14.11.2025 à 15:52
Matheo Malik
« Pour les entreprises et le capital, Trump continue d’être une aubaine. »
Mais il est en train de transformer en profondeur l’économie américaine sans aucun garde-fous.
Pour l’économiste Kenneth Rogoff, le Parti républicain finira par le payer dans les urnes.
L’article « La Commission européenne veille sur la France : personne ne veille sur les États-Unis », une conversation avec Kenneth Rogoff est apparu en premier sur Le Grand Continent.
Si vous avez l’impression que tout va trop vite et que vous n’arrivez plus à suivre, essayez avec les sous-titres. Depuis un an, la revue décrypte la tempête Trump — vous nous lisez ? Abonnez-vous pour nous soutenir
Certaines des politiques de Trump comme les droits de douane ont pour les États-Unis des effets néfastes à long terme.
Mais une économie ne s’effondre pas par le seul effet des droits de douane.
De nombreux économistes sérieux ont d’ailleurs publié des modèles montrant une série de choses qui ne se produiraient pas même si les droits de douane étaient permanents — ce qui prouve d’ailleurs que les États-Unis ne sont pas une économie si ouverte.
L’une des raisons pour lesquelles nous n’avons pas encore constaté les effets de cette politique est la suivante : personne ne sait ce qui sera permanent et ce qui ne le sera pas. Par conséquent, les entreprises hésitent à changer leurs fournisseurs et leurs prix. Dans le même temps, il serait illusoire de penser que ces effets ne finiront pas, un beau jour, par se produire.
Un autre facteur important qui a joué en faveur de Trump est qu’il s’en est remis à son secrétaire au Trésor, Scott Bessent, sur de nombreuses questions. Ce dernier ne suscite pas le même écho lorsqu’il parle des droits de douane ou des taux d’intérêt de la Réserve fédérale. Pourtant, il a été la voix de la raison sur de nombreux sujets et Trump lui a donné du pouvoir — ce qui a calmé les choses.
J’en suis convaincu.
D’un côté, Scott Bessent est de loin la deuxième personne la plus puissante des États-Unis et il a eu une influence stabilisatrice, car il est également très intelligent. D’un autre côté, son rôle est de dire ce que Trump veut sur les questions brûlantes.
Pas seulement. Le point principal que je voudrais souligner à propos des marchés boursiers est que Trump a complètement dérégulé l’IA.
Il a dit à l’industrie : « Faites ce que vous voulez. Si Kenneth Rogoff écrit un livre et que vous voulez tout lui voler, ne vous inquiétez pas pour lui, ni pour aucun scientifique, ni pour aucun artiste : ne vous inquiétez pour personne. »
L’IA vole la voix, les visages et les idées des gens.
Trump a également déclaré : « Je me fiche du réchauffement climatique. Consommez autant d’électricité que vous voulez » pour annoncer qu’il allait doubler notre production d’électricité.
Ces deux changements — qui n’auraient pas eu lieu sous une présidence Harris — ont favorisé l’IA.
De plus, l’industrie montre désormais qu’elle peut réduire ses effectifs pour augmenter ses profits. Nous entrons dans une ère où les profits augmentent en même temps que les revenus du travail diminuent. Les États-Unis connaîtront par conséquent un chômage de masse. De nombreuses estimations existent mais je pense que cela se produira plus rapidement qu’on ne le pense.
Scott Bessent est de loin la deuxième personne la plus puissante des États-Unis.
Kenneth Rogoff
Tous ceux qui utilisent un ordinateur pour l’essentiel de leur travail sont en difficulté.
Les plombiers et les infirmières pourraient être épargnés, mais l’IA aura quoi qu’il en soit un effet massif.
Ce que nous observons dans les cours boursiers, ce n’est pas seulement une croissance économique mais une augmentation de la part des entreprises. Elles parviennent à conserver une plus grande partie de leur argent.
L’euphorie actuelle sur les marchés est partiellement explicable par la dérégulation massive de l’IA — ce qui, du point de vue de l’humanité et de la stabilité sociale, est une décision horrible. Personne ne devrait décider que les droits d’auteur ou le chômage n’ont pas d’importance et que nous devrions accélérer sur l’IA.
Or c’est ce qu’a fait Trump.
Pour les entreprises, c’est formidable, c’est une bien meilleure nouvelle que quatre années supplémentaires d’administration Biden ou Harris.
Autrement dit, pour les entreprises et le capital, Trump continue d’être une aubaine.
C’est possible.
Mais il nous faut attendre avant de se prononcer, car je vois quelques contradictions.
Premièrement, le capital est très difficile à taxer. À mesure que la productivité augmente, les entreprises peuvent licencier des travailleurs tout en conservant le même rendement. Les bénéfices augmentent, mais les revenus du travail diminuent.
Il est beaucoup plus facile de taxer les revenus du travail que ceux du capital. Je ne pense donc pas que nous devrions supposer que les impôts augmenteront au même rythme que la croissance.
Mais je dirais aussi qu’il y a encore de nombreux goulets d’étranglement.
Jusqu’à présent, la croissance est presque entièrement due à la construction de ces centres de données gigantesques — car c’est là que l’on prévoit une croissance. Cependant, divers goulets d’étranglement empêchent une expansion suffisante de ces centres pour que nous puissions tous les utiliser en permanence. Les entreprises qui y sont liées connaissent une croissance très rapide mais elles perdent beaucoup d’argent. Elles auront du mal à monétiser leurs activités.
Si l’on examine les utilisations de l’IA dans l’article récemment publié par OpenAI 1, on constate que seul un tiers d’entre elles concerne des applications commerciales, les deux autres tiers étant destinés à des usages civils, tels que la thérapie. Je comprends que des publicités pourraient voir le jour sur les plateformes d’IA générative telles que Claude ; ces plateformes ne connaîtront pas une croissance aussi rapide que prévu.
Il est beaucoup plus facile de taxer les revenus du travail que ceux du capital.
Kenneth Rogoff
Il serait peut-être exagéré de dire que Trump a enterré la Constitution, mais il l’a radicalement réinterprétée.
Jusqu’à présent, la Cour suprême l’a laissé faire, ce qui est une catastrophe. Avoir un président très puissant qui peut prendre des décisions arbitraires à tout moment n’est bon ni pour la croissance, ni pour la stabilité.
Dans le domaine économique, je suis convaincu que Trump va prendre le contrôle de la Réserve fédérale, pour y mettre les siens. C’est inévitable ; il trouvera un moyen d’y parvenir. Cela pourrait lui être bénéfique pendant son mandat, mais à long terme, cela créerait un problème invisible : une inflation plus élevée et plus instable, des taux d’intérêt plus élevés, une plus grande volatilité des taux de change, davantage de crises financières, etc.
À court terme toutefois, je ne pense pas que cela aura beaucoup d’importance.
Les gens réagiront très lentement.
Seules les personnes qui couvrent ce sujet de manière professionnelle seront pleinement conscientes de tout ce qui se passe.
Le citoyen lambda et l’homme d’affaires moyen ne savent rien de tout cela aujourd’hui : des enquêtes économiques montrent que les milieux d’affaires traditionnels ignorent tout de l’objectif de 2 % et des subtilités de la Réserve fédérale 2. Ils voient simplement quel est leur pouvoir de fixation des prix et peut-être l’impact sur leurs concurrents et leurs intrants.
Ce qui me semble très déroutant, c’est que les républicains, qui ont été très discrets pour la plupart, ne se rendent pas compte qu’ils pourraient avoir dans quatre ans un président Mamdani ou quelqu’un de ce type, qui héritera de tout le pouvoir que Trump a établi pour la présidence.
Car ce n’est pas seulement son pouvoir que Trump est en train de changer — mais la présidence elle-même.
Trump va prendre le contrôle de la Réserve fédérale, pour y mettre les siens. C’est inévitable ; il trouvera un moyen d’y parvenir.
Kenneth Rogoff
Mon pari est que les républicains seront écrasés lors des prochaines élections. Je ne dis pas cela parce que je déteste Trump mais parce que beaucoup de choses qu’il fait finiront par se retourner contre lui — ne serait-ce que le chômage de masse qui résultera de toutes ses politiques en matière d’IA.
Il faut se rappeler que beaucoup de choses que fait Trump ont été initiées par les démocrates, qui voulaient abolir les règles permettant l’obstruction parlementaire. Obama l’a dit le premier, suivi par Biden. Tous deux voulaient avoir un gouvernement traitant avec un Sénat où aucune minorité de blocage ne pourrait s’opposer à la majorité 3 ; ils ne se rendaient pas compte, semble-t-il, qu’ils pourraient perdre un jour les élections. Ils ont de la chance que les républicains aient refusé d’abolir ces règles comme le souhaitait Trump ; car ils avaient le pouvoir de le faire.
En même temps, si les démocrates acculent les républicains, rien de tout cela ne sera très bon pour la stabilité à long terme.
Je crains, au fond, que nous ne basculions vers l’extrême gauche.
Malgré ce que j’ai dit à propos de Trump, les démocrates me semblent en effet très à gauche dans leurs politiques économiques.
Comment gérer une entreprise avec de tels revirements ? La situation serait similaire à celle de certains pays européens.
Alors que Trump promeut un discours de dérégulation favorable à l’industrie en déclarant : « nous sommes en guerre avec la Chine et nous devons la battre », il laisse de côté des questions extrêmement importantes concernant l’avenir de l’humanité — aussi hyperbolique que cela puisse paraître.
Un futur possible est celui où nos enfants passeraient leur temps à regarder Netflix et à commander à manger sur DoorDash 4, sans jamais s’impliquer dans quelque chose ni avoir à réfléchir à quoi que ce soit.
Plus tard, nous considérerons cette époque sans freins ni contrepoids comme une terrible erreur ; par exemple, nous avons commis une faute grave en ne soumettant les réseaux sociaux à aucune réglementation. C’était une erreur historique : nous avons commencé à la payer et nous sommes pourtant en train de l’aggraver.
Ce point sur les réseaux sociaux peut paraître anecdotique. En réalité, il est crucial pour l’économie parce que cela créera une grande instabilité ; il y aura beaucoup de résistance politique.
Même si nous avions un président comme Mamdani, les gens ne se sentiraient ni rassasiés, ni heureux — car ils seraient au chômage. Pendant ce temps, d’autres personnes vaudront mille milliards de dollars.
Cet avenir est probable — malheureusement, beaucoup de gens le présentent comme quelque chose de positif.
La Commission européenne veille sur la France : personne ne veille sur les États-Unis.
Kenneth Rogoff
En France, les choses se sont déroulées plus rapidement que je ne le prévoyais. L’Europe est également confrontée à des taux d’intérêt plus élevés aujourd’hui, ce qui a changé la perception selon laquelle « la dette est un cadeau que l’on se fait » 5.
Des économistes comme Paul Krugman et Larry Summers ont longtemps donné l’impression que la dette était une forme de cadeau : « dépensez autant que vous voulez, vous n’avez pas à vous en soucier ». J’ai fait valoir que l’Europe était également très affectée par la normalisation des taux d’intérêt réels, mais je ne pensais pas que nous assisterions à cela lors du prochain choc majeur.
Aujourd’hui, on constate en France que les taux d’intérêt réels sont en hausse ; le niveau d’endettement est bien plus élevé qu’il ne l’a jamais été et la population vieillit. La France se trouve ainsi dans la même situation que le Royaume-Uni et les États-Unis, deux autres pays très vulnérables.
Cet état de fait aura probablement son importance à l’avenir. C’est un problème pour la France, mais celle-ci est supervisée par des adultes ; les États-Unis n’ont rien de tel.
La Commission européenne veille sur la France : personne ne veille sur les États-Unis. Par ailleurs, la Banque centrale européenne est plus indépendante que la Réserve fédérale. Je pense que cette combinaison de facteurs donne plus de temps à la France, même si sa situation présente des ressemblances avec celle outre-Atlantique.
Les dirigeants français n’ont pas beaucoup de pouvoir, mais ils en ont quand même un peu. Cela contribue à assurer une certaine supervision objective.
La BCE accorde également beaucoup d’importance à l’avis de la Commission.
En vérité, les choses deviendraient vraiment difficiles si la France avait besoin de l’aide de la BCE après avoir complètement ignoré la Commission.
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12.11.2025 à 06:00
Matheo Malik
Pour penser une stratégie européenne face à la poussée chinoise, il faut commencer par la cartographier.
Alicia García-Herrero et Michal Krystyanczuk signent la première étude comparative qui traque les innovations radicales dans l’Union, en Chine et aux États-Unis en matière d’IA, de semi-conducteurs et d’informatique quantique — et formulent des recommandations pour amorcer un rattrapage continental.
L’article Les innovations radicales de la Chine dans l’IA et les semi-conducteurs : une enquête comparative est apparu en premier sur Le Grand Continent.
La suprématie dans les technologies critiques, en particulier l’intelligence artificielle, les semi-conducteurs et l’informatique quantique, est devenue le dénominateur de la puissance économique et stratégique 6.
Ces technologies sont à la base de tout — des armes autonomes à la modélisation climatique.
Leur contrôle façonne les chaînes d’approvisionnement mondiales, la sécurité nationale et la résilience économique.
L’ascension de la Chine dans ces technologies a été si rapide que l’on pense généralement qu’elle a déjà rattrapé les États-Unis, lui assurant ainsi l’autonomie qu’elle recherche depuis longtemps 7. La sortie du modèle d’IA open source et rentable DeepSeek au début de l’année 2025, modèle révolutionnaire qui a surpassé les références des géants américains tels que Meta tout en contournant les restrictions à l’exportation de puces, a par exemple renforcé l’idée que la Chine était en passe de dépasser rapidement les États-Unis en matière d’innovation dans le domaine de l’IA. L’Union européenne est, quant à elle considérée comme à la traîne en matière de percées technologiques dans ces domaines 8.
Dans cette étude, nous montrons, à l’aide d’une analyse utilisant des grands modèles de langage (LLM) 9, où se situe la Chine par rapport aux États-Unis et à l’Union en matière d’IA, de semi-conducteurs et d’informatique quantique.
Nous classons les trois économies en fonction de leurs recherches fondamentales dans ces domaines et examinons la rapidité avec laquelle chacune reproduit les innovations brevetées par les autres pays. Cette question est importante car si ces retombées technologiques se produisent rapidement, elles peuvent atténuer les conséquences d’un manque de percées technologiques pour les pays ou les régions qui ne sont pas à la pointe.
Enfin, nous examinons les entreprises ou les instituts de recherche à l’origine de la plupart de ces percées — et la manière dont ils diffèrent en Chine, aux États-Unis et dans l’Union 10.
La Chine semble réussir dans les domaines de l’IA, des semi-conducteurs et de l’informatique quantique, mais avec quelques réserves.
Si l’Europe veut concevoir une stratégie d’innovation plus efficace dans ces technologies, il est essentiel de comprendre comment Pékin a pu gravir si rapidement les échelons de l’innovation et pourquoi l’Union a pris du retard. Une meilleure stratégie permettrait de réduire l’écart entre l’Union et les États-Unis et, dans de nombreux cas, entre l’Union et la Chine.
Depuis 2019, le nombre de dépôts de brevets chinois dans les domaines de l’IA, des semi-conducteurs et de l’informatique quantique a explosé. Mais jusqu’en 2023, la Chine n’avait pas encore dépassé les États-Unis 11. En termes de brevets pour les « innovations radicales », la Chine se classe en deuxième position derrière les États-Unis dans les domaines de l’IA et des semi-conducteurs 12. L’Union occupe une lointaine troisième place — sauf dans le domaine des technologies quantiques, où elle est à peu près à égalité avec la Chine en termes d’innovations radicales, même si les deux sont encore très loin derrière les États-Unis.
Les progrès chinois sont particulièrement évidents dans le domaine des innovations radicales liées aux semi-conducteurs, suivi par l’IA et, dans une moindre mesure, par les technologies quantiques. Les États-Unis dominent clairement ce dernier domaine. Ils dominent également celui de l’IA, même si la Chine rattrape son retard.
En ce qui concerne les semi-conducteurs, la Chine semble avoir pris la tête, mais notre analyse ne tient pas compte de deux acteurs majeurs dans ce domaine : la Corée du Sud et Taïwan. C’est une donnée importante : ces deux pays sont plus proches de l’écosystème américain et l’alimentent avec des avancées qui ne sont pas prises en compte dans notre analyse.
Dans la mesure où la domination sur un domaine aussi vaste que l’IA, les semi-conducteurs ou l’informatique quantique n’est pas forcément révélatrice en soi, il est plus utile de mener une analyse des sous-domaines de ces technologies critiques pour donner un aperçu plus concret de l’état de l’art.
Dans le domaine de l’IA, tout d’abord, les progrès les plus importants qu’a connus la Chine ont été réalisés dans le domaine de la vision par ordinateur pour la surveillance et les systèmes autonomes ; si l’on additionne les innovations radicales dans ce domaine faites par l’Union européenne, la Chine et les États-Unis, la Chine est à l’origine de plus de 40 % d’entre elles.
L’avantage comparatif de la Chine dans ces domaines s’est rapidement traduit par la mise en œuvre rapide d’une infrastructure numérique de ville intelligente qui traite quotidiennement des millions de points de données 13. Dans le domaine de l’IA pour les drones et les véhicules aériens, les entreprises chinoises sont en tête avec 55 % de l’ensemble des avancées réalisées en Chine, dans l’Union et aux États-Unis. La Chine a notamment été pionnière dans le domaine de l’intelligence distribuée pour la logistique (Swarm Intelligence), dépassant les États-Unis (de même que l’Union, qui est encore plus en retard 14).
Dans le domaine des semi-conducteurs, l’avance de la Chine repose sur des sous-domaines fortement orientés sur le hardware et la production.
La Chine y représente 65 % du total des brevets innovants déposés les trois espaces économiques considérés réunis ; elle porte une attention particulière à l’empilement 3D pour la mémoire haute densité 15. Cette technologie est essentielle pour les appareils d’IA de pointe, ce qui signifie que la Chine pourrait probablement produire des puces d’IA si elle n’était pas confrontée à d’autres contraintes, notamment en matière de lithographie 16. La mise à niveau rapide des puces chinoises s’est accompagnée d’un soutien gouvernemental très important, notamment via le programme « Made in China 2025 » 17. L’expansion chinoise, de la fabrication des semi-conducteurs à l’extraction des matériaux nécessaires à la robotique et à l’automatisation, reflète également une stratégie délibérée visant à internaliser des capacités auparavant importées, transformant la coordination industrielle en un multiplicateur technologique.
Le domaine dans lequel la Chine semble le plus en retard est celui du quantique. Les États-Unis dominent la plupart des sous-domaines quantiques, en particulier l’informatique quantique. Néanmoins, la Chine excelle dans certains, tels que les systèmes à ions piégés pour les capteurs évolutifs qui améliorent la précision des mesures — l’une des applications de ces capteurs est la prévision des tremblements de terre 18.
Si la Chine a donc clairement progressé dans le domaine des technologies critiques, les États-Unis restent globalement dominants pour deux raisons.
Premièrement, les États-Unis ont tendance à dominer les sous-domaines les plus avancés, notamment l’apprentissage automatique, la conception de puces, l’ingénierie des matériaux et le contrôle des systèmes quantiques.
Deuxièmement, les États-Unis ont une structure plus verticalement intégrée, axée sur l’approfondissement de la spécialisation en matière d’algorithmes et de conception, qui peut ensuite servir de base à des percées technologiques dans le domaine du hardware.
Cette interconnexion accélère la diffusion entre technologies.
Par exemple, les améliorations algorithmiques dans le domaine de l’IA améliorent la conception des puces, tandis que les progrès en matière de contrôle quantique se répercutent sur les architectures informatiques. Les mêmes entreprises et institutions opèrent souvent au-delà de ces frontières, soutenant les cycles d’innovation même si la fabrication est délocalisée. Il en résulte un écosystème américain moins diversifié que celui de la Chine, mais difficile à reproduire car il conserve le contrôle des étapes de conception, d’optimisation et d’intégration des données, qui génèrent les retombées les plus importantes tout au long de la chaîne de valeur.
L’Europe reste forte dans certains sous-domaines — notamment la robotique, l’IA médicale, l’électronique de puissance, la lithographie et la photonique quantique — mais ces avantages sont clairement plus fragmentés et isolés que ceux des États-Unis et de la Chine. Des opportunités de rattrapage s’offrent toutefois à l’Union dans des niches complémentaires.
Dans le domaine de la photonique quantique, elle détient 28 % des innovations radicales des trois espaces économiques envisagés — soit plus que la Chine.
En matière d’éthique de l’IA et de modèles explicables, l’Union est légèrement en retard avec 18 % contre 20 % pour la Chine ; elle est à l’initiative d’innovations dans les cadres d’atténuation des biais qui s’alignent sur le Règlement général sur la protection des données de l’Union, offrant une voie vers des normes exportables. Dans le domaine des semi-conducteurs, la part de 15 % de l’Europe dans la lithographie ne reflète pas la position d’avantage évidente renforcée par le quasi-monopole de la société néerlandaise ASML sur les outils de lithographie extrême ultraviolet 19.
En résumé, les avantages dont bénéficient les États-Unis et la Chine sont différents mais tous deux solides tandis que l’Union est à la traîne.
La concentration de la Chine sur les technologies liées à la fabrication soutient sa capacité à se développer selon une logique d’expansion industrielle. Les États-Unis parviennent à un retour d’information rapide entre la conception et l’application grâce à une intégration étroite. Le profil plus plat de l’Europe reflète une excellence dans des domaines individuels, mais une faible connectivité. En d’autres termes, l’Europe fait preuve de profondeur sans densité ni capacité de faire jouer l’effet d’échelle de son marché.
Les écosystèmes d’innovation en Chine, aux États-Unis et dans l’Union diffèrent considérablement. Les innovateurs chinois sont beaucoup plus diversifiés que leurs homologues américains, tandis que l’Europe se situe entre les deux, même si elle s’appuie davantage sur les centres de recherche publics.
Aux États-Unis, les entreprises technologiques dominent tout le spectre des innovations radicales.
Microsoft, IBM, Intel et Qualcomm se distinguent par leur implication dans plusieurs technologies critiques, tandis que Micron Technology, Google et Amazon figurent également parmi les dix premiers innovateurs américains en termes de nombre de brevets novateurs. Cette forte concentration dans le domaine technologique présente un risque, mais offre également l’avantage de favoriser les synergies. En outre, cet écosystème concentré, soutenu par le plus grand marché de capital-risque au monde, garantit une commercialisation rapide, même s’il risque de cloisonner l’innovation dans le domaine numérique, plutôt que de la diversifier dans tous les secteurs.
Les entreprises américaines sont les plus performantes dans les domaines de la conception et des logiciels. En particulier, les entreprises d’IA telles que Microsoft, Google, IBM et Nvidia sont à la pointe des avancées en matière d’apprentissage automatique et de traitement automatique des langues, tandis qu’Amazon se concentre sur le traitement automatique appliqué. Dans le domaine des semi-conducteurs, les entreprises américaines innovent davantage que les entreprises chinoises ou européennes en matière de conception de puces, de matériaux et d’électronique de puissance — Intel, Qualcomm, Applied Materials et Micron ayant mis en place un réseau dense de coopération tout au long de la chaîne de valeur 20.
Dans le domaine de l’informatique quantique, IBM, en collaboration avec certaines universités clefs, est à la pointe dans le domaine du hardware et des systèmes de contrôle — combinant recherche et commercialisation précoce de produits.
Ces liens entre l’IA, les semi-conducteurs et les technologies quantiques ont de fortes retombées intersectorielles et aident les nouvelles idées à passer rapidement des laboratoires au marché. Par exemple, la puce quantique Willow de Google, construite à partir de semi-conducteurs avancés et d’une correction d’erreurs par IA, permet une mise à l’échelle rapide des qubits pour les simulations de batteries et de médicaments, grâce à des outils open source qui accélèrent la mise sur le marché, en quelques minutes, d’idées issues des laboratoires — une tâche qui dépasse les capacités des supercalculateurs classiques 21.
La forte concentration d’entreprises technologiques dans l’écosystème américain de l’innovation pour les technologies critiques met en évidence la véritable force des États-Unis : l’intégration profonde de la recherche, de l’ingénierie et de la commercialisation. Cela permet de traduire la science de pointe en technologies pouvant être mises à l’échelle. C’est particulièrement vrai pour les technologies critiques dont les écosystèmes se renforcent mutuellement : l’IA dépend de puces avancées et les progrès dans le domaine du quantique reposent sur la conception assistée par l’IA.
Mais la concentration de la recherche fondamentale dans quelques entreprises a également ses limites.
Premièrement, les petites innovations sont facilement captées par les grandes entreprises technologiques, ce qui peut freiner l’émergence de nouvelles pistes et conduire à une dépendance technologique. En d’autres termes, la domination des grandes entreprises technologiques, bien que positive en termes de synergies, peut découler de l’innovation réalisée par de petits acteurs qui ne peuvent rivaliser avec ces entreprises et sont rapidement rachetés par ces dernières — ce qui rend difficile l’accès à d’autres voies d’innovation.
Deuxièmement, les domaines d’excellence scientifique ont tendance à être étroitement liés aux besoins de ces entreprises — les technologies numériques et algorithmiques — mais accordent moins d’attention aux applications industrielles et au hardware.
L’écosystème technologique critique américain est donc performant mais étroit. Pour rester en tête, les États-Unis ne pourront peut-être pas se contenter de maintenir leur vitesse et leur potentiel en matière de recherche et développement — à moins de favoriser une participation plus large de l’ensemble des industries.
Contrairement aux États-Unis, la Chine dispose d’un mixte équilibré d’entités privées et publiques.
Mais ce qui la distingue vraiment, c’est la participation d’entreprises très différentes issues de secteurs variés, ce qui rend l’écosystème plus diversifié et permet différentes formes de synergies.
Si Huawei domine les trois domaines de pointe — IA, puces et quantique, ce qui souligne son importance — les types d’entreprises travaillant dans ceux-ci sont beaucoup plus variés qu’aux États-Unis.
Les champions de l’innovation dans le domaine des semi-conducteurs (TCL Technology, Changxin Memory, Yangtze Memory et SMIC) coexistent avec des géants des télécommunications tels que Huawei, mais des avancées décisives proviennent également par exemple de Ping An, une compagnie d’assurance à la pointe des innovations en matière d’IA pour l’analyse prédictive dans le domaine de la santé 22.
Les plateformes technologiques telles que Tencent et ByteDance innovent également dans le domaine de l’IA pour le traitement vidéo, tout comme les acteurs de la robotique Autel et UBTECH, pionniers des capteurs quantiques pour l’automatisation industrielle. L’entreprise d’articles ménagers Haier contribue quant à elle à l’efficacité du refroidissement des centres de données.
Cette diversité, qui couvre plus de 15 domaines où l’industrie et le monde universitaire sont étroitement liés — notamment via les hubs de l’université Tsinghua — permet une diffusion dans des domaines tels que l’IA pour la surveillance et la logistique du commerce électronique. Le modèle chinois encourage toutes les entreprises à mener des activités approfondies de R&D, grâce à des programmes de politique industrielle tels que « Little Giants » 23.
L’écosystème plus diversifié de la Chine présente donc un avantage différent de celui des États-Unis : il allie politique industrielle et expérimentation du marché.
Le financement public et la coordination fournissent une orientation, tandis que les entreprises privées se font concurrence pour proposer des applications pratiques à grande échelle. Il en résulte une base d’innovation en rapide évolution qui relie les technologies numériques à la fabrication, conformément aux priorités nationales.
L’Europe s’appuie davantage sur les centres de recherche publics, notamment dans le domaine de la physique quantique, où des institutions telles que le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) en France et des universités 24 sont à la pointe de l’innovation, générant 60 % des innovations radicales de l’Union dans ce domaine. La participation des entreprises privées est toutefois plus limitée qu’aux États-Unis et en Chine, en particulier dans les domaines de l’IA et des semi-conducteurs. Il existe toutefois des exceptions notables, comme Ericsson et Nokia dans le domaine de l’IA pour l’informatique 5G, ou encore Infineon, qui représente 42,9 % du total des innovations chinoises, européennes et américaines dans le domaine des semi-conducteurs de puissance 25.
L’Europe compte également deux entités qui excellent dans ces trois domaines : l’entreprise suédoise Ericsson et le CEA français. Bien que de nature très différente — une entreprise privée de télécommunications et un centre de recherche public —, ces deux entités ont des points communs très importants : des dépenses de R&D supérieures à celles de leurs homologues 26 et une coopération étroite avec d’autres leaders de la recherche 27.
Malgré ces exemples relativement réussis, la réalité est que le nombre et l’ampleur des avancées européennes dans le domaine des technologies numériques sont inférieurs à ceux de la Chine et des États-Unis.
Cette situation est probablement liée à l’absence d’un marché intégré pour la recherche fondamentale et à la fragmentation du marché unique — qui limite la capacité des entreprises à commercialiser leurs innovations de manière rentable.
Si la concurrence pour les premières places en matière de brevets novateurs est importante, la capacité à reproduire les grandes idées innovantes l’est tout autant.
Afin d’évaluer la manière dont la Chine, l’Union et les États-Unis reproduisent les avancées technologiques dans les domaines critiques, nous avons mené avec Robin Schindowski une analyse des retombées technologiques 28.
Pour l’Europe, les résultats sont très négatifs.
Dans ce contexte, les retombées font référence à la diffusion de nouvelles technologies ou d’idées d’une région à d’autres. Elles sont calculées en mesurant le délai entre la publication d’un brevet original et radicalement novateur et l’apparition de technologies similaires dans des brevets d’autres régions.
Parmi les trois technologies critiques analysées, c’est l’IA qui se diffuse le plus rapidement.
La Chine excelle dans la reproduction des brevets novateurs des États-Unis ou de l’Union, reproduction faite en seulement six mois. Les flux bidirectionnels entre les États-Unis et la Chine (par exemple, les conceptions de Nvidia inspirant des alternatives Huawei) sont assez évidents, car les États-Unis reproduisent également rapidement les brevets chinois. En ce qui concerne les puces, la Chine est environ deux fois moins rapide que dans les domaines de l’IA et du quantique pour reproduire les brevets américains — cette lenteur relative est à relier au fait que la plupart des contrôles à l’exportation américains concernent les semi-conducteurs 29.
Les pays de l’Union, quant à eux, mettent entre 18 et 24 mois pour reproduire les innovations chinoises ou américaines, qu’il s’agisse d’IA, de puces ou de technologie quantique. Il est intéressant de noter que les innovateurs européens mettent un peu moins de temps à reproduire les nouveaux brevets chinois que les nouveaux brevets américains, en particulier dans les domaines de l’IA et de la technologie quantique. En ce qui concerne les puces, le retard de reproduction de l’Union est à peu près le même pour les brevets américains et chinois.
La reproduction beaucoup plus lente des brevets américains ou chinois par l’Europe est clairement un problème. Ce problème est encore aggravé par le fait que, au sein de l’Union, la vitesse de reproduction est également très lente. En d’autres termes, le temps moyen nécessaire pour qu’une innovation d’un pays de l’Union soit reproduite par un innovateur d’un autre pays de l’Union est aussi long, voire plus long, que le temps nécessaire à un innovateur européen pour reproduire un brevet chinois — la reproduction des innovations américaines restant la plus lente.
Ce constat est aussi frappant qu’inquiétant et mérite une analyse plus approfondie des raisons qui l’expliquent.
Notre analyse de la fragmentation dans les domaines de l’excellence en matière de recherche en Europe, ainsi que des différences entre les profils de ses innovateurs par rapport à ceux des États-Unis et de la Chine, offre quelques indices :
Les États-Unis continuent de dominer la production d’innovations radicales dans les domaines de l’IA, des semi-conducteurs et de l’informatique quantique, grâce à un écosystème concentré de très grandes entreprises technologiques privées qui excellent dans des sous-domaines à forte valeur ajoutée et favorisent une commercialisation rapide. Ce modèle soutient 35 à 40 % des innovations radicales en Chine, dans l’Union et aux États-Unis, transformant les percées théoriques en industries pesant plusieurs milliers de milliards de dollars.
La Chine s’est imposée comme un redoutable concurrent, se plaçant en deuxième position ; elle s’illustre notamment dans la fabrication de semi-conducteurs et dans certaines applications de l’IA comme la surveillance vidéo et les essaims de drones aériens. Cela est dû à son modèle hybride et à son passage à l’échelle soutenu par l’État, qui lui permettent d’absorber et d’adapter rapidement les avancées technologiques.
En revanche, malgré ses points forts dans la photonique quantique et l’IA explicable, l’Union génère beaucoup moins d’innovations que les États-Unis ou la Chine et peine à tirer parti des retombées, ce qui limite sa capacité à suivre le rythme. Si l’Europe domine certains créneaux, comme le monopole d’ASML sur la lithographie extrême ultraviolet, la fragmentation de l’innovation constitue un inconvénient évident.
Cette disparité pourrait s’aggraver si l’Union ne redouble pas rapidement d’efforts pour innover davantage dans les technologies critiques et créer les écosystèmes appropriés permettant de reproduire plus rapidement les avancées technologiques. Elle doit également augmenter le nombre d’innovateurs. Le financement est un aspect important du rattrapage rapide de la Chine par rapport aux États-Unis ; or, ironiquement, l’Union dépense plus que la Chine en recherche fondamentale : 47,5 milliards de dollars en 2024, contre 34,7 milliards de dollars pour la Chine 31. Cependant, la croissance des dépenses de recherche fondamentale en Chine est deux fois supérieure à celle de l’Union (plus de 10 % contre 5 %). En d’autres termes, la convergence est très rapide.
Pour aller plus loin, la Chine a renforcé sa politique industrielle, en accordant une attention particulière aux technologies critiques, notamment aux semi-conducteurs. La poussée chinoise dans ce domaine a commencé avec un plan directeur de politique industrielle lancé en 2015, Made in China 2025. L’effort industriel dans le domaine des puces a été financé par deux initiatives majeures, le Big Fund I et le Big Fund II, qui ont mobilisé l’équivalent de 90 milliards de dollars 32.
Les résultats de ces efforts commencent maintenant à se faire sentir. La Chine a progressé, en particulier dans la fabrication de puces, mais des défis subsistent en matière de conception. De manière plus générale, les économies d’échelle considérables réalisées par la Chine facilitent la commercialisation de la recherche fondamentale, avec des produits déployables pour lesquels il existe un vaste marché unique, en plus de l’énorme machine d’exportation chinoise.
Si la politique industrielle est un facteur important de la dynamique d’innovation de la Chine, il convient toutefois d’éviter tout jugement simpliste attribuant le succès du pays à d’importantes subventions. La politique industrielle chinoise aligne stratégiquement les objectifs à long terme définis dans les plans quinquennaux avec des mécanismes de mise en œuvre flexibles, notamment la sélection d’entreprises spécialisées par le biais de programmes tels que « Little Giants ». Ces programmes donnent la priorité à un développement marqué de la R&D et à la concentration sectorielle afin de canaliser efficacement les ressources vers différentes technologies, y compris les domaines critiques que nous avons analysés. Les leviers politiques comprennent également des allègements fiscaux pour la R&D et soulignent la capacité de la Chine à prendre la tête dans des domaines ciblés.
L’Union ne peut pas copier la politique industrielle de la Chine en raison de différences institutionnelles marquées, mais elle doit faire davantage en matière d’innovation. Une leçon essentielle pour l’Europe est que, dans un monde où le passage à l’échelle et la vitesse définissent le leadership technologique, une forme fragmentée d’excellence risque de devenir obsolète. Le dynamisme du secteur privé américain et l’agilité chinoise — orchestrée par l’État — contrastent avec la prudence de l’Europe en matière de réglementation. Sans réforme, l’Union continuera de perdre du terrain face aux États-Unis et à la Chine.
En tirant les leçons de l’ascension de la Chine, notamment en ce qui concerne la précision de ses subventions, son efficacité à exploiter les retombées technologiques et son dynamisme intersectoriel, l’Union peut remodeler ses politiques d’innovation. Elle doit également se concentrer, bien plus que les États-Unis et la Chine, sur l’échelle de son marché, non seulement pour les biens et les services, mais aussi pour l’innovation.
L’Europe devrait mettre en œuvre une stratégie multiforme visant à renforcer la recherche fondamentale tout en accélérant la diffusion des innovations, en renforçant l’intégration du marché unique et les liens entre recherche et commercialisation. Outre le financement, cela nécessite une refonte institutionnelle, s’inspirant de manière sélective du modèle industriel chinois, notamment en ce qui concerne l’accent mis sur l’innovation, tout en préservant les valeurs d’ouverture et de durabilité de l’Union.
Nous proposons ces cinq recommandations essentielles.
L’article Les innovations radicales de la Chine dans l’IA et les semi-conducteurs : une enquête comparative est apparu en premier sur Le Grand Continent.
05.11.2025 à 19:30
Matheo Malik
En économie, la doctrine Trump est chaotique, incohérente, difficilement compréhensible — mais elle existe.
Si le président n’a pas encore transformé l’économie mondiale, il est peut-être en train de changer le modèle américain.
L’article Comprendre la doctrine Trump, une conversation avec Olivier Blanchard et Isabelle Mateos y Lago est apparu en premier sur Le Grand Continent.
Elle est incohérente, mais elle existe. Je crois qu’elle comprend trois éléments.
Le premier est le sentiment que les États-Unis sont exploités par les autres pays ; Trump justifie ce sentiment par les déficits de la balance commerciale, qu’il interprète dans le sens d’une exploitation. C’est là une explication à laquelle il croit profondément.
Deuxièmement, pour Trump, la solution est très simple : les droits de douane changeront la donne. Il en est également persuadé.
Le troisième et dernier élément est la notion que les États-Unis ont établi et suivi les règles du commerce international pendant longtemps, mais que ce commerce a joué en leur défaveur. Ceci est un peu paradoxal dans la mesure où les États-Unis étaient présents à la création de celui-ci ; du reste, la majorité de l’opinion publique pense qu’il a joué en leur faveur. Trump n’en démord pas cependant ; il est persuadé que les États-Unis sont lésés, de même qu’il croit à la loi du plus fort.
D’autres dimensions, bien sûr, sont à prendre en compte.
Trump fait partie d’une coalition faite de gens assez différents. Il faut distinguer dans son agenda ce qu’on appelle l’aspect « red meat » – des sujets qui lui importent peu, mais dont il sait qu’ils vont bien fonctionner avec son électorat.
Je ne pense pas par exemple que le programme de la Heritage Foundation soit vraiment une cause à laquelle Trump tienne ; il a cependant réalisé qu’il y avait là une armée de gens compétents prêts à le suivre. Trump a donc adopté un certain nombre de mesures, comme la diminution des impôts pour les plus riches, etc.
De même, je ne pense pas que Trump ait une opinion profonde au sujet du réchauffement climatique, qui serait à la racine de son rejet. Il dit ne pas aimer les éoliennes parce qu’elles ne sont pas esthétiques : au-delà de cet aspect, s’agit-il réellement d’une conviction, ou bien a-t-il réalisé que le sujet pouvait mobiliser les foules, que c’était un aspect « woke » qu’on pouvait critiquer ?
En ce qui concerne la mission de dégorger l’État avec le DOGE, je crois que le président américain n’est pas contre, mais qu’il n’a pas d’opinion très arrêtée au sujet de l’État. Tout cela me paraît transactionnel.
Il est sidérant de voir à quelle vitesse peut aller quelqu’un qui veut entreprendre un projet sans se préoccuper des lois. Sur ce point, Trump a réussi à obtenir ce qu’il souhaitait.
Olivier Blanchard
Tout d’abord, les déficits de la balance commerciale ne relèvent pas de l’exploitation des États-Unis par le monde, comme Trump voudrait le faire croire.
Ils ont deux sources.
La première est que les États-Unis ont un déficit budgétaire très important qu’il faut financer, ce que les étrangers sont ravis de faire. Ceci est positif pour les États-Unis. Ils ne pourraient pas se permettre d’avoir un tel déficit si les étrangers ne pouvaient intervenir.
De plus, les actifs américains, en particulier les bons du Trésor, sont à l’heure actuelle l’actif le plus sûr au monde. C’est un marché de 30 000 milliards de dollars, où l’on peut acheter et vendre des quantités énormes, ce qui rend l’investissement aux États-Unis particulièrement intéressant.
Le déficit budgétaire ne relève donc pas de l’exploitation ; en vérité, il fait partie de la politique budgétaire des États-Unis et constitue pour eux un avantage.
Bien que Trump considère que les tarifs sont la solution à ce « problème » qui n’en est pas un, la position des économistes à ce sujet est différente ; ils estiment que les tarifs ont en général un effet limité sur la balance commerciale. Ils envisagent en effet cette dernière comme la différence entre l’investissement et l’épargne : vu de cette manière, les tarifs n’ont pas un effet évident.
De même, on peut penser qu’instaurer des tarifs très élevés pour un pays par rapport aux autres aura des effets sur le déficit bilatéral ; en vérité, cela ne change pas grand-chose : on augmente ainsi les déficits avec les autres pays. On a pu le constater : désormais, le déficit des États-Unis par rapport à la Chine est nettement plus bas, mais le déficit global des États-Unis est exactement le même, s’il n’est pas légèrement supérieur.
Les économistes sont donc capables de dire parfois quelque chose de correct. Du reste, cette loi du plus fort que veut incarner Trump est une perte gigantesque pour le monde à moyen terme : ne pas savoir quelles sont les règles du commerce crée une incertitude à long terme, au-delà des changements incessants de tarifs. On a le sentiment que l’OMC n’est plus l’endroit où l’on peut résoudre les conflits.
La loi du plus fort peut aussi jouer en défaveur des États-Unis : à ce jeu-là, ils peuvent eux-mêmes trouver quelqu’un de plus fort. La Chine l’a très bien montré avec les terres rares ; c’est là un levier extraordinaire.
De mon point de vue, Trump a fait une lourde erreur, tant dans l’élaboration de sa doctrine que dans sa gestion de la situation. La doctrine Miran était une doctrine de complaisance : Miran veut faire plaisir à Trump. Il a donc songé qu’une manière de réduire les déficits de la balance commerciale serait de diminuer l’attrait des actifs américains ; que les investisseurs étrangers ne soient pas prêts à acheter. La conséquence serait que le dollar se déprécierait et que le déficit de la balance diminuerait.
Miran a parfaitement raison, mais c’est une solution folle ; la proposition a été très rapidement enterrée, il n’est donc pas nécessaire d’épiloguer dessus.
Ce qui est surprenant malgré ce tour des événements très défavorable aux États-Unis, c’est que leur économie se porte plutôt bien. L’inflation est trop élevée, mais c’était le cas avant Trump et pour le moment les tarifs n’ont pas eu d’effet. On comprend cependant pourquoi : pour le moment, ce sont les marges des importateurs qui ont absorbé le coût ; les Chinois n’ont pas diminué les leurs, ni abaissé les prix. De ce point de vue-là, on peut vraiment penser que les tarifs finiront par stimuler l’inflation ; ce n’est pas un phénomène énorme, mais il aura lieu.
L’intelligence artificielle est l’autre aspect à prendre en compte. À l’heure actuelle, l’économie américaine est faite d’une juxtaposition de deux économies ; d’un côté, l’intelligence artificielle avec les data centers et un taux d’investissement très élevé qui pousse la croissance, et de l’autre, les secteurs affectés par les tarifs.
Ces deux économies combinées donnent pour l’instant une bonne croissance ; il n’est donc pas évident que Trump paie le coût de ses erreurs, car il est sauvé par le secteur de l’intelligence artificielle — du moins, pour le moment.
La politique des tarifs a aussi eu un effet dissuasif : si Trump espérait d’énormes investissements aux États-Unis, ceux-ci sont en réalité très limités.
Olivier Blanchard
Isabelle Mateos y Lago Je partage le cadre d’analyse d’Olivier Blanchard, et notamment la partie purement macroéconomique, mais je vais me faire l’avocat du diable sur ce qui est en train de se passer au niveau de l’économie américaine.
Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’une grande stratégie conçue par Donald Trump lui-même. Il est clair qu’il possède une fascination pour les tarifs et que le reste de son agenda n’est fait que d’emprunts hétéroclites, en fonction de ce qui lui paraît efficace.
Je pense toutefois que nous sommes en train d’assister à la transformation de l’économie américaine, d’une société consumériste où toutes les mesures de politique sont à l’avantage du consommateur et des classes moyennes, vers une économie de production ; cette transformation se fait à une vitesse météorique.
Les tarifs sont un outil à double tranchant de cette transformation. Ils avantagent les producteurs en les protégeant, tout en taxant les consommateurs. Ceux-ci, les classes moyennes et les plus modestes, paient ainsi les subventions aux producteurs ; ces subventions prennent la forme de tarifs mais aussi de baisses d’impôts et d’incitations à l’investissement, ainsi que de prises de participation directe du gouvernement américain.
On a pu dire que Trump n’aimait pas beaucoup l’État. Il n’aime pas les fonctionnaires, mais il aime un État fort. Il est en train de prendre des participations dans un certain nombre d’entreprises privées, presque de force. Il s’agit d’une forme de capitalisme étatique comme on ne l’a pas vue depuis longtemps aux États-Unis, pour autant qu’on ne l’ait jamais vue.
Le moteur de ces décisions est, je pense, une prise de conscience peut-être tardive que les États-Unis sont en train de se faire distancer par la Chine. Cela demande une réaction immédiate, une réaction qui permette de s’attaquer à la Chine, même si les effets sont un peu disproportionnés ; mais surtout, cela demande que les États-Unis se donnent les moyens de rattraper le temps perdu pour rester une puissance militaire et technologique dominante.
Faute d’avoir une politique industrielle qui prêtait attention à ce genre de sujet, les États-Unis ont perdu une forme d’autonomie industrielle aux dépens de la Chine, ce dont on se rend compte avec l’affaire des terres rares ; ils cherchent aujourd’hui à restaurer cette autonomie.
Je ne sais pas si Trump lui-même est l’architecte de tout ça ; néanmoins, il me semble qu’il y a quelque chose d’assez bien conçu derrière ce à quoi on assiste. Lors des réunions de printemps du FMI à Washington au mois d’avril, le consensus était que les États-Unis se dirigeaient vers une récession suite à la politique brutale de Trump. Pourtant, la Federal Reserve Bank d’Atlanta estime que la croissance au troisième trimestre est d’environ 4 % en rythme annualisé 34.
C’est une vraie bifurcation de l’économie américaine que l’on constate : d’une société consumériste à une économie de la production.
Isabel Mateos y Lago
Je pense que l’Europe peut tirer des leçons de cela. Au début de l’implémentation des tarifs, tous les économistes expliquaient que ceux-ci réduiraient la productivité et créeraient des complications administratives pour les entreprises ; qu’il s’agissait d’une source de corruption. Tout ceci est vrai ; néanmoins, pour l’instant, la vague d’investissement en matière d’intelligence artificielle, de software et de modernisation technologique en général compense largement ces désavantages.
En regardant les moteurs de l’économie américaine, on constate que celle-ci a complètement bifurqué. La moitié des 4 % de croissance de l’économie s’explique intégralement par l’investissement américain dans la technologie, l’intelligence artificielle et les data centers. L’investissement dans le reste de l’économie est complètement plat.
La consommation suit un schéma similaire : les ménages les plus aisés, avec des actifs boursiers, ont bénéficié d’un effet de richesse formidable grâce à l’appréciation des valeurs boursières. Ils consomment comme s’il n’y avait pas de lendemain, tandis que la partie inférieure de la distribution des revenus est au contraire obligée de se serrer la ceinture. L’attitude de l’administration envers les programmes d’assistance sociale risque d’empirer cette situation.
C’est une vraie bifurcation de l’économie américaine que l’on constate ; on observera plusieurs formes d’essoufflement l’année prochaine.
En attendant un tel tournant, je suis quelque peu démoralisée par la faiblesse des démocrates aux États-Unis ; lors de mes voyages, je leur demande pourquoi ils sont si peu visibles dans l’espace public ; ils me disent que les choses sont compliquées.
Pour l’instant, les électeurs apprécient plutôt ce que Trump est en train de faire en matière d’immigration et de lutte contre l’insécurité ; pourtant, ceux qui se réjouissent vivent le plus souvent dans des endroits où il n’y a ni immigrés, ni problèmes de sécurité.
Ces choses vont cependant changer : l’économie va ralentir et l’inflation mettra en colère l’électorat. Certes, l’inflation augmente déjà, elle est de 3,3 % ; je ne pense cependant pas que cela suffise pour susciter la colère ; il lui faudrait peut-être atteindre 10 % pour cela.
La situation va donc se prolonger encore un certain temps, sur fond d’aggravation des conflits sociaux qui poussent à la radicalisation. L’élection du maire de New York changera peut-être les choses. Je pense qu’il y a un risque fort que la société américaine se polarise à l’extrême, à mesure que cette économie continue à avancer dans cette direction.
La leçon pour l’Europe, ce n’est pas de dire que cette situation est absurde ; je pense que certains de ses traits pourraient nous inspirer : nous devons comprendre qu’il faut être fort, ce dont on s’est aperçu lors des négociations commerciales avec les États-Unis, mais aussi avec la Chine. Lors de ces deux séquences, l’Europe s’est aperçue qu’elle n’était pas forte.
La conséquence est plutôt que l’on n’est pas indépendant ni souverain ; l’Europe dépend des États-Unis pour sa sécurité et de la Chine pour ses approvisionnements en matériaux ; si cette dernière les interrompt, elle peut mettre à l’arrêt les entreprises de production automobile et de défense du continent en l’espace de quelques semaines.
La situation est donc simple : il nous faut acheter le temps de nous renforcer sur ces deux terrains-là. Je pense que c’est ce que l’Europe est en train de faire. Les choses ne seront cependant pas faciles.
Il ne s’agit donc pas de se contenter de dire que Donald Trump est désordonné ; il faut considérer la politique industrielle qu’il est en train de mener. Je pense qu’il faut que l’Europe réfléchisse à faire des choses similaires ; il serait mieux de le faire entre alliés.
Cependant, est-ce que les États-Unis sont encore un allié ? Ce qui me frappe dans l’économie américaine, c’est cet encouragement à tout va, cette prise de risque ; c’est un agenda de déréglementation des pratiques industrielles et du secteur bancaire que l’on y poursuit.
Le déficit budgétaire ne relève pas de l’exploitation ; en vérité, il fait partie de la politique budgétaire des États-Unis et constitue pour eux un avantage.
Olivier Blanchard
Certes, en Europe, on joue sur les mots pour dire que notre voie est différente du modèle américain : on dit faire quelque chose de différent, de la simplification, car l’on affirme tenir à notre modèle social. Toutefois, si l’on veut de la croissance et de l’innovation, il nous faut prendre des risques.
Sans aller nécessairement aussi loin que les Américains, qui prennent des risques inconsidérés et détruisent l’environnement, je pense qu’il serait bon d’ouvrir un débat sur l’utilité d’une prise de risque limitée.
Olivier Blanchard Dans la plupart des pays du monde, on constate que la colère monte ; aux États-Unis, Trump a réussi à la capturer pour s’en servir.
Cette colère remonte à plusieurs sources ; il y avait des problèmes très sérieux avec l’Organisation du commerce mondial et ce qu’on appelle le consensus de Washington.
Isabelle a touché deux points qui me paraissent très importants : le libre-échange et le marché libre sont une chose formidable pour les consommateurs, mais ils impliquent de grosses réallocations chez les producteurs ; cela peut être très coûteux sur le plan humain. L’impact d’une telle politique a été sous-estimé : elle est à l’origine du China Shock aux États-Unis. Dans la montée de cette colère, une telle chose a manifestement eu un rôle important.
L’autre chose à considérer est le rejet de toute politique industrielle ; nous avons considéré qu’il fallait laisser l’économie trouver ce qu’il fallait faire sans que l’État intervienne, puisqu’on jugeait qu’il ne pouvait que mal faire. Une telle position intellectuelle s’est révélée de plus en plus inacceptable vu la nature des nouvelles technologies qui sont à rendement croissant : il est très important dans ce domaine d’être le premier.
Là encore, Trump a su capturer la colère et y répondre, en prétendant protéger les consommateurs : il a limité l’immigration et mis en place une politique industrielle ; qu’on l’approuve ou non, elle est probablement utile pour les États-Unis.
Pour l’instant, les électeurs apprécient plutôt ce que Trump est en train de faire en matière d’immigration et de lutte contre l’insécurité.
Isabelle Mateos y Lago
Les démocrates américains et l’Europe se demandent aujourd’hui ce qu’ils peuvent faire ; pour les démocrates, il leur faut admettre que ces deux points sont importants ; en Europe, je pense qu’il faut également tirer ces deux leçons.
La colère est là : la destruction créative à l’œuvre dans l’économie est un élément important, mais humainement coûteux — il faut en tenir compte.
Nous devons développer une politique industrielle. Est-il trop tard pour cela ? Pouvons-nous mettre en place une partie du plan Draghi ? Je crois que c’est en effet une priorité, indépendamment de ce qui se passe aux États-Unis.
Isabelle Mateos y Lago Je vais répondre en rebondissant sur la question de la doctrine Miran sur le système monétaire international : certes, celle-ci a été mise à la poubelle assez rapidement, mais il existe une autre doctrine Miran qui n’a pas autant attiré l’attention, concernant la Réserve fédérale américaine. Elle contenait des propositions concernant le rôle auquel devait être réduite la Réserve, qui ont été reprises presque intégralement par Scott Bessent ; dans certains scénarios, elle aboutirait à faire de la Réserve un bras armé de la Maison-Blanche.
Je pense que c’est là quelque chose de très dangereux. Nous attendions Trump sur les droits de douane, il en avait parlé dès son premier mandat ; quant à la Réserve fédérale, nous verrons en janvier la tournure que prennent les événements avec la décision de la Cour suprême concernant la tentative de démettre Lisa Cook sans la moindre raison.
Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait un risque que l’indépendance de la Réserve soit détruite du jour au lendemain ; si une telle chose arrive, elle aura non seulement des conséquences sur les marchés américains, et donc sur les marchés financiers mondiaux, mais elle suscitera aussi des émules. Je constate qu’au Royaume-Uni, Nigel Farage commence à reprendre le même agenda pour menacer la Banque d’Angleterre ; on ne tardera pas à voir la même chose à l’encontre de la BCE et d’autres banques centrales.
C’est là une chose que je juge très préoccupante ; j’espère que la Cour suprême fera ce qu’il convient et que la situation ne deviendra pas hors de contrôle.
Olivier Blanchard Il faut en effet se rendre compte que l’arbre cache la forêt. Nous sommes obsédés par Trump ; pourtant, en Europe aussi, la colère qu’il a exploitée est là ; son expression prendra une forme différente.
Dans la plupart des pays du monde, on constate que la colère monte ; aux États-Unis, Trump a réussi à la capturer pour s’en servir.
Olivier Blanchard
Trump est très idiosyncrasique dans ses réactions et la manière dont il fait les choses ; en Europe cependant, nous avons maintenant neuf gouvernements sur vingt-sept où l’extrême droite est au pouvoir ; la situation ne va pas s’améliorer.
Je dirais que c’est la vitesse à laquelle s’enchaînent les événements qui m’a frappé depuis le début du second mandat de Trump. Il est sidérant de voir à quelle vitesse peut aller quelqu’un qui veut entreprendre un projet sans se préoccuper des lois. Sur ce point, Trump a réussi à obtenir ce qu’il souhaitait ; sa cruauté effroyable a arrêté le flux aux frontières, sans beaucoup d’effet sur le stock.
Mon étonnement est un étonnement d’économiste : je pensais que l’incertitude associée au changement de tarifs quotidien paralyserait l’investissement ; pourtant, même en mettant de côté l’intelligence artificielle, celui-ci ne s’est pas effondré. J’en suis étonné.
On pourrait du reste avancer que les tarifs peuvent convaincre les entreprises de s’installer dans le pays qui les a mis en place ; nous avons pensé qu’une telle situation pouvait se produire. Rien de tel n’a eu lieu, et c’est sans doute dans ce domaine que l’incertitude joue un rôle : on ne peut guère construire une usine au Texas en l’exposant aux changements d’humeur de Trump, ou à la possibilité d’un gouvernement démocrate dans quelques années.
Cette politique tarifaire a donc aussi un effet dissuasif : si Trump espérait d’énormes investissements aux États-Unis, ceux-ci sont en réalité très limités.
L’article Comprendre la doctrine Trump, une conversation avec Olivier Blanchard et Isabelle Mateos y Lago est apparu en premier sur Le Grand Continent.