15.11.2025 à 00:30
Eliott Dognon
Depuis son accession au pouvoir, le président serbe Aleksandar Vučić joue les gros bras en intégrant des hooligans et des criminels dans son système répressif. Mais depuis un an les Serbes n'ont plus peur et occupent la rue. Son système mafieux perd pied ! Le 1er novembre, les Serbes ont commémoré le premier anniversaire de l'effondrement du auvent de la gare de Novi Sad qui a fait 16 morts. Depuis ce drame, un mouvement de protestation inédit fait rage. Étudiant·es et citoyen·nes de toute (…)
- CQFD n°246 (novembre 2025) / Théo Bedard
Depuis son accession au pouvoir, le président serbe Aleksandar Vučić joue les gros bras en intégrant des hooligans et des criminels dans son système répressif. Mais depuis un an les Serbes n'ont plus peur et occupent la rue. Son système mafieux perd pied !
Le 1er novembre, les Serbes ont commémoré le premier anniversaire de l'effondrement du auvent de la gare de Novi Sad qui a fait 16 morts. Depuis ce drame, un mouvement de protestation inédit fait rage. Étudiant·es et citoyen·nes de toute la Serbie s'organisent horizontalement au sein de plénums et de zborovi – sorte d'assemblées populaires qui fonctionnent comme les plénums1. Iels occupent ensemble la rue pour réclamer justice, la fin de la corruption, la dissolution du Parlement et le départ du président Aleksandar Vučić.
« Jamais durant l'histoire moderne de notre pays, nous avions eu 5, 10, 15 manifestations le même jour »
Comme tout dirigeant autoritaire qui se respecte, ce dernier répond à la colère par la matraque. Rien de surprenant : « D'après les sondages, le pouvoir a compris qu'il perdrait si de nouvelles élections parlementaires avaient lieu, et que ce serait la fin d'un système bâti pendant dix ans sur la relation entre l'administration publique, des influences privées, des flux financiers et la violation systématique des lois. Pour l'éviter, le pouvoir recourt à des moyens de plus en plus violents pour gagner du temps et espère de nouvelles circonstances plus favorables » souligne Milan Igrutinović, chercheur associé à l'Institut des études européennes de Belgrade dans le média indépendant Mašina2. Pour ce faire, Vučić n'hésite pas à utiliser des hooligans et ses connexions mafieuses.
« Jamais durant l'histoire moderne de notre pays, nous avions eu 5, 10, 15 manifestations le même jour. Il n'y a simplement pas assez d'agents. Donc le pouvoir a appelé en renfort n'importe qui d'un peu violent avec un passé criminel », analyse Anastasija* étudiante à l'université de Belgrade. Et naturellement beaucoup d'agents sont devenus impossibles à identifier à cause de la généralisation illégale du port de masques, casques ainsi que de la disparition des numéros d'identification pourtant obligatoire. Du coup, « plusieurs hooligans et criminels se procurent des uniformes et prétendent faire la police », explique Dinko Gruhonjić, journaliste et chercheur basé à Novi Sad, fréquemment harcelé par le pouvoir et ses soutiens pour ses positions antinationalistes.
En août dernier, lors d'affrontements dans différentes communes serbes comme Vrbas, Bačka Palanka ou Novi Sad, de nombreux médias et organisations de défense des droits de l'homme témoignent d'affrontements violents entre des manifestant·es et des groupes cagoulés, armés d'objets contondants. Ces derniers étaient ostensiblement défendus par un cordon de bleus. Le média radio Slobodna Evropa (d'obédience américaine) en a ainsi identifié cinq : un ancien membre du Parti progressiste serbe (SNS) au pouvoir condamné pour trafic d'armes, un hooligan condamné pour le meurtre d'un policier en passant par un gestionnaire de business opaques et un ultranationaliste prorusse.
« Plusieurs hooligans et criminels se procurent des uniformes et prétendent faire la police »
Parmi eux il y a surtout Đorđe Prelić condamné à 35 ans de prison, réduit à 10 ans, après une cavale de 4 ans pour le meurtre du supporter de foot toulousain Brice Taton en 2009. Depuis sa sortie de prison sous condition en 2021, sa présence est régulièrement remarquée lors d'événements en soutien au SNS. Le 13 août dernier, il a été aperçu bien en vue à Ćacilend3, un campement proche du parlement serbe à Belgrade censé rassembler les soutiens du président. Ce dernier y faisait une brève apparition, aux côtés de son frère, Andrej Vučić, fréquemment accusé de fricoter avec le crime organisé (notamment avec Zvonko Veselinović, un criminel bien connu au nord du Kosovo).
L'usage de hooligans et de criminels pour faire les basses besognes de l'État serbe n'a rien de nouveau. Dans les années 1990, le président Slobodan Milošević avait confié au criminel Željko Ražnatović, alias Arkan, le soin de recruter dans les tribunes les soldats qui fonderaient la « Garde des volontaires serbes » pour faire du nettoyage ethnique en Bosnie-Herzégovine et en Croatie. Et Vučić sait d'où il vient ! Avant de devenir le ministre de l'information de Milošević en 1998, il a fait ses armes dans le Parti radical serbe (SRS), ultranationaliste et dirigé par le criminel Vojislav Šešelj. Milošević s'était notamment servi de ce parti pour faire peur à l'Ouest, montrer qu'il était le plus à même de gouverner et cacher ses propres projets nationalistes. « Durant les guerres de Yougoslavie, le SRS était sous perfusion de l'État et organisait certains groupes paramilitaires plein de voleurs et de criminels de guerre. Le parti a gardé des liens forts avec les milieux criminels », explique Dinko Gruhonjić.
En 2017, lors de investiture présidentielle d'Aleksandar Vučić, des hooligans aux connexions mafieuses du Partizan, un grand club de Belgrade, avaient agressé des opposant·es et des journalistes
Il faut ajouter, que le président serbe n'a jamais caché son passé de fan de l'Étoile rouge de Belgrade. Il fréquentait même les Delije (les Braves), le principal groupe de supporters du club, fer de lance du nationalisme dans les années 1990 dans lequel Arkan a recruté le principal contingent d'hommes pour son groupe paramilitaire.
Aleksandar Vučić n'a pas attendu le mouvement de contestation démarré fin 2024 pour mettre ses connexions à profit, quitte à changer d'allégeance footballistique. Lors de son investiture présidentielle en 2017, des hooligans aux connexions mafieuses du Partizan, l'autre grand club de Belgrade, agressent des opposant·es et des journalistes. Plusieurs médias et organismes de lutte contre la corruption identifient alors plusieurs personnes liées au pouvoir. En 2021, le pouvoir tremble ! Le leader des Janjičari ou Principi (groupe de supporters du Partizan), Veljko Belivuk, est arrêté après une enquête internationale4. Avec d'autres membres, il est accusé de sept meurtres, de kidnappings, de torture, de trafic de drogues et de possession illégale d'armes. Vexé d'être mis au placard alors qu'il se pensait intouchable, « Velja le problème » balance lors de son procès en 2022 : « Avec Aleksandar Stanković [l'ancien leader des Janjičari, ndlr], j'ai dirigé un groupe qui servait les besoins de l'État jusqu'à son assassinat [en 2016, ndlr], après quoi j'ai continué à le faire. »
« Vučić place aux postes importants uniquement des gens qui lui sont loyaux »
L'intimidation d'opposant·es politiques et la sécurité étaient son rayon. Il déclare même avoir rencontré Aleksandar Vučić en personne à plusieurs reprises. Le pouvoir nie, mais comment faire semblant quand des messages déchiffrés par l'agence européenne de police criminelle Europol prouvent une relation amicale entre Belivuk et Danilo Vučić, le fils du président. Une affaire de famille finalement !
Face à l'affaiblissement du pouvoir et donc du crime organisé, les criminels et les hooligans s'intègrent très bien au système répressif serbe car Vučić « place aux postes importants uniquement des gens qui lui sont loyaux », rappelle Dinko Gruhonjić. Ils complètent ainsi la surveillance algorithmique, l'usage illégal de canon à son, la pression psychologique, le public shaming, les détentions arbitraires... Mais aujourd'hui, les Serbes ne se laissent plus faire ! « Chacun a sa manière de lutter, certains le font légalement devant la justice, d'autres préfèrent descendre dans la rue et combattre de front en arrachant notamment les gazeuses et les boucliers des flics », explique Anastasija. Les questions qui se posent désormais concernent l'après Vučić. Et les étudiant·es « jouent les arbitres dans la constitution de listes électorales citoyennes pour de potentielles prochaines élections législatives. » précise Dinko Gruhonjić. Ces dernier·es trient les candidat·es en prenant soin d'avoir uniquement des personnes de la société civile pour garder l'indépendance de leur mouvement non partisan. Iels excluent ainsi toutes les figures des partis d'opposition jugés co-responsables de la faillite de ce système. « Ce pays et cette société sont en ruines mais les étudiants donnent de l'espoir et nous montrent que nous sommes des gens normaux qui méritent de vivre des vies normales. Ceci est un prérequis pour penser la suite », conclut le journaliste.
1 Voir « Balkans : Tout le pouvoir aux plénums ! », Lundi matin (21/03/2025).
2 Lire « No, This Is Not a Civil War In Serbia », Mašina (20/08/2025).
3 « Ćaci » est le sobriquet donné aux soutiens d'Aleksandar Vučić par les manifestant·es, Ćacilend est donc une moquerie qui peut être traduite par « le parc d'attractions des supporteurs de Vučić ».
4 Les janissaires étaient les esclaves de confession chrétienne qui formaient l'élite de l'infanterie de l'Empire ottoman. En 2018, le groupe change de nom pour Principi qui fait référence à Gavrilo Princip, assassin de l'archiduc François Ferdinand en 1914, qui est devenu un symbole du nationalisme serbe.
15.11.2025 à 00:30
Loïc
Loïc est prof d'histoire et de français, contractuel, dans un lycée pro des quartiers Nord de Marseille. Chaque mois, il raconte ses tribulations au sein d'une institution toute pétée. Entre sa classe et la salle des profs, face à sa hiérarchie ou devant ses élèves, il se demande : où est-ce qu'on s'est planté ? Dernière semaine avant les vacances. La timide ambiance révolutionnaire du mois de septembre est retombée comme un soufflet. Aux dernières semaines d'été, entrecoupées par les (…)
- CQFD n°246 (novembre 2025) / Mona Lobert, Échec scolaireLoïc est prof d'histoire et de français, contractuel, dans un lycée pro des quartiers Nord de Marseille. Chaque mois, il raconte ses tribulations au sein d'une institution toute pétée. Entre sa classe et la salle des profs, face à sa hiérarchie ou devant ses élèves, il se demande : où est-ce qu'on s'est planté ?
Dernière semaine avant les vacances. La timide ambiance révolutionnaire du mois de septembre est retombée comme un soufflet. Aux dernières semaines d'été, entrecoupées par les grèves, se succèdent les longues journées d'automne, à regarder tomber les feuilles depuis la salle de classe. Sur les chaises, dès le matin, certains gigotent, pressés que la Toussaint arrive. D'autres n'attendent même plus cinq minutes pour écraser leur tête sur la table et récupérer les heures de sommeil manquantes. « Vous savez que je dors pas vraiment monsieur ! J'écoute en dormant, j'enregistre mieux ! » ironise l'un d'eux. Je n'ai plus l'énergie de la rentrée pour les réveiller, moi aussi je comate. « En vrai monsieur cette dernière semaine elle passe lentemeeeeennt », geint un élève.
Alors que le temps s'étire pour tout le monde, je décide qu'on étudie un ouvrage à propos. Dans son roman À la ligne (La Table Ronde, 2019), Joseph Pontus raconte, sous forme de versets, son expérience d'ouvrier intérimaire dans une usine où il dépote des crevettes. Il y écrit « l'usine est/plus qu'autre chose/un rapport au temps/qui ne passe/qui ne passe pas/Éviter de trop regarder l'horloge/rien ne change des journées précédentes ». Un des élèves endormis entre-ouvre l'œil « Monsieur, c'est pareil qu'en classe, l'usine ! et pointe l'horloge au-dessus du tableau, Faut pas trop la regarder ! » Les autres acquiescent : « Monsieur l'ennui c'est horrible, ya pas pire, je pense qu'à rentrer chez moi toute la journée », confie un autre que je vois souvent le regard dans le vide, comme anesthésié.
La lecture continue : « Tu rentres/Tu zones/Tu comates/Tu penses déjà à l'heure qu'il faudra mettre sur ton réveil/Peu importe l'heure/Il sera toujours trop tôt ». Ici, comme à l'usine, l'ennui et la fatigue n'empêchent pas l'anxiété. « Ça fait flipper, même quand on est chez nous l'école est dans notre tête, même pendant notre temps libre », analyse le même élève le regard grave. Et la séance prend les airs d'une thérapie collective : « C'est vrai ! Et du coup ça génère du stress, t'y penses tout le temps ! » renchérit un autre. J'en profite pour rappeler que c'est pareil pour les profs : « Même si on passe moins de temps que vous en classe, on stresse aussi, et je me lâche, Moi aussi j'en peux plus de ces salles toutes blanches ! » Plus personne ne dort. La discussion glisse du manque de compréhension des parents aux dénigrements et aux pressions de certains profs, pour retomber sur l'usine où ils vont parfois faire des stages : « C'est comme l'école mais en pire, soit le travail est répétitif et ça rend fou, soit il est dur physiquement et ça fait mal, soit carrément le patron t'en donne pas et t'attends dans un coin ! » Quand on est prof, on minimise souvent les pressions qu'on fait porter sur les élèves et on n'écoute que trop peu les souffrances qu'ils vivent. C'est pourtant l'âge où apparaissent souvent les premiers signes de mal-être. Selon une étude de Santé publique France datant de 2022, 25 % des lycéens déclarent avoir eu des pensées suicidaires dans la dernière année. L'école-usine n'y serait-elle pour rien ?
08.11.2025 à 00:30
Laëtitia Giraud
Le 6 octobre devait se tenir à Aix-en-Provence la Nuit du Bien Commun, une soirée de levée de fonds pour des assos initiée par le milliardaire d'extrême droite Pierre-Édouard Stérin. Pas de charité désintéressée ici, mais une énième opération d'influence au service de son projet bien réactionnaire. Décryptage. La Nuit du Bien Commun, renommée pour l'occasion la Provence pour le Bien Commun, était annoncée en grande pompe pour le lundi 6 octobre dans la salle du 6MIC, à Aix-en-Provence. Une (…)
- CQFD n°246 (novembre 2025) / Caroline Sury, Le dossier
Le 6 octobre devait se tenir à Aix-en-Provence la Nuit du Bien Commun, une soirée de levée de fonds pour des assos initiée par le milliardaire d'extrême droite Pierre-Édouard Stérin. Pas de charité désintéressée ici, mais une énième opération d'influence au service de son projet bien réactionnaire. Décryptage.
La Nuit du Bien Commun, renommée pour l'occasion la Provence pour le Bien Commun, était annoncée en grande pompe pour le lundi 6 octobre dans la salle du 6MIC, à Aix-en-Provence. Une nouvelle étape de la tournée de ces « soirées caritatives » organisées chaque année depuis 2017 dans une vingtaine de villes en France, Belgique et Suisse. Objectif : collecter des financements auprès d'entreprises et de particuliers et les reverser à des associations d'intérêt général, ici du médico-social. Un appel à une « générosité légitime et bien pensée »1 ? Plutôt une nouvelle magouille de l'infâme Pierre-Édouard Stérin, richissime exilé fiscal et fervent catholique, qui s'est donné pour divine mission d'installer l'extrême droite au pouvoir2.
Les dix associations sont priées de se vendre en pitchant leur projet sur scène
À Aix comme dans les autres villes3, la soirée a donc été prise d'assaut par des militant·es syndicaux·les et politiques, tant et si bien qu'elle doit se réorganiser in extremis en ligne. « Pierre-Édouard ! Paye tes impôts, ça f'ra des sous pour nos assos ! » pouvait-on entendre toute la journée sur le piquet de grève dressé devant le 6MIC. Parce que le fond du problème c'est bien ça : le désinvestissement progressif de l'État dans le financement des associations ces dernières années laisse le champ libre au privé pour s'y substituer. Et à l'extrême droite de sournoisement avancer ses pions.
« On est là pour donner, mais on est aussi là pour défiscaliser. » Ainsi s'ouvre (en ligne, donc) la Nuit du Bien Commun du 6 octobre. Pour les généreux·ses mécènes, la soirée est l'occasion de s'alléger la conscience à coup de charité, sans oublier d'o-pti-mi-ser. Les dons peuvent, en effet, bénéficier d'une pratique réduction d'impôts à hauteur de 66 %. Pour récolter les fonds, les dix associations sélectionnées sont quant à elles priées de se vendre en pitchant leur projet sur scène. Refuser ce cirque n'est pour beaucoup pas une option, tant leur activité ne tient qu'à un fil. Face à la baisse chronique des subventions, aux refus de financement lorsque jugées « trop militantes »4 et à leur mise en concurrence par des appels à projets, les assos se tournent logiquement vers de nouvelles sources d'argent, en fermant souvent les yeux sur leurs origines. Dans le panel des associations sélectionnées pour l'évènement, on trouve des structures aux activités sans lien avec l'extrême droite, certaines soutenant mordicus ne jamais avoir entendu parler des « dessous » des Nuits du Bien Commun. D'autres, en revanche, sont pointées du doigt pour être « proches des milieux conservateurs et [servir] de véhicule aux idées d'extrême droite », affirme une membre d'ASSO Solidaires 13 lors de la journée. C'est le cas de La Visitation, un foyer d'accueil de jeunes femmes enceintes isolées, dont le projet est porté par l'association La Maison de Marthe et Marie, accusée d'être proche des milieux antiavortement5. « La Nuit du Bien Commun permet de banaliser une idéologie réactionnaire et conservatrice, continue la syndicaliste. En noyant le poisson au nom de la bienfaisance c'est en réalité Stérin qui tisse la toile de son projet. »
Périclès, pour « Patriotes, Enracinés, Résistants, Identitaires, Chrétiens, Libéraux, Européens, Souverainistes »
Son projet, c'est celui qu'a révélé L'Humanité en 2024 et qui porte le nom de Périclès, pour « Patriotes, Enracinés, Résistants, Identitaires, Chrétiens, Libéraux, Européens, Souverainistes ». Doté d'un budget de 150 millions d'euros, l'objectif est assumé : « permettre la victoire idéologique, électorale et politique » de l'extrême droite en luttant « contre les maux principaux de notre pays (socialisme, wokisme, islamisme, immigration) ». Depuis ces révélations, les mobilisations s'enchaînent pour faire annuler les Nuits du Bien Commun. Espérant calmer le jeu, Stérin décide de se retirer du conseil d'administration en juin 2025. Mais personne n'est dupe : « de proches collaborateurs continuent d'y siéger », explique une déléguée à la CGT Spectacle. La personne ayant pris la direction du fonds depuis 2023 n'est autre que François Morinière, président du directoire du groupe Bayard, éditeur de titres tels que Le Pèlerin, et copain de Stérin. Et continue : « Il garde aussi la main sur Obole, la société qui produit les Nuits du Bien Commun, et sur Otium, le fonds d'investissement qui la finance. »
Voici donc, entre autres projets nauséabonds, comment Périclès s'y prend pour « faire gagner l'extrême droite dans les têtes et dans les urnes »6. Les soirées du Bien Commun sont l'occasion pour Stérin de réunir dans un cadre idéal mécènes, responsables associatifs et élu·es qui partagent ses idées, pour élargir son réseau d'influence et structurer ses troupes. Investir le domaine de l'action sociale et le milieu associatif n'est pas un hasard. C'est en s'ancrant dans le débat public au travers de problématiques qui font consensus – le social, l'éducation, la jeunesse… – que l'extrême droite espère remporter la bataille. Financer quelques associations caritatives permet de maquiller cette tambouille pas très nette, sous un vernis de « bien commun ». Une tactique parmi les nombreuses autres que le « saint patron de l'extrême droite » décline à toutes les sauces : médias, culture, finance, enseignement… De quoi nous rendre salement malades.
Lundi 6 octobre, au petit matin, une trentaine de personnes se postent à proximité de la salle de spectacle d'Aix-en-Provence, le 6MIC. Depuis plusieurs mois, des organisations syndicales (CGT, CNT, Solidaires) et politiques et des groupes militants contre l'extrême droite s'activent dans l'ombre. En résulte « un tissu dense mobilisé et plusieurs entrées pour mettre la pression », nous glisse un affilié d'ASSO Solidaires 13 rencontré sur place. La combine, c'est un road crew, composé de huit technicien·nes intermittent·es du spectacle, qui a réussi à se faire embaucher à la journée pour le montage de l'évènement. À 8 heures, après signature de leur contrat, iels débrayent et se mettent en grève. Le piquet installé, les soutiens débarquent. Devant le peu de réactions de l'équipe de production (surstaffée) d'Obole et de la direction du 6MIC, les travailleur·euses décident de migrer dans le bâtiment et d'occuper la scène pour mettre la pression et jouer à la coinche (véridique). Iels y resteront jusqu'à la fin de la mobilisation. Pendant ce temps, à l'extérieur, une centaine de personnes a répondu présente à l'appel à un contre-rassemblement. Alors que le groupe se met en marche vers la salle de spectacle, la nouvelle tombe : la soirée est annulée sur place et sera organisée en ligne. La raison ? Protéger « l'intégrité physique » des participant·es menacée par « nos amis de la CGT [sic], accompagnés par des groupuscules d'extrême gauche », explique le mail diffusé par la production une heure avant que l'évènement ne démarre. Victoire ! Pas démobilisé pour autant, le cortège décide de rejoindre le piquet de grève qui tient toujours, escorté sous bonne garde par les dizaines de CRS présents. Une heure durant, les chants fusent dans la bonne humeur, jusqu'à ce que, l'annulation de la soirée confirmée, les huit mousquetaires quittent enfin leur estrade et rejoignent la foule acclamé·es par des « Gloire, gloire aux camarades grévistes ! »
1 Guillaume Richard, conseiller municipal Horizons de Nantes, dans l'absurde « La gauche déteste la Nuit du Bien Commun parce que cet événement montre qu'on peut mobiliser des fonds sans argent public », site du Figaro (05/06/2025).
2 Lire la série d'articles « Pierre-Édouard Stérin, saint patron de l'extrême droite française », site de L'Humanité.
3 À Rouen, en juin, la soirée a dû être déplacée dans un lieu privé après que la Métropole a renoncé à accueillir l'évènement. À La Rochelle, deux associations ont annulé leur participation. À Tours, Lyon et Nantes, les contre-rassemblements ont perturbé les soirées.
4 « Comment les préfectures censurent en amont les demandes de subventions associatives », Mediapart (15/10/2025).
5 « “La Région doit arrêter de soutenir des associations anti-IVG” », Le Parisien (22/11/2017).
6 Selon la formule de l'Huma.