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06.10.2025 à 16:28

Les citadins sont-ils prêts à réduire la place de la voiture pour végétaliser la ville ?

Maia David, Professeure et chercheuse en économie de l’environnement, AgroParisTech – Université Paris-Saclay

Basak Bayramoglu, Directrice de recherche INRAE, Directrice adjointe de l'unité PSAE

Carmen Cantuarias-Villessuzanne, Chercheuse associée, Université Paris-Saclay; École Supérieure des Professions Immobilières

Laetitia Tuffery, Maîtresse de conférences en économie, Université de Nîmes

Face aux canicules, la végétalisation des villes s’impose. Mais verdir l’espace public revient souvent à rogner sur la place de la voiture, ce qui peut être source de conflits.
Texte intégral (3152 mots)
Pour végétaliser les villes, il faut trouver de l’espace et donc en prendre à la voiture. Et c’est là que, parfois, les choses coincent… Source : Métropole de Lyon, Fourni par l'auteur

Face à la multiplication des vagues de chaleur, les villes doivent se réinventer. La végétalisation fait partie de la palette de solutions possibles, mais se heurte à une difficulté : pour cela, il faut souvent réduire l’espace alloué à d’autres usages, comme la circulation ou le stationnement automobile. Une étude récente, menée à Lyon (Rhône), suggère que les citadins sont prêts à soutenir de telles mesures… à condition que son impact reste limité et que ses bénéfices concrets soient perceptibles.


La France a de nouveau subi pendant l’été 2025 une canicule parmi les plus intenses jamais enregistrées. Le mois de juin 2025 a ainsi été le plus chaud jamais mesuré en Europe de l’Ouest. À cette occasion, plusieurs villes ont franchi la barre des 40 °C, comme Bordeaux (41,6 °C), Toulouse (41,5 °C), Angoulême (42,3 °C) ou Nîmes (41,8 °C).

L’intensification des vagues de chaleur, tant en termes de fréquence que de durée, contribue à rendre les espaces urbains de plus en plus difficiles à vivre. En cause, l’effet d’îlot de chaleur urbain (ICU) : l’asphalte et le béton, par exemple, stockent la chaleur, et le peu de végétation limite le rafraîchissement nocturne par évapotranspitation.

Face à ces extrêmes devenus la norme, les villes doivent se réinventer et créer des « îlots de fraîcheur urbains », des zones refuges où les températures sont plus clémentes.

Plusieurs approches peuvent être envisagées.

  • Elles peuvent s’appuyer sur des changements de comportement des citadins, comme l’aération nocturne des logements, l’adaptation des horaires de travail ou encore la réduction des activités extérieures en période de forte chaleur.

  • Elles peuvent aussi reposer sur des aménagements techniques et architecturaux, tels que la construction de bâtiments bioclimatiques, l’utilisation de revêtements à fort albédo ou l’irrigation ponctuelle des espaces extérieurs.

  • Une troisième voie, enfin, réside dans l’accroissement de la végétation urbaine, largement documentée dans la littérature scientifique comme facteur de rafraîchissement.

Il existe toutefois une limite structurelle. Les grandes villes disposent rarement de la place suffisante pour, à la fois, planter des arbres, désimperméabiliser les sols et verdir les rues sans devoir transformer les usages de l’espace public et réduire l’espace alloué à d’autres usages.

La végétalisation bouscule notamment la place de la voiture, comme nous avons pu le démontrer dans une recherche publiée dans la revue Land Economics.


À lire aussi : Paris est une des pires villes européennes en temps de canicule. Comment changer cela ?


Le vert urbain, entre bénéfices et zones de friction

Les bénéfices de la nature en ville sont nombreux et documentés : îlots de fraîcheur, amélioration de la qualité de l’air, infiltration des eaux pluviales, accueil de la biodiversité, atténuation du bruit, sans oublier les impacts positifs sur la santé mentale et le lien social.

Un seul arbre peut abaisser de plusieurs degrés la température ambiante, et attirer des espèces parfois rares en milieu urbain. Par exemple, une simulation réalisée par Météo France estime que l’ajout de 300 hectares de végétation à Paris permettrait d’abaisser la température de 0,5 à 1 °C lors d’un épisode de canicule.

Plus concrètement, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), une commune située au nord de Paris, la transformation d’un parking en îlot de fraîcheur grâce à la plantation de 72 arbres a réduit la température ressentie de 3,1 °C en moyenne.

Mais cette végétalisation nécessite de l’espace, alors même que l’espace urbain est précisément limité et fait l’objet de multiples usages concurrents. À Paris, la piétonnisation des berges de Seine ou la transformation de la rue de Rivoli ont par exemple suscité de vifs débats.

À Bordeaux (Gironde), Lyon (Rhône) ou Grenoble (Isère), les créations de trames vertes entraînent également des réactions contrastées selon les quartiers et les profils d’usagers. Des conflits d’usage, entre automobilistes, cyclistes, piétons et riverains sont au cœur des tensions liées à ces projets.

À Lyon comme ailleurs, les nouveaux aménagements urbains (place publique, rond-point, voie sur berge, réseau de transport, etc.) intègrent de plus en plus de végétation. Les abords des nouvelles lignes de tramways ont été repensés pour accueillir arbres, pelouses ou bandes fleuries.

Perspective de la rue Mérieux à Lyon (7ᵉ) dans la végétalisation du tramway T10. Ilex Paysage & Urbanisme et SYTRAL Mobilités en tant que maître d’ouvrage du projet T10, Fourni par l'auteur

Ces projets transformateurs s’inscrivent dans des politiques environnementales ambitieuses, comme le plan Canopée de la métropole et répondent à une demande citoyenne croissante pour un cadre de vie plus sain.

Mais ils se font souvent au détriment d’autres usages : voies de circulation rétrécies, suppression de places de stationnement, ralentissements logistiques, coûts de mise en œuvre et d’entretien.

Ces arbitrages posent la question de l’usage de l’espace public, et de l’acceptabilité sociale des projets de végétalisation urbaine.

Des citoyens prêts à faire des compromis… à certaines conditions

Scénario correspondant à la situation actuelle : pas de végétalisation supplémentaire et pas d’impact sur les voies de circulation automobile. Semeur/Métropole de Lyon/Hind Nait-Barka, Fourni par l'auteur

Pour mieux comprendre comment les habitants opèrent ces arbitrages, nous avons, dans le cadre de notre étude, évalué la demande sociale de végétalisation urbaine de la part des habitants de la métropole du Grand Lyon.

Dans une enquête basée sur ce qu’on appelle la méthode d’expérience de choix, 500 répondants représentatifs de la population de la métropole ont été confrontés à plusieurs scénarios de verdissement des abords du tramway sur leur territoire.

Scénario correspondant à une légère végétalisation sans impact sur les voies de circulation automobile. Semeur/Métropole de Lyon/Hind Nait-Barka, Fourni par l'auteur

Chaque scénario comportait, à des niveaux variables, quatre paramètres clés :

  • réduction des températures lors des canicules,
  • augmentation de la biodiversité (mesurée par l’abondance d’oiseaux),
  • réduction de l’espace pour la circulation et le stationnement,
  • enfin, une hausse de la fiscalité locale.
Scénario correspondant à une végétalisation accrue réduisant légèrement la place allouée à la circulation automobile. Semeur/Métropole de Lyon/Hind Nait-Barka, Fourni par l'auteur

Cette étude a permis d’estimer un « consentement à payer » moyen des répondants pour différentes caractéristiques de la végétalisation en ville. Ce type d’outil est précieux pour orienter les politiques publiques, car il révèle les préférences citoyennes pour des biens et des services comme les services écologiques qui n’ont pas de prix de marché.

Résultats : les citoyens prêts à faire des compromis… à certaines conditions.

En moyenne, les habitants interrogés se montrent ainsi favorables à la végétalisation. Ils sont prêts à payer 2,66 € par mois (en termes de hausse des taxes locales) pour chaque degré de baisse des températures et 0,49 € pour chaque point de biodiversité gagné (1 % d’oiseaux en plus). Ils sont favorables aux scénarios qui améliorent la biodiversité et le rafraîchissement de l’air tout en réduisant l’espace consacré aux voitures de manière minimale.

Cependant, ils sont nettement opposés aux scénarios qui réduisent plus fortement l’espace routier sans bénéfice environnemental suffisant.

Nos analyses montrent également une forte hétérogénéité entre répondants : les habitants du centre-ville, probablement déjà confrontés à plusieurs restrictions de circulation, sont plus critiques ainsi que les ménages les plus favorisés et les usagers quotidiens de la voiture.

À l’inverse, les personnes avec enfants ou consommant des produits issus de l’agriculture biologique – ce dernier étant un indicateur de la sensibilité à l’environnement – expriment un soutien accru aux projets de végétalisation urbaine.


À lire aussi : Réduire la place de la voiture en ville est-il aussi impopulaire qu’on le pense ?


Végétaliser avec les citoyens, pas contre eux

Face à l’urgence climatique, les villes doivent se doter de politiques de végétalisation ambitieuses. Mais ces solutions doivent aussi être socialement acceptables.

Notre étude montre que la majorité des habitants de Lyon seraient prêts à contribuer au financement d’un projet de végétalisation urbaine dès lors qu’il ne réduit que modérément l’espace disponible pour l’automobile. Une solution qui n’occuperait pas trop d’espace, comme la végétalisation verticale, serait donc pertinente.

Pour les décideurs locaux, il convient donc de mettre en place des projets de végétalisation prioritairement dans les communes déficitaires en arbres. Comme souligné par les résultats de notre étude, l’acceptabilité de ces projets suppose d’impliquer les citoyens dès leur conception et de mesurer régulièrement leur impact. C’est à ce prix que les villes du futur pourront être à la fois plus vertes, plus vivables, et plus justes.


À lire aussi : Les arbres en ville : pourquoi il n’y a pas que le nombre qui compte


The Conversation

Maia David a reçu des financements du Ministère de la Transition Écologique et de l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie (ADEME) dans le cadre du Programme ITTECOP.

Basak Bayramoglu, est co-coordinatrice du projet SEMEUR et a reçu des financements de Ministère de la Transition Écologique (MTE) dans le cadre du Programme ITTECOP. Basak Bayramoglu est membre de la Chaire Énergie et Prospérité, sous l'égide de La Fondation du Risque.

Carmen Cantuarias est co-coordinatrice du projet SEMEUR et a reçu des financements de Ministère de la Transition Écologique (MTE) dans le cadre du Programme ITTECOP. Elle a travaillé au CGDD (MTE) en tant que chargée de mission sur les instruments économiques pour la biodiversité.

Laetitia Tuffery a reçu des financements du Ministère de la Transition Écologique (MTE) et de l'Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME) dans le cadre du Programme ITTECOP.

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06.10.2025 à 16:27

Aux origines de la liberté académique, de l’Allemagne aux États-Unis

Camille Fernandes, Maîtresse de conférences en droit public, membre du CRJFC, Université Marie et Louis Pasteur (UMLP)

Essentielle aux échanges d’idées et au développement de la recherche, la liberté académique subit aujourd’hui des attaques aux États-Unis, un pays qui a pourtant contribué à son essor.
Texte intégral (2153 mots)

La liberté académique fait des universités des espaces d’échange d’idées. Essentielle au développement d’une recherche indépendante, elle subit aujourd’hui de multiples attaques aux États-Unis, un des pays qui a pourtant contribué à son essor. Retour sur l’histoire de ce concept – de l’Allemagne au continent américain.


La liberté académique correspond à un ensemble de libertés comprenant la liberté de l’enseignement, la liberté de la recherche et la liberté d’expression qui permettent toutes trois à l’université de remplir ses missions. Elle est donc intimement liée au rôle que l’on assigne à l’université.

Pour mieux la protéger, alors que les attaques contre l’éducation et l’enseignement supérieur se sont multipliées aux États-Unis ces derniers mois, il importe de mieux comprendre ses enjeux et donc de revenir sur son histoire.

Une science en perpétuel mouvement

L’idéal universitaire trouve d’abord sa source dans les universités médiévales du XIIIe siècle qui disposaient d’une certaine autonomie et d’une liberté d’organisation vis-à-vis du pouvoir ecclésiastique. Mais c’est surtout au XIXe siècle, en Allemagne, que s’est construite l’idée moderne d’université, celle qui continue encore aujourd’hui de faire référence.

Elle a été décrite par Wilhelm von Humboldt, linguiste et haut fonctionnaire prussien, dans un court texte publié en 1809 (ou 1810) portant sur « les établissements scientifiques supérieurs à Berlin ». Il y définit plusieurs principes directeurs qui caractérisent cette université moderne.

Le premier concerne la place centrale accordée à la « science » qui doit rester en perpétuel mouvement. Il écrit ainsi 

« C’est une particularité des établissements scientifiques supérieurs de toujours traiter la science comme un problème qui n’est pas encore entière[ment] résolu, et de ne jamais abandonner en conséquence la recherche. ».

Encore aujourd’hui, la recherche occupe une place déterminante dans toute université. La recommandation de l’Unesco de 1997 sur le personnel enseignant de l’enseignement supérieur souligne ainsi :

« L’exploration et l’application de nouvelles connaissances se situent au cœur du mandat des établissements d’enseignement supérieur. »

Le deuxième principe repose sur l’importance du lien entre l’enseignement et la recherche :

« L’essence de ces établissements consiste donc à relier, du point de vue interne, la science objective à la formation subjective ».

C’est là une différence majeure qui est mise en avant par rapport à l’enseignement secondaire qui « n’enseigne que des connaissances toutes prêtes et bien établies. »

C’est une caractéristique toujours très actuelle des universités qui sont, à la fois, un lieu d’enseignement mais également de recherche. Aussi qualifie-t-on en France les universitaires d’« enseignants-chercheurs ».

Le troisième principe, intimement lié au précédent, est l’importance reconnue aux étudiants qui, par leur présence active aux enseignements, participent de la réflexion intellectuelle des professeurs et les poussent à remettre en question leurs connaissances acquises. Humboldt relève ainsi qu’au sein des établissements scientifiques supérieurs,

« le rapport entre le maître et les étudiants devient donc tout à fait différent de ce qu’il était. Il n’est pas là pour eux, mais tous sont là pour la science ; son métier dépend de leur présence, et, sans elle, il ne pourrait être pratiqué avec un égal succès ».

Monument dédié à Wilhelm von Humboldt, à Berlin
Monument dédié à Wilhelm von Humboldt (1882), du sculpteur Martin Paul Otto (1846-1893), à proximité de l’entrée principale de l’Université Humboldt de Berlin. Christian Wolf (www.c-w-design.de), via Wikimedia, CC BY-SA

Inversement, les étudiants profitent de cette finalité universitaire qui n’est pas la recherche de données utiles mais la poursuite d’un savoir réfléchi sans but précis. C’est tout l’objet de la Bildung ; un concept intraduisible qui fait référence à une façon de se former, grâce à une relation intime à la connaissance, permettant d’accéder à une vision réfléchie du monde. Cette construction désintéressée du savoir dans une volonté de former des individus à la libre pensée est toujours au cœur des missions universitaires.

La loi française évoque, par exemple, « la formation à la recherche et par la recherche ». Cependant, il faut bien admettre que les velléités utilitaristes gagnent du terrain, y compris au sein des universités, dans une volonté de former des professionnels prêts à intégrer le « marché de l’emploi ».

La nécessaire indépendance de la recherche

Le quatrième principe porte non plus sur l’organisation interne des établissements, mais sur leurs rapports extérieurs avec l’État. Humboldt prône un rôle très limité de ce dernier qui, s’il doit fournir les moyens nécessaires à la recherche, ne doit pas traiter les établissements scientifiques supérieurs comme des lycées en cherchant à satisfaire ses propres buts.

Il ne s’agit là de rien d’autre que de revendiquer une autonomie institutionnelle, ce que l’Unesco consacre encore aujourd’hui :

« Le plein exercice des libertés académiques et l’accomplissement des devoirs et responsabilités énoncés ci-après supposent l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur. »

Si, par ces principes, Humboldt décrit un modèle d’université avec précision, il évoque en revanche peu la question des libertés. Elles ne sont mentionnées clairement que dans un passage du texte où il indique 

« Comme ces établissements ne peuvent atteindre leur but que si chacun d’entre eux se tient dans toute la mesure du possible face à l’idée pure de la science, l’indépendance et la liberté sont des principes qui prévalent dans leur sphère. »

Sans doute ces quelques mots suffisent-ils à dire l’essentiel : la recherche inlassable de la « vérité scientifique », laquelle alimente les enseignements et est alimentée par eux ni ne peut exister sans indépendance ni libertés.

Liberté d’apprendre et liberté d’enseigner

Même si Humboldt a peu argumenté sa pensée sur les libertés au sein des établissements supérieurs, sa vision de l’université berlinoise a conduit au développement de deux concepts libéraux : la Lehrfreiheit et la Lernfreiheit.

La Lehrfreiheit, qui aurait été utilisée pour la première fois par Friedrich Christoph Dahlmann en 1835, fait référence à la liberté de l’enseignement. Elle est donc une liberté accordée aux enseignants des universités pour leur permettre de décider librement du contenu de leurs cours.

La Lernfreiheit, dont la première occurrence résulterait d’un texte d’Adolph Diesterweg publié en 1836, pourrait se traduire par la « liberté d’apprendre ». Elle doit accorder aux étudiants une certaine liberté dans le cadre de leur cursus universitaire. Elle se conçoit dans le modèle humboldtien d’université dans lequel les étudiants jouent un rôle actif dans la construction du savoir en mouvement et profitent de cette position (Bildung).

En dépit de ces écrits théoriques sur les libertés au sein des universités, celles-ci ne disposaient à l’époque d’aucun fondement juridique tangible. Mais il ne faudra pas attendre bien longtemps pour les voir inscrites au plus haut sommet de la hiérarchie allemande des normes. En effet, en réaction à des renvois arbitraires de professeurs, en particulier celui de sept d’entre eux de l’Université de Göttingen en 1837, dont l’un des frères Grimm, les rédacteurs de la Constitution de Francfort de 1849 ajoutèrent dans le texte une disposition reconnaissant que « la science et son enseignement sont libres ».

Cette Constitution ne fut jamais appliquée, mais la Constitution de Weimar de 1919 reprit cette disposition : l’article 142 disposait que « l’art, la science et leur enseignement sont libres. L’État leur accorde sa protection et contribue à les favoriser ». L’article 158 précisait quant à lui que « respect et protection doivent être assurés, même à l’étranger, par des conventions internationales, aux créations de la science, de l’art et de la technique allemands ».

La Constitution de 1949 reprit cet article 142, en y ajoutant la référence à la « recherche » (Forschung), jusque-là absente. C’est ainsi que le troisième alinéa de l’article 5 de la Loi fondamentale allemande dispose, encore aujourd’hui, que « l’art et la science, la recherche et l’enseignement sont libres ».

C’est en s’inspirant de cette longue tradition allemande que les fondateurs de l’American Association of University Professors (AAUP) ont créé, en 1915, le concept d’« academic freedom ». Depuis 2000, on retrouve l’expression en français dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, à l’article 13 :

« Les arts et la recherche sont libres. La liberté académique est respectée ».

Elle est également utilisée, depuis les années 2000, par la Cour européenne des droits de l’homme (par exemple, dans l’arrêt Sorguç c. Turquie, de 2009).

En France, il aura fallu attendre 2020 pour que la loi y fasse référence. Le deuxième alinéa de l’article L. 952-2 du Code de l’éducation énonce, depuis cette date, que « les libertés académiques sont le gage de l’excellence de l’enseignement supérieur et de la recherche français ».


Camille Fernandes remercie Arnauld Leclerc, professeur de science politique à Nantes Université, pour ses précieux conseils de lecture et explications sur la pensée humboldtienne.

The Conversation

Camille Fernandes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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06.10.2025 à 16:26

Nicolas Sarkozy condamné à une incarcération sans attendre son appel : pourquoi cette « exécution provisoire » est banale

Vincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre – Alliance Paris Lumières

En 2022, 55 % des peines d’emprisonnement ferme prononcées par le tribunal correctionnel ont ainsi été mises à exécution immédiatement.
Texte intégral (1748 mots)

De nombreuses critiques ont été formulées à l’encontre du jugement condamnant Nicolas Sarkozy à une incarcération « avec mandat de dépôt à effet différé assorti d’une exécution provisoire », c’est-à-dire sans attendre l’issue de sa procédure d’appel. Cette exécution provisoire de la peine d’emprisonnement est pourtant banale. En 2022, 55 % des peines d’emprisonnement ferme prononcées par le tribunal correctionnel ont ainsi été mises à exécution immédiatement. En revanche, on peut considérer que les règles encadrant l’exécution provisoire en matière répressive posent question du point de vue de l’État de droit.


Parmi les polémiques relatives à la condamnation de l’ancien chef de l’État, le 25 septembre dernier, l’exécution provisoire de la peine d’emprisonnement (le fait qu’elle soit appliquée même en cas d’appel) qui lui a été infligée figure en très bonne place. Comme la plupart des commentaires à l’emporte-pièce qui saturent l’espace médiatique depuis le prononcé du jugement, ces critiques viennent généralement nourrir la thèse, sinon du complot, du moins de « l’acharnement judiciaire » plus ou moins idéologique dont serait victime l’ancien locataire de l’Élysée. Elles se distinguent néanmoins des autres en ce qu’elles ne s’appuient pas sur des spéculations plus ou moins délirantes sur le contenu d’un dossier que, par hypothèse, aucune des personnes extérieures à la procédure ne connaît, mais sur une réalité juridique et humaine indéniable : Nicolas Sarkozy va devoir exécuter sa peine sans attendre la décision de la Cour d’appel. Une réalité qui peut fort légitimement choquer toute personne un tant soit peu attachée à la présomption d’innocence et au droit au recours, favorisant ainsi la réception de la théorie d’une vengeance judiciaire, théorie qui permet d’occulter une opposition beaucoup plus profonde à l’idée même d’égalité devant la loi.

Pour en finir avec ce mythe, il est donc nécessaire d’apporter un éclairage particulier sur la question de l’exécution provisoire en montrant que, si son régime et son application sont porteuses de réelles difficultés d’un point de vue démocratique, ces difficultés sont loin de concerner spécifiquement les classes dirigeantes.

Ce que dit la loi de l’exécution provisoire

En premier lieu, rappelons que, contrairement à ce que laissent entendre les contempteurs les plus acharnés du prétendu « gouvernement des juges », la possibilité d’assortir un jugement de l’exécution provisoire est bien prévue par la loi et n’a pas été inventée pour les besoins de la cause par le tribunal correctionnel. Depuis le droit romain, notre ordre juridique a toujours ménagé la faculté, pour les juridictions, de rendre leur décision immédiatement exécutoire dans les hypothèses où le retard pris dans sa mise en application serait de nature à compromettre durablement les droits des justiciables, en particulier dans les situations d’urgence. C’est pourquoi, par exemple, les ordonnances de référé, qui visent à prévenir un dommage imminent (suspension de travaux dangereux, d’un licenciement abusif, injonction à exécuter un contrat affectant la pérennité d’une entreprise) sont, depuis le Code de procédure civile de 1806, exécutoires par provision.

En matière pénale, la question se pose cependant de façon différente en ce sens que l’exécution provisoire porte atteinte non seulement au droit au recours contre une décision de justice, mais également à la présomption d’innocence. Or, ces deux principes sont protégés tant par la Constitution – le Conseil constitutionnel les ayant respectivement consacrés en 1981 et en 1996 – que par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ce qui ne signifie pas que ces garanties soient absolues, mais que le législateur ne peut y porter atteinte que de façon exceptionnelle, en fixant des critères précis et en veillant à ce que l’atteinte demeure nécessaire et proportionnée. C’est ainsi, par exemple, que la détention provisoire – ordonnée avant toute déclaration de culpabilité et avant même la phase d’audience – ne peut être prononcée que s’il est démontré qu’elle constitue l’unique moyen de sécuriser les investigations (éviter la destruction de preuves, des concertations entre auteurs) ou de s’assurer de la mise à disposition de la personne mise en examen (éviter le risque de fuite, de renouvellement des faits).

Or aucune garantie de cette nature n’est prévue par la loi quand l’exécution provisoire est prononcée par une juridiction pénale lorsqu’elle prononce une sanction à l’égard d’une personne. Le Code de procédure pénale ne fixe aucun critère pour déclarer immédiatement exécutoire telle ou telle sanction, qu’il s’agisse d’une peine d’amende, de probation ou d’emprisonnement, se bornant à exiger du tribunal qu’il motive spécifiquement sa décision sur ce point. C’est ce qu’a fait le tribunal dans la condamnation de Nicolas Sarkozy, en considérant que l’exécution provisoire s’imposait en raison de la particulière gravité des faits. La seule exception concerne le mandat de dépôt prononcé à l’audience (c’est-à-dire l’incarcération immédiate du condamné) assortissant une peine de prison inférieure à un an, dont le prononcé est subordonné aux mêmes conditions que la détention provisoire. En outre, alors qu’en matière civile, la personne peut toujours demander au premier président de la Cour d’appel de suspendre l’exécution provisoire du jugement de première instance, la loi pénale ne prévoit aucune possibilité similaire, la personne condamnée devant subir sa peine nonobstant l’exercice du recours. Ainsi, il est vrai de dire que les règles encadrant aujourd’hui le prononcé de l’exécution provisoire en matière répressive, en ce qu’elles ne garantissent pas suffisamment le caractère nécessaire et proportionné de cette mesure, posent question du point de vue des exigences de l’État de droit démocratique. Pour y remédier, il faudrait que la loi fixe de façon précise et limitative les conditions pour prononcer l’exécution provisoire, par exemple en prévoyant qu’elle n’est possible que si l’on peut légitimement craindre que la personne cherche à se soustraire à sa sanction.

Un recours massif lors des comparutions immédiates

En revanche, il est complètement faux d’affirmer que cette pratique ne concernerait que les membres de la classe politicienne. Le cadre juridique particulièrement permissif que nous venons d’évoquer favorise au contraire la généralisation du recours à l’exécution provisoire en matière pénale.

En 2022, 55 % des peines d’emprisonnement ferme prononcées par le tribunal correctionnel ont ainsi été mises à exécution immédiatement – ce taux monte à 87 % pour les personnes poursuivies en comparution immédiate. En d’autres termes, loin de constituer une mesure exceptionnelle qui trahirait une démarche vindicative ou un abus de pouvoir de la part des magistrats, l’exécution provisoire qui assortit la condamnation de l’ancien chef de l’État – comme celle de la présidente du Rassemblement national (RN) – constitue une mesure particulièrement commune, pour ne pas dire tristement banale.

C’est ainsi que, dans un communiqué du 27 septembre dernier, l’association des avocats pénalistes

« se réjouit de constater que politiques et médias prennent enfin conscience des difficultés posées par l’infraction d’association de malfaiteurs et par la contradiction inhérente à l’exécution provisoire d’une décision frappée d’appel »

(en ce qu’elle oblige le condamné à purger sa peine sans attendre l’issue du recours), mais

« rappelle cependant que ces modalités sont appliquées tous les jours à des centaines de justiciables sous l’œil courroucé des éditorialistes et gouvernants qui fustigeaient jusqu’alors une justice laxiste ».

Il s’agit là d’une autre vertu de l’exigence d’égalité juridique lorsqu’elle pleinement et véritablement appliquée. Plus les membres des classes dirigeantes et, en particulier, celles et ceux qui contribuent directement ou indirectement à l’écriture de la loi, auront conscience qu’elle peut potentiellement s’appliquer à leur personne, plus l’on peut espérer qu’ils se montrent sensibles, d’une façon générale, au respect des droits de la défense. Une raison supplémentaire de sanctionner, à sa juste mesure, la délinquance des puissants.

The Conversation

Vincent Sizaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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06.10.2025 à 16:24

Accès au logement : la couleur de peau plus discriminante que le nom

Élisabeth Tovar, Maîtresse de conférences en sciences économiques, Université Paris Nanterre – Alliance Paris Lumières

Laetitia Tuffery, Maîtresse de conférences en économie, Université de Nîmes

Marie-Noëlle Lefebvre, Enseignante-Chercheuse en sciences économiques, Université Paris-Panthéon-Assas

Mathieu Bunel, Maître de conférences en Économie, Université Bourgogne Franche-Comté (UBFC)

Locataire noir ou blanc : qui l’agent immobilier préférera-t-il ? Notre expérience révèle les ressorts méconnus de la discrimination dans la location de logements.
Texte intégral (1290 mots)
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, avoir un nom à consonance étrangère pénalise moins qu’être visiblement noir sur une photo. StudioRomantic/Shutterstock

Locataire noir ou blanc : qui l’agent immobilier préférera-t-il ? Notre expérience révèle les ressorts méconnus de la discrimination dans la location de logements.


Chercher un logement peut vite tourner au parcours du combattant, surtout quand on s’appelle Mohamed ou Aïssata. En France, en 2017, 14 % des personnes ayant cherché un logement au cours des cinq années précédentes disaient avoir subi des discriminations, selon la dernière enquête sur la question, menée par le défenseur des droits.

Mais comment ces discriminations fonctionnent-elles concrètement ? Qu’est-ce qui pèse le plus : la couleur de peau, le nom, le salaire, ou encore les préjugés du propriétaire ?

Pour le découvrir, nous avons mené une expérience inédite avec 723 étudiants d’une école immobilière, confrontés à des dossiers de locataires fictifs. Les résultats bousculent plusieurs idées reçues.

Un appartement, trois candidats

Imaginez : vous êtes agent immobilier et devez évaluer trois candidats pour un appartement de trois pièces. Trois candidats se présentent :

  • Éric Pagant, un informaticien blanc, 3 400 euros nets mensuels ;

  • Mohamed Diop, un ambulancier en intérim noir, 1 800 euros nets mensuels ;

  • Kévin Cassin, un enseignant fonctionnaire blanc, célibataire, 1 845 euros nets mensuels.

Vous devez noter chaque candidat en le notant de 1 à 4, selon, d’une part, le degré de satisfaction de votre client, le propriétaire, en cas de location au candidat et, d’autre part, votre intention d’organiser une visite de l’appartement avec le candidat.

Dans notre expérience, nous avons fait varier les éléments des profils des candidats : parfois, c’est Mohamed Diop, un homme noir, qui est informaticien, parfois, il a un nom français (Philippe Rousseau), parfois, sa photo n’apparaît pas, parfois le propriétaire exprime des préférences discriminatoires… Ce protocole nous a permis de mesurer l’effet réel de chacune de ces caractéristiques sur les notes obtenues par les candidats.

La couleur de peau compte plus que le nom

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, avoir un nom à consonance étrangère pénalise moins qu’être visiblement Noir sur une photo. Quand Mohamed Diop concourt sans photo, avec seulement son nom africain, son handicap face à Éric Pagant, le candidat blanc, est de 0,6 point sur 4. Mais quand sa photo révèle sa couleur de peau, même avec un nom français l’écart grimpe à 1,7 point !

Cette découverte est importante, car la plupart des études scientifiques sur la discrimination se basent sur les noms, pas sur les photos. Elles sous-estiment peut-être la réalité vécue par les personnes racisées qui se présentent physiquement aux visites.

Protection relative du statut social

Certes, avoir un bon salaire protège un peu les candidats noirs contre la discrimination. Nos répondants accordent une importance particulière au revenu des futurs locataires : indépendamment de leur couleur de peau, les informaticiens ont un avantage de 1,55 point (sur 4) par rapport aux ambulanciers. Cela veut dire qu’un candidat noir informaticien sera mieux noté que tous les candidats ambulanciers, Blancs comme Noirs.

C’est troublant : au sein des candidats aisés, la pénalité subie par les Noirs par rapport aux Blancs est plus forte (-0,32 point) qu’entre candidats modestes (-0,22 point), comme si certains répondants avaient du mal à accepter qu’une personne noire puisse être à égalité avec une personne blanche ayant un statut social élevé.

Propriétaires discriminants

L’expérience révèle aussi que les agents immobiliers amplifient les préjugés de leurs clients.

Quand le propriétaire ne manifeste aucune préférence ethnique, la discrimination disparaît complètement entre candidats blancs et noirs (-0,048 point sur 4). C’est une bonne nouvelle : les futurs professionnels de l’immobilier que nous avons testés ne montrent pas de racisme personnel.

Mais dès que le propriétaire exprime sa réticence à louer « à des gens issus de minorités ethniques », l’écart entre les candidats noirs et blancs se creuse (-0,48 point pour les candidats noirs) – même si une telle demande est tout à fait illégale ! C’est une illustration du mécanisme de « client-based discrimination », bien connu en théorie économique.

Effet de minorité

Dernier élément marquant : un candidat noir est moins bien noté (avec une pénalité de -0,34 point) quand il concourt contre deux candidats blancs (comme dans la première ligne de la figure ci-dessous) que quand il fait face à d’autres candidats noirs (comme dans la deuxième ligne de la figure ci-dessous). À l’inverse, être Blanc face à des candidats noirs ne procure aucun avantage particulier.

Ce résultat montre l’existence d’un « effet de minorité » jouant en défaveur des personnes racisées qui chercheraient à se loger hors de quartier ségrégé.

« Premier arrivé, premier servi »

Ces résultats pointent vers des solutions concrètes.

Plutôt que de miser uniquement sur la formation des professionnels, il faudrait s’attaquer aux préjugés des propriétaires et limiter leur influence, en protégeant les professionnels des attentes de leurs clients. Pour cela, certaines villes états-uniennes, comme Seattle et Portland, ont adopté le principe du « premier arrivé, premier servi » pour empêcher la sélection discriminatoire.

Sans aller jusque-là, l’anonymisation des dossiers de location ou l’obligation de motiver les refus, avec signature du propriétaire, pourraient être des pistes à explorer.

Une autre piste pourrait être l’utilisation systématique de mémentos listant les points d’attention pour louer sans discriminer, comme ceux qui sont proposés, en France, par le défenseur des droits à l’attention des propriétaires et des professionnels de l’immobilier.

Quoi qu’il en soit, ces leviers d’action ne sont pas coûteux à mettre en place, mais cela nécessite l’implication de tous les acteurs du secteur.

The Conversation

Élisabeth Tovar a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche.

Mathieu Bunel est membre de la Fédération de recherche Tepp Théories et évaluations des politiques publiques.

Laetitia Tuffery et Marie-Noëlle Lefebvre ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

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06.10.2025 à 16:23

Sexual harassment, hostility… unforeseen consequences of the ‘customer is king’ mentality

Gordon M. Sayre, Assistant Professor of Organizational Behavior, EM Lyon Business School

Today, customers have more power than ever. But is that a good thing?
Texte intégral (1546 mots)
Service workers may pay a price for the "customer is king" mentality: power imbalance and increased exposure to sexual harassment and hostility. John Michael Wilyat/Unsplash, CC BY

Corporate websites, training manuals, and interviews with business leaders abound with maxims that place the customer above all else. The customer service industry, which includes restaurant workers, call centre employees, hair stylists, and retail employees has a strong tradition of a “customer is king” mentality. The idea is that customers will respond positively to such deference, making them more likely to return in the future. But this mentality has a downside that is less often discussed: it shifts the balance of power away from service workers and toward customers.

This shift has become even more dramatic in recent years, as online reviews determine which businesses thrive and which must close their doors. Even for freelancers in the gig economy, reviews and the algorithms that feed on them decide which job gets offered to whom, and even who is allowed to work on the platform. Today, customers have more power than ever. But is that a good thing?

Sexual harassment in the service industry

To answer this question, we explored some of the potential consequences of customer power. Our first investigation focused on sexual harassment in the customer service industry – a pervasive yet understudied phenomenon.

People who hold more power are increasingly likely to engage in sexual harassment, raising our concerns given the shifting power imbalance in customer service work. We examined two specific risk factors in the service context that might make sexual harassment more likely. First, when the customer is king, employees must adapt their actions and emotions accordingly. They are increasingly expected to regulate or control their emotions as part of the job, a process called “emotional labour”. A restaurant server is expected to remain friendly and cheerful even during the evening rush. A bartender must show interest and offer sympathy to a customer’s tale of woe. These are instances when employees must control the emotions they actually feel and ensure that organisationally sanctioned emotions are displayed to customers at all times.

The second risk factor is that these jobs often involve tips and gratuities that employees depend on for their earnings. The extent of tipping varies across cultures, with countries like Germany, the UK and Croatia having stronger norms, whereas in the Scandinavian countries, tipping is fairly uncommon. In the US, where we conducted our research, many tipped workers like restaurant servers and bartenders are allowed to be paid below minimum wage, meaning that tips make up the entirety of their income. We tested whether the combination of emotional labour expectations and a reliance on tips creates a “perfect storm” that makes sexual harassment more likely.

In our first study, we asked 142 tipped workers from a variety of occupations about the emotional labour expectations of their workplace, and what percent of their overall pay came from tips. We found that when emotional labour expectations were high and employees were more dependent on tips, customers had more power and were then more likely to engage in sexual harassment. In our second study, we recruited 171 men to take on the role of a restaurant diner in an online simulation. Participants were shown a picture of their female server, who was either smiling or had a neutral display. The men were also presented with the bill, which either emphasised the importance of tips or stated that employees were paid a fair wage and tips were not necessary. When participants saw the smiling server and the bill that emphasised the importance of tips, they were much more likely to report feeling powerful and indicated a greater willingness to make inappropriate requests for a date or phone number. Our results suggest that a unique environment exists in customer service jobs, where emotional labour expectations combined with a dependence on tips may make sexual harassment more likely.

Coping with hostility

Another consequence of the “customer is king” mindset is that it gives people a licence to act in hostile or aggressive ways toward employees. In recent years, there has been a noticeable uptick in hostility toward flight attendants and healthcare workers. Given this, we set out to understand how employees can best handle their emotions when confronted with this hostility.

Our paper focused on an alternative school for troubled youth who had been expelled from the public school system. When teachers experienced hostility from students, they were required to file a report to administrators. We attached a short survey to this report, asking teachers how they controlled their emotions during the incident and how they felt afterwards. We found that teachers used unique combinations of emotional labour strategies – like reappraising the situation to “look on the bright side” or distracting themselves and suppressing whatever emotions they felt. We also looked at how these strategies predicted two important outcomes – teachers’ performance during the incident (as rated by administrators) and their well-being afterwards.

Our results suggest that to enhance performance, employees facing hostility should try to disengage from the situation. This might mean ignoring or mentally distancing themselves and suppressing their emotions. Yet this approach was among the worst for maintaining employee well-being. Employees wishing to protect their well-being, the results suggested, should try actively to modify the situation while also seeking social support. But doing so was not associated with better performance ratings. In short, it seems that employees faced with hostility may need to choose between maintaining their performance and their well-being. As such, organisations must put a priority on minimising hostile events in the first place, so that employees are not faced with this impossible choice.

Moving forward

Our research demonstrates that there are serious downsides to the “customer is king” approach. It creates a toxic atmosphere that makes sexual harassment more likely and puts employees in a no-win situation when facing hostility. In contrast, fostering a culture of mutual respect can encourage a more balanced power dynamic while still ensuring high performance standards. Approaching customer and public service from a place of respect can also empower employees to solve problems and work together with the general public, instead of forming a subservient or adversarial relationship. Let’s move beyond the monarchy to instead encourage employees and those they serve to work together as equal partners.


A weekly e-mail in English featuring expertise from scholars and researchers. It provides an introduction to the diversity of research coming out of the continent and considers some of the key issues facing European countries. Get the newsletter!


The Conversation

Gordon M. Sayre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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06.10.2025 à 16:22

Pour sauver les pôles, les projets de géo-ingénierie sont voués à l’échec

Steven Chown, Director, Securing Antarctica's Environmental Future and Professor of Biological Sciences, Monash University

Des projets de géo-ingénierie émergent pour tenter de sauver la glace polaire : rideaux sous-marins, pompes à neige, fertilisation des océans… Mais une nouvelle étude montre que ces solutions ne sont que des mirages.
Texte intégral (2059 mots)
Le moyen le plus efficace de réduire le risque d’impacts généralisés du réchauffement climatique sur les pôles reste de diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Derek Oyen/Unsplash

Alors que les pôles fondent à un rythme accéléré, certains chercheurs misent sur la géo-ingénierie pour ralentir la catastrophe : rideaux sous-marins, microbilles de verre ou fertilisation des océans. Mais une récente étude montre que ces solutions spectaculaires sont inefficaces, coûteuses et dangereuses – et qu’elles risquent surtout de détourner l’attention de l’urgence à réduire nos émissions de gaz à effet de serre.


Notre planète continue de se réchauffer en raison des émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines. Les régions polaires sont particulièrement vulnérables à ce réchauffement. L’étendue de la banquise diminue déjà dans l’Arctique comme dans l’Antarctique. Les calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique fondent, et des changements brutaux sont en cours dans les deux environnements polaires.

Ces changements ont de profondes conséquences pour nos sociétés, qu’il s’agisse de la montée du niveau de la mer, de l’évolution de la circulation océanique ou de la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes. Ils entraînent aussi de lourdes conséquences pour les écosystèmes, notamment pour les ours polaires et les manchots empereurs, devenus des symboles des effets du changement climatique.

Le moyen le plus efficace pour atténuer ces changements et réduire le risque d’impacts généralisés est de diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, la décarbonation progresse lentement, et les projections actuelles indiquent une augmentation de la température d’environ 3 °C d’ici à 2100.

Aussi, certains scientifiques et ingénieurs, conscients des changements attendus et de l’importance des régions polaires pour la santé de la planète, ont-ils proposé de développer des approches technologiques, appelées géo-ingénierie, afin d’atténuer les effets sur l’Arctique et l’Antarctique.

Dans une étude publiée récemment dans Frontiers in Science, mes collègues et moi avons évalué cinq des concepts de géo-ingénierie les plus avancés envisagés pour les régions polaires. Nous en avons conclu qu’aucun d’entre eux ne devrait être utilisé dans les prochaines décennies. Ils sont extrêmement peu susceptibles d’atténuer les effets du réchauffement climatique dans les régions polaires et risquent de provoquer de graves conséquences indésirables.

Qu’est-ce que la géo-ingénierie polaire ?

La géo-ingénierie recouvre un large éventail d’idées visant à modifier délibérément, à grande échelle, le climat de la Terre. Les deux grandes catégories

consistent soit à retirer du dioxyde de carbone de l’atmosphère, soit à augmenter la quantité de lumière solaire renvoyée vers l’espace (une approche connue sous le nom de « modification du rayonnement solaire »).

Pour les régions polaires, les cinq concepts actuellement les plus avancés sont :

1. L’injection d’aérosols stratosphériques. Cette technique de modification du rayonnement solaire consiste à introduire dans la stratosphère de fines particules (comme le dioxyde de soufre ou le dioxyde de titane) afin de réfléchir la lumière du soleil vers l’espace. L’idée est ici d’appliquer ce principe spécifiquement aux pôles.

2. Les rideaux sous-marins. Ces structures flexibles et flottantes, ancrées au plancher océanique entre 700 et 1 000 m de profondeur et s’élevant sur 150 à 500 m, visent à empêcher l’eau chaude de l’océan d’atteindre et de faire fondre les plates-formes de glace (prolongements flottants qui ralentissent l’écoulement de la glace du Groenland et de l’Antarctique vers l’océan) ainsi que les lignes d’ancrage des calottes (là où se rencontrent terre, glace et océan).

Un schéma montrant un grand rideau dans la mer, dressé contre un mur de glace
Les sous-rideaux marins sont des structures flexibles et flottantes, ancrées au fond de la mer entre 700 mètres et 1 000 mètres de profondeur et s’élevant de 150 mètres à 500 mètres. Frontiers

3. Gestion de la banquise. Deux pistes sont explorées : d’une part, la dispersion de microbilles de verre sur la glace de mer arctique fraîche pour la rendre plus réfléchissante et prolonger sa durée de vie ; d’autre part, le pompage d’eau de mer à la surface de la banquise, où elle gèle pour l’épaissir, ou dans l’air pour produire de la neige, grâce à des pompes éoliennes.

4. Ralentir l’écoulement de la calotte glaciaire. Cette approche cible les « courants glaciaires » du Groenland et de l’Antarctique, de véritables rivières de glace s’écoulant rapidement vers la mer et contribuant à l’élévation du niveau marin. L’eau présente à leur base agit comme un lubrifiant. L’idée est de pomper cette eau afin d’accroître la friction et de ralentir leur progression. Le concept semble particulièrement pertinent pour l’Antarctique, où la fonte se joue davantage à la base de la calotte qu’à sa surface.

5. La fertilisation des océans. Elle consiste à ajouter des nutriments, comme du fer, dans les océans polaires afin de stimuler la croissance du phytoplancton. Ces organismes microscopiques absorbent le dioxyde de carbone atmosphérique, qui se retrouve stocké dans les profondeurs marines lorsqu’ils meurent et coulent.

Un schéma montrant des nutriments ajoutés à l’océan pour favoriser la croissance du phytoplancton
Un schéma montrant des nutriments ajoutés à l’océan pour favoriser la croissance du phytoplancton. Frontiers

Le risque des faux espoirs

Dans nos travaux, nous avons évalué chacun de ces concepts selon six critères : ampleur de la mise en œuvre, faisabilité, coûts financiers, efficacité, risques environnementaux et enjeux de gouvernance. Ce cadre fournit une méthode objective pour examiner les avantages et limites de chaque approche.

Aucun des projets de géo-ingénierie polaire ne s’est avéré viable dans les décennies à venir. Tous se heurtent à de multiples obstacles.

Ainsi, couvrir 10 % de l’océan Arctique de pompes destinées à projeter de l’eau de mer pour la geler exigerait l’installation d’un million de pompes par an sur dix ans. Les coûts estimés pour les rideaux marins (un milliard de dollars US par kilomètre) sous-estiment, de six à vingt-cinq fois, ceux de projets d’ampleur comparable dans des environnements plus simples, comme la barrière de la Tamise à Londres.

Un projet visant à répandre des microbilles de verre sur la glace a d’ailleurs été abandonné en raison des risques environnementaux. Et lors de leur dernière réunion, la majorité des Parties consultatives du Traité sur l’Antarctique ont réaffirmé leur opposition à toute expérimentation de géo-ingénierie dans la région.

Ces propositions nourrissent de faux espoirs face aux conséquences dramatiques du changement climatique, sans réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre. Elles risquent d’alimenter la complaisance face à l’urgence d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, voire d’être instrumentalisées par des acteurs puissants pour justifier la poursuite des émissions.

La crise climatique est une crise. Compte tenu du temps disponible, les efforts doivent se concentrer sur la décarbonation, dont les bénéfices peuvent être obtenus à court terme.

The Conversation

Steven Chown ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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