15.09.2025 à 10:48
la Rédaction
par Catherine Tricot
La Fête de l’Huma s’impose comme le rendez-vous incontournable des gauches. Tous les leaders sont venus se frotter au « peuple de gauche » affluant par centaines de milliers. Tous, ou presque. Il ne manquait que Raphaël Glucksmann, envoyant un signal clair : il ne fait pas cause commune avec cette foule-là. En revanche, Olivier Faure comme Jean-Luc Mélenchon, Sophie Binet et même Patrick Martin (le patron du Medef) ont pu humer une atmosphère qui ne trompait pas.
Avant de parler de l’ambiance générale, revenons un instant sur celle qui dominait parmi les proches et les membres du Parti communiste. Les militants étaient bien sûr au rendez-vous. Sans eux, pas de fête. Heureux comme des poissons dans l’eau car, cette année, pas de dingueries lâchées par surprise par Fabien Roussel pour troubler ce moment de retrouvailles. Le secrétaire national s’est fait plus discret et moins de monde est venu l’écouter. C’est le président du groupe communiste à l’Assemblée, Stéphane Peu, qui tenait estrade au côté de Marine Tondelier, Olivier Faure, François Ruffin et Hadrien Clouet (député LFI). Fabien Gay, le directeur de L’Humanité, marchait sur un nuage en annonçant que la Fête avait dû fermer les accès samedi à 15h. Il était encore tout auréolé de son rapport au Sénat sur les aides publiques versées aux entreprises. L’élu parisien Ian Brossat, très mobilisé sur le combat pro-palestinien, était également porté par ses camarades. Apparaissant comme des militants de l’union sans exclusive des gauches, ces trois visages (masculins) du communisme français étaient plébiscités dans les stands.
Sinon, les débats politiques ont fait le plein. Et il était tout aussi intéressant d’écouter le public que les orateurs. Olivier Faure a eu fort à faire pour convaincre de sa stratégie. La presse a beaucoup insisté sur les sifflets – pas tant que ça en vérité –, ils étaient maitrisés et les slogans méchamment anti-socialistes n’ont pas retenti, à la différence d’autres fois. Le public écoutait et réagissait. Le premier des socialistes a voulu amadouer la foule et a un peu triché en annonçant l’abrogation de la réforme des retraites quand il ne s’agit en fait – dans le projet socialiste – que de sa suspension. La différence ? La réforme avance et l’âge de départ est déjà porté à 63 ans. Olivier Faure a vanté la taxe Zucman, en passe de devenir le symbole d’une politique de gauche. Mais le public ne semble pas y trouver tout son compte.
Tout au long des débats de la fête, c’est une demande plus radicale qui s’est fait entendre. Les mots et les slogans n’étaient pas toujours là, mais la musique, elle, oui. Le tempo aussi. C’était celui de l’unité. Ce fut d’ailleurs le seul slogan scandé lors du grand débat : « Unité ! unité ! » Chahuté quand il dit vouloir un candidat insoumis à l’élection présidentielle, Hadrien Clouet a tenté une ruse : justifier la rupture d’avec les socialistes pour cause de soutien au régime génocidaire d’Israël. Il s’est fait bien ramasser par Olivier Faure.
François Ruffin et Stéphane Peu étaient au barycentre de ce moment à la fois radical et unitaire. Le député communiste a rappelé ce moment où les peuples socialiste et communiste ont forcé leur parti à converger pour faire face au fascisme montant en 1934. Intéressant encore quand il lie politique sociale et combat antifasciste, rappelant que la sécurité sociale n’est pas seulement née de la fraternité de la résistance mais de la conscience parmi les rédacteurs du programme des jours heureux que les peuples d’Europe ont sombré dans la pauvreté et la peur des lendemains avant le désespoir qui conduisit au fascisme.
Jean-Luc Mélenchon tenait meeting à part, dans son stand à lui, devant des centaines de militants serrés. Comme rarement, il a rendu hommage aux communistes, le militant d’aujourd’hui, la dirigeante d’hier, Marie-George Buffet et la charismatique Rosa Luxembourg. Il a même conclu son meeting par « l’Internationale » : il voulait rassembler la famille. Cela ne l’a pas empêché de dire de belles vacheries sur l’ensemble des partenaires de gauche. C’est plus fort que lui, il ne peut pas s’en empêcher. Laissons cela pour revenir au fond de son propos. Jean-Luc Mélenchon sent le moment. Il le voit révolutionnaire par la conjonction des luttes – en commençant par celles du 10 et du 18 septembre – et des blocages d’en haut. Les sorties du Medef, braqué devant toute contribution des entreprises, alimentent ce diagnostic d’époque révolutionnaire. Mais Jean-Luc Mélenchon rate quelque chose de l’air du temps : la demande puissante d’unité. De tous. De la base aux partis. Il fallait se balader quelques heures dans les travées pour le mesurer comme jamais. Le leader insoumis affirme sa confiance dans le peuple et son unité : voilà ce que le peuple lui demande.
Le 8 septembre dernier, les Norvégiens étaient appelés aux urnes pour élire leurs députés. Des élections législatives qui se sont soldées par la victoire de la gauche. Le parti travailliste du premier ministre sortant, Jonas Gahr Store, arrive en tête du scrutin avec 28% des voix. En deuxième position, on retrouve l’extrême droite et son « Parti du progrès » (FrP), qui obtient un record de suffrages avec 23% – et l’on voit la droite et le centre en chute libre. C’est tout le Storting (l’assemblée norvégienne) qui est perturbé : le travailliste Store, fâché avec ses anciens alliés centristes, doit désormais se tourner vers sa gauche : le Parti socialiste, le Parti rouge (extrême gauche) et le Parti de l’environnement (les écolos). Ces deux dernières formations ont connu un boum en faisant campagne sur la solidarité avec Gaza et le boycott d’Israël, contre l’impérialisme russe et américain, pour l’aide aux Ukrainiens, etc. Si cette gauche radicale estime que les soc-dems font partie de « l’establishment », ils leur offrent néanmoins un soutien sans participation au gouvernement, « pour pousser vers la gauche et le soutien aux syndicats ». À méditer, non ?
L.L.C.
L’entretien sur France Inter des journalistes du Nouvel Obs Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre. Auteurs de Le grand détournement (Albin Michel), ils révèlent comment milliardaires et multinationales « captent l’argent de l’État ». Un livre enquête qui vient conforter et aggraver même le travail des sénateurs sur les aides publiques aux entreprises.
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15.09.2025 à 10:17
Bernie Sanders
Au lendemain du meurtre de Charlie Kirk, le sénateur démocrate Bernie Sanders s’est exprimé sur You Tube sur la montée de la violence politique aux États-Unis.
Cet article est une traduction de la vidéo postée le 11 septembre 2025 par Bernie Sanders.
Je voudrais dire quelques mots au sujet du terrible assassinat de Charlie Kirk – une personne avec laquelle j’étais en profond désaccord sur presque tous les sujets, mais qui était clairement un excellent orateur et un organisateur très intelligent et efficace – et qui n’avait pas peur de se montrer au grand jour ni de s’engager auprès du public. Je présente mes condoléances à sa femme et à sa famille.
Une société libre et démocratique, ce que les États-Unis sont censés être, repose sur le principe fondamental selon lequel les citoyens peuvent s’exprimer, s’organiser et participer à la vie publique sans crainte, sans peur d’être tués, blessés ou humiliés pour avoir exprimé leurs opinions politiques. C’est l’essence même de la liberté et de la démocratie. Vous avez un point de vue, c’est très bien. J’ai un point de vue différent du vôtre, c’est très bien. Discutons-en. Nous présentons nos arguments au peuple américain au niveau local, régional et fédéral, et nous organisons des élections libres au cours desquelles le peuple décide. C’est ce qu’on appelle la liberté et la démocratie. Et je veux que le plus grand nombre possible de personnes participent à ce processus sans crainte.
La liberté et la démocratie ne sont pas synonymes de violence politique. Elles ne consistent pas à assassiner des fonctionnaires. Elles ne consistent pas à intimider les personnes qui s’expriment sur un sujet. La violence politique est une lâcheté politique. Elle signifie que vous ne pouvez pas convaincre les gens du bien-fondé de vos idées et que vous voulez les imposer par la force. Tous les Américains, quel que soit leur point de vue politique, doivent condamner toutes les formes de violence politique et toutes les formes d’intimidation. Nous devons accueillir et respecter les points de vue divergents. C’est le principe même de notre Constitution. C’est le principe même de notre Déclaration des droits. C’est le principe même de la liberté.
Le meurtre de Charlie Kirk s’inscrit dans une recrudescence inquiétante de la violence politique qui menace de vider la vie publique de son sens et de dissuader les gens d’y participer. De l’attaque du Capitole américain le 6 janvier 2021 à la tentative d’assassinat de Donald Trump, en passant par l’agression de Paul Pelosi (NDLR : le mari de Nancy Pelosi, présidente démocrate de la chambre), la tentative d’enlèvement de la gouverneure du Michigan Gretchen Whitmer, le meurtre de la présidente de la Chambre des représentants du Minnesota Melissa Hortman et de son mari, l’incendie criminel visant le gouverneur de Pennsylvanie Josh Shapiro, la fusillade dont a été victime le dirigeant de United Health Brian Thompson et celle dont a été victime, il y a plusieurs années, le représentant Steve Scalise, cette effrayante recrudescence de violence a pris pour cible des personnalités publiques de tous bords politiques.
Malheureusement, ce phénomène n’est pas nouveau. Nous nous souvenons tous des assassinats du président John F. Kennedy, du Dr Martin Luther King, Jr., du sénateur Robert F. Kennedy, de John Lennon, de Medgar Evers et des tentatives d’assassinat du président Ronald Reagan et du gouverneur de l’Alabama, George Wallace.
C’est une période difficile et marquée par de fortes divisions. La démocratie dans notre pays et dans le monde entier est menacée. Il y a de nombreuses raisons à cela, qui méritent d’être discutées sérieusement. Mais en fin de compte, si nous croyons sincèrement en la démocratie, si nous croyons en la liberté, nous devons tous nous exprimer haut et fort : la violence politique, quelle que soit l’idéologie, n’est pas la solution et doit être condamnée.
13.09.2025 à 12:45
la Rédaction
Comme chaque semaine, le débrief politique par Catherine Tricot et Pablo Pillaud-Vivien.
12.09.2025 à 12:05
Pierre Jacquemain
Avec la nomination de Sébastien Lecornu à Matignon, Emmanuel Macron parachève le glissement de son pouvoir vers une droite toujours plus dure, autoritaire et complaisante avec l’extrême droite.
Ce n’est pas une rupture : c’est une continuité brutale. La Macronie a fait son choix. Et ce choix n’est pas la gauche, mais l’ordre. L’autorité. La complaisance avec l’extrême droite – voire l’agenda du Rassemblement national.
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Car derrière les promesses d’une « nouvelle méthode », il y a un homme façonné par la droite conservatrice, qui a toujours préféré parler sécurité plutôt que solidarité. Sébastien Lecornu n’est pas une erreur de casting : il est la suite logique du macronisme. Un pouvoir qui, depuis 2017, a systématiquement fracturé le pacte républicain : loi Séparatisme, criminalisation des mouvements sociaux, répression des gilets jaunes, passage en force sur les retraites. Le « en même temps » n’aura été qu’un vernis. Aujourd’hui, il ne reste qu’un bloc réactionnaire, prêt à gouverner avec la (ou à la place du) RN. C’est peut-être cela qu’il faut entendre lorsque le nouveau premier ministre parle de nécessité de « rupture ».
C’est là que le basculement s’opère. Sébastien Lecornu devient ainsi le symbole d’une nouvelle normalité politique où les digues sautent, une à une, entre la droite dite « républicaine » et l’extrême droite. Dans les régions, dans les communes, sur les plateaux télé, la convergence se fait à ciel ouvert. Emmanuel Macron l’accélère, espérant capter l’électorat lepéniste sans alliance formelle. Mais à force de banaliser l’extrême droite, on l’installe. À force d’épouser ses obsessions sécuritaires, identitaires, autoritaires, on en devient l’auxiliaire. Sébastien Lecornu n’est pas un rempart. Il est un pont.
À force de banaliser l’extrême droite, on l’installe. À force d’épouser ses obsessions sécuritaires, identitaires, autoritaires, on en devient l’auxiliaire. Sébastien Lecornu n’est pas un rempart. Il est un pont.
Et c’est bien là l’enjeu de ce dossier : réfléchir à ce qu’est le RN aujourd’hui. Car son danger ne réside pas seulement dans ses scores électoraux. Il est dans sa capacité à contaminer l’ensemble du champ politique, à imposer ses thèmes, à se présenter comme un parti de gouvernement. Mais aussi dans son rapport aux mouvements sociaux. Le RN se nourrit des colères populaires, mais il les détourne. Il parle « peuple » mais méprise ses mobilisations. On l’a vu pendant les gilets jaunes : il a surfé sur la vague sans jamais l’assumer. On le voit avec les syndicats : il les accuse d’être des « minorités agissantes », tout en cherchant à incarner la colère sociale. C’est évident avec les blocages climatiques et syndicaux, dont il a la même peur viscérale que la Macronie. Le RN n’organise pas la révolte, il la canalise vers l’urne pour mieux la neutraliser. Son projet n’est pas l’émancipation collective, mais la mise au pas autoritaire de toute contestation. Sa vision de la démocratie est électorale, pas sociale. Et son rapport aux luttes, c’est de les instrumentaliser, jamais de les soutenir.
Et quand Jordan Bardella se présente en alternative, son programme dit tout : cent milliards d’euros d’économies sur le dos des plus fragiles, des pauvres, des étrangers. Bayrou fois deux, mais avec le glaive de l’austérité et le masque de l’autorité. Le tout en sacrifiant les politiques écologiques, comme si l’urgence climatique était une lubie de privilégiés. Derrière le vernis social, c’est une politique de classe, brutale, xénophobe et productiviste qui se dessine.
La véritable rupture, celle qui refuse ce scénario morbide, ne viendra ni de Matignon ni de l’Élysée. Elle viendra d’ailleurs, d’un projet anticapitaliste, écologiste, féministe, antifasciste. Bref, d’une gauche qui nomme le danger, qui combat le RN sans détour, et qui ose construire une alternative aux deux faces d’un même pouvoir : Macron et Le Pen.