12.02.2025 à 17:36
Patrick Michel, Astrophysicien, Directeur de Recherche au CNRS, Responsable Scientifique de la mission spatiale Hera (ESA), Observatoire de la Côte d’Azur, Laboratoire Lagrange, Université Côte d’Azur
L’astéroïde 2024 YR4 a été découvert le 27 décembre 2024. Il croise régulièrement l’orbite terrestre et fait parler de lui, car il est le premier à atteindre le seuil déclenchant les travaux du comité international chargé de surveiller de potentiels impacts d’astéroïdes avec la Terre. Jusqu’en avril 2025, les prévisions doivent être affinées pour savoir si un risque d’impact existe bel et bien.
Quoiqu’il arrive, 2024 YR4 restera dans l’histoire de la « défense planétaire » et souligne les grandes avancées que nous avons accomplies dans la mise en place d’une réponse coordonnée à l’échelle internationale pour se protéger du risque d’impact d’un astéroïde.
L’astéroïde 2024 YR4 a été découvert le 27 décembre 2024 par des chercheurs américains de l’Université d’Hawaï postés au Chili pour des opérations de recherche d’astéroïdes géocroiseurs – des petits corps célestes dont l’orbite croise celle de la Terre.
À la suite de cette découverte, des télescopes du monde entier ont détecté cet objet, dont le diamètre est estimé entre 40 et 90 mètres, et effectué un suivi détaillé. Des images datant de la veille et l’avant-veille (les 25 et 26 décembre 2024) ont aussi été retrouvées.
Jusque-là, rien de très original, puisque nous détectons actuellement environ 3 000 astéroïdes géocroiseurs par an… jusqu’à ce que les calculs de probabilité d’impact de cet astéroïde avec la Terre donnent une probabilité non nulle pour le 22 décembre 2032.
Dans les premiers jours suivant sa découverte, cette probabilité était extrêmement faible, de l’ordre de 0,3 %. Puis, la précision de la trajectoire de l’astéroïde s’est améliorée avec les nouvelles observations, et la probabilité d’impact a augmenté jusqu’à ce que le 27 janvier, les trois centres de calculs indépendants dédiés à son estimation (celui de la Nasa, celui de l’ESA et le système NEODYS de l’Université de Pise, soutenu par l’ESA), chacun utilisant leur propre méthode de calcul, convergent à la valeur de 1 %. Au 11 février 2025, elle est même de 2 %.
Mais pour l’instant, cette probabilité est très incertaine, car nous connaissons mal la trajectoire de l’astéroïde 2024 YR4. Déterminer cette trajectoire est tout l’enjeu des mois à venir.
En comparaison, en 2004, un astéroïde de 340 mètres de diamètre appelé Apophis avait d’abord eu une probabilité d’impact calculée de 2,7 % (pour 2029), mais les calculs des jours suivants avaient déterminé que la probabilité de collision était finalement nulle. Nous sentant démunis, nous avions alors réalisé qu’il fallait mettre un œuvre une réponse coordonnée à l’échelle internationale, ce risque concernant l’ensemble de l’humanité, permettant d’avoir un processus bien défini pour passer de la prédiction à l’information, puis à une action si cela s’avérait nécessaire. Aujourd’hui, un tel processus est établi.
Depuis que nous avons commencé à mettre en place une réponse coordonnée à l’échelle internationale, le seuil de 1 % n’avait jamais été atteint. Or, c’est précisément ce seuil qui a été défini pour émettre une notification par le comité de pilotage du réseau international d’alerte aux astéroïdes qui, sous l’égide de l’ONU, est chargé d’évaluer les risques d’impact (le IAWN ou International Asteroid Network).
Ainsi, le 28 janvier, la Nasa a réuni le comité de pilotage de l’IAWN en visioconférence, ce qui montre la réactivité et l’efficacité de la coordination internationale mise en œuvre pour faire face au risque d’impact. Suite à cette réunion, le comité de pilotage – dont je fais partie – a envoyé une notification aux États membres de l’ONU et au groupe de travail consacré à la « défense planétaire » (c’est-à-dire au risque d’impact d’astéroïdes), réunissant les agences spatiales qui participent à la défense planétaire (le SMPAG pour Space Mission Planning Advisory Group).
Il faut noter que ce critère de 1 % est très bas, mais suffisamment élevé pour qu’une notification soit émise, permettant de se préparer bien en amont au cas où la probabilité se maintienne ou augmente au fur et à mesure des observations de cet objet. D’ailleurs, depuis qu’elle a dépassé ce seuil symbolique, la probabilité a continué d’augmenter, puis elle a diminué très légèrement, atteignant 2 %, le 11 février 2025. Ceci n’est ni anormal ni nécessairement inquiétant (sachant qu’une probabilité de collision de 2 % correspond à 98 % de chances qu’il ne se passe rien).
En effet, chaque nouvelle observation permet d’améliorer notre connaissance de la trajectoire actuelle de 2024 YR4, et donc de réduire les incertitudes sur sa trajectoire future.
Il reste des incertitudes dans nos prévisions puique nous connaissons mal les position et vitesse actuelles de l’astéroïde, lesquelles déterminent ses positions et vitesses futures. Une analogie possible est celle d’un ballon de football : selon la position exacte du pied quand il tape, le ballon part dans le but ou à côté. Si on ne connaît pas exactement la position du pied au départ, les calculs peuvent prédire un but… ou une sortie du cadre.
On peut aussi imaginer un nuage de points de départ. Plus ce nuage est gros (plus l’erreur sur la vitesse et la position initiales est grande), plus on aura de points de départ possibles et donc d’évolutions possibles. Au fur et à mesure des observations, le nuage de conditions initiales (vitesse et position) possibles rétrécit, on réduit les incertitudes sur sa trajectoire future.
Aujourd’hui, à cause de notre méconnaissance des conditions actuelles, la zone d’incertitude en 2032 est bien plus grande que la distance de la Terre à la Lune (elle est actuellement de plus d’un million de kilomètres) – c’est dire les incertitudes actuelles, pour ce corps dont les dimensions sont estimées de 40 à 90 mètres de large.
Ici, il faut donc bien retenir que la probabilité actuelle ne doit pas être prise comme acquise, car il y a de nombreux efforts pour réduire les incertitudes. On peut donc espérer que, parmi toutes les trajectoires possibles, nous pourrons bientôt éliminer celles conduisant à une collision avec la Terre.
Si les astronomes amateurs ont d’abord pu participer à l’observation de 2024 YR4, ce sont désormais les télescopes de plus de 4 mètres, puis ceux de plus de 8 mètres, qui observeront 2024 YR4 jusqu’en avril. Ces mesures permettront de préciser ces calculs de probabilité d’impact. Après le mois d’avril, l’astéroïde sera trop loin de nous pour que l’on puisse le distinguer depuis la Terre, et ce jusqu’en juin 2028.
Mais une bonne nouvelle est arrivée le 10 février : le comité d’attribution du temps d’observation du télescope spatial Webb a approuvé la proposition soumise pour observer 2024 YR4 avec ce télescope. Ceci permettra d’effectuer les dernières mesures de sa trajectoire et d’estimer son diamètre avec une précision de 10 %. En effet, savoir s’il mesure 40 ou 90 mètres serait très utile, notamment pour estimer de façon plus précise les dégâts qu’un impact sur Terre produirait et pour concevoir une mission qui aurait pour objectif de le dévier.
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Aujourd’hui, d’après une analyse statistique de l’évolution de cette probabilité, nous pensons qu’il est très probable que la probabilité d’impact s’annule dans les prochaines semaines. Mais cette probabilité d’impact pourrait aussi rester non nulle et, en extrapolant son évolution jusqu’au mois d’avril, dans le pire des cas, elle peut potentiellement atteindre 20 % – nous devrions vivre avec cela jusqu’au prochain passage de l’astéroïde 2024 YR4 dans trois ans.
Enfin, si une probabilité non nulle venait à se confirmer en 2028, il ne restera plus que quatre ans pour agir. Définir un mode d’action sera alors le rôle du SMPAG, qui se réunira d’abord pour faire le point de la situation en avril prochain. Mais il est bien trop tôt pour parler de ce scénario et quoiqu’il arrive, il n’y a aucune raison de s’inquiéter car la communauté de défense planétaire est au front et s’occupe de cet objet avec toute l’attention nécessaire. Rien n’est négligé et tout est communiqué avec transparence.
La dernière question souvent posée est : quels dégâts pourrait causer cet astéroïde s’il devait entrer en collision avec la Terre ? Tout dépend de sa masse exacte, qui dépend de sa densité et de son volume, et donc de son diamètre.
S’il mesure 40 mètres de diamètre, il produira au minimum des dégâts tels que ceux causés par l’explosion d’un objet d’une même taille à huit kilomètres au-dessus de la forêt de la Toungouska en Sibérie. le 30 juin 1908 (c’est pourquoi le 30 juin est le jour ONU des astéroïdes) : deux mille kilomètres carrés ont été pulvérisés. Une capitale ou une grande ville y passerait, si cela se produisait au-dessus de l’une d’entre elles ; mais il ne faut pas oublier que la Terre est en majeure partie couverte d’eau et de déserts. Statistiquement, il est donc plus probable qu’un événement local se produise au-dessus d’une zone inhabitée sans autres conséquences sur le long terme, comme dans le cas de Toungouska.
Si l’astéroïde 2024 YR4 mesure 90 mètres, les dégâts pourraient s’étaler à l’échelle d’une région. Naturellement, les conséquences exactes, en particulier la fraction de masse perdue dans l’atmosphère et l’énergie d’impact, dépendent de la masse de l’objet et de sa structure que nous ne connaissons pas.
Il faut d’abord attendre de voir comment la probabilité d’impact va évoluer d’ici le mois d’avril et préciser quelles régions terrestres seraient concernées s’il devait nous atteindre. D’après les données actuelles, si l’impact de 2024 YR4 devait se produire en 2032, ce serait quelque part sur une bande entourant la sphère terrestre, appelée « couloir d’incertitude », allant de la partie orientale de l’océan Pacifique jusqu’à l’Asie du Sud en passant par la partie nord de l’Amérique du Sud, l’océan Atlantique, une partie de l’Afrique et la mer d’Arabie. Il est trop tôt pour savoir à quel endroit précisément un impact ou une explosion dans l’atmosphère se produirait dans cette bande.
Si la probabilité reste non nulle, cela fera l’objet de réunions de l’IAWN et du SMPAG pour décider des actions à mener.
Pour conclure, il faut se réjouir de notre réactivité et de l’efficacité extraordinaire de la coordination internationale que nous avons établie dans les dix dernières années face à ce premier cas qui dépasse le critère d’alerte que nous avons défini. À l’époque d’Apophis, il y a vingt ans, nous n’avions rien de tout cela.
En parallèle, l’inventaire de ces objets doit se poursuivre et leur caractérisation depuis le sol et l’espace aussi, afin d’augmenter nos connaissances sur leurs propriétés. Des tests de déviations doivent être effectués, tels que celui offert par les missions DART de la Nasa et Hera de l’ESA. Nous poursuivons nos efforts pour nous préparer aux différents scénarios auxquels ce risque peut nous confronter. Et je me permets de dire que je suis fier de pouvoir représenter ainsi modestement la France dans plusieurs instances et les missions spatiales qui y sont consacrées, ainsi que dans la communauté des scientifiques français qui s’impliquent pour protéger la Terre de l’arrivée d’un corps céleste, ce qui n’est pas impossible et ce que les dinosaures n’ont pas su faire…
Pour plus d’information sur la défense planétaire en général, voir le livre de Patrick Michel aux éditions Odile Jacob À la rencontre des astéroïdes : missions spatiales et défense de la planète._
Patrick Michel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
12.02.2025 à 17:26
Benjamin Michallet, Économiste, chercheur associé à la Chaire économie des migrations internationales de PSE-Ecole d'Economie de Paris et l'Institut Convergences Migrations, enseignant à IEP Paris, Sciences Po
Selon l’Enquête sociale européenne 2023-2024 menée par des universitaires dans 31 pays européens, au moins 69 % des Français sont favorables à l’accueil d’étrangers dans notre pays. Bien loin du « sentiment de submersion migratoire » évoqué par le premier ministre François Bayrou.
Accoler « sentiment » au concept de « submersion migratoire » relève d’une stratégie de communication millimétrée qui place le débat au-delà des réalités statistiques sur l’immigration. Qui peut nier les ressentis subjectifs des citoyens, aussi biaisés soient-ils ? Des données d’enquêtes internationales qui interrogent les Français sur la politique migratoire de notre pays montrent pourtant que le « sentiment de submersion migratoire » n’existe pas.
Le 27 janvier 2025 sur LCI, les déclarations de François Bayrou font des émules lorsqu’il évoque l’idée qu’il existe en France un « sentiment de submersion » migratoire. Difficile de croire que les mots n’ont pas été méticuleusement choisis. En réaction, le PS annule une réunion avec le gouvernement sur le budget et dix jours plus tard, le chef du gouvernement se prononce pour un débat plus large sur qu’« est-ce qu’être français ».
Dans une tribune parue dans le Monde, le sociologue Emmanuel Didier souligne qu’en désavouant l’Insee, dont les statistiques contreviennent à l’idée de submersion, le chef du gouvernement participe à la fragilisation de notre administration et de notre institut de statistiques dont la réputation n’est pourtant plus à faire. Dans cette lignée, l’historien et sociologue Hervé le Bras a consacré en 2022 un ouvrage complet sur l’idée tout aussi fausse qu’il existerait un « grand remplacement ».
Le professeur au Collège de France François Héran rappelait quant à lui que « la France n’était pas le pays le plus attractif d’Europe, bien au contraire » et qu’il faudrait plutôt s’en inquiéter.
Mais les mots du chef du gouvernement sont choisis. Il parle de « sentiment ». Peu importe la réalité, même si on sait que, partout dans le monde, les citoyens surestiment systématiquement la part d’étrangers dans leur société comme le démontre très bien un article, au sérieux indiscutable, publié par la Française Stefania Stantcheva, professeure à Harvard.
Peut-on aller contre le sentiment des Français, aussi biaisé soit-il ? Cela paraît difficile tant le peuple devrait être souverain en démocratie. Mais avant de penser la mise en pratique de cet aspect théorique de notre modèle politique, encore faut-il que ce « sentiment » ait une quelconque matérialité.
En employant le terme « sentiment », le chef du gouvernement s’appuie sur une appréciation subjective de la réalité qui lui permet de placer le débat au-delà des données collectées par l’Insee et du même coup créer l’embarras. Qui dispose de la légitimité pour nier le « ressenti » de nos citoyens, fondé sur la perception de leur environnement au quotidien ? A priori personne.
On peut en revanche s’attacher à documenter si ce sentiment existe réellement en France. Certes, les Français surestiment le nombre d’étrangers dans notre pays, mais ont-ils pour autant le sentiment d’être submergés ? Peut-être y voient-ils une richesse culturelle, un atout pour notre pays, ou sont-ils tout simplement indifférents ?
Si les données les plus récentes de l’Insee ne permettent pas de répondre à cette question, il va de soi que les données collectées par un parti politique, les microtrottoirs réalisés pour illustrer tel ou tel documentaire, ou les rapports élaborés par les associations ne constituent en rien des preuves exploitables à verser au débat. Il faut pour cela des données d’enquête collectées via un protocole statistique clair et éprouvé, fondé sur les techniques de sondage que seules quelques organisations sont en mesure de mettre en œuvre. Il faut une photographie représentative des sentiments des Français.
L’Enquête sociale européenne (ESS), dispositif transnational bisannuel, menée par des universitaires dans toute l’Europe, a récemment fait paraître les résultats de sa onzième campagne réalisée en 2023-2024 dans 31 pays.
Trois questions invitent les enquêtés à se prononcer sur la mesure dans laquelle la France devrait autoriser des étrangers à venir vivre en France. Les données sont disponibles en ligne et téléchargeables sans prérequis.
La première question concerne le fait d’autoriser les personnes du même groupe ethnique que la plupart des habitants de la France. La seconde question concerne les personnes de groupes ethniques différents. La troisième porte sur les personnes venues de pays pauvres hors Union européenne. Les répondants ont le choix des réponses entre « beaucoup », « un certain nombre », « peu » ou « aucun ».
Un sentiment de submersion de la part des Français se traduirait par une majorité de répondants en faveur d’une opposition catégorique à l’accueil d’étranger dans notre pays ou, a minima, par une majorité de répondants s’exprimant en faveur de « peu » ou « aucun ». Or les chiffres de l’enquête ne confirment absolument pas cette réalité.
Sur ces trois questions, le pourcentage de Français catégoriquement opposés à l’accueil d’étrangers oscille entre 3,5 % et 8,2 % tandis que ceux qui y sont très largement favorables s’établit entre 17,4 % et 23,3 %.
On est loin d’une opposition totale comme le montre le graphique 1 où chaque point représente une des quatre modalités de réponse pour chacune des questions.
Graphique 1 – La France devrait-elle autoriser des étrangers à venir vivre en France ?
Entre ces deux cas polaires, ils sont entre 51,6 % et 60 % à répondre qu’ils sont favorables à l’accueil d’un certain nombre d’étrangers (traduction de l’anglais « some », quantité indéfinie) et entre 13,2 % et 22,9 % en faveur du « peu ». Et lorsqu’on groupe les modalités par paire (« beaucoup » et « quelques-uns » vs « peu » et « aucun »), on obtient un pourcentage de répondants vraiment favorables supérieur à 69 % dans les trois cas.
Au moment de l’enquête, les citoyens français semblent donc bien loin de percevoir une submersion migratoire. Mais peut-être que cette « photographie » statique cache tout de même une tendance de fond qui se dégrade ?
L’avis des Français sur l’accueil des étrangers s’est dépolarisé en quatre ans. La puissance de l’ESS repose notamment sur sa bisannualité. Il est donc possible de comparer l’évolution de l’avis des Français entre deux campagnes.
Le graphique 2 résume ces évolutions. Les points rouges, qui capturent l’évolution des opposants stricts à l’immigration entre les deux périodes, enregistrent les évolutions les plus marquées, toutes à la baisse, entre 6 et 17 % selon les catégories. Les points verts, qui eux capturent l’évolution des partisans d’une immigration large, enregistrent également une baisse, mais plus contenue, comprise entre 6 et 10 %.
Entre les deux, la part des Français qui expriment une opinion en faveur d’« un certain nombre de migrants » stagne pour les étrangers venus de pays pauvres hors de l’UE et progresse pour les deux questions qui contiennent une référence à l’ethnie dominante en France. Les partisans du « peu » progressent également de plus de 10 % pour les migrants issus de pays pauvres hors UE, mais est en quasi-stagnation ou régressent pour les deux autres questions.
Graphique 2 –– Évolution (en %) de l’avis des Français entre l’enquête de 2020-2022 et celle de 2023-2024.
Cette tendance à la dépolarisation des Français ne révèle en aucun cas un « sentiment de submersion migratoire ». Le constat d’un tel écart entre les éléments de langage du chef du gouvernement et des réalités établies par la recherche ou des données accessibles à tous appelle à la mise en œuvre de propositions plus sérieuses dans le débat public.
Aujourd’hui, sur l’immigration, plus que sur tout autre sujet, l’État doit être garant de l’utilisation d’une information fiable pour mener à bien sa mission de gardien de la cohésion sociale.
Benjamin Michallet conseille les organisations internationales et les administrations publiques ainsi que les fondations et les entreprises en évaluation d'impact. Plusieurs de ses mandats concernent les programmes et politiques publiques à destination des publics étrangers.
12.02.2025 à 17:26
François-Xavier Dudouet, Directeur de recherche sociologie des grandes entreprises, Université Paris Dauphine – PSL
Méfiez-vous des chiffres. Pour impressionnants qu’ils soient, les montants sur la fortune financière peuvent tromper. Aussi riches qu’ils paraissent, les milliardaires n’ont pas le poids qu’on imagine. Déconstruction d’un mythe tenace.
À l’heure où l’administration de Donald Trump se met en place, affichant une rare proximité avec les plus grandes fortunes de la planète, il n’est pas inutile d’essayer d’évaluer précisément le poids économique des milliardaires.
D’après le palmarès tenu par Forbes, leur fortune globale s’élèverait à la fin de 2024 à 14,5 billions de dollars, soit 14 500 milliards de dollars (nous adopterons dans cet article le référentiel français, soit le milliard pour le billion dans le référentiel anglo-saxon ainsi que le billion pour le trillion anglo-saxon).
Toutefois, on peut se demander ce que signifie exactement une telle somme ? Qu’est-ce qui la compose ? À quels autres montants économiques la comparer, et, que cache la focalisation sur les milliardaires ?
La fortune des milliardaires telle qu’elle est calculée par Forbes ne comporte pas toute leur richesse, mais presque exclusivement la valeur des actions qu’ils possèdent dans les sociétés cotées en bourse. Le magazine tente bien d’inclure les actions des sociétés en dehors de la bourse mais il s’agit d’une estimation assez fragile et très incomplète.
Le calcul n’inclut donc pas davantage le patrimoine immobilier, artistique ou liquide. Or, la valeur des actions est une valeur théorique et non réelle. Le calcul consiste à multiplier la totalité des actions existantes par le dernier cours de bourse connu, mais cela n’en fait pas une richesse matérielle.
Prenons le cas d’Elon Musk, actuellement l’homme le plus « riche » du monde. Il possède, notamment, 715 millions d’actions Tesla dont le cours de bourse au 5 février 2025 était de 378,17 dollars ce qui fait une valeur théorique d’environ 270 milliards de dollars ! Mais cette somme n’existe pas sous forme d’argent liquide ou sur un compte en banque. C’est une valeur fictive, non sans effets sur le monde économique et politique, mais qui ne correspond pas à un capital réel, qu’il soit en numéraire ou en actifs matériels (usines, machines, véhicules).
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La vente de quelques dizaines de milliers d’actions Tesla suffirait à inscrire sur son compte en banque des centaines de millions de dollars, mais il ne peut pas mobiliser l’intégralité de son capital-actions du jour au lendemain pour l’utiliser comme bon lui semble. S’il cherchait à vendre toutes ses actions au même moment, il en ferait immanquablement chuter le cours et il verrait une grande partie de sa « richesse » se volatiliser.
La fortune en actions des milliardaires est certes colossale, mais elle est en définitive assez peu liquide et très volatile. Elle est très dépendante des cours de bourse qui peuvent varier de manière extrêmement sensible en fonction de la santé de l’entreprise et même de l’actualité. Par exemple, le cours de l’action Tesla est passé de 424,07 dollars au lendemain de l’investiture de Donald Trump à 378,17 dollars au moment où nous écrivons ces lignes, entraînant une perte théorique pour Elon Musak de plus de 33 milliards de dollars.
Examinons à présent ce que représente la fortune cumulée des milliardaires parmi les autres ordres de grandeur économiques. Étant donné qu’elle est principalement composée d’actions, du moins pour ce que nous en connaissons, il est juste de la comparer à la capitalisation boursière mondiale. La fortune cumulée des milliardaires est estimée, on s’en souvient à 14,5 milliards de dollars, là où la valeur de l’ensemble des actions cotées est évaluée à 115 milliards de dollars, ce qui fait un rapport d’un peu plus de 1 pour 10.
Dit autrement, la fortune théorique de l’ensemble des milliardaires ne représente que 13 % de la capitalisation boursière mondiale.
Certes, rapporté à la poignée d’individus qu’ils sont, cela constitue des sommes et un pouvoir considérables, mais qui laisse dans l’ombre près des neuf dixièmes de la capitalisation mondiale.
Qui possède les 87 % restant ? La réponse est loin d’être évidente, car la plupart des actionnaires demeurent anonymes, soit qu’ils possèdent trop peu d’actions pour être obligés de se déclarer, soit, comme c’est souvent le cas, qu’ils se retrouvent mêlés à d’autres actionnaires dans de vastes collectifs d’épargne tels que les fonds de pension, les fonds de placement, les plans d’assurance vie, les polices d’assurance, qui sont gérés par des sociétés spécialisées dans la gestion d’actifs comme BlackRock et Vanguard aux États-Unis, ou Amundi en France.
En octobre 2024, les actifs sous gestion représentaient la somme de 128 billions de dollars, dont près de la moitié – 62 billions de dollars – étaient investis en actions sur les marchés financiers. Une somme qui est quatre fois supérieure à la fortune théorique de tous les milliardaires réunis. À cela il faut ajouter les actions détenues directement par les États. Là encore, il est difficile d’en faire un décompte exact. On sait que les fonds souverains, hors banques centrales et fonds de pension publics, détenaient, en 2024, 13 billions de dollars dont un tiers investi en actions sur les marchés. Bien moins, donc, que la fortune cumulée des milliardaires.
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Toutefois, c’est compter sans la participation directe des États au capital des entreprises, phénomène très répandu en Chine où l’État détient 71 % de la capitalisation de la bourse de Shanghai, soit 5 billions de dollars. L’actionnariat d’État se retrouve un peu partout sur la planète, en Arabie saoudite, en Norvège ou en Inde. En France, l’État est encore le premier actionnaire d’Airbus, Alstom, Engie, Orange ou Renault.
Enfin, il ne faut pas oublier les sociétaires et l’actionnariat salarié qui représentent une autre forme de détenteurs d’actions loin d’être négligeable. Ces derniers sont ainsi les premiers actionnaires en termes de droit de vote d’AXA, Bouygues, Capgemini, Crédit agricole, Saint-Gobain, Société générale ou encore Veolia, selon les résultats que nous avons compilés pour l’année 2022.
Contrairement à ce que pouvait laisser entendre Thomas Piketty, il y a quelques années, le capital au XXIe siècle n’est pas concentré entre les mains de quelques individus et familles richissimes. Il est de plus en plus dispersé. Au fil de l’analyse, on se rend compte que la majeure partie de la capitalisation boursière mondiale appartient à des collectifs, que ce soit des retraités, des salariés, des assurés, des épargnants, des sociétaires ou des États.
Certes, les individus qui sont les détenteurs ultimes de ce capital ont rarement voix au chapitre au profit des institutions qui parlent et agissent en leur nom.
Cependant, cela ne veut pas dire que la situation est condamnée à perdurer. On voit de plus en plus d’actionnaires salariés proposer des résolutions alternatives à celles défendues par la direction. Les gestionnaires d’actifs, qui ont longtemps été des actionnaires dormants, sont de plus en plus sommés de justifier leurs votes lors des assemblées générales.
Les milliardaires eux-mêmes voient leur rémunération surveillée, tel Elon Musk qui s’est vu refuser par deux fois une rémunération en actions de plusieurs dizaines de milliards de dollars par les tribunaux de l’État du Delaware. Depuis, il a officialisé le déménagement du siège social de Tesla depuis la Californie vers le Texas, mais la société demeurant enregistrée dans le Delaware, il n’est pas sûr que la juridiction change. De plus, l’État du Delaware est connu comme le plus accommodant du point de vue du droit des sociétés par actions.
En se focalisant sur les milliardaires, on s’empêche de porter un diagnostic objectif sur les structures profondes du capitalisme contemporain. On croit que la justice économique passe par la lutte des classes alors qu’elle est de nature procédurale. Elle repose sur la mise en place de procédures transparentes et équitables qui permettent aux collectifs d’actionnaires d’exercer l’intégralité de leurs droits.
S’il est un combat à mener, ce n’est pas tant contre les milliardaires qu’en faveur de l’élargissement et de la démocratisation de l’épargne collective. Le véritable problème politique du XXIe siècle n’est pas la collectivisation du capital, celle-ci existe déjà, mais l’invention de procédures qui en assurent une gestion ouverte ; en d’autres termes, il faut inventer la démocratie financière.
François-Xavier Dudouet a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche
12.02.2025 à 17:22
Eric Bidet, Maître de conférences, Responsable du Master ESS, Le Mans Université
Dans les représentations collectives, l’éducation populaire reste souvent associée à l’époque du Front populaire, à des mouvements associatifs comme la Ligue de l’enseignement ou à des publics spécifiques comme les classes populaires et publics précaires. Elle a pourtant une ambition de portée beaucoup plus large et constitue une réponse à la transition écologique et aux défis sanitaires.
En 2019, un rapport du Conseil économique social et environnemental (CESE) appelait à faire de l’éducation populaire « une exigence du XXIe siècle ». En ce début d’année 2025, cet objectif est remis en avant par le think tank mutualiste l’Institut Montparnasse dans l’ouvrage L’Éducation populaire : un enjeu mutualiste qui invite à repenser le lien entre éducation populaire et économie sociale et solidaire (ESS). Cette approche est particulièrement pertinente dans le domaine de la santé où les mutuelles sont un des acteurs majeurs.
Souvent, dans les représentations collectives, l’éducation populaire reste associée un programme politique (celui du Front populaire), à des mouvements associatifs comme la Ligue de l’enseignement ou les Francas ou à des publics spécifiques (classes populaires et publics précaires). Cependant, son ambition a une portée beaucoup plus large, irriguant l’ensemble de la société.
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L’éducation populaire entretient des liens particulièrement étroits avec l’ESS dont elle est à la fois une actrice et un levier de développement, par ses effets et ses objectifs : émancipation des individus, éducation à la participation, sensibilisation à la démocratie… Les processus que l’éducation populaire met en œuvre, ses connaissances acquises et les valeurs qui la caractérisent sont autant de bases à partir desquelles va pouvoir se déployer l’ESS.
Bien au-delà de quelques mouvements associatifs emblématiques, l’éducation populaire est donc un vecteur de transformation sociale. Des très nombreuses définitions qui en ont été proposées, il ressort que son objet principal est de faire des individus, quelle que soit leur classe sociale, des citoyens actifs et mieux éclairés.
Dans l’une des premières définitions, la Société canadienne d’éducation postscolaire la définissait en 1949 comme un ensemble de pratiques éducatives « qui ne se limitent pas à l’instruction des masses et à la vulgarisation des connaissances, mais englobent tous les efforts qui tendent à rendre au peuple une âme, une conscience et le sens des responsabilités et à lui donner des moyens de s’exprimer et de s’extérioriser ».
À l’instar de dispositifs visant une distribution plus équitable des richesses, l’éducation populaire vise une distribution plus équitable des connaissances et des savoirs. Une des différences notables est que les savoirs constituent une ressource non rivale, qui peut donc être partagée entre un plus grand nombre sans que cela diminue la quantité disponible pour les autres. En ce sens, l’éducation populaire est inscrite dans un objectif de partage illimité des ressources. Cela fait d’elle un puissant vecteur d’émancipation des individus.
En lien avec la santé, l’éducation populaire contribue de différentes façons à l’information et l’éducation du grand public sur les questions de soins, de prévention des maladies et de promotion du bien-être. Elle aide les personnes à prendre des décisions éclairées concernant leur santé. Son action vise aussi à renforcer la capacité des communautés à se mobiliser pour des changements politiques en matière de santé publique, à promouvoir l’équité en santé.
L’éducation populaire est ainsi un des vecteurs permettant que les questions de santé ne restent pas entre les seules mains des professionnels de santé mais que chacun puisse dans une certaine mesure se les approprier et y apporter un regard critique. Sous un spectre plus large, cela englobe aussi des questions d’alimentation, de travail ou d’environnement.
Le modèle historique de la mutualité qui fait de l’assuré son propre assureur en tant qu’associé ou adhérent de la mutuelle s’inscrit dans cette logique en prônant une gestion participative des questions de santé qui exprime finalement la conviction que la santé est un bien commun. Par leur mobilisation historique en faveur de la prévention ou leur engagement dans des initiatives comme les centres de santé communautaires ou la sécurité sociale de l’alimentation, les mutuelles montrent qu’elles continuent à faire de l’éducation populaire un vecteur d’innovation sociale au service d’une transition citoyenne.
L’un des enjeux à venir pour le monde mutualiste sera toutefois de préserver cette capacité et son identité car le développement des contrats collectifs et leur généralisation progressive à l’ensemble des salariés vont inévitablement affaiblir le lien entre une mutuelle et ses adhérents qui vont davantage en devenir des usagers. L’éducation populaire et citoyenne doit permettre d’éclairer et retrouver un équilibre sur ces questions et donner corps aux principes du solidarisme qui constituent le socle du contrat social : la solidarité et la responsabilité.
Cet article a été co-écrit avec Chloé Beaudet, déléguée générale de l’Institut Montparnasse.
Eric Bidet est membre du conseil scientifique de l'Institut Montparnasse.
12.02.2025 à 17:22
Camille Mahé, Maîtresse de conférences en histoire, Université de Strasbourg
While the first world war and the Spanish civil war had already drawn children in Europe and beyond into the orbit of conflict, the second world war marked a pivotal period in how young people have experienced the horrors of war.
During the 1940s, children faced unprecedented mobilisation and violence. From bombings and massacres to forced displacement and genocide, the impact was staggering. Millions of children were directly affected by these atrocities, while countless others endured the indirect consequences: shortages, family separations and grief.
In the aftermath of the war, childhood experts such as pediatricians, psychologists and nutritionists, as well as political leaders and humanitarian workers, feared for this potentially “lost generation”. With recognition of the vulnerability of children as a social group, there was a transnational push to implement protective measures. This shared awareness led to milestones such as the establishment of the United Nations International Children’s Emergency Fund (UNICEF) in December 1946 and, later, the adoption of the Declaration of the Rights of the Child.
The period from 1939 to 1949 not only highlighted the need to protect children worldwide, but also underscored their importance in building a peaceful future. As detailed in La Seconde Guerre mondiale des enfants (The second world war of children), published in September 2024 by Presses Universitaires de France, children embodied hope for postwar nations. They were seen not only as victims of war but also as active participants in shaping a peaceful world.
After 1945, schools became central to Europe’s social reconstruction. Seen as spaces of socialisation that included nearly all children, schools were viewed as critical for rebuilding society. Some measures mirrored those introduced after the first world war. Children, particularly those aged 6 to 14 (the typical age for compulsory education in Europe), were tasked with preserving the memory of fallen soldiers, resistance fighters and civilian victims. They cleaned and adorned graves, attended public ceremonies and paid homage to the dead.
However, postwar education went further. In some countries, particularly those that formerly had authoritarian or totalitarian regimes such as Italy and Germany, school curricula underwent significant transformation. Lessons on democratic governance and peaceful figures were either reinforced or reintroduced, and history classes began emphasising cultural, political and economic exchanges between nations. These reforms aimed to counteract the nationalist ideologies that had fuelled war and division.
Unlike the post-WWI era, the years after 1945 saw efforts to strengthen ties between nations by fostering connections among their youngest citizens. Programs promoting international school exchanges flourished. French students corresponded with Canadian peers, British children sent books to Germans and Swedish students traveled to Belgium.
Germany hosted one of the most ambitious programs: the US-led “World Friendship Among Children Program”. This initiative included pen-pal projects, student travel and even the symbolic adoption of war orphans by classrooms. The program also established the “World Friendship Council of the Future”, where young people proposed initiatives for international dialogue, mimicking the operations of newly formed organisations such as the United Nations, UNESCO (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization) and the World Health Organization.
It was also in Germany that Houses of America, or Youth Centres, were established. While the goal was to offer children sports and cultural activities, they were primarily seen by Americans as tools of soft power and political instruments to (re)educate youth about the principles of democracy.
Indeed, after 1945, educating children for peace also meant educating them about democracy. Across Western Europe, teaching methods inspired by progressive education movements – championed by figures such as Maria Montessori, Ovide Decroly and John Dewey – became widespread.
For educational leaders, merely teaching democratic principles wasn’t enough: children needed to practice them. Classrooms became miniature societies where students elected class representatives, voted on school matters and debated everyday and political issues. This active engagement aimed to cultivate civic responsibility and critical thinking.
Some postwar experiments went further. Communities of children or “children’s republics” emerged across Europe to provide homes for children who had lost their homes and parents. While their primary mission was humanitarian, these communities were also intended to form the foundations of new, peaceful societies. Self-governance was central to their goal of preparation for active citizenship. In the Repubblica dei Ragazzi (boys’ republic) in Santa Marinella, near Rome, children ran their own court, deliberative assembly and union.
While schools are indeed the cornerstone of global peacebuilding, debates about fostering peace go beyond the classroom to encompass all aspects of children’s lives. This includes the private sphere, as evidenced by numerous transnational legislative efforts to ban violent comic books and war-themed toys, which are accused of inciting aggression in children and thus threatening a peaceful future.
This surge of post-WWII initiatives underscores the fact that educating for peace and democracy was a European – if not global – project. However, its interpretation varied depending on country and region. In France, West Germany and Italy, the project was rooted in liberal ideals; in Eastern Europe, it reflected a different understanding of democracy.
In the West, the focus was on the individual, with boys and girls assigned traditional, gendered roles: girls were encouraged to become future mothers, while boys were groomed to be workers contributing to economic growth. In contrast, the Eastern model emphasised collective values within a socialist framework, promoting more egalitarian relationships between boys and girls, albeit in service of political objectives.
Regardless of ideological differences, these post-1945 initiatives left a lasting legacy. Their influence can still be seen today in school activities such as student elections and class trips, which continue to echo the democratic ideals of that era.
Camille Mahé ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
12.02.2025 à 17:22
Yves Duchère, Enseignant-chercheur en géographie, INALCO/CESSMA, Université d'Angers
La croissance économique rapide du Vietnam lui confère une importance nouvelle sur la scène internationale. D’autant que le pays met en œuvre une diplomatie subtile qui favorise un multilatéralisme au service de ses intérêts nationaux. Il ménage les États-Unis et les puissances occidentales d’un côté, mais aussi, de l’autre, la Chine, son grand voisin, et profite ainsi pleinement de la rivalité sino-américaine. Mais des défis régionaux risquent d’enrayer sa montée en puissance…
Le Vietnam, pays longiligne étiré sur 1 650 km à vol d’oiseau et entouré par la mer de Chine méridionale (ou mer de l’Est) sur 3 260 km de côtes, occupe une position centrale en Asie du Sud-Est. Situé au carrefour des mondes indien et chinois et au large d’une des plus importantes routes maritimes mondiales, il compte près de 100 millions d’habitants et est toujours dirigé par un parti unique marxiste-léniniste, le Parti communiste vietnamien (PCV), né de la lutte anticoloniale et de trente ans de guerre.
À la faveur de la transition de la planification vers une économie de marché entamée au milieu des années 1980, puis de son adhésion à l’Asean (1995) et à l’OMC (2007), le pays s’impose aujourd’hui comme un acteur régional incontournable de la mondialisation.
Toutefois il apparaît de plus en plus exposé aux risques systémiques, à commencer par celui que constitue l’extension de la sphère d’influence de la Chine, avec laquelle le Vietnam a entretenu alternativement, au cours de l’histoire, des phases de coopération et de confrontation. Les deux pays partagent une frontière terrestre de 1 450 km que des troupes chinoises ont, au long des siècles, franchie à plusieurs reprises.
Fort de son expérience historique au contact de la Chine, mais conscient de l’affaiblissement des Occidentaux dans la région, le Vietnam, sans s’aligner complètement sur Pékin, prend acte de l’évolution du rapport de force dans la région et adapte en conséquence une position d’équilibre.
Acteur régional majeur dans la division internationale du travail, le pays dispose de 44 ports, d’une main-d’œuvre compétitive et qualifiée et d’une position géographique centrale en Asie du Sud-Est.
Il est, en outre, le deuxième pays de l’Asean en termes d’attraction des investissements directs étrangers. Son économie, en pleine expansion, se caractérise par son internationalisation, sa littoralisation et sa maritimisation, ce qui l’expose fortement aux aléas de l’économie mondiale.
Le Vietnam profite grandement, depuis les années 2010, de la recomposition des chaînes de valeur en Asie et, spécialement, des stratégies de redéploiement des entreprises multinationales hors de Chine (son premier partenaire commercial et deuxième marché d’exportation).
Toutefois, si la guerre économique sino-américaine a pu profiter aux exportations vietnamiennes vers le pays de Donald Trump, qui ont bondi de 36 % en 2019, elle risque à court terme d’exposer le pays aux sanctions des États-Unis (son deuxième partenaire commercial et son premier marché d’exportation) à cause du rôle important qu’il occupe dans les chaînes de valeur chinoises, et cela d’autant plus que la diplomatie de Washington a désormais à sa tête le très anticommuniste Marco Rubio, connu pour ses positions particulièrement fermes vis-à-vis de Pékin.
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Jusqu’à présent, le Vietnam a évité de choisir un camp dans le cadre de la rivalité sino-américaine. Il refuse d’entretenir un rapport ouvertement et exclusivement conflictuel avec Pékin, et privilégie une « diplomatie Facebook », c’est-à-dire la multiplication des « amis ». Cette position, initiée dès les années 1990, vise à préserver les intérêts nationaux tout en privilégiant le multilatéralisme via la « diplomatie du bambou » (plante ferme à la base et flexible au bout).
Fidèle au principe des « trois non » (pas d’alliance formelle, de base militaire étrangère, pas de dépendance vis-à-vis d’autres pays en matière de défense), le Vietnam œuvre, d’une part, à son rapprochement avec les États-Unis et, d’autre part, au maintien de mécanismes de coopération avec la Chine sur fond de conflits territoriaux en mer de Chine méridionale.
Ne considérant pas comme une menace sérieuse l’éventualité d’un conflit ouvert avec la Chine, même au sujet des îles Paracels et Spratleys en mer de Chine méridionale, qui sont comprises dans le territoire revendiqué par Pékin (« la langue de bœuf »), Hanoï tente plutôt de s’imposer comme un médiateur dans la région Indo-Pacifique tout en s’accommodant de son voisin septentrional, comme il l’a fait tout au long de son histoire.
Néanmoins, face au recul des Occidentaux dans la région et au poids grandissant de la Chine, le Vietnam s’est rapproché de cette dernière au cours des trois mandats (2011-2024) du secrétaire général du PCV, Nguyen Phu Trong, aujourd'hui décédé. D’ailleurs, son successeur, To Lam (ancien ministre de la Sécurité publique), a choisi de se rendre en Chine pour sa première visite officielle à l’étranger, du 18 au 20 août 2024.
Durant son histoire, le pays s’est construit avec et contre la Chine (l’actuel nord du Vietnam a été intégré à l’empire du Milieu entre -111 et 939). Aujourd’hui, Hanoï est considéré par Pékin comme un « vassal encombrant », mais il constitue une pièce essentielle de l’hégémonie chinoise en Asie du Sud-Est.
Le dispositif d’influence chinoise dans la région, qui repose sur la réactivation de grands thèmes confucéens et sur un puissant nationalisme culturel associés à des mécanismes de financement et à des politiques de développement (les Nouvelles routes de la soie), participe du retour de la Chine dans son ancien pré carré indochinois. D’après la base de données AidData, entre 2001 et 2021, on dénombrait 417 projets chinois au Cambodge, 347 au Laos et 191 au Vietnam.
Dans le même temps, tout en veillant à ne pas envoyer de signaux de défiance à son grand voisin, le Vietnam développe des relations bilatérales avec des pays occidentaux (comme le partenariat stratégique global signé avec la France en 2024) et asiatiques (comme l’Inde ou les Philippines).
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Conscients du risque que la montée en puissance de la Chine, notamment sa stratégie du « collier de perles », fait peser sur la sécurité régionale, l’Inde et le Vietnam ont initié, depuis 2015, de nombreux accords en matière de défense et d’énergie nucléaire. Le rapprochement depuis 2010 avec les Philippines est quant à lui plus atypique. En effet, Manille a longtemps entretenu des différends avec Hanoï au sujet des îles Spratleys, mais elle multiplie désormais les liens bilatéraux avec le Vietnam, particulièrement en ce qui concerne la sécurité en mer de Chine méridionale.
Le Vietnam et ses voisins indochinois, le Laos et le Cambodge, conscients de leur relation asymétrique avec Pékin –, tentent de négocier avec ce dernier tout en défendant leurs intérêts nationaux. Si les trois pays ne sont pas égaux face à l’hégémonie chinoise, tous perçoivent Pékin comme une source de menaces mais aussi d’opportunités. Une ambiguïté que reflète, par exemple, le cas du Mékong.
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Ce fleuve, qui traverse six pays (Chine, Myanmar, Thaïlande, Vietnam, Laos, Cambodge), cristallise un certain nombre de tensions. Les barrages hydroélectriques – onze sur le cours supérieur en Chine (le Lancang), onze sur le cours inférieur et 120 sur les affluents –, modifient considérablement son débit, ce qui entraîne d’importantes conséquences socio-écologiques.
Plusieurs structures multinationales à compétence régionale sont chargées des enjeux de gouvernance du Mékong. La coopération Lancang-Mékong (LMC), entre autres, contrôlée par Pékin, qui l’a créée, est utilisée par cette dernière afin de mettre en œuvre une diplomatie de l’« amitié entre voisins », notamment par le biais de généreux prêts octroyés aux pays de la péninsule indochinoise. La Chine utilise également la LMC comme une arène privilégiée de discussion avec ses voisins, qui lui permet d’occuper un rôle central de la fabrique du consensus en Asie du Sud-Est continentale.
Le Mékong est aussi un sujet de crispation entre les autorités vietnamiennes et leurs homologues au Cambodge, depuis que l’État concessionnaire et prébendier cambodgien – largement acquis à la cause chinoise – a lancé en août 2024 les travaux du canal Funan Techo qui vise à dévier les eaux du Mékong pour renforcer le réseau des Nouvelles routes de la soie. Ce canal de navigation du fret, financé et construit par la Chine sur le modèle de la concession, devrait relier au sein du territoire cambodgien, le port autonome de Phnom Penh et la province côtière de Kep, tout en évitant le Vietnam.
Ce canal permettrait à terme d’acheminer les matériaux nécessaires à l’installation militaire chinoise dans la base navale de Ream, située à proximité de Sihanoukville. Outre les conséquences économiques liées à la diminution du fret vers le Vietnam, Hanoï s’inquiète également des effets environnementaux que cette infrastructure engendrera dans le delta.
Yves Duchère ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.