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11.09.2025 à 06:00

Algérie. Accident de la route, cahots politiques

Jean-Pierre Sereni

Quand un dramatique accident de minibus à Alger sert de révélateur à une crise sociale mais aussi politique. Vendredi 15 août. La semaine est finie, le week-end a commencé. Peu avant 18 heures, un minibus, de marque japonaise Isuzu, qui dessert deux quartiers d'Alger, Mohammadia et La Glacière, dévie brusquement de sa route. Il fracasse la rambarde du grand pont qui enjambe l'oued El-Harrach. Le véhicule plonge directement dans ses eaux fétides. La foule se presse rapidement sur les (…)

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Texte intégral (1533 mots)

Quand un dramatique accident de minibus à Alger sert de révélateur à une crise sociale mais aussi politique.

Vendredi 15 août. La semaine est finie, le week-end a commencé. Peu avant 18 heures, un minibus, de marque japonaise Isuzu, qui dessert deux quartiers d'Alger, Mohammadia et La Glacière, dévie brusquement de sa route. Il fracasse la rambarde du grand pont qui enjambe l'oued El-Harrach. Le véhicule plonge directement dans ses eaux fétides. La foule se presse rapidement sur les berges. Les plus courageux, pour secourir les naufragés. La majorité, pour suivre les efforts de la Protection civile qui débarque avec vingt-cinq ambulances, seize plongeurs harnachés et les équipages de quatre bateaux pneumatiques. Un seul responsable est présent, le chef d'état-major, le général Saïd Chengriha.

Les « bus de la mort »

Fait inhabituel, la télévision privée filme et diffuse en direct les images de la catastrophe à des millions de téléspectateurs. Le retour de bâton ne se fait pas attendre. Quatre chaînes sont sanctionnées —– El Bilad TV, El Wataniya TV, El Hayat TV et Echourouk TV, 48 heures de suspension de diffusion —– pour avoir émis des « images sensibles sans filtre ». En clair : sans exercer la censure habituelle et « oublier » les manifestants qui dénoncent les « bus de la mort » ou la vétusté du matériel de transport. Quelques heures plus tard, le bilan officiel tombe : 18 morts et 24 blessés.

Le 19 août, le procureur de la République, Rostom Mansouri, révèle les résultats glaçants du contrôle technique automobile : le minibus était surchargé, le chauffeur, occasionnel, n'était pas assuré et le véhicule était frappé d'une interdiction de circuler par la Direction des transports de la wilaya d'Alger. Raison principale du drame ? « Le blocage du système de direction à cause d'une panne au niveau de la rotule de direction, ce qui a paralysé le bus. » Le propriétaire, le chauffeur, le receveur et le contrôleur technique, qui a fermé les yeux sur l'état critique du véhicule, sont poursuivis pour « homicide involontaire, blessures involontaires et exposition de la vie d'autrui au danger ». Ils sont placés sous mandat de dépôt après leur audition par un juge d'instruction.

Le 25 août, le ministre des transports, Saïd Sayoud — un proche du président Abdelmadjid Tebboune qui a fait sa carrière —, précise que « 84 000 bus âgés de plus de 30 ans » devront être remplacés « dans les prochains mois ». Il met également en cause les conducteurs de cars qui « ne respectent pas la limitation de vitesse ». Un deuil national de 24 heures est décrété. Les drapeaux sur les bâtiments publics sont mis en berne. Comme lot de consolation, chaque famille de victime reçoit l'équivalent de 6500 euros.

Le président a disparu

Dans la foulée, une rumeur envahit bientôt Alger. Où est passé le président Tebboune ? Depuis début août, il n'a pas été vu en public. Les bruits les plus fous circulent. On le dit à l'étranger, malade, indisponible, viré. L'inquiétude gagne les milieux officiels. L'accident ravive en effet le mécontentement des Algériens. Les réseaux sociaux se déchaînent, les vidéos se multiplient et dénoncent la vétusté du parc de bus, la mauvaise conduite des chauffeurs et le manque d'empressement des autorités vis-à-vis des familles de victimes d'accidents de la route. Et si le Hirak, reprenait ? Ce mouvement populaire, qui a vu manifester pacifiquement des centaines de milliers d'Algériens de février 2019 à mars 2020, avait obtenu la démission du président de la République d'alors, Abdelaziz Bouteflika. Chaque jour, le tollé monte et le malaise grandit.

Onze jours après l'accident, le président Tebboune réagit. Mardi 26 août, une spectaculaire réunion se tient en sa présence, et en celle de son alter ego en kaki, le général Saïd Chengriha. Présence plus étonnante, d'autres militaires sont là en force pour traiter de la responsabilité des… auto-écoles, ou des conséquences de l'état des chaussées. Deux décisions majeures sont prises : l'achat de pneumatiques, et surtout de 10 000 bus pour remplacer ceux en service. Mais le hic est que les seuls fournisseurs possibles sont des constructeurs étrangers. Or les importations de bus sont interdites depuis janvier 2019. Celles de pneumatiques sont découragées pour soutenir la production nationale.

Les problèmes ne sont pas que techniques. Le torchon brûle à la tête de l'État entre civils et militaires. Pendant une bonne semaine, le président Tebboune a refusé de se séparer de son premier ministre, Nadir Larbaoui, son ancien directeur de cabinet qu'il a nommé en 2023. On reproche à ce dernier, à mi-voix, son absence à la grande messe du 26 août due à une visite privée à New York. Finalement, Tebboune s'exécute. Il débarque Larbaoui le 28 août. Mais, au passage, signe de sa mauvaise humeur, il nomme un intérimaire à la tête du gouvernement —– ce que ne prévoit pas la Constitution —– et confie le poste au ministre de l'industrie, Sifi Ghrieb, à l'expérience politique fort brève puisqu'il est ministre depuis seulement novembre 2024… Tôt ou tard, Tebboune devra confirmer sa nomination.

Importations interdites

Avec les multiples pénuries de pièces détachées — aux côtés de celles de bananes ou de lait UHT —, les déplacements quotidiens sont une galère pour les habitants des grandes villes, dont la métropole algéroise qui compte entre 3 et 4 millions de résidents. La géographie n'aide pas : la ville est un amphithéâtre où une grande masse de la population vit sur les hauteurs. Ils n'ont pas d'autre solution, en dehors des privilégiés propriétaires d'automobiles, que les minibus.

Le transport en commun terrestre a été privatisé en 1987 puis ouvert dix ans plus tard aux bénéficiaires de l'aide aux chômeurs qui ont pu, avec leur pécule, acheter un minibus. Quatre-vingts pour cent des véhicules sont fabriqués en Asie, comme le véhicule accidenté le 15 août. Quatre-vingts pour cent des transporteurs sont propriétaires d'un seul bus. Les prix des billets fixés par le gouvernement sont trop bas pour acheter plusieurs véhicules, qu'il est de toute façon interdit d'importer. Alors le chauffeur raccourcit les trajets pour éviter les embouteillages, oublie des arrêts pour gagner du temps, prend des risques avec la sécurité des voyageurs qu'on entasse au-delà du raisonnable. Le minibus accidenté avait deux fois plus de passagers qu'autorisés. Si tout se passe comme annoncé le 26 août, à peine 10 % des bus trentenaires seront remplacés dans quelques mois. Quatre-vingt-dix pour cent continueront à rouler comme avant…

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10.09.2025 à 06:00

États-Unis. Israël au cœur des divisions de MAGA

Sylvain Cypel

La victoire de Donald Trump a été possible par sa capacité à unir sur son nom trois courants de la politique étatsunienne : la mouvance évangélique, les néoconservateurs et les nationalistes protectionnistes. Mais s'ils se reconnaissent dans le même homme, ils ne partagent pas les mêmes objectifs, notamment sur le plan international, comme l'illustrent leurs prises de position divergentes sur l'Iran et le Proche-Orient. Le 18 juin 2025, six jours après les premiers bombardements (…)

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La victoire de Donald Trump a été possible par sa capacité à unir sur son nom trois courants de la politique étatsunienne : la mouvance évangélique, les néoconservateurs et les nationalistes protectionnistes. Mais s'ils se reconnaissent dans le même homme, ils ne partagent pas les mêmes objectifs, notamment sur le plan international, comme l'illustrent leurs prises de position divergentes sur l'Iran et le Proche-Orient.

Le 18 juin 2025, six jours après les premiers bombardements israéliens de sites d'enrichissement nucléaire iraniens, menés avec l'aide logistique de l'armée étatsunienne, Steve Bannon, une des grandes figures publiques de la sphère MAGA (Make America Great Again, « Restaurer la grandeur de l'Amérique »), qui regroupe les partisans de Donald Trump, dénonce publiquement la politique de son président en des termes peu amènes. « Le peuple américain vous dit qu'il faut sortir du Proche-Orient. Nous ne voulons plus de guerres interminables »1. Trois jours plus tard, il réitère, rappelant à Trump qu'il a été réélu sur un programme dont « un des fondements » était de « mettre fin aux guerres sans fin » des États-Unis. Bannon n'est pas n'importe qui. Il a été le premier conseiller stratégique de Trump après son élection en 2016. Et il s'exprime sur un sujet de première importance — quelle est la stratégie de politique étrangère des États-Unis, dans le cas présent au Proche-Orient ? Enfin, son attaque pointe les divergences internes à MAGA, donc les fragilités de Trump.

Le président étatsunien, depuis son retour au pouvoir en janvier 2025, peut déjà se targuer de beaucoup plus de succès (de son point de vue) qu'après sa première élection. Mais il affronte aussi des difficultés multiformes. Ses mesures tarifaires dans le commerce international sont beaucoup critiquées. Et il multiplie les changements de cap. Ainsi, il a récemment annulé sa promesse d'interdire l'entrée de 600 000 étudiants chinois aux États-Unis durant les deux ans à venir. Sur Fox News, la chaîne à sa dévotion, la présentatrice Laura Ingraham s'étrangle : « C'est à n'y rien comprendre ! Six cent mille places échappent aux jeunes américains. » Quant à sa politique étrangère, elle est souvent erratique. Il a échoué à faire plier le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou et le président russe Vladimir Poutine. Au contraire, chaque fois qu'il a cru pouvoir clamer un succès, une concession sur Gaza comme sur l'Ukraine, les deux hommes n'en ont fait qu'à leur tête.

Trois piliers

L'apparition de dissensions internes à la sphère MAGA n'est pas due qu'à la nature versatile du chef. Elle tient aussi à la composition de sa base, qu'il se doit de câliner. Or, elle est constituée de tendances diverses, et parfois divergentes.

L'alliance qui a ramené Trump au pouvoir est fondée sur trois piliers. Le premier est trumpiste par pur intérêt opportuniste : il s'agit de la très puissante mouvance politique évangélique. Comment un mouvement qui professe la crainte de Dieu et le respect absolu de l'héritage du Christ peut-il massivement vénérer un homme, Trump, qui ne professe aucun autre culte que celui de Mammon2, qui a fauté en divorçant deux fois et qui se vante d'« attraper les femmes par la chatte » ? L'explication est analogue à celle de la montée en puissance du messianisme en Israël. Les rabbins les plus fanatiques y expliquent que le sionisme, né comme un mouvement laïc, n'a contribué, en érigeant un État mécréant, qu'à accélérer sans en être conscient l'arrivée prochaine du Messie. Une partie massive du bloc évangélique étatsunien adhère aujourd'hui à une vision qui fait du « Grand Israël » et du rétablissement du « royaume de David » le prélude obligatoire au retour du Christ sur terre.

Le second pilier du trumpisme est constitué d'une partie de la mouvance néo-conservatrice qui connut son apogée sous la présidence de George W. Bush (2001-2009), lequel lui octroya une place politique de premier plan dans son administration. Un jeune politicien israélo-étatsunien dénommé Benyamin Nétanyahou avait très tôt adhéré au néoconservatisme. Il y a joué un rôle prépondérant, notamment en théorisant « la guerre contre le terrorisme ». Ces partisans développent une vision expansionniste de la promotion de la démocratie dans le monde, au bénéfice prioritaire de la « destinée exceptionnelle » des États-Unis, qui sont nés pour diriger la planète. Et cette mission ne sera menée à bien que par la projection de la puissance étatsunienne sur le reste du monde, si nécessaire par la force armée.

Le troisième est celui des nationalistes, et particulièrement des nationalistes protectionnistes, ceux qui, durant les deux guerres mondiales du XXe siècle, par exemple, ont mis très longtemps à s'y engager. Cette mouvance considère qu'il ne faut entrer en guerre que si les intérêts directs des États-Unis sont immédiatement menacés. Cette droite n'est pas que protectionniste au plan international, elle est aussi puissamment « nativiste », selon le terme étatsunien. « Natif », à ses yeux, ne désigne pas les Amérindiens. Non, les « natifs » sont ceux qui, en conquérant le territoire des États-Unis, s'y sont imposés comme les fondateurs. En conséquence, les nationalistes protectionnistes sont aussi férocement hostiles aux immigrés et, de tout temps, aux citoyens qui ne sont pas blancs, qu'ils soient méditerranéens ou asiatiques (le « péril jaune » est né aux États-Unis à la fin du XIXe siècle). Au nom du « nativisme », le célèbre aviateur étatsunien Charles Lindbergh fut en 1941 un des initiateurs d'un courant nommé… « America First », l'Amérique d'abord, un slogan que Trump n'a pas repris à son compte par mégarde.

Une alliance puissante mais divisée

Ces trois piliers forment une alliance puissante. Elle a permis à Trump, à deux reprises, d'accéder à la présidence, et à ne pas s'effondrer politiquement lorsqu'en 2020, il fut battu par Joe Biden. Ils disposent de « passerelles » qui tentent de les coaliser. La principale est la frange dite NatCon (nationaux conservateurs) qui tente de réunir ces trois piliers sous le drapeau du primat de la culture « judéo-chrétienne », dont l'idéologue est l'Israélo-étatsunien Yoram Hazony. Chacune des trois tendances est entrée dans l'alliance pour faire progresser sa propre emprise sur la Maison Blanche. Trump doit donc satisfaire un électorat idéologiquement composite, dont le socle est composé de fractions qui partagent des idées et des priorités différentes, voire, parfois, carrément antagoniques. Son talent consiste à leur donner des gages et à éviter que les frictions internes ne dégénèrent. Des trois, les évangéliques sont les plus nombreux ; les néoconservateurs, longtemps affaiblis, connaissent un regain de forme. Les nationalistes protectionnistes forment un groupe un peu moins important, mais qui se perçoit comme la « vraie » incarnation de MAGA. Trump ne peut pas les ignorer s'il veut préserver sa majorité. Surtout, cette mouvance politique est celle qui lui est la plus chère, parce qu'elle est celle dans laquelle il a été politiquement éduqué, et dont la pensée lui est la plus proche.

Le vent de révolte des cercles nationalistes dans MAGA a bondi en mai 2025 lorsque l'éventualité d'une attaque israélienne imminente contre l'Iran est revenue en tête de l'actualité. Les nationalistes s'y opposaient, dénonçant le risque d'une guerre en Iran entrainant les États-Unis dans un bourbier pire que ceux rencontrés en Afghanistan puis en Irak. L'enjeu iranien ravive aussi l'hostilité de certains cercles MAGA à la relation entretenue par Washington avec Tel-Aviv. Ainsi, le 29 mai, le représentant républicain du Kentucky à la Chambre, Thomas Massie, clamait que « la guerre d'Israël à Gaza est si déséquilibrée qu'il n'y a aucun argument rationnel pour que les contribuables américains paient pour cela »3.

« Plus de guerres stupides et sans fin »

D'autres voix appelaient à la cessation des fournitures gratuites d'armes à Israël, rappelant répétitivement le slogan de campagne de Trump : « Plus de guerres stupides et sans fin. » Ceux-là n'avaient pas de mots trop durs pour Lindsay Graham, le sénateur de Caroline du Sud, porte-parole de la fraction néoconservatrice, qui martelait sur Fox News : « Il faut être à fond pour aider Israël à éliminer la menace nucléaire. S'il faut fournir des bombes, fournissons-les. Et s'il faut voler à leurs côtés, faisons-le. » Mais le matin avant les bombardements, Tal Axelrod, analyste du journal en ligne Axios, citait les propos de certains leaders d'opinion nationalistes pronostiquant un possible « schisme profond  » au sein de MAGA4. Il citait Jack Posobiec, un podcasteur d'extrême droite très influent, assurant qu'« une frappe directe contre l'Iran diviserait de façon désastreuse la coalition Trump »5.

Les frappes israéliennes ont eu lieu et n'ont donné suite à aucun schisme dans MAGA. Mais les propos tenus par une flopée de nationalistes ont montré combien les tensions sont fortes au sein de la sphère trumpiste. Des influenceurs politiques de premier plan comme Steve Bannon, Tucker Carlson, Matt Gaetz, Joe Rogan et d'autres ont poursuivi leur travail de sape. Le premier tançait, en particulier, le risque que constituait Nétanyahou pour les États-Unis, lui lançant, le 19 juin : « Bon Dieu, pour qui vous prenez-vous pour vouloir entraîner l'Amérique dans une guerre avec l'Iran ? »6. Après avoir évoqué la poursuite des frappes israéliennes visant un « changement de régime » en Iran, Bannon ajoutait, à l'attention de Trump : « Le peuple américain vous dit massivement que nous voulons sortir du Proche-Orient. Nous ne voulons plus de guerres éternelles. »

Fin juin, le rejet des « guerres sans fin » menées par Nétanyahou amenait pour la première fois une élue républicaine à prononcer le « mot qui commence par G ». Le 28 juillet, Marjorie Taylor-Greene, représentante de Géorgie et porte-parole en vue de MAGA, devenait la première républicaine à qualifier les actes perpétrés à Gaza par Israël de « génocide ». « Bien sûr, disait-elle, nous sommes opposés au terrorisme radical islamiste, mais nous sommes aussi opposés au génocide »7. Son parti ne l'a ni exclue ni réprimandée, et elle ne s'est pas rétractée. Le lendemain, Donald Trump évoquait une « vraie famine » à Gaza.

Le désenchantement de MAGA envers Israël

Depuis, les critiques de MAGA envers la Maison Blanche se sont progressivement résorbées, au vu de la brièveté de l'attaque israélienne et de sa dimension plus modeste que ce que Nétanyahou et Trump avaient initialement proclamé. Mais la crise interne au camp trumpiste a laissé des traces qui pourraient être le prélude d'une crise plus ample demain. Entre nationalistes isolationnistes et néo-conservateurs, les relations sont plus que fraîches. Début août, The Economist titrait en une sur « Le désenchantement de MAGA envers Israël »8. L'hebdomadaire anglo-étatsunien accompagnait son article d'un graphique exposant l'évolution de ses sondages depuis le 7 octobre 2023 sur le rapport aux Israéliens et aux Palestiniens dans la société étatsunienne. Ils montrent non seulement un recul progressif du soutien de l'opinion démocrate à Israël, c'était déjà connu. Mais ils montrent aussi que l'opinion républicaine est entrée dans un processus de distanciation critique vis-à-vis de Tel-Aviv, y compris parmi les « conservateurs » et « très conservateurs » — c'est-à-dire la droite et l'extrême droite, l'électorat le plus acquis à Trump.

Le podcasteur Jack Posobiec évoque l'apparition d'une « fracture générationnelle » dans MAGA. Chez les moins de 40 ans, dit-il, le rapport à Israël va « du scepticisme à la volonté de couper tout lien ». D'autres observateurs indiquent que la « hasbara », la communication de l'État d'Israël niant non seulement tout génocide, mais même toute famine à Gaza, apparaît de moins en moins crédible à l'opinion étatsunienne. Quant aux médias les plus impliqués dans le soutien à Donald Trump, ils sont eux aussi divisés. Enfin, de même qu'elle est hostile à la poursuite de la fourniture d'armes à l'Ukraine, la mouvance nationaliste isolationniste est aussi devenue publiquement hostile à l'aide militaire gigantesque de Washington à Tel-Aviv. Elle reste très minoritaire sur ce point, mais sa voix influence désormais d'autres cercles conservateurs.

Mais bien qu'en recul, l'alliance des mouvances évangélique et néoconservatrice sur le dossier israélo-palestinien reste clairement dominante dans MAGA. Un exemple : l'activiste Charlie Kirk, très hostile à une attaque israélienne contre l'Iran, déclara une fois qu'elle fut lancée : « Dans de tels moments, j'ai une confiance totale et entière dans le président Trump »9. De même, Laura Loomer, une activiste proche de Trump mais hostile aux engagements armés étatsuniens, déclara soudainement : « L'Amérique d'abord, c'est ce que dit le président Trump ».10 Pour la plupart de ses fidèles, la parole du Guide est insurpassable.

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1Joseph Cameron, «  Bannon warns Trump against heavy US involvement in Iran  », The Christian Science Monitor, 18 juin 2025.

2Mammon désigne la richesse ou le gain, souvent mal acquis. Dans les Évangiles, le terme personnifie l'argent qui asservit le monde.

3«  Republican Says US Should End All Military Aid to Israel  », Newsweek, 29 mai 2025.

4Tal Axelrod, «  MAGA warns Trump of ‘massive schism'  », Axios, 12 juin 2025.

5Ibidem.

6«  'Who in the hell are you  ?” Bannon blasts Netanyahu for dragging US toward potential war with Iran  », Reuters – TRT Global, 20 juin 2025.

7Robert Jimison et Annie Karni, «  Greene Calls Gaza Crisis a ‘Genocide,' Hinting at Rift on the Right Over Israel  », The New York Times, 29 juillet 2025.

8«  MAGA's disenchantment with Israël  », The Economist, 5 août 2025.

9Huo Jingnan, «  Pro Trump media figure split over the U.S. role in the israeli-iran conflict  », National Public Radio (NPR), 18 juin 2025.

10Ibidem.

09.09.2025 à 06:00

L'Iran au bord de la crise de nerfs

Marmar Kabir

En Iran, le faible niveau des réserves en eau inquiète. Associé à l'augmentation des températures, provoquant des coupures d'électricité, il annonce une crise énergétique sans précédent, dans un contexte de tensions géopolitiques maximales. Le 28 août, la troïka européenne — Royaume-Uni, France et Allemagne — a déclenché le mécanisme de « snapback » rétablissant les sanctions de l'Organisation des Nations unies (ONU) contre l'Iran. Cette clause de sauvegarde, introduite en 2015 dans (…)

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En Iran, le faible niveau des réserves en eau inquiète. Associé à l'augmentation des températures, provoquant des coupures d'électricité, il annonce une crise énergétique sans précédent, dans un contexte de tensions géopolitiques maximales.

Le 28 août, la troïka européenne — Royaume-Uni, France et Allemagne — a déclenché le mécanisme de « snapback » rétablissant les sanctions de l'Organisation des Nations unies (ONU) contre l'Iran. Cette clause de sauvegarde, introduite en 2015 dans l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien, permet à tout membre signataire constatant un manquement de saisir le Conseil de sécurité. Si le différend n'est pas réglé dans un délai de trente jours, l'ensemble des sanctions adoptées en 2006 et 2010 par l'institution contre l'Iran — embargo sur les armes, gels d'avoir financiers, restriction de circulation des dirigeants iraniens, mais aussi interdiction de projets de coopération militaire et certaines exportations — peut alors être rétabli. Alors que les relations diplomatiques entre l'Iran et les Occidentaux sont à l'arrêt, cette menace s'apparente à un ultime moyen de pression à leur main.

Dans un pays fragilisé, cette mesure accroît la pression économique sur une population déjà éprouvée par les bombardements israéliens et américains en juin, l'inflation et les politiques d'austérité menées depuis plusieurs années. À ce contexte s'ajoute une crise hydrique sans précédent.

Une agriculture gourmande en eau

À Téhéran, capitale de plus de 9 millions d'habitants1, les précipitations diminuent régulièrement, aggravant les effets conjugués du réchauffement climatique, de décennies de mauvaise gestion et d'un réseau de distribution vétuste. L'épuisement rapide des nappes phréatiques alimente le mécontentement populaire, déjà nourri par les pressions sociétales, les difficultés économiques et les inégalités d'accès aux ressources.

Tableau de précipitations annuelles sur cinq années, avec des valeurs en millimètres.
Source : «  Portrait statistique des ressources et consommations d'eau dans la province et la ville de Téhéran  », Behrouz Gatmiri, professeur à la faculté de génie de l'université de Téhéran, août 2025.

Les indicateurs de l'ONU classent l'Iran parmi les pays au stress hydrique très élevé. En 2021, 81 % des ressources en eau renouvelables du pays étaient prélevées. Ce niveau ne laisse aucune marge de sécurité face aux sécheresses et aux à-coups climatiques. À l'échelle nationale, les données de l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) confirment une prédominance de l'usage agricole (environ 90 % des prélèvements), ce qui constitue un facteur central de tension sur la ressource.

En 2024-2025, dans le cadre de son programme d'achats garantis, l'État a acquis près de 12 millions de tonnes de blé auprès d'agriculteurs nationaux. Un record historique qui lui a permis d'affirmer une quasi-autosuffisance en céréales. Mais une grande partie de l'agriculture reste tournée vers des fruits et légumes très gourmands en eau — comme les pistaches, largement destinées à l'export — sans réelle adaptation à la rareté croissante de la ressource. Cette mauvaise gestion épuise encore plus les nappes phréatiques et rend le pays plus vulnérable aux pénuries. Cependant, le riz, aliment de base et plat quotidien des Iraniens, reste massivement importé, principalement d'Inde, qui assure plus des quatre cinquièmes des volumes annuels, loin devant les autres fournisseurs. Le maïs destiné à l'alimentation animale provient pour l'essentiel du Brésil, complété par d'autres origines.

Eau contaminée et affaissement du sol

Les données récentes de la Compagnie des eaux et de l'assainissement de Téhéran (Abfa) indiquent qu'environ 11 % de l'eau est perdue physiquement par des fuites. Un taux similaire est imputable aux pertes apparentes liées aux vols, fraudes ou compteurs défectueux. Le tout porte ainsi l'eau non facturée à près de 22 %. Cette situation est aggravée par l'insuffisance chronique d'investissements dans l'entretien du réseau. Les prix de l'eau, fixés par l'État selon le principe de l'« alignement de consommation » — c'est-à-dire avec un tarif légèrement plus élevé pour les foyers à forte consommation — restent très bas dans l'ensemble et ne couvrent pas les coûts réels. Ce choix, associé à une réduction des budgets publics, dans le cadre de l'austérité, empêche l'État d'investir dans l'entretien et la modernisation du réseau.

Enfin, en cartographiant le couloir ouest de Téhéran (Shahriyar), les équipes de l'Institut iranien de recherche sur l'eau ont mis en évidence le lien entre pompages excessifs, baisse du niveau des nappes et déformation du sol. Près de 60 à 70 % des eaux usées de Téhéran s'infiltrent dans le sol à cause d'un réseau d'assainissement insuffisant, ce qui fait remonter la nappe phréatique de 1 à 2 mètres par an, et jusqu'à 10 mètres en quatre ans dans certaines zones. Cela entraîne de graves problèmes de contamination et de stabilité du sol. Une habitante du quartier populaire Pounak, au nord-ouest de Téhéran, raconte :

Dans notre quartier, l'eau du robinet a parfois une odeur étrange. On nous dit de ne pas la boire. Mais on n'a pas toujours les moyens d'acheter de l'eau en bouteille.

Dans l'agglomération de Téhéran, l'affaissement du sol atteint parfois plusieurs dizaines de centimètres par an, menaçant bâtiments, routes, lignes électriques, conduites et métro. Ce phénomène de subsidence2, confirmé par des études scientifiques et des relevés par télédétection, concerne aussi des villes comme Ispahan, au centre de l'Iran, où il met en péril des monuments historiques et des sites patrimoniaux.

« On nous laisse cuire pendant qu'eux se baignent »

À cette tension sur l'eau s'ajoute une fragilité énergétique, révélée brutalement lors de l'été 2025. En juin, Israël a bombardé plusieurs infrastructures iraniennes — raffineries, dépôts de carburant autour de Téhéran et une partie du champ gazier géant de South Pars, principal fournisseur des centrales thermiques. Ces frappes ont réduit l'approvisionnement en gaz, ce qui contribuerait aux coupures d'électricité dans plusieurs provinces.

Dans le sillage de cette offensive, en juillet, une vague de chaleur exceptionnelle — plus de 50 °C relevés dans plusieurs villes du sud-ouest du pays — a sévi. Elle a provoqué un pic inédit de consommation électrique, déséquilibrant la production et la demande, selon le ministère de l'énergie. La sécheresse a réduit les apports hydroélectriques, tandis que le vieillissement du réseau, aggravé par le manque d'investissements dans un contexte d'austérité, a accru sa vulnérabilité. Pour limiter la demande, les autorités ont ordonné la fermeture exceptionnelle pendant une journée des bureaux gouvernementaux et des banques.

Quasi quotidiens à Téhéran et dans 28 autres villes, les délestages — pouvant atteindre plus de quatre heures par jour — perturbent fortement la vie des ménages, des commerçants, des services publics et des industries. Derrière ces coupures planifiées se cachent des histoires de chaleur étouffante, de privations et d'inégalités mal supportées. Un épicier du sud de Téhéran dénonce :

Ici, à Molavi3, on subit des coupures sept jours sur sept, parfois deux fois par jour. Et là-haut, dans leurs appartements du nord avec piscine, l'électricité n'est coupée qu'une fois par semaine, quand elle l'est. Sous cette chaleur écrasante, on nous laisse cuire pendant qu'eux se baignent.

Sur les réseaux sociaux, une étudiante en génie civil écrit :

Au foyer de l'université, l'eau est coupée des heures entières. On ne peut même pas se doucher, on reste collantes de sueur dans cette chaleur, à attendre que ça revienne.

Une femme au foyer raconte :

Je garde ma mère grabataire. J'ai mal au dos, mais je dois monter les escaliers parce que l'ascenseur est hors service. Et comme il n'y a plus d'eau au robinet, j'achète des bidons que je porte moi-même jusqu'à l'appartement. Personne ne se soucie de nous.

Un mécontentement profond

Face à ces crises, l'idée de déplacer la capitale a refait surface début 2025. Deux conseils d'étude ont été créés pour évaluer le transfert de certaines fonctions vers Mokran, sur le littoral sud-est, mais aucune décision n'a été prise. Les partisans de la mesure invoquent la pollution, la subsidence et les pénuries d'eau à Téhéran comme raisons principales. Les opposants dénoncent un projet précipité et irréaliste, estimant que les milliards nécessaires seraient mieux investis dans la modernisation de la capitale actuelle.

Le débat politique reflète ces tensions. Les réformistes appellent à des changements structurels, à la modernisation des réseaux et à une coopération accrue avec les institutions internationales. En août, sur le site du quotidien Shargh, l'ancien député Mahmoud Sadeghi estime ainsi qu'« aucune économie de résistance ne peut fonctionner sans sécurité hydrique ». Les conservateurs, relayés le 30 juillet par Kayhan, le plus ancien journal iranien, défendent l'augmentation de l'offre par barrages, transferts interbassins et centrales, pour renforcer l'autosuffisance et éviter toute dépendance stratégique en période de sanctions. Une troisième approche, soutenue par certains experts, prône une gestion intégrée de la demande, avec tarification progressive, réutilisation des eaux usées et lutte contre les pertes, jugée plus efficace à court terme que les grands projets d'infrastructure.

La crise actuelle combine les effets cumulatifs de choix politiques passés, de contraintes climatiques et de pressions économiques exacerbées par les sanctions internationales et les tensions régionales, auxquels s'ajoute une menace réelle d'escalade militaire. Pour une large partie de la population, ce quotidien nourrit un sentiment d'injustice, et le constat amer d'un avenir sans perspectives. L'absence de réforme structurelle ambitieuse et la persistance de tensions extérieures ne risquent-elles pas de menacer la stabilité du pays et de provoquer une crise interne majeure ?

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1La population de la province de Téhéran est de 14 557 000 habitants. La population de la ville de Téhéran est de 9 203 000 habitants.

2Lent affaissement de la surface de la croûte terrestre en raison du poids qui s'accumule sur elle.

3Quartier populaire de Téhéran.

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