24.02.2025 à 08:44
Guerre en Ukraine : 2022-2025, une chronologie du front
Cela fait aujourd’hui trois ans que la rédaction est mobilisée pour couvrir et penser la guerre du siècle où nous vivons — au cœur de l’Europe, la plus violente et la plus transformatrice. Depuis le 24 février 2022, nous avons publié plus de 400 analyses tactiques du front et près d’un millier de cartes et graphiques. Ce travail est mené de manière indépendante grâce à vous, nos lectrices et lecteurs. Si vous souhaitez contribuer à notre développement, nous vous demandons de penser à vous abonner au Grand Continent
Vladimir Poutine pensait pouvoir prendre la capitale de l’Ukraine en seulement quelques jours. Trois ans plus tard, la ligne de front se trouve à plusieurs centaines de kilomètres de Kiev, tandis que la frontière avec le Belarus ne présente plus une réelle menace d’attaques venant du nord.
Tentative de prise de Kiev
Au début du mois d’avril 2022, Michel Goya notait que l’abandon des ambitions russes de capture de Kiev, quelques semaines seulement après le lancement de l’invasion, constituait une victoire majeure pour l’Ukraine. Le repli s’accompagnait alors de nombreuses exactions menées par les forces russes dans les zones occupées.
Les raisons qui permettent d’expliquer l’échec russe des premières semaines de l’invasion sont nombreuses : campagne aérienne insuffisante, sous-estimation des capacités de la défense ukrainienne, manque de préparation en matière d’approvisionnement…
Le monde a néanmoins tremblé en voyant les forces russes atteindre les faubourgs de la capitale, occupant temporairement le stratégique aéroport de Hostomel, à moins de 10 kilomètres de Kiev.
Quelques semaines après le lancement de l’invasion russe, le nombre de réfugiés ukrainiens a dépassé les deux millions — dix millions pour les déplacés internes. À Marioupol, l’armée russe bombardait les couloirs d’évacuation et empêchait l’aide humanitaire d’atteindre la ville 58.
Au mois d’août, les troupes russes se regroupent dans la région de Kherson en prévision d’une large contre-offensive ukrainienne. Le 29 septembre, Vladimir Poutine signe des décrets reconnaissant « l’indépendance » des régions de Kherson et de Zaporijia. Le lendemain, le Kremlin officialise l’annexion de quatre régions ukrainiennes. La ratification des accords marque l’annexion territoriale la plus importante qu’ait connu l’Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.
L’offensive ukrainienne dans l’oblast de Kharkiv reste à ce jour l’un des principaux succès militaires de Kiev depuis le lancement de l’invasion russe. En trois semaines seulement, les forces ukrainiennes sont parvenues à reprendre 12 000 kilomètres carrés de territoire autour de Kharkiv, deuxième plus grande ville du pays.
Kharkiv sous la menace russe
La percée de septembre 2022 a a ouvert une nouvelle phase de la guerre, en faveur des Ukrainiens. Pour la première fois (hors siège de Marioupol), Kiev réussissait à disloquer un dispositif russe, rendant la force ennemie incapable d’un combat cohérent.
L’efficacité avec laquelle l’Ukraine a faire reculer les forces russes installées depuis plusieurs mois dans cette région frontalière de la Russie a eu un double effet : elle a prouvé au Kremlin que l’armée ukrainienne était capable de mener des offensives majeures, et a démontré dans le même temps aux pays apportant une assistance militaire à l’Ukraine que Kiev était capable, avec du matériel et des munitions de l’extérieur, de gagner la guerre.
La libération de Kherson, une ville de presque 300 000 habitants avant la guerre, située sur le Dniepr, a été perçue à la fin de l’année 2022 comme le signe annonciateur d’un véritable « tournant » dans la guerre. Le 9 novembre, le ministre russe de la Défense ordonne le retrait des forces russes de la ville. Deux jours plus tard, l’armée ukrainienne entre dans Kherson.
Si elle n’a finalement pas ouvert la voie vers la Crimée, l’abandon de Kherson a néanmoins constitué un revers de taille pour le Kremlin, qui annonçait quelques mois plus tôt l’annexion de l’oblast dont la ville est la capitale administrative. Au cours d’un discours prononcé le 30 septembre 2022, le président russe qualifiait les habitants de la région de Kherson comme « des citoyens russes pour toujours ».
L’armée russe fait sauter le pont d’Antonivka après son retrait
Après avoir abandonné Kherson, l’armée russe s’est retranchée plus au sud, sur la rive est du Dniepr, où elle avait en amont entamé la construction d’un réseau de fortifications largement responsable de l’échec de la contre-offensive ukrainienne. Le retrait de Kherson marquait néanmoins l’échec de l’offensive russe dans le sud de l’Ukraine.
Dans un témoignage traduit et commenté dans la revue, un volontaire russe décrit le désordre dans lequel l’armée russe s’est retirée de la ville : épuisée après plusieurs semaines de combats, en manque de munitions car « tous les ponts et les pontons étaient bombardés », ce volontaire confie avoir été contraint de détruire du matériel avant d’abandonner la ville — alors que le ministère russe de la Défense affirme qu’il n’y a pas eu de pertes.
Bakhmout est très certainement le théâtre d’une des batailles les plus meurtrières du conflit à ce jour. Bien qu’il n’existe pas de chiffre précis détaillant les pertes humaines et matérielles des deux camps pour le contrôle de la ville, la Maison-Blanche estimait en mai 2023 que la Russie avait subi 100 000 pertes — dont 20 000 morts, sur tout le territoire et non seulement à Bakhmout — depuis le mois de janvier, au plus fort de la bataille. L’armée ukrainienne a notamment accusé la Russie d’avoir utilisé des munitions incendiaires au phosphore blanc.
Après des mois de bombardements et de combats acharnés ayant conduit à la destruction quasi-totale de la ville dont témoignent les images satellites, Bakhmout est finalement tombée aux mains des forces russes, et notamment de la milice Wagner, en mai 2023, soit neuf mois après les premiers bombardements.
Les ruines de Bakhmout
Le niveau de pertes très élevé des forces de Wagner et de l’armée russe à Bakhmout s’explique par la tactique « d’infanterie jetable » utilisée par le commandement russe. L’opération, qualifiée de « Bakhmut Meat Grinder » par l’ancien chef de Wagner Evgueni Prigogine, consistait alors à lancer des vagues successives de combattant afin d’identifier les positions de tir ou de trouver des points faibles dans les défenses ukrainiennes.
De nombreux témoignages de soldats ayant combattu à Bakhmout décrivent l’horreur du combat ainsi que le manque de sens apporté par les commandements ayant investi des ressources colossales pour une bataille dont la victoire russe fût avant tout symbolique. C’est notamment à Bakhmout où le nouveau commandant des forces ukrainiennes, Oleksandr Syrsky, a acquis son surnom de « boucher » en raison de ses décisions ayant conduit à de lourdes pertes, notamment au sein d’unités parmi les plus expérimentées.
Dans la matinée du 6 juin 2023, autour de 3 heures du matin, le barrage hydroélectrique de Kakhovka, situé sur le Dniepr, a cédé, entraînant l’inondation de 120 kilomètres carrés de terre au cours des premières heures. La destruction de l’infrastructure a entraîné l’évacuation de plusieurs dizaines de milliers de personnes, un important coût économique et environnemental chiffré à 6,4 milliards de dollars par l’UNESCO.
Catastrophe de Kakhovka
Le barrage de Kakhovka sera-t-il reconstruit après la guerre ? Dans un entretien publié dans nos colonnes, Jean Pisani-Ferry considère qu’il ne faut pas attendre la fin de la guerre pour entamer la reconstruction des infrastructures telles que les ponts et les installations électriques, « essentielles pour maintenir la capacité économique du pays aussi intacte que possible ».
Si plusieurs éléments ont permis de soupçonner l’implication de la Russie dans la destruction du barrage, rien ne permet à ce stade de tirer des conclusions définitives quant à la responsabilité de Moscou. Plusieurs experts militaires pointaient notamment du doigt la volonté russe de « freiner » la contre-offensive ukrainienne d’été lancée au même moment. En inondant l’une des zones qui semblaient faire partie des plans offensifs de Kiev, Moscou aurait pu chercher à modifier la topographie de la zone en provoquant une montée des eaux entraînant une modification des plans ukrainiens.
Dans la matinée du 5 juin 2023, l’état-major russe signale des attaques ukrainiennes terrestres de grande ampleur sur cinq secteurs du front dans la région de Donetsk. Une semaine plus tard, un mouvement offensif ukrainien est signalé dans quatre régions du pays.
La contre-offensive ukrainienne de l’été 2023 était un projet en gestation depuis plusieurs mois, préparé avec l’appui des États-Unis et du Royaume-Uni lorsqu’il fût finalement lancé au début du mois de juin 2023.
Quelques mois plus tôt, l’Ukraine recevait ses premiers chars d’assaut et véhicules de combat d’infanterie occidentaux (Leopard, Bradley…) sur lesquels Kiev comptait pour obtenir une supériorité sur le terrain face à leurs équivalents russes, moins sophistiqués.
Contre-offensive
Joseph Henrotin définit une contre-offensive comme une suite d’actions offensives menées par un acteur au plan opératif — au plan tactique, il s’agirait d’une contre-attaque — et faisant suite à une progression adverse. Elle « répond » donc à une suite d’offensives mais c’est surtout sa dynamique profonde qui importe : si elle est le fait, ici, d’un défenseur, toute contre-offensive cherche d’abord à reprendre l’initiative, qui en est le véritable enjeu.
En septembre 2023, l’armée ukrainienne perce finalement la première ligne de défense russe au niveau du village de Robotyne (quelques centaines d’habitants), dans l’oblast de Zaporijia. Cette ouverture génère un espoir inespéré jusqu’alors parmi les soutiens de l’Ukraine en ce qu’elle prouve que les fortifications russes, érigées et renforcées depuis plusieurs mois alors, ne sont pas impénétrables.
En septembre 2023, l’armée ukrainienne perce finalement la première ligne de défense russe au niveau du village de Robotyne (quelques centaines d’habitants), dans l’oblast de Zaporijia. Cette ouverture génère un espoir inespéré jusqu’alors parmi les soutiens de l’Ukraine en ce qu’elle prouve que les fortifications russes, érigées et renforcées depuis plusieurs mois alors, ne sont pas impénétrables.
L’offensive ukrainienne sur ce secteur du front visait à couper en deux le « pont terrestre » russe, séparant les oblasts de Donetsk et de Lougansk à l’est des oblasts de Kherson, Zaporijia et de la Crimée à l’ouest. Les objectifs étaient les villes de Melitopol et/ou de Berdiansk, sur la mer d’Azov, dont la capture aurait permis de sectionner une ligne d’approvisionnements stratégique majeure construite par la Russie dans le sud de l’Ukraine.
Progressivement, les espoirs se sont asséchés à mesure que les forces ukrainiennes, après avoir passé la première ligne de défenses, n’avançaient plus que de quelques dizaines voire quelques mètres par jour. Dans un entretien publié dans The Economist le 1er novembre 2023, l’ancien commandant des forces ukrainiennes, Valeri Zaloujny, déclarait que la guerre était dans une « impasse ».
Nombre d’experts refusent le qualificatif de « conflit gelé » pour décrire la situation de la guerre en Ukraine qui s’entérine à l’automne et à l’hiver 2023-2024 tant les combats continuent d’être meurtriers, et ce malgré les faibles progressions des deux armées. L’an dernier, la variation du contrôle territorial en Ukraine est restée proche de 0 %, la Russie contrôlant toujours environ 18 % du territoire ukrainien depuis novembre 2022.
La progression ukrainienne a été quasi-nulle en 2023
Entre mi-janvier et mi-février, l’Ukraine n’a progressé que de 1,6 km2, contre 56 pour l’armée russe, selon les données compilées par le Belfer Center de l’Université d’Harvard.
Le conflit ne peut être caractérisé de « gelé » car, au-delà de la campagne terrestre, la guerre en Ukraine se déroule également en mer Noire, en Russie et parfois même au-delà de l’Europe. Une analyse du CSIS portant sur la période allant de juin à août 2023 traduit toutefois la lente progression qui a caractérisé la deuxième année de guerre : sur cette période de trois mois, sur le secteur de Robotyne, la progression ukrainienne moyenne était de 90 mètres par jour — soit autant que les troupes françaises et britanniques lors de la bataille de la Somme, de juillet à novembre 1916.
Face à des pénuries de matériel, d’hommes et de munitions, les forces ukrainiennes se trouvent aujourd’hui dans une posture défavorable. Si la Russie fait elle aussi face à des problèmes structurels, elle semble avoir regagné l’initiative sur un certain nombre de secteurs du front au cours des derniers mois.
Fin décembre 2023, la contre-offensive lancée à l’été est définitivement enterrée, tandis que les États-Unis disent vouloir seulement « permettre à l’Ukraine de maintenir sa position » sur le front. Pour la première fois depuis le mois d’avril de la même année, les forces russes gagnent plus de territoire qu’elles n’en perdent.
Au cours du mois d’avril et des deux premières semaines de mai 2024, la Russie intensifie ses bombardements de la ville de Kharkiv et vise lors d’attaques nocturnes le réseau énergétique ukrainien. Le 11 mai, Volodymyr Zelensky annonce que l’armée ukrainienne mène des « contre-attaques » dans une région qui était depuis l’hiver 2022 relativement stable.
Les attaques transfrontalières s’étaient alors largement limitées à des raids sporadiques, quelques attaques de drones et à des bombardements de faible intensité. Réputée comme étant solidement protégée, la ville de Kharkiv (deuxième plus peuplée du pays), dans l’est de l’Ukraine, a depuis été relativement épargnée par les combats.
Les civils sont évacués face à la menace russe
Moscou avance principalement dans les oblasts de Louhansk, Donetsk et Kharkiv. Des images géolocalisées publiées le 28 janvier indiquaient une avancée à l’ouest de la ville de Kreminna, en direction de Yampolivka. La veille, des vidéos indiquaient que les troupes russes progressaient au nord-ouest de Synkivka, à moins de 10 kilomètres de la ville de Koupiansk — recapturée par Kiev en septembre 2022.
Alors que Moscou revendique avoir capturé en une semaine 274 km² de territoire dans cette région — soit autant qu’au cours des trois mois précédents —, l’armée russe regroupe également des forces près de Soumy, plus au nord. À la fin du mois de mai, Joe Biden autorise l’Ukraine à frapper la Russie avec des armes américaines afin de défendre Kharkiv.
Dès la fin du mois de mai, la progression russe se stabilise et les forces ukrainiennes sont en mesure de contenir les deux poches ouvertes par l’armée russe à la frontière entre les deux pays, autour de Pylna et Vovchansk, au nord-est de Kharkiv.
Du 15 au 16 juin 2024, la Suisse accueille au Bürgenstock la première conférence internationale d’ampleur sur la paix en Ukraine. Des représentants de 92 pays, dont les États-Unis, un grand nombre de pays d’Amérique latine, l’Inde, l’Arabie saoudite et la Turquie se réunissent afin d’œuvrer à un accord de cessez-le-feu entre l’Ukraine et la Russie.
Sommet sur la paix en Ukraine
Le refus ukrainien d’inclure la Russie dans les pourparlers en Suisse ne relevait pas d’une simple posture. En posant ses conditions maximalistes pour un cessez-le-feu, Vladimir Poutine démontrait qu’il ne cherchait pas la paix, mais à fragiliser le soutien international à l’Ukraine.
Cette dernière est toutefois la grande absente au Bürgenstock. Soutenue par la Chine et le Brésil, la Russie a usé de ses canaux diplomatiques pour dissuader les pays du Sud d’y prendre part. Selon un diplomate chinois, Pékin aurait fait circuler l’idée par ses canaux diplomatiques que « le sommet prolongerait la guerre ». La carte des participants laisse penser que cet effort a globalement porté ses fruits : seulement 9 pays africains étaient représentés en Suisse, et 7 pays asiatiques.
Dans les mois ayant précédé le sommet, plusieurs conférences internationales réunissant principalement des conseillers à la sécurité nationale se sont tenues au Danemark, en Arabie saoudite, à Malte puis à Davos. Absente de tous ces formats, la Russie signalait alors ne pas être favorable à un accord de cessez-le-feu.
Jusqu’alors principalement visée par des attaques de drone et des raids transfrontaliers isolés, la région frontalière russe de Koursk a été le théâtre de la seule attaque ukrainienne terrestre majeure sur le sol russe depuis le lancement de l’invasion en février 2022. Dans la matinée du 6 août 2024, plusieurs centaines de combattants ukrainiens, équipés de dizaines de chars et véhicules blindés, pénètrent sur le sol russe. L’état d’urgence est décrété dans la foulée.
À Koursk, des civils vivent sous l’occupation ukrainienne
L’intensification des efforts russes visant à reprendre la ville de Soudja pourrait se solder par une catastrophe humanitaire, les bombardements de Moscou provoquant régulièrement des morts et blessés parmi les civils russes.
Deux semaines plus tard, le 20 août, l’armée ukrainienne contrôle 1320 km² de territoire russe. L’incursion mène à la capture par Kiev de plusieurs centaines de soldats russes, et provoque la sidération en Russie. L’opération est un véritable tournant dans la guerre : l’Ukraine capture davantage de territoire à la Russie que celle-ci ne lui en a pris dans les neuf derniers mois. L’analyste Stéphane Audrand écrit que l’Ukraine a su reconstruire un « récit de victoire ».
L’occupation par les forces ukrainiennes d’une portion du territoire russe vise à servir un objectif double : disposer d’une monnaie d’échange dans le cadre de futures négociations de cessez-le-feu et contraindre l’état-major russe à renforcer ses défenses en Russie, et ainsi alléger la pression qui pèse sur le front en Ukraine.
La fin de l’année 2024 et les premiers mois de 2025 ont été marqués par la chute de plusieurs petites villes et localités, principalement dans l’oblast de Donetsk, qui témoignent de l’effritement du front ukrainien face aux bombardements et aux assauts russes répétés sur des secteurs spécifiques de la ligne de contact.
Au début du mois d’octobre, l’armée russe a capturé la ville de Vuhledar après 30 mois de résistance ukrainienne. Dans les jours ayant suivi, celle-ci est entrée dans la ville de Toretsk et a pénétré sur la rive ouest de Tchassiv Yar, à quelques kilomètres. Depuis le début de l’année, Kourakhove et Velyka Novossilka sont également tombées, tandis que l’encerclement de Pokrovsk se poursuit encore aujourd’hui.
La lente avancée russe
Le rythme de la progression russe en Ukraine a diminué en décembre 2024 puis en janvier, se stabilisant autour de 400 km² par mois. Chaque nouveau village et localité pris par l’armée russe se traduit cependant par la destruction et l’abandon de leurs foyers par les habitants.
En déployant ses soldats dans l’oblast de Koursk afin de repousser les forces ukrainiennes, la Corée du Nord a provoqué l’une des escalades les plus importantes du conflit depuis février 2022. Le 23 octobre 2024, l’ancien secrétaire à la Défense américain Lloyd Austin confirmait que des milliers de combattants nord-coréens s’apprêtaient à être déployés sur le front de Koursk, en territoire russe.
Pyongang-Moscou
L’envoi par Pyongyang de milliers de combattants en Russie traduit le rapprochement militaire opéré par les deux pays depuis 2022, qui avait jusqu’alors pris la forme d’envoi de millions d’obus d’artillerie nord-coréens à partir d’août 2023.
Le 13 janvier, le Service de Renseignement National coréen estimait qu’environ 3 000 combattants sur les 12 000 envoyés en octobre 2024 par la Corée du Nord avaient été tués ou blessés depuis leur déploiement. Les services de Séoul parlaient notamment d’un « décalage » entre l’entraînement dont les combattants nord-coréens bénéficient et les nouvelles réalités du conflit moderne de grande intensité.
En février 2024, le président français Emmanuel Macron avait suggéré ouvertement pour la première fois depuis le lancement de l’invasion que des troupes au sol des armées occidentales pourraient être déployées en Ukraine dans le cadre d’une mission de maintien de la paix. Cette annonce, initialement rejetée par la majeure partie des États membres de l’Union, a fait l’objet d’une attention renouvelée en février 2025 suite aux réunions d’urgence sur l’Ukraine organisées par Paris.
Un an plus tard, le nombre de pays potentiellement favorables à une participation directe en Ukraine a augmenté de manière significative, mais ces derniers restent minoritaires parmi les États membres. Cette évolution intervient alors que les États-Unis ont déjà demandé à chaque pays européen combien de soldats et quel niveau de ressources ceux-ci étaient prêts à fournir pour faire respecter un éventuel accord de paix.
Douze pays européens, en comptant le Royaume-Uni, ont à ce jour signalé qu’ils seraient ouverts à une participation dans le cadre d’une mission internationale. La Pologne et l’Allemagne, qui n’ont pour l’heure pas publiquement manifesté leur soutien, pourraient changer de position si les États-Unis fournissaient des garanties de sécurité, une sorte de « backstop ».
Après trois ans de guerre à haute intensité, les armées ukrainienne et russe ont subi d’importantes pertes matérielles et humaines qui limitent leurs capacités à lancer des opérations de grande ampleur. L’amélioration et l’augmentation numérique des moyens en matière de guerre électronique, de drones et l’acquisition par l’Ukraine d’armes aériennes et anti-aériennes contribuent également à « geler » la ligne de front sur ses lignes.
Un accord sur l’Ukraine, sans l’Ukraine
Mardi 18 février a eu lieu la première rencontre entre la délégation américaine et une délégation russe à Riyad, en Arabie saoudite, pour entamer les négociations sur la fin de la guerre russe en Ukraine.
Aucun représentant européen ou ukrainien n’était présent lors de la réunion.
Toutefois, si le retour au pouvoir de Donald Trump et l’ouverture de l’Ukraine à négocier un accord de cessez-le-feu indiquent qu’un arrêt des combats pourrait avoir lieu en 2025, Vladimir Poutine ne semble pour l’heure pas intéressé par la conclusion d’un accord avec Kiev et Washington. Les négociations russo-américaines ouvertes à Riyad en février visent quant à elles principalement à « normaliser » la relation bilatérale, et les négociateurs russes n’ont pas signalé d’ouverture réelle à un arrêt des combats à court et moyen terme.
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Cela fait aujourd’hui trois ans que la rédaction est mobilisée pour couvrir et penser la guerre du siècle où nous vivons — au cœur de l’Europe, la plus violente et la plus transformatrice. Depuis le 24 février 2022, nous avons publié plus de 400 analyses tactiques du front et près d’un millier de cartes et graphiques. Ce travail est mené de manière indépendante grâce à vous, nos lectrices et lecteurs. Si vous souhaitez contribuer à notre développement, nous vous demandons de penser à vous abonner au Grand Continent Vladimir Poutine pensait pouvoir prendre la capitale de l’Ukraine en seulement quelques jours. Trois ans plus tard, la ligne de front se trouve à plusieurs centaines de kilomètres de Kiev, tandis que la frontière avec le Belarus ne présente plus une réelle menace d’attaques venant du nord. Tentative de prise de Kiev Au début du mois d’avril 2022, Michel Goya notait que l’abandon des ambitions russes de capture de Kiev, quelques semaines seulement après le lancement de l’invasion, constituait une victoire majeure pour l’Ukraine. Le repli s’accompagnait alors de nombreuses exactions menées par les forces russes dans les zones occupées. Les raisons qui permettent d’expliquer l’échec russe des premières semaines de l’invasion sont nombreuses : campagne aérienne insuffisante, sous-estimation des capacités de la défense ukrainienne, manque de préparation en matière d’approvisionnement… Le monde a néanmoins tremblé en voyant les forces russes atteindre les faubourgs de la capitale, occupant temporairement le stratégique aéroport de Hostomel, à moins de 10 kilomètres de Kiev. Au mois d’août, les troupes russes se regroupent dans la région de Kherson en prévision d’une large contre-offensive ukrainienne. Le 29 septembre, Vladimir Poutine signe des décrets reconnaissant « l’indépendance » des régions de Kherson et de Zaporijia. Le lendemain, le Kremlin officialise l’annexion de quatre régions ukrainiennes. La ratification des accords marque l’annexion territoriale la plus importante qu’ait connu l’Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. L’offensive ukrainienne dans l’oblast de Kharkiv reste à ce jour l’un des principaux succès militaires de Kiev depuis le lancement de l’invasion russe. En trois semaines seulement, les forces ukrainiennes sont parvenues à reprendre 12 000 kilomètres carrés de territoire autour de Kharkiv, deuxième plus grande ville du pays. Kharkiv sous la menace russe La percée de septembre 2022 a a ouvert une nouvelle phase de la guerre, en faveur des Ukrainiens. Pour la première fois (hors siège de Marioupol), Kiev réussissait à disloquer un dispositif russe, rendant la force ennemie incapable d’un combat cohérent. L’efficacité avec laquelle l’Ukraine a faire reculer les forces russes installées depuis plusieurs mois dans cette région frontalière de la Russie a eu un double effet : elle a prouvé au Kremlin que l’armée ukrainienne était capable de mener des offensives majeures, et a démontré dans le même temps aux pays apportant une assistance militaire à l’Ukraine que Kiev était capable, avec du matériel et des munitions de l’extérieur, de gagner la guerre. La libération de Kherson, une ville de presque 300 000 habitants avant la guerre, située sur le Dniepr, a été perçue à la fin de l’année 2022 comme le signe annonciateur d’un véritable « tournant » dans la guerre. Le 9 novembre, le ministre russe de la Défense ordonne le retrait des forces russes de la ville. Deux jours plus tard, l’armée ukrainienne entre dans Kherson. Si elle n’a finalement pas ouvert la voie vers la Crimée, l’abandon de Kherson a néanmoins constitué un revers de taille pour le Kremlin, qui annonçait quelques mois plus tôt l’annexion de l’oblast dont la ville est la capitale administrative. Au cours d’un discours prononcé le 30 septembre 2022, le président russe qualifiait les habitants de la région de Kherson comme « des citoyens russes pour toujours ». L’armée russe fait sauter le pont d’Antonivka après son retrait Après avoir abandonné Kherson, l’armée russe s’est retranchée plus au sud, sur la rive est du Dniepr, où elle avait en amont entamé la construction d’un réseau de fortifications largement responsable de l’échec de la contre-offensive ukrainienne. Le retrait de Kherson marquait néanmoins l’échec de l’offensive russe dans le sud de l’Ukraine. Dans un témoignage traduit et commenté dans la revue, un volontaire russe décrit le désordre dans lequel l’armée russe s’est retirée de la ville : épuisée après plusieurs semaines de combats, en manque de munitions car « tous les ponts et les pontons étaient bombardés », ce volontaire confie avoir été contraint de détruire du matériel avant d’abandonner la ville — alors que le ministère russe de la Défense affirme qu’il n’y a pas eu de pertes. Bakhmout est très certainement le théâtre d’une des batailles les plus meurtrières du conflit à ce jour. Bien qu’il n’existe pas de chiffre précis détaillant les pertes humaines et matérielles des deux camps pour le contrôle de la ville, la Maison-Blanche estimait en mai 2023 que la Russie avait subi 100 000 pertes — dont 20 000 morts, sur tout le territoire et non seulement à Bakhmout — depuis le mois de janvier, au plus fort de la bataille. L’armée ukrainienne a notamment accusé la Russie d’avoir utilisé des munitions incendiaires au phosphore blanc. Après des mois de bombardements et de combats acharnés ayant conduit à la destruction quasi-totale de la ville dont témoignent les images satellites, Bakhmout est finalement tombée aux mains des forces russes, et notamment de la milice Wagner, en mai 2023, soit neuf mois après les premiers bombardements. Les ruines de Bakhmout Le niveau de pertes très élevé des forces de Wagner et de l’armée russe à Bakhmout s’explique par la tactique « d’infanterie jetable » utilisée par le commandement russe. L’opération, qualifiée de « Bakhmut Meat Grinder » par l’ancien chef de Wagner Evgueni Prigogine, consistait alors à lancer des vagues successives de combattant afin d’identifier les positions de tir ou de trouver des points faibles dans les défenses ukrainiennes. De nombreux témoignages de soldats ayant combattu à Bakhmout décrivent l’horreur du combat ainsi que le manque de sens apporté par les commandements ayant investi des ressources colossales pour une bataille dont la victoire russe fût avant tout symbolique. C’est notamment à Bakhmout où le nouveau commandant des forces ukrainiennes, Oleksandr Syrsky, a acquis son surnom de « boucher » en raison de ses décisions ayant conduit à de lourdes pertes, notamment au sein d’unités parmi les plus expérimentées. Dans la matinée du 6 juin 2023, autour de 3 heures du matin, le barrage hydroélectrique de Kakhovka, situé sur le Dniepr, a cédé, entraînant l’inondation de 120 kilomètres carrés de terre au cours des premières heures. La destruction de l’infrastructure a entraîné l’évacuation de plusieurs dizaines de milliers de personnes, un important coût économique et environnemental chiffré à 6,4 milliards de dollars par l’UNESCO. Catastrophe de Kakhovka Le barrage de Kakhovka sera-t-il reconstruit après la guerre ? Dans un entretien publié dans nos colonnes, Jean Pisani-Ferry considère qu’il ne faut pas attendre la fin de la guerre pour entamer la reconstruction des infrastructures telles que les ponts et les installations électriques, « essentielles pour maintenir la capacité économique du pays aussi intacte que possible ». Si plusieurs éléments ont permis de soupçonner l’implication de la Russie dans la destruction du barrage, rien ne permet à ce stade de tirer des conclusions définitives quant à la responsabilité de Moscou. Plusieurs experts militaires pointaient notamment du doigt la volonté russe de « freiner » la contre-offensive ukrainienne d’été lancée au même moment. En inondant l’une des zones qui semblaient faire partie des plans offensifs de Kiev, Moscou aurait pu chercher à modifier la topographie de la zone en provoquant une montée des eaux entraînant une modification des plans ukrainiens. Dans la matinée du 5 juin 2023, l’état-major russe signale des attaques ukrainiennes terrestres de grande ampleur sur cinq secteurs du front dans la région de Donetsk. Une semaine plus tard, un mouvement offensif ukrainien est signalé dans quatre régions du pays. La contre-offensive ukrainienne de l’été 2023 était un projet en gestation depuis plusieurs mois, préparé avec l’appui des États-Unis et du Royaume-Uni lorsqu’il fût finalement lancé au début du mois de juin 2023. Quelques mois plus tôt, l’Ukraine recevait ses premiers chars d’assaut et véhicules de combat d’infanterie occidentaux (Leopard, Bradley…) sur lesquels Kiev comptait pour obtenir une supériorité sur le terrain face à leurs équivalents russes, moins sophistiqués. Contre-offensive Joseph Henrotin définit une contre-offensive comme une suite d’actions offensives menées par un acteur au plan opératif — au plan tactique, il s’agirait d’une contre-attaque — et faisant suite à une progression adverse. Elle « répond » donc à une suite d’offensives mais c’est surtout sa dynamique profonde qui importe : si elle est le fait, ici, d’un défenseur, toute contre-offensive cherche d’abord à reprendre l’initiative, qui en est le véritable enjeu. En septembre 2023, l’armée ukrainienne perce finalement la première ligne de défense russe au niveau du village de Robotyne (quelques centaines d’habitants), dans l’oblast de Zaporijia. Cette ouverture génère un espoir inespéré jusqu’alors parmi les soutiens de l’Ukraine en ce qu’elle prouve que les fortifications russes, érigées et renforcées depuis plusieurs mois alors, ne sont pas impénétrables. En septembre 2023, l’armée ukrainienne perce finalement la première ligne de défense russe au niveau du village de Robotyne (quelques centaines d’habitants), dans l’oblast de Zaporijia. Cette ouverture génère un espoir inespéré jusqu’alors parmi les soutiens de l’Ukraine en ce qu’elle prouve que les fortifications russes, érigées et renforcées depuis plusieurs mois alors, ne sont pas impénétrables. L’offensive ukrainienne sur ce secteur du front visait à couper en deux le « pont terrestre » russe, séparant les oblasts de Donetsk et de Lougansk à l’est des oblasts de Kherson, Zaporijia et de la Crimée à l’ouest. Les objectifs étaient les villes de Melitopol et/ou de Berdiansk, sur la mer d’Azov, dont la capture aurait permis de sectionner une ligne d’approvisionnements stratégique majeure construite par la Russie dans le sud de l’Ukraine. Progressivement, les espoirs se sont asséchés à mesure que les forces ukrainiennes, après avoir passé la première ligne de défenses, n’avançaient plus que de quelques dizaines voire quelques mètres par jour. Dans un entretien publié dans The Economist le 1er novembre 2023, l’ancien commandant des forces ukrainiennes, Valeri Zaloujny, déclarait que la guerre était dans une « impasse ». Nombre d’experts refusent le qualificatif de « conflit gelé » pour décrire la situation de la guerre en Ukraine qui s’entérine à l’automne et à l’hiver 2023-2024 tant les combats continuent d’être meurtriers, et ce malgré les faibles progressions des deux armées. L’an dernier, la variation du contrôle territorial en Ukraine est restée proche de 0 %, la Russie contrôlant toujours environ 18 % du territoire ukrainien depuis novembre 2022. La progression ukrainienne a été quasi-nulle en 2023 Entre mi-janvier et mi-février, l’Ukraine n’a progressé que de 1,6 km2, contre 56 pour l’armée russe, selon les données compilées par le Belfer Center de l’Université d’Harvard. Le conflit ne peut être caractérisé de « gelé » car, au-delà de la campagne terrestre, la guerre en Ukraine se déroule également en mer Noire, en Russie et parfois même au-delà de l’Europe. Une analyse du CSIS portant sur la période allant de juin à août 2023 traduit toutefois la lente progression qui a caractérisé la deuxième année de guerre : sur cette période de trois mois, sur le secteur de Robotyne, la progression ukrainienne moyenne était de 90 mètres par jour — soit autant que les troupes françaises et britanniques lors de la bataille de la Somme, de juillet à novembre 1916. Face à des pénuries de matériel, d’hommes et de munitions, les forces ukrainiennes se trouvent aujourd’hui dans une posture défavorable. Si la Russie fait elle aussi face à des problèmes structurels, elle semble avoir regagné l’initiative sur un certain nombre de secteurs du front au cours des derniers mois. Fin décembre 2023, la contre-offensive lancée à l’été est définitivement enterrée, tandis que les États-Unis disent vouloir seulement « permettre à l’Ukraine de maintenir sa position » sur le front. Pour la première fois depuis le mois d’avril de la même année, les forces russes gagnent plus de territoire qu’elles n’en perdent. Au cours du mois d’avril et des deux premières semaines de mai 2024, la Russie intensifie ses bombardements de la ville de Kharkiv et vise lors d’attaques nocturnes le réseau énergétique ukrainien. Le 11 mai, Volodymyr Zelensky annonce que l’armée ukrainienne mène des « contre-attaques » dans une région qui était depuis l’hiver 2022 relativement stable. Les attaques transfrontalières s’étaient alors largement limitées à des raids sporadiques, quelques attaques de drones et à des bombardements de faible intensité. Réputée comme étant solidement protégée, la ville de Kharkiv (deuxième plus peuplée du pays), dans l’est de l’Ukraine, a depuis été relativement épargnée par les combats. Les civils sont évacués face à la menace russe Moscou avance principalement dans les oblasts de Louhansk, Donetsk et Kharkiv. Des images géolocalisées publiées le 28 janvier indiquaient une avancée à l’ouest de la ville de Kreminna, en direction de Yampolivka. La veille, des vidéos indiquaient que les troupes russes progressaient au nord-ouest de Synkivka, à moins de 10 kilomètres de la ville de Koupiansk — recapturée par Kiev en septembre 2022. Alors que Moscou revendique avoir capturé en une semaine 274 km² de territoire dans cette région — soit autant qu’au cours des trois mois précédents —, l’armée russe regroupe également des forces près de Soumy, plus au nord. À la fin du mois de mai, Joe Biden autorise l’Ukraine à frapper la Russie avec des armes américaines afin de défendre Kharkiv. Dès la fin du mois de mai, la progression russe se stabilise et les forces ukrainiennes sont en mesure de contenir les deux poches ouvertes par l’armée russe à la frontière entre les deux pays, autour de Pylna et Vovchansk, au nord-est de Kharkiv. Du 15 au 16 juin 2024, la Suisse accueille au Bürgenstock la première conférence internationale d’ampleur sur la paix en Ukraine. Des représentants de 92 pays, dont les États-Unis, un grand nombre de pays d’Amérique latine, l’Inde, l’Arabie saoudite et la Turquie se réunissent afin d’œuvrer à un accord de cessez-le-feu entre l’Ukraine et la Russie. Sommet sur la paix en Ukraine Le refus ukrainien d’inclure la Russie dans les pourparlers en Suisse ne relevait pas d’une simple posture. En posant ses conditions maximalistes pour un cessez-le-feu, Vladimir Poutine démontrait qu’il ne cherchait pas la paix, mais à fragiliser le soutien international à l’Ukraine. Cette dernière est toutefois la grande absente au Bürgenstock. Soutenue par la Chine et le Brésil, la Russie a usé de ses canaux diplomatiques pour dissuader les pays du Sud d’y prendre part. Selon un diplomate chinois, Pékin aurait fait circuler l’idée par ses canaux diplomatiques que « le sommet prolongerait la guerre ». La carte des participants laisse penser que cet effort a globalement porté ses fruits : seulement 9 pays africains étaient représentés en Suisse, et 7 pays asiatiques. Dans les mois ayant précédé le sommet, plusieurs conférences internationales réunissant principalement des conseillers à la sécurité nationale se sont tenues au Danemark, en Arabie saoudite, à Malte puis à Davos. Absente de tous ces formats, la Russie signalait alors ne pas être favorable à un accord de cessez-le-feu. Jusqu’alors principalement visée par des attaques de drone et des raids transfrontaliers isolés, la région frontalière russe de Koursk a été le théâtre de la seule attaque ukrainienne terrestre majeure sur le sol russe depuis le lancement de l’invasion en février 2022. Dans la matinée du 6 août 2024, plusieurs centaines de combattants ukrainiens, équipés de dizaines de chars et véhicules blindés, pénètrent sur le sol russe. L’état d’urgence est décrété dans la foulée. À Koursk, des civils vivent sous l’occupation ukrainienne L’intensification des efforts russes visant à reprendre la ville de Soudja pourrait se solder par une catastrophe humanitaire, les bombardements de Moscou provoquant régulièrement des morts et blessés parmi les civils russes. Deux semaines plus tard, le 20 août, l’armée ukrainienne contrôle 1320 km² de territoire russe. L’incursion mène à la capture par Kiev de plusieurs centaines de soldats russes, et provoque la sidération en Russie. L’opération est un véritable tournant dans la guerre : l’Ukraine capture davantage de territoire à la Russie que celle-ci ne lui en a pris dans les neuf derniers mois. L’analyste Stéphane Audrand écrit que l’Ukraine a su reconstruire un « récit de victoire ». L’occupation par les forces ukrainiennes d’une portion du territoire russe vise à servir un objectif double : disposer d’une monnaie d’échange dans le cadre de futures négociations de cessez-le-feu et contraindre l’état-major russe à renforcer ses défenses en Russie, et ainsi alléger la pression qui pèse sur le front en Ukraine. La fin de l’année 2024 et les premiers mois de 2025 ont été marqués par la chute de plusieurs petites villes et localités, principalement dans l’oblast de Donetsk, qui témoignent de l’effritement du front ukrainien face aux bombardements et aux assauts russes répétés sur des secteurs spécifiques de la ligne de contact. Au début du mois d’octobre, l’armée russe a capturé la ville de Vuhledar après 30 mois de résistance ukrainienne. Dans les jours ayant suivi, celle-ci est entrée dans la ville de Toretsk et a pénétré sur la rive ouest de Tchassiv Yar, à quelques kilomètres. Depuis le début de l’année, Kourakhove et Velyka Novossilka sont également tombées, tandis que l’encerclement de Pokrovsk se poursuit encore aujourd’hui. La lente avancée russe Le rythme de la progression russe en Ukraine a diminué en décembre 2024 puis en janvier, se stabilisant autour de 400 km² par mois. Chaque nouveau village et localité pris par l’armée russe se traduit cependant par la destruction et l’abandon de leurs foyers par les habitants. En déployant ses soldats dans l’oblast de Koursk afin de repousser les forces ukrainiennes, la Corée du Nord a provoqué l’une des escalades les plus importantes du conflit depuis février 2022. Le 23 octobre 2024, l’ancien secrétaire à la Défense américain Lloyd Austin confirmait que des milliers de combattants nord-coréens s’apprêtaient à être déployés sur le front de Koursk, en territoire russe. Pyongang-Moscou L’envoi par Pyongyang de milliers de combattants en Russie traduit le rapprochement militaire opéré par les deux pays depuis 2022, qui avait jusqu’alors pris la forme d’envoi de millions d’obus d’artillerie nord-coréens à partir d’août 2023. Le 13 janvier, le Service de Renseignement National coréen estimait qu’environ 3 000 combattants sur les 12 000 envoyés en octobre 2024 par la Corée du Nord avaient été tués ou blessés depuis leur déploiement. Les services de Séoul parlaient notamment d’un « décalage » entre l’entraînement dont les combattants nord-coréens bénéficient et les nouvelles réalités du conflit moderne de grande intensité. En février 2024, le président français Emmanuel Macron avait suggéré ouvertement pour la première fois depuis le lancement de l’invasion que des troupes au sol des armées occidentales pourraient être déployées en Ukraine dans le cadre d’une mission de maintien de la paix. Cette annonce, initialement rejetée par la majeure partie des États membres de l’Union, a fait l’objet d’une attention renouvelée en février 2025 suite aux réunions d’urgence sur l’Ukraine organisées par Paris. Un an plus tard, le nombre de pays potentiellement favorables à une participation directe en Ukraine a augmenté de manière significative, mais ces derniers restent minoritaires parmi les États membres. Cette évolution intervient alors que les États-Unis ont déjà demandé à chaque pays européen combien de soldats et quel niveau de ressources ceux-ci étaient prêts à fournir pour faire respecter un éventuel accord de paix. Douze pays européens, en comptant le Royaume-Uni, ont à ce jour signalé qu’ils seraient ouverts à une participation dans le cadre d’une mission internationale. La Pologne et l’Allemagne, qui n’ont pour l’heure pas publiquement manifesté leur soutien, pourraient changer de position si les États-Unis fournissaient des garanties de sécurité, une sorte de « backstop ». Après trois ans de guerre à haute intensité, les armées ukrainienne et russe ont subi d’importantes pertes matérielles et humaines qui limitent leurs capacités à lancer des opérations de grande ampleur. L’amélioration et l’augmentation numérique des moyens en matière de guerre électronique, de drones et l’acquisition par l’Ukraine d’armes aériennes et anti-aériennes contribuent également à « geler » la ligne de front sur ses lignes. Un accord sur l’Ukraine, sans l’Ukraine Mardi 18 février a eu lieu la première rencontre entre la délégation américaine et une délégation russe à Riyad, en Arabie saoudite, pour entamer les négociations sur la fin de la guerre russe en Ukraine. Toutefois, si le retour au pouvoir de Donald Trump et l’ouverture de l’Ukraine à négocier un accord de cessez-le-feu indiquent qu’un arrêt des combats pourrait avoir lieu en 2025, Vladimir Poutine ne semble pour l’heure pas intéressé par la conclusion d’un accord avec Kiev et Washington. Les négociations russo-américaines ouvertes à Riyad en février visent quant à elles principalement à « normaliser » la relation bilatérale, et les négociateurs russes n’ont pas signalé d’ouverture réelle à un arrêt des combats à court et moyen terme. L’article Guerre en Ukraine : 2022-2025, une chronologie du front est apparu en premier sur Le Grand Continent. Texte intégral 5906 mots
Février-mars 2022 : l’échec de la prise de Kiev
Quelques semaines après le lancement de l’invasion russe, le nombre de réfugiés ukrainiens a dépassé les deux millions — dix millions pour les déplacés internes. À Marioupol, l’armée russe bombardait les couloirs d’évacuation et empêchait l’aide humanitaire d’atteindre la ville 58.Septembre-octobre 2022 : offensive ukrainienne dans la région de Kharkiv
Novembre 2022 : libération de Kherson
Mai 2023 : chute de Bakhmout
Juin 2023 : destruction du barrage de Kakhovka
Juin-novembre 2023 : contre-offensive ukrainienne
Hiver 2023-2024 : vers un conflit gelé
Mai 2024 : ouverture d’un nouveau front à Kharkiv
Juin 2024 : l’échec d’une résolution internationale du conflit
Août 2024 : lancement de l’incursion de Koursk
Automne, hiver 2023-2024 : l’effritement du front dans le Donbass
Octobre 2024 : arrivée de soldats nord-coréens à Koursk et internationalisation du conflit
Février 2025 : un an après, la question d’une présence militaire internationale pour le maintien de la paix revient au coeur des discussions
Quelles perspectives pour 2025 ?
Aucun représentant européen ou ukrainien n’était présent lors de la réunion.
17.02.2025 à 13:41
L’Ukraine et la nouvelle frontière européenne : bâtir un rempart face aux Empires
Que cela nous plaise ou non, la guerre d’Ukraine se prolonge. Comme le soulignait Jean-Marie Guéhenno, en Europe, nous sommes aux premières loges mais pas en première ligne. Ou plutôt pas encore. Car sous l’impulsion du président Donald Trump et après un cessez-le-feu négocié entre Ukrainiens, Européens, Russes et Américains, nous soutenons qu’il reviendra à des soldats européens de fournir les forces d’interposition nécessaires à garantir la souveraineté de l’Ukraine et à entraver toute reprise des agressions. Il faut exclure un scénario de type Minsk 3. Les Européens doivent cesser d’invoquer la défense de l’Europe et s’engager au plus vite à la mettre en œuvre : c’est sur la ligne de démarcation du Donbass occidental que se joue la sécurité européenne effective.
La perspective d’intégration de l’Ukraine indépendante à l’Union européenne exige que nous sachions jouer le rôle de garde-frontières puisque, pour la première fois depuis 1957, la future limite orientale de l’Union coïncide avec une ligne de front. Le président américain a raison de faire passer les Européens du burden sharing au burden shifting : il a été élu sur la promesse de la fin des guerres engageant des troupes américaines sur des théâtres lointains. De même qu’il exige des puissances régionales du Moyen Orient de traiter par eux-mêmes la crise syrienne, il ne manquera pas de faire pression sur les alliés européens de l’Alliance atlantique d’agir enfin comme puissance régionale sur le continent.
Alors que des scénarios d’évolution du duel guerrier qui oppose l’Ukraine et la Russie se profilent du fait à la fois des réalités de terrain — avancées lentes des forces russes dans l’oblast de Donetsk, réticence du pouvoir ukrainien à autoriser le recrutement des classes d’âge de 18 à 25 ans pour contenir la supériorité numérique russe — et des intentions prêtées au président Donald Trump — la paix par la force, « peace through strength » — il importe au préalable de ne se tromper sur les causes de l’agression militaire décidée par le Kremlin pour éviter d’ignorer l’échelle pertinente de compréhension des buts de guerre qui vont en conditionner le règlement.
La perspective d’intégration de l’Ukraine indépendante à l’Union européenne exige que nous sachions jouer le rôle de garde-frontières puisque, pour la première fois depuis 1957, la future limite orientale de l’Union coïncide avec une ligne de front.
Michel Foucher
C’est pourtant cette erreur que viennent de commettre les dirigeants américains : Trump, en reprenant le dialogue le 12 février avec son homologue par-dessus la tête des Européens — comme au bon vieux temps de la guerre froide — puis le secrétaire d’État à la défense, dans la foulée, Pete Hegseth, à Bruxelles, avalisant les « réalités territoriales » en Ukraine et les retirant d’emblée du domaine d’une possible négociation, en rupture avec toute la pratique diplomatique. Moscou vient d’encaisser un premier gain : selon une méthode russo-soviétique éprouvée, cela ne peut que l’encourager à poursuivre.
Il se confirme donc qu’en s’appuyant sur cet échange direct et exclusif avec la Maison-Blanche, le Kremlin court-circuite les Européens en raisonnant toujours à l’échelle de l’espace euro-atlantique, comme l’a rappelé l’ultimatum de décembre 2021, exigeant le retour du dispositif militaire allié aux limites de 1997. Poutine s’accroche, à usage interne et à celui de ce qu’il nomme « la majorité mondiale », Chine en tête, à l’argument d’une opération défensive et préventive contre une agression en cours de « l’Occident collectif ». Cet argument ne tient pas. Chacun sait que Washington et Berlin n’ont jamais soutenu l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN : Joe Biden avait gardé une mentalité de guerre froide qui l’incite à la prudence et tous les experts européens familiers des cercles américains de réflexion ont remarqué la retenue, sinon la réserve des décideurs américains face à des risques d’escalade, encore plus évoqués à Berlin. La seule négociation qui vaille devra donc avoir lieu avec le nouveau président, dans une tentative de « retour à Yalta », sans consultation des Européens.
Ce risque n’est pas négligeable dès lors que le 47ème président des États-Unis affiche des objectifs d’extension d’une zone d’influence depuis le nord du Groenland jusqu’au canal de Panama et invoque la géopolitique impériale des présidents William McKinley (1897-1901) et Théodore Roosevelt (1901-1909), adeptes de la politique et la carotte et du gourdin et conquérants de Porto Rico et de Cuba, de l’isthme situé au nord de la Colombie, d’Hawaï, de Guam et des Philippines. Un troc mettant en balance la poursuite du soutien militaire et financier américain à l’Ukraine et une prise de contrôle du Groenland est-il déjà envisagé à la Maison-Blanche ? Si sa pression se faisait trop forte, une formule condominiale d’indépendance-association entre un Groenland devenu indépendant, un soutien financier et institutionnel danois et une présence américaine de sécurité accrue — elle a commencé dès 1941 et la base aérienne de Thulé est devenue la base spatiale de Pittufik en 2023 — pourrait être mise à l’étude. Que les États-Unis et le Danemark mettent fin au désintérêt qu’ils ont montré à l’égard de l’Arctique depuis la fin de la guerre froide serait par ailleurs justifié face à la stratégie tous azimuts de la Russie et de la Chine, dont le brise-glace Dragon des Neiges sillonne les mers froides depuis 2012 59.
Il convient donc d’éviter que l’attitude américaine ne vienne percuter les futures discussions sur la fin de la guerre en Ukraine.
L’échelle pertinente pour analyser la guerre d’Ukraine est celle du monde russe, « Roussky mir », que le titulaire du Kremlin veut rassembler à nouveau, dans une tradition impériale.
Michel Foucher
Certes, on observe avec grand intérêt à Moscou toutes les déclarations révisionnistes (Groenland et Gaza). Et on comprend mieux l’intérêt de la partie russe à ne pas se précipiter dans des échanges censés porter sur des sujets élargis tels que le Moyen-Orient et le système international : l’accent est toujours mis sur l’échelle globale de la reconnaissance du statut ancien. Pour la Maison-Blanche, depuis Barack Obama, la Russie est désormais une puissance régionale mais reste autant un adversaire que la Chine dans la région arctique 60.
La culture diplomatique russe repose sur quelques fondamentaux.
Comme l’a rappelé Kaja Kallas, alors première ministre d’Estonie 61 et désormais Haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, la méthode de négociation du Kremlin procède de la doctrine Gromyko, qui fut ministre des affaires étrangères de l’Union soviétique (1957-1985). Elle tient en trois points : « demandez le maximum, y compris ce que vous n’avez jamais eu ; présentez des ultimatums car vous trouverez toujours un Occidental prêt à négocier ; enfin, ne cédez rien, car vous trouverez toujours une offre correspondant à ce que vous recherchez — exigez plus afin d’obtenir le tiers ou la moitié de ce que vous n’aviez pas au départ ».
En janvier, l’ancien secrétaire du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, Nikolaï Patrouchev rappelait — à destination de Donald Trump — que les objectifs de la Russie restaient inchangés : démilitarisation et « dénazification » de l’Ukraine dont les dirigeants actuels, non légitimes, seraient animés d’un esprit russophobe, négation de l’identité nationale de l’Ukraine et de son droit à la souveraineté, négociations exclusives avec Washington sans participation occidentale ni ukrainienne, afin de garantir un statut de parité entre les deux États. Dans le même esprit, le directeur de recherche du Club de discussion de Valdaï, forum international dirigé par le Kremlin, Fiodor Loukianov, a défini, le 30 janvier 2025 62, l’axe central de toute négociation russo-américaine, non pas les territoires de l’Ukraine mais les « causes profondes » de la guerre — à savoir l’expansion de l’OTAN en Europe centrale — afin d’exiger le retour au statu quo stratégique en 1997. Cette exigence maximale implique la capitulation de l’Ukraine et, là encore, une revendication d’égalité des positions entre Poutine et Trump. Comme au bon vieux temps de la guerre froide, donc, avec la réinstallation de sphères d’influence sur des pays à souveraineté limitée.
En réalité, l’échelle pertinente pour analyser la guerre d’Ukraine est différente : c’est celle du monde russe, « Roussky mir », que le titulaire du Kremlin veut rassembler à nouveau, dans une tradition impériale. Il s’agit donc d’une guerre coloniale, menée par une puissance nucléaire. L’adjectif de « colonial » ne surprend que ceux qui oublient que tous les empires ne sont pas d’outre-mer et qu’il existe également des empires d’outre-terre : la Russie mais également la Chine dans son tiers occidental, l’Iran dans ses ambitions régionales, désormais compromises, et la Turquie dont le dirigeant ressasse une rhétorique néo-ottomane. La guerre contre l’Ukraine vise à briser un processus d’émancipation nationale. À cet égard, l’Ukraine est en quelque sorte une nation tard-venue sur la carte de l’Europe, la dernière-née, parmi les derniers issus des autres ex-républiques soviétiques — dans la douleur comme le plus souvent. L’un des fils conducteurs de l’histoire longue de l’Europe est le passage de l’empire à l’État-Nation : si l’on admet ce fondement, pour les amis de l’Ukraine, la fin de la guerre ne pourra passer que par la garantie de son existence comme État-Nation indépendant et souverain. C’est cela qui doit être placé au centre des pourparlers envisageables en 2025.
Autrement dit, ce n’est pas d’abord un conflit entre la Russie et ses rares alliés et l’Occident dit « collectif » (Kollektivnyy Zapad) mais bien un duel entre un peuple que la guerre unifie et un centre de pouvoir autocratique, qui rêve encore d’empire et se maintient par des guerres successives et une propagande incessante visant à susciter la peur dans les opinions des pays alliés. Carl von Clausewitz écrivait : « La guerre n’est rien d’autre qu’un duel à plus grande échelle. Si l’on veut saisir d’un seul coup d’œil les innombrables duels particuliers qui la composent, il faut se représenter deux lutteurs. Chacun essaie, par sa force physique, de soumettre l’autre à sa volonté ; son but immédiat est de terrasser l’adversaire, afin de le rendre incapable de toute résistance… »
Le stratège prussien opposait les forces morales — ici celles de la nation agressée — et les forces physiques — celles, supérieures, de l’agresseur. À la détermination face à un combat existentiel, l’adversaire estime avoir le temps pour lui, et le renfort d’alliés douteux — Corée du Nord, Iran, Yémen, Chine partiellement —, avantage temporel auquel le président américain s’emploiera à mettre fin.
Ce n’est pas d’abord un conflit entre la Russie et ses rares alliés et l’Occident dit « collectif » (Kollektivnyy Zapad) mais bien un duel entre un peuple que la guerre unifie et un centre de pouvoir autocratique, qui rêve encore d’empire.
Michel Foucher
Les objectifs du Kremlin n’ont pas varié depuis l’annexion de la Crimée en 2014 : asservir l’Ukraine dénommée « Novorossia » (« Nouvelle Russie ») à la suite de Catherine II, rebâtir une terre d’empire sans frontière, et promouvoir la Russie comme « État-civilisation » face à un Occident « en catastrophe spirituelle ». La guerre consolide un système autocratique sans contrepoint interne ou externe. Aucun groupe d’exilés russes n’a à ce jour formé de centre de pouvoir alternatif. À l’intérieur s’impose un régime de servitude volontaire, impossible sans la participation de ceux qui s’y résignent et l’acceptent. L’histoire russe enseigne que seules les défaites militaires provoquent des ruptures politiques : l’échec en Crimée en 1856 déboucha sur l’abolition du servage en 1862 ; la destruction de l’Eskadra russe par la flotte japonaise à Tsushima entraîna la révolution de 1905 ; idem en février 1917 après la défaite face à l’armée allemande et en 1989 avec le retrait d’Afghanistan, prélude à l’effondrement de l’Union soviétique sur elle-même et par elle-même.
Une victoire russe serait une régression politique et géopolitique majeure pour l’Europe. En août 2023, le président français Emmanuel Macron avait énoncé la position suivante : « La Russie ne peut, ni ne doit gagner cette guerre, parce qu’alors, ce serait l’instabilité sur le sol européen et, parce qu’alors, ce serait la fin de toute confiance dans les principes du droit international ». C’était un utile rappel pour décourager les postures d’apaisement — qui rappellent les erreurs des années 1930 face à Adolf Hitler — et écarter les invocations diplomatiques. Ceux qui répètent que tout conflit se termine à la table de négociations oublient que ce ne fut jamais le cas, tant en 1919 qu’en 1945, où les conditions de la paix furent imposées par les vainqueurs. Tous les autres conflits se sont conclus par une paix injuste ou une absence de règlement comme dans la péninsule coréenne, avec les conséquences néfastes observées à Koursk.
Dans le Donbass, les enfants kidnappés sont « rééduqués » avec des cours sur « l’Ukraine nazie » et sur la grandeur de la Russie. Le nouveau manuel d’histoire destiné aux élèves des classes de première et de terminale, Histoire de la Russie. De 1945 au début du XXIème siècle, relaie le récit du Kremlin sur « l’opération militaire spéciale » rendue nécessaire par la machination ourdie par l’Occident, les États-Unis et l’OTAN en tête, qui visent à affaiblir la puissance russe. L’un des auteurs n’est autre que Vladimir Medinski, ancien ministre de la Culture, acteur de la réhabilitation de Staline et désigné comme négociateur avec l’Ukraine en 2022 !
Avec la guerre d’agression, les élites russes sont sorties de l’espace de civilisation européenne et ont choisi la vassalisation à l’égard de la grande puissance chinoise, qui est le vrai défi existentiel de la Russie.
Michel Foucher
Pour comprendre la stratégie de Poutine, on peut prendre l’image de trois matriochkas 63 : le « monde russe » dont l’Ukraine doit faire partie, de gré ou de force ; la maîtrise de l’espace post-soviétique — incluant la Moldavie, la Géorgie et les autres — ; enfin l’affaiblissement de l’Occident jugé comme moralement décadent et géopolitiquement dépassé au profit de l’Eurasie mythifiée et du supposé Sud Global, « lassé de la domination occidentale sur les affaires du monde et dont la Russie serait le porte-drapeau » 64.
Si Vladimir Poutine parvient à reconstituer le « monde russe » sous son emprise, la seconde poupée gigogne deviendra plus facile à absorber. Les Occidentaux ont commis une grave erreur d’analyse à propos de sa remarque sur la fin de l’Union soviétique présentée par lui comme la plus grande catastrophe géopolitique du XXème siècle : il ne regrettait pas alors la chute d’une grande puissance mais déplorait la dispersion du monde russe entre une demi-douzaine d’ex-républiques devenues indépendantes, où le sort des habitants de langue maternelle russe serait forcément tragique, ce qui ne fut pas le cas.
Avec la guerre d’agression, les élites russes sont sorties de l’espace de civilisation européenne et ont choisi la vassalisation à l’égard de la grande puissance chinoise, qui est le vrai défi existentiel de la Russie. Elles devront comprendre qu’il n’y a plus de place pour l’empire dans l’espace démocratique européen.
Les objectifs finaux recherchés dans des pourparlers visant à un gel du conflit ne convergent pas à ce stade vers la signature d’un traité de paix qui entérinerait définitivement les annexions territoriales déjà légitimées unilatéralement par la Douma.
Ils doivent viser à réaliser les buts suivants :
Le président finlandais, Alexander Stubb, a récusé tout retour à Yalta où les grandes puissances décideraient de diviser l’Europe en sphères d’intérêt. Il plaide pour un « moment Helsinki » qui se fonderait sur trois piliers du droit international : l’indépendance, l’intégrité territoriale et la souveraineté — qui implique de choisir à quelle organisation vous voulez appartenir 65.
Les Européens ne peuvent pas laisser à d’autres le soin de protéger leurs intérêts de sécurité. Et ils doivent clarifier très vite la nature de leurs garanties militaires. Cela suppose que le noyau dur — le triangle de Weimar élargi à l’Italie et à l’Espagne — plus le Royaume-Uni et quelques autres — Finlande, Suède, Norvège — proposent à leurs partenaires une ligne d’action claire.
Il faut cesser de disserter sur la défense de l’Europe : il convient de la mettre en pratique. Il s’agit tout simplement de protéger à la fois la souveraineté de l’Ukraine, même provisoirement amputée d’un cinquième de son territoire, et la future limite extérieure de l’Union qui coïncide avec la ligne de démarcation. Ces forces agiront comme des garde-frontières. La perspective d’adhésion à l’Union et le déploiement de forces d’interposition par des États européens donneraient une consistance au nécessaire Pacte de garantie, renforcé par le soutien des États-Unis. Le point 9 du plan Zelensky avait rappelé cette évidence : « L’Ukraine n’est membre d’aucune alliance. Et la Russie a pu déclencher cette guerre précisément parce que l’Ukraine est restée dans la zone grise — entre le monde euro-atlantique et l’impérialisme russe ». L’intégration progressive dans l’Alliance atlantique et dans une Union réformée est le seul horizon crédible face à un risque de fatigue des opinions européennes, entretenue par la guerre informationnelle russe.
La perspective d’adhésion à l’Union et le déploiement de forces d’interposition par des États européens donneraient une consistance au nécessaire Pacte de garantie, renforcé par le soutien des États-Unis.
Michel Foucher
Enfin, le point 7 du plan Zelensky se référait à l’établissement d’un Tribunal spécial concernant le crime d’agression de la Russie contre l’Ukraine et la création d’un mécanisme international pour compenser tous les dommages causés par cette guerre. Les déportations d’enfants ukrainiens par la Russie ont été confirmées par les autorités russes qui présentent ces actions comme des évacuations humanitaires : la Commissaire présidentielle de Russie pour les droits des enfants a avancé le chiffre de 700 000 enfants lors d’une conférence de presse en avril 2023, chiffre invérifiable mais repris en juillet par Grigory Karasin, chef du comité international du Conseil de la Fédération de Russie. La déclaration de Sergueï Kirienko, chef adjoint de l’administration présidentielle russe, le 20 août, lors de l’ouverture d’un centre éducatif à Piatigorsk, dans le sud de la Russie, a suscité une indignation justifiée : « Si tu veux vaincre l’ennemi, éduque ses enfants ! » Ce sont ces déportations qui ont fondé le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale contre le président de la Fédération de Russie.
En septembre 2023, la journaliste Florence Aubenas, de retour d’Ukraine, faisait ce constat tragique : « Ce qu’il faut bien comprendre en Ukraine aujourd’hui, c’est qu’il n’y a pas de plan B. Dans les villes libérées, les Ukrainiens ont vu ce qu’avaient fait les Russes et leur rouleau compresseur contre l’identité ukrainienne ».
Les Ukrainiens ne peuvent pas lâcher : il revient aux Européens de répondre présents à l’impulsion américaine décisive qui s’annonce.
L’article L’Ukraine et la nouvelle frontière européenne : bâtir un rempart face aux Empires est apparu en premier sur Le Grand Continent.
Que cela nous plaise ou non, la guerre d’Ukraine se prolonge. Comme le soulignait Jean-Marie Guéhenno, en Europe, nous sommes aux premières loges mais pas en première ligne. Ou plutôt pas encore. Car sous l’impulsion du président Donald Trump et après un cessez-le-feu négocié entre Ukrainiens, Européens, Russes et Américains, nous soutenons qu’il reviendra à des soldats européens de fournir les forces d’interposition nécessaires à garantir la souveraineté de l’Ukraine et à entraver toute reprise des agressions. Il faut exclure un scénario de type Minsk 3. Les Européens doivent cesser d’invoquer la défense de l’Europe et s’engager au plus vite à la mettre en œuvre : c’est sur la ligne de démarcation du Donbass occidental que se joue la sécurité européenne effective. La perspective d’intégration de l’Ukraine indépendante à l’Union européenne exige que nous sachions jouer le rôle de garde-frontières puisque, pour la première fois depuis 1957, la future limite orientale de l’Union coïncide avec une ligne de front. Le président américain a raison de faire passer les Européens du burden sharing au burden shifting : il a été élu sur la promesse de la fin des guerres engageant des troupes américaines sur des théâtres lointains. De même qu’il exige des puissances régionales du Moyen Orient de traiter par eux-mêmes la crise syrienne, il ne manquera pas de faire pression sur les alliés européens de l’Alliance atlantique d’agir enfin comme puissance régionale sur le continent. Alors que des scénarios d’évolution du duel guerrier qui oppose l’Ukraine et la Russie se profilent du fait à la fois des réalités de terrain — avancées lentes des forces russes dans l’oblast de Donetsk, réticence du pouvoir ukrainien à autoriser le recrutement des classes d’âge de 18 à 25 ans pour contenir la supériorité numérique russe — et des intentions prêtées au président Donald Trump — la paix par la force, « peace through strength » — il importe au préalable de ne se tromper sur les causes de l’agression militaire décidée par le Kremlin pour éviter d’ignorer l’échelle pertinente de compréhension des buts de guerre qui vont en conditionner le règlement. La perspective d’intégration de l’Ukraine indépendante à l’Union européenne exige que nous sachions jouer le rôle de garde-frontières puisque, pour la première fois depuis 1957, la future limite orientale de l’Union coïncide avec une ligne de front. C’est pourtant cette erreur que viennent de commettre les dirigeants américains : Trump, en reprenant le dialogue le 12 février avec son homologue par-dessus la tête des Européens — comme au bon vieux temps de la guerre froide — puis le secrétaire d’État à la défense, dans la foulée, Pete Hegseth, à Bruxelles, avalisant les « réalités territoriales » en Ukraine et les retirant d’emblée du domaine d’une possible négociation, en rupture avec toute la pratique diplomatique. Moscou vient d’encaisser un premier gain : selon une méthode russo-soviétique éprouvée, cela ne peut que l’encourager à poursuivre. Il se confirme donc qu’en s’appuyant sur cet échange direct et exclusif avec la Maison-Blanche, le Kremlin court-circuite les Européens en raisonnant toujours à l’échelle de l’espace euro-atlantique, comme l’a rappelé l’ultimatum de décembre 2021, exigeant le retour du dispositif militaire allié aux limites de 1997. Poutine s’accroche, à usage interne et à celui de ce qu’il nomme « la majorité mondiale », Chine en tête, à l’argument d’une opération défensive et préventive contre une agression en cours de « l’Occident collectif ». Cet argument ne tient pas. Chacun sait que Washington et Berlin n’ont jamais soutenu l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN : Joe Biden avait gardé une mentalité de guerre froide qui l’incite à la prudence et tous les experts européens familiers des cercles américains de réflexion ont remarqué la retenue, sinon la réserve des décideurs américains face à des risques d’escalade, encore plus évoqués à Berlin. La seule négociation qui vaille devra donc avoir lieu avec le nouveau président, dans une tentative de « retour à Yalta », sans consultation des Européens. Ce risque n’est pas négligeable dès lors que le 47ème président des États-Unis affiche des objectifs d’extension d’une zone d’influence depuis le nord du Groenland jusqu’au canal de Panama et invoque la géopolitique impériale des présidents William McKinley (1897-1901) et Théodore Roosevelt (1901-1909), adeptes de la politique et la carotte et du gourdin et conquérants de Porto Rico et de Cuba, de l’isthme situé au nord de la Colombie, d’Hawaï, de Guam et des Philippines. Un troc mettant en balance la poursuite du soutien militaire et financier américain à l’Ukraine et une prise de contrôle du Groenland est-il déjà envisagé à la Maison-Blanche ? Si sa pression se faisait trop forte, une formule condominiale d’indépendance-association entre un Groenland devenu indépendant, un soutien financier et institutionnel danois et une présence américaine de sécurité accrue — elle a commencé dès 1941 et la base aérienne de Thulé est devenue la base spatiale de Pittufik en 2023 — pourrait être mise à l’étude. Que les États-Unis et le Danemark mettent fin au désintérêt qu’ils ont montré à l’égard de l’Arctique depuis la fin de la guerre froide serait par ailleurs justifié face à la stratégie tous azimuts de la Russie et de la Chine, dont le brise-glace Dragon des Neiges sillonne les mers froides depuis 2012 59. Il convient donc d’éviter que l’attitude américaine ne vienne percuter les futures discussions sur la fin de la guerre en Ukraine. L’échelle pertinente pour analyser la guerre d’Ukraine est celle du monde russe, « Roussky mir », que le titulaire du Kremlin veut rassembler à nouveau, dans une tradition impériale. Certes, on observe avec grand intérêt à Moscou toutes les déclarations révisionnistes (Groenland et Gaza). Et on comprend mieux l’intérêt de la partie russe à ne pas se précipiter dans des échanges censés porter sur des sujets élargis tels que le Moyen-Orient et le système international : l’accent est toujours mis sur l’échelle globale de la reconnaissance du statut ancien. Pour la Maison-Blanche, depuis Barack Obama, la Russie est désormais une puissance régionale mais reste autant un adversaire que la Chine dans la région arctique 60. La culture diplomatique russe repose sur quelques fondamentaux. Comme l’a rappelé Kaja Kallas, alors première ministre d’Estonie 61 et désormais Haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, la méthode de négociation du Kremlin procède de la doctrine Gromyko, qui fut ministre des affaires étrangères de l’Union soviétique (1957-1985). Elle tient en trois points : « demandez le maximum, y compris ce que vous n’avez jamais eu ; présentez des ultimatums car vous trouverez toujours un Occidental prêt à négocier ; enfin, ne cédez rien, car vous trouverez toujours une offre correspondant à ce que vous recherchez — exigez plus afin d’obtenir le tiers ou la moitié de ce que vous n’aviez pas au départ ». En janvier, l’ancien secrétaire du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, Nikolaï Patrouchev rappelait — à destination de Donald Trump — que les objectifs de la Russie restaient inchangés : démilitarisation et « dénazification » de l’Ukraine dont les dirigeants actuels, non légitimes, seraient animés d’un esprit russophobe, négation de l’identité nationale de l’Ukraine et de son droit à la souveraineté, négociations exclusives avec Washington sans participation occidentale ni ukrainienne, afin de garantir un statut de parité entre les deux États. Dans le même esprit, le directeur de recherche du Club de discussion de Valdaï, forum international dirigé par le Kremlin, Fiodor Loukianov, a défini, le 30 janvier 2025 62, l’axe central de toute négociation russo-américaine, non pas les territoires de l’Ukraine mais les « causes profondes » de la guerre — à savoir l’expansion de l’OTAN en Europe centrale — afin d’exiger le retour au statu quo stratégique en 1997. Cette exigence maximale implique la capitulation de l’Ukraine et, là encore, une revendication d’égalité des positions entre Poutine et Trump. Comme au bon vieux temps de la guerre froide, donc, avec la réinstallation de sphères d’influence sur des pays à souveraineté limitée. En réalité, l’échelle pertinente pour analyser la guerre d’Ukraine est différente : c’est celle du monde russe, « Roussky mir », que le titulaire du Kremlin veut rassembler à nouveau, dans une tradition impériale. Il s’agit donc d’une guerre coloniale, menée par une puissance nucléaire. L’adjectif de « colonial » ne surprend que ceux qui oublient que tous les empires ne sont pas d’outre-mer et qu’il existe également des empires d’outre-terre : la Russie mais également la Chine dans son tiers occidental, l’Iran dans ses ambitions régionales, désormais compromises, et la Turquie dont le dirigeant ressasse une rhétorique néo-ottomane. La guerre contre l’Ukraine vise à briser un processus d’émancipation nationale. À cet égard, l’Ukraine est en quelque sorte une nation tard-venue sur la carte de l’Europe, la dernière-née, parmi les derniers issus des autres ex-républiques soviétiques — dans la douleur comme le plus souvent. L’un des fils conducteurs de l’histoire longue de l’Europe est le passage de l’empire à l’État-Nation : si l’on admet ce fondement, pour les amis de l’Ukraine, la fin de la guerre ne pourra passer que par la garantie de son existence comme État-Nation indépendant et souverain. C’est cela qui doit être placé au centre des pourparlers envisageables en 2025. Autrement dit, ce n’est pas d’abord un conflit entre la Russie et ses rares alliés et l’Occident dit « collectif » (Kollektivnyy Zapad) mais bien un duel entre un peuple que la guerre unifie et un centre de pouvoir autocratique, qui rêve encore d’empire et se maintient par des guerres successives et une propagande incessante visant à susciter la peur dans les opinions des pays alliés. Carl von Clausewitz écrivait : « La guerre n’est rien d’autre qu’un duel à plus grande échelle. Si l’on veut saisir d’un seul coup d’œil les innombrables duels particuliers qui la composent, il faut se représenter deux lutteurs. Chacun essaie, par sa force physique, de soumettre l’autre à sa volonté ; son but immédiat est de terrasser l’adversaire, afin de le rendre incapable de toute résistance… » Le stratège prussien opposait les forces morales — ici celles de la nation agressée — et les forces physiques — celles, supérieures, de l’agresseur. À la détermination face à un combat existentiel, l’adversaire estime avoir le temps pour lui, et le renfort d’alliés douteux — Corée du Nord, Iran, Yémen, Chine partiellement —, avantage temporel auquel le président américain s’emploiera à mettre fin. Ce n’est pas d’abord un conflit entre la Russie et ses rares alliés et l’Occident dit « collectif » (Kollektivnyy Zapad) mais bien un duel entre un peuple que la guerre unifie et un centre de pouvoir autocratique, qui rêve encore d’empire. Les objectifs du Kremlin n’ont pas varié depuis l’annexion de la Crimée en 2014 : asservir l’Ukraine dénommée « Novorossia » (« Nouvelle Russie ») à la suite de Catherine II, rebâtir une terre d’empire sans frontière, et promouvoir la Russie comme « État-civilisation » face à un Occident « en catastrophe spirituelle ». La guerre consolide un système autocratique sans contrepoint interne ou externe. Aucun groupe d’exilés russes n’a à ce jour formé de centre de pouvoir alternatif. À l’intérieur s’impose un régime de servitude volontaire, impossible sans la participation de ceux qui s’y résignent et l’acceptent. L’histoire russe enseigne que seules les défaites militaires provoquent des ruptures politiques : l’échec en Crimée en 1856 déboucha sur l’abolition du servage en 1862 ; la destruction de l’Eskadra russe par la flotte japonaise à Tsushima entraîna la révolution de 1905 ; idem en février 1917 après la défaite face à l’armée allemande et en 1989 avec le retrait d’Afghanistan, prélude à l’effondrement de l’Union soviétique sur elle-même et par elle-même. Une victoire russe serait une régression politique et géopolitique majeure pour l’Europe. En août 2023, le président français Emmanuel Macron avait énoncé la position suivante : « La Russie ne peut, ni ne doit gagner cette guerre, parce qu’alors, ce serait l’instabilité sur le sol européen et, parce qu’alors, ce serait la fin de toute confiance dans les principes du droit international ». C’était un utile rappel pour décourager les postures d’apaisement — qui rappellent les erreurs des années 1930 face à Adolf Hitler — et écarter les invocations diplomatiques. Ceux qui répètent que tout conflit se termine à la table de négociations oublient que ce ne fut jamais le cas, tant en 1919 qu’en 1945, où les conditions de la paix furent imposées par les vainqueurs. Tous les autres conflits se sont conclus par une paix injuste ou une absence de règlement comme dans la péninsule coréenne, avec les conséquences néfastes observées à Koursk. Dans le Donbass, les enfants kidnappés sont « rééduqués » avec des cours sur « l’Ukraine nazie » et sur la grandeur de la Russie. Le nouveau manuel d’histoire destiné aux élèves des classes de première et de terminale, Histoire de la Russie. De 1945 au début du XXIème siècle, relaie le récit du Kremlin sur « l’opération militaire spéciale » rendue nécessaire par la machination ourdie par l’Occident, les États-Unis et l’OTAN en tête, qui visent à affaiblir la puissance russe. L’un des auteurs n’est autre que Vladimir Medinski, ancien ministre de la Culture, acteur de la réhabilitation de Staline et désigné comme négociateur avec l’Ukraine en 2022 ! Avec la guerre d’agression, les élites russes sont sorties de l’espace de civilisation européenne et ont choisi la vassalisation à l’égard de la grande puissance chinoise, qui est le vrai défi existentiel de la Russie. Pour comprendre la stratégie de Poutine, on peut prendre l’image de trois matriochkas 63 : le « monde russe » dont l’Ukraine doit faire partie, de gré ou de force ; la maîtrise de l’espace post-soviétique — incluant la Moldavie, la Géorgie et les autres — ; enfin l’affaiblissement de l’Occident jugé comme moralement décadent et géopolitiquement dépassé au profit de l’Eurasie mythifiée et du supposé Sud Global, « lassé de la domination occidentale sur les affaires du monde et dont la Russie serait le porte-drapeau » 64. Si Vladimir Poutine parvient à reconstituer le « monde russe » sous son emprise, la seconde poupée gigogne deviendra plus facile à absorber. Les Occidentaux ont commis une grave erreur d’analyse à propos de sa remarque sur la fin de l’Union soviétique présentée par lui comme la plus grande catastrophe géopolitique du XXème siècle : il ne regrettait pas alors la chute d’une grande puissance mais déplorait la dispersion du monde russe entre une demi-douzaine d’ex-républiques devenues indépendantes, où le sort des habitants de langue maternelle russe serait forcément tragique, ce qui ne fut pas le cas. Avec la guerre d’agression, les élites russes sont sorties de l’espace de civilisation européenne et ont choisi la vassalisation à l’égard de la grande puissance chinoise, qui est le vrai défi existentiel de la Russie. Elles devront comprendre qu’il n’y a plus de place pour l’empire dans l’espace démocratique européen. Les objectifs finaux recherchés dans des pourparlers visant à un gel du conflit ne convergent pas à ce stade vers la signature d’un traité de paix qui entérinerait définitivement les annexions territoriales déjà légitimées unilatéralement par la Douma. Ils doivent viser à réaliser les buts suivants : Le président finlandais, Alexander Stubb, a récusé tout retour à Yalta où les grandes puissances décideraient de diviser l’Europe en sphères d’intérêt. Il plaide pour un « moment Helsinki » qui se fonderait sur trois piliers du droit international : l’indépendance, l’intégrité territoriale et la souveraineté — qui implique de choisir à quelle organisation vous voulez appartenir 65. Les Européens ne peuvent pas laisser à d’autres le soin de protéger leurs intérêts de sécurité. Et ils doivent clarifier très vite la nature de leurs garanties militaires. Cela suppose que le noyau dur — le triangle de Weimar élargi à l’Italie et à l’Espagne — plus le Royaume-Uni et quelques autres — Finlande, Suède, Norvège — proposent à leurs partenaires une ligne d’action claire. Il faut cesser de disserter sur la défense de l’Europe : il convient de la mettre en pratique. Il s’agit tout simplement de protéger à la fois la souveraineté de l’Ukraine, même provisoirement amputée d’un cinquième de son territoire, et la future limite extérieure de l’Union qui coïncide avec la ligne de démarcation. Ces forces agiront comme des garde-frontières. La perspective d’adhésion à l’Union et le déploiement de forces d’interposition par des États européens donneraient une consistance au nécessaire Pacte de garantie, renforcé par le soutien des États-Unis. Le point 9 du plan Zelensky avait rappelé cette évidence : « L’Ukraine n’est membre d’aucune alliance. Et la Russie a pu déclencher cette guerre précisément parce que l’Ukraine est restée dans la zone grise — entre le monde euro-atlantique et l’impérialisme russe ». L’intégration progressive dans l’Alliance atlantique et dans une Union réformée est le seul horizon crédible face à un risque de fatigue des opinions européennes, entretenue par la guerre informationnelle russe. La perspective d’adhésion à l’Union et le déploiement de forces d’interposition par des États européens donneraient une consistance au nécessaire Pacte de garantie, renforcé par le soutien des États-Unis. Enfin, le point 7 du plan Zelensky se référait à l’établissement d’un Tribunal spécial concernant le crime d’agression de la Russie contre l’Ukraine et la création d’un mécanisme international pour compenser tous les dommages causés par cette guerre. Les déportations d’enfants ukrainiens par la Russie ont été confirmées par les autorités russes qui présentent ces actions comme des évacuations humanitaires : la Commissaire présidentielle de Russie pour les droits des enfants a avancé le chiffre de 700 000 enfants lors d’une conférence de presse en avril 2023, chiffre invérifiable mais repris en juillet par Grigory Karasin, chef du comité international du Conseil de la Fédération de Russie. La déclaration de Sergueï Kirienko, chef adjoint de l’administration présidentielle russe, le 20 août, lors de l’ouverture d’un centre éducatif à Piatigorsk, dans le sud de la Russie, a suscité une indignation justifiée : « Si tu veux vaincre l’ennemi, éduque ses enfants ! » Ce sont ces déportations qui ont fondé le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale contre le président de la Fédération de Russie. En septembre 2023, la journaliste Florence Aubenas, de retour d’Ukraine, faisait ce constat tragique : « Ce qu’il faut bien comprendre en Ukraine aujourd’hui, c’est qu’il n’y a pas de plan B. Dans les villes libérées, les Ukrainiens ont vu ce qu’avaient fait les Russes et leur rouleau compresseur contre l’identité ukrainienne ». Les Ukrainiens ne peuvent pas lâcher : il revient aux Européens de répondre présents à l’impulsion américaine décisive qui s’annonce. L’article L’Ukraine et la nouvelle frontière européenne : bâtir un rempart face aux Empires est apparu en premier sur Le Grand Continent. Texte intégral 4034 mots
Ne pas se tromper d’échelle : la guerre d’Ukraine entre les empires
Un pacte de garantie pour l’Ukraine avec des forces européennes d’interposition
04.02.2025 à 06:30
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La menace militaire émanant de la Russie s’accroît. Moscou s’est transformée en une économie de guerre et l’armée russe a été en mesure de déployer un grand nombre de soldats en produisant toujours plus d’armes à un rythme plus rapide.
Nos analyses montrent que même dans le cas d’un cessez-le-feu en Ukraine ou d’une fin de la guerre, la Russie n’aurait besoin que d’un an pour rendre ces troupes à nouveau opérationnelles et les déployer ailleurs. Cela signifie qu’après un éventuel cessez-le-feu, elle pourrait placer des centaines de milliers de soldats à la frontière d’un pays de l’OTAN et procéder à des exercices militaires. Un tel scénario serait dangereux pour le monde. Avec la Russie, nous devons toujours être sur nos gardes.
L’examen de leurs programmes militaires et le rythme de leur production militaire le montrent : les Russes ne visent pas seulement l’Ukraine. La Russie représente une menace pour toute l’Europe.
Même dans le cas d’un cessez-le-feu en Ukraine ou d’une fin de la guerre, la Russie n’aurait besoin que d’un an pour rendre ces troupes à nouveau opérationnelles et les déployer ailleurs.
Ruben Brekelmans
Dans ce contexte, il est très clair que nous devons renforcer notre défense collective. C’est un impératif. La question est alors de savoir comment transformer cette nouvelle réalité en un nouvel objectif. Il s’agira d’un débat politique difficile aux Pays-Bas et en Europe.
Aux Pays-Bas, des élections ont eu lieu l’année dernière et tous les partis ont convenu de s’engager à consacrer 2 % du PIB aux dépenses de défense. Cet objectif figurait dans tous les programmes. Ensuite, nous avons pris environ six mois pour former un gouvernement et nous avons convenu que l’objectif de 2 % était le minimum. C’est ce que nous avons budgétisé. Nous pouvons discuter de la manière de l’augmenter, mais la question fondamentale demeure : comment le financer ?
Faut-il augmenter les impôts ou réduire les coûts ailleurs ? Notre situation n’est pas unique en Europe.
Passer de 2 % à 3 % signifierait pour nous 10 à 12 milliards d’euros supplémentaires chaque année, ce qui est considérable. La discussion n’est pas simple et nous devons parvenir à un accord au sein du gouvernement et du Parlement.
Au sein de l’OTAN, il faut parvenir à un consensus entre 32 alliés qui ont des visions et des intérêts différents. À ce stade, il m’est difficile de prédire l’issue du sommet de l’OTAN et il est également difficile de prédire quel sera l’objectif ou le calendrier. Mais ce qui est clair, c’est qu’il faudra faire des choix politiques difficiles.
Rien n’indique à ce stade que le président Trump changera radicalement de cap sur l’Ukraine.
Ruben Brekelmans
Oui, en particulier après les déclarations et les spéculations pendant la campagne et dans les semaines précédant l’investiture sur ce que Donald Trump ferait ou ne ferait pas. Il y a une différence entre parler de et parler à : ce qui est important maintenant, c’est que nous arrêtions de parler de ce que la nouvelle administration pourrait faire et que nous lui parlions réellement.
En ce qui concerne la sécurité, mais aussi nos intérêts économiques, nous sommes étroitement liés et nous devrons travailler ensemble.
Rien n’indique à ce stade que le président Trump changera radicalement de cap sur l’Ukraine. Nous devons cesser de spéculer sur ce que les États-Unis pourraient faire ou ne pas faire et commencer à parler directement à la nouvelle administration. C’est ce que fait le secrétaire général de l’OTAN et je pense que c’est la bonne approche.
Nous devons examiner nos intérêts communs et les défis communs auxquels nous sommes confrontés. Je suis convaincu que c’est la meilleure façon de trouver des solutions ensemble.
Il est clair que nous devons renforcer notre armée.
Du point de vue de nos capacités, nous sommes bien conscients de nos dépendances stratégiques. Nous devrions faire plus, non seulement en termes de quantité, mais aussi en termes de qualité, en déterminant les capacités dont nous voulons être en mesure de nous doter en tant qu’Européens.
Zelensky est très réaliste. L’Ukraine se trouve dans une situation difficile sur le champ de bataille. Elle mène une guerre tous les jours et, lorsqu’elle compare ce dont elle a besoin et ce que nous pouvons lui fournir pour le moment, il est logique qu’elle pense que les États-Unis sont encore nécessaires. Il est également vrai que nous avons fourni des milliards d’aide à l’Ukraine et que nous avons été extrêmement clairs sur le fait que nous voulions que l’Ukraine sorte victorieuse de cette guerre.
Tout comme les discussions sur l’Ukraine doivent inclure les Ukrainiens, l’architecture européenne de sécurité sera discutée avec les Européens assis à la table. La guerre se déroule sur le territoire ukrainien, mais elle pose aussi des questions difficiles à l’Europe. Il n’est pas facile de réunir 27 pays et d’établir une position commune, cela prend du temps.
Je comprends qu’il y a urgence, mais je ne voudrais pas non plus minimiser la contribution très importante que l’Europe a apportée et continue d’apporter.
Tout comme les discussions sur l’Ukraine doivent inclure les Ukrainiens, l’architecture européenne de sécurité sera discutée avec les Européens assis à la table.
Ruben Brekelmans
Nous avons besoin d’une autonomie stratégique ouverte.
En ce qui concerne la dimension militaire, nous devrions être en mesure de produire beaucoup plus et beaucoup plus rapidement en Europe mais nous devons envisager les choses de manière pragmatique : si nous voulons avoir une armée bien équipée, nous avons besoin des États-Unis, du Royaume-Uni, de la Norvège et d’autres partenaires pour être prêts dès maintenant. Notre industrie n’est pas assez grande ; elle ne produit pas assez vite.
Prenons l’exemple des systèmes d’armes dont nous disposons aujourd’hui. Les Patriots, par exemple, sont produits par des fabricants américains. Si nous voulons plus de systèmes Patriot et plus de missiles Patriot pour notre armée parce que nos analystes convergent vers cette demande, nous ne pouvons tout simplement pas le faire sans la participation d’entreprises américaines. Il en va de même pour le NASAMS, par exemple, un système norvégien.
Notre défi est de concilier les besoins des différents pays.
Pour les missiles Patriot, nous avons pu réunir quatre pays et mettre en place une ligne de production dans le sud de l’Allemagne. Cela a permis de produire 1 000 unités supplémentaires. C’est un excellent exemple de ce que nous devrions faire. Ce qui m’inquiète, c’est que nous transformons cette conversation — qui devrait porter sur la manière de garantir notre sécurité — en un débat sur la question de savoir si nous devrions mettre en place un autre grand fonds européen : qui paie ? comment nous le dépensons ? qui est éligible ? — et ainsi de suite… Ce sera une longue conversation, qui portera essentiellement sur l’argent. Nous n’avons pas le temps pour ces discussions. En tant que ministre, la chose la plus importante pour moi en ce moment, c’est d’obtenir beaucoup plus de capacités, et rapidement.
Je crains que les débats financiers ne nous détournent de l’objectif que nous partageons tous : produire plus.
Ruben Brekelmans
Je peux donner des garanties à long terme, mais je ne suis pas convaincu qu’un contrat émanant d’un seul pays suffise à un fabricant pour mettre en place une nouvelle ligne de production ou construire un nouveau site. Les Pays-Bas sont un pays relativement petit. À mon avis, nous pouvons faire beaucoup plus ensemble, et nous devrions concentrer nos efforts sur l’identification des priorités et la mise en commun de la demande pour créer une échelle, plutôt que de nous enliser dans ces longues conversations sur le financement et sur l’attribution des contrats. Nous n’avons pas le temps pour cela.
Je ne suis pas contre en soi. Mais je dois envisager les choses de la manière la plus efficace et la plus pragmatique possible. Nous sommes 27 pays différents, avec des systèmes différents et des préférences différentes. Le programme EDIP (European Defence Industry Programme) s’élève à 1,5 milliard d’euros. Ce n’est rien par rapport aux besoins auxquels nous sommes confrontés, et pourtant nous discutons depuis des mois de ce qu’il faut faire. Il y a encore de l’argent dans le Fonds de relance que nous pourrions utiliser plus efficacement. Je crains que ces débats ne nous détournent de l’objectif que nous partageons tous : produire plus.
Nous sommes bien sûr tout à fait favorables à la création d’une capacité de production et d’emplois beaucoup plus importante au sein de l’Union, mais la réalité est que nous ne pouvons pas réaliser cela sans partenaires extérieurs — les États-Unis, le Royaume-Uni, la Norvège, etc.
Si je regarde notre armée néerlandaise, par exemple notre armée de l’air, plusieurs systèmes d’armes sont produits par des fabricants américains ou interconnectés avec eux. Nous devons les maintenir à bord et les encourager à investir dans des capacités de production en Europe. Cela crée des situations gagnant-gagnant dans nos relations transatlantiques. Compte tenu de l’augmentation des budgets de défense, il est préférable pour tout le monde d’accroître le gâteau plutôt que d’augmenter le prix des parts.
Notre position est que nous devons stimuler la production européenne, mais qu’elle doit être rapide, efficace et ouverte. Nous ne devons pas envoyer à nos partenaires — qu’il s’agisse des États-Unis, du Royaume-Uni ou de la Norvège — le signal que la défense européenne signifie leur fermer l’Europe. Ce serait un mauvais signal.
Nous sommes très forts dans le domaine maritime ; l’espace est important pour nous, tout comme la défense aérienne. Nous insisterons sur ces domaines auprès de la Commission.
Aux Pays-Bas, l’armée est très populaire. Pour nous, le défi consiste à absorber les nouvelles recrues plutôt qu’à en trouver.
Ruben Brekelmans
Lorsque nous développons nos forces armées, un certain nombre de réglementations environnementales nous barrent la route. Les Pays-Bas sont un petit pays et lorsque nous essayons d’étendre nos sites, que ce soit pour la défense ou la construction de maisons dans de nouvelles zones, nous nous heurtons à des directives environnementales.
Lorsque nous cherchons à introduire des exemptions, nous constatons souvent que les directives européennes sont les normes qui posent le plus grand défi.
C’est une question qui doit être abordée. Une option consisterait à introduire des dérogations au niveau européen à certaines de ces directives environnementales dans le but particulier de la planification de la défense.
Aux Pays-Bas, l’armée est très populaire. Pour nous, le défi consiste à absorber les nouvelles recrues plutôt qu’à en trouver.
Nous avons mis en place un programme de volontariat appelé « Année de service ». L’objectif est que pendant un an, vous appreniez à connaître le métier et qu’à la fin de l’année, on vous propose de rester dans l’armée. Notre objectif était qu’un tiers des jeunes qui participaient au programme choisissent de rester. À la fin de l’année, nous avons constaté que 80 % d’entre eux avaient décidé de s’engager. Environ 60 % d’entre eux travaillent à temps plein et les 20 % restants sont des réservistes. Si vous regardez le nombre de postes vacants, ils sont de l’ordre de quelques centaines et nous avons cinq à dix fois plus de candidats pour certains postes.
Nous devons développer notre armée, mais nous voulons aussi le faire de manière efficace. Cela signifie qu’il faut examiner les coûts. Nous devons être plus innovants et travailler avec le secteur privé. Globalement, il s’agit de moderniser notre armée en termes d’effectifs, mais aussi en termes de technologie et de formation.
Croître, changer, former : tels sont les trois piliers. En fin de compte, nous construisons des armées pour une nouvelle ère.
L’article « Nous construisons des armées pour une nouvelle ère », une conversation avec Ruben Brekelmans, ministre de la Défense des Pays-Bas est apparu en premier sur Le Grand Continent.
English version available at this link La menace militaire émanant de la Russie s’accroît. Moscou s’est transformée en une économie de guerre et l’armée russe a été en mesure de déployer un grand nombre de soldats en produisant toujours plus d’armes à un rythme plus rapide. Nos analyses montrent que même dans le cas d’un cessez-le-feu en Ukraine ou d’une fin de la guerre, la Russie n’aurait besoin que d’un an pour rendre ces troupes à nouveau opérationnelles et les déployer ailleurs. Cela signifie qu’après un éventuel cessez-le-feu, elle pourrait placer des centaines de milliers de soldats à la frontière d’un pays de l’OTAN et procéder à des exercices militaires. Un tel scénario serait dangereux pour le monde. Avec la Russie, nous devons toujours être sur nos gardes. L’examen de leurs programmes militaires et le rythme de leur production militaire le montrent : les Russes ne visent pas seulement l’Ukraine. La Russie représente une menace pour toute l’Europe. Même dans le cas d’un cessez-le-feu en Ukraine ou d’une fin de la guerre, la Russie n’aurait besoin que d’un an pour rendre ces troupes à nouveau opérationnelles et les déployer ailleurs. Dans ce contexte, il est très clair que nous devons renforcer notre défense collective. C’est un impératif. La question est alors de savoir comment transformer cette nouvelle réalité en un nouvel objectif. Il s’agira d’un débat politique difficile aux Pays-Bas et en Europe. Aux Pays-Bas, des élections ont eu lieu l’année dernière et tous les partis ont convenu de s’engager à consacrer 2 % du PIB aux dépenses de défense. Cet objectif figurait dans tous les programmes. Ensuite, nous avons pris environ six mois pour former un gouvernement et nous avons convenu que l’objectif de 2 % était le minimum. C’est ce que nous avons budgétisé. Nous pouvons discuter de la manière de l’augmenter, mais la question fondamentale demeure : comment le financer ? Faut-il augmenter les impôts ou réduire les coûts ailleurs ? Notre situation n’est pas unique en Europe. Passer de 2 % à 3 % signifierait pour nous 10 à 12 milliards d’euros supplémentaires chaque année, ce qui est considérable. La discussion n’est pas simple et nous devons parvenir à un accord au sein du gouvernement et du Parlement. Au sein de l’OTAN, il faut parvenir à un consensus entre 32 alliés qui ont des visions et des intérêts différents. À ce stade, il m’est difficile de prédire l’issue du sommet de l’OTAN et il est également difficile de prédire quel sera l’objectif ou le calendrier. Mais ce qui est clair, c’est qu’il faudra faire des choix politiques difficiles. Rien n’indique à ce stade que le président Trump changera radicalement de cap sur l’Ukraine. Oui, en particulier après les déclarations et les spéculations pendant la campagne et dans les semaines précédant l’investiture sur ce que Donald Trump ferait ou ne ferait pas. Il y a une différence entre parler de et parler à : ce qui est important maintenant, c’est que nous arrêtions de parler de ce que la nouvelle administration pourrait faire et que nous lui parlions réellement. En ce qui concerne la sécurité, mais aussi nos intérêts économiques, nous sommes étroitement liés et nous devrons travailler ensemble. Rien n’indique à ce stade que le président Trump changera radicalement de cap sur l’Ukraine. Nous devons cesser de spéculer sur ce que les États-Unis pourraient faire ou ne pas faire et commencer à parler directement à la nouvelle administration. C’est ce que fait le secrétaire général de l’OTAN et je pense que c’est la bonne approche. Nous devons examiner nos intérêts communs et les défis communs auxquels nous sommes confrontés. Je suis convaincu que c’est la meilleure façon de trouver des solutions ensemble. Il est clair que nous devons renforcer notre armée. Du point de vue de nos capacités, nous sommes bien conscients de nos dépendances stratégiques. Nous devrions faire plus, non seulement en termes de quantité, mais aussi en termes de qualité, en déterminant les capacités dont nous voulons être en mesure de nous doter en tant qu’Européens. Zelensky est très réaliste. L’Ukraine se trouve dans une situation difficile sur le champ de bataille. Elle mène une guerre tous les jours et, lorsqu’elle compare ce dont elle a besoin et ce que nous pouvons lui fournir pour le moment, il est logique qu’elle pense que les États-Unis sont encore nécessaires. Il est également vrai que nous avons fourni des milliards d’aide à l’Ukraine et que nous avons été extrêmement clairs sur le fait que nous voulions que l’Ukraine sorte victorieuse de cette guerre. Tout comme les discussions sur l’Ukraine doivent inclure les Ukrainiens, l’architecture européenne de sécurité sera discutée avec les Européens assis à la table. La guerre se déroule sur le territoire ukrainien, mais elle pose aussi des questions difficiles à l’Europe. Il n’est pas facile de réunir 27 pays et d’établir une position commune, cela prend du temps. Je comprends qu’il y a urgence, mais je ne voudrais pas non plus minimiser la contribution très importante que l’Europe a apportée et continue d’apporter. Tout comme les discussions sur l’Ukraine doivent inclure les Ukrainiens, l’architecture européenne de sécurité sera discutée avec les Européens assis à la table. Nous avons besoin d’une autonomie stratégique ouverte. En ce qui concerne la dimension militaire, nous devrions être en mesure de produire beaucoup plus et beaucoup plus rapidement en Europe mais nous devons envisager les choses de manière pragmatique : si nous voulons avoir une armée bien équipée, nous avons besoin des États-Unis, du Royaume-Uni, de la Norvège et d’autres partenaires pour être prêts dès maintenant. Notre industrie n’est pas assez grande ; elle ne produit pas assez vite. Prenons l’exemple des systèmes d’armes dont nous disposons aujourd’hui. Les Patriots, par exemple, sont produits par des fabricants américains. Si nous voulons plus de systèmes Patriot et plus de missiles Patriot pour notre armée parce que nos analystes convergent vers cette demande, nous ne pouvons tout simplement pas le faire sans la participation d’entreprises américaines. Il en va de même pour le NASAMS, par exemple, un système norvégien. Notre défi est de concilier les besoins des différents pays. Pour les missiles Patriot, nous avons pu réunir quatre pays et mettre en place une ligne de production dans le sud de l’Allemagne. Cela a permis de produire 1 000 unités supplémentaires. C’est un excellent exemple de ce que nous devrions faire. Ce qui m’inquiète, c’est que nous transformons cette conversation — qui devrait porter sur la manière de garantir notre sécurité — en un débat sur la question de savoir si nous devrions mettre en place un autre grand fonds européen : qui paie ? comment nous le dépensons ? qui est éligible ? — et ainsi de suite… Ce sera une longue conversation, qui portera essentiellement sur l’argent. Nous n’avons pas le temps pour ces discussions. En tant que ministre, la chose la plus importante pour moi en ce moment, c’est d’obtenir beaucoup plus de capacités, et rapidement. Je crains que les débats financiers ne nous détournent de l’objectif que nous partageons tous : produire plus. Je peux donner des garanties à long terme, mais je ne suis pas convaincu qu’un contrat émanant d’un seul pays suffise à un fabricant pour mettre en place une nouvelle ligne de production ou construire un nouveau site. Les Pays-Bas sont un pays relativement petit. À mon avis, nous pouvons faire beaucoup plus ensemble, et nous devrions concentrer nos efforts sur l’identification des priorités et la mise en commun de la demande pour créer une échelle, plutôt que de nous enliser dans ces longues conversations sur le financement et sur l’attribution des contrats. Nous n’avons pas le temps pour cela. Je ne suis pas contre en soi. Mais je dois envisager les choses de la manière la plus efficace et la plus pragmatique possible. Nous sommes 27 pays différents, avec des systèmes différents et des préférences différentes. Le programme EDIP (European Defence Industry Programme) s’élève à 1,5 milliard d’euros. Ce n’est rien par rapport aux besoins auxquels nous sommes confrontés, et pourtant nous discutons depuis des mois de ce qu’il faut faire. Il y a encore de l’argent dans le Fonds de relance que nous pourrions utiliser plus efficacement. Je crains que ces débats ne nous détournent de l’objectif que nous partageons tous : produire plus. Nous sommes bien sûr tout à fait favorables à la création d’une capacité de production et d’emplois beaucoup plus importante au sein de l’Union, mais la réalité est que nous ne pouvons pas réaliser cela sans partenaires extérieurs — les États-Unis, le Royaume-Uni, la Norvège, etc. Si je regarde notre armée néerlandaise, par exemple notre armée de l’air, plusieurs systèmes d’armes sont produits par des fabricants américains ou interconnectés avec eux. Nous devons les maintenir à bord et les encourager à investir dans des capacités de production en Europe. Cela crée des situations gagnant-gagnant dans nos relations transatlantiques. Compte tenu de l’augmentation des budgets de défense, il est préférable pour tout le monde d’accroître le gâteau plutôt que d’augmenter le prix des parts. Notre position est que nous devons stimuler la production européenne, mais qu’elle doit être rapide, efficace et ouverte. Nous ne devons pas envoyer à nos partenaires — qu’il s’agisse des États-Unis, du Royaume-Uni ou de la Norvège — le signal que la défense européenne signifie leur fermer l’Europe. Ce serait un mauvais signal. Nous sommes très forts dans le domaine maritime ; l’espace est important pour nous, tout comme la défense aérienne. Nous insisterons sur ces domaines auprès de la Commission. Aux Pays-Bas, l’armée est très populaire. Pour nous, le défi consiste à absorber les nouvelles recrues plutôt qu’à en trouver. Lorsque nous développons nos forces armées, un certain nombre de réglementations environnementales nous barrent la route. Les Pays-Bas sont un petit pays et lorsque nous essayons d’étendre nos sites, que ce soit pour la défense ou la construction de maisons dans de nouvelles zones, nous nous heurtons à des directives environnementales. Lorsque nous cherchons à introduire des exemptions, nous constatons souvent que les directives européennes sont les normes qui posent le plus grand défi. C’est une question qui doit être abordée. Une option consisterait à introduire des dérogations au niveau européen à certaines de ces directives environnementales dans le but particulier de la planification de la défense. Aux Pays-Bas, l’armée est très populaire. Pour nous, le défi consiste à absorber les nouvelles recrues plutôt qu’à en trouver. Nous avons mis en place un programme de volontariat appelé « Année de service ». L’objectif est que pendant un an, vous appreniez à connaître le métier et qu’à la fin de l’année, on vous propose de rester dans l’armée. Notre objectif était qu’un tiers des jeunes qui participaient au programme choisissent de rester. À la fin de l’année, nous avons constaté que 80 % d’entre eux avaient décidé de s’engager. Environ 60 % d’entre eux travaillent à temps plein et les 20 % restants sont des réservistes. Si vous regardez le nombre de postes vacants, ils sont de l’ordre de quelques centaines et nous avons cinq à dix fois plus de candidats pour certains postes. Nous devons développer notre armée, mais nous voulons aussi le faire de manière efficace. Cela signifie qu’il faut examiner les coûts. Nous devons être plus innovants et travailler avec le secteur privé. Globalement, il s’agit de moderniser notre armée en termes d’effectifs, mais aussi en termes de technologie et de formation. Croître, changer, former : tels sont les trois piliers. En fin de compte, nous construisons des armées pour une nouvelle ère. L’article « Nous construisons des armées pour une nouvelle ère », une conversation avec Ruben Brekelmans, ministre de la Défense des Pays-Bas est apparu en premier sur Le Grand Continent. Texte intégral 2807 mots
Dans une année marquée par un nouveau cycle politique et de nouvelles menaces, quelle doit être la priorité de la défense européenne ?
Le secrétaire général de l’OTAN a laissé entendre que le nouvel objectif pourrait se situer quelque part au-dessus des 3 %. Le commissaire européen à la défense a récemment déclaré qu’il s’attendait également à cela — et le président Trump pourrait faire pression pour un chiffre encore plus élevé. Comment pensez-vous que ces négociations se dérouleront ?
Trump a indiqué qu’il souhaitait que les sanctions à l’encontre de la Russie soient maintenues, apparemment comme moyen de pression pour favoriser les pourparlers de paix. Jusqu’à présent, rien n’indique que la Maison Blanche réduira son assistance militaire. S’agit-il d’un signal positif ?
Néanmoins, pendant la campagne électorale, de sérieuses inquiétudes ont été exprimées quant à la possibilité que le président Trump revienne sur la position politique de soutien de Joe Biden à l’égard de l’Ukraine. Ces premiers signaux vous ont-ils rassuré sur ce point ?
Volodymyr Zelensky a récemment affirmé que l’Europe toute seule ne pouvait pas assurer la sécurité de l’Ukraine. Pouvez-vous comprendre sa frustration ? Avez-vous été surpris par son ton ?
Quelles devraient être les priorités de l’Europe ?
Un certain nombre de grandes entreprises européennes de défense ont clairement indiqué qu’elles souhaitaient une préférence européenne en matière d’approvisionnement et de contrats à long terme…
La préférence européenne n’est donc pas une exigence pour vous ?
Les États membres disposent d’une marge de manœuvre budgétaire limitée. Ne craignez-vous pas que si nous ne dépensons pas d’argent pour produire davantage en Europe et créer des emplois ici, nous nous retrouvions dans le pire des deux mondes : des conditions budgétaires extrêmement difficiles et toujours dépendant de l’humeur politique outre-Atlantique en l’absence d’industrie de défense ? 80 % de l’aide apportée à l’Ukraine finance l’industrie de défense américaine, générant de la croissance et des emplois. Pourquoi ne pas chercher à créer les mêmes conditions ici ?
La Commission européenne devrait publier son Livre blanc sur l’avenir de la défense européenne au printemps. Quels sont les éléments que vous défendez du point de vue néerlandais ?
Pour développer une armée, il faut pouvoir recruter. Un débat est en cours sur la réintroduction du service militaire — un changement culturel important provoqué par la guerre en Ukraine. Que vous a appris l’expérience néerlandaise ?