de la CDU, quelques centaines de manifestants se réunissent dans le froid de la nuit pour dénoncer une situation inédite dans le pays depuis la fin de la guerre. Il ne s’en excuse pas : « Les bonnes décisions ne deviennent pas mauvaises même si elles conviennent aux mauvaises personnes », le leader de la droite « traditionnelle » allemande, et probable futur chancelier, Friedrich Merz persiste et signe son accord de facto avec l’extrême droite de l’AFD.
Le cœur du débat : un énième plan sur l’immigration porté par le mouvement de droite Union (qui regroupe la CDU et son puissant parti frère Bavarois la CSU). Cette motion symbolique (Abstimmung) en 5 points, proposée en début de semaine au Parlement allemand (le Bundestag) s’avère particulièrement violente et autoritaire : elle prévoit notamment le renvoi systématique et sans décision de justice des réfugiés, même ceux dépendant du droit d’asile s’ils ne peuvent pas présenter de documents en règles.
En plus de cela, ce plan prévoit également la mise en place de contrôles permanents aux frontières, la création de centres d’internements pour migrants ou encore la primauté du droit allemand sur la juridiction européenne concernant le droit d’asile, vu comme « dysfonctionnelle », pour ne pas dire laxiste.
Cette mention n’a pu être adoptée qu’à l’arraché à seulement 3 voix près grâce à l’Alliance de l’Union, du parti libéral (FDP) et… d’Alternative für Deutschland (AfD). Une victoire à la Pyrrhus saignant sans doute pour de bon le cordon sanitaire contre l’extrême droite jusqu’ici relativement solide en Allemagne. En effet, en Allemagne aucun accord, même le plus infime, avec l’extrême droite n’est toléré. Contrairement à son voisin autrichien, les politiciens allemands, même les plus droitiers de l’Union, s’étaient refusés au niveau national à un accord avec l’AfD.
Le fameux « esprit de compromis » tant « incanté » par certains commentateurs français est un élément structurant de la culture politique allemande, et là réside le drame. En effet, l’Union et son leader Merz ne disposaient que de deux possibilités concernant leur texte : faire un compromis avec les sociaux-démocrates et en diminuer la radicalité, ou le faire adopter tel quel mais avec le soutien de l’AfD… et ils croquèrent dans la pomme.
Pour aller plus loin : L’extrême droite allemande (AfD) veut déporter 2 millions de personnes, Le Pen et Bardella lui fait un « accueil chaleureux »
L’angoisse vient aussi du contexte, car cette alliance de facto s’opère seulement quelques semaines avant les prochaines élections législatives en Allemagne prévues en février.
Surtout, la CDU/CSU (Union) apparaît comme favorite pour ces élections atteignant près de 30% des sondages, mais dans le système allemand, se pose la question de la future coalition gouvernementale. En effet, en Allemagne, après les élections législatives, s’ouvrent toujours les discussions entre les différents partis pour la désignation d’un chancelier et la mise en place d’un pacte de gouvernement.
Or, cette alliance de facto inédite sur un texte symbolique, non content d’apparaître comme une faute morale et politique, renvoie en réalité un signal effrayant pour le futur du pays.
Il y a quelques mois, les Libéraux-austéritaires du FDP, sur fond de différend budgétaire, ont fait exploser la coalition les liant aux socialistes et aux verts ayant porté et maintenu Olaf Scholz à la Chancellerie depuis 2021. Ce dernier, ne disposant plus de majorité au Bundestag n’eut pas d’autres choix que d’appeler à des élections législatives anticipées en février 2025, qui apparaissent aujourd’hui comme plus qu’incertaines.
En effet, les différents partis de cette coalition sortante apparaissent comme mal en point au niveau des sondages d’opinion contrairement à la droite de l’Union qui caracole en tête avec près de 30 % des intentions de vote. En embuscade ; l’AfD en plein pic de popularité est créditée de 20 à 25 %.
Dans le cadre d’un schéma traditionnel en Allemagne, ces élections de 2025 auraient sans doute conduit à une alliance de la droite avec les autres partis démocrates, libéraux, verts et/ou socialistes, comme ce fut souvent le cas, notamment lorsque Angela Merkel était aux commandes. Or, le droitier chef de la CDU, Merz, en franchissant une première fois le Rubicon en se liant à l’AFD pour cette motion symbolique ouvre des perspectives inquiétantes.
Si une alliance en bonne et due forme entre l’Union et l’AFD reste une hypothèse peu probable, une politique particulièrement droitière de la CDU/CSU pourrait ouvrir la voie à un scénario à la Suédoise (ou à la française) : le soutient sans la participation de l’AfD à un gouvernement CDU/CSU (et FDP ?).
En tout cas, selon les sondages, ces différents mouvements semblent bien partis pour obtenir la majorité absolue des sièges à deux ou à trois. Si rien n’est acté à ce sujet, ce premier accord pourrait laisser penser que le vers semble bien être dans le fruit.
D’un autre côté, il est aussi très envisageable que Merz vise à siphonner les voix d’AFD avec cette dérive droitière, évitant ainsi de multiplier les alliances avec plusieurs partenaires dans la future coalition. Cette stratégie, si elle fonctionne, pourrait peut-être permettre à la CDU/CSU de gouverner seule ou en alliance unique avec leurs alliés historiques du FDP. En tout cas, la tentation de jouer avec les limites sur les thématiques de l’AfD est palpable, mais à quel prix ?
Simple erreur de parcours, plan électoraliste ou énième indice de la porosité entre les libéraux-conservateurs radicalisés et l’extrême-droite ? La question semble légitime même en Allemagne, et ce malgré les vives critiques d’Angela Merkel à l’égard de son successeur Merz… réponses dans les prochaines semaines.
Vers qui la droite va-t-elle se tourner ?