La Compagnie « Pourquoi se lever le matin ! » s’est donné pour but d’apporter le point de vue du travail, exprimé par ceux qui le font, dans les débats qui agitent notre société : santé, alimentation, enseignement, transport, énergie…
Cette première série s’intéresse à la fabrique d’un territoire par le travail : à Saint-Nazaire, c’est toute une société qui se ramifie autour des chantiers de l’Atlantique, où se croisent et collaborent des métiers d’une infinie diversité. La Compagnie a ainsi recueilli les paroles d’ouvriers et d’artisans, de techniciens et d’ingénieurs, d’employés et de formateurs... qui livrent le récit de leur expérience de la vie sociale autour des chantiers navals.
Nonfiction partage aujourd’hui le point de vue d’Emmanuel, responsable de la sécurité à bord, des navires en construction, ainsi que celui d’Aurélie, guide de tourisme industriel, et celui de Damien, responsable syndical. Au-delà de leur fascination pour ces chantiers navals, ils partagent ici leurs interrogations et la vision qu’ils ont du travail dans ce territoire.
L’intégralité des récits sur ce thème sont à découvrir sur le site de la Compagnie Pourquoi se lever le matin, dans la rubrique « Travail & territoire » .
Voyage au cœur d’un navire en construction ( Emmanuel, responsable sécurité à bord )
Un navire en construction, c’est un univers de bruits, d’odeurs et de silences. Il y a les odeurs liées à la peinture ou à l'activité de soudage qui va générer des fumées contre lesquelles il faut se protéger. Des odeurs de brûlé aussi parce que quelquefois il y a des incendies qui sont vite et heureusement circonscrits. Et aussi des odeurs liées aux activités humaines, un vrai parfum ! Il a beau y avoir des toilettes, le comportement humain ne s’est pas pour autant amélioré de la même façon. Et puis, lors des essais en mer, la merveilleuse odeur provenant des cuisines car, non seulement il faut les tester elles aussi, mais également nourrir plusieurs jours tout le personnel à bord.
Le bruit discret mais permanent des ventilations ou celui, assourdissant des premiers essais moteurs. Et puis les silences qui sont comme un signe de l’avancement des travaux. Lorsqu’une pièce est finie côté travaux et acceptée côté armateur, on dit qu’elle est « vendue ». Ainsi, le théâtre, une fois que tous les tests sont achevés et les accès fermés, devient un temple de silence. Il est « vendu » !
[ La salle de théâtre du dernier paquebot. Photographie personnelle. ]
J’ai été durant six années responsable sécurité à bord des navires en construction aux Chantiers de l’Atlantique. Je devais organiser et veiller à la prévention des risques pour toutes les personnes qui travaillent à bord, tant les salariés des Chantiers que les autres intervenants. Les peintres dans leurs nacelles ou sur leurs échelles, les mécaniciens en fond de cale, les soudeurs, les poseurs de rambardes de sécurité, les menuisiers et carreleurs, des métiers qui sont très proches de ceux du bâtiment. Cela représente entre 1000 à 2500 personnes selon les moments de la construction et dure deux ans environ, de la conception à l’achèvement des travaux. Ce sont tous ces métiers qui aboutissent à la construction du navire durant cette période. […]
Pour tenir cette fonction, j’ai une pratique qui consiste à aller à la rencontre des personnes sur leur lieu de travail. Ce sont elles qui vous apprennent leurs pratiques et leurs difficultés et non l’inverse. Je parcourais l'ensemble du navire, 300 mètres de long et plus de 20 ponts. Soit environ 12 km par jour. Ça vous maintient en forme physique. Circuler dans tous les locaux, monter, descendre, pour voir les gens là où ils sont en activité. C’est un déplacement permanent, à tous les niveaux de l'ouvrage, qui occupait plus de la moitié de mon temps de travail ; avec des moments très attendus et appréciés, comme le jour où on met les ascenseurs en service. Et puis, de temps en temps, quand il fallait descendre dans les fonds de cale, j’avais comme une sensation d’enfermement. J’étais dans ce que seront demain les cuves des eaux usées. La forme du navire étant un peu ovale, plus on descend, plus cela devient étroit. Et tout cela avec une simple lampe frontale et quelques appareils d’éclairage au sol. […]
[ Le pont supérieur d’un paquebot en finition. Photographie personnelle .]
La sécurité est aussi gravée dans l’histoire des Chantiers. Il y a eu des accidents graves, mortels, qui ont marqué les esprits Le droit de retrait fait partie de la prévention des risques. Il est autorisé pour tous, quel que soit le positionnement hiérarchique. Un ouvrier dans un atelier qui constate quelque chose qui ne va pas en termes de sécurité à tout à fait le droit de dire : « Stop, je n’y vais pas tant que ce n’est pas clair ». On peut même considérer que non seulement c’est un droit, mais également un devoir. En tout cas, j’ai toujours disposé des moyens pour mener cette politique de prévention des risques. Je suis persuadé qu’il y a toujours une réponse possible. Mais face à un danger grave, voire mortel, il n’y a pas à transiger.
Si la notion de risque doit être surveillée comme le lait sur le feu, il y a comme dans toute activité, des moments heureux et des moments tragiques. Un samedi matin j’arrive à six heures, l’heure de l’embauche. Je vois un ouvrier prenant son café. Je m’approche et je constate qu’il fait un malaise. J’appelle les gardiens. Ils ont les premiers gestes de secours. Ensuite nous avons déroulé toute la procédure puisque cette personne-là était en train de faire un arrêt cardiaque. Et je me dis « et si c’était arrivé à bord, qui l’aurait retrouvé, quand ? » Voilà, c'était un matin à l’heure de l'embauche.
Et des moments heureux comme ceux que j’ai passés avec une équipe d’opérateurs électriciens espagnols. Ils devaient tirer des câbles à la main ce qui est très fatigant. On a mis en place un petit moteur électrique qui permettait de faciliter le travail. Je me souviens également d’une équipe de peintres grecs. J’étais allé les voir de nuit dans le bas du navire pour vérifier avec eux leurs conditions de travail. Je suis retourné les voir plusieurs fois. Chaque fois ils me faisaient comprendre qu’ils étaient heureux de me revoir, de sentir qu’on s’occupait d’eux. Nous ne parlions pas la même langue, mais leurs sourires quand ils levaient le pouce étaient le signe que nous nous étions compris.
« Je cherche à ce que la fascination que j’éprouve pour ce territoire industrialo-portuaire embarque les visiteurs » ( Aurélie, guide à « Saint-Nazaire Renversante » )
Les deux choses que je trouve fascinantes et que j’aimerais vraiment transmettre quand je fais visiter les Chantiers de l’Atlantique, c’est d’abord le rapport d’échelle entre l’objet monumental qu’est un paquebot et la main humaine de celui qui le construit ; puis tout le travail de planification que demande la fabrication de tels navires. J’aime conduire les visiteurs au pied de ces choses colossales et uniques pour qu’ils les voient en train de se faire.
La première partie de la visite des Chantiers se passe dans un autocar qui emmène les passagers, entre le port et l’estuaire de la Loire, à travers les 120 hectares de l’entreprise. Ils aperçoivent à travers les vitres les différents ateliers. Ils longent les espaces où sont entreposés à ciel ouvert les morceaux de puzzles en acier destinés à être assemblés en « panneaux » puis en « blocs » qui sont autant de parties plus ou moins complètes des futurs bateaux.
[ Dans la coursive de la cale de montage. Photopgraphie Farid Makhlouf .]
Puis les visiteurs sont bientôt invités à mettre pied à terre pour entrer à l’intérieur de la forme de montage. Là, ils pénètrent dans la coursive technique qui surplombe la cale en béton de 900 m de long et de 60 mètres de large, constituée, en fait, de deux parties alignées bout à bout, sur deux niveaux différents. On peut y voir deux paquebots prendre forme l’un derrière l’autre. Ici, tout est gigantesque. Et, directement immergés dans cet espace hors de proportion, les visiteurs peuvent éprouver concrètement ce rapport entre leur propre taille et l’immense masse qui se dresse devant eux et s’impose soudain à leur regard. Je vois les doigts qui se tendent, les gens qui se parlent, les expressions totalement subjuguées par le navire dont l’assemblage est le plus avancé. Alors, je prends le temps de donner tranquillement toutes les explications. Les regards se posent sur chaque partie de la coque et des ponts, chaque élément de la cale. C’est alors que les visiteurs aperçoivent des travailleurs et des travailleuses derrière un hublot, sur une passerelle, dans l’encadrement d’une porte, qui s’affairent à l’intérieur des structures pharaoniques. Ils se rendent compte que ce ne sont pas des robots qui ont conçu tout cela et qui le construisent, ce sont réellement des équipes d’hommes et de femmes. C’est l’addition des gestes de travailleurs qui ont chacun leur tâche. C’est le coup de lime de l’ajusteur que l’on voit œuvrer sur sa pièce à l’intérieur du bateau colossal près duquel nous nous sentons nous-mêmes minuscules. Cette prise de conscience de la part des visiteurs a quelque chose qui relève de l’émotion.
Dominant la cale, deux immenses portiques rouges et blancs culminent à un peu plus de cent mètres de hauteur avec tous leurs apparaux de levage. Ces engins sont capables de soulever des blocs de plus de 1000 tonnes, qui s’ajustent ensuite à la manière d’un lego. On voit ces portiques de loin quand on approche de Saint-Nazaire. Que l’on vienne du Sud-Loire, de Nantes ou de la Baule par la « Route bleue », ils écrasent tout.
[ Le « très grand portique » des Chantiers de l’Atlantique domine la ville de Saint-Nazaire. Photographie personnelle .]
Comme les paquebots en construction dont on aperçoit les silhouettes au-dessus des maisons de la ville, ce sont des signaux dans le paysage. Les Chantiers de l’Atlantique parlent ainsi à beaucoup de monde ! Enfin, ce qu’on ne voit pas et que l’on pressent, c’est le travail d’anticipation qui a précédé. Il y a des ingénieurs et des techniciens qui ont tout planifié deux ou trois années en amont. Ils ont prévu qu’à tel moment, pour construire telle chose, il faudrait faire intervenir telle entreprise qui serait en coactivité avec telle et telle autre. Ils ont coordonné, dans l’espace et dans le temps, 5.000 à 8.000 personnes qui appartiennent à toutes sortes de corps de métier différents, avec un impératif de réussite collective, de sécurité et de qualité maximale. […]
Le site industriel des Chantiers de l’Atlantique n’est pas le seul que je fais visiter dans la région de Saint-Nazaire. Outre Airbus Atlantic, à Montoir-de-Bretagne, il y a aussi les terminaux portuaires « aval » du Grand port maritime Nantes-Saint-Nazaire, qui s’étendent sur les communes de Saint-Nazaire, Montoir-de-Bretagne et Donges. Je fais découvrir ce complexe portuaire au long d’une visite en très grande proximité. Les visiteurs peuvent alors presque toucher du doigt ce qui se joue au milieu de ce paysage de grues, de portiques et d’installations enchevêtrées que l’on ne fait que deviner depuis la voie express. […]
Pour conduire une visite, je ne me contente pas de délivrer des informations, je veux donner à réfléchir et, pour cela, il me faut capter l’attention des visiteurs et établir un contact. C’est un travail incompatible avec la routine. […] En définitive, la clef d’un bon guidage, c’est mon propre intérêt pour le site… Je cherche à ce que la fascination que j’éprouve pour tout ce territoire industrialo-portuaire, ma sincérité, mon plaisir d’être là, embarquent les visiteurs dans ce que je n’hésite pas à considérer comme une véritable passion.
Faire du lien ( Damien, responsable syndical )
Quand je circule à vélo dans les rues de la ville de Saint-Nazaire, j’aperçois souvent, en fond de paysage, au-dessus des toits, un inhabituel immeuble à balcons. C’est un paquebot en phase de finition, amarré dans un bassin du port. Au bout de quelques semaines, il disparaît. Puis un autre apparaît à un autre endroit, près d’un autre quai. On ne peut pas les rater. Leurs structures en acier dominent la ville. Saint-Nazaire est indissociable de cette image liée à la construction navale.
À côté de mon travail de cheminot que j’exerce à mi-temps, mes activités de responsable syndical m’amènent à être souvent en contact avec les travailleurs des Chantiers de l’Atlantique. Mais je rencontre aussi ceux qui appartiennent à d’autres pans du territoire nazairien marqués par l’industrie, la métallurgie, le service public. Située sur les bords de Loire, en amont, près de Donges, la raffinerie constitue également un point de repère assez visible au-delà des cuves du terminal méthanier. Et, depuis le toit de la base sous-marine ou depuis le sommet du pont, on arrive même à apercevoir, au loin, la centrale électrique de Cordemais.
[ Le paquebot Queen Mary 2 en construction à Saint-Nazaire. CC Wikimedia / Fabrice Pluchet .]
Aux alentours du port, les stigmates des entreprises des années de l’après-guerre s’effacent peu à peu. Ces friches industrielles ont été récupérées par la ville pour réaliser des aménagements urbains ou ont été reconquises notamment par les chantiers navals. Il reste encore moins de vestiges d’avant-guerre puisque la ville a été détruite par les bombardements. On peut encore voir l’usine élévatoire, construite au début du XXe siècle pour maintenir les bassins du port à flot, et les forges de Trignac qui datent des débuts de la construction navale. Il y avait, à cette époque, des échanges maritimes avec le Pays de Galles pour la houille et les poteaux de mine et avec l’Espagne pour le minerai de fer. Et de grandes grèves se développaient déjà. Saint-Nazaire servait alors de point d’ancrage sur l’ensemble de la région. Beaucoup de familles venaient s’installer autour des forges et des chantiers navals. La majorité des ouvriers habitait alors la Brière. D’autres venaient du Sud, d’Italie, de Pologne ou encore de Bretagne et de Vendée.
En fait, l’identité nazairienne s’est construite autour du sentiment d’appartenir à un univers commun : celui de l’industrie et de la classe ouvrière plus qu’autour du lieu d’origine de chacun. Ce sentiment d’appartenance a culminé avec les grandes grèves de 1956 dont tous les anciens se souviennent. Il y avait eu des échauffourées, des charges des CRS, un ouvrier s’était retrouvé écrasé sous le portail des chantiers. À ce moment-là, toute la population soutenait les ouvriers. Les familles apportaient de la nourriture ou un peu d’argent quand elles en avaient les moyens. Les commerçants ramenaient des fruits et des légumes pour que les grévistes puissent tenir. C’était la solidarité d’une ville entière qui se reconnaissait ouvrière. […]
Aujourd’hui, même si, avec la construction navale et aéronautique, elle occupe une place beaucoup plus importante que sur l’ensemble du territoire de la Loire-Atlantique, l’industrie n’est plus ici le secteur prédominant. […] Ainsi, l’identité nazairienne se trouve de fait moins liée au travail manuel industriel. Lors des derniers grands mouvements sociaux sur la retraite, ce sont les corporations les plus soudées comme les cheminots et les électriciens-gaziers qui ont été le plus dans le feu de la lutte. Ces travailleurs avaient encore conscience de leur appartenance à un métier voire presque à une caste. C’était un peu la même chose du côté des raffineurs et de certains services publics. En revanche, la mobilisation des salariés des chantiers navals s’est faite de manière plus dispersée. La forte proportion de sous-traitants et de travailleurs détachés a certainement amoindri le sentiment d’appartenance au collectif de travail. En effet, si la phase d’études et la réalisation des plans sont encore un peu le domaine exclusif des Chantiers, la construction des navires est assurée par un grand nombre de sous-traitants : soudeurs, tuyauteurs, chaudronniers, etc. Quand le bateau est terminé, le contrat s’arrête et les travailleurs détachés s’en vont vers une autre mission à Cadix, en Italie ou en Lituanie, là où il reste encore des chantiers navals. […] Défendre ces travailleurs n’est pas simple parce qu’il est nécessaire de maîtriser les droits de chaque pays même si les directives européennes les transposent sur le sol français. D’autre part, il faut surtout avoir connaissance des infractions. C’est pratiquement mission impossible parce que, pour un salarié étranger, dénoncer son patron équivaut à perdre son boulot. De son côté, le patron use et abuse de cette situation tout en assurant les démarches administratives et la résolution des soucis du quotidien, quitte, parfois, à contourner les règles élémentaires. […]
Mon rôle, au niveau de la CGT, est de travailler aux convergences possibles entre par exemple les secteurs de la chimie, de la construction navale et de la métallurgie. Pas facile, en outre, de trouver les intérêts communs entre ces secteurs industriels et ceux de la santé ou de l’éducation, entre un docker et quelqu’un qui travaille aux urgences. […] Dans ce bassin d’emploi complexe, il s’agit de créer du lien pour, entre autres, restaurer la dignité des travailleurs. C’est de cette manière qu’ils pourront parler de leurs propres besoins, de leurs propres revendications, qu’ils les mettront en commun et qu’ils agiront.
* Propos recueillis et mis en récit par Pierre Madiot en janvier 2022. Illustration de tête : Pont de Saint-Nazaire, Yves LC (CC Wikimedia commons).
Pour aller plus loin :
L’intégralité des récits d’ Emmanuel , Aurélie et Damien est accessible sur le site de la Compagnie « Pourquoi se lever le matin », dans le dossier « Travail & territoire » .
Le documentaire de Marcel Trillat et Hubert Knap, « Le 1 er mai à Saint-Nazaire » (1967 - 25 mn).
La Philharmonie de Paris a vibré au rythme de la Résurrection de Mahler, portée par un Orchestre de la Tonhalle de Zürich au sommet de sa forme et magistralement dirigé par Paavo Järvi. Le chef est parvenu, avec son autorité souple et son sens affûté de la dramaturgie, à déployer l’architecture monumentale de la Symphonie n° 2 sans jamais céder à l’emphase.
Dès les premières mesures, Järvi installe une tension organique, sculptant les masses sonores avec une clarté remarquable. Les contrastes mahlériens — sarcasmes dansants, élans pastoraux, déflagrations funèbres — trouvent ici une cohérence narrative rare. Chaque pupitre respire, écoute, répond : le travail d’orfèvre du chef sur les dynamiques et la texture orchestrale confère à l’ensemble une lisibilité saisissante.
L’« Urlicht », confié à Anna Lucia Richter, une mezzo au timbre lumineux, ouvre la porte à un final d’une intensité presque charnelle. Dans la montée inexorable vers la lumière, Järvi maintient une tension parfaitement maîtrisée, conduisant orchestre, chœur et solistes (la soprano Mari Eriksmoen) vers un sommet d’émotion collective. Le chœur (Zürcher Sing-Akademie), admirable de tenue, répond avec ferveur à la direction inspirée du maestro .
Au terme de cette apothéose, la salle a fait un triomphe au chef, aux instrumentistes et aux chanteurs : Paavo Järvi signe une lecture profondément humaine de Mahler, véritable célébration de l’espérance. Un concert dont on sort grandi, et peut-être un peu réconcilié avec le monde.
Gustav Mahler, Symphonie n° 2 « Résurrection »
Distribution : Tonhalle-Orchester Zürich ; Zürcher Sing-Akademie ; Paavo Järvi, direction ; Mari Eriksmoen, soprano ; Anna Lucia Richter, mezzo-soprano.
Dans son dernier livre Déshumanités numériques , Dominique Boullier, professeur des universités émérite en sociologie à Sciences Po Paris (CEE), fait le pari de proposer une analyse informée de l’actualité du numérique, sans cesse changeante et qui complique la tâche des chercheurs qui s’efforcent de le comprendre sur le temps long. Son essai s’inscrit dans la continuité de ses précédents ouvrages comme Propagations. Un nouveau paradigme pour les sciences sociales (Armand Colin, 2023), Comment sortir de l'emprise des réseaux sociaux (Le Passeur éditeur, 2020) ou encore Sociologie du numérique (Armand Colin, 2019 pour la dernière édition). Déshumanités numériques offre à la fois une critique acérée et informée des pratiques des géants du numérique et avance surtout de nombreuses propositions pour une meilleure régulation de ces derniers, via l’évolution du droit et des responsabilités des plateformes. Cette démarche constructive fait tout l’intérêt d’un livre qui ne se cantonne pas au seul registre de la dénonciation, certes légitime mais très répandu dans la production éditoriale actuelle au sujet du numérique.
Nonfiction.fr : Vous invitez à distinguer les GAFAM, en dépit de leur regroupement sous un même acronyme. Qu’est-ce qui les différencie ?
Dominique Boullier : Les distinguer oblige à prendre en compte leur généalogie et leur détachement plus ou moins grand avec la culture industrielle. Apple et Microsoft sont nées à la fin des années 1970, ont conçu des machines et des logiciels qui sont devenus le socle de l’information personnelle, des PC et des smartphones et continuent à en produire. Leur modèle économique, bien que différent, ne repose donc pas sur leurs fonctions de plateforme à l’origine, ce qu’elles sont devenues pourtant depuis (dès iTunes et plus tardivement pour Microsoft avec LinkedIn puis Copilot). Elles ne dépendent donc pas de la publicité comme le font Google et Meta, qui sont nées au début des années 2000 (en 1998 pour Google) et qui ont fait leur fortune seulement à partir du moment où elles ont pu monétiser par la publicité leur statut de plateforme bâtie à l’origine sur un moteur de recherche et sur un réseau social. C’est en 2008 avec YouTube que le tournant publicitaire est véritablement pris et qu’il va altérer radicalement le Web 2.0 coopératif des années 2000 en le faisant dériver vers un internet marchand de plateforme. Amazon avait déjà lentement construit sa plateforme marchande de son côté au point de devenir la plateforme de toute la vente en ligne.
Cette différence entre elles importe car Google et Meta sont les deux firmes entièrement dépendantes de la publicité, ce qui les rend plus fragiles vis-à-vis des effets de réputation qui sont permanents dans ces domaines mais qui les rend puissantes car elles affectent les connaissances, les opinions et les relations du public et de larges pans de la société. C’est pourquoi tous les nouveaux entrants veulent prétendre devenir plateforme, comme X depuis que Musk l’a racheté, en le connectant à toutes ses offres de service comme SpaceX et ses satellites pour en faire une infrastructure de réseau majeure (mais aussi à ses produits industriels comme Tesla, l’ordinateur sur roue comme on dit parfois). C’est aussi le cas de OpenAI qui fait feu de tout bois pour offrir toute la panoplie de services pouvant lui donner un statut de plateforme, c’est-à-dire devenir un point de passage obligé et unique pour tout utilisateur, ce que l’opération « compagnon » est en train de réussir de façon impressionnante. De ces différences naissent des leviers d’action différents en matière de régulation.
Pour autant, en quoi semblent-ils unis par un même rapport à l’Etat et à la démocratie ?
Avec des différences de rythme et d’intensité, toutes ces plateformes ont fini par adopter un catéchisme libertarien ou même par le pousser dans leur communication. Le manifeste d’indépendance du cyberespace de John Perry Barlow en 1996 en constitue la bible numérique et continue d’être appliqué : « rough consensus and running code », telle est leur devise partagée qui les affranchit de tout Etat de droit au nom d’un code qui court, d’une innovation qui ne doit être freinée par aucune régulation. Le choc culturel avec les Etats, avec le droit en général, est violent et certains nouveaux entrants comme Kalanick de Uber ou Altman de OpenAI sont prêts à tout pour organiser la disruption totale du secteur, quitte à mettre en difficulté leurs concurrents directs qui auraient pu avoir encore, en raison de leur taille et de leur réputation, des soucis de responsabilité alors qu’ils disposaient de technologies équivalentes.
Car ce que cette ère de la disruption généralisée entraine, c’est une destruction non seulement des Etats et de l’état de droit mais aussi des conventions, conçues par les industriels eux-mêmes pour organiser le marché et assurer une interopérabilité, des standards, des garanties de sécurité pour le client et pour les autres opérateurs. Désormais, même la culture du test avant mise sur le marché disparait face à l’impératif d’être le premier sur le marché. On le voit avec OpenAI qui a démoli en un mois tous les principes éducatifs installés depuis des dizaines d’années dans les institutions d’enseignement sans anticiper les conséquences de sa mise à disposition gratuite auprès de tous les étudiants, utiles parfois mais néfastes lorsque ChatGPT se transforme en CheatGPT. On le voit aussi avec X et son IA Grok, soumis à un programme politique et algorithmique relativiste qui se permet récemment un négationnisme sans complexe dans ses réponses. J’appelle ces deux entreprises d’IA, des « IA voyous » et nous devrions avoir le même comportement avec ces firmes qu’avec les Etats voyous, c’est-à-dire une mise au ban du droit international et une interdiction d’exercer dans un pays donné tant qu’elles ne reviennent pas dans le droit commun.
Certes, les menaces ne sont pas de même nature avec les autres plateformes plus anciennes, qui veulent préserver leur crédibilité et leur attractivité pour les investisseurs mais toutes ces plateformes n’ont que faire des impératifs de la démocratie tant elles sont soumises à leurs objectifs de profitabilité pour leurs actionnaires, au point de traiter les Etats eux-mêmes comme des vassaux, de leur faire la guerre commerciale comme ce fut le cas avec l’Australie et le Canada à propos des droits des médias sur leurs contenus. Cette toute-puissance leur permet d’abandonner même tout impératif sérieux de modération et de laisser les Etats se débrouiller avec les conséquences de leurs actions irresponsables. Sans pour autant s’empêcher d’orienter leurs stratégies d’investissement technologique comme dans le cas de l’IA générative, si consommatrice de ressources. Or, toute cette énergie des IA génératives va servir avant tout à amplifier l’addiction du public à des compagnons omniprésents, à diffuser des connaissances non fiables et à inonder les cerveaux de deep fake désormais si aisés à fabriquer par tout le monde, grâce notamment à Sora là encore mis à disposition du public par OpenAI sans aucun garde-fou. Les démocraties reposent largement sur un dispositif complexe de maintenance d’un régime de vérité fondé sur le contradictoire encadré par une procédure et des collectifs de référence. Or, le droit, la science et les médias qui effectuent cette maintenance de la vérité sont discrédités, disqualifiés face à la réactivité, à l’immédiateté et à la prolifération virale de contenus toujours moins fiables.
Quels sont les défauts de l’IA majoritairement développée actuellement ?
L’IA générative fondée sur des LLM n’est qu’une des voies possibles de l’IA mais elle est actuellement amplifiée pour des raisons de spéculation financière alors que ses limites et ses défauts sont très bien connus. Ce système d’IA est avant tout opaque, ce qui veut dire incontrôlable, même pour ceux qui l’ont conçu, ce qui nous fait quitter totalement le monde industriel et ses impératifs de fiabilité. C’est pourquoi les IA génératives et conversationnelles, qui hallucinent by-design, gagnent si peu de place dans les entreprises à process industriel ou à décisions critiques : dans la communication, dans l’interaction avec le grand public, cette fiabilité n’est pas indispensable, pense-t-on (à tort car les effets sur les connaissances et sur la perception du vrai et du faux seront très graves).
Ensuite, ces LLM opèrent par brute force, ce qui est le degré zéro de l’innovation et de l’optimisation. Cela les conduit à augmenter sans cesse le nombre de paramètres pour tenter de réduire leurs erreurs de prédiction permanentes. Et donc à extraire toujours plus de ressources naturelles pour leurs data centers, à piller encore plus de données et de contenus, quitte même à injecter des contenus synthétiques, c’est-à-dire produits déjà par des IA, provoquant ainsi ce qu’on appelle un model collapse , un effet auto-référentiel où le système s’auto-intoxique et perd toute pertinence dans le monde.
Car c’est le problème clé : les ingénieurs des IA génératives et des LLM prétendent se passer d’un modèle du monde comme on le faisait avec les ontologies dans les IA symboliques et les systèmes experts. De ce fait, ils manipulent des données langagières sans aucune théorie du langage, sans référence ni ancrage dans le monde (réel) pour réduire tout cela à une vectorisation dans un espace latent incontrôlable et asémantique (le modèle ne sait rien du monde et ignore ce que peut être le sens, ce qui pour des systèmes fondés sur du matériel linguistique est quand même problématique). Tout cela devient encore plus critique quand on prétend en faire des agents, et l’introduction de modèles du contexte ( Model Context Protocols , MCP) ne résout rien sur ce plan si ce n’est de standardiser la diversité des API.
En quoi diffère-t-elle de l’IA alternative plus vertueuse et reposant sur intelligence collective que vous appelez de vos vœux ?
Il n’est pas nécessaire de repartir à zéro pour concevoir des alternatives et il est essentiel du point de vue des politiques publiques et des investisseurs avisés de préserver le pluralisme des solutions car d’autres possibles existent et sont annoncés. L’IA symbolique constitue déjà un acquis important, puisqu’on sait intégrer de la connaissance des experts dans la boucle et apprendre de leurs retours. Tout système d’IA qui prétend automatiser et pire encore « sans supervision », mènera à des catastrophes s’il n’est pas encastré dans ce que j’appelle un « design organisationnel » qui permet de définir (et parfois de réviser) les procédures mêmes de toute organisation, les rôles, les autorisations, les accès, etc. Sur cette base, on peut renforcer avant tout l’intelligence collective pour que l’apprenant soit avant tout la personne (au sein d’un collectif). On peut très bien insérer ces briques d’IA reconfigurées dans une activité collective en s’appuyant sur les savoirs et savoir-faire construits pendant des années par ces personnes. On peut ainsi les valoriser, les mutualiser et en faire la base d’une expertise hybride, mieux située, qui connait le monde et surtout qui reste sous contrôle car elle sera explicite et Open Source.
L’IA symbolique si ancienne a déjà beaucoup évolué depuis les systèmes experts car on peut la rendre apprenante de façon robuste et raisonnante de façon explicable, point essentiel pour toute IA décisionnelle. Certains considèrent que ça n’a guère d’importance pour une IA conversationnelle, qu’on range presque dans les catégories de l’ entertainment , comme les compagnons qui vont capter toute notre attention à tout sujet. On le disait aussi des réseaux sociaux qu’on a refusé de réguler tant ils étaient marginaux et ludiques jusqu’au jour où ils ont commencé à être exploités pour encourager à se suicider ou pour changer les comportements électoraux. Et ces réseaux sociaux sont désormais tous équipés d’IA générative, c’est dire le risque.
La supposée assistance promise par ces IA génératives engendre des habitudes qui font de nous des assistés, des incompétents, parfois dans notre propre domaine, alors qu’on fait croire qu’il ne s’agit que d’automatiser toutes les tâches pénibles ou répétitives. On oublie de dire toute la valeur ajoutée de ces tâches et tout ce que l’on en apprend et surtout leur nécessaire mobilisation en cas de panne ou de corrections des erreurs si nombreuses des systèmes d’IA générative. Ce qui est certain, c’est qu’une fois la délégation aux machines enclenchée, nous perdons progressivement nos compétences, comme on le voit pour l’usage du GPS. C’est ce que j’appelle les « déshumanités numériques » où nos compétences humaines dégénèrent petit à petit. On doit au contraire réorganiser tout notre schéma d’intelligence artificielle au service des apprentissages humains, pour éviter ce que Soshana Zuboff appelait la « division of learning » entre ces firmes et leurs systèmes qui apprennent sans cesse, alors que nous perdons notre autonomie.
Face aux attaques des géants du numérique contre les fondements de nos sociétés et démocraties, notamment à cause de l’architecture virale de leurs réseaux, vous proposez une régulation fondée sur la décélération de la propagation. Quelle forme cette régulation devrait-elle prendre ?
Il s’agit bien en effet d’une question de design d’architecture, de code, et non de bonnes pratiques ou de « due diligence » appelant à la bonne volonté. Tout cela est encore trop présent, naïvement ou délibérément, dans les régulations européennes avec les limites que l’on connait désormais. On se focalise sur les émetteurs, les méchants hackers au service de puissances étrangères, on se focalise sur les contenus qui sont trompeurs, qui faussent les débats et l’éducation, on se focalise sur les usagers qui se laissent avoir, qui aiment ça et qui doivent donc être éduqués. Toutes choses qui sont sans aucun doute nécessaires.
Mais on oublie ainsi que les algorithmes de toutes ces plateformes ont été délibérément orientés pour favoriser la réactivité, qu’on appelle l’engagement et cela pour des raisons publicitaires puisque les marques sont ainsi ravies de pouvoir afficher des scores de réputation pour leurs investisseurs. L’utilité sociale de cette réactivité est en fait extrêmement réduite (dans des cas d’urgence d’action collective). La plupart du temps, elle se transforme en viralité quasi automatisée, tant les robots et les faux comptes sont nombreux. Ce qui détruit toutes les conditions du débat public car ce sont des contenus conçus pour faire réagir immédiatement (par un like ou un partage) qui sont poussés par les algorithmes et non ceux qui font réfléchir. Or, le débat public demande du temps, de l’argumentation, des données fiables et de la vérification. Et cela dans notre vie quotidienne aussi, si nous ne voulons pas être nous-mêmes réduit à l’état d’automates ou de zombies.
Pour décélérer, les bonnes intentions ne suffisent pas, il faut attaquer le modèle publicitaire au cœur et notamment en taxant toutes les enchères pour prélever ainsi des revenus pour l’Etat. Mais il faut toucher aussi le mécanisme de viralité en freinant notre propre réactivité d’utilisateur. Pour cela, les plateformes qui veulent opérer en France doivent se voir imposer un cahier des charges, qui contiendra un dispositif de ralentissement à installer obligatoirement sur leurs interfaces. Ce serait un tableau de bord, comportant un compteur affiché en permanence au bas de chaque application et indiquant le temps passé sur le service (qui est actuellement disponible au fond du système), le type de réactions produites (likes, post, republication/ partage, commentaires), leur fréquence pour 24h et les délais de réaction.
Chaque 24h, le compteur est remis à jour mais cet indicateur permet à chacun de s’autoréguler en plaçant un seuil d’alerte pour éviter d’inonder ses amis, le système et son propre cerveau de réactions abusives. On peut ensuite passer à un seuil fixé par un groupe auquel on appartient qui ne souhaite pas être intoxiqué par cette emprise de la réactivité, puis à un seuil fixé par le service lui-même dans ses CGU (donc explicite à l’inscription ou adapté selon les situations) et enfin à un seuil fixé par les autorités en situation de crise par exemple. Ce qui évite de couper le réseau tout en exigeant un ralentissement de la réactivité, sans pour autant restreindre la liberté d’expression. En effet, ce qui n’a pu être dit la veille pourra l’être le lendemain à condition de ne pas épuiser ses droits avec des réactions à des contenus sans importance. L’utilisateur apprend ainsi à faire ce que les gatekeepers que sont les médias, faisaient auparavant pour lui, hiérarchiser l’info, fixer des priorités. Et cela affecte aussi bien les « bonnes informations » que les « mauvaises » car c’est la viralité qui est la cible de ce ralentissement, par ses effets destructeurs des conditions du débat public mais aussi par les dégâts qu’elle occasionne dans les capacités attentionnelles individuelles. C’est bien dans le code des interfaces et au niveau des signaux attentionnels les plus élémentaires qu’il faut inscrire ces mécanismes de ralentissement essentiels.
Vous proposez également de considérer certaines plateformes comme des médias. Quel serait l’intérêt ?
Dans la mesure où il apparait désormais clairement depuis quelques années que les plateformes de réseaux sociaux appliquent une politique éditoriale en choisissant les comptes qu’elles veulent maintenir, supprimer ou pousser, et en interdisant de fait certains contenus ou en en poussant d’autres à travers leurs algorithmes (et X a été le plus loin sur ce plan), il faut accepter cet état de fait et non continuer à exiger une neutralité dépassée, trompeuse et inefficace contre les contenus délétères. C’est la section 230 du Decency Act US de 1996 qui octroyait aux fournisseurs d’accès internet un statut nouveau, celui d’hébergeurs, qui les sortait du droit commun des médias et leur évitait toute responsabilité éditoriale. Or, si leur mauvaise volonté actuelle en matière de modération n’entraine aucune sanction véritable pour l’instant, c’est qu’elles peuvent se réfugier derrière cette absence de responsabilité instituée légalement dans les pays européens aussi.
Pour espérer que ces plateformes assument leur responsabilité, il n’existe guère d’autres solutions que de les ramener dans le cadre légal de tous les autres médias. Il faut noter que ces plateformes vivent largement des contenus des autres médias, qui sont, eux, contrôlés et peuvent prétendre à la crédibilité. Il ne serait que justice de leur appliquer les mêmes règles et de les contraindre ainsi à exercer une modération a priori comme les médias traditionnels le font, jusque sur leur courrier des lecteurs.
Certes, cela pourrait gêner ceux qui utilisent ces plateformes pour déverser leurs pulsions souvent illégales et ainsi intoxiquer tout le débat public et certes aussi, cela permettait à ces réseaux sociaux d’afficher une orientation éditoriale restrictive. Mais c’est déjà le cas et surtout cela ne menacerait en rien la liberté d’expression dès lors qu’il existerait comme pour les médias classiques un pluralisme des offres de réseaux sociaux, ce que les pouvoirs publics seraient avisés de soutenir dès maintenant car il en existe de nombreux. Toutes les tentatives de « patch » toujours très compliquées pour obtenir une véritable modération ont échoué, seule une véritable responsabilité légale d’éditeur s’imposant aux dirigeants eux-mêmes permettrait de récupérer un espace public vivable et coopératif qui nous manque tant.