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22.10.2025 à 11:59

“Non au parvis Sarkozy” : manifestation festive à Nice contre le choix d’Estrosi

admin

A l’appel de la liste Nice Front populaire, candidate aux élections municipales de 2026, une centaine de personnes s’est mobilisée ce mardi 21 octobre contre le choix de Christian Estrosi de nommer le parvis du futur hôtel des polices, Nicolas Sarkozy. Une manifestation festive et drôle, en balade dans les rues renommées selon des noms d’escrocs, comme Jacques Médecin, Jacques Chirac ou Charles Pasqua. Par Edwin Malboeuf A Nice, les.. Read More

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Texte intégral (1241 mots)

A l’appel de la liste Nice Front populaire, candidate aux élections municipales de 2026, une centaine de personnes s’est mobilisée ce mardi 21 octobre contre le choix de Christian Estrosi de nommer le parvis du futur hôtel des polices, Nicolas Sarkozy. Une manifestation festive et drôle, en balade dans les rues renommées selon des noms d’escrocs, comme Jacques Médecin, Jacques Chirac ou Charles Pasqua.

Par Edwin Malboeuf

A Nice, les noms de rue honorant la mémoire de gens de peu de bien sont légions. Alors qu’il venait d’être condamné à 5 ans de prison de ferme pour association de malfaiteurs dans l’affaire du financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy a vu son caniche préféré en la personne du maire de Nice, Christian Estrosi, voler à son secours pour proposer de nommer le parvis du futur hôtel des polices au nom du désormais taulard à la prison de la Santé. Une énième outrance pour l’espace public qui recense déjà le nom d’un bon paquet d’escrocs, de tortionnaires, et d’événements catastrophiques pour la mémoire collective.

Pour cette raison, Nice Front Populaire (NiFP), liste candidate pour les élections municipales de mars 2026, a lancé un appel ce mardi 21 octobre à 17h30, jour de l’incarcération de Sarkozy, pour une manifestation contre ce choix déplorable. Une visite guidée des rues portant le nom d’escrocs patentés par Jonathan, comédien et membre actif du collectif. Parapluie et micro en main comme un guide touristique, il amène la centaine de personnes, au son des Portes du pénitencier de Johnny Hallyday, devant la rue Jacques Médecin, maire de Nice de 1966 à 1990. Condamné pour corruption, prise illégale d’intérêts et détournements de fonds publics, il avait fui la justice en Uruguay comme le vulgaire néo-nazi qu’il était (il avait déclaré être en accord avec 99,9% des thèses du Front national). Puis la troupe se dirige vers le cours Jacques Chirac, condamné pour prise illégale d’intérêts, corruption, abus de confiance. Chaque fois, une affichette est scotchée pour rappeler les condamnations et renommer l’impasse. Quelques passants applaudissent, d’autres font des doigts d’honneur remplis de haine, et de peine pour leur idole tombée trop tard, après dix ans de procédure. Pendant ce temps, l’un des manifestants, a filé à l’allée Charles Pasqua, condamné lui dans huit affaires pour à peu près les mêmes motifs.

Jonathan, parapluie et micro en main, organisant la visite guidée des noms de rue problématiques à Nice, notamment celle de Jacques Médecin, Jacques Chirac, et Charles Pasqua, mardi 21 octobre 2025. Crédit photo DR.

Une manifestation pantaï comme on dit ici, dans la pure tradition carnavalesque niçoise, festive drôle et revendicative, qui s’est donc terminé devant le chantier de l’hôtel des polices. En dénonçant l’injure faite aux Niçois et Niçoises, d’honorer l’ancien président qui est allé s’acoquiner avec un terroriste responsable de la mort de 170 personnes dont 54 Français dans l’attentat de l’avion DC-10 d’UTA en 1989, pour quelques millions d’euros afin de financer sa campagne électorale de 2007.

Un manifestant avec un masque de Nicolas Sarkozy, devant le chantier du futur hôtel des polices, où devrait se trouver le parvis Nicolas Sarkozy, ce mardi 21 octobre 2025. Crédit Photo DR

Si cette liste parvient au pouvoir local en mars prochain, c’est une grande partie de l’espace public qu’il faudra réagencer et renommer, notamment par des figures féminines qui font cruellement défaut. La ville compte ainsi des rues comme celle du Maréchal Bugeaud, artisan de la colonisation algérienne, un monument à la gloire de ces mêmes colons sur la Promenade (« Ils ont construit un pays, l’ont quitté dans la douleur », est-il écrit), l’avenue Adolphe Thiers, le boucher de la Commune, la rue des Boers, colons sud-africains pour n’en citer que les plus abjectes. Les choix de noms de rue sont un enjeu éminemment politique, et la mémoire, une bataille culturelle.

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14.10.2025 à 13:38

Avec Nice Front Populaire, la gauche de gauche débute sa campagne municipale

admin

Ce dimanche 12 octobre sur la place Garibaldi, la liste de gauche nommée Nice Front populaire a fait son entrée en campagne pour les élections municipales des 15 et 22 mars 2026. Avec ce clin d’œil évident aux dernières législatives, la volonté de continuer à porter haut et fort l’aspiration de juin 2024 qui a vu se constituer un front populaire face à la menace fasciste. En face, Christian Estrosi.. Read More

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Texte intégral (1655 mots)

Ce dimanche 12 octobre sur la place Garibaldi, la liste de gauche nommée Nice Front populaire a fait son entrée en campagne pour les élections municipales des 15 et 22 mars 2026. Avec ce clin d’œil évident aux dernières législatives, la volonté de continuer à porter haut et fort l’aspiration de juin 2024 qui a vu se constituer un front populaire face à la menace fasciste. En face, Christian Estrosi et Eric Ciotti seront les ennemis principaux, ainsi que l’autre liste de gauche, Unis pour Nice, traitres à l’esprit du NFP dès ses premières jours. 

Par Edwin Malboeuf

La gauche unie mais divisée… en deux listes ? D’un côté la gauche de droite (Parti Socialiste, Parti communiste, Ecologistes), regroupés dans la liste Unis pour Nice, malgré l’absence de la première force de gauche (LFI) dans cette union. De l’autre, la gauche de gauche qui comprend la France insoumise, l’alternative communiste, les alternatifs (et quelques anarchistes égarés), l’Après, Ensemble, le NPA, le rassemblement citoyen Viva, et le collectif Reprenons la main, ainsi que des citoyens non-encartés. Le tout sous une bannière qui rappelle un temps pas si lointain d’union large, “de Hollande à Poutou” comme on l’avait surnommée. La liste présentée ce dimanche reprend le blason du Nouveau Front populaire des législatives de juin 2024, avec Nice Front populaire (NiFP) pour les élections municipales, et ne l’oublions pas, communautaires (ici pour la métropole Nice Côte d’Azur) de mars 2026.

Deux listes ayant appelé à l’union, sans qu’aucun accord ne soit trouvé. Il serait long et fastidieux de refaire le fil des événements ayant mené à cette désunion. Gardons à l’esprit qu’il demeure des divergences de fond majeures qu’un quelconque signifiant de gauche, donc englobant tout ce petit monde dans le même camp a priori, ne saurait dissoudre. D’un côté, on a souhaité exclure du rassemblement le collectif citoyen Viva, et disons-le sans qu’ils ne l’aient dit, la France insoumise, suivant ainsi les lignes nationales tracées par leurs partis. De l’autre, on a proposé une union calquée sur la base des scores électoraux, où la FI est arrivée en tête à Nice à toutes les dernières élections, avec en tête de liste une femme qui serait issue de la société civile. Ajoutons à cela, de vieilles inimitiés, avec au hasard, Patrick Allemand du PS et soutien dès 2017 d’Emmanuel Macron, et vous obtenez deux listes. Néanmoins, puisque la course est lancée, l’objectif pour ces deux listes, si ce n’est l’emporter, sera de terminer devant l’autre pour pouvoir s’imposer dans le rapport de forces du second tour, où devraient se trouver également Christian Estrosi (Horizons) et Eric Ciotti (UDR).

Mais, avant le second tour, il y a le premier, le 15 mars 2026. Nice Front populaire a réuni environ 300 personnes, ce dimanche 12 octobre sur la place Garibaldi pour le lancement de la campagne. Une foule venue écouter et découvrir à la tribune, confectionnée d’une petite palette et d’un pupitre, les premiers noms de la liste et les citoyen.n.es engagés dans l’élan de celle-ci. Pour la tête de liste, Mireille Damiano reprend du service, après les 9% de voix obtenus en 2020, dans un contexte de pandémie de Covid. « En tête de la gauche aux dernières municipales », dit Olivier Salerno, numéro 2 de la liste NiFP et chef de fil de la France insoumise, sous-entendant que la liste menée par Jean-Marc Governatori (L’écologie au centre, il le dit lui-même) était bien de droite. Suivent Anne-Laure Chaintron de la FI en numéro 3 et David Nakache, président de l’association Tous citoyens.

Mireille Damiano, tête de la liste Nice Front populaire, le dimanche 12 octobre 2025 à la tribune, place Garibaldi à Nice. Crédit Photo Philippe Pougetoux.

Les mots pour le dire

C’est sous un soleil automnal fort chatoyant que se sont enchainés les prises de paroles de ces quatre premiers noms, ainsi que de citoyennes et citoyens engagés. Une présentation de l’action culturelle et citoyenne par Nawel Bouhmedi, entrepreneuse et présidente d’association, une mise au point féministe et radicale sur ce que devra être le programme par Ariane Kuttel, militante féministe et rédactrice à Mouais, un plaidoyer pour la défense des quartiers populaires par Hatem Dridi, militant associatif et politique, un état des lieux écologiques du territoire par Yann Salagnon, membre d’Alternatiba, ainsi qu’un certain nombre de chantiers à prévoir sur le vélo, l’alimentation, le surtourisme. Le besoin de lutter contre toutes les discriminations par Anne-Laure Chaintron, un point sur le logement social défaillant à Nice (14% contre 25% prévue par la loi) d’Olivier Salerno, le bilan d’Estrosi par David Nakache, une défense du caractère démocratique de la liste et un soutien à la démocratie active par Mireille Damiano. En bref, un large tour d’horizon de ce qui fonde une gauche de gauche. Sociale, solidaire, démocrate, écologiste, féministe, antiraciste, citoyenne. Et radicale ? Car si l’esquisse du programme, dont 40 personnes travaillent dessus depuis plusieurs mois a rappelé Robert Injey au micro qui animait la discussion, paraît être en adéquation avec l’urgence sociale et écologique, les mots pour le dire ont parfois semblé euphémisants. Face aux ogres fascisants, ou carrément fascistes du camp adverse, il va peut-être falloir que cette gauche soit en mesure de sortir les crocs.

Quoi qu’il en soit, la campagne débute, et avec elle, son lot de coups bas, de promesses illusoires, de mensonges éhontés et de torsions du réel de la droite. Que la gauche soit au rendez-vous de ce parfois piètre spectacle politique et qu’elle puisse élever le débat public. Pour l’autre gauche, non, rien. Les atermoiements à censurer, ainsi que les acoquinements du PS avec la Macronie, la ligne saucisse-réac de Roussel, l’écologie bourgeoise des écologistes ont définitivement enterré l’espoir d’une quelconque union. Il n’y a qu’une seule gauche à Nice, elle porte le nom de Nice Front populaire.

Après les discours à la tribune, photo de groupe d’une partie du collectif présent ce dimanche 12 octobre 2025, place Garibaldi à Nice. Crédit Photo Philippe Pougetoux

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30.09.2025 à 16:04

De la grève des Lip de 1973 jusqu’à aujourd’hui, autogestion partout ! Entretien avec Théo Roumier

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Théo Roumier est enseignant en lycée professionnel, et syndicaliste à SUD. Il a écrit une biographie centrée sur le parcours politique et syndical de Charles Piaget, l’une des figures de la grève historique de 1973 à l’usine de montres Lip à Besançon (Charles Piaget, de Lip aux « milliers de collectifs », Libertalia, 2024). Entretien autour de la notion d’autogestion, de syndicalisme, de débats internes à la gauche et de mouvement social... Read More

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Texte intégral (3303 mots)

Théo Roumier est enseignant en lycée professionnel, et syndicaliste à SUD. Il a écrit une biographie centrée sur le parcours politique et syndical de Charles Piaget, l’une des figures de la grève historique de 1973 à l’usine de montres Lip à Besançon (Charles Piaget, de Lip aux « milliers de collectifs », Libertalia, 2024). Entretien autour de la notion d’autogestion, de syndicalisme, de débats internes à la gauche et de mouvement social. Par Edwin Malboeuf

Autogestion partout. Cela peut relever de la nature du slogan, mais c’est aussi un programme politique qui fut à l’œuvre dans un certain nombre de courants de gauche dans les années 1960 et 1970. Aujourd’hui, alors que l’idée ne semble plus tout-à-fait à l’ordre du jour, il est de bon ton de se remémorer la grève des Lip, expérience brève mais réussie d’autogestion de la production, avec à la manœuvre, un syndicat dont on dit aujourd’hui qu’il négocierait le poids des chaînes si l’esclavage était rétabli. Ce syndicat, c’est la Confédération française démocratique du travail (CFDT), créé en 1964, que l’on peut ranger à droite à ce jour et qui représente le syndicat le plus important en nombre de syndiqués et d’adhésions. Pourtant à ses débuts, il prône l’autogestion et s’inscrit alors pleinement parmi les revendications de Mai 68. Soit un mouvement qui veut tenir à l’écart à la fois le capitalisme et l’État dans la gestion des entreprises et de la société qui doit être celle des travailleuses et travailleurs auto-organisés uniquement. Nous y reviendrons.

« On fabrique, on vend, on se paie »

En 1973 débute donc cette fameuse grève à l’usine de montres Lip du quartier Palente de Besançon, du nom de son fondateur Fred Lip. Les ouvriers s’opposent, chose rare à l’époque, à un plan massif de licenciements. Rare car c’est le début du chômage de masse et la fin du plein emploi. En 1967, la France compte seulement 500 000 chômeurs et l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) est créée en 1968. En 1973, nous sommes en plein choc pétrolier, et entrons dans le début de l’ère néolibérale, synonyme de contre-attaque de la classe bourgeoise après trente années de révolution sociale à travers le monde. Le mouvement ouvrier demeure puissant et certain de sa force. Va alors s’engager un bras de fer historique avec le patronat pour s’opposer aux licenciements ainsi qu’au démantèlement de l’entreprise, et même reprendre en main la production sans lui. « Ça tient aussi à un effet de période. On est dans l’après 68, avec une libération de la parole ouvrière très forte. Il faut aussi rappeler qu’à l’époque la classe ouvrière, c’est presque la moitié de la population active. Ça donne une conscience de classe très forte. Idéologiquement, la gauche est puissante. La question du passage au socialisme est dans la tête de beaucoup de gens et pas uniquement des militants, et ce dans les années à venir. Besançon, c’est aussi le berceau de l’anarchisme jurassien, la ville de Proudhon. Qu’il y ait, dans cette ville-là, une histoire particulière du mouvement ouvrier, c’est vrai. Globalement, dans ces années-là, il y a une conception de la grève et de l’action, où la démocratie ouvrière était importante, nécessaire et presque naturelle. Aller contre cela, c’était aller à contre-courant de ce qui traversait toute une partie de la classe ouvrière. », nous explique Théo Roumier, auteur du livre sur l’histoire militante de Charles Piaget.

Affiche du Parti socialiste unifié (PSU), en soutien au combat des Lip.

Une grève de femmes menée par des hommes

C’est donc tout naturellement qu’au début du mouvement de grève, l’usine est occupée et les administrateurs provisoires, nommés après la démission du PDG, séquestrés. Une action courante pour l’époque. Les administrateurs sont fouillés et le plan de licenciements brutal ainsi que de démantèlement de l’entreprise est découvert. Après l’intervention de la police, la grève s’organise. Le stock de montres est réquisitionné par les salariés en grève et quelques jours après intervient cette décision historique de relancer la production « afin de s’assurer une paie sauvage permettant de tenir la distance » (1). Une banderole avec écrit « C’est possible, on fabrique, on vend, on se paie » est déployée en haut de l’usine. Les montres sont vendues par des « receleurs », des comités de soutien fleurissent partout en France. Le tout décidé collectivement par des assemblées générales, quotidiennes et décisionnaires. Le 29 septembre 1973, une grande manifestation est organisée à Besançon en soutien aux grévistes en lutte. On dénombre 100 000 personnes. « C’est l’équivalent de la ville qui débarque pour soutenir le mouvement, raconte Théo Roumier. C’est tout cela qui en fait une grève exceptionnelle et extraordinaire. Il faut souligner aussi l’irruption des femmes dans celle-ci. Plus de la moitié des ouvrières de l’usine sont des femmes. A 75% des ouvrières spécialisées, donc les métiers les plus précaires aux conditions de travail les plus dures. Elles prennent un espace politique pendant la grève. Lip, c’est une grève de femmes, bien que la plupart des leaders syndicaux étaient des hommes. Il y a eu une organisation de la grève qui s’est faite à la fois poussée par les grévistes, par les équipes syndicales qui ont mis en place des assemblées générales souveraines, des commissions qui préparaient les AG, pour que les votes ne soient pas seulement des caisses d’enregistrement de décisions déjà prises et par un comité d’action. La démocratie a été très représentative, avec 400-500 personnes en moyenne. A la fin de l’année 1973, les Lip sont 830 à être repris », retrace-t-il. Soit l’entièreté des salariés sans compter les départs volontaires sur les 1 200 salariés que comptait l’usine avant le mouvement. Victoire.

Charles Piaget, au centre en bretelle, le 14 août 1973. Crédit photo DR

Lutter contre la personnification

S’il y eut bien quelques figures féminines du mouvement comme Fatima Demougeot ou Monique Piton, c’est bien le nom de Charles Piaget qui reste dans la mémoire collective et demeure associé à cette grève. Comment empêcher qu’une figure charismatique prenne le pas dans une lutte et qu’un mouvement social soit sans incarnation ? Faut-il que cela repose sur des qualités humaines intrinsèques comme celles de Charles Piaget ou peut-on mettre en place un certain nombre de contre-pouvoirs ? « Dans la lutte de Lip, et en ce qui concerne Charles Piaget, cela reposait sur les deux. D’un côté toute une équipe syndicale autogestionnaire avec la CFDT et qui pour beaucoup en plus étaient membres du PSU, un petit parti de gauche radicale, qui se disait révolutionnaire et autogestionnaire. Son manifeste de l’année précédant la grève disait : “Contrôler aujourd’hui pour décider demain”. La CFDT recherchait cette horizontalité dans l’organisation de la grève. Elle a été très ouverte », explique l’enseignant. La vie militante de Charles Piaget peut résumer à elle seule nombre de débats et contradictions internes à la gauche. « C’est ce qui m’a intéressé car j’ai eu la chance de rencontrer cette personnalité. C’était quelqu’un d’une très grande intégrité et d’une très grande sincérité. Il avait cette souplesse ; il était capable de discuter avec les chrétiens de gauche, comme avec les anarchistes, les trotskistes, les maoïstes ».  Dans son récit livresque du mouvement social, Piaget explique que « le plus important c’est la mise en route du plus grand nombre », mais que « tout ne repose pas sur ses épaules », bien qu’il concède que ce fut « trop souvent » lui qui mena les assemblées générales. Et toujours une question, comment faire advenir le socialisme ?

Que reste-t-il du syndicalisme ?

Au sortir de la guerre en 1945, la CGT compte 5 millions d’adhérents. C’est en partie ce qui va permettre d’installer la Sécurité sociale sur le territoire, emmenée par le ministre communiste du travail Ambroise Croizat. Aujourd’hui, elle en revendique 600 000, la CFDT 630 000. Seulement un salarié sur dix est syndiqué actuellement, quand il était de un sur trois dans les années 1950. Les délocalisations, l’atomisation des travailleurs, l’avènement de l’auto-entrepreneuriat qui n’est rien de moins que de l’auto-exploitation en salariat déguisé, la désindustrialisation et le passage à une économie de service, la financiarisation de l’économie, l’éloignement patronal avec le rachat des usines par des grands groupes, une idéologie néolibérale ayant mené à une révolution anthropologique individualiste. Tous ces facteurs peuvent expliquer la fin de l’ère triomphante de la classe ouvrière et de ses conquêtes sociales. Le syndicalisme ne peut plus engager de rapports de force féroces comme à cette époque, où occupation d’usine et séquestration du patron étaient de mise. Pourquoi, selon Théo Roumier ? « Cela tient à la place de la classe ouvrière. D’avoir conscience d’elle-même, d’avoir un groupe social fort, doté d’intérêts convergents, porteur d’aspirations à une société socialiste. Tout cela donne une légitimité importante. Durant la grève Lip, ils se sentent légitimes à dire aux administrateurs provisoires, “non vous ne sortez pas”. Aujourd’hui tu fais ça, on t’envoie le GIGN. Le rapport de l’État à cette radicalité a changé. Mai 68 a fait changer beaucoup de choses, il y a eu une grande peur des patrons. Cela continue d’être quelque chose qui hante les sphères bourgeoises. Mais le nombre de syndiqués a fortement baissé. Aujourd’hui, occuper une usine est considéré comme délictueux. Le rapport de force n’est plus le même. C’est une partie de l’explication. Et puis il y a aussi des décennies de propagande médiatique où on explique que la violence c’est celle des ouvriers qui arrachent une chemise d’un DRH, et pas les licenciements. »

Planification ouvrière et démocratique : la question des SCOP

L’expérience Lip de relance de la production sans patron, en rupture avec la légalité capitaliste, a fait date. Depuis, on a vu quelques exemples de reprise en SCOP, notamment ces dernières années. Pour dresser un parallèle avec le présent, que pense-t-il du passage en Société coopérative de production (SCOP) de l’usine Duralex l’an dernier, choix qu’avait fait également Lip en 1977 ? « Parallèle intéressant, mais le choix de Lip s’est fait par défaut au commencement de la deuxième lutte en 1976. Après la victoire de 1973, un patron de gauche arrive, la production repart, mais l’État coule l’usine en faisant pression sur les banques, supprime des contrats etc. Ce qu’ils défendaient, c’était plutôt une “régie nationale sous contrôle ouvrier”, selon les termes de l’époque. Ils ne voulaient pas se mettre en concurrence pour leur survie, sur une terre horlogère jusqu’en Suisse. Cela pose une question intéressante de savoir qui définit les besoins, de ce qu’on doit produire. Piaget est assez précurseur là-dessus. Il se méfiait dans cette idée de SCOP du côté égoïste, d’une entreprise fermée sur elle-même. Malgré cela, il a voté pour la transformation en SCOP. Mais elle n’a pas fonctionné. »

« Pour Duralex, on ne pose plus la même question aujourd’hui. On ne peut que leur souhaiter de réussir. Mais est-ce que ce sont les ouvriers d’une entreprise concernée qui sont les responsables de leur “sauvetage” ? Ou est-ce que ce ne sont pas des questions de société qu’il faut assumer collectivement ? De quelle industrie, quel mode de production a-t-on besoin ? La CFDT parlait de planification autogestionnaire. Ce sont des débats qu’on a complètement oubliés, qui resurgissent un peu avec la crise écologique. On sera bien obligé de penser cette question de la planification. Une SCOP n’est qu’une rupture partielle, mesurée, dans un espace défini et étroit. Ça ne répond pas globalement à la question sociale. Les capitalistes reviennent vite, on n’évacue pas la question du pouvoir, de la démocratie, et de l’affrontement avec une bourgeoisie qui elle aussi pense globalement », détaille Théo Roumier. Charles Piaget était critique des SCOP, et parlait « d’îlot autogéré voué à l’échec dans un régime capitaliste » (2). La réponse doit être globale.

Autogestion partout ou socialisme sauvage

Comment s’apprend alors l’autogestion ?  « Je crois beaucoup à l’école des luttes. C’est à la fois un combat politique qui doit être mené – il faut le reconnaître par des minorités politiques acquises aux principes d’auto-organisation, mais c’est aussi quelque chose qui relève de l’expérience concrète. Piaget, cette défiance à l’égard de la hiérarchie, il l’a construite dans son parcours syndical tout au long de sa vie. Et puis, il faut aussi compter sur quelque chose que Jorge Valadas appelle “le socialisme sauvage”. Qu’il y a toujours moyen de penser le socialisme au niveau du terrain, de la base, qui surgit toujours. Il y a toujours un peu de socialisme dans toutes nos luttes. »  Si les syndicats et les partis ont cessé de jouer ce rôle d’éducation populaire, que pense-t-il du refus de ceux-ci dans les mouvements spontanés et populaires qu’ont été les Gilets jaunes ou pour ce qui s’annonce, à l’heure de ces lignes, le 10 septembre avec le mouvement Bloquons-tout ? « Je pense qu’il y a un rejet, surtout, de l’institutionnalisation des syndicats, pas tant du syndicalisme. Des syndicats qui sont présentés comme des partenaires sociaux du pouvoir en place. Je trouve cela plutôt positif. Pour le 10 septembre, des fédérations syndicales ont emboîté le pas, jusqu’à la CGT. Je pense que l’empreinte des syndicats sur la société est moins forte qu’avant et que cela laisse des espaces disponibles, mais aussi beaucoup de frustration et de rancœur, car cela laisse des gens en contact direct avec l’exploitation et l’aliénation. Ils cherchent alors de nouvelles émergences qui tiennent justement du socialisme sauvage. Mais on ne peut pas prendre les syndicats comme un bloc. Il y a 1 000 manières d’être à SUD, à la CGT etc. Il faut se coltiner au réel sans en avoir peur, et aller défendre des logiques d’auto-organisation, de rupture anti-capitaliste et de radicalité. » 

Finalement, quel type de société autogestionnaire entrevoit-il ? « Il faut radicalement donner le pouvoir à toutes et tous. J’aime bien ce que disaient les zapatistes : “Commander en obéissant.  Tout pour tous”. Cette logique-là, c’est une belle idée pour réactiver l’idéal autogestionnaire. Je ne sais pas si ce mot parle forcément aujourd’hui. Ou alors sur le côté Do it yourself, petite entité. Par contre, on a intérêt à reposer la question du pouvoir, qui n’appartient pas à quelques-uns. Il est partagé, les décisions sont horizontales, les questions de production sont posées pour tous, pas seulement par les producteurs. C’est arriver à articuler différentes échelles, sans recréer un monstre bureaucratique. Mais l’on voit que même à gauche, on reste sur des formats très verticaux, avec des tribuns, des leaders. On gagnerait à reposer cette question de l’horizontalité qui souvent, renaît, se revivifie aux mouvements sociaux ».

Notes :

1. Théo Roumier, Charles Piaget. De Lip aux « milliers de collectifs », Editions Libertalia, 2024, 191 pages

  1. Op. Cit.

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