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02.11.2025 à 18:00

Don Giovanni à l’Athénée : Mozart au cœur du théâtre

Au Théâtre de l’Athénée, Don Giovanni s’impose dans une version aussi audacieuse qu’épurée, portée par Julien Chauvin et Le Concert de la Loge. En plaçant l’orchestre sur scène, la production conçue par Jean-Yves Ruf renverse la hiérarchie traditionnelle entre fosse et plateau : la musique devient un protagoniste à part entière, au même titre que les chanteurs. Ce dialogue permanent entre instruments et voix confère à l’œuvre une intensité dramatique rare. Dès l’ouverture, la direction nerveuse et précise de Chauvin capte l’attention. Le timbre éclatant des cordes, la vivacité des vents, la pulsation dramatique du continuo soutiennent un théâtre musical d’une grande clarté. Sans surcharge orchestrale, tout respire souplesse et liberté — un Mozart vif, articulé, profondément humain. La mise en scène, volontairement dépouillée, s’appuie sur une scénographie minimaliste signée Laure Pichat : passerelle, escalier, lumière sculptée par Victor Egéa. La simplicité du cadre permet de concentrer l’attention sur les corps et les affects. Timothée Varon incarne un Don Giovanni au charme inquiétant ; Adrien Fournaison (Leporello) lui donne la réplique avec un humour désabusé, évitant la caricature. Margaux Poguet (Elvira) et Marianne Croux (Anna) se distinguent par leur précision vocale et leur engagement dramatique, entre fragilité et puissance. L’ensemble dégage une jeunesse et une cohérence remarquable : un chœur réduit, une scène sobre, une lecture limpide qui recentre l’opéra sur sa tension essentielle entre désir et châtiment. Loin des effets spectaculaires, Ruf et Chauvin signent un Don Giovanni chambriste, tendu, vibrant, où chaque geste, chaque souffle trouve son écho musical. Une production d’une rare justesse, à la fois respectueuse de l’esprit mozartien et ouverte à la modernité : sans doute la preuve qu’un grand mythe peut encore se raconter avec fraîcheur, intelligence et ferveur.
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Au Théâtre de l’Athénée, Don Giovanni s’impose dans une version aussi audacieuse qu’épurée, portée par Julien Chauvin et Le Concert de la Loge. En plaçant l’orchestre sur scène, la production conçue par Jean-Yves Ruf renverse la hiérarchie traditionnelle entre fosse et plateau : la musique devient un protagoniste à part entière, au même titre que les chanteurs. Ce dialogue permanent entre instruments et voix confère à l’œuvre une intensité dramatique rare.

Dès l’ouverture, la direction nerveuse et précise de Chauvin capte l’attention. Le timbre éclatant des cordes, la vivacité des vents, la pulsation dramatique du continuo soutiennent un théâtre musical d’une grande clarté. Sans surcharge orchestrale, tout respire souplesse et liberté — un Mozart vif, articulé, profondément humain. La mise en scène, volontairement dépouillée, s’appuie sur une scénographie minimaliste signée Laure Pichat : passerelle, escalier, lumière sculptée par Victor Egéa. La simplicité du cadre permet de concentrer l’attention sur les corps et les affects. Timothée Varon incarne un Don Giovanni au charme inquiétant ; Adrien Fournaison (Leporello) lui donne la réplique avec un humour désabusé, évitant la caricature. Margaux Poguet (Elvira) et Marianne Croux (Anna) se distinguent par leur précision vocale et leur engagement dramatique, entre fragilité et puissance.

L’ensemble dégage une jeunesse et une cohérence remarquable : un chœur réduit, une scène sobre, une lecture limpide qui recentre l’opéra sur sa tension essentielle entre désir et châtiment. Loin des effets spectaculaires, Ruf et Chauvin signent un Don Giovanni chambriste, tendu, vibrant, où chaque geste, chaque souffle trouve son écho musical. Une production d’une rare justesse, à la fois respectueuse de l’esprit mozartien et ouverte à la modernité : sans doute la preuve qu’un grand mythe peut encore se raconter avec fraîcheur, intelligence et ferveur.

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30.10.2025 à 10:00

Voyager, une histoire du XIXe siècle

En mars 2020, bien que tous les États ne l’aient pas décidé, le monde entier se retrouve confiné et ne peut plus voyager. Cette décision constitue le point de départ de l’historien du XIX e  siècle et des représentations Sylvain Venayre. À travers 17 leçons, nées de rencontres avec des hommes et des femmes qui l’ont influencé, il décrit une pratique qui a imprégné la littérature de l’époque et permit la naissance de la littérature de voyages. Littérature dans laquelle la personnalité du narrateur l’emporte sur les lieux visités, à l’instar de Chateaubriand, qui cherche à Jérusalem les fondements de sa foi. C’est donc un ouvrage qui nous amène à redécouvrir, à travers la plume de Jules Verne, Michelet, Chateaubriand et consorts, les fondements de la figure du touriste et de nos pratiques de voyages nées au XIX e  siècle, notamment avec la transformation des transports.   Nonfiction.fr : Vous avez rédigé et dirigé plusieurs ouvrages sur l’histoire du monde au XIX e siècle , les guerres sur ce même siècle ou encore les produits symboles de la mondialisation depuis le XVIII e siècle . À la lecture de l’introduction, le livre semble avoir autant été écrit par « l’historien des voyages et de l’éloignement » 1 que par l’observateur des années 2020. Comment est né ce projet ? Sylvain Venayre :  Le projet est né en grande partie de la volonté de mon éditrice, Blandine Genthon. Depuis une trentaine d’années que je travaille sur l’histoire des voyages et de l’éloignement, j’avais abordé pas mal de sujets dont elle s’est aperçue qu’ils résonnaient avec notre présent. De façon d’ailleurs souvent paradoxale : le XIX e siècle, qui forme le cadre privilégié de mes recherches, est désormais assez mal perçu. Quand j’étais étudiant, à la fin du XX e siècle, on pouvait encore croire qu’il était « le siècle dernier », celui du romantisme, des révolutions, de l’avènement de la République, le grand siècle de Victor Hugo et de Louis Pasteur, celui dans lequel plongeaient les racines de notre modernité. C’est beaucoup moins le cas aujourd’hui, où le XIX e siècle est volontiers stigmatisé comme un siècle sexiste, raciste, impérialiste et pollueur. L’étudier, c’est toujours aller chercher les origines de notre modernité – mais des origines désormais extrêmement critiquables. Cela vaut aussi pour l’histoire des voyages. Le XIX e siècle n’aurait-il pas inventé, avec le tourisme, une forme de folklorisation de l’autre ? le moyen d’une domination occidentale sur le reste du monde ? des atteintes nouvelles aux peuples, aux patrimoines et à l’environnement ? Aujourd’hui que l’on craint les effets du « surtourisme » et que l’on opère un partage strict entre les élites sociales, qui voyagent pour leur plaisir, et les pauvres gens contraints à des migrations douloureuses pour des raisons politiques et économiques, qu’est-ce que l’expérience du XIX e siècle peut encore nous enseigner ? Nous avons fait le pari dans ce livre que les voyages des Occidentaux du XIX e siècle pouvaient être analysés en brossant à contre-sens le poil trop luisant de l’histoire, comme disait Walter Benjamin – qu’ils pouvaient nous en apprendre beaucoup sur la façon dont on ressent aujourd’hui l’expérience du monde, qu’il s’agisse de l’avènement de l’industrie touristique, des conquêtes impériales ou de bien d’autres pratiques du XIX e siècle, tel ce goût qui nous semble maintenant invraisemblable pour la chasse aux animaux sauvages. Bref, il s’agit d’essayer de continuer à tirer des enseignements du XIX e siècle, mais en pensant parfois contre lui. Chaque leçon, qui remplace ici les chapitres, est tirée d’une rencontre, d’un colloque et de rédaction de chapitres ou direction de dossiers. Le livre est bien sûr centré d’abord et avant tout sur le voyage, mais nous en apprenons également beaucoup sur votre parcours et vos influences d’historien. Quelle place occupe le voyage dans votre travail depuis trois décennies ? J’ai commencé par faire une thèse qui, à l’époque, étonnait un peu mes collègues, habitués à des sujets plus classiques. À l’époque, je tâchais de faire l’histoire du sentiment d’aventure. L’approche était celle de mon maître Alain Corbin : l’histoire des sensibilités et des représentations. Je me demandais ce que signifiait l’aventure pour les Européens du XIX e siècle et j’étais arrivé à premier résultat : je pouvais dater l’émergence de l’imaginaire moderne de l’aventure – entre les années 1880 et les années 1910. Auparavant, l’aventure existait, mais elle n'était pas désirable en soi. Les personnages d’aventuriers étaient méprisés. C’est à la toute fin du XIX e siècle que la quête de l’aventure pour elle-même est devenue quelque chose de valorisant, susceptible d’ennoblir une existence. Je me suis demandé pourquoi et, en gros, j’en suis arrivé à la conclusion que, au tournant des XIX e et XX e siècles, le sentiment d’une plus grande sécurité dans les transports et les communications, la disparition de l’inconnu géographique (à travers par exemple le remplissage des taches blanches sur les cartes de géographie) et le sentiment de l’éradication des mondes sauvages, sous l’effet de la politique de colonisation (ou, plus exactement, sous l’effet des propagandes impériales) avaient eu pour conséquence le déploiement d’une forme de nostalgie. Beaucoup de gens assuraient alors que l’espace qui autorisait l’aventure était en train de disparaître. C’était peut-être vrai, mais à condition d’admettre que, autrefois, on n’aurait jamais dit les choses ainsi. La mystique moderne de l’aventure pouvait donc être interprétée comme une réaction nostalgique face à la marche du monde. Par la suite, j’ai continué à travailler sur l’histoire du voyage, en essayant de croiser l’histoire des pratiques (progrès des transports et des communications, explorations, pèlerinages, voyages d’études, voyages de santé, tourisme) et celle des représentations (l’ensemble des façons de voir et de sentir qui ont permis de donner du sens à l’expérience du voyage). Cela m’a conduit à publier un gros livre, Panorama du voyage (Les Belles Lettres, 2012), dont l’ambition était d’établir la liste exhaustive de toutes les façons de dire, de vivre et de sentir le voyage au XIX e siècle. J’ai également publié une anthologie de textes sur le voyage, du XVI e siècle à nos jours. Dans l’ Histoire du monde au XIX e siècle , j’ai consacré un chapitre à l’histoire mondiale des transports et des communications. J’ai aussi multiplié les études de cas dans le cadre de revues ou de colloques – une cinquantaine en tout. J’en ai retenu 17 pour ce livre : celles qui me permettaient de faire dialoguer le XIX siècle, selon les principes critiques dont je parlais tout à l’heure, avec notre actualité. La première leçon donne la part belle à Chateaubriand et la littérature constitue une source majeure de ce travail. Les écrivains étaient pour certains de grands voyageurs, à l’image de Flaubert, qui visite l’Asie Mineure à 22 ans et prend des notes lors de ses voyages. Comment abordez-vous cette source, puisque tous les auteurs ne souhaitent pas participer à cette littérature du voyage, et quels sont ses atouts pour votre sujet ? J’ai été formé très tôt à l’analyse historienne des sources littéraires. Elle était essentielle pour mon travail sur l’histoire du sentiment d’aventure (comment ne pas utiliser pour ce travail la masse énorme des romans dits « d’aventures » ?). Ces sources sont prodigieuses à condition de ne pas les surinterpréter. Elles nous donnent rarement – ou, en tout cas, très indirectement – accès à la réalité des pratiques. En revanche, à condition de les étudier avec assez d’attention, elles nous permettent de repérer l’ensemble de ce qui était pensable – ou, au moins, dicible – à une époque donnée. Sans compter que, dans le cas des voyages, elles sont, en tout cas au XIX e siècle, prescriptrice de normes. C’est au XIX e siècle en effet que s’invente la littérature de voyage, au sens moderne de la notion de littérature – c’est-à-dire le récit qui n’a pas d’autre objectif que d’exprimer, pour le dire comme Chateaubriand, les émotions, les sentiments et les aventures du voyageur (là où la littérature de voyage de l’époque précédente était essentiellement centrée sur les objets étudiés par le voyageur). On ne parlait pas à l’époque d’« écrivain-voyageur ». Mais quand on a inventé cette catégorie – assez largement publicitaire – dans les années 1980, c’est bien en référence à cette histoire qui débute avec le XIX e siècle. Théophile Gautier, par exemple, a été un acteur important de cette évolution, en publiant les premiers recueils de récits de voyage, montrant par là que ce qui comptait dans ces livres, c’était moins les destinations du voyageur, très variées (Gautier a énormément voyagé), que le style de l’écrivain, seul susceptible d’assurer l’unité de ces récits. « Ce ne serait pas trop de l’histoire du monde pour expliquer la France », c’est par cette phrase de Michelet que Patrick Boucheron ouvre l’ Histoire mondiale de la France , à laquelle vous aviez participé et dont une nouvelle édition vient de paraître. Vous consacrez justement une leçon à Michelet. Quelle influence ont les voyages, notamment ses quatre en Italie, sur son œuvre ? J’ai une passion pour Michelet. Pendant plusieurs années, j’ai coanimé, avec Aurélien Aramini, Paule Petitier et Yann Potin, un séminaire sur Michelet. Je l’avais aussi beaucoup lu – et utilisé – pour mon enquête sur la façon dont la science historique a pris en charge, depuis le XVIII e siècle, le débat sur les origines de la nation en France 2 . J’en avais même fait un des personnages principaux de La Balade nationale , cette bande dessinée coécrite avec Etienne Davodeau, qui constituait, en 2017, le premier volume de l’ Histoire dessinée de la France , consacré à la question des origines. Dans ce livre, nous avons envoyé Michelet et ses compagnons de voyage dans un grand tour de France, à la recherche des différentes origines attribuées à la nation française, selon les époques et les opinions politiques. L’idée était d’ailleurs inspirée du Tableau de la France de Michelet, qui ouvrait le deuxième tome de son Histoire de France . Car Michelet a été un grand voyageur – à travers la France essentiellement, Michelet recherchant sur tout le territoire non seulement les archives qui lui permettrait d’écrire l’histoire de son pays, mais aussi le sentiment du corps de la nation, selon une logique qu’on verra ensuite à l’œuvre, quelques décennies plus tard, chez Vidal de la Blache. Mais Michelet a visité également les pays voisins, à commencer par l’Italie, en effet, qui a été pour lui une véritable révélation. Ce sont ses voyages en Italie qui lui ont fait considérer les Alpes comme « l’autel de l’Europe » et qui, surtout, lui ont permis de créer la notion moderne de Renaissance. Or, ce que j’essaye de montrer, c’est qu’en Italie, Michelet a surtout imaginé ce qui se trouvait au-delà de l’Italie : l’Orient, qu’il a rêvé par la puissance de Venise, par les Juifs d’Espagne réfugiés après 1492 et par l’Empire ottoman du temps du vizir Ibrahim. Ce sont ses déplacements – mais aussi les déplacements qu’il n’a pas pu faire mais qu’il a rêvé – qui l’ont invité à penser la Renaissance, c’est-à-dire, selon sa philosophie de l’histoire, le début de la réconciliation de l’humanité. La chasse, et le prestige qui l’accompagne sont aussi une motivation de certains voyageurs. Tout un imaginaire se construit alors autour d'animaux féroces qui n’existeraient plus en Europe et impliquent un voyage vers l’Asie ou l’Afrique. Comment s’organise ce genre de voyages ? Quand on pense à ce qui nous fait aujourd’hui horreur dans les voyages d’agrément du XIX e siècle, on pense assez vite à cette modalité particulière du sport pour certaines élites de l’époque : les « grandes chasses » (on ne parlait pas encore de safari, le mot n’est apparu qu’au début du XX e siècle). Alain Corbin m’avait naguère invité à me pencher sur cette question, dans la logique de mes travaux sur l’imaginaire de l’aventure. Il suivait en l’occurrence une idée souvent exprimée par Lucien Febvre : non pas chercher en quoi nous ressemblons aux gens du passé (selon un réflexe qui peut vite vous conduire à des raisonnements identitaires), mais au contraire en quoi nous différons. Or, en ce domaine, la gloire des grandes chasses est exemplaire. À quelques rares individus près, les hécatombes des chasseurs du XIX e siècle nous paraissent aujourd’hui extravagantes et lamentables. Il convient donc de se poser la question : pourquoi fascinaient-elles à cette époque ? Parce qu’elles fascinaient : les bibliothèques étaient pleines de récits de chasse, les romans d’aventures étaient pleins de scènes de chasse, dans les théâtres et les « exhibitions » on multipliait les images de chasse. Je pense qu’aucune époque n’a célébré à ce point le goût de mettre à mort les animaux sauvages. Il y a là un problème et, comme le disait Michel Foucault, la bonne histoire est d’abord celle qui s’efforce de résoudre un problème. Mais en réalité bien d’autres problèmes sont aux origines de ce livre. Pourquoi a-t-on décidé, au XIX e siècle, d’inventer la pratique du voyage de noces ? Pourquoi l’Église a-t-elle soutenu à ce point la pratique des pèlerinages, pourtant très critiquée à l’époque précédente ? Pourquoi certains artistes, tel Gustave Flaubert, ont-ils refusé tout à la fois la pratique de la photographie et l’écriture de récit de voyage ? Chaque fois, c’est un mystère de ce genre qui déclenche mon envie d’enquêter. Justement, avec la colonisation, les autorités métropolitaines cherchent des volontaires pour peupler les espaces qu’elles soumettent progressivement. « L’aventure coloniale », expression sur laquelle vous revenez, accorde-t-elle une place aux voyageurs ? C’est en effet un des plus gros problèmes : y a-t-il un lien entre le désir des voyages, que le XIX e siècle occidental a promu et institutionnalisé, et le désir de conquête, qui a abouti à la fin du siècle à la constitution des immenses empires coloniaux ? Et même, plus exactement, y a-t-il une relation de cause à effet ? Les voyageurs européens dans les espaces qui finiront par devenir des territoires coloniaux ont-ils été les fourriers de l’impérialisme ? Or, en ce domaine, rien n’est très simple. Il serait difficile de prétendre, par exemple, que le voyage de René Caillié à Tombouctou à la fin des années 1820 est directement à l’origine de la prise de la ville par les Français en 1894. C’est pourtant ce qui a souvent été dit : par la propagande coloniale à la fin du XIX e siècle, puis par le discours anticolonialiste à partir de l’entre-deux-guerres et même par certains des meilleurs historiens. Or, cet unanimisme devient suspect dès lors que l’on considère cette notion, « l’aventure coloniale », dont le premier terme a souvent été effacé au privilège du second. Pourtant, parler d’« aventure coloniale » n’est pas exactement parler d’« histoire coloniale ». Cela implique un certain imaginaire, qui associe le désir des confins au désir de conquête. Je me suis proposé ici de faire l’histoire de cette expression – de même que l’histoire d’autres notions tout aussi vagues, telle la notion d’« Ailleurs » afin d’essayer de comprendre ce qui se cachait derrière les mots. Car il n’y a rien de moins décoratif que les mots que nous choisissons pour nommer tel ou tel phénomène historique. Notes : 1 - p.134 2 - Les Origines de la France , Seuil, 2013, rééd. Points 2025
Texte intégral (2991 mots)

En mars 2020, bien que tous les États ne l’aient pas décidé, le monde entier se retrouve confiné et ne peut plus voyager. Cette décision constitue le point de départ de l’historien du XIXe siècle et des représentations Sylvain Venayre. À travers 17 leçons, nées de rencontres avec des hommes et des femmes qui l’ont influencé, il décrit une pratique qui a imprégné la littérature de l’époque et permit la naissance de la littérature de voyages. Littérature dans laquelle la personnalité du narrateur l’emporte sur les lieux visités, à l’instar de Chateaubriand, qui cherche à Jérusalem les fondements de sa foi. C’est donc un ouvrage qui nous amène à redécouvrir, à travers la plume de Jules Verne, Michelet, Chateaubriand et consorts, les fondements de la figure du touriste et de nos pratiques de voyages nées au XIXe siècle, notamment avec la transformation des transports.

 

Nonfiction.fr : Vous avez rédigé et dirigé plusieurs ouvrages sur l’histoire du monde au XIXe siècle, les guerres sur ce même siècle ou encore les produits symboles de la mondialisation depuis le XVIIIe siècle. À la lecture de l’introduction, le livre semble avoir autant été écrit par « l’historien des voyages et de l’éloignement »1 que par l’observateur des années 2020. Comment est né ce projet ?

Sylvain Venayre : Le projet est né en grande partie de la volonté de mon éditrice, Blandine Genthon. Depuis une trentaine d’années que je travaille sur l’histoire des voyages et de l’éloignement, j’avais abordé pas mal de sujets dont elle s’est aperçue qu’ils résonnaient avec notre présent. De façon d’ailleurs souvent paradoxale : le XIXe siècle, qui forme le cadre privilégié de mes recherches, est désormais assez mal perçu. Quand j’étais étudiant, à la fin du XXe siècle, on pouvait encore croire qu’il était « le siècle dernier », celui du romantisme, des révolutions, de l’avènement de la République, le grand siècle de Victor Hugo et de Louis Pasteur, celui dans lequel plongeaient les racines de notre modernité. C’est beaucoup moins le cas aujourd’hui, où le XIXe siècle est volontiers stigmatisé comme un siècle sexiste, raciste, impérialiste et pollueur. L’étudier, c’est toujours aller chercher les origines de notre modernité – mais des origines désormais extrêmement critiquables.

Cela vaut aussi pour l’histoire des voyages. Le XIXe siècle n’aurait-il pas inventé, avec le tourisme, une forme de folklorisation de l’autre ? le moyen d’une domination occidentale sur le reste du monde ? des atteintes nouvelles aux peuples, aux patrimoines et à l’environnement ? Aujourd’hui que l’on craint les effets du « surtourisme » et que l’on opère un partage strict entre les élites sociales, qui voyagent pour leur plaisir, et les pauvres gens contraints à des migrations douloureuses pour des raisons politiques et économiques, qu’est-ce que l’expérience du XIXe siècle peut encore nous enseigner ? Nous avons fait le pari dans ce livre que les voyages des Occidentaux du XIXe siècle pouvaient être analysés en brossant à contre-sens le poil trop luisant de l’histoire, comme disait Walter Benjamin – qu’ils pouvaient nous en apprendre beaucoup sur la façon dont on ressent aujourd’hui l’expérience du monde, qu’il s’agisse de l’avènement de l’industrie touristique, des conquêtes impériales ou de bien d’autres pratiques du XIXe siècle, tel ce goût qui nous semble maintenant invraisemblable pour la chasse aux animaux sauvages. Bref, il s’agit d’essayer de continuer à tirer des enseignements du XIXe siècle, mais en pensant parfois contre lui.

Chaque leçon, qui remplace ici les chapitres, est tirée d’une rencontre, d’un colloque et de rédaction de chapitres ou direction de dossiers. Le livre est bien sûr centré d’abord et avant tout sur le voyage, mais nous en apprenons également beaucoup sur votre parcours et vos influences d’historien. Quelle place occupe le voyage dans votre travail depuis trois décennies ?

J’ai commencé par faire une thèse qui, à l’époque, étonnait un peu mes collègues, habitués à des sujets plus classiques. À l’époque, je tâchais de faire l’histoire du sentiment d’aventure. L’approche était celle de mon maître Alain Corbin : l’histoire des sensibilités et des représentations. Je me demandais ce que signifiait l’aventure pour les Européens du XIXe siècle et j’étais arrivé à premier résultat : je pouvais dater l’émergence de l’imaginaire moderne de l’aventure – entre les années 1880 et les années 1910. Auparavant, l’aventure existait, mais elle n'était pas désirable en soi. Les personnages d’aventuriers étaient méprisés. C’est à la toute fin du XIXe siècle que la quête de l’aventure pour elle-même est devenue quelque chose de valorisant, susceptible d’ennoblir une existence. Je me suis demandé pourquoi et, en gros, j’en suis arrivé à la conclusion que, au tournant des XIXe et XXe siècles, le sentiment d’une plus grande sécurité dans les transports et les communications, la disparition de l’inconnu géographique (à travers par exemple le remplissage des taches blanches sur les cartes de géographie) et le sentiment de l’éradication des mondes sauvages, sous l’effet de la politique de colonisation (ou, plus exactement, sous l’effet des propagandes impériales) avaient eu pour conséquence le déploiement d’une forme de nostalgie. Beaucoup de gens assuraient alors que l’espace qui autorisait l’aventure était en train de disparaître. C’était peut-être vrai, mais à condition d’admettre que, autrefois, on n’aurait jamais dit les choses ainsi. La mystique moderne de l’aventure pouvait donc être interprétée comme une réaction nostalgique face à la marche du monde.

Par la suite, j’ai continué à travailler sur l’histoire du voyage, en essayant de croiser l’histoire des pratiques (progrès des transports et des communications, explorations, pèlerinages, voyages d’études, voyages de santé, tourisme) et celle des représentations (l’ensemble des façons de voir et de sentir qui ont permis de donner du sens à l’expérience du voyage). Cela m’a conduit à publier un gros livre, Panorama du voyage (Les Belles Lettres, 2012), dont l’ambition était d’établir la liste exhaustive de toutes les façons de dire, de vivre et de sentir le voyage au XIXe siècle. J’ai également publié une anthologie de textes sur le voyage, du XVIe siècle à nos jours. Dans l’Histoire du monde au XIXe siècle, j’ai consacré un chapitre à l’histoire mondiale des transports et des communications. J’ai aussi multiplié les études de cas dans le cadre de revues ou de colloques – une cinquantaine en tout. J’en ai retenu 17 pour ce livre : celles qui me permettaient de faire dialoguer le XIX siècle, selon les principes critiques dont je parlais tout à l’heure, avec notre actualité.

La première leçon donne la part belle à Chateaubriand et la littérature constitue une source majeure de ce travail. Les écrivains étaient pour certains de grands voyageurs, à l’image de Flaubert, qui visite l’Asie Mineure à 22 ans et prend des notes lors de ses voyages. Comment abordez-vous cette source, puisque tous les auteurs ne souhaitent pas participer à cette littérature du voyage, et quels sont ses atouts pour votre sujet ?

J’ai été formé très tôt à l’analyse historienne des sources littéraires. Elle était essentielle pour mon travail sur l’histoire du sentiment d’aventure (comment ne pas utiliser pour ce travail la masse énorme des romans dits « d’aventures » ?). Ces sources sont prodigieuses à condition de ne pas les surinterpréter. Elles nous donnent rarement – ou, en tout cas, très indirectement – accès à la réalité des pratiques. En revanche, à condition de les étudier avec assez d’attention, elles nous permettent de repérer l’ensemble de ce qui était pensable – ou, au moins, dicible – à une époque donnée. Sans compter que, dans le cas des voyages, elles sont, en tout cas au XIXe siècle, prescriptrice de normes.

C’est au XIXe siècle en effet que s’invente la littérature de voyage, au sens moderne de la notion de littérature – c’est-à-dire le récit qui n’a pas d’autre objectif que d’exprimer, pour le dire comme Chateaubriand, les émotions, les sentiments et les aventures du voyageur (là où la littérature de voyage de l’époque précédente était essentiellement centrée sur les objets étudiés par le voyageur). On ne parlait pas à l’époque d’« écrivain-voyageur ». Mais quand on a inventé cette catégorie – assez largement publicitaire – dans les années 1980, c’est bien en référence à cette histoire qui débute avec le XIXe siècle. Théophile Gautier, par exemple, a été un acteur important de cette évolution, en publiant les premiers recueils de récits de voyage, montrant par là que ce qui comptait dans ces livres, c’était moins les destinations du voyageur, très variées (Gautier a énormément voyagé), que le style de l’écrivain, seul susceptible d’assurer l’unité de ces récits.

« Ce ne serait pas trop de l’histoire du monde pour expliquer la France », c’est par cette phrase de Michelet que Patrick Boucheron ouvre l’Histoire mondiale de la France, à laquelle vous aviez participé et dont une nouvelle édition vient de paraître. Vous consacrez justement une leçon à Michelet. Quelle influence ont les voyages, notamment ses quatre en Italie, sur son œuvre ?

J’ai une passion pour Michelet. Pendant plusieurs années, j’ai coanimé, avec Aurélien Aramini, Paule Petitier et Yann Potin, un séminaire sur Michelet. Je l’avais aussi beaucoup lu – et utilisé – pour mon enquête sur la façon dont la science historique a pris en charge, depuis le XVIIIe siècle, le débat sur les origines de la nation en France2. J’en avais même fait un des personnages principaux de La Balade nationale, cette bande dessinée coécrite avec Etienne Davodeau, qui constituait, en 2017, le premier volume de l’Histoire dessinée de la France, consacré à la question des origines. Dans ce livre, nous avons envoyé Michelet et ses compagnons de voyage dans un grand tour de France, à la recherche des différentes origines attribuées à la nation française, selon les époques et les opinions politiques. L’idée était d’ailleurs inspirée du Tableau de la France de Michelet, qui ouvrait le deuxième tome de son Histoire de France.

Car Michelet a été un grand voyageur – à travers la France essentiellement, Michelet recherchant sur tout le territoire non seulement les archives qui lui permettrait d’écrire l’histoire de son pays, mais aussi le sentiment du corps de la nation, selon une logique qu’on verra ensuite à l’œuvre, quelques décennies plus tard, chez Vidal de la Blache. Mais Michelet a visité également les pays voisins, à commencer par l’Italie, en effet, qui a été pour lui une véritable révélation. Ce sont ses voyages en Italie qui lui ont fait considérer les Alpes comme « l’autel de l’Europe » et qui, surtout, lui ont permis de créer la notion moderne de Renaissance. Or, ce que j’essaye de montrer, c’est qu’en Italie, Michelet a surtout imaginé ce qui se trouvait au-delà de l’Italie : l’Orient, qu’il a rêvé par la puissance de Venise, par les Juifs d’Espagne réfugiés après 1492 et par l’Empire ottoman du temps du vizir Ibrahim. Ce sont ses déplacements – mais aussi les déplacements qu’il n’a pas pu faire mais qu’il a rêvé – qui l’ont invité à penser la Renaissance, c’est-à-dire, selon sa philosophie de l’histoire, le début de la réconciliation de l’humanité.

La chasse, et le prestige qui l’accompagne sont aussi une motivation de certains voyageurs. Tout un imaginaire se construit alors autour d'animaux féroces qui n’existeraient plus en Europe et impliquent un voyage vers l’Asie ou l’Afrique. Comment s’organise ce genre de voyages ?

Quand on pense à ce qui nous fait aujourd’hui horreur dans les voyages d’agrément du XIXe siècle, on pense assez vite à cette modalité particulière du sport pour certaines élites de l’époque : les « grandes chasses » (on ne parlait pas encore de safari, le mot n’est apparu qu’au début du XXe siècle). Alain Corbin m’avait naguère invité à me pencher sur cette question, dans la logique de mes travaux sur l’imaginaire de l’aventure. Il suivait en l’occurrence une idée souvent exprimée par Lucien Febvre : non pas chercher en quoi nous ressemblons aux gens du passé (selon un réflexe qui peut vite vous conduire à des raisonnements identitaires), mais au contraire en quoi nous différons. Or, en ce domaine, la gloire des grandes chasses est exemplaire. À quelques rares individus près, les hécatombes des chasseurs du XIXe siècle nous paraissent aujourd’hui extravagantes et lamentables. Il convient donc de se poser la question : pourquoi fascinaient-elles à cette époque ? Parce qu’elles fascinaient : les bibliothèques étaient pleines de récits de chasse, les romans d’aventures étaient pleins de scènes de chasse, dans les théâtres et les « exhibitions » on multipliait les images de chasse. Je pense qu’aucune époque n’a célébré à ce point le goût de mettre à mort les animaux sauvages. Il y a là un problème et, comme le disait Michel Foucault, la bonne histoire est d’abord celle qui s’efforce de résoudre un problème.

Mais en réalité bien d’autres problèmes sont aux origines de ce livre. Pourquoi a-t-on décidé, au XIXe siècle, d’inventer la pratique du voyage de noces ? Pourquoi l’Église a-t-elle soutenu à ce point la pratique des pèlerinages, pourtant très critiquée à l’époque précédente ? Pourquoi certains artistes, tel Gustave Flaubert, ont-ils refusé tout à la fois la pratique de la photographie et l’écriture de récit de voyage ? Chaque fois, c’est un mystère de ce genre qui déclenche mon envie d’enquêter.

Justement, avec la colonisation, les autorités métropolitaines cherchent des volontaires pour peupler les espaces qu’elles soumettent progressivement. « L’aventure coloniale », expression sur laquelle vous revenez, accorde-t-elle une place aux voyageurs ?

C’est en effet un des plus gros problèmes : y a-t-il un lien entre le désir des voyages, que le XIXe siècle occidental a promu et institutionnalisé, et le désir de conquête, qui a abouti à la fin du siècle à la constitution des immenses empires coloniaux ? Et même, plus exactement, y a-t-il une relation de cause à effet ? Les voyageurs européens dans les espaces qui finiront par devenir des territoires coloniaux ont-ils été les fourriers de l’impérialisme ? Or, en ce domaine, rien n’est très simple. Il serait difficile de prétendre, par exemple, que le voyage de René Caillié à Tombouctou à la fin des années 1820 est directement à l’origine de la prise de la ville par les Français en 1894. C’est pourtant ce qui a souvent été dit : par la propagande coloniale à la fin du XIXe siècle, puis par le discours anticolonialiste à partir de l’entre-deux-guerres et même par certains des meilleurs historiens.

Or, cet unanimisme devient suspect dès lors que l’on considère cette notion, « l’aventure coloniale », dont le premier terme a souvent été effacé au privilège du second. Pourtant, parler d’« aventure coloniale » n’est pas exactement parler d’« histoire coloniale ». Cela implique un certain imaginaire, qui associe le désir des confins au désir de conquête. Je me suis proposé ici de faire l’histoire de cette expression – de même que l’histoire d’autres notions tout aussi vagues, telle la notion d’« Ailleurs » afin d’essayer de comprendre ce qui se cachait derrière les mots. Car il n’y a rien de moins décoratif que les mots que nous choisissons pour nommer tel ou tel phénomène historique.


Notes :
1 - p.134
2 - Les Origines de la France, Seuil, 2013, rééd. Points 2025
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28.10.2025 à 10:00

Géopolitique de l’année 2025

Dans cette treizième édition du Grand Atlas, Frank Tétart retrace l’année 2025 à partir de lignes de force géopolitiques et réfléchit à des prospectives pour l’année 2026. L’année 2025 est peut-être la plus chaotique depuis la naissance de cet atlas. Le recul des démocraties, l’affirmation des prédateurs, le recul du droit des minorités et des questions environnementales ont connu un apogée avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Ce second mandat se démarque par une surabondance des provocations, des « informations » et des actes contradictoires. C’est donc au monde selon Trump que Frank Tétart a décidé de consacrer un dossier spécial.   Nonfiction.fr : L’an dernier, vous insistiez sur l’incertitude de l’année 2024 en raison des lignes de faille qui se creusaient entre les démocraties et les régimes autoritaires et la rivalité sino-américaine. Votre dernier Atlas sur l’année 2025 confirme le prolongement de ces incertitudes qui aboutissent à une sorte d’interrègne. Quel titre donneriez-vous à l’année 2025 ? Frank Tétart : Le « moment trumpien », car le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche début 2025 a d’emblée suscité une inquiétude en Europe et dans le reste du monde, tant son programme axé sur la grandeur de l’Amérique et son style porté par son franc-parler et une surmédiatisation, contribuent à déstabiliser la pratique des relations internationales et l’ordre mondial. Un ordre déjà déstabilisé par la guerre d’agression lancée par la Russie contre l’Ukraine et celle contre Gaza, riposte aux attentats du 7 octobre 2023, qui s’est transformée au cours de l’année 2025 en une guerre israélienne sur tous les fronts. Or, cette pratique « disruptive » de Trump permet aussi de manière inattendue de parvenir à un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas début octobre. Vous rédigez un Grand Atlas depuis treize ans, mais celui-ci est peut-être particulier en raison d’une accélération de l’histoire sous nos yeux ; vous parlez d’ailleurs de « tourbillon du monde ». Comment abordez-vous une géopolitique qui n’a jamais été aussi fluctuante ? Pour décrypter ce tourbillon, il m’a semblé utile de repartir sur les fondamentaux de la puissance américaine, puis d’en souligner les évolutions. La treizième édition consacre en effet son dossier aux États-Unis d’aujourd’hui, mais revient dès la première partie sur les étapes incontournables de l’affirmation, puis de l’exercice de leur puissance. Elle met en avant des concepts, tels la « destinée manifeste » ou l’isolationnisme, et les postures vis-à-vis de l’extérieur (unilatéralisme/multilatéralisme) qui ont forgé la politique étrangère américaine et éclairent les choix en cours, notamment à l’égard de l’Iran et d'Israël. Cette première partie introductive nous guide vers la deuxième partie qui présente « le monde selon Trump », c’est-à-dire sa vision du monde, ses velléités territoriales sur le Canada ou le Groenland, sa politique commerciale, son rapport avec les grandes puissances (Chine, Russie) et ses alliés (européens ou Israël) ou l’Ukraine. La troisième partie s'attèle à montrer le monde tel qu’il est, souvent chaotique ou en conflits, marqué par la désinformation et le rejet du droit international, et comment il se positionne, réagit, face à ce « moment trumpien ». Quant à la dernière partie, elle demeure plus classique pour les habitués du Grand Atlas, et permet d’entrevoir le monde qui se dessine demain à travers les enjeux démographiques, environnementaux, énergétiques. L’an dernier, le monde s’inquiétait d’une potentielle victoire de Trump qui aurait pour effet d’accroître ce tourbillon et les lignes de fracture. Après neuf mois complètement déroutants, quelles sont les caractéristiques de son second mandat ? Ce second mandat se concentre sur l’objectif de la campagne de Trump : Make America Great Again (Rendre à l’Amérique sa grandeur). Cela passe par une guerre commerciale qui n’épargne pas les alliés européens, soupçonnés d’ « arnaquer » les Américains, et la signature de « deals » définissant les droits de douane à payer pour vendre sur le marché américain. Sur le territoire américain, le retour de la grandeur américaine correspond à un programme suprémaciste, où la blancheur de la peau, la foi chrétienne et la défense de ses valeurs sont au centre. Ainsi, depuis sa prise de pouvoir en janvier 2025, Donald Trump mène une politique répressive contre les migrants, qui se concrétise par des expulsions massives, la suspension du droit d’asile, des déploiements militaires et le bannissement de certains États, et au nom de la lutte contre le wokisme, il s’en prend également aux minorités sexuelles et plus particulièrement aux personnes transgenres. Tout cela est d’autant plus paradoxal, que Trump et son vice-président Vance ont épousé des « migrantes » naturalisées Américaines par leur mariage ! Cette politique de Trump est aujourd’hui dénoncée par un nombre croissant d’Américains qui y voit une dérive autoritaire du pouvoir. L’admiration que le président américain porte aux « hommes forts », tel Poutine, est indéniablement à prendre en compte dans sa conception du pouvoir, car déjà, elle guide ses positions erratiques vis-à-vis de l’Ukraine et de la Russie, et l’humiliation qu’il a fait subir au Président Zelensky, lors de sa visite à la Maison-Blanche en février dernier. D’un autre côté, la politique du « America First » induit un rejet de l’interventionnisme militaire et le volontarisme de Trump à vouloir faire la paix, mais, selon ses propres règles, celles d’un businessman et non d’un diplomate. Cela a fonctionné pour le cessez-le-feu à Gaza, mais pas (encore !)  pour l’Ukraine. Comme chaque année, vous évoquez les conflits les plus médiatisés, mais avez aussi à cœur d’aborder la Birmanie, le Soudan et l’Éthiopie, qui ont chacun fait plus de 10 000 morts, dans le plus grand des silences. Est-il plus que jamais plus difficile de faire la paix que la guerre ? Oui, en effet, et c’est déjà ce qu’avait dit Dominique de Villepin devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies en 2003 pour s’opposer à l’intervention américaine en Irak : « N’oublions pas qu’après avoir gagné la guerre, il faut construire la paix. Et ne nous voilons pas la face : cela sera long et difficile, car il faudra préserver l’unité de l’Irak, rétablir de manière durable la stabilité dans un pays et une région durement affectée par l’intrusion de la force. » Tout est dit : l’intrusion de la force déstabilise non seulement les rapports de force, mais également les équilibres politiques, économiques et sociaux, elle concourt également à l’esprit de vengeance et à l’éventuel retour de tensions et de conflits. Moins de 30% de la population vit sous un régime démocratique, contre 50% en 2004. À cela s’ajoute l’irrésistible ascension des partis autoritaires dans les démocraties. Comment expliquez-vous cette défaite du système démocratique ? Je ne parlerai pas véritablement de défaite, mais plutôt de faiblesse, de fragilité ou de vulnérabilité de la démocratie. C’est un régime politique qui peut disparaître, car ses fondamentaux, à savoir les libertés individuelles, l’état de droit sont rognés de l’intérieur par le pouvoir exécutif. C’est le cas aujourd’hui en Hongrie, que son Premier ministre, Viktor Orban définit aujourd’hui de démocratie illibérale, un terme qui souligne que derrière une façade démocratique marquée par des scrutins réguliers et pluralistes, l’état de droit et certaines libertés sont limités ou réduites. On en voit aujourd’hui les prémisses aux États-Unis de nos jours sous l’administration Trump. Son premier mandat avait déjà suscité des inquiétudes et la publication d’un ouvrage particulièrement précis sur les rouages qui mènent à l’affaiblissement démocratique, voire à l’autoritarisme : How Democracies die ( La Mort des démocraties , traduit chez Calman-Lévy) écrit en 2018 par Daniel Ziblatt et Steven Levitsky, deux politologues de Harvard. En tout état de cause, il est vraisemblable que la faillite des élites politiques à proposer une projection dans l’avenir, un programme défendant au-delà de valeurs et de principes un projet de société, inclusif et cohésif, a ouvert la voie aux populismes. Leurs discours simples voire simplistes donnent eux de l’espoir, et une réponse à des questionnements économiques, sociaux ou identitaires, que les médias et notamment les réseaux sociaux amplifient et polarisent. On l’a vu, les réseaux sociaux nuisent aux élections par le renforcement de la polarisation sans même évoquer la désinformation et l’absence de régulation de la liberté d’expression, puisqu’ils sont dominés par de grandes entreprises du numérique plus intéressées par les contenus publicitaires que démocratiques. L’an dernier, nous avions évoqué la situation des femmes dans le monde. En Afghanistan, ce sont les premières victimes des talibans, mais, contrairement à la fin des années 1990 et au début des années, la communauté internationale ne s’émeut guère de leur sort. Comment expliquer le recul général de la cause des femmes, au-delà de cet exemple extrême ? Est-ce un désintérêt pour le sort des femmes ou celui de l’Afghanistan ? Comme je le fais chaque année dans le Grand Atlas, je cherche à mettre en avant les conflits oubliés, qu’il s’agisse du Yémen, de la Birmanie, de la Syrie ou du Soudan. En 2024 et 2025, les médias ont concentré leurs grands titres à Gaza et la famine à Gaza, alors que la crise alimentaire est tout aussi grave au Soudan, sans que personne ne s’en occupe véritablement. Dans les deux cas, ce sont les populations civiles, femmes et enfants, qui sont les premières victimes. Les femmes sont les grandes oubliées de l’histoire, non seulement car celle-ci a d’abord été écrite par des hommes, mais aussi essentiellement parce qu'elle est dominée par eux, occultant les figures féminines. Les choses changent, les sciences sociales en Europe et en Amérique du Nord se sont grandement féminisées au cours des 30 dernières années et la vision « féministe » qu’elles inaugurent permet de changer de regard, d’optique sur le monde, sur les sociétés, ouvrant des perspectives réflexives stimulantes. Tant que les politiques ne s’en mêlent pas ! La cause des femmes dans de nombreux pays reste malheureusement celle d’une condition sociale inférieure aux hommes, dont l’Afghanistan est sans doute le cas extrême aujourd’hui, car comme le rappelle le philosophe Olivier Roy, elles « font peur » aux Talibans tant elles leur sont étrangères à tout point de vue. Ailleurs, et notamment sous l’administration Trump, le conservatisme chrétien ambiant conduit à un retrait « volontaire » des femmes de la société américaine pour endosser le rôle unique de mère et de gestionnaire du foyer. Vous maintenez une partie prospective dans laquelle on retrouve plusieurs défis environnementaux, mais aussi l’IA. Dans quelle mesure participe-t-elle à la course à la puissance et bouleverse-t-elle la géopolitique ? En 2017, Vladimir Poutine déclarait que « celui qui deviendra leader dans ce domaine sera le maître du monde ». Au-delà du fantasme, c’est la capacité des États à accroître leur compétitivité et leur productivité dans tous les secteurs grâce à l’IA, créant de nouveaux rapports de force économiques et géopolitiques, mais surtout à s’adapter aux bouleversements sociaux que le remplacement de l’homme par des machines « hyperperformantes » induira en termes d’emploi, de formation et compétences, qui seront sans aucun doute les agrégats de la puissance de demain. Force est de constater que d’ores et déjà l’IA exacerbe la compétition entre grandes puissances, avant tout les États-Unis et la Chine. La mise sur le marché en janvier 2025 de DeepSeek, un équivalent chinois très performant et moins cher de ChatGPT, a ébranlé la Silicon Valley et fait chuter les valeurs du numérique de Wall Street. Le fabricant américain des semi-conducteurs (indispensables à l’IA), Nvidia, a vu sa cote chuter de 17% en une journée. Pour le chercheur associé à l’IRIS Charles Thibout, la capacité de l’acteur chinois à obtenir des niveaux de performance comparable aux entreprises américaines, pour une puissance de calcul et de consommation énergétique bien moindres est « un véritable tour de force » et le « prélude à une compétition technologique internationale ». Les États-Unis s’y préparent activement avec le projet Stargate dévoilé par le président Trump dès sa prise de fonction, un plan d’investissement de 500 milliards de dollars visant à la construction d’infrastructures physiques et virtuelles nécessaires à la prochaine génération d’IA. L’ambition de ce projet est de conserver la suprématie américaine dans l’écosystème mondial de l’IA face à la concurrence internationale, avant toute chinoise (avec Alibaba, Baidu et Tencent).
Texte intégral (2333 mots)

Dans cette treizième édition du Grand Atlas, Frank Tétart retrace l’année 2025 à partir de lignes de force géopolitiques et réfléchit à des prospectives pour l’année 2026. L’année 2025 est peut-être la plus chaotique depuis la naissance de cet atlas. Le recul des démocraties, l’affirmation des prédateurs, le recul du droit des minorités et des questions environnementales ont connu un apogée avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Ce second mandat se démarque par une surabondance des provocations, des « informations » et des actes contradictoires. C’est donc au monde selon Trump que Frank Tétart a décidé de consacrer un dossier spécial.

 

Nonfiction.fr : L’an dernier, vous insistiez sur l’incertitude de l’année 2024 en raison des lignes de faille qui se creusaient entre les démocraties et les régimes autoritaires et la rivalité sino-américaine. Votre dernier Atlas sur l’année 2025 confirme le prolongement de ces incertitudes qui aboutissent à une sorte d’interrègne. Quel titre donneriez-vous à l’année 2025 ?

Frank Tétart : Le « moment trumpien », car le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche début 2025 a d’emblée suscité une inquiétude en Europe et dans le reste du monde, tant son programme axé sur la grandeur de l’Amérique et son style porté par son franc-parler et une surmédiatisation, contribuent à déstabiliser la pratique des relations internationales et l’ordre mondial. Un ordre déjà déstabilisé par la guerre d’agression lancée par la Russie contre l’Ukraine et celle contre Gaza, riposte aux attentats du 7 octobre 2023, qui s’est transformée au cours de l’année 2025 en une guerre israélienne sur tous les fronts. Or, cette pratique « disruptive » de Trump permet aussi de manière inattendue de parvenir à un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas début octobre.

Vous rédigez un Grand Atlas depuis treize ans, mais celui-ci est peut-être particulier en raison d’une accélération de l’histoire sous nos yeux ; vous parlez d’ailleurs de « tourbillon du monde ». Comment abordez-vous une géopolitique qui n’a jamais été aussi fluctuante ?

Pour décrypter ce tourbillon, il m’a semblé utile de repartir sur les fondamentaux de la puissance américaine, puis d’en souligner les évolutions. La treizième édition consacre en effet son dossier aux États-Unis d’aujourd’hui, mais revient dès la première partie sur les étapes incontournables de l’affirmation, puis de l’exercice de leur puissance. Elle met en avant des concepts, tels la « destinée manifeste » ou l’isolationnisme, et les postures vis-à-vis de l’extérieur (unilatéralisme/multilatéralisme) qui ont forgé la politique étrangère américaine et éclairent les choix en cours, notamment à l’égard de l’Iran et d'Israël. Cette première partie introductive nous guide vers la deuxième partie qui présente « le monde selon Trump », c’est-à-dire sa vision du monde, ses velléités territoriales sur le Canada ou le Groenland, sa politique commerciale, son rapport avec les grandes puissances (Chine, Russie) et ses alliés (européens ou Israël) ou l’Ukraine. La troisième partie s'attèle à montrer le monde tel qu’il est, souvent chaotique ou en conflits, marqué par la désinformation et le rejet du droit international, et comment il se positionne, réagit, face à ce « moment trumpien ». Quant à la dernière partie, elle demeure plus classique pour les habitués du Grand Atlas, et permet d’entrevoir le monde qui se dessine demain à travers les enjeux démographiques, environnementaux, énergétiques.

L’an dernier, le monde s’inquiétait d’une potentielle victoire de Trump qui aurait pour effet d’accroître ce tourbillon et les lignes de fracture. Après neuf mois complètement déroutants, quelles sont les caractéristiques de son second mandat ?

Ce second mandat se concentre sur l’objectif de la campagne de Trump : Make America Great Again (Rendre à l’Amérique sa grandeur). Cela passe par une guerre commerciale qui n’épargne pas les alliés européens, soupçonnés d’ « arnaquer » les Américains, et la signature de « deals » définissant les droits de douane à payer pour vendre sur le marché américain. Sur le territoire américain, le retour de la grandeur américaine correspond à un programme suprémaciste, où la blancheur de la peau, la foi chrétienne et la défense de ses valeurs sont au centre. Ainsi, depuis sa prise de pouvoir en janvier 2025, Donald Trump mène une politique répressive contre les migrants, qui se concrétise par des expulsions massives, la suspension du droit d’asile, des déploiements militaires et le bannissement de certains États, et au nom de la lutte contre le wokisme, il s’en prend également aux minorités sexuelles et plus particulièrement aux personnes transgenres. Tout cela est d’autant plus paradoxal, que Trump et son vice-président Vance ont épousé des « migrantes » naturalisées Américaines par leur mariage !

Cette politique de Trump est aujourd’hui dénoncée par un nombre croissant d’Américains qui y voit une dérive autoritaire du pouvoir. L’admiration que le président américain porte aux « hommes forts », tel Poutine, est indéniablement à prendre en compte dans sa conception du pouvoir, car déjà, elle guide ses positions erratiques vis-à-vis de l’Ukraine et de la Russie, et l’humiliation qu’il a fait subir au Président Zelensky, lors de sa visite à la Maison-Blanche en février dernier. D’un autre côté, la politique du « America First » induit un rejet de l’interventionnisme militaire et le volontarisme de Trump à vouloir faire la paix, mais, selon ses propres règles, celles d’un businessman et non d’un diplomate. Cela a fonctionné pour le cessez-le-feu à Gaza, mais pas (encore !)  pour l’Ukraine.

Comme chaque année, vous évoquez les conflits les plus médiatisés, mais avez aussi à cœur d’aborder la Birmanie, le Soudan et l’Éthiopie, qui ont chacun fait plus de 10 000 morts, dans le plus grand des silences. Est-il plus que jamais plus difficile de faire la paix que la guerre ?

Oui, en effet, et c’est déjà ce qu’avait dit Dominique de Villepin devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies en 2003 pour s’opposer à l’intervention américaine en Irak : « N’oublions pas qu’après avoir gagné la guerre, il faut construire la paix. Et ne nous voilons pas la face : cela sera long et difficile, car il faudra préserver l’unité de l’Irak, rétablir de manière durable la stabilité dans un pays et une région durement affectée par l’intrusion de la force. »

Tout est dit : l’intrusion de la force déstabilise non seulement les rapports de force, mais également les équilibres politiques, économiques et sociaux, elle concourt également à l’esprit de vengeance et à l’éventuel retour de tensions et de conflits.

Moins de 30% de la population vit sous un régime démocratique, contre 50% en 2004. À cela s’ajoute l’irrésistible ascension des partis autoritaires dans les démocraties. Comment expliquez-vous cette défaite du système démocratique ?

Je ne parlerai pas véritablement de défaite, mais plutôt de faiblesse, de fragilité ou de vulnérabilité de la démocratie. C’est un régime politique qui peut disparaître, car ses fondamentaux, à savoir les libertés individuelles, l’état de droit sont rognés de l’intérieur par le pouvoir exécutif. C’est le cas aujourd’hui en Hongrie, que son Premier ministre, Viktor Orban définit aujourd’hui de démocratie illibérale, un terme qui souligne que derrière une façade démocratique marquée par des scrutins réguliers et pluralistes, l’état de droit et certaines libertés sont limités ou réduites. On en voit aujourd’hui les prémisses aux États-Unis de nos jours sous l’administration Trump. Son premier mandat avait déjà suscité des inquiétudes et la publication d’un ouvrage particulièrement précis sur les rouages qui mènent à l’affaiblissement démocratique, voire à l’autoritarisme : How Democracies die (La Mort des démocraties, traduit chez Calman-Lévy) écrit en 2018 par Daniel Ziblatt et Steven Levitsky, deux politologues de Harvard.

En tout état de cause, il est vraisemblable que la faillite des élites politiques à proposer une projection dans l’avenir, un programme défendant au-delà de valeurs et de principes un projet de société, inclusif et cohésif, a ouvert la voie aux populismes. Leurs discours simples voire simplistes donnent eux de l’espoir, et une réponse à des questionnements économiques, sociaux ou identitaires, que les médias et notamment les réseaux sociaux amplifient et polarisent. On l’a vu, les réseaux sociaux nuisent aux élections par le renforcement de la polarisation sans même évoquer la désinformation et l’absence de régulation de la liberté d’expression, puisqu’ils sont dominés par de grandes entreprises du numérique plus intéressées par les contenus publicitaires que démocratiques.

L’an dernier, nous avions évoqué la situation des femmes dans le monde. En Afghanistan, ce sont les premières victimes des talibans, mais, contrairement à la fin des années 1990 et au début des années, la communauté internationale ne s’émeut guère de leur sort. Comment expliquer le recul général de la cause des femmes, au-delà de cet exemple extrême ?

Est-ce un désintérêt pour le sort des femmes ou celui de l’Afghanistan ? Comme je le fais chaque année dans le Grand Atlas, je cherche à mettre en avant les conflits oubliés, qu’il s’agisse du Yémen, de la Birmanie, de la Syrie ou du Soudan. En 2024 et 2025, les médias ont concentré leurs grands titres à Gaza et la famine à Gaza, alors que la crise alimentaire est tout aussi grave au Soudan, sans que personne ne s’en occupe véritablement. Dans les deux cas, ce sont les populations civiles, femmes et enfants, qui sont les premières victimes.

Les femmes sont les grandes oubliées de l’histoire, non seulement car celle-ci a d’abord été écrite par des hommes, mais aussi essentiellement parce qu'elle est dominée par eux, occultant les figures féminines. Les choses changent, les sciences sociales en Europe et en Amérique du Nord se sont grandement féminisées au cours des 30 dernières années et la vision « féministe » qu’elles inaugurent permet de changer de regard, d’optique sur le monde, sur les sociétés, ouvrant des perspectives réflexives stimulantes. Tant que les politiques ne s’en mêlent pas !

La cause des femmes dans de nombreux pays reste malheureusement celle d’une condition sociale inférieure aux hommes, dont l’Afghanistan est sans doute le cas extrême aujourd’hui, car comme le rappelle le philosophe Olivier Roy, elles « font peur » aux Talibans tant elles leur sont étrangères à tout point de vue. Ailleurs, et notamment sous l’administration Trump, le conservatisme chrétien ambiant conduit à un retrait « volontaire » des femmes de la société américaine pour endosser le rôle unique de mère et de gestionnaire du foyer.

Vous maintenez une partie prospective dans laquelle on retrouve plusieurs défis environnementaux, mais aussi l’IA. Dans quelle mesure participe-t-elle à la course à la puissance et bouleverse-t-elle la géopolitique ?

En 2017, Vladimir Poutine déclarait que « celui qui deviendra leader dans ce domaine sera le maître du monde ». Au-delà du fantasme, c’est la capacité des États à accroître leur compétitivité et leur productivité dans tous les secteurs grâce à l’IA, créant de nouveaux rapports de force économiques et géopolitiques, mais surtout à s’adapter aux bouleversements sociaux que le remplacement de l’homme par des machines « hyperperformantes » induira en termes d’emploi, de formation et compétences, qui seront sans aucun doute les agrégats de la puissance de demain.

Force est de constater que d’ores et déjà l’IA exacerbe la compétition entre grandes puissances, avant tout les États-Unis et la Chine. La mise sur le marché en janvier 2025 de DeepSeek, un équivalent chinois très performant et moins cher de ChatGPT, a ébranlé la Silicon Valley et fait chuter les valeurs du numérique de Wall Street. Le fabricant américain des semi-conducteurs (indispensables à l’IA), Nvidia, a vu sa cote chuter de 17% en une journée. Pour le chercheur associé à l’IRIS Charles Thibout, la capacité de l’acteur chinois à obtenir des niveaux de performance comparable aux entreprises américaines, pour une puissance de calcul et de consommation énergétique bien moindres est « un véritable tour de force » et le « prélude à une compétition technologique internationale ». Les États-Unis s’y préparent activement avec le projet Stargate dévoilé par le président Trump dès sa prise de fonction, un plan d’investissement de 500 milliards de dollars visant à la construction d’infrastructures physiques et virtuelles nécessaires à la prochaine génération d’IA. L’ambition de ce projet est de conserver la suprématie américaine dans l’écosystème mondial de l’IA face à la concurrence internationale, avant toute chinoise (avec Alibaba, Baidu et Tencent).

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