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03.12.2024 à 14:02

À Besançon, les Gilets jaunes toujours présent·es : « En six ans, rien n'a changé »

Toufik-de-Planoise

Alors que le mouvement des Gilets jaunes fête ses six ans ce mois‑ci, le média indépendant franc‑comtois Le Ch'ni nous trimballe à la périphérie de Besançon sur l'un des rares ronds-points toujours occupés… Ielles étaient une soixantaine ce samedi matin au rond-point de Chalezeule, « bien plus que d'habitude » admet une habituée. Mais, spécificité locale, le site est occupé de manière discontinue par les fameuses chasubles, et ce depuis le 17 novembre 2018 ! Si des « retours » ponctuels (…)

- CQFD n°235 (novembre 2024)
Texte intégral (647 mots)

Alors que le mouvement des Gilets jaunes fête ses six ans ce mois‑ci, le média indépendant franc‑comtois Le Ch'ni nous trimballe à la périphérie de Besançon sur l'un des rares ronds-points toujours occupés…

Ielles étaient une soixantaine ce samedi matin au rond-point de Chalezeule, « bien plus que d'habitude » admet une habituée. Mais, spécificité locale, le site est occupé de manière discontinue par les fameuses chasubles, et ce depuis le 17 novembre 2018 ! Si des « retours » ponctuels sont parfois notés ici et là, les implications aussi durables restent une exception en France. « Je ne sais pas si c'est un cas unique, j'ai connaossance d'un site dans le sud-ouest où on serait dans la même situation. M'enfin oui, ça doit vraiment se compter sur les doigts d'une main » confimre Fred, salarié d'un bailleur social et activiste de la première heure.

« Une conception affinitaire, presque familiale »

Dans les faits néanmoins, ielles ne sont qu'une petite quinzaine à occuper réellement les lieux chaque semaine. Un noyau dur et tenace qui subsiste, constitué au fil des mois de luttes. « Celleux qui se retrouvent là sont animé·es par une conception affinitaire presque familiale, on retrouve les copain·es en convivialité autant qu'on perpétue une mémoire revendicative forte à laquelle on tient. Les foules du début se sont certes bien réduites, mais des têtes reviennent de temps en temps avec une vraie synergie lors de grosses contestations. C'est un état d'esprit, plus qu'un cadre précis », relate notamment Denis Braye, pompier en conflit larvé avec le Sdis depuis plusieurs années.

Reste qu'en approchant des six années du mouvement, l'effervescence du jour s'avère assez inhabituelle. On la doit spécialement à la venue de Christophe Dettinger, boxeur chevronné et figure de cette révolte populaire. Sillonnant actuellement le pays afin d'échanger avec les ultimes bastions toujours vivaces, il s'est naturellement arrêté dans la capitale comtoise, en attirant des soutiens jusqu'à Dijon, Dole ou Pontarlier. […]

La convivialité, non sans constats

Un chapiteau est dressé, autour duquel cette petite société reprend vie : une table de presse avec de la documentation, un coin garni de gâteaux, un foyer alimenté de palettes, mais aussi, surtout peut-être, des banderoles, pancartes et slogans. Entre les discours et l'Internationale, le chant « On est là » est également repris avec ardeur. La plupart des automobilistes exprime sa sympathie par des coups de klaxon, mais presque aucun·e ne s'arrêtera. « La population était largement avec nous, mais la répression inouie, les tentatives de leadership, les quelques miettes annoncées par le président ont mis un cran d'arrêt ; aujourd'hui c'est difficile », estime Patrick, retraité proche de LFI.

« En six ans, rien n'a changé. Macron et sa clique sont encore là, nos malheurs avec. Depuis, il y a eu les retraites et l'inflation, notre existence ne fait que de se dégrader. Avec le gouvernement Barnier, la crise devrait prendre une nouvelle ampleur. Un bloc centre/droite/extrême droite s'est constitué, sur un leitmotiv clair : l'ultralibéralisme comme horizon, la matraque pour celleux qui contesteront. En 2018, j'étais le premier à dire qu'il ne fallait pas tout casser ; mais en me confrontant à la réalité, je me dois maintenant de l'admettre : sans grève ni insurrection, il apparaît bien impossible d'établir un rapport de force concret pour faire bouger les lignes », lâche un trentenaire, routier, père de trois enfants.

Par Toufik-de-Planoise

03.12.2024 à 14:02

Le panda à libido zéro

L'équipe de CQFD

Fin septembre, le zoo d'Ähtäri en Finlande a pris la décision conjointe avec la Chine de renvoyer Lumi et Pyry chez eux. Ces deux pandas trop choupis feraient perdre de l'argent au parc animalier. Comment ? Ces pourfendeurs du capitalisme passent leurs journées à boulotter des bambous (jusqu'à 40 kilos par jour !) sans prendre la peine de faire des enfants pour attirer les visiteurs. Il faut dire que Pyry n'est féconde qu'une quarantaine d'heures par an quand Lumi a une libido proche de (…)

- CQFD n°235 (novembre 2024) /
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Thibaut Trincklin

Fin septembre, le zoo d'Ähtäri en Finlande a pris la décision conjointe avec la Chine de renvoyer Lumi et Pyry chez eux. Ces deux pandas trop choupis feraient perdre de l'argent au parc animalier. Comment ? Ces pourfendeurs du capitalisme passent leurs journées à boulotter des bambous (jusqu'à 40 kilos par jour !) sans prendre la peine de faire des enfants pour attirer les visiteurs. Il faut dire que Pyry n'est féconde qu'une quarantaine d'heures par an quand Lumi a une libido proche de zéro. Selon une étude de l'université de Zhengzhou et de l'Institut zoologique de l'Académie des sciences de Pékin, celle-ci ne serait pas follement stimulée par leur captivité. Les deux « assisté·es » coûteraient ainsi 1,5 million d'euros par an au zoo depuis leur arrivée en 2018. Une fortune pour l'établissement, qui ne peut plus suivre depuis le covid-19 auquel s'est ajoutée l'inflation. D'autant plus qu'il doit payer 800 000 euros annuels de frais d'emprunt à la Chine. Lumi et Pyry devaient rester 15 ans au sein du zoo dans le cadre de la « diplomatie du Panda », une pratique de l'empire du Milieu consistant à « offrir » des pandas pour soigner ses relations diplomatiques. Mais depuis 1984, la Chine ne les donne plus, elle les loue. La palme d'or de l'abstinence revient néanmoins à Tian Tian et Yang Guang, resté·es douze ans au zoo d'Édimbourg en Écosse sans faire un seul petit. Un bon coup de bambou pour les geôliers des zoos capitalistes !

03.12.2024 à 14:02

Sardinières d'hier et d'aujourd'hui

Tiphaine Guéret

Avec Écoutez gronder leur colère (Libertalia, octobre 2024), l'amie et camarade de CQFD Tiphaine Guéret se penche sur le quotidien des travailleuses des conserveries de poisson à Douarnenez, un siècle après la mythique grève victorieuse de 1924. Le turbin a changé, mais le fond reste le même : conditions de travail pourries et capitalisme rapace. « Écoutez l'bruit d'leurs sabots / Voilà les ouvrières d'usine / Écoutez l'bruit d'leurs sabots / Voilà qu'arrivent les Penn Sardin. » Les (…)

- CQFD n°235 (novembre 2024) /
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Avec Écoutez gronder leur colère (Libertalia, octobre 2024), l'amie et camarade de CQFD Tiphaine Guéret se penche sur le quotidien des travailleuses des conserveries de poisson à Douarnenez, un siècle après la mythique grève victorieuse de 1924. Le turbin a changé, mais le fond reste le même : conditions de travail pourries et capitalisme rapace.

Mathilde Paix

« Écoutez l'bruit d'leurs sabots / Voilà les ouvrières d'usine / Écoutez l'bruit d'leurs sabots / Voilà qu'arrivent les Penn Sardin. » Les familiers des chorales militantes ont forcément en tête ce refrain, composé par l'accordéoniste Claude Michel, en ­l'honneur des ouvrières des conserveries de Douarnenez et de leur grève victorieuse de 1924. On entonne encore régulièrement « Les Penn Sardin », de Marseille à Limoges, au gré des luttes, tant la leur est entrée dans l'imaginaire des conquêtes sociales arrachées de haute lutte. Car il en a fallu, de la détermination, pour que dans cet univers façon « Zola au fond du Finistère », tel que le caractérise Anne Crignon dans un ouvrage qu'elle leur a consacré1, ces deux milliers d'ouvrières en grève arrachent une vraie victoire (notamment une nette revalorisation salariale). Six semaines de lutte acharnée, ainsi symbolisées par les refrains finaux, plus combatifs, composés par l'accordéoniste : « Écoutez claquer leurs sabots / Écoutez gronder leur colère / Écoutez claquer leurs sabots / C'est la grève des sardinières. »

« Mythique, la grève l'est d'abord parce qu'elle est menée par des femmes », écrit Tiphaine Guéret dans son ouvrage dont le titre fait référence au hit susmentionné, Écoutez gronder leur colère2. « Il faut les imaginer battant le pavé au son de L'Internationale, levant le poing contre leurs conditions de vie inhumaines. » Mais l'amie enquêtrice, par ailleurs matelote émérite du chalutier CQFD dont elle a un temps été secrétaire de rédaction, a souhaité réactualiser le propos. Elle est allée voir ce qui, aujourd'hui, se tramait dans les deux conserveries de poissons rescapées, Paulet (marque Petit Navire) et Chancerelle (Connétable). « Il y aurait quelque chose de frustrant à laisser le compteur bloqué sur le triomphal hiver 1924 et à se satisfaire de la folklorisation de la grève », préambulise-t-elle. Et d'ajouter : « Aujourd'hui encore, la vie économique de Douarnenez tourne largement autour de la sardine et du conditionnement du poisson, et ses conserveries emploient toujours massivement des femmes, dans des conditions représentatives des situations d'exploitation propres à notre époque. Leur histoire aussi mérite d'être racontée, et c'est ce que ce livre se propose de faire. »

Mission accomplie. Si les ferments révolutionnaires de Douarnenez « la Rouge »3 semblent lointains, les pages de l'ouvrage laissent pointer la possibilité d'un « front commun » contre les nouvelles conditions d'exploitation. Un siècle après, l'étincelle n'est pas tout à fait éteinte… Morceaux choisis.

Par Émilien Bernard
Chapitre X : « Comme des Maillons qu'on peut échanger »

« Une des raisons de la colère et de la déception des ouvrières, c'est sans doute le décalage entre leur vécu et l'image valorisante que se donne l'entreprise familiale. Les plus anciennes semblent entretenir un souvenir heureux de leurs premières années chez Chancerelle. Les conditions de travail étaient déjà difficiles – en témoigne le film de Marie Hélia Les Filles de la sardine, tourné en 2000 – mais l'atmosphère n'était pas la même. La direction saluait les ouvrières chaque matin, négociait pour elles des langoustines à bas coût auprès des pêcheurs pour les fêtes. Lorsqu'une nouvelle recette était lancée, on les consultait à coup de boîtes de sardines offertes pour toute la famille. Du capitalisme paternaliste à l'ancienne. Une technique managériale éprouvée, visant à entretenir les employées dans l'illusion d'appartenir à une famille. Toxique ? Sûrement. Mais, pour beaucoup, ça valait mieux que le régime actuel.

La direction saluait les ouvrières chaque matin, négociait pour elles des langoustines à bas coût pour les fêtes

C'est des jeunes chefs, maintenant, pour la plupart, raconte Mathilde. Ils ont quelque chose à prouver. Ils n'ont pas connu l'usine, ils ne savent pas la pénibilité. Pour certains, on est comme des maillons qu'on peut échanger. Avant, chacune avait son importance. Aujourd'hui, il y a tellement de demandeurs d'emploi qu'on se dit qu'on peut nous échanger à n'importe quel moment. Il y a toujours du monde à la porte.

Ce sentiment est partagé par Sarah : “On n'est plus considérées, on est des numéros. On n'est que des pions. On n'a aucune valeur devant ces gens-là. Je ne sais pas où ils sont allés prendre cette équipe de chefs, mais ils ne sont pas à la hauteur. Certains n'ont jamais travaillé le poisson, jamais travaillé sur une ligne. L'identité de l'usine s'est perdue.

« On n'est plus considérées, on est des numéros, on n'a aucune valeur devant ces gens-là »

À en croire un délégué syndical CGT de l'entreprise, le glissement aurait commencé au début des années 2010, au moment du déménagement sur le site du Lannugat, qui coïnciderait avec l'instauration des 2/8. Une nette aggravation se serait ensuite fait sentir à partir de 20194. “Chez Chancerelle, c'était le paternalisme qui régnait jusqu'à 2010, 2012. Puis sont arrivés des financiers.

Des financiers.” Le mot revient dans la bouche de nombreuses ouvrières, pour évoquer ceux qui sont aujourd'hui à la tête de leur usine. Au premier rang desquels Jean Mauviel, directeur général de la Maison Chancerelle depuis 20195, succédant aux dix ans de règne de Jean-François Hug, premier dirigeant de l'entreprise non membre de la famille Chancerelle. Un “financier”, Mauviel ? L'homme a en tout cas roulé sa bosse dans de grosses boîtes agro-alimentaires : Saupiquet, Daucy mais aussi Findus, pour les plus connues. Tout comme Philippe Cloarec, directeur industriel, qui a travaillé pour les groupes Jean Hénaff (celui des célèbres pâtés bretons) et Jean Caby, le roi de la saucisse cocktail. C'est aussi le cas de Benoît Allais, directeur des usines, qui a officié chez Madrange et Capitaine Cook, ainsi que de Julie Galauziaux, responsable de l'usine sardine, elle aussi passée par Hénaff, ainsi que par Intermarché. Tous occupent leur poste depuis 2019.

« Chez Chancerelle, c'était le paternalisme qui régnait jusqu'à 2010, 2012, puis sont arrivés des financiers »

Avec ces nouvelles têtes, explique le délégué syndical, serait arrivé “le lean management6, le management moderne, agressif : à l'étripage, elles bossent avec sous les yeux un diagramme qui leur indique quand l'entreprise perd de l'argent, quand elle rentabilise, quand elle gagne de l'argent. Tout est calculé au centime près”.

Jusqu'aux congés payés : des salariées qui souhaitaient réintégrer leur poste en mi-temps thérapeutique après un arrêt de travail se seraient vues mises en congé forcé par Chancerelle, faute de travail pour elles. Plus grave encore, les congés payés des salariées seraient parfois utilisés pour pallier les aléas techniques, par exemple les pannes des machines.

« À l'étripage, elles bossent avec sous les yeux un diagramme qui leur indique quand l'entreprise perd de l'argent, quand elle rentabilise »

Ce que Chancerelle a à en dire ? Sur le premier point, l'entreprise est catégorique : elle “n'a pas connaissance de tels cas et se conforme aux avis du médecin du travail”. Quant au second, elle assure qu'elle “ne fait qu'appliquer les décisions prises collectivement” et affirme : “L'organisation du travail est encadrée par un accord d'entreprise signé par la CGT, lequel définit les conditions relatives aux changements d'horaires et aux délais de prévenance.

Soit. Reste que l'année 2019 a marqué un tournant dans la mémoire des ouvrières. La date à partir de laquelle les rapports humains se délitent, les petits arrangements s'annulent… Et cette impression désagréable de n'être plus que de la main-d'œuvre, corvéable, flexible et interchangeable.

De quoi faire émerger chez les travailleuses un front commun ? »


1 Une Belle grève de femmes, Libertalia, 2021.

2 Paru chez Libertalia le 25 octobre 2024. Ruez-vous chez votre libraire, nom d'une sole meunière !

3 À l'époque de la grève, le maire de la ville, Daniel le Flanchec, était communiste.

4 Interrogée au sujet de ce tournant, Chancerelle n'a pas répondu sur ce point précis.

5 À l'heure où ces lignes sont écrites, un nouveau directeur général, Philippe Saintigny, est en passe de remplacer Jean Mauviel.

6 Méthode de gestion et d'organisation du travail destinée à optimiser le fonctionnement de l'entreprise dans le but d'une rentabilité maximale : élimination de toutes les sources de pertes, normalisation rigide des postes, flux tendus...

21.11.2024 à 23:30

Obscur témoin

La Sellette

En comparution immédiate, on traite à la chaîne la petite délinquance urbaine, on entend souvent les mots « vol » et « stupéfiants », on ne parle pas toujours français et on finit la plupart du temps en prison. Une justice expéditive dont cette chronique livre un instantané. Toulouse, chambre des comparutions immédiates, octobre 2024 Rachid E., Algérien en situation irrégulière, ­comparaît pour conduite sans permis et violences ayant entraîné un jour d'incapacité totale de travail. Sa (…)

- CQFD n°235 (novembre 2024) /
Texte intégral (793 mots)

En comparution immédiate, on traite à la chaîne la petite délinquance urbaine, on entend souvent les mots « vol » et « stupéfiants », on ne parle pas toujours français et on finit la plupart du temps en prison. Une justice expéditive dont cette chronique livre un instantané.

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, octobre 2024

Rachid E., Algérien en situation irrégulière, ­comparaît pour conduite sans permis et violences ayant entraîné un jour d'incapacité totale de travail. Sa femme est assise dans le public, au tout premier rang, accompagnée d'un de leurs amis.

Le président résume le dossier :

« Madame S. tarde à s'engager sur un rond-point, ça ne vous plaît pas. Vous klaxonnez et, pour finir, vous percutez délibérément la voiture par l'arrière. Quand la victime veut faire un constat, elle se fait insulter : “Je m'en bats les couilles, je n'ai pas le temps, je vais t'écraser.” Vous enclenchez ensuite la marche arrière et contournez la voiture en montant sur le terre-plein, manquant de la renverser selon elle. Quand elle vous recroise à la pompe à essence le lendemain, à bord du même véhicule, accompagné du même passager – qu'on n'a malheureusement pas pu entendre –, elle appelle la police. »

Le prévenu affirme que ce n'était pas lui qui conduisait la veille, mais son frère.

Ça fait rire le président :

« Votre frère…

– Mon frère me ressemble fort.

– Et est-ce que votre frère est dans la salle pour se constituer prisonnier ? Non ? Bon, vous avez dit en garde à vue que vous étiez à Toulouse. Or le bornage de votre téléphone indique que vous étiez à Muret. Par ailleurs, on aimerait bien savoir qui était le passager.

– C'est quelqu'un qui traîne avec moi.

– Ah, et il traîne avec votre frère aussi ?

– Oui ! »

Pendant que le président ricane, l'homme qui accompagne la femme du prévenu lève la main et cherche à capter l'attention d'un magistrat. Il tient une feuille à la main, protégée par une chemise transparente. Mais comme le tribunal l'ignore, il finit par renoncer, l'air embarrassé.

La procureure :

« C'est pas moi, c'est mon frère. Mais on n'a pas les coordonnées de ce frère, il n'apparaît pas sur les fichiers de police ou de justice. Il n'apparaît pas non plus sur les fichiers des étrangers alors qu'il est censé avoir un visa. Rachid E. a déjà été condamné en 2021 pour vol et conduite sans assurance. Et son attitude à l'audience m'inquiète pour l'avenir : s'il n'est pas capable d'assumer aujourd'hui, nous le reverrons dans un box, peut-être pour des faits plus graves ! »

Elle demande douze mois de prison avec mandat de dépôt1 et la confiscation du véhicule.

L'avocate de Rachid E. défend mollement sa version des faits :

« Il est difficile pour moi de venir contredire la parole de mon client. S'il a dit qu'il n'y était pas, probablement qu'il n'y était pas ! Le doute doit lui profiter. »

Quand le tribunal se retire pour délibérer, la femme du prévenu et l'homme qui avait voulu prendre la parole discutent âprement avec l'avocate de la défense. Ils sont rejoints par un monsieur qui ressemble au prévenu comme deux gouttes d'eau.

Les juges reviennent et condamnent Rachid E. à un an de prison avec un mandat de dépôt. Le président ajoute tout de même, un peu gêné :

« Le tribunal a remarqué trop tard que le passager était dans la salle… Par ailleurs, on ne l'a pas vu monter au plafond, hein ! »

Par La Sellette
Retrouvez d'autres chroniques sur le site : lasellette.org.

1 . Le mandat de dépôt permet au tribunal d'envoyer le condamné en prison immédiatement après l'audience.

21.11.2024 à 23:30

Les assises de TikTok

Constance Vilanova

Les bas-fonds des réseaux sociaux, c'est la jungle, un conglomérat de zones de non-droits où règnent appât du gain, désinformation et innovations pétées. On y a envoyé en reportage exclusif la téméraire Constance Vilanova, pour une chronique mensuelle. Cette fois-ci : dans les eaux boueuses de TikTok, des avocats et des mascus. « Et voilà, on y est encore, Diddy poursuivi par une ancienne membre d'un groupe, je suis son avocate et voici pourquoi ça doit vous intéresser. » Comme toute bonne (…)

- CQFD n°235 (novembre 2024) / ,
Texte intégral (643 mots)

Les bas-fonds des réseaux sociaux, c'est la jungle, un conglomérat de zones de non-droits où règnent appât du gain, désinformation et innovations pétées. On y a envoyé en reportage exclusif la téméraire Constance Vilanova, pour une chronique mensuelle. Cette fois-ci : dans les eaux boueuses de TikTok, des avocats et des mascus.

Philémon Collafarina

« Et voilà, on y est encore, Diddy poursuivi par une ancienne membre d'un groupe, je suis son avocate et voici pourquoi ça doit vous intéresser. » Comme toute bonne tiktokeuse, Teny Geragos, la trentaine, a pris soin de détourer son visage grâce à l'effet « fond vert ». Ce format s'appelle un « react ». En second plan, un article du média people TMZ. Dans la soirée du 16 septembre 2024, Puff Daddy, producteur et rappeur a été interpellé par la police à New York. Il est accusé de violences et de trafic sexuels depuis un an. Les témoignages se comptent par centaines, dépeignant un système et une loi du silence gerbante. Alors, la défense de Puff Daddy s'organise sur les réseaux. Le 10 septembre, la chanteuse Dawn Richard porte plainte. Ex-participante de l'émission « Making the band », une téléréalité créée par le rappeur pour la chaîne MTV, Dawn Richard décrit des années de violences psychologiques et physiques. Le lendemain, Teny Geragos répond dans sa vidéo TikTok et diffuse des messages entre le producteur et sa victime. Classe.

Avant, les avocats s'appuyaient sur les tabloïds pour faire fuiter des informations sur la partie adverse. Aujourd'hui, c'est TikTok qui renverse l'opinion et sert de salle d'audience. Le point de bascule ? Le procès entre Johnny Depp et son ex-épouse, ­l'actrice Amber Heard, en 2022. Sujet trop « people » pour les médias généralistes, qui boudent les premiers jours d'audience. Dans leur angle mort, les masculinistes s'emparent de TikTok et le hashtag JusticeForJohnnyDepp déferle sur le réseau. 450 000 publications, des milliards de vues. En face #Istandwithamber (je défends Amber) fait peine à voir avec ses 6 200 posts. Malgré les preuves accablantes de violences subies par la jeune femme, Internet se range derrière Johnny.

Plus proche de nous, le procès Mazan s'est lui aussi déplacé sur les réseaux. Sa star : Nadia El Bouroumi, l'avocate de deux accusés, qui chronique les audiences sur son compte Instagram. Le 19 septembre, elle poste une vidéo d'elle, dansant dans sa voiture sur les paroles d'un morceau du groupe Wham !, « Wake me up before you go-go » (réveille-moi avant de partir). La pénaliste se défend d'avoir fait allusion à la soumission chimique dont a été victime Gisèle Pélicot quand ses deux clients l'ont violée…

La stratégie est toujours la même : faire des hommes violents des martyrs post­MeToo. Pour rappel, depuis son procès, Johnny Depp a été à l'affiche d'un film de Maïwenn et a renouvelé son contrat avec Dior, devenant l'égérie masculine de parfumerie la mieux payée de l'histoire. Amber Heard, elle, n'a plus de contrat. Rayée d'Hollywood, elle vit sous une fausse identité loin de ses proches. Merci les juristes de TikTok.

Par Constance Vilanova

21.11.2024 à 23:30

Labo borderline

Émilien Bernard

Mois après mois, Aïe Tech défonce la technologie et ses vains mirages. Vingt et unième épisode dédié au déploiement d'avatars high-tech dans les espaces frontaliers, véritables labos de la surveillance généralisée. Youpi. Vieux fantasme policier aux relents de fumisterie, le détecteur de mensonges tant prisé par Hollywood et les séries policières vit une seconde jeunesse grâce à l'intelligence artificielle (IA). Des applications telles que LiarLiar.ai promettent ainsi de dénicher les (…)

- CQFD n°235 (novembre 2024) /
Texte intégral (663 mots)

Mois après mois, Aïe Tech défonce la technologie et ses vains mirages. Vingt et unième épisode dédié au déploiement d'avatars high-tech dans les espaces frontaliers, véritables labos de la surveillance généralisée.

Youpi. Vieux fantasme policier aux relents de fumisterie1, le détecteur de mensonges tant prisé par Hollywood et les séries policières vit une seconde jeunesse grâce à l'intelligence artificielle (IA). Des applications telles que LiarLiar.ai promettent ainsi de dénicher les bobards des personnes avec qui tu causes, en se basant sur l'analyse des expressions faciales. Ta maman te ment quand elle te dit qu'elle t'aime sur Skype ? Démasquée la traîtresse !

***

Bancal ? Oh que oui. Mais il est déjà un champ où ce type d'outil flippant est expérimenté : celui du contrôle aux frontières. Financé par l'Union européenne, l'un des avatars de cette fuite en avant parano, « iBorderCtrl », a été testé en Hongrie, en Grèce et en Lettonie sur des personnes exilées. Ce garde-frontière virtuel empile les questions et analyse le regard, la voix, les clignements oculaires… Plus besoin d'humains pour filtrer les indésirables.

***

Dans son livre The Walls Have Eyes, Surviving Migration in the Age of Artificial Intelligence (The New Press, 2024), la juriste américaine et spécialiste des frontières Petra Molnar dissèque l'utilisation grandissante de l'IA dans les frontières, notamment concernant la « gestion » des personnes exilées avant et après leur entrée sur le territoire. Il ne s'agit pas que de capteurs sensoriels ou de drones, ni de chiens robots (qui commencent à être déployés à la frontière mexicaine, truc de wouf), mais aussi d'un nuage technologique traquant l'ensemble des interactions des exilés, souvent avant même qu'ils ne franchissent la frontière. Exemple entre mille, le « social media scrapping », extraction des données des réseaux sociaux, permet de dresser des profils personnels plus complets que ceux construits sur les simples données biométriques. Tu suis sur les réseaux un groupe de rap anar palestinien ? C'est mal barré pour ta demande d'asile…

***

Dans son livre, Petra Molnar évoque également la cinquantaine de tours de surveillance « intelligentes » déployées en Arizona, à quelques kilomètres de la frontière, et fabriquées par le géant de l'armement israélien Elbit System. La chercheuse cite un flic frontalier énamouré déclarant que ces miradors high-tech sont « des partenaires qui ne dorment jamais, n'ont jamais besoin d'une pause café, et même ne clignent jamais des yeux ». Des surhommes, donc. Résultat des courses ? Les exilés sont forcés d'emprunter des routes toujours plus dangereuses. La frontière « intelligente » vantée par les administrations Biden ou Obama rivalise en fourberie meurtrière avec le plus basique « mur de Trump ».

Par Émilien Bernard

1 Lire Les Détecteurs de mensonge : recherche d'aveu et traque de la vérité, Vanessa Codaccioni, Textuel, 2024.

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