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21.10.2024 à 16:58

Les enfants dans la guerre : regards sur un siècle de conflits

Manon Pignot, Maîtresse de conférences en histoire contemporaine, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)

De l’Ukraine à Gaza, les images des enfants victimes de guerre défilent dans l’actualité. Comment entendre leur voix ? Comment l’histoire nous aide-t-elle à saisir la diversité de leurs vécus ?
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Deux petits enfants passent devant un char renversé dans un village en ruines, Ammerschwihr (France), 1944-1945. Thérèse Bonney/UC Berkeley.

Plus de 460 millions d’enfants vivent aujourd’hui dans des zones de conflits, selon les estimations de l’Unicef. De l’Ukraine à Gaza, leurs images défilent sur Internet et dans les journaux télévisés. Mais au-delà des discours tenus pas les adultes, comment entendre leur voix et saisir la diversité de leurs vécus ? Comment l’histoire peut-elle nous aider à prendre du recul sur l’actualité ? Entretien avec Manon Pignot, co-directrice de l’ouvrage Enfants en guerre, guerre à l’enfance ?, publié en octobre 2024 aux éditions Anamosa et qui accompagne l’exposition du même nom organisée par la Contemporaine en 2024-2025.


Est-ce une caractéristique des conflits contemporains que de mener une « guerre à l’enfance » ?

Les enfants sont victimes des guerres depuis qu’elles existent, ce n’est pas une spécificité du XXe siècle. Mais, à partir de la Grande Guerre, les civils deviennent des cibles à part entière. Des villes sont par exemple bombardées sans but militaire explicite mais dans l’objectif d’atteindre le moral des troupes. Cela va de pair avec l’idée d’une guerre totalisante où chacun aurait un rôle à jouer dans l’effort de guerre : on considère – et c’est l’autre nouveauté – que l’engagement des combattants doit être soutenu par les efforts des civils, enfants inclus.

Quelle forme cette mobilisation des enfants en temps de guerre prend-elle ?

André Hellé, Alphabet de la Grande Guerre 1914-1916 pour les enfants de nos soldats, Paris/Nancy, 1916 Coll. La contemporaine, F 556
André Hellé, Alphabet de la Grande Guerre 1914-1916 pour les enfants de nos soldats (Paris/Nancy, 1916). Coll. La contemporaine, F 556

Cette mobilisation est plurielle. Pendant la Première Guerre mondiale, dans tous les pays belligérants, on assiste au développement d’une propagande adressée aux enfants, invités à œuvrer pour la victoire à leur niveau, en travaillant bien à l’école, en aidant leurs mères à la maison ou encore en se tenant convenablement. Au-delà de cette mobilisation idéologique, on demande aux enfants des efforts matériels, avec une dimension sacrificielle. Il s’agit d’accepter de se priver d’un certain nombre de denrées, par exemple, ou de consacrer leur temps libre à des œuvres de charité pour les soldats.

Enfin, pendant la Grande Guerre, il a aussi existé une mobilisation militaire, mais qui n’est pas officielle, c’est ce que j’ai expliqué dans L’appel de la guerre. Un certain nombre d’adolescents – et, à l’Est, d’adolescentes – ont entendu l’appel à la mobilisation totale et ont tenté de rejoindre le front spontanément.

La souffrance des enfants, notamment la souffrance psychologique, reste sous-estimée selon la psychiatre Marie-Rose Moro. Que nous dit l’histoire à ce sujet ?

C’est une réalité ancienne qui s’explique notamment par la méconnaissance des principes même de la psychologie. Il ne faut pas oublier que la psychologie de l’enfant et la pédopsychiatrie sont des disciplines qui se construisent au cours du premier XXe siècle.

Jusqu’aux années 1940, on a tendance à s’inquiéter surtout des souffrances matérielles, de la faim, du froid, des blessures et autres des douleurs physiques. S’ils sont vraisemblablement pris en compte à l’échelle individuelle, au sein des familles, la disparition d’un père au front et le deuil qui suit sont des chagrins qui ont du mal à s’exprimer collectivement.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’idée que la prise en charge des enfants doit aussi tenir compte de la dimension psychique s’est imposée. Mais, à l’inverse, dans les années 1950, comme les organisations humanitaires ont besoin de continuer à lever des fonds pour justifier leurs actions, elles vont avoir tendance à mettre particulièrement en avant la figure de l’enfant victime et à présenter tous les enfants comme des victimes de la guerre.

Or les sources nous montrent qu’il n’y a pas une seule expérience enfantine de la guerre et c’est ce que soulignent d’ailleurs les travaux de Camille Mahé. Il y a des expériences d’intensité et même de nature très variable. Considérez deux enfants de dix ans en France, en 1942, leurs vécus seront très différents. Un enfant qui vit à la campagne subit bien sûr le temps de la guerre mais ne va pas connaître les privations alimentaires massives des villes. Si son père n’est pas prisonnier de guerre, il ne va pas faire l’expérience de la séparation. S’il n’est pas juif, il ne va pas faire l’expérience de la persécution.

Notre rôle d’historiennes et d’historiens est de montrer cette diversité des expériences pour redonner à chacune sa profondeur, son importance, ses implications. Si l’on part du principe que tous les enfants sont victimes, d’une certaine manière, cela dévalorise le statut de ceux qui sont vraiment victimes.

Cette diversité des expériences enfantines est-elle mieux prise en compte aujourd’hui ?

Aujourd’hui, on se trouve face à un paradoxe. Depuis 1945, les droits de l’enfant ont fait des progrès colossaux, à l’échelle internationale puis dans les législations nationales. On a pris conscience de la nécessité de protéger cette catégorie d’âge et, d’un point de vue pragmatique, en particulier pour le monde occidental, les préoccupations quant au renouvellement des générations incitent à préserver ce qui apparaît de plus en plus comme un trésor démographique.

Cependant, les atteintes aux enfants n’ont jamais été aussi nombreuses que dans les guerres qui se sont déroulées depuis 1945. Et, s’il y a une attention accrue à la protection des enfants et à leur santé, physique ou psychique, elle est à géométrie variable. Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, en février 2022, il y a eu un mouvement de solidarité dans les opinions publiques occidentales à l’égard des civils ukrainiens, motivé par une forme d’identification. A contrario, on peut s’interroger aujourd’hui sur la quasi totale absence de réaction devant les dizaines de milliers d’enfants qui meurent aujourd’hui à Gaza.

Comment observe-t-on en tant qu’historien un siècle de guerre « à hauteur d’enfants » ?

L’histoire des enfants existe comme catégorie depuis les années 1960 mais c’était alors une histoire des institutions qui prennent en charge les enfants et des représentations qu’on projette sur les enfants – une histoire de l’école, de la médecine, de la famille…

Depuis 20 ans, un certain nombre d’historiens, dont je fais partie, propose de renverser le regard pour documenter non plus le discours des adultes sur les enfants mais les expériences enfantines. Ce renouvellement historiographique passe nécessairement par un renouvellement des sources. Pour comprendre ce que c’est qu’être élève, être délinquant ou encore être un enfant dans la guerre, on va se pencher sur les journaux intimes, les correspondances en temps de guerre, les travaux scolaires et les dessins d’enfants.

Les dessins sont des sources exceptionnelles. Ils donnent accès aux points de vue d’enfants très jeunes, qui n’ont pas encore la maîtrise de l’écrit, ce qui élargit considérablement les corpus d’archives et notre perception de ces expériences. Dans un exercice imposé, mais assez libre, on peut discerner par exemple les thèmes et les symboles qu’ils ont appris de ce qui va relever de leur expression personnelle, d’une émanation de la vie quotidienne. On observe ainsi l’intériorisation des codes de la propagande.

L’ouvrage incite à ne pas considérer les enfants seulement comme des victimes. En quoi sont-ils aussi des acteurs des conflits ?

Il ne s’agit pas de nier leur statut de victimes de la guerre mais de comprendre qu’ils ne sont pas seulement cela. Ils sont aussi des témoins et des acteurs de la guerre. Reprenons l’exemple de la guerre de 14. Quand les enfants vont quêter dans les rues pour récolter de l’argent, ils ont explicitement le sentiment de participer à l’effort de guerre. Certains y sont contraints, d’autres le font librement. Il y a des formes d’autonomie, des formes d’investissement personnel et même des formes d’adhésion.

Les enfants sont instrumentalisés mais sont aussi capables d’évoluer. Dans ses souvenirs d’enfance, Simone de Beauvoir raconte ainsi combien elle est d’abord en adhésion complète avec le discours germanophobe, puis comment, au fur et à mesure qu’elle grandit, elle prend conscience de ce qu’est la guerre et exprime son opposition de façon très virulente, ce qui lui vaut d’être sévèrement punie par ses parents. Donc il y a des marges de manœuvre et des possibilités de choix de vie qui doivent être reconnues.

Quels éclairages l’histoire nous apporte-t-elle pour comprendre l’actualité autour des déplacements d’enfants ?

Le déplacement d’enfants est consubstantiel aux guerres contemporaines. D’abord il y a les déplacements de sauvetage, des zones bombardées, ou qui menacent d’être envahies vers les zones protégées.

Puis il y a les déplacements forcés, le premier exemple dans l’histoire occidentale est celui du génocide des Arméniens et des marches de la mort imposées à des dizaines de milliers d’enfants depuis l’Empire ottoman (qui correspond à la Turquie actuelle) vers la Syrie et l’Irak où les survivants vont être parqués dans des camps et finalement assassinés. Ce type de déplacement est consubstantiel aux politiques d’épuration ethnique et de génocide. On les retrouve lors de l’extermination des juifs d’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale.

Récemment, dans le cadre de la guerre en Ukraine, ces déplacements contraints ont existé parallèlement à des déplacements dits de sauvetage, vers la Pologne, par exemple, principal pays accueillant des réfugiés ukrainiens aujourd’hui. Les déplacements forcés vers la Russie correspondent à une politique menée par l’État russe visant à transformer des enfants ukrainiens en enfants russes. Il s’agit de leur faire perdre leur langue maternelle, éventuellement de les confier à l’adoption en leur donnant une nouvelle identité, ce qui a pour conséquence de faire perdre leur trace aux associations des droits de l’homme qui les recherchent. Certains de ces enfants vivaient dans des orphelinats en Ukraine mais beaucoup étaient en réalité des enfants confiés à l’aide sociale, ils n’étaient pas sans famille.

Cette entreprise de russification est du même ordre que les politiques de purification ethnique puisque, comme les anthropologues l’ont très bien montré, et notamment Véronique Nahoum-Grappe, à partir du cas de la guerre en ex-Yougoslavie, briser la filiation est une manière d’entamer les racines d’une communauté nationale.

Qu’apporte l’histoire à la lecture de l’actualité ?

Dans mon cas, c’est d’abord un grand dénuement parce que j’ai le sentiment d’être rattrapée par mes propres sujets lorsque j’allume la radio. Mais faire un détour par le passé permet de forger des clés d’intelligibilité pour comprendre le présent. Si l’histoire n’a aucune capacité à prédire l’avenir, elle nous permet de constituer des cadres d’analyse, de nommer les phénomènes, de les comparer pour comprendre et si possible contrevenir aux situations présentes.


Propos recueillis par Aurélie Djavadi.

The Conversation

Manon Pignot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

21.10.2024 à 16:58

Ce que les « sauts » de CO₂ des glaces de l’Antarctique disent de l’évolution du climat

Etienne Legrain, Chercheur, Université Libre de Bruxelles (ULB)

Emilie Capron, Paléoclimatologue, Université Grenoble Alpes (UGA)

L’équivalent de quatre ans supplémentaires d’émissions mondiales de CO₂ pourraient être bientôt relargué dans l’atmosphère, venant aggraver le changement climatique.
Texte intégral (2469 mots)
Les bulles d’airs piégés dans les carottes de glace prélevées en Antarctique renferment des informations précieuses sur les changements passés de la composition de l’atmosphère. © Xavier FAIN/IPEV/LGGE/CNRS Images.

L’analyse de bulles d’air emprisonnées dans des carottes de glace vieilles de plus de 200 000 ans témoigne de moments dans l’histoire de planète où la concentration de CO2 dans l’atmosphère a subitement augmenté. Et suggère que nous pourrions être à l’aube d’un événement similaire… Cette augmentation, qui viendrait se superposer aux émissions humaines, reste toutefois largement inférieure aux niveaux de CO2 que nous relarguons actuellement.


L’atmosphère est en changement perpétuel. Sa composition a régulièrement varié au cours des époques climatiques de notre planète, et notamment les niveaux de concentration en dioxyde de carbone (CO2), paramètre crucial pour déterminer le climat de notre planète.

L’analyse des bulles d’air emprisonnées dans les carottes de glace a permis de reconstituer ces variations au cours des derniers 500 000 ans. C’est ce que montre notre étude publiée dans la revue Nature Geoscience, qui témoigne de « sauts » de CO2 récents, qui correspondent à des augmentations d’environ 10 parties par millions (ppm) en moins d’un siècle des concentrations atmosphériques de CO2.

Emilie Capron, co-auteure de l’étude, observant les bulles d’air emprisonnées dans la glace Antarctique. Sepp Kipfstuhl, Alfred Wegener Institute, Fourni par l'auteur

Ces « sauts », qui correspondent aux variations naturelles de CO2 atmosphérique les plus brutales survenues dans le climat passé, restent toutefois d’amplitude beaucoup plus faible que l’augmentation récente à l’origine du réchauffement climatique.

L’étude montre que ces sauts de CO2 se produisent à des moments où l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre par rapport au plan de son orbite autour du soleil, appelée obliquité, était élevée. Or, la Terre se trouve actuellement dans une période de forte obliquité.

Ce n’est pas tout : ces sauts sont déclenchés par des perturbations de l’AMOC, un courant océanique majeur de l’Atlantique Nord qui joue un rôle crucial dans la régulation du climat, et qui montre actuellement des signes de ralentissement.

Cela pourrait entraîner un saut de CO2 supplémentaire qui viendrait se cumuler aux émissions d’origine humaine.

« Sauts » de CO₂ : de quoi parle-t-on ?

Ces sauts de CO2 atmosphérique correspondent à des augmentations d’environ 10 parties par millions (ppm), en l’espace d’un siècle, des concentrations atmosphériques au cours du dernier demi-million d’années.

Bien que notables, ces augmentations demeurent toutefois, en moyenne, 10 à 20 fois plus faibles que l’augmentation des émissions d’origine humaine. Au cours de la dernière centaine d’années, celle-ci est estimée à 115 ppm, d’une ampleur dix fois plus importante que les sauts de CO2 observés.

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Gregory Teste, co-auteur de l’étude, en train de couper une carotte de glace à la station Antarctique de Concordia. Gregory Teste, IGE, Fourni par l'auteur

L’analyse de cette carotte de glace, un long tube de glace d’environ 10 cm de diamètre prélevée sur plusieurs kilomètres de profondeur en Antarctique, dont la surface est couverte en quasi-intégralité de glace, a été menée à l’Institut des Geosciences de l’Environnement de Grenoble.

Elle a permis d’identifier sept nouveaux sauts de CO2 au cours de la période allant de 260 000 à 190 000 ans avant notre ère et d’identifier 15 sauts déjà recensés dans des enregistrements précédents.

Surtout, elle a permis de montrer que 18 des 22 sauts de CO2 étudiés se sont produits lorsque l’obliquité de la planète était élevée.

Une coïncidence de deux phénomènes

Les sauts de CO2, des phénomènes abrupts, sont en effet causés par la contingence de deux phénomènes.

  • Le déclencheur initial de ces sauts est la perturbation de la circulation océanique atlantique (AMOC, pour Atlantic Meridional Oceanic Circulation), acteur majeur de la régulation du climat terrestre. L’arrêt de l’AMOC entraîne en effet une réorganisation des précipitations et températures à l’échelle du globe.

  • Pour autant, cette condition nécessaire n’est pas suffisante : chaque perturbation de l’AMOC n’entraîne pas systématiquement un saut de CO2. C’est là qu’intervient le deuxième paramètre clé dans l’occurrence des sauts de CO2 : l’obliquité de la terre, qui correspond à l’inclinaison de la terre par rapport au soleil lors de sa rotation autour de ce dernier.

Cette obliquité n’est pas constante : elle varie de manière régulière entre environ 22° et 25°, à travers des cycles de 41 000 ans.

Cette variation influence la répartition de l’énergie du soleil à la surface de la Terre, ce qui a des impacts directs sur les climats régionaux et la répartition géographique des environnements terrestres, notamment les types de végétation, qui stockent du carbone. Nos résultats suggèrent que ces changements dans la répartition terrestre de la végétation, en particulier au Moyen-Orient et en Afrique subsaharienne, entraînent la constitution de larges stocks de CO2 dans la biomasse, qui peuvent ensuite être déstockés lors de la perturbation de l’AMOC, provoquant les sauts de CO2.

Saut de CO₂ et changement climatique : une double peine ?

Or, la Terre se trouve actuellement dans une de ces périodes de haute obliquité. En cas de perturbation majeure de la circulation océanique atlantique, notamment un ralentissement de l’AMOC, une quantité de carbone équivalente à quatre années d’émissions anthropiques mondiales (au rythme des émissions moyennes de la période 2010-2019) pourrait ainsi être relarguée en l’espace de quelques dizaines d’années, se superposant ainsi aux émissions anthropiques actuelles.

Station Franco-Italienne de Concordia, dans la région de Dome C en Antarctique, lieu de forage de la carotte de glace ayant servi à identifier les « sauts de CO₂ ». Yves FRENOT/IPEV/CNRS Images, Fourni par l'auteur

À l’heure actuelle, il reste de grandes incertitudes sur les modélisations liées à l’AMOC, certaines suggérant qu’il ralentit du fait du changement climatique provoqué par les activités humaines. Dans l’hypothèse d’un effondrement de l’AMOC, un nouveau saut de CO2 pourrait survenir, et ainsi entraîner de nouvelles émissions de CO2 du fait des sources naturelles déstabilisées par l’activité humaine, venant amplifier le changement climatique.


Créé en 2007 pour accélérer et partager les connaissances scientifiques sur les grands enjeux sociétaux, le Fonds Axa pour la Recherche a soutenu près de 700 projets dans le monde entier, menés par des chercheurs originaires de 38 pays. Pour en savoir plus, consultez le site Axa Research Fund ou suivez-nous sur Twitter @AXAResearchFund.

The Conversation

Etienne Legrain a reçu des financements de Make Our Planet Great Again à travers le projet HOTCLIM de l'Agence Nationale de la Recherche et du ‘Programme d’Investissements d’Avenir’ (ANR-19-MPGA-0001).

Emilie Capron a reçu un financement de l'initiative Make Our Planet Gret Again à travers le projet HOTCLIM géré par l'Agence Nationale de la Recherche sous le 'Programme d’Investissements d’Avenir' (ANR-19-MPGA-0001).

21.10.2024 à 16:57

Après l’incendie, Notre-Dame anthropomorphisée ou quand le patrimoine devient humain

Damien Chaney, Professor, EM Normandie

Pascal Brassier, Maïtre de Conférences, Direction Commerciale & International Business, IAE, Université Clermont Auvergne (UCA)

L’incendie de Notre-Dame a provoqué une émotion collective très forte, au point de prêter à l’édifice des propriétés humaines.
Texte intégral (1899 mots)
Quand l'émotion collective amène à projeter des sentiments humains sur un monument. Leighton Kille/TCF, CC BY-SA

L’incendie de Notre-Dame en avril 2019 a marqué le monde, bien au-delà d’une simple catastrophe architecturale. Cet événement tragique a provoqué une vague d’émotion internationale qui s’est fortement exprimée sur Internet. C’est à cette occasion que nous nous sommes aperçus que les individus ont tendance à attribuer des caractéristiques humaines et surhumaines à la cathédrale Notre-Dame : un phénomène que nous appelons « anthropomorphisme patrimonial ».


La notion d’anthropomorphisme a déjà été appliquée aux marques, à la nature, ou encore aux objets technologiques, mais jamais au patrimoine. Dans le cas de Notre-Dame, la mobilisation de cette notion semble pourtant très appropriée.

Cette dynamique va au-delà de la simple projection émotionnelle sur un édifice : elle symbolise une perte collective ressentie comme la mort d’un être cher. C’est ce phénomène d’anthropomorphisation, assorti d’un processus de deuil, que nous avons étudié. Pour ce faire, nous avons analysé le réseau social X/Twitter et avons collecté tous les posts mentionnant Notre-Dame le lendemain de l’incendie, ce qui représente un réseau de 21 216 utilisateurs, avec 6394 posts, 752 réponses et 17 939 mentions. Nous avons complété cette première collecte par une étude des principaux titres de la presse écrite, soit 559 articles, afin de saisir la manière dont cet événement a été représenté dans le discours médiatique.

La cathédrale, un être vivant

Notre-Dame de Paris, avec ses 850 ans d’histoire, a toujours joué un rôle central dans la culture et l’identité françaises. Peut-être pour cette raison, l’incendie d’avril 2019 a provoqué une réaction émotionnelle unique : des millions de personnes, de tous horizons et de nombreux pays, ont commencé à parler de la cathédrale comme si elle était un être vivant, dotée de qualités humaines, voire surhumaines. Des termes comme blessée, vulnérable ou résiliente ont envahi les médias et les réseaux sociaux, illustrant ce processus d’anthropomorphisation. Le bâtiment est soudainement devenu plus qu’un monument : il est devenu un personnage à part entière, avec une histoire, une personnalité, une morphologie, et une capacité à souffrir et à se relever.

Ce phénomène a pris une dimension encore plus importante pour certains internautes, qui ont commencé à percevoir Notre-Dame comme une sorte de divinité immortelle, capable de survivre à toute adversité. L’idée d’une cathédrale « résiliente », capable de renaître de ses cendres, a dominé certains discours, renforçant l’idée que Notre-Dame représente bien plus qu’un simple monument. Cette attribution de qualités surhumaines a renforcé l’engagement émotionnel des individus envers le monument, le plaçant au centre de leur identité collective et de leur patrimoine partagé.

Un processus de deuil collectif

Face à la destruction partielle de la cathédrale, la plupart des personnes ont vécu l’incendie comme une perte personnelle, s’engageant dans un véritable processus de deuil. Ce phénomène révèle que la perte de lieux patrimoniaux, perçus comme des proches, déclenche des émotions similaires à celles ressenties lors du décès d’un être humain proche.

Les étapes classiques du deuil se sont ainsi manifestées dans les réactions en ligne et hors ligne à propos de Notre-Dame. Il y a d’abord eu le choc, qui survient immédiatement après l’annonce de l’incendie, laissant les individus « sans voix » et « horrifiés ». Cette réaction s’est accompagnée d’un déni, où les gens « refusent de croire » que la cathédrale, perçue comme éternelle, puisse disparaître.

Leighton Kille/TCF, CC BY-SA

À mesure que les faits deviennent inévitables, l’acceptation se mêle à la colère, et les individus cherchent des responsables pour cette tragédie. Cette colère masque souvent une tristesse profonde et la peur de perdre définitivement ce monument emblématique. Les émotions fortes traduisent une prise de conscience du drame. La perte de Notre-Dame amène également des questionnements existentiels. Le monument étant un symbole d’identité collective, sa destruction partielle suscite des interrogations sur l’humanité, le passé, et l’avenir.

Une autre façon d’exprimer le chagrin, révélée par les données, est le partage de souvenirs du défunt : une dernière visite, un souvenir associé à la cathédrale, etc. Enfin, la phase de rétablissement se manifeste par une énergie collective, symbolisée par les efforts pour reconstruire Notre-Dame, rappelant sa résilience à travers l’histoire.

Une mobilisation sans précédent

Cette charge émotionnelle a généré une mobilisation mondiale spectaculaire, puisque ce fut l’événement le plus médiatisé de 2019. En moins de 48 heures, plus d’un milliard d’euros de dons ont été récoltés pour la reconstruction de la cathédrale, venant non seulement de grandes fortunes, d’entreprises mais aussi de particuliers anonymes désireux de participer au sauvetage de ce symbole immortel. Les réseaux sociaux ont joué un rôle clé dans cette mobilisation, permettant aux individus de partager leur peine, mais aussi leur espoir de voir la cathédrale se relever, comme un proche que l’on soutient dans sa souffrance.


À lire aussi : Notre-Dame est-elle vraiment perçue comme un « beau monument » par tous les Français ?


L’anthropomorphisme patrimonial, en attribuant des caractéristiques humaines à un monument, a finalement permis de transformer une tragédie en un moment de rassemblement et de solidarité mondiale. Ce phénomène a montré que le patrimoine, loin d’être une simple structure matérielle, constitue un pilier de l’identité collective, une entité capable de provoquer des émotions puissantes et d’engager les individus dans des actions concrètes, notamment le fait de donner.

Le rôle crucial du patrimoine dans la mémoire collective

L’incendie de Notre-Dame a révélé la profondeur des liens entre les individus et leur patrimoine. En anthropomorphisant la cathédrale, des millions de personnes à travers le monde ont non seulement exprimé leur douleur, mais ont aussi montré que la perte d’un monument n’est pas simplement une question de destruction matérielle, mais bien une atteinte à la mémoire et à l’identité collectives.

La capacité de Notre-Dame à incarner des qualités humaines et divines a renforcé son statut de gardienne de l’histoire et des valeurs culturelles, rappelant à chacun l’importance de protéger et de célébrer ce qui constitue notre héritage commun.

L’anthropomorphisation du patrimoine ne se limite toutefois pas aux périodes de destruction, comme l’illustre l’exemple de Notre-Dame. Sur la base de ce premier travail, il serait maintenant pertinent d’étudier cette dynamique dans un contexte plus large, afin de mieux comprendre quels monuments sont susceptibles de susciter des projections anthropomorphiques. Par exemple, des sites comme la Tour Eiffel ou le Mont-Saint-Michel, bien qu’intacts, sont souvent perçus comme des entités dotées de caractère, de personnalité, et parfois même de vulnérabilité.

Il serait intéressant d’explorer les caractéristiques spécifiques qu’un monument doit posséder pour qu’il soit personnifié. Ces caractéristiques pourraient inclure son histoire, son symbolisme culturel ou son rôle dans l’imaginaire collectif.

Cela permettrait d’élargir notre compréhension de la manière dont les êtres humains établissent des liens émotionnels avec des structures patrimoniales, transformant ainsi ces monuments en véritables « acteurs » de notre histoire collective et de notre mémoire culturelle.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

21.10.2024 à 16:56

Patrimoine : algues, bactéries, champignons à l’assaut des vieilles pierres

Patrick Di Martino, Professeur des Universités de Microbiologie, CY Cergy Paris Université

Les scientifiques développent de nouveaux outils pour mieux protéger les monuments historiques des attaques de bactéries, champignons et autres lichens.
Texte intégral (2514 mots)
Sur l'abbaye royale de Chaalis, dans l'Oise, la biodiversité bactérienne bat son plein, avec une dominance de _Sphingomonas_, _Bosea thiooxidans_, _Rubrobacter_ et _Arthrobacter_. Patrick Di Martino, Fourni par l'auteur

Algues, bactéries, champignons… les microbes partent à l’attaque des vieilles pierres, dont certaines sont des monuments historiques. En comprenant mieux leurs modes d’action, on peut limiter les dégats – par exemple en utilisant des bactéries pour nettoyer les graffiti ou en testant des huiles essentielles sur le Colisée, à Rome.


Dans la grotte ornée de Lascaux, le surtourisme a entraîné le développement massif de champignons noirs Ochroconis lascauxensis à cause de la condensation d’eau sur les parois, des élévations de température, de la concentration en CO2 et en matière organique. La présence massive d’humains dans une grotte restée fermée des milliers d’années a modifié l’équilibre des communautés microbiennes et favorisé la prolifération de certains microorganismes… ce qui a nécessité sa fermeture au public.

Aujourd’hui, grâce à une meilleure maîtrise du climat dans la grotte, et à la limitation de l’accès à un nombre restreint de conservateurs et de scientifiques, la grotte va mieux mais la situation reste fragile. La création du fac-similé Lascaux IV permet à un large public de visiter une représentation de l’intégralité de la grotte originale.

grotte et visiteurs
Reproduction de la grotte de Lascaux, Lascaux IV. Patrick Di Martino, Fourni par l'auteur

Verdissement d’une toiture par développement de microalgues, de cyanobactéries ou de mousses ; jaunissement de parois de grottes ornées à cause de bactéries ; pourrissement des charpentes et boiseries dont se nourrissent les champignons lignivores et certaines moisissures ; perte de matière par des lichens ou des « biofilms » microbiens à la surface de la pierre… la « biodégradation » peut se définir par tout changement indésirable des propriétés d’un bien culturel causée par l’activité d’organismes vivants.

Si ces effets sont nombreux et familiers, c’est parce que les microorganismes sont partout, sous tous les climats, sur toutes les surfaces. Ils sont véhiculés par l’eau, par l’air, par les animaux, par l’homme. Ils ne sont pas tous néfastes, bien au contraire – les décomposeurs jouent ainsi un rôle central dans le recyclage de la matière organique.

La recherche sur la biodégradation a un rôle essentiel pour améliorer la préservation des biens culturels des attaques biologiques. Elle est très active en Europe, certainement parce que notre continent recèle un patrimoine culturel exceptionnel. La recherche se focalise notamment sur une meilleure compréhension des mécanismes de biodégradation.

La stratégie est de comprendre pour mieux prévenir, mieux diagnostiquer et mieux traiter.

photos du colisée et d’essais de traitements
Le Colisée, à Rome, est aussi colonisé par des mousses et des microorganismes phototrophes (attirés par la lumière). Des essais de traitements antimicrobiens à base d’huiles essentielles y sont effectués, avec le laboratoire de biologie des algues de l’Université de Rome Tor Vergata, l’Université d’Aquila, l’ENEA et le groupe Biofilm et Comportement Microbien aux Interfaces du laboratoire ERRMECe de l’Université de CY Cergy Paris. Patrick Di Martino, Fourni par l'auteur

Mieux prévenir

La maîtrise des conditions environnementales (température, hygrométrie, lumière, qualité de l’air, dépoussiérage) est un élément clé de la conservation préventive du patrimoine culturel dans les musées.

En particulier, la prévention de la biodégradation passe par la limitation de l’apport en eau et en nutriments nécessaires au développement des microorganismes ; ainsi que par la limitation de l’apport en lumière, source d’énergie des « phototrophes », en limitant l’éclairage artificiel.

L’installation d’un toit permet de protéger un site extérieur des intempéries et de la lumière. C’est le cas du site de la Polledrara di Cecanibbio au nord-ouest de Rome qui comporte les ossements fossilisés de plus de 20 000 vertébrés, enfouis dans des sédiments volcanoclastiques des volcans de Sabatino il y a plus de 300 000 ans.

Mieux diagnostiquer

Les développements technologiques en imagerie permettent d’étudier les interactions entre microorganismes et surfaces, ainsi que la dégradation des matériaux, notamment la microscopie électronique à balayage, que l’on peut coupler à l’analyse élémentaire ou à la spectroscopie Raman pour obtenir la composition chimique, et la microscopie confocale à balayage laser.

microorganismes au microscope
Vue au microscope électronique à balayage de microorganismes à la surface de la roche de la grotte préhistorique du Sorcier à Saint-Cirq-du-Bugue, en Dordogne. Patrick Di Martino, Fourni par l'auteur

Avec la métagénomique (analyse bio-informatique des séquences d’ADN issues de prélèvements environnementaux), les chercheurs dévoilent la biodiversité des microorganismes associés à la biodégradation.

Avec la métabolomique (analyse de l’ensemble des petites molécules issues de l’activité du vivant), ils déterminent les voies enzymatiques et les molécules mises en œuvre dans les processus de biodégradation.

Ces technologies permettent de répondre à différentes questions : quels sont les microorganismes présents ? Lesquels sont néfastes ? Comment interagissent-ils entre eux et avec les matériaux ? Quelles sont les activités microbiennes impliquées dans la biodégradation ? Quels sont les mécanismes de la biodégradation ?

Mieux traiter : des bactéries contre les graffitis

La recherche sur la biodégradation des biens culturels s’oriente également vers les biotraitements.

La porosité de la pierre des monuments historiques permet des mouvements d’eau dans les pores, qui véhiculent des sels dissous. Ces sels de sulfates ou de nitrates pourront recristalliser et induire la formation d’efflorescences ou de croutes en surface ainsi qu’un détachement de matière.

Les bactéries Desulfovibrio desulfuricans et Pseudomonas stutzeri qui dégradent les sulfates ou les nitrates peuvent être utilisées pour « bionettoyer » ce type de croute.

La bactérie Rhodococcus erythropolis ou la levure Candida parapsilosis peuvent être utilisées pour dégrader et bionettoyer les graffiti.

À l’inverse de ces nettoyages, un ajout de matière par bio-renforcement de la pierre calcaire peut être réalisé à l’aide de bactéries qui favorisent la précipitation de carbonate de calcium comme Bacillus cereus et Myxococcus xanthus.

Des enzymes microbiennes (plutôt que des microorganismes vivants) peuvent aussi être utilisées, comme des lipases pour enlever des patines noires ou des couches de peinture recouvrant des œuvres originales, ou des protéases pour enlever des colles animales.

Des antimicrobiens naturels sont testés en remplacement des ammoniums quaternaires et de l’eau de Javel, deux biocides artificiels largement utilisés pour traiter le noircissement et le verdissement de la pierre.

De nombreuses plantes contiennent des molécules bioactives aux propriétés antibactériennes, antifongiques ou insecticides, qui sont extraites et concentrées dans les huiles essentielles. Elles peuvent être appliquées en spray, sous forme de gel déposé sur un objet ou apportées par des nanoparticules pour contrôler leur libération et optimiser les doses appliquées et la durée d’efficacité du traitement. Bien que basés sur des principes actifs végétaux, il faut s’assurer que ces biotraitements n’ont pas d’effet indésirable sur les matériaux des biens culturels et ne sont pas toxiques pour l’homme aux doses d’usage.

pierres tachées dans un bac
Colonisation expérimentale de différents échantillons de pierre et essais de traitements antimicrobiens innovants. Expériences réalisées à l’Université de Messina, Italie. Patrick Di Martino, Fourni par l'auteur

La recherche sur la biodégradation apporte des outils aux différentes étapes de la préservation du patrimoine, de la conservation préventive à la conservation curative jusqu’à la restauration. Et parfois, après avoir établi un diagnostic, le meilleur choix est de n’appliquer aucun traitement, en veillant à préserver le bien culturel en l’état pour le transmettre aux générations futures.

The Conversation

Patrick Di Martino est membre de l'International Biodeterioration and Biodegradation Society (IBBS). Les travaux à l'abbaye de Chaalis et à la grotte du Sorcier mentionnés dans l'article ont été soutenus financièrement par la Fondation des Sciences du Patrimoine et CY Cergy Paris Université. Les photographies des travaux au Colisée ont été réalisées lors d'une mobilité financée par le programme Erasmus +.

21.10.2024 à 16:55

Les maisons fissurées : comment faire face aux effets du dérèglement climatique ?

Antoine Prevet, Directeur exécutif Chaire etilab, Chercheur en économie, Mines Paris - PSL

Les communes très exposées aux sécheresses sont d’autant plus sensibles au phénomène. Pour le moment, les dispositifs d’indemnisation ne sont pas suffisants.
Texte intégral (1950 mots)

Avec le réchauffement climatique, de plus en plus d’habitations sont concernées. Lorsqu’elles sont bâties sur des sols argileux, qui gonflent et se rétractent en fonction de l’eau qu’ils contiennent, des fissures peuvent apparaître sur les murs, posant un vrai problème de sécurité pour les habitants. Quelles ressources vont être nécessaires pour atténuer cet effet du changement de climat ?


De plus en plus répandu, le phénomène des maisons fissurées s’explique par un mécanisme survenant lors des périodes de sécheresse : le retrait-gonflement des argiles (RGA). Lorsque les sols argileux se déshydratent, ils se contractent, ce qui provoque parfois des dégâts importants aux bâtiments.

Les deux facteurs clés de l’apparition de ces fissures sont donc la présence d’un sol argileux et la récurrence des épisodes de sécheresse. Si la nature des sols relève de caractéristiques géologiques immuables, les sécheresses, quant à elles, sont de plus en plus fréquentes en raison des dérèglements climatiques provoqués par les activités humaines.

Ces épisodes de sécheresse peuvent être considérés comme des externalités négatives : des effets collatéraux des activités économiques, non pris en compte par les acteurs responsables.

Quel est l’impact de ce phénomène ? Et quelles leçons tirer du phénomène des maisons fissurées pour mieux gérer collectivement les futures conséquences du dérèglement climatique ?

Les maisons fissurées : un phénomène inégalitaire et en croissance

Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) estime que 48,5 % du territoire est en exposition moyenne ou forte au RGA. Le phénomène des maisons fissurées est donc d’une importance nationale.

Part de la surface communale exposée à un risque moyen ou fort de RGA. BRGM

Il est aussi en forte croissance. La figure suivante représente l’évolution du nombre de catastrophes naturelles pour les sécheresses et les mouvements de terrain consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols, deux catégories de catastrophes à rapprocher du RGA.

Nombre de catastrophes naturelles liées à la sécheresse en France entre 1990 et 2022. Gestion assistée des procédures administratives relatives aux risques (GASPAR), Fourni par l'auteur

On y voit, d’une part, que les sécheresses suivent une certaine périodicité par intervalles d’une dizaine d’années, avec un premier cycle qui se termine au début des années 2000, un deuxième qui prend fin autour de 2014 et un troisième qui n’a pas encore atteint son terme. D’autre part, le nombre d’occurrences augmente très fortement dans le dernier cycle observé, comme l’illustre la moyenne glissante sur 10 ans représentée en bleu. La sécheresse étant la cause principale des RGA, une telle augmentation des épisodes de sécheresse ne peut qu’aggraver le phénomène des maisons fissurées.

Toutefois, ce phénomène est très inégalement réparti sur le territoire, puisque dépendant de la constitution des sols. Cette hétérogénéité est également doublée d’une hétérogénéité patrimoniale. Selon l’estimation réalisée par le Service des données et études statistiques (SDES) en 2021, 10 430 299 logements seraient exposés à un risque moyen à fort de RGA. De fortes différences existent cependant selon le type de propriété. Près de 45 % des logements exposés ont été construits après 1975 et sont plus vulnérables que des bâtiments plus anciens.

L’exposition hétérogène à l’aléa rend difficiles l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique nationale, qui, par définition, a vocation à s’appliquer à tous et sur l’ensemble du territoire.

Néanmoins, cette difficulté semble être commune à de nombreuses conséquences des bouleversements climatiques (augmentation des températures en villes et pollution, augmentation du niveau des eaux, difficulté de cultures agricoles localisées comme la vigne…). Le traitement en politique publique du RGA peut faire école pour les problématiques qu’il faudra gérer.

Les conséquences économiques et les solutions mises en œuvre

L’apparition de fissures engendre des coûts de réparation et de relogement importants. La solution préférée jusqu’à présent est la compensation financière par assurance privée ou fonds publics. Toutefois, ces solutions ne semblent pas suffire et, a fortiori, ne seront pas adaptées aux futures conséquences des bouleversements climatiques.

Tous les rapports récents des grandes institutions publiques s’inquiètent de l’incapacité du dispositif d’indemnisation des catastrophes naturelles, dit « CatNat », à faire face aux conséquences des évolutions climatiques. Ce dispositif permet aux particuliers, aux entreprises et aux collectivités d’être indemnisés en cas de situation déclarée catastrophe naturelle. En particulier, Christine Lavarde souligne dans son rapport d’information au Sénat qu’« il est estimé que le coût cumulé de la sinistralité sécheresse entre 2020 et 2050 représenterait un coût de 43 milliards d’euros, soit un triplement par rapport aux trois décennies précédentes. Le régime CatNat ne serait ainsi plus en mesure de dégager assez de réserves pour couvrir les sinistres à l’horizon 2040 ».

Dès lors, d’autres solutions doivent être envisagées, par exemple :

  • Une augmentation des ressources associées au dispositif CatNat au prix d’une réduction de fonds alloués aux autres programmes publics ou à une augmentation des prélèvements pour répartir le coût du phénomène sur l’ensemble de la collectivité.

  • Une modification des normes de construction pour réduire le risque d’apparition de fissures. Cette solution est mise en avant dans le rapport Ledoux dédié au RGA et qui s’articule autour de trois axes : réduction de la survenance, adaptation de la prise en charge des victimes et adaptation des logements au changement climatique.

  • Une refonte du marché immobilier pour s’adapter aux nouvelles réalités climatiques. Certains pays, où les logements sont fortement exposés aux aléas naturels, ont mis en place des modèles différents du nôtre. Au Japon, par exemple, la valeur immobilière repose essentiellement sur le terrain, tandis que les maisons elles-mêmes, relativement peu coûteuses car construites en bois la plupart du temps, sont souvent détruites et reconstruites tous les 20 à 30 ans. Cela permet aussi de renouveler le parc immobilier avec des constructions très récentes et donc très efficaces d’un point de vue énergétique.

De plus, les solutions compensant simplement les dégâts ne prennent pas en compte la diminution de la valeur des biens immobiliers. La probabilité des RGA, même si la maison n’est pas fissurée, est intégrée par les acheteurs potentiels et a un impact direct sur le prix de marché. Selon nos estimations, une augmentation de 1 % de la surface exposée dans la commune conduit, en moyenne, à une réduction significative du prix au mètre carré de 29 euros. La prise en compte de ce manque à gagner augmenterait encore les montants à verser…

The Conversation

Antoine Prevet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

21.10.2024 à 16:55

Le chien, cher dans les cœurs et pour le porte-monnaie

François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris - PSL

Les animaux domestiques occupent une place de plus en plus importante dans nos vies, notamment les chiens. L’analyse économique éclaire-t-elle ce drôle de rapport entre l’homme et l’animal ?
Texte intégral (2000 mots)

Les animaux domestiques occupent une place de plus en plus importante dans nos vies, notamment les chiens. L’analyse économique éclaire-t-elle ce drôle de rapport entre l’homme et l’animal ?


Le chien est un bien étrange animal. Leurs maîtres les achètent, les vendent et dépensent pour les entretenir, comme pour les automobiles. La statistique estime d’ailleurs qu’en France un ménage sur quatre possède un chien de la même façon qu’elle indique que neuf sur dix possèdent une automobile. D’un autre côté, le chien s’apparente à un membre de la famille, parfois même considéré comme un enfant. Qu’en est-il : bien de consommation durable ou membre permanent de la famille. Comment sont perçus les chiens par nos contemporains ?

Poursuivons un instant la comparaison entre le chien et de la voiture. Dans les deux cas, l’offre est pléthorique. Le nombre de modèles et versions – si les amis des animaux me permettent ce vocabulaire – se compte respectivement en centaines et milliers. Évidemment, le budget disponible restreint le choix : comptez 200 euros pour l’adoption d’un « corniaud » en refuge mais vingt fois plus pour un dogue du Tibet. D’autres contraintes s’exercent aussi pour celui qui veut « adopter », en particulier la taille de l’habitation. Alors que les voitures prennent du poids et du volume, les chiens rétrécissent. La demande se porte de plus en plus vers de petits formats comme le chihuahua. La mode joue aussi. Chaque reprise des 101 Dalmatiens entraîne un rebond des ventes de la race.

1000 euros par an !

Ranger le meilleur ami de l’homme parmi les biens de consommation durables permet de souligner deux déboires auxquels l’acheteur potentiel d’un chien s’expose.


À lire aussi : À quoi ressemblaient les chiens à la préhistoire ?


D’abord celui de la myopie qui lui fait seulement très vaguement estimer et prendre en compte les coûts futurs liés à son acquisition. Et ce alors même qu’ils sont nettement supérieurs au prix d’achat. Gare alors aux difficultés financières futures et au risque de devoir se séparer, voire d’abandonner l’animal. Il faut compter de l’ordre de mille euros de dépenses annuelles pour son toutou. La moitié pour la nourriture. Finis depuis des lustres la préparation de la pâtée et l’os à moelle offert par le boucher ! Croquettes, boites et barquettes ont pris la suite. De toutes sortes – y compris bio, sans OGM, et même végan ! – et pour tous les régimes canins selon la santé, l’âge, et même la race. L’industrie pour l’alimentation animale est florissante. Ses prix croissent plus vite que ceux du panier moyen de consommation. Elle tire parti de sa concentration et du fort attachement des propriétaires pour leur animal de compagnie. Mars, connu pour sa barre au chocolat et caramel, est le numéro un du secteur avec ses marques Royal Canin et Canigou. Nestlé, avec notamment Friskies et Purina, occupe le troisième rang.

Les soins de santé représentent le second poste des dépenses canines. Mars – qui l’eût cru ? – est d’ailleurs à la tête de 3 000 cliniques vétérinaires dans le monde. Un sondage réalisé par l’IFOP montre que les propriétaires de chien sous-estiment systématiquement le nombre de fois où ils se rendront chez le vétérinaire. Ils ont de même tendance à sous-évaluer le prix de ses interventions. Ils estiment par exemple que le coût d’une rupture d’un ligament croisé – fréquente chez le chien – s’élève à 700 euros alors qu’elle s’établit à près de 1 000 euros.

Coûteuses asymétries

L’acheteur potentiel d’un chien se heurte aussi à une asymétrie d’information au bénéfice du vendeur. Il connaît beaucoup moins bien l’origine et les caractéristiques – qualités et défauts – de l’animal qu’il guigne. Cette asymétrie est un problème commun aux biens de consommation durables car, faute d’achats fréquents, l’expérience du consommateur est mince et la qualité du bien ne se révèle vraiment qu’à l’usage. Mais me voilà obligé de revenir à la voiture puisque le problème de l’asymétrie d’information a été modélisé la première fois dans le cas du marché de l’automobile d’occasion dans un célèbre article de l’économiste américain G. Akerlof. Dès lors que l’acheteur ne sait pas distinguer un véhicule de bonne qualité de celui avec des défauts cachés, le vendeur peu scrupuleux en profite en passant sous silence tout ce qui réduit le prix du véhicule d’occasion. Cette imperfection conduit à un prix trop bas proposé aux bons vendeurs et une moindre quantité de bons produits mis sur le marché. Toute une série de palliatifs (chartes, labels, certification, etc.) doit alors être mise en place pour mieux informer les consommateurs et rétablir leur confiance.

L’asymétrie d’information affecte tout particulièrement le marché des chiens de race. La sélection réalisée pour favoriser certains traits physiques réduit la diversité génétique, ce qui augmente la prévalence de caractéristiques défavorables à la santé des animaux. De façon générale, les chiens de race pure sont plus fragiles mais les acheteurs ne sont pas forcément mis au courant des risques qui affectent leur généalogie. On se souvient peut-être de la mine déconfite de Yolande, personnage du film Un air de famille, apprenant que le labrador qu’elle devrait bientôt recevoir finira sa vie paralysé par l’arthrose. À l’image de celui qui lui fait face, étalé sur un fauteuil, au regard infiniment triste. Il est devenu « décoratif comme un tapis, mais vivant », constate Denis, autre personnage du film.

Cette réplique offre une transition toute trouvée pour aborder la place du chien dans la famille. Si l’animal peut être considéré comme un bien de consommation durable d’un point de vue économique, c’est un « bien particulier » qui s’anime, aboie et remue la queue. Cela modifie évidemment la perspective !

Des prénoms et des surnoms

Remarquons d’abord l’humanisation croissante du chien. Il porte de plus en plus souvent un prénom de bipède comme Sam, Max, Oscar, ou Roxane. Rex, Spot, Fido ou Titi sont devenus moins courants. Dorénavant, les chiens peuvent aussi porter des sweats à capuche et manger des glaces.

Ils sont aussi plus nombreux à avoir une tête aplatie, comme nos visages sans museau. Les races brachycéphales comme le carlin ou le bouledogue français sont très à la mode. Vous avez sans doute aussi noté comme moi qu’il arrive souvent que les maîtres parlent de « mon bébé » ou de « mon enfant » à propos de leur chien et se désignent eux-mêmes quand ils s’adressent à lui comme « ta maman » ou « ton papa ». Cela n’arrive jamais à propos d’une voiture !

Le chien est-il alors un substitut de l’enfant ? Une question d’autant plus légitime que l’on observe parallèlement un déclin du nombre d’enfants et une hausse du nombre de chiens. Aux États-Unis, la proportion de foyers avec un chien a dépassé à celle de foyers avec un enfant mineur. En France, les proportions sont encore identiques.

En concurrence avec les enfants ?

Chien et/ou enfant ? La réponse a été apportée par un trio d’économistes dans une étude portant sur plus de cent mille observations de ménages américains avec ou sans chien, avec ou sans enfant, et différant selon le revenu, le lieu d’habitation, le niveau d’étude… Leur modèle économétrique montre que, toutes choses égales par ailleurs, la probabilité d’avoir un chien diminue avec la présence d’un enfant de moins de deux ans. Chien et enfant apparaissent alors substituables. En revanche, la probabilité augmente avec la présence d’un enfant plus âgé. Chien et enfant apparaissent alors complémentaires. Mais une relation de substitution resurgit : la présence d’enfant de plus de 2 ans a pour effet de diminuer les dépenses affectées au chien. Ce qui suggère que les parents accordent une plus grande importance à la qualité de vie de l’enfant qu’à celle de l’animal.

Dans un tout autre registre, l’écrivain Russel Banks, saisit remarquablement la place du chien dans une nouvelle intitulée précisément « Un membre permanent de la famille ». Un couple, parent de trois enfants, se sépare. Mari et femme décident de vivre à quelques centaines de mètres chacun et optent pour le mode de la garde alternée. Tous s’adaptent parfaitement à cette nouvelle vie, sauf Sergent, une chienne rétive à ce partage en deux. Elle refuse de suivre les enfants à pied quand ils doivent se rendre dans la maison de leur mère. Il faut à chaque fois l’embarquer dans le coffre de la voiture pour l’y conduire de force, et l’y reconduire car elle s’en échappe souvent. Plus finalement que les allers-retours des enfants, ce sont ceux de la chienne qui tiennent le fil d’une apparence d’une famille encore unie. Or un après-midi, en reculant son break, le mari écrase Sergent. De ce jour, éclate l’impermanence jusque-là occultée de la famille. Tout alors se délite.

Une vie de chien à 10 000 dollars

Dernier indice enfin sur la place du chien, un économiste, David Weimer, a même eu l’idée d’estimer la valeur d’une vie de chien. Plus précisément, sa valeur statistique en appliquant à la race canine le concept de valeur statistique d’une vie humaine utilisé dans les analyses coût-bénéfice du secteur de la santé. En interrogeant des milliers de propriétaires de chien sur leur consentement à payer pour un vaccin contre la grippe canine, il a estimé la valeur d’une vie de chien de l’ordre de 10 000 dollars.

David Weimer est aussi l’auteur de Dog Economics paru récemment chez Cambridge University Press, une maison d’édition sérieuse et prestigieuse. Un ouvrage très complet et, à ma connaissance, le seul livre académique dédicacé à des chiens avec photo à l’appui. Rien n’échappe à l’analyse économique, même les animaux domestiques à la fois biens de consommation et membres de la famille. Si le chien est un bien étrange animal, leurs maîtres le sont peut-être encore bien davantage…

The Conversation

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