01.11.2024 à 11:23
« Enfant de Pétain », la Police nationale ?
F.G.
C'est une décision inédite : un assistant parlementaire interdit d'accéder à l'Assemblée nationale, son propre lieu de travail donc. Il s'agit de Ritchy Thibault, militant qui s'est engagé pour les Gilets jaunes, pour la Palestine et bien d'autres causes, et qui a régulièrement été ciblé par la répression ces dernières années. Le jeune homme a été embauché comme assistant parlementaire de la députée insoumise Ersilia Soudais, suite à la dissolution de cet été. Cette semaine, Ritchy Thibault (…)
- OdradekLire plus (97 mots)
C’est une décision inédite : un assistant parlementaire interdit d’accéder à l’Assemblée nationale, son propre lieu de travail donc. Il s’agit de Ritchy Thibault, militant qui s’est engagé pour les Gilets jaunes, pour la Palestine et bien d’autres causes, et qui a régulièrement été ciblé par la répression ces dernières années. Le jeune homme a été embauché comme assistant parlementaire de la députée insoumise Ersilia Soudais, suite à la dissolution de cet été.
28.10.2024 à 10:22
Misère de la pensée décoloniale
F.G.
■ COLLECTIF CRITIQUE DE LA RAISON DÉCOLONIALE Sur une contre-révolution intellectuelle Traduit de l'espagnol par Mikaël Faujour et Pierre Madelin Éditions L'échappée, « Versus », 2024, 256 p. Ma prise de conscience de l'imposture postmoderne s'est faite au mitan des années 2010. Jusqu'alors, c'était plutôt d'un œil curieux et enthousiaste que je considérais chaque trouvaille du féminisme intersectionnel et de l'antiracisme décolonial. À l'instar d'un buvard absorbant tout liquide à sa (…)
- Recensions et études critiquesTexte intégral (2959 mots)
■ COLLECTIF [1]
CRITIQUE DE LA RAISON DÉCOLONIALE
Sur une contre-révolution intellectuelle
Traduit de l’espagnol par Mikaël Faujour et Pierre Madelin
Éditions L’échappée, « Versus », 2024, 256 p.
Ma prise de conscience de l’imposture postmoderne s’est faite au mitan des années 2010. Jusqu’alors, c’était plutôt d’un œil curieux et enthousiaste que je considérais chaque trouvaille du féminisme intersectionnel et de l’antiracisme décolonial. À l’instar d’un buvard absorbant tout liquide à sa portée, j’étais un « anarchiste ouvert », irrigué d’une fièvre iconoclaste et pas peu fier de bousculer le socle ouvriériste des vieilles barbes blanches. J’appliquais à la chose politique l’irréfragable loi du Progrès qui voulait que la pensée du moment fût toujours plus aboutie que celle d’hier, en attendant celle de demain qui viendrait à son tour tout déboulonner. L’antiracisme ayant cédé la place à l’anti-islamophobie, j’en étais venu à bannir de ma bouche, avec un certain malaise cependant, le vieux slogan anar « Ni dieu ni maître ». N’y avait-il pas dans ce commandement blanquiste quelque offense faite aux croyants « racisés » du pays ? En 2016, je lisais le brûlot de Houria Bouteldja, Les Blancs, les Juifs et nous : vers une politique de l’amour révolutionnaire. Je trouvais là de belles fulgurances poético-politiques et goûtais cet étrange plaisir de voir mon petit cul blanc botté par une beurette lettrée. Juste retour des choses et du bâton de l’Histoire. Revanche des opprimés ! Quelque chose malgré tout me turlupinait : de révolution, chez Bouteldja, je n’en voyais point, à part cette eschatologie, relativement problématique tout de même, consistant à caser l’humanité sous la poigne égalisatrice de Dieu : « Mais ce cri – Allahou Akbar ! – terrorise les vaniteux qui y voient un projet de déchéance, théorisait la cofondatrice du Parti des Indigènes de la République (PIR) dans la conclusion de son livre. Ils ont bien raison de le redouter car son potentiel égalitaire est réel : remettre les hommes, tous les hommes à leur place, sans hiérarchie aucune. Une seule entité est autorisée à dominer : Dieu. » Si j’étais prêt à émousser les arêtes tranchantes de mon athéisme, il y avait, tout de même, dans cette totale cul-béniterie une direction qui ne m’excitait pas vraiment. Mais bon, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je décidais d’étouffer mes préventions sur l’autel de la solidarité avec les musulmans. Bien décidé à cultiver ma fièvre bouteldjienne, je m’ouvris de mon excitation à un copain du journal CQFD qui m’envoya vertement chier. Des années après, je l’en remercie. Je le soupçonne de m’avoir fait discrètement envoyer, dans la foulée de notre échange animé, un opus autoédité qui m’aida à dissiper les mirages de l’antiracisme décolonial : La Race comme si vous y étiez : une soirée de printemps chez les racialistes [2]. Un texte solidement construit et argumenté qui remettait quelques pendules à l’heure et l’œuvre de Bouteldja à sa juste place : celui d’un pamphlet communautariste. Un voile se déchira : celui de ma culpabilité de « mâle blanc » que rien ne saurait laver des péchés commis par des ancêtres forcément tous colons et exploiteurs. Je cite ce passage qui me ragaillardit d’un coup et me semble, aujourd’hui encore, toujours d’une importance capitale : « On ne se départira plus de cette manière de penser qui assimile systématiquement les habitants d’un État à sa politique, ceux qui résident dans un coin du monde à ce que les dirigeants de cet endroit commettent ou ont pu commettre par le passé. Se résoudre à assumer ces héritages lourdement symboliques, c’est s’assujettir définitivement et se condamner à l’impuissance réelle. On ne peut pas imaginer une perspective révolutionnaire, voire minimalement subversive, qui ne commencerait pas par le refus nécessaire et libératoire de les endosser. »
Octobre 2024. Les Éditions L’échappée publient dans l’excellente collection « Versus » : Critique de la raison décoloniale, sous-titré Une contre-révolution intellectuelle. Dans l’avant-propos, le journaliste Mikaël Faujour, un des deux traducteurs du livre avec l’essayiste Pierre Madelin, considère que le vocabulaire et les idées décoloniales ont débordé le cadre confidentiel du PIR pour essaimer « dans un champ politique assez large, allant de l’anarchisme à la social-démocratie bon teint », avec comme point de bascule notable l’année 2019 où LFI est devenue une « caisse de résonnance des idées décoloniales ». Précisons que Critique de la raison décoloniale n’a pas pour frontières celles de l’Hexagone ; nulle spéculation ne viendra nourrir la dernière – et lamentable – ruffinade sur Mélenchon et les quartiers dits populaires [3]. Critique de la raison décoloniale prend place sur le continent américain. Avec cette idée, corroborée par la dynamique de la French Theory, que les idées (politiques et philosophiques) n’ont jamais autant circulé entre l’Europe et les Amériques – subissant autant d’appropriations et de métabolisations en fonction de l’histoire des territoires sur lesquels elles atterrissent. Les Éditions L’échappée nous offrent ici un ensemble de six textes produits par des auteurs inscrits « dans une tradition marxiste latino-américaine ouverte sur les questions culturelles », textes dans lesquels sont analysés et critiqués les travaux de théoriciens décoloniaux issus de la même aire géographique. Bref, cette étude est affaire de Latinos ; à ce détail près que les apôtres de la décolonialité ont, eux, leur pupitre bien ancré dans les facultés nord-américaines. Un détail qui n’en est pas un puisqu’il permet de comprendre le rayonnement de leur pensée – jusque sous nos latitudes.
Mythes et cosmogonies indiennes
La genèse du moment décolonial latino éclot à la fin des années 1990 au sein du groupe « Modernité/Colonialité ». À l’origine, on trouve quelques figures savantes peu connues en France : le sociologue péruvien Aníbal Quijano (1928-2018), le philosophe argentin Enrique Dussel (1934-2023), le sémiologue argentin Walter Mignolo (né en 1941), bientôt suivis par le sociologue américain d’origine portoricaine Ramón Grosfoguel (né en 1956) ou encore le philosophe colombien Santiago Castro Gómez (né en 1958). Après l’anticolonialisme et le postcolonialisme, le décolonialisme est cette étape qui entend dévoiler comment l’eurocentrisme maintient de manière toujours active et pernicieuse les schémas de domination issus des périodes coloniales. L’an 1492 marquerait cette date pivot où les rets d’un capitalisme « racial » se diffuseraient et saigneraient le monde. Asservis et acculturés, les peuples indigènes y seraient sacrifiés sur l’autel de la modernité occidentale. Les décoloniaux en sont persuadés : la fin « officielle » du colonialisme via les processus d’indépendance n’a rien changé au fait que les structures d’exploitation raciale mises en place à la fin du XVe siècle seraient toujours d’actualité sous la forme de « schèmes de domination voilés ». À titre d’exemple : la rationalité promue depuis le siècle des Lumières serait ce rouleau compresseur qui continuerait à écraser les mythes et cosmogonies indiennes. Voilà tracés à gros traits l’arc théorique de la croisade décoloniale. Logique d’affrontement entre deux blocs homogènes (et combien caricaturés) : l’empire de la blanchité, cynique et surarmé, versus un archipel indigène, figure victimaire qu’il s’agirait de « réarmer » (le mot est à la mode) afin qu’elle ait la capacité de renouer avec sa nature première, sorte de pureté originelle d’avant la spoliation et la contamination cartésienne.
Pour ce faire, il s’agirait de retourner le stigmate discriminant et d’en faire un étendard revendicatif. Noir ou Indien et fiers de l’être. Pourquoi pas ? Évidemment même ! Renouer avec un minimum de dignité et d’amour-propre, retrouver, à travers des siècles d’oppression, le fil généalogique de ses ancêtres parqués, déplacés ou exterminés, on ne saurait critiquer pareille démarche face à l’acharnement raciste ourdi à longueur de journée par les bateleurs de la furie médiatique et des combinaisons politicardes. Le risque, cependant, est de s’y cantonner et, paradoxalement, de singer les mécanismes réducteurs du racisme (innocence originelle du colonisé versus malignité consanguine du colonisateur) au nom de la lutte contre ce dernier. Récupéré par les théoriciens de la décolonialité, le sociologue Pierre Gaussens et la chercheuse Gaya Makaran, tous deux travaillant au Mexique, entendent réinscrire le legs de Frantz Fanon dans une visée universaliste : « Fanon établit le diagnostic suivant : les efforts du colonisé pour “récupérer” sa propre histoire, sa propre culture, sa spécificité, son langage, etc., sont une étape nécessaire dans sa lutte personnelle et collective pour la dignité et contre la négation et l’infériorisation qui lui ont été imposées par le colonisateur. Mais cette étape est insuffisante, et peut même devenir dangereuse si elle n’est pas suivie d’un dépassement de l’essentialisation ainsi que du sentiment de revanche et de supériorité ancrés dans la particularité raciale/ethnique. » Mieux : « Quand Fanon déclare : “Ma peau noire n’est pas dépositaire de valeurs spécifiques”, il refuse d’être arrimé à un collectif abstrait – qu’il s’agisse du “peuple noir” des “personnes noires” ou de la “culture noire” – car celui-ci ne serait encore une fois rien d’autre qu’une reproduction de l’empreinte coloniale, la réitération stérile des stéréotypes blancs sur le Noir, une caricature de ce qui caractérise “en propre” le “Noir”, construite par opposition au colonisateur sans pour autant cesser de se rapporter à lui. »
Mélasse racialisatrice
Gaussens et Makaran n’y vont pas de main morte, qualifiant la « ventriloquie » décoloniale de « piraterie intellectuelle qui non seulement tend à domestiquer voire à effacer des projets politiques rebelles et émancipateurs, mais qui a également été activement complice de formes de domination ». C’est que bien installés dans leur mandarinat nord-américain, les pontifes de la décolonialité cultivent ce paradoxe : tout en dénonçant l’impérialisme de la pensée européenne et un « occidentalisme » fourre-tout, la reconnaissance de leurs pairs, notamment européens, est pour eux gage de réussite. Pire : c’est avec les outils de la rationalité issue des Lumières qu’ils fourguent, à la manière de Ramón Grosfoguel [4], dans un même sac d’opprobre la pensée de Descartes, Hegel et Marx, de « purs représentants de l’eurocentrisme », avec comme fixette cette idée que l’universalisme abstrait – soit la base théorique et extensive d’un « système-monde » mis en place par les Blancs – ne pouvait qu’accoucher d’un « racisme épistémique ». Ce n’est plus l’Histoire avec un grand « H » mais l’Histoire à coups de hache, l’incessante refonte d’un empire du mal où le chaudron décolonial dissout dans la même mélasse racialisatrice les perspectives émancipatrices socialistes du XIXe siècle et son ennemi de toujours : la bourgeoisie libérale ! Quelle que soit leur chapelle politique, les penseurs européens sont en vrac accusés d’avoir participé à « oblitérer les savoirs du monde non occidental ». De tels raccourcis historico-philosophiques sont dommageables à plus d’un titre. D’abord parce qu’effectivement, il y a une vraie critique de fond à mener contre « l’abstraction capitaliste » et la logique de mise en coupe réglée du réel : comment toute pensée relevant de l’ordre du sensible a été noyée dans « les eaux glacées du calcul égoïste » afin de permettre au capitalisme industriel d’étendre toujours plus loin son empire de dépossession et de saccage. Les ravages – environnementaux et humains – auxquels nous assistons aujourd’hui n’ont été possibles que grâce à la contagion planétaire de ce cynisme chiffré. Ce qu’oublient juste les décoloniaux, c’est que tout a d’abord commencé sur les terres mêmes de la Vieille Europe. La première des colonisations est celle qui a laminé la classe paysanne, éradiqué ses langues, ses savoirs et sa capacité à l’autosubsistance. Et là, pas besoin d’un quelconque recours au prétexte de la « race » puisque la sinistre affaire se passait entre « Blancs ». Une analyse finement questionnée à son époque par l’ethnologue Pierre Clastres (1934-1977) lorsqu’il se demandait : « Ne serait-ce point au contraire parce que la civilisation occidentale est ethnocidaire d’abord à l’intérieur d’elle-même qu’elle peut l’être contre les autres formations culturelles ? » [5]. De ces prémices découle un second fait tout aussi capital : la justification raciste de l’esclavage et des massacres des peuples indigènes est intervenue après leur sinistre mise en exécution. C’est qu’il a fallu tout un étayage théorique, théologique ou pseudo-scientifique, pour justifier l’injustifiable. La stratification de l’humanité en « races supérieures » et « races inférieures » n’est pas ce délire qui fournit un quelconque carburant originel aux expansions coloniales ; elle vise à les rendre, dans un second temps, acceptables, et à justifier leur maintien et leur renforcement. Dans un chapitre passionnant où l’auteure revient sur ses propres errements dans le champ décolonial, l’enseignante et militante argentine Andrea Barriga revisite d’un œil critique la production d’Aníbal Quijano, anciennement professeur à l’Université d’État de New York à Binghamton et concepteur de la « colonialité du pouvoir ». Barriga reproche à Quijano sa façon « très biaisée » de faire de l’histoire, d’être animé par une « vision positiviste selon laquelle l’histoire s’est produite d’une certaine manière et n’aurait pu être différente ». Elle tacle ainsi son aîné : « Par ailleurs, lorsqu’il s’agit de décrire ce que recouvre la notion de race, Quijano expose deux conceptions différentes, qui appartiennent à deux époques historiques distinctes. La signification biolo-gique de cette notion est nettement postérieure à 1492, car elle n’apparaît qu’à partir des Lumières, et il faudra attendre le XIXe siècle pour qu’elle devienne relativement centrale dans les sciences humaines et sociales, qui étaient alors en pleine éclosion. » Et de rappeler quelques pages plus loin : « Nous devons garder à l’esprit que le racialisme est un outil de justification qui est apparu après la domination et non avant. » Si cette chronologie rectifiée n’adoucit en rien le sort des peuples indigènes, elle remet juste les pendules à l’heure : le capitalisme n’a pas besoin d’être « racial » pour exporter sa férocité au-delà des océans. Sa nature fondamentalement exploiteuse et accumulative suffit. Et ce quelle que soit la couleur de ses victimes.
On sait depuis plusieurs années maintenant qu’une des caractéristiques des études postmodernes se niche dans leur capacité à sur-jouer la posture morale et à produire du concept à foison – preuve pour le professeur de philosophie Rodrigo Castro Orellana de la « faiblesse d’une argumentation ». Aussi à l’aise dans l’inflation de micro-récits que de métarécits simplistes, le résultat de cette surenchère théorique ne cesse pas de produire de nouvelles divisions dans le camp toujours plus dévasté des exploités (attention : ringardise marxisante non genrée !). À rebours d’une telle impasse, Rodrigo Castro Orellana défend une autre position : celle consistant à défendre « l’exercice de la pensée et du débat sans distribution préalable de passeports de légitimité ou de validité discursives, sans assignation d’un “rôle” épistémique de victime ou de bourreau antérieur à toute recherche ou à tout positionnement critique. »
Sébastien NAVARRO