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17.04.2025 à 06:00

À Paris, une culture politique de la fête arabe

Leyane Ajaka Dib Awada

Si Paris a longtemps été une capitale arabe pour les intellectuels, sur le plan musical et culturel, elle a été dépassée, depuis les années 2010, par Londres, Berlin ou encore Amsterdam. Mais alors que la répression des soutiens au peuple palestinien y est sans pareil depuis un an et demi, des espaces culturels et des collectifs communautaires se développent pour accueillir une nouvelle scène alternative arabe. Ils offrent ainsi à leur public un espace précieux de liberté et de sécurité. (…)

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Si Paris a longtemps été une capitale arabe pour les intellectuels, sur le plan musical et culturel, elle a été dépassée, depuis les années 2010, par Londres, Berlin ou encore Amsterdam. Mais alors que la répression des soutiens au peuple palestinien y est sans pareil depuis un an et demi, des espaces culturels et des collectifs communautaires se développent pour accueillir une nouvelle scène alternative arabe. Ils offrent ainsi à leur public un espace précieux de liberté et de sécurité. Reportage.

« Je ne suis pas une terroriste. Je ne suis pas pédé. Je suis amour. »

L'affirmation est scandée en arabe, en anglais et en français tandis qu'une étrange silhouette intégralement recouverte d'une combinaison noire, visage inclus, et chargée de bijoux dorés entre sur la scène de la Flèche d'or. Salma Zahore (renvoie à la prononciation de « the whore », « la pute »), drag queen d'origine libanaise, ouvre ainsi avec fracas la soirée du 8 février dans ce lieu militant du XXe arrondissement de Paris. Des classiques de Fayrouz à la chanson « Baba fein » (« Où est mon père ? »), issue d'un clip égyptien très populaire auprès des enfants du monde arabe dans les années 2010, Salma Zahore se déhanche avec énergie et humour dans un spectacle qui retravaille les clichés orientalistes dans les codes burlesques de la culture ballroom1.

Salma Zahore laisse ensuite place à DJ Kawun, venu de Copenhague, et à la Londonienne DJ Priya. Iels remixent des sons emblématiques de la culture arabe mélangés à des influences hip-hop ou électro plus occidentales. Allant des classiques nord-africains aux reines de la pop proche-orientale, en passant par la culture queer arabe qui a fait de ces chanteuses kitsch de véritables icônes. Sur la scène parisienne actuelle, un si riche mélange n'a plus rien de singulier.

Un public très demandeur

Alors que la capitale française était souvent écartée des tours des artistes arabes indépendantes qui lui préféraient Londres, Berlin et Amsterdam, iels sont de plus en plus nombreux et nombreuses à s'y produire. Iels ne le font plus seulement pour leurs diasporas, dans des événements communautaires libanais, algériens, tunisiens,… comme on en avait l'habitude jusqu'ici. À présent, leur public est diversifié, mêlant quantité de nationalités différentes. Iels sont invitées dans des programmations qui font se rencontrer des artistes de tout le monde arabe. Finies les rares grosses productions portées par des pontes de l'industrie musicale arabe : les diasporas se voient désormais proposer à Paris une multitude de soirées qui font la place à des artistes indépendantes et célèbrent, des hommages au raï aux soirées de Norouz2, tous les héritages culturels de la région SWANA3.

La Flèche d'Or, le Cabaret Sauvage, les Relais solidaires de Pantin, le FGO-Barbara, le Petit Bain, la Station Gare des Mines, et bien d'autres encore… dans l'Est parisien, ce pêle-mêle qui va de la salle de concert au « tiers-lieu » militant a été investi ces dernières années par une dizaine de collectifs qui y programment de nombreux artistes arabes, des groupes de référence comme l'égyptien Cairokee, aux étoiles montantes telles que la chanteuse palestinienne Lina Makoul ou le rappeur algérien Tif.

Affiche colorée avec un homme stylisé, motifs arabesques et détails urbains.
Collectif Mahalla
Affiche pour l'évènement à La Flèche d'or, le 8 février 2025, avec Salma Zahore, Kawun et DJ Priya
mahalla__ / Instagram

Rock, rap, électro, pop, les genres aussi se mélangent sur cette scène représentative des évolutions musicales de la région, ainsi que de métissages esthétiques européens. Ces mélanges s'expriment avec le plus d'évidence dans le travail des DJ qui font danser les publics allemands, français, anglais, néerlandais sur des sets foisonnants d'influences différentes. L'accessibilité financière des soirées dépend des salles, des artistes et des collectifs, mais il y en a pour tous les goûts — et tous les portefeuilles, du concert militant à prix libre aux stars alternatives qui facturent l'entrée à une cinquantaine d'euros. Alors que la programmation d'artistes arabes semblait se limiter en France à la piètre appellation de « musiques du monde », on ne sait soudain plus où donner de la tête, et les soirées se font concurrence auprès d'un public parisien très demandeur.

« Les Arabes sont à la mode »

La soirée de la Flèche d'or était organisée par le collectif Mahalla, créé en 2020 par Aura, une intermittente du spectacle d'origine iranienne qui rentre alors d'Égypte après avoir travaillé dans le secteur culturel pendant deux ans. Constitué d'une poignée de bénévoles du milieu de la musique, Mahalla cherche à mettre en avant les artistes de cette région SWANA.

À leur instar, plusieurs collectifs organisateurs de soirées ont émergé sur la scène parisienne ces dernières années pour porter une création artistique arabe, moyen-orientale ou nord-africaine souvent négligée par les programmations françaises. Pour le collectif Turrab, créé en 2023 par un groupe d'amies libanaises aux professions éloignées du secteur culturel, il s'agissait avant tout de faire venir des artistes indépendantes notoires de la scène moyen-orientale, comme la chanteuse égyptienne Myriam Saleh ou les rappeurs levantins Emsallam et Synaptik, qu'iels n'avaient pas l'occasion de voir sur scène à Paris.

Yara, présidente de Turrab, publie depuis les débuts du collectif un agenda culturel qui répertorie les événements arabes à Paris. Elle nous explique :

Avant, il y avait ce sentiment que si tu ratais un événement, tu ne pourrais pas le rattraper. Maintenant, on n'a plus ce sens de l'urgence, on sent moins ce manque, on doit choisir entre plusieurs événements le même soir.

Affiche colorée annonçant un concert et une projection de film à Bagneux.
Collectif Al Beyt
Affiche pour un concert le 5 janvier 2025 à la Flèche d'Or
al_beyt_collectif / Instagram

Aura, qui pointe pourtant du doigt la réticence des festivals français à programmer des artistes de la région SWANA, y voit un paradoxe : « C'est bizarre, en France, on a une conception très assimilationniste des cultures, on n'est pas un pays qui aime célébrer la différence. Pourtant, quand il s'agit de musique, on transcende cela. » Alors que l'on n'a jamais autant vu d'artistes indépendantes arabes se produire à Paris que ces dernières années, peut-on donc vraiment affirmer, comme me le suggérait une autre organisatrice de soirées, que « les Arabes sont à la mode » ?

Entre manifs et concerts

« Les fêtes amènent du monde, ça m'a aidé à réclamer mon espace ici en France », explique Mouawiya, 33 ans. Il est réfugié en France depuis 2015, et est co-fondateur du collectif syrien Al Beyt. Pour lui, les soirées arabes parisiennes ne se limitent pas à la fête : celle-ci permet d'attirer un large public vers des questionnements politiques sur l'immigration, les diasporas, ou bien l'exil et la répression politique dans le cas d'Al Beyt. Dès sa création en 2021, le collectif syrien a l'intention claire de défendre les valeurs de la révolution de 2011, et de lever des fonds pour soutenir la population syrienne. Après la chute de Bachar Al-Assad en décembre 2024, les événements du collectif ont permis non seulement de célébrer ce moment, mais aussi d'échanger sur sa signification et sur l'avenir de la Syrie, à l'ombre du grand drapeau de la révolution syrienne déployé en toutes circonstances et depuis plusieurs années sur les murs de la Flèche d'Or. Mi-mars, le collectif consacre deux soirées consécutives à l'anniversaire de la révolution syrienne, mêlant discussions, projections et concerts dans une ambiance festive.

Moins heureuse que la célébration syrienne, une autre actualité a été centrale dans la scène arabe parisienne ces dernières années : celle du génocide des Palestiniennes commis par Israël dans la bande de Gaza. Depuis le 7 octobre 2023, la quasi-totalité des événements programmant des artistes arabes envoie des fonds à des organisations palestiniennes. Les motifs noir ou rouge des keffiehs parsèment un public qui se retrouve souvent dans ces concerts après les manifestations pour la Palestine. Il n'est pourtant guère aisé, ni pour le public ni pour les organisateurices, de faire la fête dans ces conditions. Turrab a dû y faire face de manière brutale : le génocide a commencé quelques semaines avant leur tout premier événement du 26 octobre 2023, aux Relais solidaires de Pantin.

« On avait tellement peur », confie Omar, ingénieur de 36 ans et co-fondateur du collectif, « mais ça a été une expérience très positive ». À l'époque, le groupe d'amies n'est pas vraiment d'humeur à écouter de la musique. D'autant qu'il fallait garantir la sécurité de plusieurs centaines de personnes alors que les manifestations en soutien au peuple palestinien étaient interdites et sévèrement réprimées partout en France. Le soir même du concert, l'armée israélienne entre dans le Nord de Gaza. Emsallam, le rappeur jordanien qui se produit, est de mauvaise humeur, tance vertement l'ingénieur du son. Tout le public, dont je faisais partie, est fébrile. Finalement, le concert a bien lieu. Le rappeur reprend ses titres à succès, et la musique entraîne le public à danser, crevant la tension accumulée des semaines passées.

Affiche d
Colectif Turrab
Affiche pour un concert aux Amarres, le 29 mars 2024
turr.ab / Instagram

Pour toustes les organisateurices de soirées arabes, le soutien à la Palestine paraît évident. Il relève moins d'une opinion politique contingente que d'une revendication identitaire nécessaire, alors que le génocide en Palestine est instrumentalisé contre les Arabes au service de la montée du fascisme en France. Si certains discours ont tenté de remettre en cause le droit à faire la fête alors que les Palestiniennes subissent les exactions meurtrières de l'armée israélienne, cette pudeur n'a pas rencontré un franc succès à Paris. La fête arabe s'est pleinement emparée de la cause palestinienne. Comme le remarque Mouawiya, si les membres d'Al Beyt avaient dû attendre la fin des bombardements pour célébrer la Syrie révolutionnaire, il n'y aurait pas eu de mobilisation, et l'espace d'échange proposé au public fidèle du collectif n'existerait pas.

Des espaces communautaires

S'ils répondent à des besoins différents, les collectifs ont des points en commun que l'on retrouve dans toutes les soirées du genre : ils ont été créés au tournant des années 2020, par des personnes issu-es de la 1re ou 2e génération d'immigration. Surtout, ils reposent sur une autonomie bénévole quasi totale. Parfois soutenus par des artistes qui refusent des cachets ou réduisent les coûts de production, ces collectifs constitués en associations n'ont pas de bailleurs de fonds. Les frais sont souvent avancés par leurs membres qui réinvestissent les marges tirées dans le collectif. Ils sont nombreux à revendiquer activement cette autonomie financière, qui garantit leur liberté, en l'absence de comptes à rendre à des institutions. Par ailleurs, pour faire face à la répression politique et soutenir ce modèle plutôt précaire, les organisateurices peuvent compter sur les lieux qui accueillent les programmations arabes : des cas d'annulations d'événements en lien avec la Palestine ont certes fait polémiques ces dernières années, mais des salles engagées comme les Relais Solidaires de Pantin, la Flèche d'Or ou le Petit Bain demeurent de fervents alliés. Curieuses des propositions artistiques arabes, elles défendent aussi la liberté d'expression des artistes et des collectifs.

Nouveau Casino de Paris, le 7 mars 2023. Maysa Daw, chanteuse palestinienne de Haïfa, 27 ans, et membre de l'iconique groupe de hip-hop palestinien DAM, monte sur scène. Elle porte un maillot floqué du logo de Sa7ten (Bon appétit en arabe levantin), un collectif né après le début du génocide à Gaza, qui récolte des fonds pour les associations palestiniennes en organisant des événements festifs, et en y vendant de la nourriture et des produits dérivés. La chanteuse s'adresse en anglais et en arabe à un public issu de tout le monde arabe, du Maroc à la Syrie. « Nous ne sommes pas juste des opprimées, nous faisons la fête, nous aimons, nous applaudissons ! » leur lance Daw, dont les chansons, rappées ou chantées guitare à la main, revendiquent la fierté d'être arabe, d'être une femme, et de résister à l'oppression. La chanteuse vit sous le poids quotidien du joug israélien. Mais ces provocations musicales énergiques semblent s'adresser aussi bien à l'occupant israélien qu'à la répression occidentale de la solidarité avec la Palestine, dont le public parisien connaît bien le poids.

Pour celui-ci, ce genre d'expression est libérateur, comme me l'explique Ilef, étudiante née en France de parents tunisiens. Confrontée dès l'enfance au racisme et à la pression de l'assimilation culturelle, la jeune femme se reconnaît dans le sort et la lutte des Palestiniennes :

En tant qu'anciennes colonisées, et en tant que marginalisées ici, je vois la Palestine comme un miroir de notre stigmatisation.

Elle ne supporte plus, après le 7 octobre 2023, d'être confrontée à des personnes, dans ses études ou son travail, qui ne reconnaissent pas la gravité de la violence subie par les Palestiniennes. À côté d'elle, Asgad, étudiante en cinéma d'origine soudanaise, ajoute : «  [Dans ce genre d'événements] je n'ai pas besoin de faire d'efforts, je sais que les personnes me comprennent ». Suivant de près la difficile actualité palestinienne et soudanaise, elle renchérit : « Même si j'ai grandi en France, j'ai l'impression de vivre géographiquement dans d'autres espaces en même temps. » Les deux étudiantes considèrent les fêtes arabes comme des safe spaces, des espaces où elles se sentent libres de s'exprimer sans représailles, et où elles se sentent comprises par le reste du public. Yasmine, rencontrée à la soirée de Mahalla du 8 février, dit qu'elle se sent appartenir aux espaces de soirées arabes. « Ça fait du bien d'avoir des moments pour souffler. On se sent visible et ça donne de la force. Les minorités deviennent la majorité, tu peux zalghout4 et les gens te suivent. »

Ces événements deviennent ainsi des espaces communautaires à part entière, dans lesquels il se défend, plus qu'une culture sous-représentée, des rituels, des pratiques, toute une identité menacée comme le dit Yara de Turrab :

Il est question de la survie de notre identité dans un contexte où tout le monde cherche à l'effacer. Avec toute la censure qui existe depuis la guerre, on a besoin de cette diversité de collectifs et d'espaces dans lesquels parler, sans restreinte et sans entre-soi.

Retrouver sa langue

La défense de l'identité arabe passe aussi par la langue, dont l'usage est très courant dans ces espaces aménagés par les collectifs. Taha, consultant en informatique d'origine tunisienne installé en France depuis 4 ans, trouve ces espaces reposants. « Quand je parle en français, ma personnalité change », remarque-t-il en sortant de la soirée de Sa7ten, lors de laquelle les artistes se sont adressées au public principalement en arabe. Après la soirée, des Palestiniennes, Tunisiennes, Libanaises, Syriennes, Algériennes se retrouvent pour boire des coups et commenter la soirée. Toujours en arabe.

Affiche d
Collectif
Affiche pour une soirée de stand-up au Kibélé - café théâtre le 29 mai 2023
14de7k / Instagram

Le collectif 14 Dehek, formé en 2022 par des humoristes originaires de divers pays du monde arabe, a fait de l'usage de cette langue un axe central de son travail. Réunissant une cinquantaine d'humoristes qui s'expriment dans des dialectes variés allant du marocain au soudanais, du yéménite au palestinien, le collectif revendique ces différences linguistiques5, et cherche, à travers l'humour, à trouver les points communs, les sujets universels qui relient les différentes communautés arabes. Proposant des spectacles hebdomadaires, 14 Dehek fait ainsi défiler sur scène une myriade de langages qui s'adressent à un public tout aussi varié. Cette diversité, propre au public parisien, est impossible à rassembler dans un pays arabe, et c'est là la grande originalité du collectif : il revendique une identité arabe qui transcende les frontières, réunissant les diasporas par l'humour au-delà de leurs différences. En plus d'organiser des spectacles, le collectif accompagne les humoristes, souvent jeunes, en leur donnant accès à des scènes ouvertes, et en les formant dans des ateliers d'une remarquable bienveillance. Les humoristes se retrouvent pour confier leurs doutes, s'encourager, et travailler ensemble, apprenant, au prix de quelques confusions drôles et assumées, les différences d'accent et de dialecte des unes et des autres.

L'initiative de 14 Dehek est particulièrement intéressante en ce qu'elle relève le défi important, auquel se confrontent tous les collectifs, de franchir les barrières qui peuvent exister entre différentes cultures arabes, notamment celles du Proche-Orient et du Maghreb. Outre l'usage de dialectes variés de tout le monde arabe, les collectifs font un effort conscient dans leur programmation pour faire se rencontrer ces deux univers culturels, sans oublier d'y inclure les minorités ethniques du monde arabe comme les Kurdes ou les Amazighs. Turrab revendique ainsi d'avoir pensé des « concepts innovants » pour faire se rencontrer les cultures du monde arabe dans ses événements, tandis qu'Aura de Mahalla m'affirme chercher à « casser les catégories mentales des gens », en rassemblant sur scène des cultures très variées de la région SWANA.

Faire interagir la musique et les sujets politiques

Les événements culturels arabes de Paris ont cette particularité d'être conçus par des Arabes, et de s'adresser avant tout à des Arabes, dans un pays qui ne s'adresse à eux que par l'invective, le reproche et la condamnation. Cependant, un public français, blanc, non-arabophone est aussi adepte de cette scène : souvent militant, celui-ci a sa place parmi la diversité de cultures et d'origines. Il est généralement là par solidarité avec les causes que défendent les artistes. Les collectifs arabes soulignent à ce propos la grande curiosité du public parisien blanc, habitué au multiculturalisme, et particulièrement ouvert à de nouveaux univers esthétiques. Lors de l'anniversaire de la révolution syrienne organisé par Al Beyt à la Flèche d'Or, je rencontre Alfred et Jean, deux étudiants chercheurs qui connaissent et suivent des collectifs arabes parisiens. Alfred, doctorant en mathématiques, est passionné de musique. Il la considère comme « un vecteur de communication très puissant ». Il est membre du label indépendant Evolove, qui a montré sa solidarité avec la Palestine en organisant une levée de fonds pour la Palestine en partenariat avec le collectif Sa7ten, ce dernier programmant des artistes arabes pour accompagner les efforts du label.

Affiche d
Collectif Turrab
Affiche pour une soirée aux Relais Solidaires le 17 février 2024
@bold_jpg x @yaranahouli (instagram)

Ainsi, les safe spaces arabes révèlent une multitude de facettes : ils promeuvent la création artistique, procurent une communauté à des Arabes menacées et censurées, et nourrissent la réflexion et la mobilisation politique en défense des peuples opprimés ici et dans le monde arabe. Haroun est un artiste tunisien installé en France depuis 11 ans et fondateur en 2018 de Radio Flouka, une webradio basée à Paris qui diffuse de la musique originaire « du Machrek au Maghreb », et plus largement des pays du Sud global. Pour ce DJ, la musique permet de faire le lien entre les peuples et leurs oppressions, et de transcender les différences géographiques et identitaires des diasporas. Dans la décennie qui suit les mobilisations révolutionnaires de 2011, les artistes indépendantes reprennent le sentiment de fierté arabe exprimé dans les manifestations, et Haroun attribue à ce sentiment de fierté l'évolution de la scène parisienne arabe ces dernières années. Selon lui, les événements de solidarité politique amènent le public à s'intéresser à la musique arabe. Beaucoup d'organisateurices me parlent d'un « cercle vertueux » qui fait interagir la musique et les sujets politiques, et qui, partant de l'un, apporte du public à l'autre.


Le samedi 22 février, la fête bat son plein au théâtre du Renard dans le quartier de Châtelet. L'association Mawjoudin met un terme flamboyant à trois journées d'expositions, de discussions et d'ateliers sur les thématiques queers arabes. Vers 2 heures du matin, alors que la DJ syrienne Noise Diva, star de la scène néerlandaise, a fini son set et que la salle rallume ses lumières, la foule ne réagit pas : une darbouka circule entre les fêtardes, et celleux-ci continuent de danser en chantant à tue-tête des chansons populaires arabes. Lancée par des performances d'artistes queers, la soirée prend une allure de mariage arabe, s'éternisant au grand dam des vigiles qui ne parviennent pas à nous évacuer. Avec cet événement, l'association Mawjoudin marque son arrivée sur la scène parisienne. Elle se donne pour objectif de promouvoir la création artistique des communautés LGBTQI arabes, dans une bataille culturelle contre un discours occidental qui voudrait assigner l'homophobie et la fermeture d'esprit aux Arabes. Bien que les autres collectifs arabes ne se focalisent pas sur les personnes queers, l'inclusivité de toutes les identités de genre et sexualités est un principe acquis dans leurs espaces — comme me l'explique l'humoriste John Almo du collectif 14 Dehek : « On est déjà étouffées dans le monde arabe, on ne veut étouffer personne d'autre. » Profondément intersectionnelle dans son discours et ses pratiques, la scène arabe parisienne semble évoluer à contre-courant d'un espace public français qui se rétrécit, gagné par les discours fascisants de nos dirigeantes et de leurs alliées d'extrême droite.

En sortant enfin du théâtre du Renard, je fais la connaissance de Khaled et Majed, deux amis saoudiens venus à Paris seulement pour enchaîner des soirées arabes : « Dans les pays arabes, les nationalités ne se mélangent pas ainsi, à Paris si. Moi, je déteste Paris et je déteste la France. Mais je viens pour ce genre de fêtes, pour voir les Arabes ensemble », explique Khaled. « Pour nous, la politique et la musique sont inséparables. Sans les soirées arabes, je ne viendrais pas. » Paris serait-elle devenue, envers et contre tout le racisme qui se déploie aujourd'hui en France, un sas de respiration pour les Arabes ?

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Premier événement musical d'Orient XXI !

Affiche pour un concert : artistes, dates, horaires et lieu en arrière-plan coloré.


📆Samedi 19 avril
📍FGO-Barbara, 1 rue Fleury, 75018 Paris

🕟 18h30
Table ronde « Fusion ou friction, les enjeux de la musique alternative arabe en Occident » avec les artistes et Leyane Ajaka Dib Awada, modérée par Sarra Grira

Concert de Zeid Hamdan, Imed Alibi et Khalil Epi

Billetterie
Prévente 13 euros ; tarif plein 16 euros


1Culture queer du spectacle d'origine étasunienne.

2Nouvel an dont la date varie entre le 20 et le 22 mars. Il est fêté en Iran, en Afghanistan, en Azerbaïdjan et en Asie centrale, mais aussi au sein des communautés kurde, ouïgours et parsie.

3South-West Asia North-Africa, une appellation désignant les pays du sud-ouest de l'Asie (Pakistan, Afghanistan, Iran) à l'Afrique du Nord qui se veut inclusive des minorités ethniques non-arabes de cette région.

4Terme arabe pour «  youyou  ».

5Si les dialectes arabes ont pour base commune l'arabe écrit dit «  standard  », ils ont des accents, un vocabulaire, voire parfois des grammaires qui leur sont propres. Ces différences demandent parfois un temps d'adaptation aux personnes qui n'ont jamais entendu que l'arabe de leur communauté ou de leur pays. Il existe dans le monde arabe des rhétoriques chauvines attribuant une supériorité linguistique à certains dialectes ou prononciations.

16.04.2025 à 06:00

Palestine. La santé mentale, un enjeu décolonial

Joan Deas

Les Palestiniennes subissent une violence coloniale qui détruit non seulement leurs corps et leurs maisons, mais aussi leur psychisme. Génocide, déplacements forcés, blocus, humiliations quotidiennes constituent autant de traumatismes individuels et collectifs. Il est urgent de repolitiser la santé mentale pour en faire un enjeu de justice. Nul besoin d'être experte en psychiatrie pour comprendre que le génocide en cours à Gaza et la politique d'annexion israélienne en Cisjordanie et à (…)

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Texte intégral (3600 mots)

Les Palestiniennes subissent une violence coloniale qui détruit non seulement leurs corps et leurs maisons, mais aussi leur psychisme. Génocide, déplacements forcés, blocus, humiliations quotidiennes constituent autant de traumatismes individuels et collectifs. Il est urgent de repolitiser la santé mentale pour en faire un enjeu de justice.

Nul besoin d'être experte en psychiatrie pour comprendre que le génocide en cours à Gaza et la politique d'annexion israélienne en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ont des conséquences dramatiques pour la santé mentale du peuple palestinien. Ce qui se cache derrière les dommages physiques est peut-être bien plus violent encore : Israël, avec la complicité des États-Unis et dans l'indifférence quasi générale de leurs alliés occidentaux, est en train de détruire la structure émotionnelle, cognitive et psychologique de la population palestinienne.

Une population polytraumatisée

Le traumatisme des Palestiniennes prend racine en 1948, lorsque — suivant la déclaration d'indépendance de l'État d'Israël — plus de 750 000 Palestiniennes furent forcées de quitter leurs terres. Cette Nakba (catastrophe) — est un traumatisme collectif et transgénérationnel fondamental de l'histoire palestinienne. Il est aujourd'hui fortement ravivé dans la conscience collective par le déplacement forcé de 2 millions de Gazaouies depuis octobre 2023.

À la veille du 7 octobre 2023, Gaza était une prison à ciel ouvert depuis 2007. Les habitantes y vivaient coupées du monde, sous blocus terrestre, aérien et maritime imposé par Israël depuis 16 ans. Ce blocus a placé Gaza dans une situation de « dé-développement » et de crise humanitaire chronique et multiforme. Les restrictions de circulation et d'accès ont détruit le tissu économique et social et fait naître un sentiment de désespoir qui domine dans la population. Les habitantes de Gaza ont également subi quatre guerres d'ampleur avec Israël depuis 2008 (en 2008-2009, 2012, 2014 et 2021) qui ont causé de nombreux morts et blessés ainsi que des dégâts psychologiques considérables.

En Cisjordanie et à Jérusalem-Est, la population se retrouve dépourvue face à la croissance des colonies et à la violence des colons. Les Palestiniennes assistent impuissants à la confiscation de leurs terres et à la destruction de leurs biens. Ils sont quotidiennement humiliés par le vaste système de contrôle et de restrictions de mouvement imposé par la matrice coloniale israélienne depuis des décennies. Ils sont eux-mêmes ou voient leurs proches se faire emprisonner, blesser, ou tuer sans que justice soit faite. Cette situation et l'absence de perspective d'évolution à court ou moyen terme ont eu un impact traumatique direct sur la population palestinienne. L'accélération drastique, particulièrement après le 7 octobre 2023, de ces tendances de longue date en matière de discrimination, d'oppression et de violence place la Cisjordanie au bord de la catastrophe, tandis que Gaza a glissé dans l'abîme.

Il est essentiel d'être précis quant aux conséquences catastrophiques du génocide en cours. Bien au-delà de ses prétendus objectifs militaires, Israël a stratégiquement ciblé à grande échelle toutes les infrastructures vitales nécessaires au maintien du tissu social et économique de la population gazaouie. En anéantissant des familles entières et en détruisant des espaces où les gens tissent des liens et s'entraident, comme les écoles, les hôpitaux, les mosquées et les églises, Israël a fait disparaître les sources de subsistance et de soutien communautaires fondamentales à la stabilité psychologique de la population. Le nombre de victimes est si élevé et les destructions d'infrastructures si étendues que les familles sont dans l'incapacité de pratiquer leurs rituels funéraires, rendant le processus de deuil extrêmement difficile. Adultes comme enfants sont confrontés à une anxiété extrême, à la faim et à la soif, à la peur et à une inquiétude constante pour leur propre sécurité et celle de leurs proches.

Un tel traumatisme ne se limite pas au présent et aux personnes directement touchées. Il peut engendrer de graves traumatismes intergénérationnels, comme en témoignent les études sur les enfants de survivants de l'Holocauste et d'autres traumatismes de masse1.

Des besoins mal évalués

Pour diverses raisons liées aux manques de moyens et au tabou social entourant la question de la santé mentale en Palestine, il existe (trop) peu de données statistiques sur les conditions sociopsychologiques des Palestiniennes. On peut tout de même citer quelques chiffres d'études menées avant le génocide. Une étude publiée en 2017 indiquait que la population du Territoire palestinien occupé (TPO) était déjà la plus touchée par les troubles mentaux de l'ensemble des pays de la Méditerranée orientale2.

La Palestine avait notamment déjà de loin les taux de dépression les plus élevés des pays de la région. Selon les données de cette étude, la dépression était la deuxième cause d'invalidité en Palestine en 2015. En 2021, une étude de la Banque mondiale3 effectuée sur un panel de 5 867 Palestiniennes a relevé quant à elle la présence de symptômes dépressifs chez 50 % des répondantes en Cisjordanie et 71 % à Gaza.

Il n'existe pas encore de chiffres ni d'étude évaluant les conséquences du génocide en cours à Gaza sur la santé mentale de la population. Des rapports révèlent cependant que les enfants gazaouis présentent des réactions traumatiques aiguës, incluant paralysie, mutisme, convulsions, confusion et perte de contrôle de la vessie.

Les jeunes sont de manière générale particulièrement touchés par les problèmes de santé mentale. Une étude publiée en 2015 indiquait que 40 % d'entre eux souffraient de troubles de l'humeur, 90 % d'autres pathologies liées au stress et 60 % à 70 % de symptômes de « stress post-traumatique »4. Selon Médecins sans frontières, dans un article datant de 2021, les suicides et tentatives de suicide ont régulièrement augmenté depuis 2007, alors même qu'ils sont clairement sous-rapportés à cause de la stigmatisation des problèmes de santé mentale au sein de la société palestinienne. Si la tentative de suicide est un crime selon la loi palestinienne, une étude médicale publiée dans le World Journal of Medical Sciences en 2014 rapporte cependant qu'un quart des adolescentes palestiniennes (13-17 ans) avaient déjà fait des tentatives de suicide. L'un des taux les plus élevés au monde.

Des outils inadaptés

Samah Jabr, responsable de l'unité de santé mentale au ministère palestinien de la santé, remet cependant en question ces statistiques. Elle est l'une des 34 psychiatres palestiniennes tentant de faire face avec difficulté aux immenses besoins d'une population polytraumatisée de 5,5 millions d'habitantes. Selon elle, les outils développés en Occident pour mesurer la dépression, comme l'inventaire de Beck5, ne font pas la distinction entre la souffrance justifiée et la dépression clinique et ne tiennent pas compte des circonstances dans lesquelles l'angoisse constitue une réponse raisonnable et adaptée à la situation vécue.

Elle soutient également que la notion de trouble de stress post-traumatique (TSPT) n'est pas applicable à la population palestinienne, car il n'y a pas de « post » dans la situation endurée. Le traumatisme en Palestine est collectif et continu, et la menace toujours présente :

Nous décrivons notre expérience psychologique dans des termes qui, nous l'espérons, seront compris en Occident, et nous parlons donc beaucoup du trouble de stress post-traumatique (TSPT). Mais je vois des patients souffrant de TSPT à la suite d'un accident de voiture. Pas après un emprisonnement, ni après un bombardement, ni après avoir été étiqueté comme une personne hors la loi (…). L'effet est plus profond. Il change la personnalité, il change le système de croyances, et cela ne ressemble pas à un TSPT.6

Pour Samah Jabr, il serait nécessaire d'aller au-delà des outils occidentaux et de la définition donnée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), pour développer ses propres normes en matière de santé mentale. Le TSPT devrait ainsi être requalifié de « trouble de stress traumatique chronique » pour décrire correctement la situation vécue par les Palestiniennes7.

Une responsabilité qui dépasse le cadre clinique

Il est également indispensable de prendre en considération la responsabilité de la violence politique et des dynamiques de pouvoir à l'œuvre dans le traumatisme palestinien. Répondre aux traumatismes implique une responsabilité qui dépasse le cadre clinique. Il est indispensable d'aborder leurs manifestations psychologiques, sociales et politiques. Or, ces aspects sont souvent occultés par les classifications des maladies qui tendent à individualiser les souffrances. Ce travail ne relève pas uniquement des professionnelles de la santé mentale. Il exige une réponse collective, à plusieurs niveaux, ancrée dans la justice sociale — la justice étant une condition essentielle à toute guérison. Pour que les Palestiniennes puissent réellement se rétablir de manière significative, la réalité politique en Palestine doit changer.

L'occupation et la colonisation israéliennes sont bien les premières responsables de l'état catastrophique de la santé mentale en Palestine. Les acteurs palestiniens travaillant dans le domaine de la santé mentale, tels que l'ONG « Gaza Community Mental Health Programme », ont compris cette réalité — qu'ils vivent eux-mêmes dans leur chair — et s'efforcent d'intégrer au sein de leur mandat la lutte pour les droits humains et la fin de l'occupation israélienne. Cela a néanmoins conduit certains de ces acteurs locaux à être privés de plusieurs fonds occidentaux, notamment européens et américains, victimes de la politique dite « de conditionnalité » imposée par ces bailleurs. Cette clause empêche en effet les organisations locales suspectées d'« activisme politique », « d'incitation à la haine » et de « soutien au terrorisme » de recevoir ces fonds, comme le dénonçait Amnesty international en novembre 2023.

Selon Tariq Dana :

[Ces restrictions imposées par les bailleurs] criminalisent de nombreuses organisations palestiniennes qui se lancent dans des formes modérées de résistance par le biais du droit international, de la défense des droits humains et en soutenant la survie des communautés. Ces restrictions contribueront donc non seulement à une marginalisation accrue de la cause palestinienne, mais faciliteront également l'institutionnalisation de l'expansion coloniale israélienne8.

Du côté des organisations internationales humanitaires opérant en Palestine, trop rares sont les fois où sont dénoncées dans leurs rapports ou leurs discours les véritables causes des problèmes que celles-ci — en majorité occidentales — sont pourtant censées venir endiguer. Des causes éminemment politiques, dont les acteurs humanitaires internationaux ne peuvent se saisir du fait de la nature même de leur mandat. Au nom du sacro-saint principe humanitaire d'«  impartialité politique  », le paradigme d'aide guidant l'action de ces organisations est ainsi principalement technocratique, apolitique et « neutre ». En acceptant la stratégie de dépolitisation de l'aide dictée par Tel-Aviv, Washington et les bailleurs de fonds occidentaux, ce mode d'action a permis à Israël d'échapper à ses responsabilités en tant que puissance occupante. Ce faisant, il n'a fait que renforcer le système colonial israélien, sans jamais réussir à améliorer durablement les conditions de vie de la population palestinienne.

Ainsi, malgré les dizaines de milliards de dollars d'aide investis en Palestine par les bailleurs de fonds internationaux depuis des décennies, faisant de la population palestinienne l'un des plus importants bénéficiaires d'aide non militaire par personne au monde9, tous les indicateurs à disposition indiquent une détérioration de la situation économique et humanitaire des Palestiniennes. C'est tout particulièrement le cas de la santé mentale, domaine longtemps délaissé et parent pauvre de l'action humanitaire en Palestine.

Le paradigme d'aide humanitaire prévalant en Palestine doit ainsi être urgemment repensé, repolitisé et réarticulé autour de la lutte pour les droits fondamentaux des Palestiniennes, seule option capable de mettre fin aux causes endémiques du fléau de la santé mentale en Palestine. Tout doit être fait pour faire renaître l'espoir de justice. Seule celle-ci permettrait une véritable amélioration de la santé mentale des Palestiniennes.


1Bruno Halioua, Muriel Vaislic, Patrick Bantman, Rachel Rimmer, Stéphanie Dassa, Jonathan Taieb, Dan Halioua, Samuel Sarfati, Alexis Astruc, Thierry Bury, Nicole Kac-Ohana, Marc Cohen, Richard Prasquier, «  Que nous apprennent les enfants des survivants de la Shoah sur la transmission transgénérationnelle du traumatisme  ?  », European Journal of Trauma & Dissociation, Volume 6, n°1, 2022.

2Raghid Charara, Mohammad Forouzanfar et autres, «  The Burden of Mental Disorders in the Eastern Mediterranean Region, 1990-2013  », PLoS ONE, 12 (1), 2017, https://doi.org/10.1371/journal.pone.0169575

3Institution financière internationale qui accorde des prêts et autres appuis financiers à des pays en développement pour des projets d'investissement.

4Dyaa Saymah, Lynda Tait and Maria Michail, An overview of the mental health system in Gaza : an assessment using the World Health Organization's Assessment Instrument for Mental Health Systems (WHO-AIMS), janvier 2015

5L'Inventaire de dépression de Beck (IDB) est un des instruments de dépistage les plus largement utilisés pour mesurer la sévérité de la dépression chez les adultes ainsi que chez les adolescents de plus de 13 ans.

6Olivia Goldhill, «  Palestine's head of mental health services says PTSD is a western concept  », Quartz, 13 janvier 2019.

7Mohamed Altawil, Aiman El Asam, Ameerah Khadaroo, «  Impact of chronic war trauma exposure on PTSD diagnosis from 2006 -2021 : a longitudinal study in Palestine  », Middle East Current Psychiatry, février 2023.

8Tariq Dana, «  Criminalizing Palestinian Resistance : The EU's Additional Condition on Aid to Palestine  », Al-Shabaka, 2 février 2020.

9Jeremy Wildeman et Alaa Tartir, «  Can Oslo's failed aid model be laid to rest  ?  », Al-Shabaka, 19 septembre 2013

15.04.2025 à 06:00

Palestine. L'urgence d'un sursaut politique unitaire

Muzna Shihabi

Et si des décombres renaissait l'Organisation de libération de la Palestine ? Réunissant plus de 400 participants, en février à Doha, la conférence nationale palestinienne a posé les principes fondateurs de la force politique de demain. Celle qui devra faire face au génocide dans la bande de Gaza, au nettoyage ethnique en Cisjordanie et à la politique d'apartheid menée par Israël devra avant tout réussir à s'imposer sur l'échiquier politique palestinien. Palestine, 1948. La terre est (…)

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Texte intégral (2735 mots)

Et si des décombres renaissait l'Organisation de libération de la Palestine ? Réunissant plus de 400 participants, en février à Doha, la conférence nationale palestinienne a posé les principes fondateurs de la force politique de demain. Celle qui devra faire face au génocide dans la bande de Gaza, au nettoyage ethnique en Cisjordanie et à la politique d'apartheid menée par Israël devra avant tout réussir à s'imposer sur l'échiquier politique palestinien.

Palestine, 1948. La terre est perdue. Non pas cédée, mais arrachée, morceau par morceau, jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un peuple sans ancrage, sans toit, sans armée. Ils étaient là pourtant, tenaces, silencieux souvent, dans les camps, dans les rues, dans l'attente.

En mai 1964, l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) naît. Moins comme une institution que comme un sursaut. Il fallait une voix. Un nom. Un point de ralliement pour ceux qu'on ne voyait plus. L'OLP n'avait pas les moyens d'un État. Ni même ceux d'une organisation solide. Mais elle avait cette force discrète qui précède les ruptures : la nécessité. Une charte, des mots, un horizon : libérer la terre. Dire, à nouveau, que la Palestine existait et existe encore. Qu'elle n'était pas une parenthèse close, mais une phrase suspendue.

Représenter les Palestiniens, ce n'était pas parler à leur place. C'était ouvrir un espace où leur absence cesse d'être vide. C'était maintenir vivante une géographie invisible, celle des souvenirs, des noms de villages effacés, des rêves transmis à voix basse.

Quand Saïd et Darwich, les voix de l'OLP, se sont tus

Dix ans après la naissance de l'organisation, en 1974, deux figures majeures de la pensée palestinienne se rencontrent à New York : Edward Saïd, intellectuel formé aux États-Unis, théoricien de l'orientalisme, et Mahmoud Darwich, poète de l'exil. Tous deux marqués par la Nakba, tous deux porteurs d'une voix palestinienne sur la scène internationale. Leur amitié, nourrie par une même exigence morale et politique, les conduit à devenir, un temps, les relais culturels de l'OLP. Ensemble, ils participent à la rédaction du discours que Yasser Arafat prononce à la tribune des Nations unies, cette même année, et dont la formule reste dans les mémoires : « Je suis venu, un rameau d'olivier dans une main, un fusil de combattant dans l'autre. »

Mais l'élan se brise en 1993. Les accords d'Oslo, signés dans le secret sous l'égide des États-Unis, entérinent une reconnaissance mutuelle entre Israël et l'OLP. En apparence, c'est un tournant historique. Dans les faits, l'asymétrie est flagrante. L'OLP reconnaît l'État d'Israël ; Israël, lui, ne reconnaît pas un État palestinien. L'Autorité palestinienne (AP), censée incarner l'embryon d'un futur gouvernement, n'a de contrôle ni sur les frontières, ni sur les ressources, ni sur la sécurité. La Cisjordanie est morcelée en zones, dont plus de 60 % restent aux mains de l'armée israélienne. Les colonies continuent de s'étendre. Les sujets les plus sensibles — Jérusalem, les réfugiés, les frontières définitives — sont relégués à des « discussions ultérieures », sans échéance ferme.

Pour Darwich, c'est la « mort du système politique palestinien ». Pour Saïd, un « Versailles palestinien ». Tous deux voient dans cet accord non pas une promesse de paix, mais une reddition maquillée en compromis. Ils prennent leurs distances, refusant de cautionner ce qu'ils perçoivent comme une dénaturation du projet national.

La conférence nationale palestinienne qui s'est tenue à Doha (Qatar) du 18 au 20 février 2025 a pour ambition de faire renaître une Organisation de libération de la Palestine unie dans sa diversité et en prise avec le peuple palestinien. Une gageure.

Une conférence unitaire à Doha

En février 2024 se tenait à Doha une conférence académique sur la Palestine, organisée par le Centre arabe de recherches et d'études politiques (Carep). Il y fut décidé de reconstruire l'Organisation de libération de la Palestine sur une base unifiée, en incluant les partis absents, tels que le Hamas et le Jihad islamique, ainsi que des personnalités indépendantes représentant une majorité silencieuse palestinienne. Plusieurs milliers de Palestiniens de la diaspora, des Territoires occupés et des camps de réfugiés ont signé cet appel.

Pourquoi à Doha, s'interrogent certains. La ville qatarie s'est imposée comme le dernier recours, après le refus clair d'autres capitales arabes, africaines et musulmanes d'accueillir cette rencontre, sous la pression de l'AP. La conférence s'est en effet heurtée à l'hostilité de l'Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, qui, pour son édition 2025, a empêché 33 membres du Fatah de se rendre à Doha. Plusieurs fonctionnaires de l'AP ont été menacés d'arrestation et de licenciement par les forces de sécurité s'ils se rendaient à la conférence. Les organisateurs ont annoncé un soutien juridique aux participants faisant l'objet de représailles.

La faction de Marwan Barghouti n'est pas la seule représentante du Fatah invitée à la conférence, comme le prétendent certains membres du Fatah au pouvoir, bien que sa figure nationale soit indiscutablement porteuse d'une légitimité populaire. Selon Ahmed Ghonem, un des leaders du mouvement :

Il ne s'agit pas de regrouper les leaders politiques ou de faire une coalition de factions ; cette conférence rassemble les personnes, y compris des représentants des factions, qui aspirent à l'unité nationale, chose que les factions n'ont jamais réussi à concrétiser malgré presque deux décennies de discussion.

La « nécessité » d'un leadership unifié

La conférence a réuni plus de quatre cents participants venus des camps de réfugiés en Syrie, au Liban, à Gaza et en Cisjordanie, mais aussi des métropoles lointaines comme Toronto, Istanbul, Amsterdam, Londres et Chicago.

Pour Mostafa Barghouti, secrétaire général de l'Initiative nationale palestinienne, le troisième parti politique de l'échiquier, se présentant en alternative au Fatah et au Hamas, « il s'agit d'une initiative populaire visant à restaurer l'unité palestinienne et à mener une action nationale urgente face au génocide ».

Autre principe fort : « l'urgence et la nécessité » pour la Palestine « de disposer d'un leadership national unifié afin de faire face à la fragmentation politique et aux pressions extérieures », affirme Anis Kassim. Cet avocat et rédacteur en chef du Palestine Yearbook of International Law (Annuaire de droit international de la Palestine) avait contribué à la saisine de la Cour internationale de justice à l'issue de laquelle l'institution a affirmé, dans son avis consultatif du 9 juillet 2004, l'illégalité du mur de séparation d'Israël et de son régime associé.

Un comité de suivi de 17 membres élus sera chargé de prendre contact avec les factions palestiniennes, y compris — et surtout — celles extérieures à l'OLP, comme le Hamas et le Jihad islamique, pour unifier le leadership. Le président de la conférence, Muin Taher, ancien commandant du bataillon Al-Jarmak du Fatah, qui a joué un rôle clé dans la bataille du château de Beaufort (Qala'at Al-Shkeif) au Sud-Liban en 19821, a réaffirmé l'importance de maintenir une diversité d'opinions au sein d'une OLP unifiée reconstruite « sur des bases nationales et démocratiques ».

Le comité de suivi est également chargé d'ouvrir un dialogue avec le président palestinien Mahmoud Abbas et le Comité exécutif de l'OLP, dans le but d'établir une feuille de route pour des élections démocratiques et une réforme institutionnelle. Les recommandations comprenaient la réactivation des syndicats professionnels, la réouverture de l'adhésion à l'OLP, ainsi que l'organisation d'élections en ligne pour inclure tous les Palestiniens en Palestine occupée et dans la diaspora, y compris les camps de réfugiés.

Au-delà de l'apparence institutionnelle de la conférence, les murmures qui s'élevaient dans les couloirs faisaient écho à la tragédie palestinienne. Récits d'emprisonnements, tortures, pertes ; des blessures récentes ou distillées au fil des décennies. Une femme, rescapée du génocide, nous confie : « Nous sommes les Palestiniens de 23 », une référence à cette nouvelle génération ayant traversé les horreurs du génocide qui a débuté en 2023, tout comme les précédentes qui avaient enduré les catastrophes de 1948 et 1967. Un représentant du Fatah, se préparant à regagner la Cisjordanie, redoutait la colère de la police d'Abou Mazen (surnom de Mahmoud Abbas), au point d'angoisser à l'idée de ne pas dénicher un narguilé en prison…

Au-delà des murs de l'oppression

Beaucoup, au cours de leurs prises de parole, ont exprimé leur frustration face à une OLP qui, au lieu d'être le porte-voix de la lutte pour la libération, est devenue une entité administrative déconnectée des aspirations du peuple palestinien. Ils ont souligné que la diaspora palestinienne, souvent négligée, devait être réhabilitée dans la lutte. Un jeune journaliste venu d'Espagne a résumé ce ressenti :

Regardez, nous sommes unis dans la même douleur face à Israël ; notre lutte est intrinsèquement collective. Comment peut-on encore tolérer ce fossé entre le Fatah et le Hamas après tout ce que nous avons enduré ?

La conférence de Doha a offert aux Palestiniens présents l'occasion de s'exprimer dans un espace sécurisé, où leur parole a pu s'élever au-delà des murs de l'oppression, qu'elle soit orchestrée par Israël ou par l'Autorité palestinienne elle-même.

Qu'ils appartiennent au Fatah, au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) ou au Hamas, l'analyse est unanime : depuis les accords d'Oslo, le rôle de l'OLP s'est réduit à des préoccupations strictement locales, s'enfermant dans une logique gestionnaire et perdant son pouvoir représentatif et sa capacité à défendre les droits du peuple palestinien. En choisissant de faire des concessions sur divers droits, y compris celui d'organiser des élections, les dirigeants palestiniens ont laissé un vide politique, dont les conséquences pèsent aujourd'hui lourdement, au cœur d'un génocide et d'un nettoyage ethnique en cours.

Aujourd'hui, l'absence de Darwich et Saïd se fait sentir comme une cicatrice ouverte, un vide immense dans le cœur des Palestiniens. Dans ce climat de désespoir, la tentation est grande de se demander ce qu'ils auraient dit pour éclairer les esprits et apaiser les peines. « Quelle tristesse qu'ils ne soient pas là, car leur âme et pensée auraient illuminé notre rassemblement », confie un universitaire palestinien.

La conférence de Doha se révèle comme un acte de résistance. Saïd et Darwich auraient ajouté leur voix à cet appel urgent à l'unité : « Ne laissez pas le rameau d'olivier tomber de ma main », s'écriait le Yasser Arafat. Aujourd'hui, ce rameau doit se conjuguer à une volonté de changement. Pour que les Palestiniens de 23 soient la dernière génération des damnés de notre Terre.

Les principes affirmés par la conférence nationale palestinienne, tirés de sa déclaration finale :

  • Restaurer l'Organisation de libération de la Palestine en tant que seul représentant légitime du peuple palestinien dans tous les lieux de sa présence et en tant que foyer unificateur des forces, des institutions et des composantes du peuple palestinien, en rétablissant son rôle de libération nationale, d'une manière qui garantisse la fin de la division palestinienne et l'unité de représentation, et afin de réaliser les droits naturels, historiques, politiques et juridiques du peuple palestinien.
  • Former une direction nationale palestinienne unifiée et faire face au génocide, à l'annexion et aux plans de colonisation, ainsi qu'au projet Trump-Nétanyahou de déplacement et de nettoyage ethnique.
  • Constater l'unité de la terre, l'unité du peuple, l'unité de lutte et de destin, l'unité du récit, l'unité du système politique et le droit du peuple palestinien à l'autodétermination.
  • Voir dans les élections démocratiques pratiquées par le peuple palestinien, à l'intérieur et à l'extérieur de la Palestine, le mécanisme idéal pour achever le processus de reconstruction de l'OLP.
  • Affirmer le droit du peuple palestinien à lutter et à résister sous toutes ses formes, conformément aux dispositions du droit international, afin de garantir le succès des Palestiniens dans le renversement du projet de colonialisme de peuplement et la fin de l'occupation et du « système d'apartheid » de ségrégation raciale.

1NDLR. La bataille de Beaufort a été menée entre l'armée israélienne et l'OLP le 6 juin 1982, autour du château de Beaufort, au Liban. Il s'agit de l'un des premiers affrontements de la guerre du Liban de 1982, à l'issue duquel l'armée israélienne s'est emparée du château et l'a occupé jusqu'en 2000.

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