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04.11.2025 à 09:00

Entretien avec Juan Sebastian Carbonell : ce que l'IA fait au travail

Après un premier ouvrage consacré au futur du travail et aux effets de l'automatisation, de la précarisation et de l'essor des emplois de plateformes et dans le secteur de la logistique, Juan Sebastian Carbonell explore dans Un taylorisme augmenté les conséquences de l'Intelligence artificielle (en général, et pas uniquement de l'IA générative, qui a fait beaucoup parler d'elle ces derniers temps) sur les emplois et les conditions de travail. Critiquant des applications conçues pour renforcer le contrôle du travail par les directions, dans la continuité du taylorisme, il avance que l'IA pourrait être à l'origine d'un vaste mouvement de déqualification du travail, dont les salariés et leurs organisations doivent désormais prendre la mesure.   Nonfiction : Pourquoi est-il si important s ’ agissant de l ’ IA de chercher à prendre la mesure de ses effets sur le travail ? Juan Sebastian Carbonell : L’IA est ce qu’on pourrait appeler une « promesse technologique », c’est-à-dire que des acteurs privés et publics élaborent des discours cherchant à présenter cette technologie comme nécessaire et inévitable, apportant des solutions à des problèmes auxquels fait face la société : la pauvreté, la faiblesse de la croissance, le changement climatique, etc. C’est le but des discours sur les « ruptures », « révolutions » ou « disruptions » technologiques, sur l’intelligence artificielle générale ou, au niveau du travail, sur d'immenses gains de productivité grâce à l’IA. Pourtant, il faut adopter une posture sceptique à l’égard de l’IA, comme à l’égard de toute technologie, faisant la part entre ce qu’elle peut faire et ce qu’elle ne peut pas faire, et entre ce que disent des acteurs qui sont juge et partie du changement technologique et ce que disent les chercheuses et chercheurs en IA ou les acteurs de terrain qui vivent ces changements au quotidien. Ces derniers ne voient pas de « révolution », mais une transformation dans leurs conditions de travail. Étudier les effets de l’IA au travail permet donc de démystifier cette technologie en l’inscrivant dans la longue histoire des efforts patronaux pour mieux contrôler le processus de travail. C’est ce que j’essaie de faire avec l’idée que l’IA au travail est un « taylorisme augmenté », c’est-à-dire qu’elle prolonge aujourd’hui les logiques tayloriennes du XX e siècle de parcellisation du travail ou de séparation entre la conception et l’exécution. L’idée étant, de façon générale, que l’IA pose à nouveaux frais des questions classiques de la sociologie du travail sur l’organisation du travail, l’autonomie des travailleurs, leurs qualifications, etc. Comment ses effets sont-ils appré hend és par les économistes et que penser des mod è les qu'ils mobilisent pour cela et des résultats auxquels ils parviennent ? Il existe aujourd’hui plusieurs modèles pour penser les effets du changement technologique au travail, mais le modèle dominant, présent principalement dans l’économie mainstream , est celui du routine-biased technological change , formulé, entre autres, par deux des derniers prix de la Banque de Suède, Daron Acemoglu et Philippe Aghion. Cette théorie veut que le changement technologique affecte différemment les professions selon le contenu plus ou moins routinier des tâches qui les composent, d’où le « biais » des technologies vis-à-vis de la « routine ». Selon cette approche, il existe quatre (ou même cinq) types de tâches, qui se distinguent selon le degré de routine et leur composante manuelle ou cognitive. Les tâches routinières et manuelles, routinières et cognitives, non routinières et manuelles et, enfin, non routinières et cognitives (où l'on peut encore distinguer selon qu'elles sont interactives ou analytiques). Le changement technologique aurait tendance à faire disparaître les métiers composés de tâches routinières, qu’elles soient cognitives ou manuelles, ce qui provoquerait une polarisation des métiers. Cette théorie, quoique très séduisante, comporte de nombreuses limites. La principale étant que des études de cas que je développe dans le livre montrent que même les métiers composés de tâches non routinières et cognitives ne sont pas à l’abri d’une déqualification du travail. Vous expliquez l ’ importance de faire la part dans l ’ introduction d ’ une nouvelle technologie entre le quoi , le comment et le avec quoi . Pourriez-vous en dire un mot ? Oui, en effet. Je m’appuie beaucoup dans ce livre sur un auteur qui m’est très cher qui s’appelle Harry Braverman. Ce dernier n’était pas un sociologue, ou un économiste universitaire, mais un militant ouvrier trotskiste pendant une grande part de sa vie, avant de devenir éditeur. Il publie Travail et capitalisme monopoliste en 1974, s’appuyant sur son expérience d’ouvrier, mais aussi sur une critique de la vaste littérature de sociologie et d’économie du travail de l’époque. Il formule dans ce livre une critique de l’organisation du travail, notamment de la manière dont celle-ci contribue à la déqualification des travailleuses et des travailleurs et donc à accroître le pouvoir patronal sur le processus de travail. Cette analyse débute avec Marx, et Braverman essaie de montrer ce qui a changé depuis en analysant le taylorisme, c’est-à-dire l’organisation « scientifique » du travail. Braverman rappelle que l’analyse du travail en termes de tâches n’a rien d’évident, mais est plutôt le produit du taylorisme qui analyse le travail ouvrier pour ensuite le décomposer en tâches pour mieux les distribuer à des ouvriers moins qualifiés. Suivant en cela Braverman, je préfère partir d’une analyse de l’organisation du travail, c’est-à-dire de la distinction entre quoi (quelles sont les tâches qui composent un métier), comment (avec quel degré d’autonomie travaillent les salariés et les salariées) et avec quoi (quels sont les outils avec lesquels ils et elles travaillent). Ce cadre conceptuel nous permet de comprendre mieux les effets des nouvelles technologies au travail, dont l’IA, puisque celle-ci entre dans une organisation du travail en particulier, la modifie dans son ensemble, redistribuant le travail entre les différents métiers, au lieu, simplement, d’affecter ce travail selon son degré de routine. Il faudrait peut-être ajouter à cette configuration le « pourquoi », c’est-à-dire les déterminants socio-économiques qui poussent les entreprises à choisir telle ou telle technologie au détriment d’une autre, puisque l’existence d’une technologie n’implique pas son application immédiate ou réussie dans une organisation du travail particulière. Les applications (autorisées) de l ’ IA dans les entreprises sont multiples et variés, sans parler des utilisations « sauvages » que peuvent en faire les salariés dans leur travail, comment les caractériseriez-vous ? Une entreprise qui introduit un nouvel outil dans le but de baisser le coût du travail, quantifier l’activité de ses salariés, ou les surveiller n’a rien à voir avec un salarié qui s’appuie sur ChatGPT pour rédiger ses emails. Mais, le fait est que, dans aucun des deux cas, cet usage ne bénéficie aux salariés. C’est quelque chose que j’ai pu observer dans l’industrie automobile, où les nouveaux robots industriels sont présentés par la direction, les syndicats, et souvent par les salariés eux-mêmes, comme un moyen de rendre le travail moins pénible, ou de réduire le nombre d’accidents. Un robot peut porter des pièces lourdes, ou commettre moins d’erreurs qu’un humain. Pourtant, l’effet pervers de ce allègement est une intensification du travail, puisque les ouvriers se concentrent sur ce que l’entreprise appelle les « gestes à valeur ajoutée », c’est-à-dire les gestes de montage. C’est ce que l’on constate aussi dans la logistique, où la commande vocale a pour but de « libérer » les yeux et la main des préparateurs de commandes, en leur dictant leur travail, pas à pas. Une interprétation charitable voudrait que cela réduit la charge mentale des ouvriers, qui n’ont plus à suivre un listing papier ou sur une tablette. Mais les différentes études sur cet outil montrent qu’il permet surtout d’accélérer la cadence, provoquant, comme dans l’industrie automobile, des troubles musculo-squelettiques sur le long terme. On en vient donc aux salariés de bureau et à l’« adoption silencieuse », comme on l’appelle, qui peuvent voir dans ChatGPT, ou n’importe quelle autre IA générative, « juste un outil ». Or, d’un côté, l’adopter, même volontairement, change le travail, puisque les salariés délèguent alors à l'IA certaines tâches pour se concentrer sur d’autres. D’un autre côté, cet usage contribue à rendre les IA génératives incontournables et à imposer leur usage . Plus on l’utilise, plus son usage est encastré dans nos activités professionnelles quotidiennes, jusqu’à la rendre « évidente », rendant plus difficile ou coûteux le fait de s’en passer. Vous n’évoquez pas d ’ exemples o ù l ’ IA a permis au contraire d ’ améliorer significativement la prestation, sans dégradation du travail (même si les deux ne vont pas nécessairement de pair). Est-ce à dire qu ’ il n ’ en existe pas ? Je ne nie pas qu’il puisse y avoir des cas où l’IA pourrait, d’une façon ou d’une autre, contribuer à améliorer les conditions de travail des salariées et salariés. On travaille avec des collègues italiens et autrichiens la question de l’introduction de technologies « digitales » dans l’industrie automobile européenne. Le type de technologie utilisé par les entreprises dépend du type de produit fabriqué, avec des effets différenciés sur la main-d’œuvre. Pour le dire très rapidement, dans l’industrie automobile française, ou chez les constructeurs généralistes italiens, comme Fiat, les technologies ont les effets que je décris dans le livre : déqualification, intensification, etc. Parce que cela correspond aux besoins d’une industrie dont le modèle économique repose sur la production de véhicules particuliers généralistes et donc sur la réduction permanente des coûts. Mais dans l’industrie automobile autrichienne ou dans le segment de luxe de l’industrie automobile italienne (Maserati, Ducati, Lamborghini, etc.), les effets négatifs des technologies pouvaient être négociés avec les salariés et leurs représentants syndicaux. Cela tient à la politique produit, qui nécessite des investissements technologiques importants en lien avec la qualité, donc un usage plus intensif des technologies par les salariés et les salariées qui les fabriquent. On voit donc bien que les effets des technologies varient selon le contexte économique. On pourrait aussi dire que le cadre institutionnel peut également influencer les effets des technologies : dans une industrie sans tradition de négociation collective sur le changement technologique, comme c’est le cas de l’industrie automobile ou de la logistique en France, les effets de la technologie ne sont pas discutés entre direction et syndicats. Souvent même, les directions locales découvrent de nouveaux outils ou de nouvelles machines en même temps que les représentants du personnel. En quelque sorte, tout le monde est dessaisi de cette question au niveau de l’entreprise. Cela étant dit, dans des pays où il existe des instruments de négociation sur le changement technologique, on voit que les effets négatifs de ces technologies peuvent être mitigés par la négociation collective. Finalement, comment parer ces effets ? Vous n ’ accordez pas beaucoup de crédit pour cela à la réglementation... Vous évoquez pour finir un « nouveau luddisme », qui pourrait prendre la forme d'une critique de l ’ organisation du travail par les travailleurs eux-mêmes pour promouvoir des trajectoires technologiques alternatives à celles que prétendent instaurer les directions, et non déqualifiantes. Pourriez-vous en dire un mot ? En effet, la réglementation est souvent brandie comme un moyen d’encadrer l’IA et ses effets négatifs. Pourtant, cette option me semble limitée. La réglementation n’a pas tant pour but de « freiner » l’« innovation », comme le disent ses opposants, mais d’offrir un cadre pour le développement à l’IA, pour, en quelque sorte, favoriser l’émergence d’un marché de l’IA. Il suffit de voir qui siège dans les commissions qui, soit rédigent les réglementations, soit sont consultées dans leur élaboration : on y trouve des représentants d’entreprises de la Tech, d’entreprises du numérique, de transnationales, etc. Comme le montre la Quadrature du Net, le règlement IA de l’Union européenne n’a rien d’un encadrement qui permettrait de protéger les populations ou les travailleurs et travailleuses de l’IA. Il a pour objectif de favoriser le prolifération des usages de l’IA, tout en régulant la concurrence entre entreprises d’IA. Par exemple, alors qu’il y a eu de nombreuses demandes d’interdiction de certains usages, comme la vidéosurveillance algorithmique ou le « crédit social », technologies dangereuses, aucune de ces revendications n’a été intégrée au texte final. Pour le dire autrement, en encadrant l’IA, ces réglementations favorisent l’acceptation de cette technologie. Réguler n’a pas freiné l’introduction de la vidéosurveillance algorithmique, mais a, au contraire, favorisé son expérimentation. La technologie est présentée comme « fiable » ou « sûre », puisque les entreprises peuvent désormais se protéger derrière ce cadre législatif. Face à ce déchaînement incontrôlé de l’IA et aux effets négatifs qu’on commence à documenter sur la surveillance des populations ou sur l’environnement, je défends une stratégie de refus qui s’incarnerait dans un « renouveau luddite », du nom des luddites, des ouvriers anglais du début du XIX e siècle, connus pour avoir détruit des machines industrielles. En détruisant des machines, ces ouvriers ne rejetaient pas le changement technologique dans l’absolu, mais la trajectoire technologique du capitalisme industriel naissant, c’est-à-dire l’existence de machines qui déqualifient les travailleurs et les travailleuses et déstructurent les collectifs ouvriers. Ils défendaient, en quelque sorte, une autre trajectoire technologique, un changement technologique alternatif. Cela passe, à mon avis, par le contrôle ouvrier, perspective que je défendais déjà dans l’ouvrage précédent. Celui-ci n’a rien à voir avec la co-détermination à l’allemande, ou la co-gestion. Mais plutôt, l’intervention des travailleurs dans la marche de l’entreprise, dans l’organisation du travail, et dans le changement technologique, indépendamment de la direction et du patron. Cela revient à décider démocratiquement de quelles technologies on a besoin, donc de décider si on a besoin d’IA, ou non.
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02.11.2025 à 18:00

Don Giovanni à l’Athénée : Mozart au cœur du théâtre

Au Théâtre de l’Athénée, Don Giovanni s’impose dans une version aussi audacieuse qu’épurée, portée par Julien Chauvin et Le Concert de la Loge. En plaçant l’orchestre sur scène, la production conçue par Jean-Yves Ruf renverse la hiérarchie traditionnelle entre fosse et plateau : la musique devient un protagoniste à part entière, au même titre que les chanteurs. Ce dialogue permanent entre instruments et voix confère à l’œuvre une intensité dramatique rare. Dès l’ouverture, la direction nerveuse et précise de Chauvin capte l’attention. Le timbre éclatant des cordes, la vivacité des vents, la pulsation dramatique du continuo soutiennent un théâtre musical d’une grande clarté. Sans surcharge orchestrale, tout respire souplesse et liberté — un Mozart vif, articulé, profondément humain. La mise en scène, volontairement dépouillée, s’appuie sur une scénographie minimaliste signée Laure Pichat : passerelle, escalier, lumière sculptée par Victor Egéa. La simplicité du cadre permet de concentrer l’attention sur les corps et les affects. Timothée Varon incarne un Don Giovanni au charme inquiétant ; Adrien Fournaison (Leporello) lui donne la réplique avec un humour désabusé, évitant la caricature. Margaux Poguet (Elvira) et Marianne Croux (Anna) se distinguent par leur précision vocale et leur engagement dramatique, entre fragilité et puissance. L’ensemble dégage une jeunesse et une cohérence remarquable : un chœur réduit, une scène sobre, une lecture limpide qui recentre l’opéra sur sa tension essentielle entre désir et châtiment. Loin des effets spectaculaires, Ruf et Chauvin signent un Don Giovanni chambriste, tendu, vibrant, où chaque geste, chaque souffle trouve son écho musical. Une production d’une rare justesse, à la fois respectueuse de l’esprit mozartien et ouverte à la modernité : sans doute la preuve qu’un grand mythe peut encore se raconter avec fraîcheur, intelligence et ferveur.
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30.10.2025 à 10:00

Voyager, une histoire du XIXe siècle

En mars 2020, bien que tous les États ne l’aient pas décidé, le monde entier se retrouve confiné et ne peut plus voyager. Cette décision constitue le point de départ de l’historien du XIX e  siècle et des représentations Sylvain Venayre. À travers 17 leçons, nées de rencontres avec des hommes et des femmes qui l’ont influencé, il décrit une pratique qui a imprégné la littérature de l’époque et permit la naissance de la littérature de voyages. Littérature dans laquelle la personnalité du narrateur l’emporte sur les lieux visités, à l’instar de Chateaubriand, qui cherche à Jérusalem les fondements de sa foi. C’est donc un ouvrage qui nous amène à redécouvrir, à travers la plume de Jules Verne, Michelet, Chateaubriand et consorts, les fondements de la figure du touriste et de nos pratiques de voyages nées au XIX e  siècle, notamment avec la transformation des transports.   Nonfiction.fr : Vous avez rédigé et dirigé plusieurs ouvrages sur l’histoire du monde au XIX e siècle , les guerres sur ce même siècle ou encore les produits symboles de la mondialisation depuis le XVIII e siècle . À la lecture de l’introduction, le livre semble avoir autant été écrit par « l’historien des voyages et de l’éloignement » 1 que par l’observateur des années 2020. Comment est né ce projet ? Sylvain Venayre :  Le projet est né en grande partie de la volonté de mon éditrice, Blandine Genthon. Depuis une trentaine d’années que je travaille sur l’histoire des voyages et de l’éloignement, j’avais abordé pas mal de sujets dont elle s’est aperçue qu’ils résonnaient avec notre présent. De façon d’ailleurs souvent paradoxale : le XIX e siècle, qui forme le cadre privilégié de mes recherches, est désormais assez mal perçu. Quand j’étais étudiant, à la fin du XX e siècle, on pouvait encore croire qu’il était « le siècle dernier », celui du romantisme, des révolutions, de l’avènement de la République, le grand siècle de Victor Hugo et de Louis Pasteur, celui dans lequel plongeaient les racines de notre modernité. C’est beaucoup moins le cas aujourd’hui, où le XIX e siècle est volontiers stigmatisé comme un siècle sexiste, raciste, impérialiste et pollueur. L’étudier, c’est toujours aller chercher les origines de notre modernité – mais des origines désormais extrêmement critiquables. Cela vaut aussi pour l’histoire des voyages. Le XIX e siècle n’aurait-il pas inventé, avec le tourisme, une forme de folklorisation de l’autre ? le moyen d’une domination occidentale sur le reste du monde ? des atteintes nouvelles aux peuples, aux patrimoines et à l’environnement ? Aujourd’hui que l’on craint les effets du « surtourisme » et que l’on opère un partage strict entre les élites sociales, qui voyagent pour leur plaisir, et les pauvres gens contraints à des migrations douloureuses pour des raisons politiques et économiques, qu’est-ce que l’expérience du XIX e siècle peut encore nous enseigner ? Nous avons fait le pari dans ce livre que les voyages des Occidentaux du XIX e siècle pouvaient être analysés en brossant à contre-sens le poil trop luisant de l’histoire, comme disait Walter Benjamin – qu’ils pouvaient nous en apprendre beaucoup sur la façon dont on ressent aujourd’hui l’expérience du monde, qu’il s’agisse de l’avènement de l’industrie touristique, des conquêtes impériales ou de bien d’autres pratiques du XIX e siècle, tel ce goût qui nous semble maintenant invraisemblable pour la chasse aux animaux sauvages. Bref, il s’agit d’essayer de continuer à tirer des enseignements du XIX e siècle, mais en pensant parfois contre lui. Chaque leçon, qui remplace ici les chapitres, est tirée d’une rencontre, d’un colloque et de rédaction de chapitres ou direction de dossiers. Le livre est bien sûr centré d’abord et avant tout sur le voyage, mais nous en apprenons également beaucoup sur votre parcours et vos influences d’historien. Quelle place occupe le voyage dans votre travail depuis trois décennies ? J’ai commencé par faire une thèse qui, à l’époque, étonnait un peu mes collègues, habitués à des sujets plus classiques. À l’époque, je tâchais de faire l’histoire du sentiment d’aventure. L’approche était celle de mon maître Alain Corbin : l’histoire des sensibilités et des représentations. Je me demandais ce que signifiait l’aventure pour les Européens du XIX e siècle et j’étais arrivé à premier résultat : je pouvais dater l’émergence de l’imaginaire moderne de l’aventure – entre les années 1880 et les années 1910. Auparavant, l’aventure existait, mais elle n'était pas désirable en soi. Les personnages d’aventuriers étaient méprisés. C’est à la toute fin du XIX e siècle que la quête de l’aventure pour elle-même est devenue quelque chose de valorisant, susceptible d’ennoblir une existence. Je me suis demandé pourquoi et, en gros, j’en suis arrivé à la conclusion que, au tournant des XIX e et XX e siècles, le sentiment d’une plus grande sécurité dans les transports et les communications, la disparition de l’inconnu géographique (à travers par exemple le remplissage des taches blanches sur les cartes de géographie) et le sentiment de l’éradication des mondes sauvages, sous l’effet de la politique de colonisation (ou, plus exactement, sous l’effet des propagandes impériales) avaient eu pour conséquence le déploiement d’une forme de nostalgie. Beaucoup de gens assuraient alors que l’espace qui autorisait l’aventure était en train de disparaître. C’était peut-être vrai, mais à condition d’admettre que, autrefois, on n’aurait jamais dit les choses ainsi. La mystique moderne de l’aventure pouvait donc être interprétée comme une réaction nostalgique face à la marche du monde. Par la suite, j’ai continué à travailler sur l’histoire du voyage, en essayant de croiser l’histoire des pratiques (progrès des transports et des communications, explorations, pèlerinages, voyages d’études, voyages de santé, tourisme) et celle des représentations (l’ensemble des façons de voir et de sentir qui ont permis de donner du sens à l’expérience du voyage). Cela m’a conduit à publier un gros livre, Panorama du voyage (Les Belles Lettres, 2012), dont l’ambition était d’établir la liste exhaustive de toutes les façons de dire, de vivre et de sentir le voyage au XIX e siècle. J’ai également publié une anthologie de textes sur le voyage, du XVI e siècle à nos jours. Dans l’ Histoire du monde au XIX e siècle , j’ai consacré un chapitre à l’histoire mondiale des transports et des communications. J’ai aussi multiplié les études de cas dans le cadre de revues ou de colloques – une cinquantaine en tout. J’en ai retenu 17 pour ce livre : celles qui me permettaient de faire dialoguer le XIX siècle, selon les principes critiques dont je parlais tout à l’heure, avec notre actualité. La première leçon donne la part belle à Chateaubriand et la littérature constitue une source majeure de ce travail. Les écrivains étaient pour certains de grands voyageurs, à l’image de Flaubert, qui visite l’Asie Mineure à 22 ans et prend des notes lors de ses voyages. Comment abordez-vous cette source, puisque tous les auteurs ne souhaitent pas participer à cette littérature du voyage, et quels sont ses atouts pour votre sujet ? J’ai été formé très tôt à l’analyse historienne des sources littéraires. Elle était essentielle pour mon travail sur l’histoire du sentiment d’aventure (comment ne pas utiliser pour ce travail la masse énorme des romans dits « d’aventures » ?). Ces sources sont prodigieuses à condition de ne pas les surinterpréter. Elles nous donnent rarement – ou, en tout cas, très indirectement – accès à la réalité des pratiques. En revanche, à condition de les étudier avec assez d’attention, elles nous permettent de repérer l’ensemble de ce qui était pensable – ou, au moins, dicible – à une époque donnée. Sans compter que, dans le cas des voyages, elles sont, en tout cas au XIX e siècle, prescriptrice de normes. C’est au XIX e siècle en effet que s’invente la littérature de voyage, au sens moderne de la notion de littérature – c’est-à-dire le récit qui n’a pas d’autre objectif que d’exprimer, pour le dire comme Chateaubriand, les émotions, les sentiments et les aventures du voyageur (là où la littérature de voyage de l’époque précédente était essentiellement centrée sur les objets étudiés par le voyageur). On ne parlait pas à l’époque d’« écrivain-voyageur ». Mais quand on a inventé cette catégorie – assez largement publicitaire – dans les années 1980, c’est bien en référence à cette histoire qui débute avec le XIX e siècle. Théophile Gautier, par exemple, a été un acteur important de cette évolution, en publiant les premiers recueils de récits de voyage, montrant par là que ce qui comptait dans ces livres, c’était moins les destinations du voyageur, très variées (Gautier a énormément voyagé), que le style de l’écrivain, seul susceptible d’assurer l’unité de ces récits. « Ce ne serait pas trop de l’histoire du monde pour expliquer la France », c’est par cette phrase de Michelet que Patrick Boucheron ouvre l’ Histoire mondiale de la France , à laquelle vous aviez participé et dont une nouvelle édition vient de paraître. Vous consacrez justement une leçon à Michelet. Quelle influence ont les voyages, notamment ses quatre en Italie, sur son œuvre ? J’ai une passion pour Michelet. Pendant plusieurs années, j’ai coanimé, avec Aurélien Aramini, Paule Petitier et Yann Potin, un séminaire sur Michelet. Je l’avais aussi beaucoup lu – et utilisé – pour mon enquête sur la façon dont la science historique a pris en charge, depuis le XVIII e siècle, le débat sur les origines de la nation en France 2 . J’en avais même fait un des personnages principaux de La Balade nationale , cette bande dessinée coécrite avec Etienne Davodeau, qui constituait, en 2017, le premier volume de l’ Histoire dessinée de la France , consacré à la question des origines. Dans ce livre, nous avons envoyé Michelet et ses compagnons de voyage dans un grand tour de France, à la recherche des différentes origines attribuées à la nation française, selon les époques et les opinions politiques. L’idée était d’ailleurs inspirée du Tableau de la France de Michelet, qui ouvrait le deuxième tome de son Histoire de France . Car Michelet a été un grand voyageur – à travers la France essentiellement, Michelet recherchant sur tout le territoire non seulement les archives qui lui permettrait d’écrire l’histoire de son pays, mais aussi le sentiment du corps de la nation, selon une logique qu’on verra ensuite à l’œuvre, quelques décennies plus tard, chez Vidal de la Blache. Mais Michelet a visité également les pays voisins, à commencer par l’Italie, en effet, qui a été pour lui une véritable révélation. Ce sont ses voyages en Italie qui lui ont fait considérer les Alpes comme « l’autel de l’Europe » et qui, surtout, lui ont permis de créer la notion moderne de Renaissance. Or, ce que j’essaye de montrer, c’est qu’en Italie, Michelet a surtout imaginé ce qui se trouvait au-delà de l’Italie : l’Orient, qu’il a rêvé par la puissance de Venise, par les Juifs d’Espagne réfugiés après 1492 et par l’Empire ottoman du temps du vizir Ibrahim. Ce sont ses déplacements – mais aussi les déplacements qu’il n’a pas pu faire mais qu’il a rêvé – qui l’ont invité à penser la Renaissance, c’est-à-dire, selon sa philosophie de l’histoire, le début de la réconciliation de l’humanité. La chasse, et le prestige qui l’accompagne sont aussi une motivation de certains voyageurs. Tout un imaginaire se construit alors autour d'animaux féroces qui n’existeraient plus en Europe et impliquent un voyage vers l’Asie ou l’Afrique. Comment s’organise ce genre de voyages ? Quand on pense à ce qui nous fait aujourd’hui horreur dans les voyages d’agrément du XIX e siècle, on pense assez vite à cette modalité particulière du sport pour certaines élites de l’époque : les « grandes chasses » (on ne parlait pas encore de safari, le mot n’est apparu qu’au début du XX e siècle). Alain Corbin m’avait naguère invité à me pencher sur cette question, dans la logique de mes travaux sur l’imaginaire de l’aventure. Il suivait en l’occurrence une idée souvent exprimée par Lucien Febvre : non pas chercher en quoi nous ressemblons aux gens du passé (selon un réflexe qui peut vite vous conduire à des raisonnements identitaires), mais au contraire en quoi nous différons. Or, en ce domaine, la gloire des grandes chasses est exemplaire. À quelques rares individus près, les hécatombes des chasseurs du XIX e siècle nous paraissent aujourd’hui extravagantes et lamentables. Il convient donc de se poser la question : pourquoi fascinaient-elles à cette époque ? Parce qu’elles fascinaient : les bibliothèques étaient pleines de récits de chasse, les romans d’aventures étaient pleins de scènes de chasse, dans les théâtres et les « exhibitions » on multipliait les images de chasse. Je pense qu’aucune époque n’a célébré à ce point le goût de mettre à mort les animaux sauvages. Il y a là un problème et, comme le disait Michel Foucault, la bonne histoire est d’abord celle qui s’efforce de résoudre un problème. Mais en réalité bien d’autres problèmes sont aux origines de ce livre. Pourquoi a-t-on décidé, au XIX e siècle, d’inventer la pratique du voyage de noces ? Pourquoi l’Église a-t-elle soutenu à ce point la pratique des pèlerinages, pourtant très critiquée à l’époque précédente ? Pourquoi certains artistes, tel Gustave Flaubert, ont-ils refusé tout à la fois la pratique de la photographie et l’écriture de récit de voyage ? Chaque fois, c’est un mystère de ce genre qui déclenche mon envie d’enquêter. Justement, avec la colonisation, les autorités métropolitaines cherchent des volontaires pour peupler les espaces qu’elles soumettent progressivement. « L’aventure coloniale », expression sur laquelle vous revenez, accorde-t-elle une place aux voyageurs ? C’est en effet un des plus gros problèmes : y a-t-il un lien entre le désir des voyages, que le XIX e siècle occidental a promu et institutionnalisé, et le désir de conquête, qui a abouti à la fin du siècle à la constitution des immenses empires coloniaux ? Et même, plus exactement, y a-t-il une relation de cause à effet ? Les voyageurs européens dans les espaces qui finiront par devenir des territoires coloniaux ont-ils été les fourriers de l’impérialisme ? Or, en ce domaine, rien n’est très simple. Il serait difficile de prétendre, par exemple, que le voyage de René Caillié à Tombouctou à la fin des années 1820 est directement à l’origine de la prise de la ville par les Français en 1894. C’est pourtant ce qui a souvent été dit : par la propagande coloniale à la fin du XIX e siècle, puis par le discours anticolonialiste à partir de l’entre-deux-guerres et même par certains des meilleurs historiens. Or, cet unanimisme devient suspect dès lors que l’on considère cette notion, « l’aventure coloniale », dont le premier terme a souvent été effacé au privilège du second. Pourtant, parler d’« aventure coloniale » n’est pas exactement parler d’« histoire coloniale ». Cela implique un certain imaginaire, qui associe le désir des confins au désir de conquête. Je me suis proposé ici de faire l’histoire de cette expression – de même que l’histoire d’autres notions tout aussi vagues, telle la notion d’« Ailleurs » afin d’essayer de comprendre ce qui se cachait derrière les mots. Car il n’y a rien de moins décoratif que les mots que nous choisissons pour nommer tel ou tel phénomène historique. Notes : 1 - p.134 2 - Les Origines de la France , Seuil, 2013, rééd. Points 2025
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28.10.2025 à 10:00

Géopolitique de l’année 2025

Dans cette treizième édition du Grand Atlas, Frank Tétart retrace l’année 2025 à partir de lignes de force géopolitiques et réfléchit à des prospectives pour l’année 2026. L’année 2025 est peut-être la plus chaotique depuis la naissance de cet atlas. Le recul des démocraties, l’affirmation des prédateurs, le recul du droit des minorités et des questions environnementales ont connu un apogée avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Ce second mandat se démarque par une surabondance des provocations, des « informations » et des actes contradictoires. C’est donc au monde selon Trump que Frank Tétart a décidé de consacrer un dossier spécial.   Nonfiction.fr : L’an dernier, vous insistiez sur l’incertitude de l’année 2024 en raison des lignes de faille qui se creusaient entre les démocraties et les régimes autoritaires et la rivalité sino-américaine. Votre dernier Atlas sur l’année 2025 confirme le prolongement de ces incertitudes qui aboutissent à une sorte d’interrègne. Quel titre donneriez-vous à l’année 2025 ? Frank Tétart : Le « moment trumpien », car le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche début 2025 a d’emblée suscité une inquiétude en Europe et dans le reste du monde, tant son programme axé sur la grandeur de l’Amérique et son style porté par son franc-parler et une surmédiatisation, contribuent à déstabiliser la pratique des relations internationales et l’ordre mondial. Un ordre déjà déstabilisé par la guerre d’agression lancée par la Russie contre l’Ukraine et celle contre Gaza, riposte aux attentats du 7 octobre 2023, qui s’est transformée au cours de l’année 2025 en une guerre israélienne sur tous les fronts. Or, cette pratique « disruptive » de Trump permet aussi de manière inattendue de parvenir à un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas début octobre. Vous rédigez un Grand Atlas depuis treize ans, mais celui-ci est peut-être particulier en raison d’une accélération de l’histoire sous nos yeux ; vous parlez d’ailleurs de « tourbillon du monde ». Comment abordez-vous une géopolitique qui n’a jamais été aussi fluctuante ? Pour décrypter ce tourbillon, il m’a semblé utile de repartir sur les fondamentaux de la puissance américaine, puis d’en souligner les évolutions. La treizième édition consacre en effet son dossier aux États-Unis d’aujourd’hui, mais revient dès la première partie sur les étapes incontournables de l’affirmation, puis de l’exercice de leur puissance. Elle met en avant des concepts, tels la « destinée manifeste » ou l’isolationnisme, et les postures vis-à-vis de l’extérieur (unilatéralisme/multilatéralisme) qui ont forgé la politique étrangère américaine et éclairent les choix en cours, notamment à l’égard de l’Iran et d'Israël. Cette première partie introductive nous guide vers la deuxième partie qui présente « le monde selon Trump », c’est-à-dire sa vision du monde, ses velléités territoriales sur le Canada ou le Groenland, sa politique commerciale, son rapport avec les grandes puissances (Chine, Russie) et ses alliés (européens ou Israël) ou l’Ukraine. La troisième partie s'attèle à montrer le monde tel qu’il est, souvent chaotique ou en conflits, marqué par la désinformation et le rejet du droit international, et comment il se positionne, réagit, face à ce « moment trumpien ». Quant à la dernière partie, elle demeure plus classique pour les habitués du Grand Atlas, et permet d’entrevoir le monde qui se dessine demain à travers les enjeux démographiques, environnementaux, énergétiques. L’an dernier, le monde s’inquiétait d’une potentielle victoire de Trump qui aurait pour effet d’accroître ce tourbillon et les lignes de fracture. Après neuf mois complètement déroutants, quelles sont les caractéristiques de son second mandat ? Ce second mandat se concentre sur l’objectif de la campagne de Trump : Make America Great Again (Rendre à l’Amérique sa grandeur). Cela passe par une guerre commerciale qui n’épargne pas les alliés européens, soupçonnés d’ « arnaquer » les Américains, et la signature de « deals » définissant les droits de douane à payer pour vendre sur le marché américain. Sur le territoire américain, le retour de la grandeur américaine correspond à un programme suprémaciste, où la blancheur de la peau, la foi chrétienne et la défense de ses valeurs sont au centre. Ainsi, depuis sa prise de pouvoir en janvier 2025, Donald Trump mène une politique répressive contre les migrants, qui se concrétise par des expulsions massives, la suspension du droit d’asile, des déploiements militaires et le bannissement de certains États, et au nom de la lutte contre le wokisme, il s’en prend également aux minorités sexuelles et plus particulièrement aux personnes transgenres. Tout cela est d’autant plus paradoxal, que Trump et son vice-président Vance ont épousé des « migrantes » naturalisées Américaines par leur mariage ! Cette politique de Trump est aujourd’hui dénoncée par un nombre croissant d’Américains qui y voit une dérive autoritaire du pouvoir. L’admiration que le président américain porte aux « hommes forts », tel Poutine, est indéniablement à prendre en compte dans sa conception du pouvoir, car déjà, elle guide ses positions erratiques vis-à-vis de l’Ukraine et de la Russie, et l’humiliation qu’il a fait subir au Président Zelensky, lors de sa visite à la Maison-Blanche en février dernier. D’un autre côté, la politique du « America First » induit un rejet de l’interventionnisme militaire et le volontarisme de Trump à vouloir faire la paix, mais, selon ses propres règles, celles d’un businessman et non d’un diplomate. Cela a fonctionné pour le cessez-le-feu à Gaza, mais pas (encore !)  pour l’Ukraine. Comme chaque année, vous évoquez les conflits les plus médiatisés, mais avez aussi à cœur d’aborder la Birmanie, le Soudan et l’Éthiopie, qui ont chacun fait plus de 10 000 morts, dans le plus grand des silences. Est-il plus que jamais plus difficile de faire la paix que la guerre ? Oui, en effet, et c’est déjà ce qu’avait dit Dominique de Villepin devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies en 2003 pour s’opposer à l’intervention américaine en Irak : « N’oublions pas qu’après avoir gagné la guerre, il faut construire la paix. Et ne nous voilons pas la face : cela sera long et difficile, car il faudra préserver l’unité de l’Irak, rétablir de manière durable la stabilité dans un pays et une région durement affectée par l’intrusion de la force. » Tout est dit : l’intrusion de la force déstabilise non seulement les rapports de force, mais également les équilibres politiques, économiques et sociaux, elle concourt également à l’esprit de vengeance et à l’éventuel retour de tensions et de conflits. Moins de 30% de la population vit sous un régime démocratique, contre 50% en 2004. À cela s’ajoute l’irrésistible ascension des partis autoritaires dans les démocraties. Comment expliquez-vous cette défaite du système démocratique ? Je ne parlerai pas véritablement de défaite, mais plutôt de faiblesse, de fragilité ou de vulnérabilité de la démocratie. C’est un régime politique qui peut disparaître, car ses fondamentaux, à savoir les libertés individuelles, l’état de droit sont rognés de l’intérieur par le pouvoir exécutif. C’est le cas aujourd’hui en Hongrie, que son Premier ministre, Viktor Orban définit aujourd’hui de démocratie illibérale, un terme qui souligne que derrière une façade démocratique marquée par des scrutins réguliers et pluralistes, l’état de droit et certaines libertés sont limités ou réduites. On en voit aujourd’hui les prémisses aux États-Unis de nos jours sous l’administration Trump. Son premier mandat avait déjà suscité des inquiétudes et la publication d’un ouvrage particulièrement précis sur les rouages qui mènent à l’affaiblissement démocratique, voire à l’autoritarisme : How Democracies die ( La Mort des démocraties , traduit chez Calman-Lévy) écrit en 2018 par Daniel Ziblatt et Steven Levitsky, deux politologues de Harvard. En tout état de cause, il est vraisemblable que la faillite des élites politiques à proposer une projection dans l’avenir, un programme défendant au-delà de valeurs et de principes un projet de société, inclusif et cohésif, a ouvert la voie aux populismes. Leurs discours simples voire simplistes donnent eux de l’espoir, et une réponse à des questionnements économiques, sociaux ou identitaires, que les médias et notamment les réseaux sociaux amplifient et polarisent. On l’a vu, les réseaux sociaux nuisent aux élections par le renforcement de la polarisation sans même évoquer la désinformation et l’absence de régulation de la liberté d’expression, puisqu’ils sont dominés par de grandes entreprises du numérique plus intéressées par les contenus publicitaires que démocratiques. L’an dernier, nous avions évoqué la situation des femmes dans le monde. En Afghanistan, ce sont les premières victimes des talibans, mais, contrairement à la fin des années 1990 et au début des années, la communauté internationale ne s’émeut guère de leur sort. Comment expliquer le recul général de la cause des femmes, au-delà de cet exemple extrême ? Est-ce un désintérêt pour le sort des femmes ou celui de l’Afghanistan ? Comme je le fais chaque année dans le Grand Atlas, je cherche à mettre en avant les conflits oubliés, qu’il s’agisse du Yémen, de la Birmanie, de la Syrie ou du Soudan. En 2024 et 2025, les médias ont concentré leurs grands titres à Gaza et la famine à Gaza, alors que la crise alimentaire est tout aussi grave au Soudan, sans que personne ne s’en occupe véritablement. Dans les deux cas, ce sont les populations civiles, femmes et enfants, qui sont les premières victimes. Les femmes sont les grandes oubliées de l’histoire, non seulement car celle-ci a d’abord été écrite par des hommes, mais aussi essentiellement parce qu'elle est dominée par eux, occultant les figures féminines. Les choses changent, les sciences sociales en Europe et en Amérique du Nord se sont grandement féminisées au cours des 30 dernières années et la vision « féministe » qu’elles inaugurent permet de changer de regard, d’optique sur le monde, sur les sociétés, ouvrant des perspectives réflexives stimulantes. Tant que les politiques ne s’en mêlent pas ! La cause des femmes dans de nombreux pays reste malheureusement celle d’une condition sociale inférieure aux hommes, dont l’Afghanistan est sans doute le cas extrême aujourd’hui, car comme le rappelle le philosophe Olivier Roy, elles « font peur » aux Talibans tant elles leur sont étrangères à tout point de vue. Ailleurs, et notamment sous l’administration Trump, le conservatisme chrétien ambiant conduit à un retrait « volontaire » des femmes de la société américaine pour endosser le rôle unique de mère et de gestionnaire du foyer. Vous maintenez une partie prospective dans laquelle on retrouve plusieurs défis environnementaux, mais aussi l’IA. Dans quelle mesure participe-t-elle à la course à la puissance et bouleverse-t-elle la géopolitique ? En 2017, Vladimir Poutine déclarait que « celui qui deviendra leader dans ce domaine sera le maître du monde ». Au-delà du fantasme, c’est la capacité des États à accroître leur compétitivité et leur productivité dans tous les secteurs grâce à l’IA, créant de nouveaux rapports de force économiques et géopolitiques, mais surtout à s’adapter aux bouleversements sociaux que le remplacement de l’homme par des machines « hyperperformantes » induira en termes d’emploi, de formation et compétences, qui seront sans aucun doute les agrégats de la puissance de demain. Force est de constater que d’ores et déjà l’IA exacerbe la compétition entre grandes puissances, avant tout les États-Unis et la Chine. La mise sur le marché en janvier 2025 de DeepSeek, un équivalent chinois très performant et moins cher de ChatGPT, a ébranlé la Silicon Valley et fait chuter les valeurs du numérique de Wall Street. Le fabricant américain des semi-conducteurs (indispensables à l’IA), Nvidia, a vu sa cote chuter de 17% en une journée. Pour le chercheur associé à l’IRIS Charles Thibout, la capacité de l’acteur chinois à obtenir des niveaux de performance comparable aux entreprises américaines, pour une puissance de calcul et de consommation énergétique bien moindres est « un véritable tour de force » et le « prélude à une compétition technologique internationale ». Les États-Unis s’y préparent activement avec le projet Stargate dévoilé par le président Trump dès sa prise de fonction, un plan d’investissement de 500 milliards de dollars visant à la construction d’infrastructures physiques et virtuelles nécessaires à la prochaine génération d’IA. L’ambition de ce projet est de conserver la suprématie américaine dans l’écosystème mondial de l’IA face à la concurrence internationale, avant toute chinoise (avec Alibaba, Baidu et Tencent).
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26.10.2025 à 09:00

Non, baisser le coût du travail ne crée pas d'emplois

Clément Carbonnier, professeur d’économie à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, s’était déjà fait remarquer il y a trois ans avec la publication, aux côtés de Bruno Palier, de Les femmes, les jeunes et les enfants d’abord  (PUF, 2022). Son nouvel ouvrage, intitulé Toujours moins ! L'obsession du coût du travail ou l'impasse stratégique du capitalisme français , à la fois bien écrit et très clair, est une excellente et importante contribution au débat politique et économique sur la baisse du coût du travail. Il propose un regard critique sur la politique de l’offre – cette stratégie qui prétend concilier la réduction du coût du travail pour les employeurs, des revenus décents pour les travailleurs et une limitation de la charge correspondante pour les finances publiques. Une équation séduisante, mais qui repose sur l’hypothèse que la baisse du coût du travail favorise la création d’emplois. Or, comme le montre l’auteur, de manière convaincante, cette hypothèse ne se vérifie pas. La politique de l’offre se heurte ainsi à un véritable « triangle d’impossibilité » – un schéma connu en économie –, dont les tensions récentes sur les finances publiques ont encore accentué les contraintes. Il serait ainsi temps d’explorer d’autres voies. Cependant, après quarante ans de politiques centrées sur la réduction du coût du travail, un changement de cap exigerait une transformation en profondeur de notre organisation économique. Une telle transition ne produirait pas de résultats immédiats, ses effets positifs ne pouvant être que progressifs… Ce constat soulève aussi la question de la finalité de la stratégie de baisse du coût du travail. Contrairement à ce qu’affirme l’économie dominante et une partie du monde politique, cette orientation ne saurait être considérée comme neutre : elle relève d’un choix politique, au cœur du débat sur un partage plus équitable de la valeur.   Nonfiction : Les patrons comme les responsables politiques le répètent à l’envi : il faut baisser le coût du travail, pour résorber le chômage et soutenir la croissance. Mais on s’y emploie depuis quarante ans et force est de constater que cela ne fonctionne pas. Avant d’en venir à la démonstration, pourriez-vous expliciter la conception politique et économique que présuppose la stratégie de baisse du coût du travail, en particulier du travail peu qualifié ? Et comment cette politique jongle entre le coût du travail pour les employeurs, les revenus des travailleurs et les contraintes sur les finances publiques ? Clément Carbonnier : L’idée derrière cette stratégie de politique de l’emploi est assez simple. C’est la vision du marché du travail comme un marché normal, dans lequel la marchandise serait la force de travail, vendue par les travailleurs aux employeurs. Dans cette fiction, si la marchandise est moins chère, les employeurs en achètent plus. Le problème est que la sphère de la production ne fonctionne pas de cette manière simpliste. En particulier, les facteurs de production sont complémentaires et les décisions se font au niveau de la chaine de production dans son ensemble, et non au niveau de chaque employé individuellement selon son niveau de salaire. Pour donner une idée, si le prix de la farine augmente, les boulangers ne vont pas faire du pain avec plus de levure et d’eau et moins de farine. Ils vont continuer à utiliser autant de farine et reporter leurs coûts : soit sur leurs marges, soit sur des primes aux salariés, soit sur certains de leurs prix.   Par ailleurs, si on souhaite effectivement que les employeurs ne paient pas trop cher la force de travail qu’ils utilisent, soit les niveaux de vie des travailleurs doivent être faibles soit il faut que quelqu’un paie à la place des employeurs. En France en l’occurrence, c’est l’État qui a beaucoup pris à sa charge les rémunérations des travailleurs du privé, à travers les allègements de cotisations et la prime d’activité notamment. Cela n’a pas totalement empêché la stagnation des salaires, et a surtout coûté très cher aux finances publiques, qui sont aujourd’hui particulièrement en tension. Trois axes, expliquez-vous, ont successivement été mis en œuvre dans le cadre de cette stratégie : un transfert du financement de la sécurité sociale, la maîtrise des coûts de la protection sociale et enfin une amorce de modération salariale. Mais ces axes ont alors eux-mêmes appelé des mesures visant à en corriger certains effets, si bien que finalement, c’est ainsi l’essentiel de la politique économique qui s’est trouvée dépendre de cette stratégie de réduction du coût du travail. Pourriez-vous en dire un mot ? Effectivement, cette stratégie de baisse du coût du travail s’est étendue à une grande variété d’interventions publiques, jusqu’à contaminer la majeure partie des politiques économiques françaises. Je montre dans mon livre le lien entre un grand nombre de réformes ces quarante dernières années et cette stratégie de baisse du coût du travail. Initiée à travers des réformes du financement de la sécurité sociale, cette stratégie visait au départ à ne pas trop modifier les salaires et à la protection sociale. Mais elle s’est avérée coûteuse en fonds publics. Pour aller plus loin dans cette baisse du coût du travail, les gouvernements ont cherché à limiter les dépenses de protection sociale. Les réformes successives des retraites   se sont inscrites dans cette logique et leurs initiateurs ont fait directement référence au coût du travail. Les réformes de la santé ont été plus variées et parfois moins visibles, mais ont également eu de forts impacts, notamment sur les inégalités d’accès aux soins. Cela a amené les pouvoirs publics à mettre en place de multiples dispositifs d’aides à la complémentaire santé. Enfin, plus récemment, des lois et ordonnances ont modifié le cadre de la négociation collective, ce qui a conduit à une détérioration des conditions de travail et une stagnation des salaires. Notamment, en décentralisant les négociations au niveau de chaque entreprise, on renforce la concurrence sociale entre entreprises alors que les négociations au niveau de la branche peuvent permettre de mettre en place des règles du jeu de la concurrence pour éviter une course au moins-disant social. De plus, les réformes de l’assurance chômage, outre l’effet direct sur les conditions de vie des allocataires, ont fortement diminué le pouvoir de négociation des travailleurs, au détriment des conditions de travail et des salaires. Et pourtant, nonobstant les affirmations des responsables politiques de tous bords, cette politique de baisse du coût du travail ne crée pas ou très peu d’emplois, expliquez-vous. On n’observe pas de lien macroéconomique entre le coût du travail et l’emploi et les évaluations qui ont pu être faites des allégements de cotisations montrent des effets nuls ou très faibles. Enfin, les études internationales confortent l’absence d’effet sur l’emploi du coût du travail. Pour autant, cette connaissance n’infuse pas jusqu’aux prises de décisions et était jusqu'ici largement absente du débat public. Comment se l’expliquer ? Il n’est pas tout à fait exact de dire que l’accumulation des preuves empiriques de l’inefficacité de cette stratégie n’aurait pas d’effets sur le débat public. Par exemple, on entend de plus en plus de critiques sur les dépenses publiques d’aides aux entreprises, dont les allègements de cotisation prennent une part substantielle. Certains défenseurs de ces politiques reconnaissent même aujourd’hui qu’on serait allé trop loin, ou du moins qu’il est inutile de renforcer encore ces dispositifs. Certes, ils ne proposent pas encore de revenir en arrière, mais cela acte déjà un changement. J’ai l’impression que ces critiques, aussi modestes soient-elles, n’étaient pas du tout audibles il y a encore 10 ans. D’ailleurs, même si cela reste très léger, les projets de lois de financement de la sécurité sociale pour 2025 et 2026 discutent de petites diminutions des allègements de cotisations. Je montre dans le livre que si ces politiques n’ont certes pas d’impact positif sur l’emploi, ni en termes de création nette ni en termes de sauvegarde, elles ne sont pas sans effets pour autant. Elles ont des effets inégalitaires marqués, qui sont constitués à la fois de pertes pour les moins avantagés, mais aussi de gains pour les plus avantagés : les propriétaires du patrimoine financier et les salariés les plus qualifiés. Nous avons ainsi pu montrer, dans l’évaluation que nous avons menée, que le CICE n’avait pas créé d’emploi, ni n’avait conduit à des investissements supplémentaires ou des hausses des ventes (qui auraient pu être permises par des baisses de prix), mais qu’il avait constitué une manne financière partagée entre des hausses des marges pour les employeurs et des hausses de rémunération pour les salariés les plus qualifiés. La défense des intérêts des gagnants à ces politiques participe certainement de la résistance de cette stratégie pourtant inefficace sur le front de l’emploi. Il existe des alternatives, expliquez-vous, qui seraient susceptibles d’avoir de meilleurs résultats en matière de création d’emplois et de croissance, mais qui restent de ce fait inexplorées, comme l’augmentation du pouvoir d’achat des ménages et la réorientation des fonds publics vers des investissements utiles, dans des politiques d’éducation, de formation et de santé, et dans des infrastructures et technologie de pointe. Comment évaluer ces résultats ? Où conviendrait-il d’orienter les efforts ? On observe effectivement de multiples secteurs dont l’activité manque en France, principalement faute de rentabilité marchande. Alors, plutôt que de subventionner les entreprises privées en espérant que cela rende ces secteurs rentables, il vaut mieux directement financer les emplois pour produire publiquement ces services dont on manque. Concernant les emplois à bas salaires, puisque c’est sur eux que s’est focalisée la politique, on peut citer l’ensemble du secteur des soins, médicaux et non médicaux. Il y a en particulier la question de la prise en charge de la perte d’autonomie, liée au vieillissement de la population, et la question de la garde d’enfant, qui pénalise encore aujourd’hui fortement les carrières professionnelles des mères des classes moyennes et populaires. Non seulement la réorientation des dépenses publiques vers ces secteurs créerait plus d’emplois directement, mais elle génèrerait aussi une activité utile qui aurait des effets positifs sur le reste de l’économie. Par ailleurs, si on regarde spécifiquement les besoins des entreprises privées, ce n’est pas en baissant leur masse salariale qu’on les aide le mieux. Le pouvoir d’exportation de la France ne peut pas grandir en tentant de concurrencer la Chine en prix, et même de grosses baisses de salaires ne suffiraient pas. Ce qu’il faut, c’est de la qualité et de l’innovation. Or, mettre à disposition des entreprises un socle important d’innovations fondamentales à développer est plus efficace que financer directement la R&D des entreprises privées en atrophiant le financement public à la recherche fondamentale. De plus, la majeure partie des entreprises françaises vend très majoritairement, voire exclusivement, en France. Ces entreprises ont donc besoin d’une demande solvable pour avoir des débouchés. Dans ce sens, des politiques de soutien aux salaires peuvent avoir des effets indirects bénéfiques aux entreprises. Enfin et surtout, que ce soient les entreprises exportatrices ou celles vendant localement, elles ont besoin d’une main d’œuvre bien formée, en bonne santé, et qui bénéficie de conditions de travail dans lesquelles elle peut être productive. Dans ce sens encore, c’est à l’opposé de la stratégie de baisse du coût du travail qu’il faut s’orienter.
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24.10.2025 à 10:00

Débat – Le travail et la société française

* L' APSE *, partenaire de Nonfiction, a organisé le mercredi 24 septembre 2025 une rencontre-débat gratuite en ligne, ouverte à toutes et tous. La captation vidéo est désormais disponible, en bas de cet article.   Le monde du travail connait d’importantes transformations, ce qui oblige les sciences humaines et sociales à aborder autrement la question du travail, par des regards croisés entre disciplines pour éclairer la diversité des situations de  travail, notamment en France.  Lors de cette rencontre-débat en ligne, il s'agira d'interroger collectivement des défis, leviers d’action et pratiques concrètes dans des contextes emblématiques du monde du travail contemporain. Trois thèmes d’actualité  ont été retenus pour une discussion avec des contributrices et contributeurs du livre Le travail et la société française (CNRS, 2024), ainsi qu'avec les participantes et participants en ligne. – Le thème  Intelligence Artificielle (IA) et futur du travail  sera abordé par le regard d’ Ewan Oiry, professeur en GRH à l’IAE de Lyon, mis en débat par Grégory Lévis, président de l’APSE. – Puis la question du travail soutenable  sera abordé à travers les réflexions de Corinne Gaudart , directrice de recherches au CNRS, mises en débat par Dominique Massoni , présidente de l’ITMD (Institut du Travail et du Management Durable). – Et enfin, la thématique des jeunes et du travail  sera abordée par Thierry Berthet, directeur de recherches au CNRS, et mise en débat par Julien Hallais , co-président de l’Afci (Association française de communication interne). Cette rencontre sera également l’occasion de présenter la structure générale du livre Le travail et la société française (CNRS, 2024), qui donne à voir les grands défis liés aux transformations du travail et la manière dont la recherche s’en saisit en France depuis trente ans. Ces croisements entre disciplines et questions sociétales éclairent en profondeur la diversité des mondes du travail en France. Ils sont par ailleurs complétés par un livre blanc, qui présente un bilan de trois décennies de recherches en sciences sociales sur le travail, et formule un certain nombre de propositions pour les structurer et les revitaliser. Cet évènement est gratuit. Toutefois, l’inscription préalable est nécessaire pour recevoir le lien de visioconférence. Plus d'informations sur le site internet de l'APSE en cliquant ici . La captation de cet évènement est disponible ici :   --- (*) L' Association Pour la Sociologie de l'Entreprise (APSE) , fondée en 1998 par le sociologue Renaud Sainsaulieu, est une association d'intérêt général réunissant chercheurs, sociologues en entreprise, étudiants et professionnels. Elle organise depuis près de 30 ans des rencontres régulières sur les usages de la sociologie dans le monde économique afin de mieux comprendre les situations de travail et les entreprises pour contribuer à les transformer.  
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