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21.05.2025 à 09:21

La machine de guerre médiatique et culturelle de Vincent Bolloré

Le Groupe Bolloré se résume désormais, mis à part quelques activités industrielles relativement modestes, au secteur des médias et de la culture. Une partie de ces actifs est mise directement au service des idées et parfois des partis politiques d'extrême-droite, enjambant la frontière entre le politique et l'économique. Extrait du rapport « Le Système Bolloré ».
C'est à partir des années 2000 que Vincent Bolloré investit le secteur des médias et de la communication qui constitue (…)

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Texte intégral (2336 mots)

Le Groupe Bolloré se résume désormais, mis à part quelques activités industrielles relativement modestes, au secteur des médias et de la culture. Une partie de ces actifs est mise directement au service des idées et parfois des partis politiques d'extrême-droite, enjambant la frontière entre le politique et l'économique. Extrait du rapport « Le Système Bolloré ».

C'est à partir des années 2000 que Vincent Bolloré investit le secteur des médias et de la communication qui constitue aujourd'hui l'essentiel de son empire financier. Son offensive manquée sur le groupe Bouygues quelques années auparavant pourrait déjà avoir été motivée par le désir de mettre la main sur la chaîne de télévision TF1. Le groupe Bolloré prend le contrôle d'Havas en 2005, crée la même année la chaîne Direct 8 (devenue C8) sur la TNT, et se lance en 2006 dans la presse papier gratuite avec les titres Direct Soir et Direct Matin. La revente en 2012 de Direct 8 et de sa chaîne sœur Direct Star lui permettent de mettre un premier pied au capital de Canal+ et de Vivendi, dont Vincent Bolloré prend définitivement le contrôle en 2014. Avec le rachat des parts de Bolloré dans Havas en 2017, Vivendi devient pendant quelques années le pôle où se concentrent tous les actifs de Bolloré dans la communication, les médias, l'édition, les jeux vidéo et l'industrie culturelle – jusqu'à sa scission en quatre parties distinctes (mais toujours étroitement contrôlées par Bolloré) en décembre 2024.

Entre 2014 et 2024, l'ensemble Vivendi n'a cessé de se recomposer et de se décomposer au gré des opportunités politiques et financières sans qu'il soit possible de distinguer une stratégie industrielle et commerciale cohérente. Vivendi a ainsi revendu ses participations dans les télécommunications (SFR) ou les jeux vidéo (Activision Blizzard, Ubisoft) pour y revenir plus tard ou en acquérir d'autres (Telecom Italia, Gameloft). Le groupe entre au capital de la Fnac puis en ressort. Il s'étend dans le secteur de l'édition avec le rachat d'Editis (Nathan, Robert Laffont, Julliard, La Découverte, Plon, etc.), qu'il est contraint de revendre quelques années plus tard pour mettre la main sur son principal concurrent, Hachette-Lagardère (Fayard, Larousse, Grasset, Calmann-Lévy, etc.). La direction Concurrence de la Commission européenne a en effet refusé la perspective d'une fusion pure et simple entre le numéro un et le numéro deux du secteur. En 2021, Vivendi revend une partie de ses actions dans Universal Music, essentiellement pour lever des fonds.

Reprise en main

La constitution par Bolloré et son groupe d'un vaste empire médiatique à travers le rachat et/ou la reprise en main brutale d'un certain nombre de titres historiques a largement défrayé la chronique [1]. La prise de contrôle de Canal+ s'accompagne de la disparition de nombreuses émissions emblématiques et irrévérencieuses comme « Les Guignols de l'info », et la censure d'un documentaire d'enquête sur le Crédit mutuel [2]. La grève d'i-Télé en 2016 est la plus longue de l'histoire de l'audiovisuel français depuis 1968 (31 jours) et se solde par le départ des trois quarts de la rédaction. I-Télé est rebaptisée CNews en 2017, et devient le porte-voix des idées d'extrême-droite dans le paysage médiatique. En 2021, Bolloré met la main sur Prisma Media, le leader de la presse magazine (Femme actuelle, Voici, Geo, Gala, Capital). En prenant le contrôle du groupe Lagardère, il ajoute à son tableau de chasse le Journal du Dimanche et Europe 1, et encore Paris Match (revendu depuis à LVMH). Le JDD et la station de radio subissent la même réorientation idéologique brutale que i-Télé auparavant, avec le départ de la majorité des journalistes. Reporters sans frontières estime qu'au moins 500 journalistes au total qui ont quitté leurs médias suite à la prise de contrôle par Bolloré ont signé des « clauses de silence » qui leur interdisent de s'exprimer sur leur ancien employeur.

La prise de contrôle des médias va de pair avec des plans d'économie et d'austérité qui permettent à Vincent Bolloré et ses lieutenants de ramener les contestations à des motivations économiques plutôt qu'à une défense de l'éthique du journalisme et à un refus d'une ligne d'extrême-droite. Cessions d'activités, plan de rationalisation, regroupement de sièges sociaux sont autant d'occasions de couper dans les effectifs et de maintenir ceux qui restent sous la menace. L'ensemble du groupe Canal+ a été soumis à une cure de « cost-killing » qui affecte aussi bien ses salarié·es que ses fournisseurs et se poursuit jusqu'à aujourd'hui. En janvier 2025, ce sont les titres de Prisma Media qui ont été contraints d'accepter un plan visant à supprimer une centaine de postes et à réaliser 10 millions d'euros d'économies.

Synergies

Si ce sont surtout les participations de Bolloré dans les médias et dans une moindre mesure dans l'édition qui retiennent l'attention, l'empire qu'il s'est bâti va bien au-delà. Il contrôle également de manière plus ou moins étroite des studios, des boîtes de production audiovisuelle, des salles de spectacle, des plateformes de diffusion en ligne, des enseignes commerciales, des éditeurs de jeux vidéo. C'est un véritable empire culturel constitué par concentration horizontale (en rachetant des concurrents) et verticale (en contrôlant tous les maillons de la chaîne de production et de diffusion), qui favorise les synergies et les coopérations entre les différentes composantes – ainsi les chaînes Vivendi pourront faire la promotion des livres Vivendi avec le soutien des agences de comm' Vivendi, leurs auteurs pourront avoir accès aux salles Vivendi et leurs ouvrages pourront être mis en avant dans les points de vente Vivendi. Les pouvoirs publics français ont largement laissé faire par naïveté ou parce qu'ils se sont laissés convaincre de la nécessité de créer un « champion national » pour résister aux américains Apple ou Netflix.

C'est une véritable « machine de guerre » culturelle qui a ainsi été créée et qui est aujourd'hui, pour partie, mise au service de l'extrême-droite. Les boutiques Relay (groupe Hachette) ont par exemple mis en avant le livre de Jordan Bardella, publié chez Fayard (groupe Hachette), abondamment relayé par les médias comme Cnews ou le Journal du Dimanche (JDD).

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« Good Bolloré, Bad Bolloré » ?

Si certains titres de l'empire Bolloré (CNews, le JDD, Europe 1) sont clairement engagés dans une ligne éditoriale commune favorable à l'extrême-droite, portée en grande partie par les mêmes éditorialistes et les mêmes chroniqueurs, d'autres gardent au contraire (pour l'instant du moins) une distance relative avec cette orientation politique très agressive et revendiquent leur neutralité. C'est le cas de la chaîne phare Canal+ et pour les titres magazine de Prisma Media. De la même manière, dans le secteur de l'édition, c'est principalement la maison Fayard, dont l'éditrice d'Eric Zemmour, Lise Boëll, a pris la direction, qui est mise au service de l'extrême-droite en publiant les livres de Jordan Bardella, Éric Ciotti, Philippe de Villiers, etc.

Cette stratégie a plusieurs avantages pour Bolloré. D'abord celle de financer les maisons et les médias dédiés à l'extrême-droite – qui perdent souvent de l'argent, comme C8, ou des lecteurs comme le JDD – via les revenus des autres. Ensuite et surtout se prémunir du risque que ses médias et éditeurs se retrouvent, au moins partiellement, dans des situations de pariahs, et préserver leur intégration dans le paysage éditorial et médiatique « normal ». Certains programmes de Canal+ ou certains livres publiés par des maisons Hachette seront ainsi mis en avant pour preuve que « Bolloré ne fait pas de politique ». Lorsque Vincent Bolloré et ses lieutenants sont critiqués sur les biais politiques de certains de leurs médias – comme lors des auditions de la commission d'enquête parlementaire sur la TNT –, c'est leur ligne de défense principale : le fait que Canal+ accueille toutes les sensibilités et illustre des valeurs beaucoup plus ouvertes sert à les dédouaner de tout activisme politique.

L'argument de la « neutralité » de Canal+ qui compenserait à l'activisme de CNews oublie la profonde différence de public entre les deux médias. Canal+, chaîne payante dédiée en partie au cinéma, touche des classes sociales très différentes de CNews, disponible sur la TNT, qui est la première chaîne d'information continue en France, pour un public beaucoup plus populaire.

Politisation croissante

Enfin, la barrière entre les deux pôles de l'empire médiatique Bolloré est de moins en moins nette. C'est ainsi qu'on a vu la plateforme MyCanal faire la promotion de Cyril Hanouna et de sa nouvelle chaîne TPMP après la fin de l'émission sur la chaîne C8, ou encore que le groupe Vivendi a accueilli en son sein Progressif Media, une officine de communication d'extrême-droite qui a notamment mené des campagnes contre Reporters sans Frontières ou qui a aidé des candidats proche d'Éric Ciotti lors des élections législatives de 2024. Surtout, rien ne garantit que cette dualité se maintienne et rien ne protège les autres médias de la galaxie Canal+ ou les autres maisons de la galaxie Lagardère d'une reprise en main subite et brutale. Bolloré a l'habitude d'avancer masqué, mais les masques peuvent tomber à n'importe quel moment.

Une partie des salarié·es de l'empire Bolloré s'alarment de ces compromissions croissantes avec l'extrême-droite. Alors que i-Télé, le JDD et Europe 1 ont déjà subi les purges, ce sont aujourd'hui les salarié·es de Hachette qui ont lancé le combat contre Bolloré. Le comité social et économique du groupe a pris officiellement position contre « la ligne éditoriale proche de l'extrême droite de la sphère Bolloré (CNews, JDD, Europe 1, Fayard) ».


[1] Voir par exemple la série L'Empire de Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts pour Les Jours

[2] Cet épisode est relaté en ouverture de Vincent tout-puissant de Jean Pierre Canet et Nicolas Vescovacci (Jean-Claude Lattès, 2018). Les auteurs déclarent être en possession d'un enregistrement confirmant la réalité du coup de téléphone de Michel Lucas à Vincent Bolloré. Devant une commission d'enquête sénatoriale, c'est Maxime Saada qui assumera devant son patron l'unique responsabilité de cette censure.

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