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26.07.2024 à 14:56

De Mao aux Soulèvements de la terre, le sabotage au service d'un monde meilleur

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Entretien avec Anaël Chataignier

- été 2024 / , ,
Texte intégral (7118 mots)

Dans la nuit du 25 au 26 juillet, quatre actes de sabotages [1] visant les infrastructures de la SNCF viennent de paralyser le réseau TGV français. Si nous ne connaissons pour l'instant rien des motivations des auteurs, c'est à tout le moins un gigantesque camouflet pour les services de renseignement français et une excellente occasion de republier cet entretien de Greta Kaczynski avec Anaël Chataignier autrice de Ecosabotage. De la théorie à l'action. Elles reviennent sur l'histoire du sabotage, son influence sur le cours de certains mouvements politiques, et sa fécondité dans le cadre des luttes écolos.

Vous êtes l'auteur d'Ecosabotage. De la théorie à l'action. Pourquoi avoir écrit ce livre ? Qu'apporte-t-il selon vous au mouvement écologiste ?
À l'origine ce livre vise à se réapproprier une histoire dont nous avons été privés. Dans l'arsenal militant, l'action directe a toujours été présente. Même si on ne le nommait pas nécessairement comme cela, tout au long du XIXe, au sein des luttes ouvrières et paysannes, dans le syndicalisme révolutionnaire et au cœur des guérillas décoloniales, le sabotage fut amplement discuté, commenté et pratiqué.

L'écosabotage se situe dans le droit fil de ces pratiques de résistances au monde-machine et à l'impérialisme, impliquant tout un arsenal de gestes et de manières de faire, dont le sabotage. Contrairement aux apparences, et bien que plus récent, l'écosabotage a déjà une histoire assez riche derrière lui. On pourrait faire remonter l'écosabotage (« ecotage » en anglais) à un certain « Mr. Fox », de son vrai nom James Philips, militant écologiste américain, considéré comme le premier « écosaboteur ». On peut toujours s'amuser à essayer de retrouver ainsi un point d'origine. La vérité c'est qu'un geste véritablement politique est par essence collectif, pris dans une époque et une énergie qui le déborde de toute part. Dans les années 1960, Fox a bouché les tuyaux d'une usine de savon d'Armor Dial (de la Henkel Corporation) qui déversait sans scrupules des produits chimiques dans Mill Creek (en amont de la rivière Fox). Il sera par la suite avec Judi Bari un des membres fondateurs du mouvement écologiste Earth Liberation Front. De manière plus large, cette période des années 70 et 80 voit émerger de nouvelles compositions politiques en Europe et aux États-Unis alliant la contre-culture (née sur les campus universitaires américains et lors des mobilisations de la jeunesse contre la guerre du Vietnam), l'écologie politique, l'anticapitalisme et l'écoféminisme. Elle fut riche de combats et de clarifications dans la lutte. En France et en Allemagne, elle se cristallisera notamment autour des luttes antinucléaires.

Malgré leur vivacité ces luttes furent globalement un échec. Le nucléaire s'est imposé en France et les États-Unis ont accentué leur course à l'armement et au productivisme impérialiste. Dans les années 90, en même temps qu'un nouveau cadre modernisateur, numérique et mondialisé se mettait en place, un discrédit a été peu à peu jeté sur ces modes d'action au profit de formes plus consensuelles d'actions. Des formes plus symboliques et « non-violentes » : désobéissance civile, manifestation, plaidoyers et actions symboliques par centaines, dialogue avec l'État et cooptation de militants, stratégie de prises de pouvoir par les urnes… nous privant d'une diversité tactique qui avait pourtant largement montré son efficacité par le passé. Par exemple, lors des mouvements emblématiques comme les suffragettes en Angleterre au début du XXe ou le Civil Rights Movement aux États-Unis. Elle permit d'intensifier la lutte et d'obtenir des victoires effectives, qu'elles soient législatives ou sociales.

Le livre tente donc de revenir sur tous ces « malentendus » : dénoncer d'une part le travail de sape culturelle opéré par les démocraties occidentales pour discréditer systématiquement ce type d'action et ses protagonistes au profit de formes plus présentables, en accord avec la démocratie libérale, représentative et globalement favorable au capitalisme. Rappeler d'autre part la nécessité de ne pas opposer les différentes facettes de la lutte, de les penser de manière complémentaire et synergique. Là encore, l'histoire plaide pour l'usage d'un spectre large de formes d'actions, de « diversité des tactiques » adaptées à des situations locales, à des luttes et des acteurs spécifiques.

Ce livre se fait avant tout l'écho de discussions et de réflexions nourries par le terrain, au sein de groupes, au travers d'échanges, de lectures... Si on tire un rapide bilan de ces 30 dernières années en matière de mobilisation écologique, malgré toutes les bonnes volontés, ce bilan est tout de même assez embarrassant : des mobilisations par milliers pour un résultat quasi nul. Bien sûr de nombreux projets ont été stoppés et il est clair que toutes ces mobilisations ont permis de maintenir une culture de résistance. Mais la poussée d'un capitalisme décomplexé et quasi suicidaire a dans le même temps elle aussi démultiplié ses armes de destruction à un niveau jamais vu jusque-là. Les projets de plateformes logistiques, d'autoroutes, les mines, les décharges... se sont également multipliés. Les victoires décisives sur le terrain se comptent au final sur les doigts d'une main.

L'écosabotage n'est pas la panacée. Il n'est ni la solution, ni le problème. Et il ne remplacera jamais la puissance d'un mouvement populaire et déterminé, qui reste selon moi la seule perspective enviable. Mais, utilisé au bon moment il peut être d'une très grande utilité et permettre de débloquer des conflits, d'attirer l'attention, de déplacer les rapports de force, de cristalliser la colère, de reprendre la main et de redonner de la force afin de repousser les limites et d'obtenir plus de victoires décisives.

Estimez-vous que pour l'instant, le mouvement écologiste n'est pas encore passé « à l'action » ?
Oui et non. D'un côté la lutte est effectivement amenée à s'intensifier. Le « mouvement écologiste » doit sérieusement reconsidérer ses alliances face à la radicalité du projet capitaliste et la destruction des communs. Cela passe par des organisations vraiment autonomes, l'usage de formes d'actions diversifiées et efficaces (dont l'écosabotage) et le fait de partager une perspective révolutionnaire. De ce point de vue oui, le mouvement écologiste se cherche encore et de nombreux obstacles restent à lever.

D'un autre coté, je pense que le mouvement « écologiste » est déjà passé à l'action il y a longtemps... Les mouvements d'avancée et de reflux de la lutte font partie de l'histoire. Un mouvement écologiste avec son histoire militante, son cortège de pratiques, de savoirs-faire, de chants et de cultures a déjà été initié, au cours des années 70 notamment. Mais on pourrait retrouver des épisodes inspirants au-delà : dans les luttes ouvrières et paysannes qui jalonnent le XIXe et le XXe siècles par exemple. Puis cette histoire a été oubliée. Oubliée, mais pas effacée. Pour qui tend l'oreille, ces contre-histoires des luttes perdurent encore dans les marges, entre les lignes, comme des herbes folles entre les pavés, n'attendant que d'être relues et réapprises.

De plus que signifie « passer à l'action » ? On le voit, la lutte qui s'ouvre ne fait que commencer et elle implique de construire des collectifs solides, dans la durée, et de créer une véritable culture de résistance. Cela implique de pouvoir compter sur des activistes motivés pratiquant l'action directe lorsque cela est nécessaire, mais également de monter des cantines, des lieux d'éducations populaires, de transmettre des cultures partagées, de défendre des espaces autogérés, de mettre en réseau les différentes luttes et collectifs, distribuer des tracts, financer la lutte… Tout cela se fait par ailleurs de manière beaucoup plus discrète et souterraine, mais tout aussi essentielle. Pendant longtemps cette logistique de soutien était d'ailleurs essentiellement réalisée par les femmes.

D'un autre côté, il est vrai qu'une partie du mouvement écologiste, socialement plus privilégiée, n'a pas pris la mesure de la gravité de la situation. Ou pas suffisamment saisi la portée totalitaire du projet capitaliste. Il est aujourd'hui nécessaire de se penser comme un véritable mouvement alternatif avec en ligne de mire le renversement du capitalisme lui-même. De ce point de vue, « passer à l'action » peut vouloir dire mille choses. Y compris des choses plus modestes et a priori plus discrètes qu'un sabotage, mais tout aussi nécessaires au final dans la durée. Quels que soient les degrés d'engagement, l'essentiel est de partager un même constat : celui d'une dégradation qui met pour la première fois la survie de l'humanité et des écosystèmes en balance. Mais également qui met sérieusement en doute le réformisme aussi bien que l'eschatologie capitaliste, ses passions tristes et son penchant pour la destruction généralisée.

Dans les constats que vous dressez au début de votre ouvrage, vous affirmez que « chaque année qui passe vient refermer un peu plus la fenêtre des possibles » (p. 18), pour dissuader le lecteur d'attendre le grand soir. Pensez-vous que la lutte pour empêcher le ravage écologique est différente des luttes féministes, anticoloniales ou anticapitalistes du fait de son caractère d'urgence ?
Oui. La menace que fait peser la catastrophe écologique n'a pas selon moi d'équivalent dans l'histoire. Elle implique une réaction particulière. Chaque goutte de pétrole qui resterait dans le sol, chaque émission et chaque déchet en moins, chaque forêt préservée... sont autant de chances supplémentaires de vivre sur une planète habitable et de souffrances épargnées aux vivants humains et non-humains. Croire que le capitalisme va s'effondrer sous ses propres contradictions serait une grave erreur. Nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre. D'un autre côté, plus l'urgence se fait sentir et plus il faut accepter de prendre le temps... Agir pour agir ne sera pas plus efficace par ailleurs. Il faut convaincre et créer les conditions d'une bataille culturelle qui seule pourra permettre aux luttes de prendre de l'ampleur. Les suffragettes ou les libertaires espagnols en 1936 en ont fait l'expérience. Ils ont mis des décennies à convaincre et diffuser leurs idées avant de pouvoir engager des luttes victorieuses.

L'écologie politique est elle-même composée de multiples combats, traversée par des engagements et des revendications d'une grande diversité. Toutes ces luttes malgré leurs différences ont au final en commun le partage d'un même ennemi : le système capitaliste. Une écologie qui ne poserait pas sérieusement la question de la sortie politique complète de la société marchande se condamne à n'être qu'un aménagement de plus, une forme de bonne conscience dont les effets sur la catastrophe en cours resteront nécessairement cosmétiques.

L'idée de s'appuyer sur une avant-garde révolutionnaire pour faire pencher la balance pourrait laisser la place à une stratégie plus composite. Dans son livre Basculement Jérôme Baschet évoque le livre Utopies réelles de Erik Olin Wright. Il y développe une analyse distinguant trois voies pour dépasser le capitalisme :

  • les stratégies de rupture (s'appuyant sur une approche insurrectionnelle),
  • les stratégies « symbiotiques » (qui luttent au sein même des institutions étatiques afin de transformer le pouvoir capitaliste de l'intérieur),
  • les stratégies « interstitielles » (qui ouvre des brèches, des îlots dans la structure sociale et rendent possibles des petites transformations successives échappant à la logique marchande et au pouvoir de l'État).

Cette approche mixte a l'avantage de laisser ouvert le débat stratégique et d'ouvrir une boîte à outils dans laquelle les relations de ces différentes facettes de la lutte sont encore à inventer. Il suggère également de considérer chacune de ces options comme nulle si elle est employée seule.

Cette perspective ne peut être viable qu'à deux conditions : que tout le monde s'accorde à considérer le capitalisme dans la radicalité de son projet expansionniste. Mais également à la condition de remettre en cause les stratégies du renversement anticapitaliste qui ont dominé le XXe siècle et ont abouti au dévoiement des espoirs révolutionnaires. L'exploration et l'expérimentation de nouvelles alliances sont de ce point de vue une nécessité. Elles doivent écarter toute forme d'organisation reproduisant les schèmes productivistes capitalistes, refuser la centralité de l'État et un universalisme globalisant qui excluraient de fait l'altérité des territoires et des cultures étrangères (indigènes ou autres). L'idée qu'un grand soir est encore possible doit céder le pas à une évaluation pragmatique des possibles, à une approche stratégique des alliances et une désignation claire des ennemis. Cette critique doit faire place dans les brèches ainsi ouvertes à des processus d'organisation nouveaux des territoires libérés, alliés à des temps d'intensification insurrectionnels, offrant de nouvelles fenêtres vers des basculements institutionnels.

Même si l'on ne peut pas faire siennes indûment toutes les causes, je ne vois pas de différences fondamentales entre la lutte écologiste et les luttes antipatriarcales ou décoloniale. Par contre, il y a un véritable travail à faire pour que ces luttes créent des intersections et des solidarités afin de travailler ensemble.

Vous parlez d'un « activisme d'accompagnement, un mode de vie parmi d'autres » pour désigner ce sur quoi débouche le discrédit jeté sur les méthodes d'action directe, en vogue dans les années 1970. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette idée ? Le militantisme écologique peut-il devenir un hobby comparable à la pratique de la moto le dimanche ? Comment sait-on quand on est dans l'activisme d'accompagnement ?
Un militant d'Extinction Rebellion pouvait tweeter il y a quelques années : « Nous sommes ingénieurs. Nous sommes avocats. Nous sommes médecins. Nous sommes tout le monde. » Étrange tropisme de classe qui omet de considérer les caristes et les aides ménagères, mais également les innombrables habitants de la banlieue secondaire, les immigrés avec ou sans papiers, les chômeurs… Il est symptomatique d'une forme de militantisme d'aménagement, permettant de se donner bonne conscience sans réellement mettre en cause les fondements du capitalisme et de la destruction écologique et humaine qui en découle.

De fait, sans le vouloir, nous sommes tous amenés à « accompagner » le système capitaliste. Nos colères et nos engagements courent en permanence le risque d'être dévoyés, soumis au ressac de la société marchande et de nos dépendances économiques (pour se nourrir, s'habiller, se déplacer, délibérer…). La raison principale de notre dépendance tient à l'impossibilité de choisir. Aucune alternative ne semble être disponible pour ceux qui souhaiteraient faire sécession. Aucun pas de coté ne s'offrent à ceux, innombrables, qui aspirent à un autre monde. D'où l'intérêt de créer des interstices, des ZAD, des reprises de terre, de pouvoir investir dès aujourd'hui le monde que nous souhaiterions voir mis en œuvre.

Mao Tse-Tung est-il un exemple à suivre pour les écologistes ? Sans parler du Grand Bond en avant ou de la Révolution culturelle, ses principes de guérilla peuvent-ils être pertinents dans le cadre d'une lutte écologiste ?

Bien sûr, Mao Tse-Tung fut un dictateur, puissant et pervers. Nous n'avons donc rien à apprendre de lui si ce n'est la méfiance renouvelée vis-à-vis de toutes les formes de pouvoir. De même, je suis très loin de partager sa vision de la révolution, nationaliste et autoritaire. Malgré cela, il fut de toute évidence un stratège important dans la lutte décoloniale. En matière de stratégie, il faut être sévère, mais pragmatique. Je cite dans le livre, parmi d'autres, Basil Henry Lidell Hardt, un officier de l'infanterie britannique, historien et stratégiste, sans pour autant partager sa vision du monde social. On peut trouver des leçons et des savoir-faire utiles dans de multiples expériences et témoignages. Au minimum, on pourrait avoir à cœur de relire les textes de Mao Tse-Tung. Or j'ai été très surpris lors de l'écriture de constater la difficulté d'accéder à ses livres aujourd'hui. Alors qu'il fut une figure clé de la lutte décoloniale, qu'il fut largement lu et commentée en Europe pendant la vague des années 60-70, que les BlackPanthers demandaient à chaque militant de lire ses livres, il semble avoir disparu des radars. Mao fut un stratège important, nouveau théoricien d'une forme de guérilla décoloniale qui connut un succès retentissant au-delà des frontières de la Chine et qui mit la plupart des empires coloniaux en situation d'échec militaire et culturel tout au long du XXe siècle.

L'objectif pour ceux qui luttent est avant tout de priver l'ennemi de ses moyens, de le forcer à abdiquer, et cela par tous les moyens. Cet objectif est parfaitement compatible avec une organisation égalitaire et dans le respect de la vie. Alors que nous sommes pris dans un rapport de force dissymétrique (culturel, institutionnel, militaire…) il faut nécessairement penser les actions et les campagnes militantes dans la durée.

J'insiste dans le livre sur sa vision de long terme. Il imagina et mit en œuvre en Chine un plan d'émancipation par la « guérilla révolutionnaire » qui fit date et fut repris par de nombreux groupes armés à travers le monde. Le premier temps, « l'organisation des réseaux » (les suivants étant « la guérilla » et « la guerre offensive ») correspond bien à notre situation je trouve. Cette première étape est essentiellement une phase de préparation. Les groupes (populaires ou clandestins) se multiplient, se structurent, s'entraînent, se connectent, développent leurs compétences physiques, matérielles et stratégiques. Les luttes de décolonisation pouvaient compter sur le soutien et le ressentiment populaires contre l'envahisseur colonial pour engager le renversement. Il est plus difficile de s'appuyer sur cette colère pour l'instant, étant donné qu'une grande partie de la population en Occident bénéficie encore des « bienfaits » de la croissance (issue de la destruction environnementale). Une des fonctions de la résistance aujourd'hui pourrait bien être d'appeler et d'accompagner (en formation, en livres, en outils, en refuges divers) les révoltes à venir afin d'éviter qu'elles ne s'éteignent, ne soient récupérées où qu'elles ne soient défaites le moment venu. Au-delà de cette phase de préparation, un des objectifs essentiels serait alors de défendre, de diffuser et de construire cette culture de résistance qui nous fait encore défaut et sans laquelle aucune lutte durable n'est envisageable. Comment se battre si nous ne parvenons pas à prendre conscience de l'ampleur des dégâts causés par l'ennemi ? Pendant cette première phase, les actions ne seront presque jamais décisives. Elles permettront aux groupes de gagner en compétence, de recruter et à la culture d'opposition de s'étendre par des campagnes de communication intense.

Depuis plusieurs décennies des tribus indiennes armées « Naxalites » d'inspiration maoïste protègent leurs communautés contre les grandes sociétés minières et la police. Ces dernières années en Inde, les gouvernements du Chhattisgarh, du Jharkhand, de l'Orissa et du Bengale occidental ont ratifié des dizaines de MoU (« Memorandum of Understanding » : protocole d'accord) avec des entreprises pour des sommes astronomiques. Ces accords sont restés secrets et permettent l'accaparement de terres communes pour la construction d'aciéries, d'usines de fonte, de centrales électriques, de raffineries d'aluminium, de barrages et de mines… Pour que ces accords soient effectifs et que l'argent coule, les populations tribales doivent donc être déplacées. Depuis 2010 dans les circonscriptions interdites des forêts de Dandakaranya du centre de l'Inde, berceau d'un mélange de tribus, beaucoup de membres ont pris les armes contre les grandes sociétés minières, l'État et leurs diverses polices et milices. Dans un contexte de pauvreté, de débat sur la propriété des terres et d'accès aux richesses minières de la région, les autorités ont échoué à convaincre les autochtones du bien-fondé de leur politique [2]. Cet exemple inspirant se déploie dans une région pauvre, paysanne où l'État est perçu par la population comme un étranger, voire un agresseur.

À quels épisodes historiques les écologistes devraient-ils s'intéresser selon vous, afin d'éclairer voire d'améliorer leurs stratégies et leurs tactiques ?
Dans l'absolu, tout dans l'histoire des luttes est susceptible de nourrir les imaginaires et d'enrichir les tactiques et stratégies à disposition. C'est un formidable vivier de questionnement, de comparaison, de bonnes vieilles recettes. Cette relecture permet de rester vif et créatif dans notre rapport au présent et au futur que nous souhaitons voir apparaître. Au-delà de la « grande histoire », redécouvrir notre propre histoire serait déjà un bon début. Celle des luttes du Larzac ou la radicalité du mouvement antinucléaire en Europe sont déjà porteuses de nombreuses pistes et alternatives. Comment se sont-elles organisées ? Pourquoi ont-elles réussi ou échoué ? Quelles tactiques ont-elles mises en place (violente, non-violente...) ? Peut-on en tirer des leçons ou appliquer certaines séquences à notre situation ?

Dans les années 1970 on voit apparaître en Europe des mouvements divers par leur organisation et leurs objectifs, mais partageant un même désir de transformation sociale profonde. On pourra par exemple retrouver lors d'une même manifestation à Golfech ou Fessenheim, en 1970, aussi bien des soutiens des Amis de la Terre que des membres du Groupe d'action et de résistance à la militarisation (GARM), des groupes locaux d'opposition et des « totos » férus d'action directe. Lors du rassemblement de Creys-Malville en Isère le 30 et 31 juillet 1977, en opposition à la construction du surgénérateur Superphénix, plusieurs milliers de manifestants vont tenter d'accéder au site nucléaire. Vital Michalon, membre de la Fédération anarchiste, est tué. Deux jours plus tard, la direction régionale d'EDF à Toulouse est attaquée aux cocktails Molotov. L'action est revendiquée par le commando « Vital Michalon ». Dès lors, les attentats contre les intérêts et les infrastructures énergétiques vont être quotidiens dans la région Sud-Ouest comme dans le reste de la France. Les actions de sabotage contre l'industrie nucléaire et ses exploitants vont se multiplier dans tout le pays. Un appel à des « nuits bleues » encourage à commettre des actes de sabotage touchant des infrastructures liées à EDF ou au nucléaire un peu partout à travers la France. La première « nuit bleue antinucléaire » débute dans la nuit du 19 au 20 novembre 1977. Des attaques à l'explosif ont lieu dans plusieurs villes contre EDF, des usines, des locaux, des entreprises sous-traitantes, des centres de recherche nucléaire, des stations.

Bien que vous incitiez les écologistes à lire de l'histoire, vous expliquez (p. 68) qu'« on ne peut pas comparer (...) la lutte armée des Viet Cong ou la Résistance française aux conditions prévalentes dans la France actuelle ». Comment fait-on pour adapter les « leçons » tirées de la connaissance d'épisodes historiques, au contexte contemporain de la lutte écologiste ?
C'est collectivement que des questions de ce type doivent être débattues. Donc tout dépend à quel niveau on place le désir d'« indépendance ». Concernant ces deux exemples (la lutte armée des Viet Cong et la Résistance française), je ne pense pas que l'on puisse faire de comparaison ni tirer de leçons directes avec la lutte écologiste en France d'aujourd'hui. Les luttes décoloniales (et la Résistance française) étaient basées sur le nationalisme et l'émancipation collective par la constitution d'une puissance indépendante de l'envahisseur, d'une véritable autonomie (militaire, politique). Elles s'appuyaient sur le soutien moral et logistique d'une partie suffisamment large de la population (plutôt vers la fin de la guerre, autour 1942-43, en ce qui concerne la résistance française).

Aujourd'hui mon espoir serait de voir en France émerger des formes d'autonomie territoriales de plus en plus importantes par la taille et l'organisation. Au point de pouvoir revendiquer une forme d'autonomie administrative suffisante pour desserrer l'étau à une échelle supérieure du système capitaliste et industriel et de l'État.

Vous appelez à mettre en place des stratégies offensives dont l'efficacité s'évaluerait « en termes de territoires, de ressources et de moyens perdus par l'adversaire ». Auriez-vous des exemples de territoires et ressources à libérer ?
Dès lors qu'on s'installe sur un rond-point, qu'on organise une grève, qu'on forme un black block, qu'on ouvre un squat ou une cantine pour des migrants, cela permet de libérer de fait un territoire nouveau, même temporairement. Dans le cadre d'une action il peut s'agir de territoires plus stratégiques. Libérer une forêt. Une centrale à béton. Une route. Un aéroport et son bocage. L'approche territoriale est intéressante, car elle permet d'évaluer concrètement si une lutte est victorieuse. Si elle est en progression ou en recul sans trop se satisfaire des victoires symboliques. De ce point de vue, la domination du capitalisme se déploie au travers de quadrillages et d'infrastructures serrées et d'accaparements territoriaux sans fin.
Vous citez l'exemple des Viet Cong pour expliquer qu'il faut inciter l'adversaire à faire un faux mouvement (p. 66). Auriez-vous des exemples pour illustrer comment cette stratégie pourrait s'appliquer à la lutte contre le ravage écologique ?
De manière très pragmatique, les organisateurs à Sainte-Soline ont proposé de diviser les cortèges en trois couleurs. Cette tactique qui n'est pas nouvelle permet de disperser les forces de l'ordre et de semer le doute dans le cadre des ces actions directes de masse. Qui va faire quoi ? Le 25 mars, la manifestation interdite contre le projet de mégabassine dans les Deux-Sèvres s'est transformée en un violent affrontement avec les forces de l'ordre. La répression fut extrêmement dure, d'autant plus que la police s'est trompée à plusieurs reprise en envoyant notamment des grenades sur des cortèges de manifestants pacifistes. À peine 10 jours après ces journées de mobilisation et alors que le gouvernement commençait à dérouler sa communication sur les activistes « écoterroriste », une tribune très largement signée a été publiée dans la presse. On pouvait y retrouver des militants, des paysans, des syndicalistes, des élus, des organisations nationales ou locales. Ce spectre très large de soutien a permis de donner une grande légitimité à l'épisode précédent et a coupé l'herbe sous le pied, pour un temps, à Darmanin et sa politique répressive. J'ai beaucoup aimé cet enchaînement dans lequel il me semble le gouvernement français a perdu du terrain.
Qu'est-ce que « faire un usage supérieur de la violence » ? (p. 80)
Comme tout le monde, la violence ne m'apporte aucune satisfaction. C'est un débat qui a été déjà posé à de multiples reprises. Et il semble que chaque mouvement historique doive refaire ce chemin de prise de conscience allant des principes moraux au souci d'efficacité stratégique (suffragettes, ANC, Civil Rights aux États-Unis, décolonisation indienne…). Un « usage supérieur de la violence » implique donc d'user de moyens radicaux (destruction de biens, blocages de masse, dégradations d'infrastructures, défense collective…) dans une perspective de défense (de la nature, des communautés) et de « désarmement ». Pour les Black Panthers cela pouvait consister à avoir des armes, mais ne pas s'en servir. Par ailleurs tous ceux qui auraient un quelconque penchant pour la destruction joyeuse et impulsive devraient être méthodiquement éloignés des groupes d'action clandestins.

Aujourd'hui on considère que s'en prendre à des objets, des choses ou des propriétés est un acte de violence. Il s'agit en réalité pénalement de simple vandalisme. Par contre la violence exercée contre le vivant et les humains par les États et les entreprises est elle bien réelle et éminemment plus « radicale ». Elle met en jeu des inégalités abyssales et détruit peu à peu toute possibilité de survie sur terre. Sans compter la souffrance infinie qu'elle impose aux humains et aux non-humains. De cette violence là, il semble que l'opinion s'accommode. Pas nous.

Votre livre n'aborde pas la question de pourquoi se battre : quel est votre horizon politique ? Quelle serait la place de la technologie dans le monde pour lequel vous incitez à se battre ?
Ce n'était pas le propos du livre. Mais un lecteur attentif verra facilement des perspectives se dessiner ici ou là au fil du texte. Les raisons de se battre sont multiples. L'objectif de mon point de vue est tout simplement de fragiliser les bases du capitalisme (production, énergie, communications, transports) au point de rouvrir des brèches et rendre son renversement à nouveau envisageable. Mais ce sont des objectifs très généraux et difficiles à imaginer à grande échelle dans la composition politique française actuelle. Je défends la possibilité de se préparer. Les conflits pourraient s'intensifier et les lignes bouger dans les décennies à venir face aux transformations climatiques et écologiques. Si des insurrections se lèvent comme celles inattendues des Gilets jaunes en France, il faudra pouvoir réactiver des réseaux, des pratiques et des organisations solides et efficaces pour agir le moment venu. De manière plus concrète, je pense que c'est à chaque groupe de dire pour quoi il veut se battre (contre la pêche intensive, la construction d'une autoroute, l'extraction minière…). C'est à partir des luttes locales que l'on peut remonter vers les causes premières et systémiques.

C'est intéressant que vous parliez de technologie. C'est un sujet qui m'occupe beaucoup ces derniers temps. Là encore, c'est une question en soi qui mériterait plus de temps. Mais la question technologique est décisive. Il est intéressant de voir que les actions d'écosabotage se font bien souvent contre des machines, des dispositifs technologiques, des infrastructures qui sont bien souvent le bras armé d'un capitalisme mondialisé et décomplexé. En gros, je suis pour une technique démocratique et « conviviale ». Toutes les innovations ne sont pas bonnes à prendre, elles doivent être passées au tamis de la délibération commune et du principe de précaution. La technologie n'est pas neutre et ne l'a jamais été. Cette course permanente à l'innovation doit être ralentie et soumise à des besoins sociaux réels. Ce que l'on sait de l'impact écologique de ces technologies (extractiviste, réseau numérique…) plaide pour une sérieuse diète et un retour aux principes vertueux de la sobriété. Encore aujourd'hui et malgré le travail de nombreux auteurs présents et passés la technologie reste un impensé dans notre société, y compris dans les milieux militants qui en font un usage excessif. Tous ces outils ne sont pas neutres. Ils modèlent en creux nos quotidiens, nos manières de faire et de penser. Ils nous empêchent de reprendre en main nos moyens de subsistance.

Dans votre livre, vous expliquez ce en quoi peut consister une « stratégie d'attaque » : « Attendre ou préparer le moment favorable, créer le doute et frapper juste au moment le plus opportun ». Avez-vous des exemples historiques où des écologistes ont « créé le doute » chez leurs adversaires ?
Pour moi, l'insurrection des Gilets jaunes en France, par la manière dont elle a enflammé les consciences et les collectifs, fut le dernier épisode le plus signifiant. Il a semé le doute. Il faut se rappeler ce mois de décembre 2018 et l'intensité des manifestations de rue, des réunions, des assemblées, des assemblées d'assemblées, de la répression et de la joie diffuse. Se rappeler de l'hélicoptère posé sur le toit de l'Élysée prêt à décoller et des élites inquiètes prêtes à lâcher du leste. Pourtant ce ne fut pas une lutte « écologiste » en tant que telle.
Vous expliquez qu'« un mouvement de masse est nécessaire, mais également improbable étant donné l'interdépendance de la destruction du vivant et de notre mode de vie et de confort “moderne”. » À quelles réactions s'attendre de la part des « masses » si on s'attaque aux infrastructures qui permettent leur confort ?
En matière de stratégie politique, il faut toujours avoir en tête comme objectif la reddition de l'adversaire ou l'amoindrissement de ses capacités de reproduction (transports, communications, système productif…). Cela permet d'ouvrir la possibilité d'un basculement institutionnel durable. L'objectif n'est pas de terrasser l'adversaire mais de préparer la paix qui suivra et notamment le basculement institutionnel qui en découlera. Une révolution n'est jamais l'affaire d'une petite élite. Elle n'a de sens que si elle est traversée par les collectifs à venir. Elle est toujours et fondamentalement une « révolution culturelle ».

Produire un certain nombre de désagréments sur une infrastructure vitale aujourd'hui peut être complètement contre-productif : on peut s'aliéner la population locale, augmenter la répression, mettre ses alliés en danger sans nécessairement obtenir de victoire effective. Earth First aux États-Unis déconseillait par exemple les coupures de courant et les dégradations de lignes à haute tension (ou de sous-station) pour ces mêmes raisons. Mais à l'inverse, utilisé de manière locale, cela peut avoir tout son sens.

À Imider au Maroc, la population s'oppose depuis plusieurs décennies à une mine. La mine d'Imider est la mine d'argent la plus riche d'Afrique, avec une production de 240 tonnes d'argent par an. Elle est en activité depuis 1969. Elle détient 740 millions de dollars d'actions. Cette mine, située au sud-est du Maroc, dans une région montagneuse amazighe (la tribu Ayt Atta) de la province du Draa Tafilalet, appartient à la famille royale.

Cette mine détruit l'environnement et exploite les ressources en eau de toute la région au détriment des populations locales. Une occupation du Mont Albban s'est peu à peu organisée malgré la chaleur et le froid. Des bâtiments en dur ont été construits et un lieu pour se consacrer à l'« Agraw ». L'« agraw », terme tamazight, est une réappropriation d'une vieille tradition tribale (sauf que là les enfants et les femmes peuvent y participer). Les assemblées proposent, décident et mettent en place des commissions (finances, information et communication, sécurité, technique, dialogue, transport, approvisionnement). Il n'y a que des institutions horizontales, basées sur la démocratie participative, qui est une tradition très ancienne, antérieure à celle de l'État. Les personnes présentes ont décidé à un moment de couper les pompes d'eau de la mine. Depuis sept ans, des habitants d'Imider ont bloqué l'alimentation en eau de la mine et occupent toujours la zone alentour.

Une perspective d'autonomie sur un territoire en lutte pourrait impliquer de ne plus dépendre des services de l'État. Si une population parvenait à atteindre un certain seuil d'autosubsistance et d'organisation sur un territoire suffisamment large, peut être que ce type d'action (sabotage d'infrastructure énergétique, de transport ou de communication) à grande échelle pourrait être favorablement accueilli. Cela me semble tout à fait souhaitable en tout cas, écologiquement et socialement.

Dans votre livre, vous critiquez la collapsologie, un « fatalisme [qui] démobilise en privant de l'accès à une colère légitime et à un sentiment de profonde injustice ». Avez-vous observé chez des militants une telle résignation et un tel renoncement à se battre après avoir lu Pablo Servigne ?
Non pas vraiment. En tout cas, pas au sein des groupes où je milite, qui ne lisent pas ses textes. Mais j'ai lu l'ouvrage de Raphaël Stevens et Pablo Servigne et j'ai eu l'occasion d'en parler avec des militants. Ce livre déroule des vérités factuelles écrasantes sans jamais ouvrir de perspectives politiques sérieuses. Cela a eu un effet d'électrochoc sur certains, mais aussi démoralisant pour beaucoup d'autres. Cela a accentué au final un certain sentiment d'impuissance. Je ne veux pas dénigrer les craintes et les difficultés morales liées pour tout un chacun à la catastrophe ecologique en cours mais c'est une approche au fond très « psychologique » de l'écologie, a la limite du développement personnel. Comment rester heureux dans un monde qui s'effondre. À l'inverse de cette approche qui touche plutôt, je pense, les classes moyennes et supérieures, plus sensibles à ces enjeux vertigineux des « effondrements », il n'est pas certain que les classes populaires, immergées dans une lutte quotidienne pour la survie et contre le racisme quotidien, le classisme systémique... soient sensibles à ce type de formulation l'« écoanxieuse ». A l'inverse de cette collapsologie la lutte est un très bon moyen de retrouver le moral, de faire collectif, de reprendre du pouvoir sur le cours des choses.
Que pensez-vous des actions de désobéissance civiles non violentes qui ont pour l'instant la faveur des mouvements écologistes ? (type Greenpeace, Alternatiba, XR, Dernière Rénovation...)
Je pense qu'elles sont nécessaires, mais non suffisantes. Tout le livre plaide pour une réouverture du spectre des actions à dispositions et de la solidarité nécessaire entre les différentes sensibilités tactiques au sein du mouvement ecologiste. Si la désobéissance non violente devenait un principe moral exclusif (voire excluant), une stratégie indiscutable et presque métaphysique, alors il y a des chances que la discussion coupe court. À l'inverse si l'on se pense comme une longue chaîne de résistance, de groupes militants divers, mais poussant dans le même sens alors il y a intérêt à rouvrir les spectres de la « diversité des tactiques ». Pétitions, manifestations, plaidoyer, sit-in, désobéissance civile... Mais également : blocages, coupures, autonomie, ZAD, sabotages, actions directes, etc. Aucune lutte ne se ressemble et la désobéissance civile a montré de très bons résultats à travers l'histoire. Si dans un cas particulier cette stratégie fonctionne et marche, tant mieux. Ce qui étrange c'est de s'entêter à ne pas penser d'autres formes d'actions lorsque la lutte ne donne pas de résultats probants. Par ailleurs, ces questions sont de plus en plus débattues au sein de groupes militants. Le sabotage est beaucoup mieux accepté et beaucoup plus discuté qu'il y a quelques années. Cette solidarité implicite est très encourageante. Elle ne signifie pas que tous les groupes vont passer à des formes d'action clandestine et radicale, mais ils pourraient les soutenir ou a minima ne pas les condamner publiquement.
Que pensez-vous de la diversité des tactiques que propose le mouvement « Les Soulèvements de la terre », et de leur concept de « désarmement » pour désigner des actes qui pourraient être qualifiés de « sabotages » ?
C'est un choix de langage malin et intéressant. Le « désarmement » permet de clarifier rapidement la dimension d'autodéfense présente dans toutes les actions de sabotage. Nous nous défendons contre une agression. Nous faisons valoir notre droit à « bien vivre ». J'ai tout de même tendance à préférer le terme de sabotage que je trouve plus franc et riche historiquement. Le langage est une chose plastique et les mots peuvent réapparaître dans le débat public à l'occasion d'un déplacement des lignes.

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[1] dont un a priori déjoué

[2] Pour en savoir plus, on peut se reporter au texte de l'écrivaine indienne Arundhati Roy qui est allée à la rencontre des guérilleros armés. Le texte est accessible en ligne https://sniadecki.wordpress.com/2024/02/09/roy-marche-fr/#_ftn7

26.07.2024 à 14:49

Une histoire du sabotage

dev

Entretien avec Victor Cachard

- été 2024 / , ,
Lire + (300 mots)

Dans la nuit du 25 au 26 juillet, quatre actes de sabotages [1] visant les infrastructures de la SNCF viennent de paralyser le réseau TGV français. Si nous ne connaissons pour l'instant rien des motivations des auteurs, c'est à tout le moins un gigantesque camouflet pour les services de renseignement français et une excellente occasion de republier cette excellente interview parue en janvier 2023. On y discute du sabotage comme pratique politique au fil de l'histoire, comme technique asymétrique contre l'ordre des choses, comme tactique voire comme stratégie contre le pouvoir. Pour cela nous accueillions Victor Cachard qui vient de publier deux livres importants aux éditions Libre : Emile Pouget et la révolution par le sabotage ainsi que le premier tome d'une Histoire du sabotage, des traines-savates aux briseurs de machines.

Version podcast

Pour écouter nos lundisoir en conduisant ou en repassant, c'est par ici :

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[1] dont un a priori déjoué

26.07.2024 à 14:45

Sabotages et fibre optique

dev

Autour du Comité pour la Liquidation ou le Détournement des Ordinateurs (CLODO)

- été 2024 / , ,
Texte intégral (7914 mots)

Dans la nuit du 25 au 26 juillet, quatre actes de sabotages [1] visant les infrastructures de la SNCF viennent de paralyser le réseau TGV français. Si nous ne connaissons pour l'instant rien des motivations des auteurs, c'est à tout le moins un gigantesque camouflet pour les services de renseignement français et une excellente occasion de republier cet article paru en mai 2022 qui revenait sur les activités du CLODO (Comité pour la Liquidation ou le Détournement des Ordinateurs) aux alentours de Toulouse dans les années 80. L'article relie quelques fils pour tisser une compréhension de la numérisation du monde qui inclut les sabotages auxquels elle se confronte en permanence au cours de son histoire.

Le 26 avril dernier, des câbles de fibre optique ont été minutieusement coupés, provoquant des pertes de connexion au matin du 27 et de nombreuses déclarations, toutes unanimes, pour condamner ces « actes de malveillance » (Xavier Niel, patron de Free). Les défenseurs du numérique se sont précipités pour lancer l'alerte, manière de s'exonérer de toute responsabilité et d'en appeler de toute urgence à la police. Ce n'était pas un accident, « des pelleteuses ne coupent pas Internet en pleine nuit vers 3h40 du matin », fait ainsi valoir Nicolas Guillaume (important opérateur de fibres optiques). Le suivi « live » de la situation est du même ton :

Communiqué de la direction générale de Netalis (N4) : l'incident générique est une première pour Netalis en 7 années d'exploitation de notre réseau. Deux câbles longue distance d'opérateurs différents sont coupés à plusieurs centaines de kilomètres de distance. (…) Nous sommes en contact avec les différents opérateurs pour comprendre cet incident et obtenir des informations sur l'heure de rétablissement de nos services.

L'incident est survenu en pleine nuit à quelques dizaines de minutes d'intervalles. Un autre opérateur nous informe avoir perdu son lien Paris/Lille également, il est également lourdement impacté. Netalis poursuit la mise en place d'une solution de contournement et enverra un Retex à sa clientèle avec les actions prises dès rétablissement.
(Posté par Netalis, « opérateur de solutions numériques » le 27 avril)

Le 27 avril, on apprend ces coupures par Twitter, par des infos sur un smartphone, par chance ou presque on les devine par une connexion impossible. Dans 90% des cas, on l'apprend donc par l'intermédiaire d'un écran, lui-même éventuellement connecté, tout comme l'on vous parle de cette histoire sur un site internet auquel vous vous connectez via les connexions du réseau partiellement saboté le 27 avril passé. On se prend à rêver que tout se soit arrêté, que de connexions il n'y ait plus (bien des écrans perdant immédiatement toute utilité), que ce site lui-même soit inaccessible, que la chute de connectivité (mesurée ci-dessous le 27) ne remonte pas, qu'internet soit irréparable, etc.

Les sabotages sont documentés, ils génèrent du bruit. L'incident a impacté SFR, Free et Zayo car ils partagent le même câble. Les réseaux d'Orange, eux, n'ont pas été touchés. La liaison Paris-Strasbourg a été fortement perturbée. La police ne manque pas d'évoquer l'ultra-gauche, les journaux mesquins de souligner que ceux qu'ils désignent ultra-gauche en jubilent en mai 2020 comme en avril 2022 (« sabotage de réseaux téléphoniques : les sites d'ultra-gauche jubilent », le Point, mai 2020). On erre sur Twitter ou sur les sites des opérateurs pour concevoir l'ampleur des pertes, pour trouver quelques images des câbles coupés en plusieurs points différents du réseau, au même moment. Ces coupures sont malines, elles le sont d'autant plus que certains câbles passent entre deux champs de maïs, que compte tenu des attaques (et du peu d'enthousiasme que ces câbles peuvent parfois susciter), les opérateurs effectuent leur installation en toute discrétion depuis déjà quelques années. Il faut donc savoir les trouver. On nous dit que le temps long des pannes tient en partie à l'intervention de la police scientifique venue prélevée des empreintes avant toute réparation.

Update 9 : Still waiting for the fibre team to attend fault location. The French police are on site investigating now, we are expecting the fibre team within the next 30 minutes.

Update 10 : Fibre teams are now at fault location in Souppes but being held up by the French Police doing their investigating.

Soyons honnêtes, nous avouons ici que sur place nous n'étions pas. Nous dévoilons aussi que l'écho d'un sabotage, perçu après coup (même quelques instants après seulement) se rapproche toujours de l'enquête de police. On ne peut en savoir plus qu'à partir de ce qui fuite de la police, même lorsqu'on lit la revendication de l'acte en question via un écran. Tout sabotage du numérique nous parvient par la médiation inévitable du numérique, numérique lui-même constitué de données indexées, de requêtes de recherches, de traces continuelles.

« Nos recherches ne faisaient pas que se référer aux archives et aux bases de données, elles en dépendaient entièrement. » (extrait du film Machines en flammes)

Cet enjeu des traces, des archives numériques du numérique qu'on voudrait voir s'auto-détruire, c'est tout l'objet d'un étrange film documentaire d'Andrew Culp et Thomas Dekeyser intitulé Machine in Flames. A secret history of self-destruction (Machines en flammes, une histoire secrète de l'auto-destruction). Ce film de 50 minutes, projet de « l'International Deconstructionist », est une recherche élusive sur le CLODO (Comité liquidant et détournant les ordinateurs), groupe clandestin qui dans les années 1980 sabota et fit exploser plusieurs centres informatiques d'importance à Toulouse et alentours. Le film combine des traces d'archives, des histoires des entreprises ciblées par le CLODO pour penser l'auto-destruction des machines et la cybernétique.

Andrew Culp a notamment écrit « Dark Deleuze », livre qui arrache Deleuze à l'empire de la communication. Thomas Dekeyser travaille entre autres sur l'horizon nihiliste de la technologie. Les deux n'ignorent pas que la médiation informatique n'est pas sans dangers, c'est à plus d'un titre le cœur de leur démarche.

Ce qui veut dire que du CLODO n'existe plus que des indices : les traces de ses actions, conservées dans des articles de journaux et des compte-rendus d'enquêtes, ainsi que dans des photos montrant les conséquences de ses actions. (extrait du film Machines en flammes)

La sortie du film, et sa projection à Montreuil le 16 mai prochain par le Café-Librairie Michèle Firk est l'occasion d'évoquer le CLODO, mystérieux collectif jamais démasqué qui mena plusieurs attaques grandioses contre les moyens informatiques alors qu'ils s'étendaient à pleine vitesse dans les années 1980. Dans les colonnes du journal libération, le groupe est présenté comme un collectif « d'empêcheurs de programmer en rond » grâce à ses « actions symboliques » (cité par Felix Treguer dans L'Utopie déchue).

Chronologie succincte des actions du CLODO :

•6 et 8 avril 1980 : incendies de l'entreprise CII-Honeywell-Bull et Philips à Toulouse

•19 mai 1980 : incendie des archives de l'entreprise International Computers Limited à Toulouse

•9 août 1980 : bombe de 5 kg découverte à Louveciennes

•11 septembre 1980 : incendie d'une société d'informatique à Toulouse (Cap Sogeti)

•2 décembre 1980 : incendie des bureaux de l'Union des assurances de Paris à Paris

•28 janvier 1983 : plasticage contre un nouveau centre de traitement informatique de la préfecture de Haute-Garonne

•26 octobre 1983 : incendie des bureaux de l'entreprise américaine Sperry Univac

( Attentat contre la société informatique 'International Computers Limited' à Toulouse le 20 mai 1980, France. (Photo by AKSARAN/Gamma-Rapho via Getty Images)

Dans un communiqué, le Clodo se présente ainsi : « Nous sommes des travailleurs de l'informatique, bien placés par conséquent pour connaître les dangers actuels et futurs de l'informatique et de la télématique. L'ordinateur est l'outil préféré des dominants. Il sert à exploiter, à ficher, à contrôler, à réprimer. Demain la télématique instaurera 1984, après-demain l'homme programmé, l'homme machine. » (cf. Celia Izoard, la balade incendiaire du clodo, paru dans CQFD n°157 en septembre 2017, https://cqfd-journal.org/La-balade-incendiaire-du-Clodo)

À l'époque du CLODO, l'ordinateur est encore un ordinateur, une machine localisée et identifiable, dont les serveurs sont bien souvent logés en un unique endroit, dont les données sont stockées sur des bandes magnétiques qu'une allumette bien lancée suffit à faire brûler. Pendant les années 80, l'informatisation n'a pas encore répandu ces dîtes technologies douces (ubiquitaires selon Mark Weiser) qui ne sont « douces » que de ne laisser aucun choix. Toujours à portée de main, ces machines douces cherchent à abolir toute distance, tout espace de saisie d'une certaine extériorité qui permette de distinguer l'ordinateur comme machine, comme extériorité. Les années 80, c'était une autre époque, l'arrivée des machines en tant que machines, machines contre lesquelles les refus ne manquaient pas.

On était alors dans un moment de bascule. L'industrie du satellite et Météo France arrivaient à Toulouse. L'aéronautique était déjà là. Allait se vérifier cette loi du développement des technopoles qui veut que, quand un tas de salauds sont là, d'autres arrivent. Mais il y avait encore une grande défiance. Des épisodes d'agitation contre « l'impérialisme informatique » avaient déjà eu lieu dans les banques, les PTT, les assurances ; on se méfiait également de cette grande informatique centralisée qu'étaient les fichiers SAFARI et GAMIN. La CFDT venait de s'aventurer à recenser « les dégâts du progrès », de faire le bilan de l'informatique en termes de déqualification, de dégradation des conditions de travail. Elle défendait le droit des ouvriers et employés à avoir leur mot à dire sur les changements technologiques en cours. Il y avait une sorte d'indécision sociale, même si les forces technocratiques appuyaient sur le champignon. En ce début d'année 1980, l'informatique n'était encore que le fait d'informaticiens professionnels et ne pouvait être associée qu'au monde des entreprises et des administrations – autant dire que nous étions dans un autre monde. Ce contexte explique peut-être que les actions du CLODO aient alors trouvé beaucoup d'écho. (cf. Revue Z, N°9, Toulouse, la révolution n'est pas une cryptoparty)

Le CLODO ne sont pas les seuls à critiquer l'informatique, même si peu d'actions sont aussi visibles que les leurs. Outre les sabotages, l'adoption forcée de l'informatique rencontre de nombreuses grèves, comme celle des dactylos près de Nantes :

« Toute la journée sur écran, c'est fatigant. Nous demandons dix minutes de pause supplémentaire par heure ! » Sous la banderole, elles sont une quarantaine de jeunes employées qui, chaque jour, se relaient depuis un mois. (https://www.lemonde.fr/archives/article/1981/02/13/les-dactylos-face-aux-robots_2707522_1819218.html)

Les exemples de ces grève sont nombreux et la liste ne sera jamais close. Chaque sabotage de câble rappelle combien le numérique, même quand il prétend abolir l'espace et les limites matérielles, repose sur des câbles bien réels, sur tout un travail d'installation et de maintenance. Le procès de France Telecom et son management qui pousse au suicide est un des tristes exemples de la réalité du travail des télécoms. Plus récemment, depuis novembre 2021, un bras de fer oppose la direction d'Orange à Setelen, une filiale de Scopelec chargé d'installer la fibre optique. Orange travaille avec eux depuis des années, mais a soudainement décidé de se tourner vers des concurrents moins chers, avec plan de licenciement à la clé chez Setelen. Que les sabotages du 27 avril soient une conséquence de la situation des sous-traitants (dont les déboires du grand plan de déploiement de la fibre optique en France témoignent), c'était une des pistes possibles.

‪CHERS COLLEGUES, PARTENAIRES, SALARIES DE LA # #FILIERE #telecom .‬ ‪LE MOUVEMENT PREND DE L'AMPLEUR ET LES CONSCIENCES SE RÉVEILLENT !‬ ‪NOUS APPELONS DONC À CESSER TOUTES LES #ACTIVITES DE #MAINTENANCE ET #PRODUCTION‬ ‪Une lettre de prévenance sera adressée à l'ensemble des responsables des contrats RC CENTRIC.‬

Les oppositions à l'informatique pointent bien souvent les mêmes risques de contrôle et de fichage aujourd'hui comme hier. Un auto-entretien du CLODO paraît en 1983 dans le magazine Terminal, espace de réflexion sur l'informatique créé suite aux rencontres intitulées L'informatisation contre la société ? en décembre 1979, à l'appel de revues politiques, féministes et écologistes. Pendant ces rencontres, l'informatique est perçue comme logique de remodelage des modes de vie, une « gadgétisation de la vie quotidienne » et une standardisation culturelle. Dans la foulée est créé le CII (Centre d'Information et d'Initiative sur l'Informatisation), sigle choisi par le collectif de Terminal. Le CLODO ne choisit pas cette revue par hasard, c'était un des relais des critiques de l'informatique. La revue Terminal s'investissait notamment dans les années 80 dans les résistances à la création d'un fichier centralisé des identités au refus de la Gestion Automatisée de Médecine Infantile (projet GAMIN), un système informatique de récolte et traitement de données à partir des informations recueillies lors des visites médicales obligatoires des enfants effectuées pour obtenir un certificat médical.

Il s'agissait en réalité de ficher nominativement les enfants « à risque » concernant les handicaps plus ou moins graves. Le système permettait l'envoi des données des certificats à un centre de données, les comparait avec des indicateurs statistiques et renvoyait un signalement en cas de détection de risque, pour suite à donner par le personnel médical.

Interprété ainsi, il est évident que la saveur du projet pouvait être perçue comme une tentative de contrôle à la fois sur les familles mais aussi sur le personnel lui-même. Concernant les familles, la CNIL rendit son avis en 1981 en interdisant les données nominatives mais en autorisant le suivi anonyme. Dès lors, l'essentiel du projet impliquait surtout des bouleversements dans les pratiques médicales. Par exemple, l'automatisation du traitement des informations était réputée pouvoir servir de base fiable pour élaborer des modèles en épidémiologie… (Christophe Masutti, affaires privées)

Calculer, automatiser, modéliser, les ordinateurs sont à l'origine inventés et perçus comme étant essentiellement des machines à calculer, et puisque le calcul sert avant tout à l'armée et l'État…. Tous les premiers ordinateurs viennent par exemple s'inscrire et renforcer la longue tradition des calculs balistiques militaires. Ces ordinateurs calculaient les trajectoires « standards » des projectiles utilisés, puis calculaient les corrections éventuelles à apporter en fonction des circonstances dérogeant aux standards préalablement déterminés, pour enfin établir des tables de variation et de mémorisation des tirs effectués.

(cours de balistique en extérieur, table de calcul des trajectoires)

Dans Machines en flammes, Andrew Culp et Thomas Dekeyser exposent leur démarche pour démontrer comment elle est en partie défaite et déjouée par le jeu des traces médiatisées par des écrans. Parcourir les traces du CLODO tourne à vide, s'il ne s'agit que d'exposer tout ce qu'ils ont su garder caché, comme si face à l'anonymat maintenu de ce groupe le désir d'en savoir plus se confondait avec celui d'espérer les dévoiler. Le film bascule ainsi du CLODO vers la cible de leurs actions, les usages des ordinateurs déjà enrôlés comme outils de fichage et de contrôle.

C'est essentiellement à la destination de l'outil que nous nous en prenons : mise en fiches, surveillance par badges et cartes, instrument de profit maximalisé pour les patrons et de paupérisation accélérée pour les rejetés (auto-entretien du CLODO)

Les sabotages de l'époque ne peuvent qu'être sincèrement compris qu'à l'aune de ce qu'ils cherchaient à atteindre, et de ce qui en persiste. Par exemple, le CLODO s'en pris, dans une de ses actions mémorables, à la société CII-Honeywell-Bull. CII que moquait la revue Terminal en prenant pour nom d'association CIII (Centre d'Information et d'Initiative sur l'Informatisation). Avant d'être absorbée par Honeywell-Bull (un temps concurrent d'IBM), la Compagnie Internationale pour l'Informatique (CII) avait été crée dans le cadre du « Plan Calcul », lancé et financé par le gouvernement du Général de Gaulle pour soutenir l'industrie informatique française et concurrencer les américains.

Le gouvernement se mit au service des instituts de recherche, commença à subventionner l'industrie informatique et vint en aide à la production et à la recherche vers des ordinateurs commerciaux et militaires. (extrait du film Machines en flammes).

(appareils informatiques militaires dans un sous-marin, fabriqué par Sperry Univac)

L'usage militaire de l'informatique, soutenu par le gouvernement, est omniprésent parmi les cibles du CLODO. Une autre cible, Sperry Univac, était notamment spécialiste de la fabrication des ordinateurs balistiques et des viseurs pour les bombardements. Ces bombardements furent notamment calculés par les machines de Sperry Univac pendant l'invasion américaine d'octobre 1983 de l'île de Grenade dans les Caraïbes.

Après la guerre, l'entreprise se vanta de ses capacités de calculs informatiques : « UNIVAC Scientific assure la difficile mission qui consiste à calculer et analyser les énormes données produites par chaque missile tiré avec assez de rapidité pour pouvoir ajuster le tir suivant ». Sperry Univac a fait partie des entreprises qui multiplièrent les machines de guerre. À l'aide d'ordinateurs, l'armée pouvait exercer la violence de la guerre à distance. La violence a été informatisée, permettant ainsi de l'exercer dans l'indifférence la plus totale. (extrait du film Machines en flammes)

Les actions visibles du CLODO cessent à partir de 1983. Depuis, l'informatique a étendu son empire, tout comme les câbles le 27 avril ont été réparés, tout ne s'est pas arrêté. Techniquement, une coupure totale est de toutes façons bien difficile. Les réseaux numériques, des câbles à la fibre, sont aujourd'hui constamment dédoublés. Ils prennent systématiquement plusieurs chemins pour qu'en cas d'incident sur une des trajectoires d'autres soient possibles et pour que chaque donnée soit constamment copiée. Une image en pièce jointe d'un mail est copiée, parfois plusieurs dizaines de fois « par sécurité ». Ce dédoublement vaut au niveau des données comme au niveau des câbles.

L'extraction de données consiste à analyser en continu les données du passé, des quelques clics qui viennent juste d'arriver aux variations des flux à l'intérieur des fibres optiques. L'analyse de ce passé, lointain et immédiat (mais surtout immédiat), prévoit les événements futurs, les comportements profilés pour en anticiper des rentes économiques, pour contrôler toute incertitude en l'incluant par avance dans le champ des possibles à venir. La mémorisation permanente des réseaux informatiques recompose par rétroaction les nœuds du réseau, maintenant ainsi son emprise sur le cour futur des choses. Ce qui fait réseau, entre les ordinateurs, fait la puissance actuelle de l'informatique. C'est d'ailleurs tout l'enjeu du « cloud-computing », distribuer en permanence les données pour ne pas les perdre et qu'elles soient disponibles 99,99 % du temps. Des années 1980 à aujourd'hui, l'ordinateur s'est imposé en se faisant réseau, en étant toujours à un endroit et à un autre simultanément. L'informatisation n'est pas un ensemble d'ordinateurs, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des ordinateurs.

À ce titre, ne pas oublier le CLODO, c'est ne pas ignorer les profonds basculements de l'informatisation, processus passé de machines localisées dans les années 80 à des ordinateurs en réseau, infrastructure permanente de toute une série d'actions et d'activités. Dans les années 80, l'ordinateur est une machine dispendieuse. Chaque entreprise calcule ses dépenses avant de basculer vers l'usage de ces machines. Les Plans Calculs étatiques servent à soutenir cette décision en inondant l'économie. Aujourd'hui, le coût d'investissement n'a évidemment pas disparu (pas plus que les plans étatiques de soutien à l'innovation), mais un tel investissement compte sans doute moins pour les objets informatiques eux-mêmes que pour l'achat ou la location en temps réel des capacités de téléchargements, de stockages, de circulations, d'accès aux données, etc.

Comme un abonnement à un service en ligne, c'est la puissance de computation et la rapidité des interfaces qui s'achètent et se vend. La logique du cloud computing et des applis sur smartphone vend en effet moins des outils ou des usages particuliers que tous les outils et usages en tant que services à la demande. Attaquer l'informatique, ce serait aujourd'hui s'en prendre à cette puissance de computation distribuée comme une offre constamment disponible.

C'est de plus un tel contexte qui fabrique aussi bien les usages que leurs usagers. Ce n'est pas pour rien qu'avant 2008, et encore moins dans les années 1980, il n'y avait aucun sens à mesurer la vitesse des clics des usagers et les comportements en temps réel sur internet. Comme le disait Nietzsche, « le besoin passe pour la cause de l'apparition : en vérité, il n'est souvent qu'un effet de la chose apparue ». Il a fallu basculer l'informatique comme socle de toutes les activités, dont les utilisateurs peuvent « voler » de la puissance de calcul et de computation, mobilisant la puissance des microprocesseur pendant qu'ils font tout autre chose (dans les transports, chez eux, etc.), tirant avantage de cette puissance comme force en permanence disponible, permanente et « gratuite » en apparence seulement. La logique du cloud rend les ressources disponibles, en libre usage autant que faire se peut, le paiement passant par la capture. En quelques décennies, plus l'ordinateur est devenu personnel et privé, plus les réseaux d'internet se sont faits imposés comme le socle constamment disponible de toutes les activités « personnelles ».

' En positionnant les utilisateurs comme des partenaires intimes de l'ordinateur, le partage du temps a associé les utilisateurs à une économie politique qui les a rendus synonymes de leur utilisation et leur a permis (ou à leurs sponsors publicitaires) d'être suivis, loués ou facturés à chaque tic-tac de l'horloge. '

« Pour que rapport intime de l'utilisateur aux machines informatiques fonctionne, il faut faire en sorte que l'utilisateur se perçoive en tant qu'usager individuel dans un environnement qui lui soit propre et personnel, même si des millions d'utilisateurs partagent les mêmes disques durs, ordinateurs et tuyaux de données sous les couches de clics. (…) Une couche vaste et invisible à l'intérieur du cloud d'aujourd'hui, connue sous le nom de logiciel de virtualisation, garantit que les données mélangées dans les centres de données et les réseaux du cloud apparaissent comme des flux de données individuels (et la tranche de chaque personne d'un serveur partagé apparaît comme sa propre 'machine virtuelle » » (Tung-Hui Hu, A Prehistory of the Cloud, MIT)

Tung-Hui Hu, pour illustrer ce basculement via la logique du cloud, prend pour exemple celui bien connu du cinéma. Un film est construit comme unité sans coupures afin qu'un spectateur en fasse l'expérience comme un tout qui lui est exposé, qu'il regarde dans un rapport intime à lui-même. Tous les raccords, les coupures, les moments d'inactions sont effacés et le spectacle de cette unité construit autant le film que les spectateurs. Pour qu'un utilisateur puisse affirmer que ce qu'il fait est le résultat de son action bien à lui, tout ce qui soutient cette action et la met en œuvre est évacué. Avec un sabotage, la coupure des câbles rappelle la matérialité des choses et du travail qui les sous-tend.

La peur du sabotage est de toutes façons au cœur de l'invention des réseaux d'internet. Paul Baran, l'inventeur des réseaux de paquets distribués en pleine guerre froide, avait une idée et une mission très précise en tête : maintenir la continuité du gouvernement dans le cas du pire scénario d'attaque possible et construire pour cela un réseau capable de survivre à une attaque nucléaire. Le commencement de son texte de 1960, « Reliable Digital Communications Systems using unreliable network repeater nodes », est explicite :

'Une nouvelle perspective émerge : la possibilité d'une guerre existe mais beaucoup peut être fait pour en minimiser les conséquences. Si la guerre ne signifie pas noir sur blanc la disparition de la terre, il s'ensuit que nous devrions faire... tout ce qui est nécessaire pour permettre aux survivants de l'holocauste de se débarrasser de leurs cendres et reconstruire à grand pas l'économie. (Paul Baran, {}Reliable Digital Communications Systems using unreliable network repeater nodes)

Il faut distribuer les nœuds du réseau, car un réseau entièrement centralisé ferait une cible trop facile. Les schémas des réseaux de Paul Baran répondent à cette perspective et à la nécessité, quoiqu'il arrive, de reconstruire l'économie :

Cependant, la distribution et décentralisation imaginée par Paul Baran et d'autres est un mythe persistant plus qu'une réalité. On ne peut prendre au mot les dessins qui précèdent. Tout n'est pas connecté et cette carte des réseaux de fibre en témoigne (de Viatel network map), les coupures Paris-Strasbourg sont possibles parce que les câbles suivent une telle « autoroute » et ne passent pas partout.

En un sens, le cloud-computing d'aujourd'hui est une logique impériale qui ne se prétend distribuée que pour mieux masquer la centralité qu'elle impose à tout prix. Ce la même logique qui redonde les données, qui fait passer par d'autres chemins ce qui doit continuer de circuler si une trajectoire dysfonctionne ou se trouve sabotée. D'autres centralisations persistent. Par exemple, une grand part du trafic internet en France transite par les data-centers de telehouse dont le plus important point d'échange est au 137 boulevard Voltaireau coeur deParis.

C'est seulement dans un réseau parfait que tout est connecté et le réseau lui-même omniprésent, formant un monde clos au sein duquel tout serait parfaitement géré. Cette perspective est une utopie, qui bien que continuellement imposée n'en a pas moins des faiblesses. Les incendies d'antennes-relais et les coupures de câbles le rappellent périodiquement. Le film Machine en flammes permet d'interroger ce qui s'enclenche en réponse, la reconstruction des boucles infinies du réseau après chaque interruption. Le réseau n'est distribué que pour être mieux centralisé, en cas de besoin. Le jeu des traces et des données continuellement recomposé dans les nuages de l'informatique fait en ce sens disparaître l'auto-destruction des machines auquel chaque sabotage aspire. Les boucles des réseaux d'internet se dédoublent indéfiniment pour que rien ne soit perdu, et c'est ce cycle de copies, de sauvegardes et d'archivages permanents qu'il s'agit d'interrompre à chaque tentative de sabotage, des machines en flammes vers l'auto-destruction. Dans Machines en flammes, les archives exposent leur destin vers l'auto-destruction. Comme le disait encore Nietzsche, « on en conclura immédiatement que nul bonheur, nulle sérénité, nulle espérance, nulle fierté, nulle jouissance de l'instant présent ne pourrait exister sans faculté d'oubli. ». Les actions du CLODO, elles, méritent de n'être jamais oubliée, les traces de leurs gestes ne prennent sens qu'au regard de l'auto-destruction des machines qui les guettent.

Nous repartageons dans cette perspective l'auto-entretien dans la revue Terminal avec le chapeau écrit par la revue à l'époque.

Le clodo Parle, auto-entretien dans la revue Terminal N°16 – août 1983

Depuis 1980, l'existence du CIII croise celle du Clodo (Comité liquidant et détournant les ordinateurs). Au lendemain de ce que la presse a appelé « les attentats technologiques » de Toulouse, un journaliste du monde avait cru possible de placer le CIII parmi les inspirateurs potentiels du CLODO. Cela nous avait valu, à l'époque, la visite de la police et nous avait conduit à prendre position (cf. Encadré). Mais la question du sabotage et du détournement des machines informatiques a été depuis relancée par la revue californienne Processed World et un numéro spécial de la revue allemande Weschel Wirkung. Les informations partielles qui filtrent dans la presse (En particulier, dans le courrier des lecteurs de Libération.), en dépit du silence des constructeurs et des grands utilisateurs, « victimes » de ces actions, réveille une pratique de sabotage et de détournements qui vient bousculer le discours figé sur le caractère historiquement dépassé de la résistance de Ned Lud et des Canuts. A tel point que les communautés européennes ont chargé l'association Droit et Informatique de mener, sur ce sujet, une discrète enquête afin d'évaluer l'ampleur de ces pratiques. Terminal 19/84 publie ici une « interview » que lui a adressé le CLODO. Dans les prochains numéros, si les lecteurs ou les informaticiens qui ont un point de vue sur la question le veulent, un débat pourra s'ouvrir. Pour sa part, l'équipe du CIII publiera prochainement un article d'analyse sur l'action du CLODO. Forme de lutte sociale dépassée ou au contraire porteuse d'avenir, la question est ouverte.

Le CLODO, ou les clodos, c'est donc vous ?

S'il vous faut une preuve, nous la fournissons : lors de notre dernière action notoire, contre le centre informatique de la préfecture de Haute-Garonne, nous avions envoyé un communiqué à plusieurs journaux dont le Canard Enchaîné et le magazine Résistances d'Antenne 2, qui n'en ont pas soufflé mot. Mais au-délà de cette confirmation de notre 'identité', nous profitons de ce préambule pour préciser quelques évidences : nous sommes des individus, travailleurs de l'informatique ou non, qui nous rejoignons dans une lutte. Nous ne constituons, ni une organisation, formelle ou informelle, ni un phalanstère.

Et le 'nous' qui sera employé dans les réponses à votre interview ne devrait pas être la forêt qui cache les arbres ! Nombreux et décisifs sont nos points d'accord mais aussi nombreuses, (bien que moins décisives) sont nos divergences.

En finir avec les mythes
Pourquoi acceptez-vous cette interview ?

Il nous a toujours semblé que les actes parlaient d'eux-mêmes et il a fallu qu'un membre (prétendu ?) d'une organisation soi-disant armée et en tout cas éphémère tente de faire passer nos actes pour ce qu'ils n'étaient pas, pour que nous décidions d'écrire un communiqué. Pourtant, face à la propagande du pouvoir, particulièrement stupéfiante en matière d'informatique, et pour en finir avec quelques mythes volontairement entretenus à notre égard, il nous a paru que quelques explications devenaient nécessaires. Votre journal étant l'un des moins inconscients en la matière, même si nous nous interrogeons sur la possible publication de nos propos, vous voilà intervieweur.

Démasquer la vérité de l'informatisation
Pourquoi avoir entrepris ces actions ?

Pour interpeller chacun, informaticien ou non, pour que, nous tous, réfléchissions un peu plus au monde dans lequel nous vivons, à celui que nous créons, et de quelle façon l'informatisation transforme cette société, Il faut bien que la vérité de cette informatisation soit parfois démasquée, qu'il soit dit qu'un ordinateur n'est qu'un tas de ferraille qui ne sert qu'à ce à quoi l'on veut qu'il serve, que dans notre monde il n'est qu'un outil de plus, particulièrement performant, au service des dominants.

C'est essentiellement à la destination de l'outil que nous nous en prenons : mise en fiches, surveillance par badges et cartes, instrument de profit maximalisé pour les patrons et de paupérisation accélérée pour les rejetés ...

L'idéologie dominante a bien compris que l'ordinateur simple outil, la kalashnikov indolore, servait mal ses intérêts. Elle en a fait une entité servant intelligement ses intérêts. Elle en a fait une entité parahumaine, (cf. le discours sur l'intelligence artificielle), un démon ou un ange mais domesticable, (ce dont les jeux et bientôt la télématique devraient persuader), surtout pas le serviteur zélé du système dans lequel nous vivons. Ainsi, espère-t-on transformer les valeurs du système en système de valeurs.

Par nos actions, nous avons voulu souligner d'une part, la nature matérielle de l'outil informatique, et d'autre part, la vocation dominatrice qui lui est conférée. Enfin, s'il s'est agi avant tout de propagande par le fait, nous savons aussi que nos destructions provoquent un manque à gagner et un retard non négligeable.

Piéger les systèmes à retardement
Par leur côté spectaculaire et radical, ces destructions ne vous semblent-elles pas un peu outrées ?

Ces actions ne constituent que la partie immergée de l'iceberg ! Nous-mêmes et d'autres luttons quotidiennement mais de façon moins voyante. L'informatique, comme l'armée, la police ou la politique, bref, comme tout instrument privilégié du pouvoir, est l'un des quelques domaines où l'erreur est la règle, où la correction même des bogues occupe la majorité du temps des programmeurs ! Nous en profitons et cela coûte sans doute plus cher à nos employeurs que nos destructions matérielles. L'art en la matière consistant à piéger les systèmes à retardement, nous n'en dirons pas plus.

Pour en revenir à votre question, peut-on imaginer plus banal que de jeter une allumette sur un paquet de bandes magnétiques ? Chacun peut s'y amuser ! Le geste ne paraît excessif qu'à ceux qui ignorent ou veulent ignorer à quoi servent pratiquement la majorité des systèmes informatiques.

Comment expliquez-vous alors que d'autres que vous n'aient pas fait de même ?

Sincèrement, nous l'expliquons mal ! Nous sommes bien placés pour savoir que la plupart des travailleurs de l'informatique font preuve d'une complicité réelle avec 'leur outil de travail' et n'utilisent guère leur matière grise à réléchir sur ce qu'ils font (ils ne veulent généralement même pas le savoir !). Quant aux non informaticiens, ils ne se sentent guère concernés ou subissent sans réagir la propagande dominante.

Pourtant, cela n'explique pas tout et il nous faut bien constater que ceux qui résistent aux soporifiques du pouvoir ont encore bien peur de la camisole policière !

L'ordinateur pourrait servir à autre chose
N'êtes-vous tout de même pas un peu rétro, un peu les casseurs de métier Jacquard du 18e siècle ?

Aux outils du pouvoir, les dominés ont toujours opposé le sabotage ou le détournement. Il n'y a là rien de rétro, ni de nouveau. Regardant le passé, nous ne voyons, à moins de remonter à certaines sociétés dites primitives, qu'esclavage et déshumanisation. Et si nous n'avons pas exactement le même 'projet de société', nous savons que le retour en arrière est stupide.

L'outil informatique est sans doute perverti par ses origines-mêmes, (l'abus du quantitatif ou la réduction au binaire en donnent les preuves), mais il pourrait servir à d'autres fins qu'il ne sert. Quand on sait que le secteur social le plus informatisé est l'armée, que 94 % du temps d'ordinateur civil sert à la gestion et à la comptabilité, on ne se sent pas les casseurs de métier Jacquard (bien que ces derniers aient lutté aussi contre la deshumanisation engendrée par ces métiers, lesquels les transformaient d'artisans en manoeuvres). Nous ne sommes pas non plus les défenseurs des chômeurs de l'informatisation ... Si le micro-processeur engendre le chômage, alors qu'il pourrait réduire le temps de travail de tous, c'est que nous vivons dans une société abrutissante et ce n'est, en aucun cas, une raison pour détruire les microprocesseurs.

S'attaquer aux multinationales
Comment situez-vous vos actions dans le contexte social français et même mondial ?

L' informatisation est mondiale. Dans le Tiers- Monde, elle contribue à renforcer la domination idéologique et économique de l'Occident et spécialement des Etats-Unis et, à un moindre degré celle des pouvoirs locaux. Nous estimons donc que notre lutte est mondiale même si le mot paraît excessif face aux coups d'épingle que nous pratiquons. Et ce n'est pas un hasard si nous nous sommes attaqué principalement à des multinationales, d'ailleurs particulièrement nombreuses à ce niveau.

Quels sont vos projets d'avenir ?

La critique de l'informatisation que nous développons depuis plusieurs années s'étoffe peu à peu mais demeure en gros inchangée puisque l'outil sert toujours aux mêmes, et aux mêmes choses. Il n'y a donc aucune raison pour ne pas continuer dans le même sens. Avec plus d'imagination, même si le résultat est moins spectaculaire que nos actes passés. À notre rythme aussi, la rapidité de l'informatisation, l'irruption prochaine de la télématique, ouvrent un champ d'action et de révolte toujours plus vaste. Nous tenterons d'y lutter mais en sachant que nos efforts sont parcellaires. Il y a place pour toutes les révoltes !

Prochaine interview par le juge d'instruction
Quelles sont vos chances de mener à bien ces projets ? Ne craignez-vous pas de vous faire prendre ?

Nos chances sont bonnes, merci ! Les motivations existent, les idées aussi et au royaume des aveugles, les borgnes sont rois !

Voilà plus de trois ans qu'une cour de sûreté de l'Etat (paix à ses cendres) et quelques dizaines de mercenaires du pouvoir nous recherchent : leurs moyens matériels, pourtant sophistiqués, sont bien inefficaces et notre dernière action contre le centre informatique de la préfecture de Haute Garonne a dû leur prouver que nous en savions plus sur eux qu'ils n'en savent sur nous !

Nous avons pourtant conscience des risques que nous encourons et de l'ampleur de l'arsenal auquel nous risquons de nous heurter.

Puisse notre prochain intervieweur ne pas être un juge d'instruction ! •

Toulouse - Août 1983


[1] dont un a priori déjoué

25.07.2024 à 15:51

Pour les vacances : 110 émissions de lundisoir à voir ou revoir

dev

Depuis bientôt 3 ans, nous proposons (presque) chaque lundi un entretien au long cours. Nous profitons de ces vacances estivales pour faire une petite pause et préparer la rentrée. En attendant, si vous voulez revoir ou réécouter l'une des 110 émissions précédentes, les voici ; (Si le coeur vous en dit, n'hésitez pas à liker, vous abonner, partager, ça nourrit l'algorithme et permet de diffuser ces entretiens par-delà l'auditoir attendu.) Version podcast Pour vous y abonner, des liens (…)

- été 2024 / , , ,
Texte intégral (2577 mots)

Depuis bientôt 3 ans, nous proposons (presque) chaque lundi un entretien au long cours. Nous profitons de ces vacances estivales pour faire une petite pause et préparer la rentrée. En attendant, si vous voulez revoir ou réécouter l'une des 110 émissions précédentes, les voici ;

(Si le coeur vous en dit, n'hésitez pas à liker, vous abonner, partager, ça nourrit l'algorithme et permet de diffuser ces entretiens par-delà l'auditoir attendu.)

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Pour vous y abonner, des liens vers tout un tas de plateformes plus ou moins crapuleuses (Apple Podcast, Amazon, Deezer, Spotify, Google podcast, etc.) sont accessibles par ici.

Voir les lundisoir précédents :

Continuum espace-temps : Le colonialisme à l'épreuve de la physique - Léopold Lambert

Que peut le cinéma au XXIe siècle - Nicolas Klotz, Marie José Mondzain & Saad Chakali
lundi bonsoir cinéma #0

« Les gardes-côtes de l'ordre racial » u le racisme ordinaire des électeurs du RN - Félicien Faury

Armer l'antifascisme, retour sur l'Espagne Révolutionnaire - Pierre Salmon

Les extraterrestres sont-ils communistes ? Wu Ming 2

De quoi l'antisémitisme n'est-il pas le nom ? Avec Ludivine Bantigny et Tsedek (Adam Mitelberg)

De la démocratie en dictature - Eugénie Mérieau

Inde : cent ans de solitude libérale fasciste - Alpa Shah
(Activez les sous-titre en français)

50 nuances de fafs, enquête sur la jeunesse identitaire avec Marylou Magal & Nicolas Massol

Tétralemme révolutionnaire et tentation fasciste avec Michalis Lianos

Fascisme et bloc bourgeois avec Stefano Palombarini

Fissurer l'empire du béton avec Nelo Magalhães

La révolte est-elle un archaïsme ? avec Frédéric Rambeau

Le bizarre et l'omineux, Un lundisoir autour de Mark Fisher

Démanteler la catastrophe : tactiques et stratégies avec les Soulèvements de la terre

Crimes, extraterrestres et écritures fauves en liberté - Phœbe Hadjimarkos Clarke

Pétaouchnock(s) : Un atlas infini des fins du monde avec Riccardo Ciavolella

Le manifeste afro-décolonial avec Norman Ajari

Faire transer l'occident avec Jean-Louis Tornatore

Dissolutions, séparatisme et notes blanches avec Pierre Douillard-Lefèvre

De ce que l'on nous vole avec Catherine Malabou

La littérature working class d'Alberto Prunetti

Illuminatis et gnostiques contre l'Empire Bolloréen avec Pacôme Thiellement

La guerre en tête, sur le front de la Syrie à l'Ukraine avec Romain Huët

Feu sur le Printemps des poètes ! (oublier Tesson) avec Charles Pennequin, Camille Escudero, Marc Perrin, Carmen Diez Salvatierra, Laurent Cauwet & Amandine André

Abrégé de littérature-molotov avec Mačko Dràgàn

Le hold-up de la FNSEA sur le mouvement agricole

De nazisme zombie avec Johann Chapoutot

Comment les agriculteurs et étudiants Sri Lankais ont renversé le pouvoir en 2022

Le retour du monde magique avec la sociologue Fanny Charrasse

Nathalie Quintane & Leslie Kaplan contre la littérature politique

Contre histoire de d'internet du XVe siècle à nos jours avec Félix Tréguer

L'hypothèse écofasciste avec Pierre Madelin

oXni - « On fera de nous des nuées... » lundisoir live

Selim Derkaoui : Boxe et lutte des classes

Josep Rafanell i Orra : Commentaires (cosmo) anarchistes

Ludivine Bantigny, Eugenia Palieraki, Boris Gobille et Laurent Jeanpierre : Une histoire globale des révolutions

Ghislain Casas : Les anges de la réalité, de la dépolitisation du monde

Silvia Lippi et Patrice Maniglier : Tout le monde peut-il être soeur ? Pour une psychanalyse féministe

Pablo Stefanoni et Marc Saint-Upéry : La rébellion est-elle passée à droite ?

Olivier Lefebvre : Sortir les ingénieurs de leur cage

Du milieu antifa biélorusse au conflit russo-ukrainien

Yves Pagès : Une histoire illustrée du tapis roulant

Alexander Bikbov et Jean-Marc Royer : Radiographie de l'État russe

Un lundisoir à Kharkiv et Kramatorsk, clarifications stratégiques et perspectives politiques

Sur le front de Bakhmout avec des partisans biélorusses, un lundisoir dans le Donbass

Mohamed Amer Meziane : Vers une anthropologie Métaphysique->https://lundi.am/Vers-une-anthropologie-Metaphysique]

Jacques Deschamps : Éloge de l'émeute

Serge Quadruppani : Une histoire personnelle de l'ultra-gauche

Pour une esthétique de la révolte, entretient avec le mouvement Black Lines

Dévoiler le pouvoir, chiffrer l'avenir - entretien avec Chelsea Manning

De gré et de force, comment l'État expulse les pauvre, un entretien avec le sociologue Camille François

Nouvelles conjurations sauvages, entretien avec Edouard Jourdain

La cartographie comme outil de luttes, entretien avec Nephtys Zwer

Pour un communisme des ténèbres - rencontre avec Annie Le Brun

Philosophie de la vie paysanne, rencontre avec Mathieu Yon

Défaire le mythe de l'entrepreneur, discussion avec Anthony Galluzzo

Parcoursup, conseils de désorientation avec avec Aïda N'Diaye, Johan Faerber et Camille

Une histoire du sabotage avec Victor Cachard

La fabrique du muscle avec Guillaume Vallet

Violences judiciaires, rencontre avec l'avocat Raphaël Kempf

L'aventure politique du livre jeunesse, entretien avec Christian Bruel

À quoi bon encore le monde ? Avec Catherine Coquio
Mohammed Kenzi, émigré de partout

Philosophie des politiques terrestres, avec Patrice Maniglier

Politique des soulèvements terrestres, un entretien avec Léna Balaud & Antoine Chopot

Laisser être et rendre puissant, un entretien avec Tristan Garcia

La séparation du monde - Mathilde Girard, Frédéric D. Oberland, lundisoir

Ethnographies des mondes à venir - Philippe Descola & Alessandro Pignocchi

Terreur et séduction - Contre-insurrection et doctrine de la « guerre révolutionnaire » Entretien avec Jérémy Rubenstein

Enjamber la peur, Chowra Makaremi sur le soulèvement iranien

La résistance contre EDF au Mexique - Contre la colonisation des terres et l'exploitation des vents, Un lundisoir avec Mario Quintero

Le pouvoir des infrastructures, comprendre la mégamachine électrique avec Fanny Lopez

Rêver quand vient la catastrophe, réponses anthropologiques aux crises systémiques. Une discussion avec Nastassja Martin

Comment les fantasmes de complots défendent le système, un entretien avec Wu Ming 1

Le pouvoir du son, entretien avec Juliette Volcler

Qu'est-ce que l'esprit de la terre ? Avec l'anthropologue Barbara Glowczewski

Retours d'Ukraine avec Romain Huët, Perrine Poupin et Nolig

Démissionner, bifurquer, déserter - Rencontre avec des ingénieurs

Anarchisme et philosophie, une discussion avec Catherine Malabou

« Je suis libre... dans le périmètre qu'on m'assigne »
Rencontre avec Kamel Daoudi, assigné à résidence depuis 14 ans

Ouvrir grandes les vannes de la psychiatrie ! Une conversation avec Martine Deyres, réalisatrice de Les Heures heureuses

La barbarie n'est jamais finie avec Louisa Yousfi

Virginia Woolf, le féminisme et la guerre avec Naomi Toth

Katchakine x lundisoir

Françafrique : l'empire qui ne veut pas mourir, avec Thomas Deltombe & Thomas Borrel

Guadeloupe : État des luttes avec Elie Domota

Ukraine, avec Anne Le Huérou, Perrine Poupin & Coline Maestracci->https://lundi.am/Ukraine]

Comment la pensée logistique gouverne le monde, avec Mathieu Quet

La psychiatrie et ses folies avec Mathieu Bellahsen

La vie en plastique, une anthropologie des déchets avec Mikaëla Le Meur

Déserter la justice

Anthropologie, littérature et bouts du monde, les états d'âme d'Éric Chauvier

La puissance du quotidien : féminisme, subsistance et « alternatives », avec Geneviève Pruvost

Afropessimisme, fin du monde et communisme noir, une discussion avec Norman Ajari

L'étrange et folle aventure de nos objets quotidiens avec Jeanne Guien, Gil Bartholeyns et Manuel Charpy

Puissance du féminisme, histoires et transmissions

Fondation Luma : l'art qui cache la forêt

De si violentes fatigues. Les devenirs politiques de l'épuisement quotidien,
un entretien avec Romain Huët

L'animal et la mort, entretien avec l'anthropologue Charles Stépanoff

Rojava : y partir, combattre, revenir. Rencontre avec un internationaliste français

Une histoire écologique et raciale de la sécularisation, entretien avec Mohamad Amer Meziane

Que faire de la police, avec Serge Quadruppani, Iréné, Pierre Douillard-Lefèvre et des membres du Collectif Matsuda

La révolution cousue main, une rencontre avec Sabrina Calvo à propos de couture, de SF, de disneyland et de son dernier et fabuleux roman Melmoth furieux

LaDettePubliqueCestMal et autres contes pour enfants, une discussion avec Sandra Lucbert.

Pandémie, société de contrôle et complotisme, une discussion avec Valérie Gérard, Gil Bartholeyns, Olivier Cheval et Arthur Messaud de La Quadrature du Net

Basculements, mondes émergents, possibles désirable, une discussion avec Jérôme Baschet.

Au cœur de l'industrie pharmaceutique, enquête et recherches avec Quentin Ravelli

Vanessa Codaccioni : La société de vigilance

Comme tout un chacune, notre rédaction passe beaucoup trop de temps à glaner des vidéos plus ou moins intelligentes sur les internets. Aussi c'est avec beaucoup d'enthousiasme que nous avons décidé de nous jeter dans cette nouvelle arène. D'exaltations de comptoirs en propos magistraux, fourbis des semaines à l'avance ou improvisés dans la joie et l'ivresse, en tête à tête ou en bande organisée, il sera facile pour ce nouveau show hebdomadaire de tenir toutes ses promesses : il en fait très peu. Sinon de vous proposer ce que nous aimerions regarder et ce qui nous semble manquer. Grâce à lundisoir, lundimatin vous suivra jusqu'au crépuscule. « Action ! », comme on dit dans le milieu.

25.07.2024 à 15:43

Le spectacle est tout simplement déplorable

dev

Texte intégral (762 mots)

Le spectacle est tout simplement déplorable. Après nous avoir fait croire que la politique vous intéressait, c'est-à-dire que les humains vous intéressaient, vous, politiciennes et politiciens de gauche, vous nous montrez votre vrai visage, presque aussi laid que celui des politiciens de droite.

Comment ne voyez-vous pas que n'importe qui – n'importe qui – serait un meilleur premier ministre que Gabriel Attal, Élisabeth Borne, Jean Castex, Édouard Philippe, Manuel Vals ou Bertrand Cazeneuve ? Le moindre être humain qui croit que l'homme est bon, que les autres importent plus que soi, que les vies se valent, que toutes sont importantes ; le moindre être humain qui croit encore que le futur existe, qu'il doit être meilleur que le présent, fera l'affaire. Pensez à la maîtresse de maternelle de vos enfants, à votre prof de français au lycée, à votre médecin généraliste, à tous ces gens qui ne sont surtout pas des politiciens professionnels. Lequel d'entre eux, si on lui demandait de sacrifier quelques années de sa vie au bien général, ne ferait-il pas un meilleur politicien que vous tous qui ne faites que ça depuis toujours, qui ne pensez qu'en termes de personne, qui, au fond, à part trois jours dans vos misérables vies, quand vous créez le NFP par exemple, ne servez que des intérêts personnels (les vôtres ou ceux de vos chefs) ?

Bien sûr, me direz-vous, il y a quelques exceptions. Il y a sans doute, parmi vous, quelques politiciens qui croient encore que la politique professionnelle peut servir à quelque chose. Pourtant, tous, toujours, vous semblez ignorer cette chose si simple : il est plus honorable de perdre que de gagner. Plus honorable et, dans certains cas, plus profitable. Dans cette séquence politique grotesque qui a lieu depuis quelques jours, n'est-il pas cruellement évident que ce n'est pas celui qui remportera la victoire dérisoire d'avoir choisi le nom du futur premier ministre qui gagnera quoi que ce soit, mais, au contraire, celui qui, le premier, dira qu'il vaut mieux accepter la proposition du camp adverse que de rester bloqués ?

Quand on regarde le spectacle auquel vous vous livrez, sincèrement, on se dit que le tirage au sort avait du bon.

Vos facultés à penser sont si clairement limitées par votre voracité de pouvoir qu'il faut sans doute vous rappeler cette autre chose si évidente : pour beaucoup de gens qui votent pour vous, qui vous soutiennent, la politique a encore un sens. C'est-à-dire que personne n'en a rien à foutre que ce soit truc ou machin qui applique un programme : c'est que le programme soit juste et qu'il soit appliqué, que les promesses soient tenues, que les richesses soient mieux reparties, et que le peu qu'il reste de démocratie serve à quelque chose, qui est important pour nous.

À quoi rêvez-vous après vos journées de négociation stériles ? À quoi pensez-vous après avoir écrit vos insultes stupides sur votre compte Twitter ? À quoi croyez-vous réellement que servent vos dénigrations ? N'avez-vous pas encore compris que le mépris est un sentiment qui atteint forcément autant celui qui en est l'objet que celui qui en est le sujet, qu'il salit à égalité celui qui l'éprouve et celui qui le provoque ?

Ayez pitié. S'il vous plaît, ayez pitié de nous, pauvres électeurs qui nous sommes forcés à croire que quelque chose peut se passer. Ayez pitié de nous tous qui, après des décennies de déceptions, avons eu encore la force de nous dire « Oui, on va y arriver ! » Ayez pitié de nous, gens de gauche, gens de la gauche de la gauche qui considérons souvent que, de LFI aux socialistes, vous êtes tous de droite du simple fait que la politique est pour vous une profession. Ayez pitié de nous tous qui pensons depuis si longtemps que vous ne servez à rien, que jamais vous n'arriverez à quoi que ce soit, et qui pourtant avons voté pour vous, car nous préférons nous tromper et nous retrouver, ridicules mais debout, lorsque vous nous aurez montré que nous avions tort.

Ayez pitié – et faites enfin quelque chose.

Santiago Amigorena
Photo : Bernard Chevalier

25.07.2024 à 15:34

Une communauté indigène, « village magique » de Oaxaca, exige la fermeture d'exploitations minières

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Au cœur de la Sierra Norte de Oaxaca, la communauté de Capulálpam de Méndez, un village zapotèque, s'est prononcée contre l'exploitation minière qui a dévasté son environnement et sa santé. Les autorités agraires et communales ont exigé du gouvernement fédéral et de l'État la fermeture définitive de la mine La Natividad, considérant que l'extraction des minerais a causé des dégâts irréversibles depuis 2003. Le collectif « Flor de la palabra », commission de traduction francophone du Voyage (…)

- été 2024 / , ,
Texte intégral (1133 mots)

Au cœur de la Sierra Norte de Oaxaca, la communauté de Capulálpam de Méndez, un village zapotèque, s'est prononcée contre l'exploitation minière qui a dévasté son environnement et sa santé. Les autorités agraires et communales ont exigé du gouvernement fédéral et de l'État la fermeture définitive de la mine La Natividad, considérant que l'extraction des minerais a causé des dégâts irréversibles depuis 2003. Le collectif « Flor de la palabra », commission de traduction francophone du Voyage pour la vie, nous a transmis cette dernière production du podcast Cabina Clandestina.

Le 1er juin, les habitants de Capulálpam ont intercepté un camion de l'entreprise minière La Natividad, chargé de minerais. Cette action était un acte de protestation contre une activité qui, selon les dénonciations des habitants, a entraîné l'assèchement de 13 nappes phréatiques et a contaminé d'autres sources d'eau vitales pour la communauté. En signe de détermination, ils ont aussi bloqué la route fédérale menant à San Juan Bautista Tuxtepec, ce qui a entraîné la suspension des élections présidentielles dans la ville le lendemain.

La communauté a déposé des plaintes auprès du tribunal fédéral de protection de l'environnement (Profepa) et du ministère de l'environnement et des ressources naturelles (Semarnat). Cependant ses demandes sont restées en grande partie sans réponse. « Les lois en matière de protection de l'environnement et des droits de notre communauté n'ont pas été appliquées », déplore le responsable des biens communaux.

Le 3 octobre 2019, ils se sont adressés directement à Victor Manuel Toledo, titulaire responsable de la Semarnat cette année-là, lui demandant une entrevue directe pour l'informer « de l'impact environnemental sévère et chronique causé par l'extraction des minerais sur notre communauté ainsi que sur plus de 25 communautés de la Sierra Juárez de Oxaca ». L'impact environnemental sur les territoires de propriété communale et les écosystèmes de la montagne est et a été grave historiquement. Il est le fait de la Compagnie Minière la Natividad y Anexas, de Continuum Resources LTD et autres entreprises associées.

Encore un sexénat d'indifférence

Les courriers, demandes et appels successifs adressés aux différentes instances du gouvernement fédéral n'ont servi à rien, dont l'une d'entre elles où la présence de fonctionnaires originaires de Oaxaca est prédominante, comme l'Institut national des peuples indigènes (INPI) qui est resté indifférent à l'exigence de mesures administratives et interinstitutionnelles pour freiner l'exploitation minière dans la Sierra Norte et l'État de Oaxaca. Même le ton de ces documents a changé au fur et à mesure que l'administration fédérale, qui prendra fin en septembre 2024, avançait.

En août 2020, un document de la communauté indique que « le mécontentement et la colère règnent dans la communauté car depuis de nombreuses années, il n'y a pas de changement, ça n'avance pas dans le sens de solutions concrètes », « étant donné qu'il n'y a aucune nouvelle information à donner à la communauté, car les représentants de la Semarnat qui viennent n'ont pas de pouvoir de décision ». À l'époque, Mayolo Hernández Hernández, qui s'était présenté comme coordinateur des accords du ministère et représentant de la Sermarnat, avait promis de donner suite à l'affaire. Mais les mois ont passé, Victor Manuel Toledo a quitté la Semarnat et, comme on peut le constater aujourd'hui, tout en est resté à l'état de promesses.

Pendant le mandat de María Luisa Albores González, les demandes de la communauté se sont poursuivies. En septembre 2022, par le biais d'une lettre officielle, la communauté a demandé des informations concernant les avancées qui auraient pu être réalisées à la date par l'organisme en vue de la fermeture de la mine. Elle a aussi demandé que, dans le cadre de ses attributions, il n'approuve pas de résolutions environnementales en faveur de la mine. Un nouvel envoyé de la Semarnat, Daniel Quezada Daniel, a été en contact avec la communauté pour donner suite à cette affaire. Mais une nouvelle fois, tout en est resté au stade des promesses. C'est ainsi qu'en 2024 est arrivé le moment où la communauté a décidé de bloquer un camion de l'entreprise et de barrer la route.

L'indignation de la communauté s'est intensifiée encore plus après l'incendie de forêt criminel du 5 juin qui a causé des dommages irréversibles. Grâce au soutien intercommunutaire et à l'intervention rapide des villages voisins comme Ixtlán de Juárez, Santa María Yahuiche, San Miguel del Río et Guelatao de Juárez, l'incendie a pu être maîtrisé. Les autorités communautaires ont salué la solidarité et la fraternité qui se sont manifestées dans cette tragédie. Elles ont aussi remercié les organisations, les habitants et les médias qui ont apporté leur soutien en fournissant de la nourriture, de l'eau, des médicaments et en assurant une couverture responsable des faits.

L'incendie a laissé une marque indélébile dans la communauté non seulement en raison des dommages matériels mais aussi en raison de la réaffirmation de l'unité entre les villages de la région. « Cette tragédie nous a permis de mettre en évidence les liens fraternels entre nos communautés qui ont réagi rapidement pour éteindre l'incendie, et cela nous a fortifiés », ont reconnu les autorités de Capulálpam. Malgré la rapidité de l'intervention, les dégâts ont été qualifiés d'« extrêmement importants et irréversibles ».

Tel est le résumé de l'indignation face à un nouveau mandat de six ans qui s'achève, alors que le saccage minier se poursuit dans l'État de Oaxaca.

Productions Cabina Clandestina.
Traduction : collectif « Flor de la palabra », Commission de traduction francophone du Voyage pour la vie.

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