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21.03.2025 à 00:27

Brigade de « Choque »

Elias Zabalia

Dans son documentaire Derrière la ligne des boucliers, le réalisateur brésilien Marcelo Pedroso choisit de filmer la police militaire anti-émeute de l'intérieur, abaissant volontairement ses propres défenses et préjugés dans l'espoir de faire tomber les boucliers. Sorti en 2023 et accessible sur la plateforme Tënk, Derrière la ligne des boucliers est un film qui surprend dès son premier plan : des insectes qui grouillent sur le drapeau brésilien. Marcelo Pedroso guide alors le spectateur (…)

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Texte intégral (673 mots)

Dans son documentaire Derrière la ligne des boucliers, le réalisateur brésilien Marcelo Pedroso choisit de filmer la police militaire anti-émeute de l'intérieur, abaissant volontairement ses propres défenses et préjugés dans l'espoir de faire tomber les boucliers.

Philémon Collafarina

Sorti en 2023 et accessible sur la plateforme Tënk, Derrière la ligne des boucliers est un film qui surprend dès son premier plan : des insectes qui grouillent sur le drapeau brésilien. Marcelo Pedroso guide alors le spectateur de sa voix off et fait preuve d'une grande transparence quant à la nature de son projet : comprendre la violence policière exercée par l'État sur ses citoyens, en filmant le quotidien de la brigade Choque, doux nom donné à cette section « anti-émeute ».

Qu'il s'agisse de « nettoyer » un bidonville et ses habitants pour que les promoteurs puissent y installer des buildings, ou de contrôler une foule de supporters lors d'un match de football, la brigade déploie chaque fois une violence inouïe. Mais c'est seulement lorsque, casques levés et boucliers baissés, les policiers-soldats s'expriment, que leur endoctrinement se révèle : « Nous ne remettons pas en question la justice, nous travaillons avec la norme. Vous pouvez vous demander si la norme est juste, mais ce n'est pas à nous de le faire. » affirme le colonel Ricardo. « L'utilisation de la force est inhérente à notre organisation », ajoute-t-il, en croyant bon de préciser « la force non mortelle ».

L'officier Peixoto est interrogé sur son intervention lors d'une manifestation : « C'est une opération qui vous a marqué ? – Nous nous en souviendrons pour ses répercussions sociales. – Y avait-il une sympathie pour le mouvement ? – Oui, en tant que citoyen, mais pas en tant que soldat non, ni sympathie ni antipathie. » répond-il calmement. En alternant habilement plans d'opérations violentes et témoignages, Pedroso montre la dissociation totale entre les actes et l'analyse détachée, distancée, froide et mécanique du policier : « La détermination, c'est garder le contrôle émotionnel […]. À ce moment-là, ce en quoi je crois ou non n'a pas d'importance : je ne suis que le soldat R. Peixoto. » Rien ne semble pouvoir les détourner de la devise de la brigade : « Toujours vaincre ». Mais « vaincre qui ? Vaincre quoi ? » se demande la voix off de Predroso.

Sans relâche et sans prendre leur parti, le documentariste tente de briser les défenses mentales de ces machines de guerre. Alors qu'il demande à une policière si elle pense s'être endurcie depuis son entrée au Choque, elle sourit : « Je pense que tu te façonnes en fonction de ce que le Choque demande de toi. » À savoir livrer une guerre imaginaire contre l'ennemi, qui se matérialise sous les traits d'autres Brésiliens. Malgré son empathie, le réalisateur constate l'échec du dialogue : « J'ai essayé d'accéder aux gens derrière l'uniforme, mais c'était toujours les soldats qui répondaient. » Même le gaz lacrymogène ne peut tirer une larme de ces yeux d'aciers.

Elias Zabalia

21.03.2025 à 00:27

« La liberté de circulation est un impératif d'égalité »

Livia Stahl

À l'heure où la droite repart à l'assaut du droit du sol, il est urgent de rappeler que les droits de chacun·e ne devraient pas être corrélés à la nationalité. On en parle avec deux juristes du Gisti, le Groupe d'information et de soutien des immigré·es. Le 6 février, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture la proposition de loi restreignant le droit du sol à Mayotte, portée par Les Républicains. Gérald Darmanin, illico rejoint par son compère Bruno Retailleau, s'est empressé de (…)

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À l'heure où la droite repart à l'assaut du droit du sol, il est urgent de rappeler que les droits de chacun·e ne devraient pas être corrélés à la nationalité. On en parle avec deux juristes du Gisti, le Groupe d'information et de soutien des immigré·es.

Photo de Louis Witter

Le 6 février, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture la proposition de loi restreignant le droit du sol à Mayotte, portée par Les Républicains. Gérald Darmanin, illico rejoint par son compère Bruno Retailleau, s'est empressé de saluer cette « grande avancée » et demande depuis à ce que « les Français puissent trancher » la question pour carrément réformer la Constitution : « Le débat public doit s'ouvrir sur le droit du sol. »

Le droit du sol ? Ne nous y trompons pas. Débattre des conditions d'octroi ou non de la nationalité, c'est toujours un prétexte pour s'étendre sur la sacro-sainte identité française. Et diviser la classe laborieuse en deux : celles et ceux qui mériteraient d'être français·es contre les autres, jugé·es trop étranger·es pour s'intégrer. Loin de servir la cohésion sociale, la question identitaire est toujours agitée pour diriger la colère sociale vers un supposé ennemi intérieur. Mais aussi pour contrôler les immigré·es et leurs descendant·es en accentuant leur sentiment d'illégitimité à vivre ici et en les contraignant à montrer patte blanche pour être considéré·es comme des citoyen·nes lambda.

On en parle avec Claire Rodier et Solène Ducci, juristes au Gisti (Groupe d'information et de soutien des immigré·es) qui milite pour l'égal accès aux droits, sans considération de citoyenneté. Et pour la liberté de circulation.

***

La nationalité est-elle aujourd'hui le moyen le plus sûr pour avoir le droit de vivre sur le sol français dans les mêmes conditions que les autres ?

« D'une certaine façon, oui. Jusqu'à la “loi Darmanin” du 26 janvier 2024, les personnes installées depuis très longtemps en France, ou y ayant des attaches familiales étroites, étaient en général titulaires d'un droit de séjour quasi permanent, et en principe inexpulsables. Mais ce n'est plus le cas : désormais, toute personne étrangère, quel que soit son statut, peut se voir refuser le renouvellement de son titre de séjour et se faire expulser si elle est considérée comme une “menace pour l'ordre public” ou soupçonnée de non-respect des “principes de la République”. Ces notions très floues font peser une menace sur tout le monde. Avoir la nationalité française apporte une sécurité juridique supérieure : on ne craint plus d'être expulsé.

C'est d'ailleurs pour cette raison que la droite et l'extrême droite s'attaquent au droit du sol, qui permet, à certaines conditions (et sans aucune automaticité, contrairement à ce qu'on entend souvent dire), d'acquérir la nationalité quand on est né en France. »

« Le droit du sang rattache les individus à leur lignage, leur origine. Il légitime les discours ségrégationnistes »

Le débat sur l'octroi de la nationalité par droit du sol, et donc sur la « légitimité » ou non à être français·e, est racialisant. Comment le dénoncer ?

« En rappelant pourquoi le droit du sol a été instauré et comment il est attaqué depuis. Pendant une bonne partie du Moyen-Âge, l'ancêtre du “Français”, le “sujet du roi de France” était celui ou celle né·e et résidant sur son territoire. La période révolutionnaire entérine dans la Constitution de 1793 ce “droit du sol”, qui est avant tout le moyen de jouir des nouveaux droits politiques. C'est le Code civil de 1804 qui instaure une seconde voie (privilégiée) pour acquérir la nationalité, le “droit du sang” : “Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français”. Comme le dit Karine Parrot, l'idéologie charriée par cette conception de la nationalité “rattache les individus à leur lignage, leur origine. Elle légitime durablement les discours ségrégationnistes qui décrivent la Nation comme un club fermé, une famille à protéger1.

Aujourd'hui, droit du sang et droit du sol coexistent. Mais ce dernier est régulièrement altéré. Depuis le début du XIXe siècle, une personne née sur le sol français n'acquiert plus automatiquement la nationalité que si l'un de ses parents est également né en France. On parle de “double droit du sol”. Au début des années 1990, la droite veut carrément le supprimer, au motif que la nationalité ne doit pas résulter du seul fait d'être né en France, mais d'une “véritable adhésion”. Ce sont les mêmes arguments qui sont mobilisés aujourd'hui.

Autrement dit, sauf si on a des parents de nationalité française, on ne pourrait acquérir celle-ci que par la voie de la naturalisation, qui est soumise à une condition d'“assimilation à la communauté française” et sert déjà de fondement à des pratiques institutionnelles discriminatoires. Sans compter que la jurisprudence y a ajouté des exigences économiques : disposer de ressources suffisantes, voire justifier d'une bonne “insertion professionnelle”. Autant de critères qui éliminent les plus pauvres, les personnes inaptes au travail, et toutes celles qui travaillent sous contrat précaire.

Ce tri entre bons et mauvais candidats s'est petit à petit imposé en France, contaminant le droit de la nationalité pour en réalité restreindre l'immigration. Se battre contre la suppression du droit du sol n'est donc qu'une partie du combat à mener pour l'égalité. »

C'est pour cela que le Gisti défend la liberté de circulation ?

« Oui, parce que la nationalité, qui définit par le hasard de la naissance qui est étranger·e et qui ne l'est pas, est un privilège. Ses conséquences sont d'autant plus graves qu'avec des politiques migratoires qui se durcissent, elle est devenue un instrument clef de la fermeture des frontières : seul·es les ressortissant·es de certains États – les plus riches – sont dispensé·es de visa et autorisé·es à circuler librement. La mobilité des autres est soumise aux diktats de ces mêmes États, qui organisent une sorte d'apartheid mondial en allant chercher, ou en laissant entrer irrégulièrement, la seule force de travail dont leurs économies se nourrissent. La revendication des libertés de circulation et d'installation répond au contraire à un impératif d'égalité.

« Transformer la fonction des frontières pour qu'elles ne soient plus des barrières militarisées mais la simple délimitation d'un espace citoyen de délibération »

Sans impliquer la suppression de toute régulation étatique en matières économique et sociale, la liberté de circulation doit être le levier permettant de transformer la fonction des frontières, pour qu'elles ne soient plus des barrières militarisées, mais la simple délimitation d'un espace citoyen de délibération.

La reconnaissance de ces libertés doit aller de pair avec le renforcement de l'État social, fragilisé par une série de dispositifs libéraux dont fait partie l'ouverture contrôlée des frontières liée aux seuls besoins des économies du Nord, au mépris des droits des habitantes et habitants du Sud2. »

Propos recueillis par Livia Stahl

1 Karine Parrot, Étranger, Anamosa, 2023.

21.03.2025 à 00:27

Culture : pass et impasses

Gaëlle Desnos, Livia Stahl

Le gel du pass Culture dans le budget de l'État a provoqué partout en France une vague d'Assemblées générales du secteur culturel. À Marseille comme ailleurs, on cherche des mots d'ordre communs et on prépare la grève. Après un premier coup d'envoi à la Friche de la Belle de Mai en début de mois, la seconde Assemblée générale de la Culture s'est tenue le 19 février dernier, au théâtre national de la Criée de Marseille. Le gel de la part collective du [pass (…)

- CQFD n°239 (mars 2025) /
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Le gel du pass Culture dans le budget de l'État a provoqué partout en France une vague d'Assemblées générales du secteur culturel. À Marseille comme ailleurs, on cherche des mots d'ordre communs et on prépare la grève.

Colloghan

Après un premier coup d'envoi à la Friche de la Belle de Mai en début de mois, la seconde Assemblée générale de la Culture s'est tenue le 19 février dernier, au théâtre national de la Criée de Marseille. Le gel de la part collective du pass Culture, imposé fin janvier lors du vote du budget de l'État, a réveillé les consciences des acteur·ices du secteur. Dans cette ancienne halle aux poissons jadis vendus « à la criée », 400 personnes se sont rassemblées, chargées de colère et d'inquiétude pour l'avenir de leur boulot : des techniciennes aux comédiens, des guichetiers aux illustratrices, et bon nombre d'artistes-auteur·es.

De notre côté, on est autant venues couvrir l'événement qu'y participer : journalistes, précaires comme les autres, on totalise à nous deux quatre statuts et presque deux Smics. Dans cette AG, ça n'étonne personne. Les statuts s'entremêlent et se cumulent : pour un même métier, on peut être intermittent, chômeuse, auteur, auto-entrepreneuse, prof ou salariée. Et pour les représenter, une myriade de syndicats divisés en sous-sous-branches sectorielles. Lassé·es de défendre des miettes d'emplois précaires, les travailleurs et travailleuses de l'AG Culture ont décidé de penser mots d'ordre communs, statut global et grève générale. Vu le morcellement du secteur, le défi est de taille.

Pass Culture : reprendre c'est voler !

« Les restrictions budgétaires sont un thème sur lequel on travaille depuis des mois, mais la suspension de la part collective du pass Culture a agi comme une étincelle » explique Magali, déléguée régionale du SFA-CGT, syndicat des artistes-interprètes. Utilisée par les établissements scolaires pour financer des projets culturels et permettre aux élèves d'accéder à une diversité d'activités artistiques, le pass Culture est également vital pour les acteur·es de la culture qui en dépendent pour trouver du travail. Mais en janvier dernier, dans un contexte budgétaire tendu et sous la pression de Bercy, le ministère de l'Éducation rabote son budget de 97 à 72 millions d'euros. Sauf que sur cette somme, 62 millions sont bloqués entre les dépenses déjà engagées et l'argent mis en réserve pour la rentrée 2025. Restent donc 10 millions sur lesquels se ruer pour assurer les besoins des établissements et leurs partenaires culturels. La panique.

« Les attaques contre le RSA peuvent sembler lointaines, mais beaucoup parmi nous dépendent des minima sociaux pour combler leurs maigres contrats »

Louis, artiste-auteur et photographe depuis 20 ans, s'est fait sucrer un de ses projets prévu en établissement scolaire. « Le 27 janvier, le prof avec qui je collaborais m'a appelé en catastrophe pour m'informer que le pass Culture allait être gelé. J'ai dû poster mon offre sur la plateforme en urgence, mais le lendemain, quand il a tenté de se connecter pour l'approuver, il y avait tellement d'activité sur le site, qu'il a planté. » Résultat ? 25 heures d'ateliers et 3 000 euros de revenus sous le nez. « Le pire c'est que l'inscription m'a pris des mois, et pile quand je commence à m'acclimater au dispositif, boum, c'est annulé. C'est ça qui est exaspérant : en 2022 l'État a mis cette grosse machine en place, qu'on a tous un peu galéré à s'approprier, et finalement, à peine quelques années plus tard, ça prend l'eau. » Pour Léo, prof dans un lycée des quartiers Nord de Marseille, même expérience : « Ça faisait un ou deux mois que j'étais en relation avec une asso pour faire des courts-métrages avec mes élèves en avril et mai. Le proviseur avait donné son accord de principe, on devait juste organiser une réunion entre tous les partenaires pour finaliser. » Puis il a dû annoncer à ses élèves que le projet était annulé : « Ils étaient dégoûtés. Moi aussi. Surtout que j'avais bossé en amont pour tout préparer. Et dans l'établissement, personne n'a réagi : il y avait une sorte de résignation. »

Les sacrifiés de l'austérité budgétaire

Lors de l'AG au théâtre de la Criée, pour tous·tes, il est temps de réagir. Rapidement, les échanges vont bien au-delà du pass Culture. « Dès l'annonce des réductions budgétaires de l'État pour 2025, il était clair que nous serions la variable d'ajustement, affirme Magali. L'ennui c'est qu'on ne le voit pas tout de suite. Nos métiers sont tellement fragmentés que quand on parle de milliards en moins dans tel ou tel ministère, ça paraît abstrait. Par exemple, les attaques contre le RSA peuvent sembler lointaines, mais en réalité, beaucoup parmi nous dépendent des minima sociaux pour combler leurs maigres contrats. » Elle évoque aussi la réduction des dotations aux collectivités territoriales, qui a déjà entraîné des coupes dans les budgets culturels régionaux (Pays de la Loire en tête, avec moins 28 % sur le fonctionnement par rapport à 2024) et départementaux (moins 48 % dans l'Hérault). « Nos professions sont tellement faites de bouts de chandelles grappillés çà et là que toute restriction budgétaire finit par nous affecter ! »

À force d'attaques tous azimuts de l'État, la conscience des professionnel·les de la culture d'appartenir à un même secteur s'aiguise.

De son côté, Cédric, délégué régional du SPIAC, la branche audiovisuelle et cinéma de la CGT, et cadreur intermittent chez France Télévisions, évoque la baisse de 80 millions d'euros dans l'audiovisuel public. « Et encore ! Rachida Dati visait 100 millions ! » fustige-t-il, avant de rappeler qu'une réforme de l'audiovisuel public devrait être menée à son terme avant l'été : « Leur idée est de regrouper France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'Institut national de l'audiovisuel en une seule et même holding : “France Médias”. En gros, ce que la BBC a fait il y a quelques années, avant d'en revenir. » La raison invoquée ? « Perte de créativité, de forces vives et d'indépendance. » « Leur logique est seulement celle de l'économie. Des postes vont être supprimés sous prétexte de faire doublons, alors que la radio et l'audiovisuel sont deux secteurs bien distincts. Ce n'est pas pour rien qu'il y a deux conventions collectives différentes ! »

Modèle(s) commun(s) et grève ?

Le problème, dans la culture, c'est que le travail est pour certain·es considéré comme une prestation (auto-entreprenariat), pour d'autres, il est reconnu à coup de « cachets », soit le nombre d'heures supposées qui ont permis sa réalisation (intermittence). Parfois, il est rémunéré par un 35 heures salariées, et pour d'autres encore, c'est la vente de son produit (l'« œuvre ») qui est censée payer le travailleur·euses (artistes-auteur·es). Mais à force d'attaques tous azimuts de l'État, la conscience des professionnel·les de la culture d'appartenir à un même secteur s'aiguise. À l'AG marseillaise, la nécessité de revendiquer un modèle commun pour tous·tes gagne les discussions. Est notamment évoquée la proposition de loi de la députée Soumya Bourouaha (GDR) qui vise à intégrer les artistes-auteur·es ayant dégagé un revenu annuel équivalent à 300 heures Smic dans l'assurance-chômage. L'idée s'inspire de la « sécurité sociale de la culture », portée par Réseau salariat et issue des travaux des communistes sur la Sécurité sociale d'après 1945. Il s'agit de « faire sortir la culture du marché capitaliste, comme c'est déjà le cas pour le soin ou les retraites ». Et donc de la rendre accessible à tous. Comment la financer ? Rien de très révolutionnaire : via une caisse de cotisations sociales interprofessionnelles qui serait redistribuée en salaires pour tous ses travailleur·euses. Aurélien Catin, l'un des défenseurs de la sécu sociale de la culture, explique : « Il s'agit de faire du salaire la condition de la production [artistique] et non sa contrepartie. » Un modèle proche de l'intermittence, qu'il s'agirait d'automatiser pour tous les secteurs, et dont les conditions d'accès seraient revues.

Mais pour porter des revendications communes, les travailleur·euses doivent s'organiser. « À la CGT, on propose de faire des États généraux de la culture. D'autant que le RN monte et qu'il a une idée bien précise de ce que celle-ci doit être. Il faut donc que nous aussi nous en défendions une ! » affirme Magali, tout en précisant : « On ne demande surtout pas au gouvernement de l'organiser ! Il s'agit de nous retrouver entre nous, à la limite avec les employeur·euses, pour nous auto-organiser. » Ces dernières semaines, c'est donc tout un secteur qui se mobilise pour reprendre en main son travail, formuler ses conditions et les imposer par la grève, qui débutera le 20 mars prochain. Force à eux ! Force à nous !

Livia Stahl & Gaëlle Desnos

21.03.2025 à 00:27

Billy Elliot

Loïc

Loïc est prof d'histoire et de français, contractuel, dans un lycée pro des quartiers Nord de Marseille. Chaque mois, il raconte ses tribulations au sein d'une institution toute pétée. Entre sa classe et la salle des profs, face à sa hiérarchie ou devant ses élèves, il se demande : où est-ce qu'on s'est planté ? Ce mois-ci, il nous parle d'homophobie. « Monsieur, nous les gays on les trucide ! » Fin de journée, la classe est quasi vide mais les quelques élèves qui s'y trouvent sont (…)

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Loïc est prof d'histoire et de français, contractuel, dans un lycée pro des quartiers Nord de Marseille. Chaque mois, il raconte ses tribulations au sein d'une institution toute pétée. Entre sa classe et la salle des profs, face à sa hiérarchie ou devant ses élèves, il se demande : où est-ce qu'on s'est planté ? Ce mois-ci, il nous parle d'homophobie.

Mona Lobert

« Monsieur, nous les gays on les trucide ! » Fin de journée, la classe est quasi vide mais les quelques élèves qui s'y trouvent sont déchaînés et s'entraînent mutuellement dans des diatribes homophobes. « C'est pas humain ! Et si on les tue tous, l'homosexualité, ça existera plus ! » Merde, la classe est hilare. Et rien ne semble vouloir stopper l'emballement, pas même moi qui insiste pour qu'ils arrêtent sans trouver aucun écho. Nauséeux, je change de tactique et les interroge : « Pourquoi vous les haïssez à ce point ? » Des bribes de réponses surgissent : « Mon père il m'a dit, si je suis gay il me renie », « Moi, il m'a dit qu'il me tuait ! Et c'est normal ?Oui, on est des hommes, on a un honneur à défendre. »

La discussion glisse vers les valeurs masculines : « Moi avec mon père on se dit jamais qu'on s'aime car justement on est pas GAY ! » Dommage non ? « C'est normal entre hommes ! Moi, j'ai jamais fait un câlin à mon père ! » Un dernier raconte, moins certain d'être d'accord : « Hier, mon petit frère il dansait, mon père l'a obligé à arrêter… » C'est triste, les papas homophobes font des petits homophobes. Et sûrement une flopée d'autres figures comme Bassem, youtubeur condamné à huit mois de prison avec sursis pour propos homophobes en 2020 et adulé par plusieurs jeunes de la classe : « Lui c'est pas une tapette monsieur ! »

Pour ne pas être exclu, s'en prendre au « pédé » qui « transgresse » la masculinité en tout point, c'est s'assurer une place d'honneur chez les « mecs »...

Afin d'éviter moi-même de les haïr, je rationalise : pour ces jeunes adolescents de quartiers défavorisés, défendre ces opinions c'est peut-être d'abord une provocation logique à l'école et aux profs identifiés comme petits bourgeois proLGBT ? Ou alors une condition pour exister dans le groupe ? Dans un article de 2012 intitulé « Le pédé, la pute et l'ordre hétérosexuel » la sociologue Isabelle Clair explique que « la première cause d'exclusion pour les garçons, c'est qu'on puisse douter de leur virilité ». Pour ne pas être exclu, s'en prendre au « pédé », qui « transgresse » la masculinité en tout point, c'est alors s'assurer une place d'honneur chez les « mecs »...

Le problème c'est que cette construction hétérobancale fait des dégâts. Selon un rapport de SOS homophobie en 2024, les agressions verbales et physiques contre les jeunes LGBTQ+ sont fréquentes. Si les élèves sont à l'origine de la majorité de ces agressions, sur 94 cas rapportés, 35 % proviennent des enseignant·es et la direction... Bref, les hommes, ça doit pas danser ? Au prochain cours, on regarde Billy Elliot, et on convie le corps enseignant !

Loïc

16.03.2025 à 18:33

Une « tentative semi-révolutionnaire » : en Serbie, jusqu'où iront les étudiants ?

Eliott Dognon

Depuis novembre, un soulèvement contre la corruption impulsé par les étudiant·es a gagné la Serbie et secoue le gouvernement nationaliste d'Aleksandar Vučić. La détermination des Serbes ne faiblit pas et le mouvement est parti pour durer. On en parle avec le sociologue Filip Balunović. Le 1er novembre dernier, l'auvent de la gare de la deuxième ville de Serbie, Novi Sad, s'est effondré, tuant quinze personnes. Elle avait pourtant fait l'objet de rénovations par une entreprise chinoise deux (…)

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Depuis novembre, un soulèvement contre la corruption impulsé par les étudiant·es a gagné la Serbie et secoue le gouvernement nationaliste d'Aleksandar Vučić. La détermination des Serbes ne faiblit pas et le mouvement est parti pour durer. On en parle avec le sociologue Filip Balunović.

Marina Margarina

Le 1er novembre dernier, l'auvent de la gare de la deuxième ville de Serbie, Novi Sad, s'est effondré, tuant quinze personnes. Elle avait pourtant fait l'objet de rénovations par une entreprise chinoise deux ans plus tôt. Depuis, un mouvement de protestation inédit, mené par les étudiant·es, fait trembler le pouvoir du président Aleksandar Vučić. Le Premier ministre, Miloš Vučević, ancien maire de la ville, a dû démissionner et les étudiant·es, organisé·es de manière horizontale, réclament la fin de la corruption du système Vučić. Entretien avec Filip Balunović, docteur en sciences politiques et sociologie et chercheur associé à l'institut de philosophie et de théorie sociale de l'université de Belgrade.

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Pouvez-vous nous dire pourquoi ce mouvement est sans précédent ?

« La raison principale réside dans sa propagation à l'échelle nationale. Il a commencé dans les deux plus grandes villes de Serbie, Belgrade et Novi Sad, puis s'est étendu aux petites villes, et même aux villages. Le 15 février, des étudiants de toute la Serbie ont marché jusqu'à Kragujevac (dans le centre du pays). La dernière manif a eu lieu le 1er mars, avec des étudiants voyageant une fois de plus depuis Belgrade et Novi Sad au nord, jusqu'à Niš au sud – certains à pied, d'autres à vélo. Ces étudiants sont prêts à mettre de côté leur routine quotidienne et leurs engagements académiques. Par exemple, ils ont mené une campagne de porte-à-porte pour sensibiliser et informer les gens sur l'importance de leur mouvement et l'ampleur de leur sacrifice. Et après quatre mois intenses de protestations, il est peu probable qu'ils abandonnent facilement leur cause... »

On a vu les mouvements se multiplier ces dernières années en Serbie, particulièrement contre le projet de mine de lithium de Jadar (ouest). Est-ce que les militant·es écologistes sont impliqué·es dans celui-ci ?

« Ces protestations ont précédé le mouvement étudiant, servant de passerelle pour établir un terrain idéologique commun à travers le pays. Elles ont exprimé une large opposition, non seulement aux projets de Rio Tinto1, mais aussi aux intérêts politiques et économiques des élites, tant serbes qu'étrangères. Ce consensus s'est largement étendu à travers la Serbie, englobant des voix, à gauche comme à droite. Les protestations environnementales ont mis un coup d'arrêt aux projets de l'entreprise, ainsi qu'à ceux des gouvernements serbe et allemand, ce dernier étant en attente du lithium pour sa transition écologique. Elles illustrent une forme d'intersectionnalité, car elles ont réuni des personnes des zones rurales, des communautés suburbaines et de la ville de Loznica, située dans la vallée de Jadar. Beaucoup de militants ont également rejoint le mouvement étudiant, certains arrivant même avec des tracteurs ! »

« C'est peut-être le mouvement de jeunesse le plus massif que nous ayons vu, une “tentative semi-révolutionnaire” »

Aleksandar Vučić et son système corrompu peuvent-ils être renversés ?

« La dynamique actuelle n'est pas seulement centrée sur le changement de régime, mais plutôt sur le réajustement des bases d'un système défectueux. Ces jeunes ont grandi en étant témoins de la dégradation de la société et en ayant passé toute leur vie sous le règne d'Aleksandar Vučić. Pour eux, le passé politique de Vučić et son rôle dans les guerres des années 1990 sont des préoccupations secondaires. Ce qui les motive, c'est la réalité immédiate qu'ils vivent – et qu'ils jugent inacceptable. C'est peut-être le mouvement de jeunesse le plus massif que nous ayons vu, un mouvement que je décris de manière optimiste comme une “tentative semi-révolutionnaire”. Il a reçu le soutien de divers secteurs de la société, y compris des professeurs d'université, des travailleurs agricoles et des professionnels de la santé. »

« Vučić a structuré sa gouvernance de manière à rendre presque impossible une destitution légale, il est clair qu'il ne démissionnera pas facilement »

Comment fonctionne le système Vučić ?

« Vučić est profondément enraciné dans des réseaux d'influence, tant nationaux qu'internationaux. Jusqu'à présent, aucune personne, organisation ou groupe d'intérêt spécifique n'a retiré son soutien à son égard. Il place stratégiquement des figures loyales et de confiance à des postes clés au sein du système judiciaire, pour que celui-ci reste sous son contrôle. Au cours des treize dernières années, ce régime autocratique a été consolidé, et bien que nous assistions désormais à des arrestations médiatisées pour corruption – y compris de personnes autrefois proches du parti au pouvoir – cela semble n'être qu'une façade pour créer l'illusion d'un gouvernement engagé dans la lutte contre la corruption. Par le biais de la domination médiatique, du contrôle judiciaire et de l'érosion des institutions parlementaires, Vučić a structuré sa gouvernance de manière à rendre presque impossible une destitution légale. Sa compétence politique réside dans sa capacité à entrelacer des intérêts divers, se positionnant comme le courtier central, non seulement parmi ses alliés politiques, mais aussi au sein des réseaux d'affaires semi-légaux et illicites opérant en Serbie et au-delà. Il est clair qu'il ne démissionnera pas facilement ni pacifiquement. »

Quelles sont les différences avec le mouvement « Otpor » (Résistance) qui avait mené à la fin du régime de Milošević dans les années 1990 ?

« Aujourd'hui, Vučić maintient un contrôle absolu sur chaque municipalité du pays contrairement aux années 1990, où le mouvement étudiant bénéficiait du soutien de partis d'opposition jugés plus crédibles que l'opposition fragmentée actuelle. Aujourd'hui, les étudiants fournissent un effort conscient pour se distancer des partis politiques. Cela est en grande partie dû au manque de crédibilité de l'opposition, résultant de divisions internes, d'incompétence et de la propagande incessante du gouvernement à leur encontre. Les étudiants ont réussi à établir une communication directe avec les citoyens – ce qu'ont largement échoué à faire les partis d'opposition au cours de la dernière décennie. »

Pourquoi l'Union européenne reste silencieuse ?

« À la fin des années 1990, l'ensemble de l'opposition à Milošević était non seulement soutenu par l'Occident, mais également appuyé par des figures économiques et politiques influentes serbes. Aujourd'hui, la communauté internationale continue de soutenir Vučić, car de grands pays européens ont des intérêts économiques en Serbie. La France, par exemple, a le contrôle de l'aéroport de Belgrade, tandis que l'Allemagne attend l'accès au lithium serbe pour sa transition énergétique. Il semble que les élites les plus riches et les structures oligarchiques en Europe, disposant d'une influence financière suffisante, continuent de tirer des profits, au détriment de l'intérêt public en Serbie. Si Vučić tombe, ce serait cette fois-ci uniquement grâce à la force du peuple serbe, sans aucune aide étrangère. »

« L'intégration européenne est devenue une expression vide, dépourvue de sens concret pour le citoyen serbe moyen »

Et les manifestants, qu'est-ce qu'ils pensent de l'UE ?

« L'absence de drapeaux de l'Union européenne lors des manifestations est un signe clair qui contraste fortement avec les manifestations en Géorgie par exemple. Cela reflète un désenchantement généralisé vis-à-vis de l'UE, notamment en ce qui concerne son traitement de la société civile serbe. L'UE n'est pas un sujet central – ni dans ces manifestations ni dans le discours politique plus large de la Serbie. L'intégration européenne est devenue une expression vide, dépourvue de sens concret pour le citoyen serbe moyen. »

Pour l'instant le mouvement rejette toute récupération politique par les partis traditionnels. Est-ce que ça peut durer ? Quelle stratégie pour la suite ?

« À mon avis, la question cruciale concerne la prochaine étape : que va-t-il se passer après le mouvement étudiant ? En fin de compte, quelqu'un devra se présenter, gagner les élections et reconstruire la confiance du public depuis la base afin d'obtenir un mandat et opérer les changements systémiques radicaux que les étudiants réclament. Cet acteur sera-t-il issu du mouvement étudiant lui-même, ou s'agira-t-il d'une coalition d'étudiants, de professeurs d'université et d'enseignants du secondaire ? Jusqu'à présent, cette seconde étape reste floue. Le mouvement suscite des attentes et élargit l'espace pour l'engagement politique. Les étudiants ne semblent pas prêts à s'arrêter tant qu'ils n'auront pas épuisé tout le potentiel qu'ils ont créé pour eux-mêmes. Dans chaque faculté, des groupes autogérés, appelés “Le Jour d'Après” se sont formés pour réfléchir à ce qui viendra une fois que les manifestations se seront inévitablement essoufflées. Leurs discussions tournent principalement autour de l'institutionnalisation des plénums au sein des universités. Même la réalisation d'une telle idée marquerait un accomplissement extraordinaire, sans précédent en Europe. »

Propos recueillis par Eliott Dognon

This interview is also available in English.


1 Multinationale anglo-australienne spécialisée dans l'exploitation minière.

16.03.2025 à 18:32

Obsolète

Un dessin de Nicolas de la Casinière

- CQFD n°239 (mars 2025) / ,
Texte intégral (1820 mots)

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