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02.09.2025 à 19:36

Sans parler des blessé.es : une correspondance pour penser le fractures du monde

Lucie Geffroy

Nous sommes nombreux et nombreuses à ressentir comme une accélération du temps. Depuis plusieurs mois, chaque jour, où que l’on regarde, nous sommes confronté·es à des nouvelles toujours plus catastrophiques. […]
Texte intégral (543 mots)

Nous sommes nombreux et nombreuses à ressentir comme une accélération du temps. Depuis plusieurs mois, chaque jour, où que l’on regarde, nous sommes confronté·es à des nouvelles toujours plus catastrophiques. La guerre génocidaire contre le peuple palestinien, les bombardements en Ukraine, la politique menée par l’administration Trump, l’urgence climatique, etc.

En France, le 9 juin 2024, la dissolution de l’Assemblée nationale rendait tout à coup possible la prise du pouvoir par le Rassemblement national, ouvrant une de ces brèches propres à faire basculer l’histoire. C’est précisément à ce moment-là qu’est née l’idée d’une correspondance entre Kaoutar Harchi et Aurélien Bellanger. Cette idée, ce sont nos ami·es du média épistolaire indépendant La Disparition, qui l’ont eue.

D’ici à l’élection présidentielle de 2027, les fondateur·ices de ce média indépendant ont proposé à trois duos d’écrivain·es de correspondre – à raison d’une lettre par mois pendant six mois, envoyée à leurs abonné·es – sur trois grandes thématiques : antiracisme, antisexisme et écologie.

La première correspondance entre Kaoutar Harchi, sociologue et écrivaine, autrice de Ainsi l’animal et nous (Actes Sud, 2024), et Aurélien Bellanger, romancier, auteur de Les Derniers Jours du Parti socialiste (Seuil, 2024), explore la question de l’antiracisme. Suivra ensuite un échange de lettres entre Alice Zeniter et Phoebe Hadjimarkos Clarke sur le thème de l’antisexisme. Puis Vidya Narine et Hadrien Klent correspondront sur l’écologie. Il nous a semblé important de diffuser plus largement ce projet, en rassemblant ces lettres pour en faire des livres.

L’expérience collective du cahos

De décembre 2024 à juin 2025, Kaoutar Harchi et Aurélien Bellanger ont donc échangé au sujet des visées impérialistes d’un Donald Trump en roue libre, de la déshumanisation des Palestien·nes, de la montée de l’islamophobie en France, etc., analysant les faits qui, par à‑coups, ont rendu l’opinion de plus en plus perméable au racisme et à la violence. L’intérêt de cette correspondance est justement de nommer cette expérience collective du chaos, tout en permettant aux lecteur·ices une prise de recul – grâce à la temporalité mensuelle des lettres. Au fil des mois, l’échange a donné un écho de plus en plus fort au génocide à Gaza, faisant émerger « la question des corps colonisés sur des territoires colonisés » et la notion d’« handicapement colonial », selon les termes de Kaoutar Harchi.

Mais, à travers cette expérience littéraire, les deux auteur·ices s’interrogent également sur leur rôle d’écrivain·es, sur ce que peut la littérature face à ce basculement. « Mais où  va-t-on ? Quel est ce monde ? », questionne l’autrice. Le livre n’a pas vocation à répondre à cette question mais il insiste sur « notre devoir politique » de garder espoir en imaginant d’autres possibles. « Être réaliste dans un monde qui délire, c’est délirer avec lui », écrit ainsi Aurélien Bellanger.

Bonne lecture !

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02.09.2025 à 13:04

Que peut la littérature face à la cruauté de l’époque ?

Emma Bokono

Comment avez-vous abordé cette expérience de la correspondance ? KAOUTAR HARCHI : Je trouvais ça intéressant d’apprendre à connaître un écrivain au-delà de ses livres, d’explorer avec lui l’écriture à […]
Texte intégral (930 mots)

Comment avez-vous abordé cette expérience de la correspondance ?

KAOUTAR HARCHI : Je trouvais ça intéressant d’apprendre à connaître un écrivain au-delà de ses livres, d’explorer avec lui l’écriture à chaud sur des questions d’actualité. C’était une manière différente d’aborder les dominations de race, de genre et de classe, d’une manière qui ne soit pas théorique ou abstraite, qui devait vraiment être incarnée par des éléments concrets.

AURÉLIEN BELLANGER : Je trouve passionnant d’échanger sur notre métier entre pair·es. L’important pour moi était que cet échange soit de bonne foi, que nous ne soyons pas dans une posture.

Avez-vous rencontré des difficultés ?

KAOUTAR HARCHI : Une lettre transmet notre intimité à un instant précis, et ce n’est pas simple à écrire. Le fait de s’adresser à une personne tout en sachant que ces textes seront également lus par d’autres personnes modifie un peu la perspective. C’est une fausse intimité.

AURÉLIEN BELLANGER : L’exercice comportait un certain formalisme. Pendant longtemps, la lettre était un écrit terriblement banal, puis elle a disparu quasiment du jour au lendemain. Pourtant, le genre épistolaire est un classique de la littérature. Un livre est toujours un peu lu comme une lettre qui a été envoyée. C’est bien de confronter son métier d’écrivain à cette expérience.

Quelles réflexions vous sont apparues en échangeant ensemble ?

AURÉLIEN BELLANGER : Nous avons été les contemporain·es d’un génocide [à Gaza], d’un moment qui marquera l’époque. Cela a donné une solennité particulière à notre échange.

KAOUTAR HARCHI : Ces lettres étaient parfois très argumentées, et pour certaines simplement une sorte de témoignage de la cruauté de l’époque. J’espère que les personnes qui nous liront, avec le recul, pourront mesurer ce que c’était de vivre ça, face à nos écrans. Nous avons aussi tenté de nous interroger sur ce que la littérature peut, face à cela.

Que retirez-vous de cette correspondance qui a duré six mois ?

KAOUTAR HARCHI : L’échange avec Aurélien avait un enjeu politique important, notamment depuis la parution de son ouvrage Les Derniers Jours du Parti socialiste [Seuil, 2024], dans lequel les questions de l’islamophobie, du racisme structurel et de la gauche coloniale en France sont assez clairement posées. Il s’inscrit parfaitement dans les dialogues
que nous devons essayer de tisser entre écrivain·es qui reconnaissent le caractère structurel de l’islamophobie et le poids du colonialisme en France.

AURÉLIEN BELLANGER : La question du racisme structurel est relativement récente dans ma vie. Elle fait partie des quelques épiphanies qui m’ont permis de prendre conscience des biais que j’avais, en tant qu’homme, en tant que Blanc. Ce sont des sujets qu’il était passionnant d’aborder avec Kaoutar.

Qu’espérez-vous que les lecteur·ices retiennent de ces lettres ?

AURÉLIEN BELLANGER : Le caractère le plus angoissant du métier d’écrivain, c’est l’idée qu’il y ait des lecteurs et lectrices. J’ai essayé de mettre ça à part, afin d’écrire ces lettres comme des vraies lettres.

KAOUTAR BELLANGER : J’espère que les lecteurs et les lectrices aborderont ce texte comme un dialogue. C’est une écriture immédiate, au fil des jours, à partir d’éléments qui sont encore partiels. Elles et ils vont recevoir avec un temps de décalage ce que nous avons pu nous dire dans un moment partagé.

AURÉLIEN BELLANGER : Et en même temps, l’un des intérêts métaphysiques de la littérature, c’est de douter qu’il n’y a que le présent qui existe. L’idée, c’est de faire exister d’autres strates temporelles.

Des lettres devenues livre

L’idée de proposer à des duos d’écrivain·es d’échanger pendant six mois, à raison d’une lettre mensuelle, pour appréhender une époque en plein bouleversement, provient du média épistolaire La Disparition. Première d’une série de trois, la correspondance entre Kaoutar Harchi et Aurélien Bellanger a d’abord existé sous forme de lettres envoyées sous format papier entre janvier et juin 2025 aux abonné·es de La Disparition, avant que La Déferlante Éditions propose de les rassembler en un livre. Sans parler des blessé·es sortira en librairie le 3 octobre prochain.

👉 Vous pouvez déjà acheter le livre sur notre site.

COUV SANS PARLER DES BLESSE-ES

Entretien réalisé le 17 mai 2025 par Emma Bokono et édité par Malwenn Cailliau, respectivement journaliste et assistante d’édition à La Déferlante.

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29.08.2025 à 00:10

« En tant que personnes racisées, on est vite accusé·es de réécrire l’histoire »

Coline Clavaud-Mégevand

« À l’origine, je suis artiste vidéaste, formé aux Beaux-Arts d’Angoulême. Quand j’étais étudiant, j’étais très investi dans des milieux militants et actif dans des associations comme Extinction Rebellion ou […]
Texte intégral (929 mots)

« À l’origine, je suis artiste vidéaste, formé aux Beaux-Arts d’Angoulême.

Quand j’étais étudiant, j’étais très investi dans des milieux militants et actif dans des associations comme Extinction Rebellion ou Décoloniser les arts [une association née en 2015 pour dénoncer un racisme structurel dans les arts et la culture]. J’y ai entendu des discours très forts, mais souvent cantonnés à des petits cercles déjà convaincus et assez experts. Je me suis demandé comment faire pour toucher plus de gens. La vulgarisation m’a semblé être la bonne porte d’entrée.

C’est comme ça qu’est né le projet Histoires Crépues : pour vulgariser l’histoire coloniale, la décomplexifier, la rendre plus accessible. Le but, c’est que le public puisse appréhender ce passé et comprendre comment l’histoire coloniale continue d’avoir un impact sur la société aujourd’hui.

J’ai lancé la chaîne YouTube en avril 2020, pendant le confinement. À l’époque, il existait des comptes militants intéressants et très influents, mais peu de formats pédagogiques. En mai de la même année, George Floyd a été tué aux États-unis, ce qui a contribué à visibiliser les questions de discrimination. C’est sur Instagram que ça a pris le plus vite : en quelques semaines, le compte d’Histoires Crépues est passé de 4 000 à 30 000 abonné.es. Très vite, Reha Simon [producteur, monteur et réalisateur] m’a rejoint pour développer le projet. Aujourd’hui, on est quatre permanent·es et une quinzaine de freelances, pour une communauté de 850 000 abonné·es.

On est présent·es sur Instagram, YouTube, TikTok et même X. C’est un choix stratégique : on doit exister partout, même si on évite de s’investir émotionnellement et qu’on refuse de nourrir des algorithmes délétères – on poste peu sur X, on n’alimente pas les polémiques… En revanche, je crois beaucoup en TikTok. C’est là que se passent les changements politiques de demain.

Devenir un média indépendant

Nos contenus sont toujours très rigoureux. On se base sur des thèses, des articles scientifiques et des livres qu’on reformule pour les rendre accessibles. On cite nos sources et on fait relire nos textes par des chercheur·euses, des commissaires d’exposition ou par les invité·es des vidéos. C’est une nécessité : en tant que personnes racisées traitant d’histoire coloniale, on est très vite accusé·es de réécrire l’histoire ou d’être dans l’idéologie. Mais le devoir qu’on s’est imposé d’être irréprochables nous a permis de nous démarquer de certains contenus militants qui, bien que puissants, ne mettent pas toujours en avant leur méthodologie.


« On cherche à créer un espace d’autonomie, depuis lequel on peut s’exprimer à égalité avec les autres médias. »


À partir de septembre 2025, on veut que Histoires Crépues soit clairement identifié comme un média antiraciste indépendant. Pas juste une chaîne YouTube que j’incarne, mais un espace éditorial collectif, porté à tous les niveaux par des personnes concernées : rédaction, production, montage, cadrage… L’objectif, c’est de professionnaliser des membres de nos communautés, pour que les sociétés de production ne nous disent plus : “Sur ce sujet, il n’y a pas de producteur·ice ou de monteur·euse racisé·e.” On veut pouvoir produire nous-mêmes, avec nos codes, nos formats et ne pas être assigné·es à des positions marginales.

On entend aussi servir de tremplin. Si une personne est repérée grâce à une émission sur Histoires Crépues et embauchée à « Quotidien » ou ailleurs, c’est gagné ! Pour autant, on ne cherche pas à intégrer les médias mainstream, mais à créer un espace d’autonomie, depuis lequel on peut s’exprimer à égalité [avec les autres médias, où les personnes blanches sont majoritaires]. Dans le monde de l’art contemporain, on a vu que les personnes racisées peuvent être mises en avant temporairement, puis rapidement évacuées dès que la tendance passe. D’où l’idée de construire un pôle solide dans l’écosystème médiatique actuel.

Quant à la montée de l’extrême droite, elle ne change pas grand-chose à notre posture. Oui, elle complique l’accès aux financements, notamment aux aides publiques, mais on a grandi avec, ce n’est pas une nouveauté pour nous. Au contraire, ce contexte renforce notre volonté de construire un modèle économique autonome, même si c’est difficile, notamment parce que nos communautés, souvent précaires, ne peuvent pas forcément soutenir financièrement un média. Mais ça aussi, ça renforce notre détermination : il faut des voix antiracistes qui ne dépendent de personne, certainement pas du bon vouloir d’une gauche blanche qui, pour l’instant, n’a pas montré de réelle volonté politique de porter nos luttes. »

Ces propos ont été recueillis par téléphone le 15 juillet 2025.

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21.08.2025 à 14:57

« Le journalisme est pour moi un outil de lutte »

Manon Boquen

« Je me présente comme une journaliste engagée. Cette dénomination ne me dérange pas, car on n’arrive pas dans le métier avec une page blanche derrière soi. Des discussions, des […]
Texte intégral (903 mots)

« Je me présente comme une journaliste engagée. Cette dénomination ne me dérange pas, car on n’arrive pas dans le métier avec une page blanche derrière soi. Des discussions, des rencontres, des lectures m’ont amenée à cette profession. J’étais engagée pour l’écologie avant de devenir journaliste.

J’ai grandi à Calais, dans une famille nombreuse de la bourgeoisie, mais ayant été scolarisée dans l’enseignement public, j’ai évolué dans un milieu très mixte socialement. Je pense que mon engagement remonte à l’enfance, car grandir dans cette ville n’est pas neutre. Calais est une ville frontière qui accueille des personnes ayant fui la guerre, en Europe, au Moyen-Orient ou sur le continent africain. Je me souviens que quand j’avais 8 ou 9 ans, des Kosovar·es vivaient dans le parc à côté de chez moi. Cela m’a marquée d’être au contact de cette réalité. À l’époque du collège puis du lycée, j’étais impliquée dans une association nommée Salam, qui vient en aide aux exilé·es. J’ai compris par la suite que cet engagement m’avait servi de formation politique.

Dans mon entourage, personne n’exerçait le métier d’enquêteur·ice ou de journaliste. Je l’ai découvert lors d’un voyage en sac à dos après mes études à Sciences Po Paris. Plein de jeunes diplômé·es partaient à l’autre bout du monde, mais moi, j’avais envie de parcourir la France et de rencontrer des gens qui me faisaient rêver. J’ai côtoyé des personnes qui n’étaient pas issues du milieu agricole et qui reprenaient une ferme ou en créaient une. Cela a donné naissance à mon premier livre : Les Néo-paysans (coédition Le Seuil/Reporterre, 2016), écrit avec Gaspard d’Allens. Après le bouquin, je me suis dit : quelle formidable façon de s’engager, de rencontrer des gens ! C’est comme ça que je suis devenue journaliste.

« Personne ne peut être neutre »

Je ne me disais pas journaliste à l’époque. Je me demandais plutôt si on pouvait l’être sans avoir fait d’école de journalisme, s’il n’y avait pas un statut à obtenir… Le fait de me considérer comme telle s’est fait petit à petit, notamment grâce aux collectifs de journalistes. Pour moi, exercer ce métier, c’est aussi créer des liens et échanger avec ses pair·es. C’est vraiment ce qui donne de la force. Et c’est comme ça que j’ai trouvé ma place dans le monde professionnel.

Les questions rurales me portent depuis longtemps. J’ai fait le choix de vivre à la campagne dans le nord de la France. Peut-être que si je vivais en ville je serais moins sensible à l’environnement autour de moi. J’observe ce qui se passe où j’habite, tout en continuant à voyager pour mes enquêtes. C’est particulièrement important pour les sujets que je traite, car le territoire agricole n’est pas homogène. Ce qui compte, d’après moi, c’est de transmettre des informations d’intérêt général, qui sont absentes du débat public. Par exemple, quand on ne peut pas entrer dans une ferme parce qu’elle appartient à une entreprise privée, c’est qu’il y a quelque chose à creuser.


« Exercer ce métier, c’est aussi créer des liens et échanger avec ses pair·es. C’est vraiment ce qui donne de la force. »


On me demande souvent comment j’articule journalisme et militantisme. Mais je trouve la question mal posée. Est-ce que dans un pays en guerre on demande aux gens s’ils sont militants ? Certes, en France, nous ne sommes pas en guerre, mais le pays est traversé par une conflictualité sourde. Une violence systémique s’exerce contre les humain⋅es et contre la nature – par exemple, le taux de suicide dans le monde agricole est trois fois plus élevé que dans le reste de la population active. C’est une évidence que personne ne peut être neutre. Le journalisme est pour moi un outil de lutte au même titre que le droit ou la politique.

On a souvent une intuition ou un avis avant de se mettre à enquêter sur un sujet. C’est un moteur, mais cela ne doit jamais dicter le résultat. Ce qui prime, tout au long du travail d’investigation, c’est la rigueur : la manière dont on mène l’enquête, dont on interroge ses sources, dont on exploite les rapports, les études, la documentation. L’engagement relève avant tout de la déontologie, pas de l’idéologie. Être engagé·e, c’est rester honnête face à ce que l’on découvre, c’est juger les faits avec exigence et responsabilité. »

Ces propos ont été recueillis au téléphone, le 15 juillet 2025.

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07.08.2025 à 16:41

Ivonne Gonzalez : « Féminiser, décoloniser et diversifier Wikipédia »

Coline Clavaud-Mégevand

« Sur Wikipédia, mon pseudo est AfricanadeCuba. Il dit mon identité : je suis une femme noire née à Cuba. Aujourd’hui, je vis en Suisse, où je suis artiste. En 2017, […]
Texte intégral (948 mots)

« Sur Wikipédia, mon pseudo est AfricanadeCuba. Il dit mon identité : je suis une femme noire née à Cuba. Aujourd’hui, je vis en Suisse, où je suis artiste.

En 2017, j’ai découvert le projet Wikipédia Art+Féminisme, qui vise à accroître la visibilité des artistes femmes sur l’encyclopédie. À l’époque, 83 % des biographies en français concernaient des hommes, blancs dans une immense majorité. J’ai donc lancé Noircir Wikipédia en 2018, en français et en espagnol, tout en me formant sur le tas. Puis j’ai structuré le projet avec d’autres wikipédien⋅nes : Galahmm, LurKin et Moumou82.

Notre but : féminiser, décoloniser et diversifier l’encyclopédie. La mission que nous nous sommes donnée consiste à créer des biographies de personnalités afro-descendantes, à corriger des articles biaisés et à introduire des sources jusqu’ici peu visibles, tout en déconstruisant les récits européocentrés. Mais Noircir Wikipédia, ce n’est pas juste écrire des pages : c’est réparer l’oubli, tisser des liens, transmettre des outils, faire mémoire… C’est montrer qu’on peut occuper des espaces de connaissance, même sans être universitaire.

Nous organisons des ateliers mensuels lors desquels nous formons les participant⋅es à vérifier les sources avec un œil critique. Nous n’excluons pas les publications universitaires ou journalistiques, mais nous les confrontons à d’autres récits. On apprend aussi à repérer les biais coloniaux, les stéréotypes racistes et les tentatives de minimisation des actions menées par les femmes.

Nous militons aussi pour une décentralisation des savoirs. Nos ateliers ont lieu dans des quartiers périphériques, des bibliothèques, des parcs… L’idée est de les rendre accessibles à tous les publics. Par exemple, les femmes peuvent venir avec leurs enfants, car il y a une animatrice sur place. Les ateliers se tiennent aussi en ligne, ce qui permet d’accueillir des personnes qui ne peuvent pas se déplacer ou qui vivent loin. Nous avons désormais des participant·es en Afrique, en Asie, en Amérique latine, dans les Caraïbes… Ce travail collaboratif est majoritairement bénévole, même s’il est ponctuellement soutenu par des partenariats avec des institutions. Dans un monde où tout se paie, c’est une forme de résistance.

Des récits alternatifs, difficiles à faire exister

Sur Wikipédia, on se heurte vite à certaines règles, notamment celle des critères de notoriété. On veut par exemple écrire sur une figure importante pour nos communautés, et certain·es utilisateur·ices ou Wikipédien·nes nous disent : “Elle n’est pas assez importante.” Qui décide de ça ? Qui fixe les critères ? Ce sont des questions politiques.
Mais notre plus gros enjeu, c’est la diversification des sources. Le Wikipédia francophone a tendance à considérer que seuls les “grands” médias – de préférence français ou européens – sont fiables. Or, dans beaucoup de pays d’Afrique, les “grands” journaux sont contrôlés par des régimes autoritaires. Nous avons donc besoin des blogs, des réseaux sociaux, des livres auto-édités, etc. Il a fallu expliquer à la communauté que le contexte géopolitique change la nature même de ce qu’est une source fiable.


« Il y a un vrai travail à faire pour légitimer d’autres façons de documenter le monde. »


Autre difficulté : la digitalisation des archives est inégale selon les pays, et cela conduit à la disparition de beaucoup d’informations. Il faudrait aller faire des recherches dans la mémoire collective, dans les archives familiales… Là encore, il s’agit de sources dont il nous faut démontrer la validité. Il y a un vrai travail à mener pour légitimer d’autres façons de documenter le monde.

Aujourd’hui, notre engagement paie : Noircir Wikipédia est reconnu comme un WikiProjet. Notre groupe compte environ 150 membres, même si tout le monde ne contribue pas régulièrement. Mais ce n’est pas grave : l’idée, c’est de planter une graine, pour qu’ensuite les gens se sentent légitimes à alimenter l’encyclopédie. 370 articles sont recensés sur notre page projet francophone et une centaine en espagnol.

Occuper les espaces numériques, c’est crucial aujourd’hui. Internet est devenu très réactionnaire, et Wikipédia, malgré ses limites, reste un des rares lieux où l’on peut encore défendre une certaine pluralité des savoirs. À titre personnel, ce projet a changé ma vie. Il m’a permis de comprendre les logiques des discours numériques et de les inverser, bref : de gagner en puissance. »

Ces propos ont été recueillis le 11 juillet 2025 par téléphone.

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31.07.2025 à 17:32

🍹La Déferlante à l’heure estivale

La Déferlante

🍒 On lit Ma sorcière déjantée Ancolie est une sorcière de 27 ans qui trompe une existence terriblement ennuyeuse en picolant dès le petit déjeuner, en couchant avec Loïc – son ex […]
Texte intégral (1901 mots)

🍒
On lit

Ma sorcière déjantée

Ancolie est une sorcière de 27 ans qui trompe une existence terriblement ennuyeuse en picolant dès le petit déjeuner, en couchant avec Loïc – son ex toxique – et en écumant les bars. Mais, à l’approche du Congrès annuel des sorcières, elle apprend que son mode de vie scandalise le Haut Conseil. Pour éviter l’excommunication, elle se lance dans un défi « un peu hippie-neuneu » : fabriquer un sortilège d’empathie pour enrayer la montée du fascisme, la fracture sociale, les super profits et la pollution des nappes phréatiques.
Après La vie est une corvée (Exemplaire, 2023), Ernestine (Même pas mal, 2024) et Peur de mourir mais flemme de vivre (Exemplaire, 2025), le quatrième album de bande dessinée de Salomé Lahoche ressuscite son double maléfique sous les traits, cette fois-ci, d’un personnage de fiction. Elle nous embarque dans un univers trash et baroque au pouvoir hautement hilarant.

🧙🏼‍♀️ → Salomé Lahoche, Ancolie, Glénat, 2025. 23 euros.

Une histoire personnelle du VIH

« Ma mère s’appelle Blanche. Elle a 58 ans […] Elle aime la nature, lire, accrocher des citations dans ses WC. […] Elle continue de désinfecter les toilettes derrière elle… » Ainsi commence Blanche, le poignant récit graphique de Maëlle Reat. L’autrice raconte sa mère, séropositive depuis l’âge de 20 ans. Construite comme un entretien entre mère et fille, la bande dessinée déroule les fragments d’une existence traversée par la drogue, la stigmatisation, la peur, le secret, mais aussi par l’amour, la maternité, l’humour, les liens familiaux et le soutien d’associations comme AIDES. Avec finesse, Maëlle Reat lie l’histoire individuelle de Blanche à celle, plus collective, des porteurs et porteuses du VIH en France des années 1980 jusqu’à aujourd’hui.

🦠 → Maëlle Reat, Blanche, Glénat, 2025. 26 euros.

Une vie de stripteaseuse

Quand Antonia Crane pousse, pour la première fois, la porte d’un strip-club californien à la fin de son adolescence, elle n’a pas spécialement envie d’y travailler, s’entend bien avec sa mère et ne crève pas de faim. Jeune étudiante, elle a quitté le foyer familial fragilisé par la dépendance de son frère à l’héroïne et un beau-père autoritaire et lesbophobe. Mais elle doit payer son loyer. Dans un style cru mais jamais voyeur, l’autrice – qui a participé à la création du premier syndicat de stripteaseuses aux États-Unis en 1996 – raconte la travailleuse du sexe lesbienne toxicomane qu’elle a été. Sans l’idéaliser, elle présente le travail du sexe comme un terrain paradoxal de reprise de pouvoir sur sa vie et sur son corps, donnant à voir une sororité des marges rarement mise en lumière. Partageant son parcours sur des chemins de traverse jalonnés d’émotions et riches d’aspérités, elle dresse aussi, en creux, le triste portrait d’une classe moyenne blanche états-unienne fracassée par son absence d’avenir.

 🔥 → Antonia Crane, Consumée, traduction de Michael Belano, éditions 10/18, 2023. 8,90 euros.

Promesse non tenue

Sociologue peinant à « fréquenter facilement un monde » et ses institutions de pouvoir « telles que l’hétérosexualité, la famille et l’université », Fatma Çıngı Kocadost nous embarque dans une exploration féministe de l’hétérosexualité observée depuis les quartiers populaires où évoluent les jeunes femmes d’origine maghrébine. Accessible, riche, incarné et tendre, cet essai vient rappeler l’urgence d’un débat dans le mouvement féministe : ses impasses libérales, les contradictions du présent, mais aussi les possibilités collectives qui affleurent dès qu’on l’envisage comme une lutte pour l’émancipation de toutes et tous.

👰🏽 → Fatma Çıngı Kocadost, La promesse qu’on nous a faite, éditions de l’EHESS, 2025, 288 pages. 15 euros.

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On écoute

Chacun·e son beauf

Dans le dernier épisode en date de sa série audio, Vivons heureux avant la fin du monde, Delphine Saltel s’intéresse à la figure repoussoir du beauf, récemment explorée par Rose Lamy, dans son essai Ascendant beauf (Le seuil, 2025). Tricotant la parole de l’autrice féministe avec celle du sociologue Félicien Faury, auteur d’une enquête sur l’électorat d’extrême droite, et de la réalisatrice Delphine Dhilly, née dans une famille d’éleveurs de porcs dans l’est de la France, elle interroge les mécanismes du mépris de classe. Comme toujours, dans ses documentaires audio, Delphine Saltel, fille de médecin parisien, admet volontiers ses propres préjugés. Elle en fait le matériau premier d’une réflexion lucide et enthousiaste à laquelle on prend part avec beaucoup de plaisir.

🩴→ Delphine Saltel, « Chacun son beauf : à quoi sert le mépris de classe ? », Arte Radio, 3 juillet 2025.

🩴→ Delphine Saltel, « Chacun son beauf : à quoi sert le mépris de classe ? », Arte Radio, 3 juillet 2025.

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On regarde

Mariages de raison

Lucy (Dakota Johnson) est une entremetteuse professionnelle qui évolue au sein des beautiful people new-yorkais·es dans le but de réaliser le match parfait. Pour elle comme pour ses client⋅es fortuné⋅es, un mariage réussi repose sur la rencontre, non pas de deux personnes qui tombent amoureuses, mais de patrimoines génétiques (grande taille pour les hommes, minceur pour les femmes) et financiers qui, mis en commun, assureront sur le long terme, la prospérité et le rayonnement social du couple. Évidemment, les certitudes de Lucy vacillent lorsqu’au cours d’une même soirée, elle rencontre le très smart et fortuné Harry (Pedro Pascal) et recroise John (Chris Evans) son amour de jeunesse fauché comme les blés. Sous l’apparence d’une comédie romantique un peu idiote, le film est en réalité une critique féroce de ce que le capitalisme fait au couple, doublé d’une satire grinçante de la masculinité dominante.

💍→ Celine Song, Materialists, 2025. En salle actuellement.

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Exposition

L’image comme engagement

Des années 1970 aux années 2000, la Française Marie-Laure de Decker était l’une des rares femmes photojournalistes à travailler sur les terrains de guerre. Au Tchad, au Vietnam, au Yémen, en Palestine, elle a photographié les « à‑côtés » de la guerre : les soldats au repos, la prostitution à l’arrière des lignes de front. Engagée en faveur des mouvements sociaux et de libération, elle photographie également des militantes féministes dans les années 1970 ou encore l’écrivaine Annie Ernaux. Mais, au sein de la rétrospective que lui consacre la Maison européenne de la photo, le plus saisissant sont ses autoportraits, réalisés tout au long de sa carrière. De ses débuts dans des chambres d’hôtel à l’étranger, jusqu’aux dernières années de sa vie, en passant par ses grossesses et l’arrivée de ses enfants, elle documente à travers le miroir, sa condition de femme photographe.

📸 → Marie-Laure de Decker, exposition « L’image comme engagement », à la Maison européenne de la photographie (Paris), jusqu’au 28 septembre 2025.

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