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15.04.2025 à 17:19

Budget : Bayrou veut faire les poches des Français, les grandes entreprises reçoivent 200 milliards d’euros par an

Nadim Fevrier

40 à 50 milliards d’euros. Ce sont les « efforts » (c’est-à-dire les coupes budgétaires) que le gouvernement Bayrou exige aux Français en vue du prochain budget. Une austérité telle, que le Gouvernement s’est dit qu’il fallait « préparer » les Français en avance. De grands seigneurs ! Après 8 ans de macronisme, ses derniers défenseurs ne comptent décidemment pas changer de politique économique. Et pourtant, ils sont responsables du chaos. Pas de ré-industrialisation enclenchée, hausse du chômage de retour, baisse globale des salaires moyens, explosion des déficits, plus de 3 000 milliards de dettes pour l’État… Les voyants économiques sont au rouge, mais pas de quoi faire changer leur fusil de braquet.

Pour rassurer les Français, le gouvernement le jure, croix de bois, croix de fer : pas de hausse d’impôts. Conclusion : les plus riches, qu’Emmanuel Macron a couvert de 60 milliards d’euros de cadeaux par an depuis 2017, ne seront pas taxés. Pourtant, les 0,001% les plus riches sont taxés à seulement… 2 % de leur fortune. « Il suffit d’un impôt de 2 % sur le patrimoine des 1 800 ultra-riches du pays pour dégager 14 milliards d’euros pour le budget ! », comme l’a rappelé la députée LFI Aurélie Trouvé.

Au-delà d’une obsession à protéger les intérêts des plus riches, les macronistes font l’inverse de ce qu’il faudrait faire, à l’heure où l’économie mondiale est chamboulée par la guerre commerciale lancée par Donald Trump. « Dans les périodes récessives notamment, lorsque vous baissez vos dépenses publiques, vous aggravez la récession de votre économie », soulignait hier le député LFI Éric Coquerel.

Dès lors, que faire ? Où trouver l’argent ? Saviez-vous que 200 milliards d’euros d’aides publiques sont versées chaque année aux grandes entreprises privées sans aucune contrepartie ? Il s’agit du premier budget de l’État : plus de 30 % de son budget total, et quatre fois plus que le budget de l’Éducation nationale. Subventions directes, niches fiscales et sociales en tout genre ou encore aides régionales et européennes, ces 200 milliards prennent de diverses formes. Qu’attend-on pour s’en saisir ? Notre article.

Budget : d’où viennent ces 200 milliards ?

Le gâteau des aides aux entreprises a considérablement grossi ces dernières années : l’État accorde 3 fois plus d’aides au secteur privé qu’en 1999. Et ce gâteau se découpe en plusieurs parts. Le magazine Frustration fournit un graphique de la répartition de ces aides. C’est environ 20% de subventions directes de l’État ou des collectivités, 40% d’exonérations de cotisations sociales, et 40% de niches fiscales et baisses d’impôts.

Source : Frustation Magazine.

Ces milliards d’aides ne tombent pas du ciel. Ils résultent très nettement des politiques des gouvernements libéraux depuis les années 2000. En particulier, des politiques d’Emmanuel Macron depuis 2017 et même avant, à la tête de l’Économie de François Hollande. Avant lui, les politiques de réduction des cotisations patronales des entreprises ont pavé le chemin sous Nicolas Sarkozy. Ensuite, le grand bond en arrière : la mise en place du Crédit d’Impôt Compétitivité Recherche (CICE), qui a coûté à l’État plus de 100 milliards depuis 2013.

Sa suppression permettrait de rapporter 10 milliards d’euros, a minima. La baisse pérenne des cotisations sociales est venue remplacer le CICE en 2019 par Macron, pour le même effet. D’autres dispositifs encore : le Crédit impôt recherche (CIR : sa suppression pour les grandes entreprises rapporterait 1.3 milliard), ou encore le Pacte de Responsabilité (un ensemble de différents crédits d’impôts mis en place en bloc par François Hollande).

Sous Macron, ces dispositifs perdurent et s’étendent. Ils cohabitent surtout avec d’autres milliards tendus par Macron aux entreprises. Par exemple, Macron a décidé seul de supprimer la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui bénéficiait aux collectivités territoriales, et de les rendre dépendantes aux recettes de la TVA, l’impôt le plus injuste. Ce nouveau cadeau aux grandes entreprises coûte cette année 12 milliards d’euros, et coûtera 15 milliards en 2027.

D’innombrables niches sont encore en vigueur : la niche « Copé » (5 milliards d’euros) ou les niches fiscales défavorables au climat (19 milliards d’euros selon l’Institut d’étude pour le climat) pour ne citer qu’elles.

200 milliards pour licencier ?

https://x.com/L_insoumission/status/1856285914999234680

Problème majeur : ces milliards d’aides aux entreprises se font sans contrepartie aucune. Bien souvent, elles permettent et encouragent même les attaques sociales des entreprises envers leurs salariés : baisses des salaires, licenciements, délocalisations, etc. Un exemple récent : l’entreprise Forvia (ex-Forecia), fabricant français d’équipements automobiles. Depuis son lancement dans la filière de l’hydrogène, elle a touché 600 millions de subventions – et ce, hors CICE. Pourtant, le 19 février 2024, le directeur annonce d’une pierre deux coups le retour des bénéfices pour 2023 et la suppression progressive de 10.000 emplois pour les quatre prochaines années.

Douche froide pour les salariés, dont l’entreprise annonce le même jour des bénéfices records et un grand plan de licenciement qui ne dit pas son nom. L’Insoumission s’est entretenue avec des travailleurs de Forvia mobilisés contre la décision de leur direction. Ils dénoncent d’une même voix l’hypocrisie de leur direction mais aussi de la puissance publique :

« On leur a donné 600 millions d’argent de l’Etat. Non seulement ils n’ont pas créé d’emplois mais en plus ils en suppriment. Ils touchent de l’agent pour virer les travailleurs, aussi simple que ça. C’était 600 millions pour un seul site de 300 salariés : ça fait 2 millions par salarié, et ils se permettent de fermer des sites. Juste pour leur marge. Et honnêtement, on a même l’impression que c’est nous qui payons le licenciement de nos collègues, puisqu’on va travailler plus pour compenser leur départ.« 

Résultat direct et rationnel de l’absence de conditionnement social (et écologique) de ces aides publiques, les entreprises font ce qu’elles veulent de cet argent. Et Forvia est loin d’être la seule à profiter des aides d’entreprises pour augmenter ses marges au détriment des salariés, comme le soulignait l’étude de l’Ires. En 2019, le groupe Michelin s’était déjà par exemple servi d’un crédit d’impôt (CICE) de 65 milliards d’euros pour délocaliser sa production en Pologne, en Roumanie et en Espagne.

Et ces quelques exemples ne sont très certainement que l’arbre qui cache la forêt, au vu de l’ampleur des sommes engagées. D’une manière générale : beaucoup d’argent public pour les actionnaires, qui aurait pu être consacré aux grands chantiers de politiques publiques. Combien d’écoles, d’hôpitaux, de lignes ferroviaires auraient pu être construits avec ces 200 milliards ? Combien de personnels soignants, de professeurs et d’AESH dans les écoles auraient pu être rémunérés ?

Pour continuer d’arroser les entreprises, le Gouvernement fait les poches aux français

Alors que le chantage à la dette et à la compression des dépenses repart de plus belle avec l’annonce des 5.5% de PIB de déficit, la responsabilité de ces 200 milliards d’aides est immense. Le Gouvernement détourne les yeux de cette responsabilité et préfère concentrer ses attaques ciblées sur les dépenses sociales et les services publics. Les conséquences de ce récit politique sont déjà à l’oeuvre : moins 10 milliards d’euros passés par décret en février, multiples réformes de l’assurance-chômage, etc. Et d’autres coupes sont à venir pour atteindre les 3% de déficit d’ici 2027, jusqu’à 80 milliards d’euros de coupe selon Bruno Le Maire.

Selon les mots de l’étude de l’Ires, « un État-providence caché en faveur des entreprises » se développe à l’heure où le Gouvernement détricote l’Etat-providence social. Romaric Godin résume la situation dans un article sur le chantage à la dette pour Mediapart : « L’épouvantail de la dette a pour fonction de démanteler ce qui reste de l’État social pour préserver les transferts vers le secteur privé et soutenir sa rentabilité face à une croissance stagnante.« 

Plus encore, pour Benjamin Lemoine, sociologue et auteur de l’ouvrage L’Ordre de la dette (2022) : « Le maintien de l’ordre de la dette demande un dosage incessant entre le soutien au capital privé et une capacité à assurer sans chocs politiques le service de la dette, et depuis des années cette capacité repose entièrement sur le sacrifice de l’État social.« 

Derrière le refus du Gouvernement de s’attaquer aux aides aux entreprises, c’est donc tout un modèle économique qui ne veut être remis en cause par les macronistes. Le capitalisme français repose tout entier sur ce système de soutien public au capital. 200 milliards, cela commence à faire cher le fonctionnement de l’économie.

Conditionnement des aides, suppression des niches fiscales inutiles : les recettes fiscales existent

Un autre modèle est pourtant possible. Toutes les études sur les aides aux entreprises parlent d’une même voix : il faut conditionner les aides. Elles rejoignent ainsi les revendications de la France Insoumise depuis des années. La suppression du CICE est au programme de l’Avenir en Commun dès l’élection présidentielle de 2017. De même pour le CIR, et toutes les niches « anti-sociales et anti-écologiques ». La France Insoumise a ainsi publié ce 28 mars ses « 10 mesures d’urgence pour faire face à l’austérité » dans un document intitulé « Moins de dépenses fiscales, plus de recettes fiscales !« .

Au programme : rétablir l’ISF (+15 milliards), taxer les superprofits (+15 milliards), supprimer le CICE (+10 milliards), supprimer le CIR (+1.3 milliards), supprimer les niches fiscales les plus polluantes (+6 milliards), rétablir la CVAE (+15 milliards), mettre en place une imposition universelle sur les entreprises (+42 milliards), renforcer la taxe sur les transactions financières (+10.8 milliards) et mettre fin à la flat tax (+1 milliards). Un large panel qui vise à montrer une chose : « Les seules dépenses à réduire sont celles en faveur des plus riches » écrit la France Insoumise, pour qui les 200 milliards d’aides seraient un bon premier ciblage.

Une chose est certaine : il existe, effectivement, de nombreux postes de dépenses sur lesquels le Gouvernement pourrait se pencher pour réduire le déficit public. Conditionner les aides aux entreprises paraît être une étape essentielle.

15.04.2025 à 11:49

L’invention du football moderne : des paysans jusqu’aux ouvriers du textile de Manchester

snoel

L’Insoumission inaugure sa nouvelle rubrique « Cultures populaires » en publiant son premier article sur l’invention du football moderne à l’aune de son histoire populaire, de la soule aux pieds des paysans jusqu’aux clubs formés par les ouvriers du textile de Manchester. L’Insoumission vous plonge dans cette histoire passionnante du football et vous raconte comment le ballon rond est un puissant moteur de réappropriation, d’intégration et de luttes populaires. Dans un deuxième épisode à paraître, nos lecteurs pourront découvrir en quoi ce sport a été durant le 20ème siècle le lieu privilégié des luttes communistes, antifascistes et anticoloniales. Notre article

L’invention du football moderne, des origines populaires et politiques

Depuis la fin de l’année 2024, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau est engagé dans une surenchère réactionnaire qui vise d’abord à servir la soupe au Rassemblement national afin d’éviter une censure du Gouvernement Bayrou ; et ensuite à combiner face à Laurent Wauquiez pour la présidence des Républicains. Pensant que chaque polémique lui sont utiles, ses sujets de prédilection sont alors l’immigration, l’Algérie et le narcotrafic.

Le sport a également été l’objet de cette croisade : d’une part les deux principaux groupes de supporters de l’AS Saint-Etienne ont été dissous (avant que le ministre ne recule) ; et d’autre part la proposition de loi adoptée par le Sénat interdisant le port du voile dans le sport a été défendue par Retailleau et Darmanin – et désormais inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale par le gouvernement.

https://x.com/L_insoumission/status/1907405689565372849

Si ces mesures semblent de nature assez distinctes, elles se concentrent en particulier sur le football comme terrain privilégié d’expérimentation de la répression et du contrôle du peuple. Par exemple, alors qu’une traduction des interdictions de stade en une interdiction de manifester a été proposée par Edouard Philippe durant la crise des Gilets jaunes, l’exclusion des sportives voilées – en premier lieu au sein du football dès 2016, puis du basketball en 2022, du volley-ball en 2023, du rugby en 2024 – présage une généralisation de ces méthodes

Et pour cause, la fenêtre d’Overton est déplacée et Jordan Bardella annonce en conséquence le 19 mars que “le port du voile devrait être interdit dans les bâtiments publics. Dans la rue, c’est un objectif à terme”.

Le 27 juin 2023, Gérald Darmanin alors ministre de l’Intérieur avait remarqué que “les terrains de sport sont sans doute les derniers endroits où la neutralité religieuse, politique et syndicale est quasi parfaite”. Cette neutralité est autant une contre-vérité historique naturalisant l’ordre établi et niant les luttes de pouvoir de chacun pour avoir le droit d’exister au sein de ce sport, qu’une volonté politique de contrôler nos lieux de divertissement, d’expression, d’affirmation et de combats.

“Créé par le pauvre, volé par le riche” avaient brandis les supporters du Club Africain de Tunis contre le PSG en 2017. L’histoire du football n’est pas seulement celle d’un business, elle est avant tout le récit d’un jeu populaire, féroce instrument de répression et de domestication des dominés ; mais aussi puissant outil de subversion pour l’émancipation des ouvriers, des femmes, des colonisés, des quartiers populaires…

Cette série vise à retracer cette dimension sociale et politique, ou tout simplement populaire du sport. Pour cela, nous nous sommes amplement inspirés du formidable travail de Mickaël Correia dans son ouvrage “Une histoire populaire du football” (2018) que nous vous invitons à lire si vous voulez prolonger le sujet.

Dans ce premier épisode, nous allons revenir sur l’invention du football moderne. À rebours d’une histoire qui naturalise les règles du jeu, nous allons montrer en quoi elles sont le reflet des évolutions socio-économiques de la société britannique qui transforment son peuple et ses élites.

Pour aller plus loin : Rupture du jeûne lors du match Angers – Monaco : quand l’extrême droite s’attaque à la liberté de culte

Le folk football et la soule aux pieds des paysans

Les jeux collectifs de balle existent depuis l’Antiquité sous des formes très diverses en Grèce et dans l’Empire romain. L’ethnographe Emile Souvestre analyse ce proto-football comme “un dernier vestige du culte que les Celtes rendaient au soleil. Ce ballon, par sa forme sphérique, représentait l’astre du jour ; on le jetait en l’air comme pour le faire toucher cet astre, et lorsqu’il retombait, on se le disputait ainsi qu’un objet sacré”.

Plus précisément, les premières mentions de la pratique du football au Moyen-Âge sont liées à son interdiction. En effet, le roi Edouard II d’Angleterre promulgue une ordonnance en 1314 visant à rétablir l’ordre public et à privilégier les exercices militaires. Pour autant, dès le XIVe siècle, on retrouve des descriptions similaires de pratiques nombreuses nommées folk football (ou mob football) en Grande-Bretagne et soule (ou choule) dans le Nord-Ouest de la France.

Les règles sont très variables : le ballon est en cuir, en bois ou en osier ; un mur, la limite d’un champ, la porte d’une église ou une marre servent de but ; le terrain est une prairie ou toute une paroisse ; le jeu peut comporter des centaines de joueurs et dure parfois plusieurs jours.

Mais derrière cet aspect fruste, cette pratique semble avoir des vertus fonctionnelles. D’une part, les parties s’organisent autour du travail agricole selon le rythme des moissons, de l’ensemencement et de la mise en jachère. D’autre part, les délimitations du terrain s’étendent à travers les coteaux, les rivières ; et par conséquent, la victoire revient à celui qui exploite le mieux les potentialités de la topographie. Finalement, le football correspond à un rituel d’affirmation du mode de vie communautaire et d’intégration au sein de la paysannerie, à travers des symboliques puissantes du calendrier et du territoire au sein de l’imaginaire paysan.

Plus que cela, ces jeux permettent le défoulement de rivalités, voire de haines entre individus. En raison d’une production agricole collectivisisée à l’échelle villageoise, le football correspond à un mode de régulation des conflits intervillageois, à un espace public donnant lieu à une justice autonome et populaire selon le sociologue Patrick Vassort.

Il faut à ce titre noter ce qu’écrit l’historien Jean-Michel Mehl à propos de la dimension politique d’une partie de soule en 1369 : “Dans les violences qu’il exerce sur un écuyer qui participe comme lui au jeu, Martin le Tanneur cherche à se venger de la noblesse. Un réflexe de “classe” dicte sa façon de jouer. Quand on sait que cette soule a lieu dans le comté de Clermont-en-Beauvaisis, la leçon de cet exemple est plus nette : ce sont les rancunes nées de la Jacquerie et de sa répression qui s’étalent à l’occasion d’une manifestation ludique”.

Les parties de jeu seront même détournées à des fins insurrectionnelles durant les XVIIe et XVIIIe siècle, une période de privatisation du foncier agricole et de la fin des droits d’usage des terres. Par exemple, une partie est organisée en 1638 dans le comté d’Ely afin de saccager des digues mises en place pour transformer des marais communaux en terres arables ; en 1740 dans le Northamptonshire pour détruire un moulin privatisé ; en 1765 à West Haddon pour brûler des clôtures.

On comprend alors en quoi le football répond à une dimension conflictuelle et, reflétant les transformations socio-économiques violentes, il est un outil de régulation des tensions sociales et politiques. C’est pourquoi “la capacité de cette pratique à perdurer dans le temps démontre son efficience dans le rôle qui lui est dévolu : celui d’une justice populaire et immanente créatrice de pouvoirs” selon Patrick Vassort.

Or, cette fonction de “justice locale autogérée” va très vite s’attirer les foudres autoritaires jusqu’à la fin du XIXe siècle. Les parties de football sont réprimées dès 1314 avec une première ordonnance d’Edouard II d’Angleterre, puis en 1319 par Philippe V en France. L’Archevêque de Paris va également réprimander les prêtres s’adonnant à ces jeux en 1512.

Le sociologue Norbert Elias inscrit ces condamnations du ballon rond dans un mouvement plus général de régulation de la violence qui touche les pratiques alimentaires, sanitaires, guerrières et sexuelles. La normalisation de ces dernières correspond à un double processus de contrôle des affects et d’apparition de structures étatiques centralisées qui acquièrent progressivement le monopole de la violence légitime.

De la dépossession des paysans à la rationalisation aux sein des écoles élitistes

Si les jeux persistent et restent populaires malgré la répression, c’est l’instauration des enclosures qui signe leur disparition. Et pour cause, la production agricole reposait traditionnellement sur une exploitation communautaire villageoise avec une collectivisation des biens fonciers. Seulement, apparaît à partir du XVIIe siècle un phénomène de mise sous clôture de parcelles : les grands champs sont individualisés en pâturage ou cultures plus rentables.

C’est un mouvement de rationalisation du système agraire qui est un instrument de concentration au profit des propriétaires terriens. Concomitamment, à mesure que la bourgeoisie rurale s’accapare le foncier, elle monte en puissance politique et sont affermis les droits d’acquisition et la propriété privée. Ainsi, les parties de folk football deviennent impossibles : d’une part du fait de la privatisation et de la mise sous clôture car les jeux sauvages sont férocement réprimés par les nouvelles forces de police de l’Etat ; et d’autre part en raison de la paupérisation rapide des paysans contraints à l’exode rural. La communauté paysanne et ses sociabilités se désintègrent, or nous avions vu que le football avait un rôle fonctionnel.

Ainsi, la monopolisation de la violence par les institutions étatiques et l’ouvriérisation de la société préfigurent le football moderne. En effet, les restrictions spatiales obligent la pratique à se rationaliser. On va déterminer des limites de terrain, de temps et de joueurs, interdire la violence et instaurer un arbitre comme autorité supérieure. De surcroît, dans un contexte d’industrialisation, le peu de temps donné aux ouvriers mettent définitivement un terme aux pratiques populaires du folk football. “Les pauvres ont été dépossédés de tous leurs jeux, tous leurs amusements, toutes leurs réjouissances” constate le Times en 1842. Le peuple perd ses terres, puis ses sports.

Ce sont alors dans les public schools britanniques nés à la fin du XVIIIe que se confine la pratique du football. En effet, il s’agit d’un système d’éducation privé et élitiste marqué par des insurrections d’élèves armés de pistolets. Dans ce cadre, le corps professoral n’avait aucune autorité et l’ordre ne se maintenait pas dans les écoles. Parallèlement, chaque établissement développait son propre football, alors interdit en ce début du XIXe siècle.

Dans le contexte de la révolution industrielle, les élites devaient pourtant être formées à la prise en main du capitalisme industriel et colonial. Face aux nouvelles nécessités sociales et économiques de la société victorienne, un profond mouvement de réforme morale naît dans les années 1830 : il s’inspire de l’association des Muscular Christians fondée après la bataille de Waterloo en 1815 et fascinée par la renommée gymnastique des allemands et leurs succès militaires lors de la campagne napoléonienne.

L’idée est alors de purger les écoles de leurs traditions archaïques et de théoriser les bienfaits pédagogiques et moraux de l’exercice physique. Le football est alors intégré dans les enseignements par opportunisme pédagogique avec des nouvelles pratiques corporelles codifiées. D’abord, la discipline et le self-government sont indispensables, et pour cela de nouvelles règles doivent être inventées : le dribbling game de l’établissement d’Eton (football moderne) et le handling game de Rugby (rugby moderne).

Progressivement, des clubs universitaires se fondent dans chaque établissement et la volonté de compétitions régionales impose l’exigence d’unifier les règles. Le processus de standardisation continue son chemin avec les règles de Cambridge (1848) qui est le fruit de sept heures de débat entre plusieurs étudiants de Cambridge autorisant les passes en avant et interdisant la course avec le ballon dans les mains. Aussi, les règles de Sheffield (1855) vont instituer les concepts des coups-francs, des corners et des touches.

La Football Association est créée en 1863 et interdit définitivement les coups violents, la prise en main du ballon, les hors-jeu et instaure la règle des 90 minutes et des 11 joueurs. A mesure que le foncier se renchérit avec l’expansion urbaine, les limites du terrain sont ramenées à 100 mètres. En somme, il y a ici l’adoption progressive des traits manifestes de la révolution industrielle : des pratiques corporelles et un contrôle de la violence sont édictés au sein d’un espace-temps rationalisé, avec l’arbitre comme loi, une spécialisation des postes comme division taylorienne du travail, et le but comme finalité de production.

L’Effort, journal de l’entreprise Berliet, écrit en 1920 qu’une “usine bien organisée doit être comme une équipe de football”. Par ailleurs, les premiers comptes-rendus sont rédigés avec un vocabulaire industriel : une équipe bien huilée, des joueurs pistons, des dynamos, des coups de masse.

En définitive, le football correspond à la formation des élites à la sociabilité du gentleman apte à prendre en main le capitalisme.

Entre paternalisme industriel et appropriation ouvrière, une classe en lutte

Alors que la Grande-Bretagne entre dans sa seconde phase de révolution industrielle, 70% de sa population est ouvrière en 1867. C’est le tournant du chemin de fer mais aussi celui des organisations partisanes et syndicales ouvrières (Association internationale des travailleurs en 1864 et Trades Union Congress en 1868) et des premières réglementations sociales : après le Factory Act (1850), le Bank Holiday Act (1871) limite le temps de travail à 6h30 le samedi.

De même en France, la loi Millerand en 1900 limite les journées de travail à 11h et la loi de 1906 instaure la semaine de 6 jours. Or, les autorités industrielles et morales perçoivent le risque de laisser les travailleurs se livrer aux vices de l’alcool et des jeux d’argent. Une conscience sociale paternaliste et hygiéniste se traduit alors dans les institutions caritatives et philanthropiques, à l’image de l’armée du Salut qui promeut le football.

Ce dernier est alors un instrument pour combattre la décadence d’une jeunesse dépravée en accord avec la formule d’Henry Ford : “Faites faire du sport aux ouvriers. Pendant ce temps, ils ne penseront pas à l’organisation syndicale”. Des clubs apparaissent autour des ouvriers du textile de Manchester, des métallurgistes de Birmingham, des dockers de Liverpool et des mineurs du Yorkshire. Au sein des conseils d’administration, les patrons et ecclésiastiques contrôlent la direction des équipes de football.

Toutefois, le football se popularise rapidement au sein de la working class. A mesure que les pubs se multiplient au sein des quartiers populaires, ils sont le lieu de préparation, de vestiaire, de réunions, de paris sportifs, de fêtes. De même, le télégraphe transmet rapidement les résultats des matchs. Enfin, les tramways et transports ferroviaires permettent aux joueurs de faire des déplacements dans les villes adverses. Les finales de FA Cup (coupe d’Angleterre) sont désormais l’occasion pour des milliers d’ouvriers de supporter leur équipe.

45 000 spectateurs assistent à la finale de 1893, 120 000 en 1913. En quelques décennies, le football est une passion populaire, une “religion laïque du prolétariat britannique” selon l’historien Eric Hobsbawm, avec une Église – le club -, son lieu de culte – le stade – et ses fidèles – les supporters. Le footballeur Charles Burgess Fry écrit en 1895 que “le football a désormais conquis la première place au cœur du peuple”. Le football a été réapproprié par celui-ci.

Encore plus, tandis que le Queen’s Park FC de Glasgow développe un combination game très tactique, les migrations de main-d’œuvre écossaise dans le Lancashire apportent ce jeu en l’hybridant au dribbling game anglais : le passing game comme sport collectif est né au sein des clubs industriels. Jusqu’en 1883, seuls des public schools et leur dribbling game avaient réussi à remporter la Cup. La finale de 1883 sera l’occasion d’une confrontation entre les Old Etonians, club amateur tenant du titre, et le Blackburn Olympic, équipe ouvrière du Lancashire.

Le symbole est fort : il oppose le jeu de dribble qui met en valeur l’action individuelle et le jeu de passe collectif qui mise sur l’entraide. Le tournant est entamé avec la victoire du Blackburn Olympic comme premier titre de l’histoire d’une équipe de la classe populaire, marquant la fin de l’hégémonie des public schools. Le capitaine, plombier de profession, affirme aisément son appartenance régionale au Nord industriel face au Londres des gentlemen.

Dès lors, un clivage se constitue entre le Sud historiquement dominé par l’esprit classique des clubs amateurs réservés à une élite sociale, tandis que le Nord accepte de plus en plus l’idée de professionnalisation. Et pour cause, les industriels doivent rentabiliser leurs investissements et les footballeurs demeurent assignés à leur précaire condition d’ouvriers.

Avec l’idée que “tout travail mérite salaire”, le professionnalisme est alors autorisé en 1885 et le premier championnat de Football League se dispute en 1888-1889. Les patrons inventent alors en 1893 le système de retain and transfer, c’est-à-dire que le joueur devient la propriété exclusive du club et ne peut le quitter sans l’accord de ses dirigeants. L’analogie ouvrière est totale : à l’image d’un industriel qui cherche à perfectionner son usine avec un sidérurgiste, il investit dans son équipe de football – au risque de faire face à des turbulences syndicales.

Dans une ville de Manchester traversée par un mouvement ouvrier puissant, l’Association of Football Players’ and Trainers’ Union (AFPTU) est créée en 1907 en raison du plafond salarial de 4 livres par semaine et de l’absence d’indemnisations pour les blessés. Mais lorsque l’AFPTU projette en 1909 de rejoindre la General Federation of Trade Unions, immense centrale syndicale, les autorités suspendent tous les joueurs affiliés. Toutefois, Manchester United refuse de renoncer à cet engagement militant, et une célèbre photographie fait apparaître le demi-centre Charlie Roberts avec une pancarte “The Outcasts F.C.” (les parias)

Malgré tout, en raison d’un compromis, la suspension est levée et le projet est annulé. Par conséquent, la convergence des luttes entre ouvriers du football et de l’industrie a échoué en ce début du XXe siècle.

En définitive, le football est un sport moderne dont l’invention lente est le fruit de processus sociaux et politiques du XVIe au XIXe siècle. S’il a été l’instrument de répression et de domestication par la bourgeoisie rurale et les industriels capitalistes, il contient également des rôles fonctionnels communautaires paysans et ouvriers. Des émeutes paysannes aux grèves syndicales, le ballon rond est un puissant moteur de réappropriation, d’intégration et de luttes populaires.

Dans ce premier épisode, nous avons vu l’invention du football moderne à l’aune de son histoire populaire, socio-économique et politique. Dans le suivant, nous verrons en quoi ce sport a été durant le XXe siècle le lieu privilégié des luttes communistes, antifascistes et anticoloniales.

15.04.2025 à 10:37

« Now the people! » – Le livre de Jean-Luc Mélenchon est maintenant disponible en anglais

snoel

Mélenchon. Le livre évènement de la rentrée 2023, « Faites mieux ! Vers la Révolution citoyenne », est désormais disponible en anglais, sous le titre de « Now the people! ». Déjà traduit en espagnol, et prochainement en italien, l’ouvrage s’incruste durablement sur la scène internationale. Il est disponible dans toutes les librairies du Royaume-Uni et des États-Unis.

L’Avenir en commun, le programme de LFI porté par Jean-Luc Mélenchon, avait lui été traduit en japonais il y a quelques mois. D’un bout à l’autre du globe, les idées de la gauche de rupture portées par le mouvement insoumis s’exportent et se diffusent. Par ailleurs, Jean-Luc Mélenchon est arrivé ce dimanche à Montréal, en « soutien effectif et affectif » au Canada, à son indépendance et à nos cousins québecois. Il participera à une série de rencontres et d’évènements avant de se rendre à New York la semaine prochaine. Celui qui a reconstruit la gauche radicale en France avec 8 millions de voix obtenues à l’élection présidentielle 2022 et une victoire aux élections législatives de 2024 confirme qu’il est aussi l’artisan de sa reconstruction à l’échelle mondiale.

« Now the people! » : la traduction inédite du livre de Mélenchon, Faites mieux !

Dans cet ouvrage théorique sur la révolution citoyenne, le leader insoumis développe un argumentaire utile à quiconque souhaite fortifier sa compréhension du monde et agir pour le changer. Plus qu’un bréviaire, il est aussi une invitation au voyage avec à la clé une perception du réel renouvelée et modifiée par l’exploration de nouveaux concepts.

Dans Faites Mieux ! Vers la Révolution citoyenne, Jean-Luc Mélenchon formule un « appel à l’insoumission permanente contre un ordre du monde injuste et destructeur ». Au fil de 316 pages, il explore de nouveaux concepts (la « noosphère », « poly-individu »), dans le cadre de la théorie de l’ère du peuple et de la Révolution citoyenne, formulée il y a une dizaine d’années déjà. Il explique l’effondrement du capitalisme financier dans un monde toujours plus peuplé et la nécessaire bifurcation écologique que l’Humanité doit mener si elle ne veut pas courir à sa perte. Une véritable boite à outils, indispensable pour comprendre notre monde. « L’action est aveugle sans la théorie. La théorie est vaine sans l’action », avait-il rappelé aux journalistes de l’insoumission.fr.

« Faites mieux ! » : d’aucuns se souviennent très bien de cette phrase prononcée par Jean-Luc Mélenchon le soir du 1ᵉʳ tour de l’élection présidentielle de 2022. Je ne voulais pas vous dire comme un prétentieux ‘faites mieux que moi’ » avait précisé le leader insoumis à la Fête de l’Humanité mi-septembre. Puis, le tribun insoumis avait enflammé le public par ces mots :  « Faites mieux c’est faire mieux que ma génération qui n’est arrivée à rien ! Abattez la citadelle, faites mieux, abattez ce système ! ». Une parole qui n’est pas tombée dans l’oreille de sourds. Depuis, près de 80 000 personnes, dont une majorité de jeunes, ont rejoint les rangs de la France insoumise, prêts à abattre la Citadelle.

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