09.12.2025 à 12:02
L'Europass photographique de Victor Sira méduse

Texte intégral (2808 mots)
Dans son catalogue d'exposition/nouveau livre Europass, publié par sa maison d'édition bookdummypress, Victor Sira examine un thème récurrent dans la photographie de voyage. Le livre s'appuie sur une série de voyages effectués par l'artiste vénézuélien en Europe entre 2001 et 2006, période qui a coïncidé avec le passage de l'utilisation omniprésente de la photographie analogique et des appareils photo compacts au téléphone comme appareil photographique principal.
Notes for a Ritual of Photography Gone Extinct
Il est essentiel de réfléchir au rituel de la photographie analogique et à la manière dont elle constituait un processus éditorial sélectif. Il y avait un prix à payer, et le délai entre la prise de vue et la production de l'image pouvait être de plusieurs semaines, selon la rapidité avec laquelle on déposait son film et récupérait ses tirages en pharmacie. Il était très rare que les films, en particulier les films couleur, soient développés pendant le voyage.
Le nombre d'images par rouleau était compris entre 24 et 36, ce qui est un nombre minimal de photographies pouvant être prises par rouleau ; cela obligeait donc le photographe à être sélectif, contrairement à notre utilisation des téléphones. Entre les moments et les mauvais angles, il y a une expérience, et même si les photographes amateurs pouvaient être désinvoltes avec la photographie analogique, il y avait davantage de rituel, de peur que la production d'images ne soit jetée. En fait, avec un budget limité, il fallait faire attention à la façon dont on cadrait et exposait le film pour obtenir les résultats souhaités tout en respectant le budget. Dans ce sens, les photos étaient pensées de manière plus intense, et la recherche de bonnes images était aussi vitale pour l'amateur que pour l'artiste ou le semi-professionnel. Il y avait également le temps entre la prise de vue et le développement qui permettait de réfléchir aux images, de partager l'essentiel dans des albums et de les partager avec des amis et des membres de la famille qui n'avaient peut-être pas fait le voyage. Cela donnait au photographe le temps de réfléchir et de repenser ce qu'il voulait partager lorsqu'il feuilletait les épreuves de ses négatifs.
Pour les photographes ou les artistes les plus soucieux, le délai et le rituel du développement des pellicules permettaient également de réfléchir au matériel et au contexte dans lequel il pourrait être utile. Les artistes prennent des photos partout où ils voyagent, par habitude. Pourtant, il y a souvent du matériel qui pourrait être utilisé pour un album personnel plutôt que pour une exposition ou un livre. Il y a matière à chevauchement. On peut penser à la photo de Mary et des enfants de Robert Frank dans la voiture en Amérique comme un exemple flexible où cela fonctionne le mieux. Je pense également aux relations et aux voyages de Seiichi Furya et Christine Furuya-Gössler, tels qu'on les trouve dans leurs livres plus récents publiés par Chose Commune. Leur dernier voyage à Venise est gravé dans ma mémoire à la fois comme un document familial et une expérience artistique. Le livre The Open Road, de David Campany, documente de manière exhaustive le phénomène du road trip, et plusieurs ouvrages ont été consacrés aux voyages en train à travers l'Europe, en particulier une série de titres moins connus sur le Transsibérien. Les phénomènes du road trip et du voyage en train se marient bien avec la photographie.
Quant à Europass et Victor, j'ai découvert ce travail avant de l'interviewer pour Nearest Truth et avant cela, j'avais découvert son incroyable production de maquettes, de maquettes et de livres photo et d'objets livres uniques. Je reste un fan de sa production et de son caractère excessivement généreux. Il connaît également très bien les livres photo et la communauté qui les considère comme un média à part entière. Notre conversation a porté sur son parcours, du Venezuela à New York, et sur la façon dont la photographie continue de l'intéresser après des décennies passées à produire des livres, sans hommage ni fanfare. Victor est à la fois passionné et pragmatique. Son parcours est remarquable, et j'ai sauté sur l'occasion de chroniquer ce livre, poursuivant ainsi mon admiration pour son travail. Bien qu'Europass soit techniquement un catalogue de son exposition récente au Japon, le livre fonctionne comme un livre photo à part entière, avec des images de la série présentées dans la première partie et son maquette originale imprimée à la fin, mettant en lumière les photos et son processus de création, mais aussi avec une note parfaite expliquant le fonctionnement de ses maquettes.
Les images contenues dans le livre offrent un magnifique aperçu du voyage de Victor. L'œuvre donne l'impression d'un petit documentaire filmé à la caméra. J'ai cette sensation dans certains livres de Bertien van Manen, et je la retrouve ici avec précision. Elle met en lumière le voyage de Victor, permettant de ressentir le temps qui passe à travers les différents arrêts de train et l'intérieur des wagons eux-mêmes, avec un clin d'œil aux clichés de Stephen Shore ou Guido Guidi représentant respectivement de la nourriture ou des fruits. Il y a un peu de mélancolie, mais franchement, après avoir vécu deux décennies en Europe, je commence à penser que c'est simplement la situation d'après-guerre ici, alors que les décennies succombent au changement. Les années 2001-2006 ont également été marquantes pour le monde entier, avec de multiples fronts de guerre et les séquelles du 11 septembre encore très présentes, une période difficile. Je crois que Victor était à New York lors des attentats, alors peut-être qu'il a emporté un peu de cela avec lui outre-mer. Je sais que c'était mon cas.
Je trouve que c'est un livre fantastique, et j'encourage tout le monde à découvrir les photographies et les livres de Victor. Je pense qu'il a un excellent modèle pour l'avenir de la production, alors que les économies vacillent et que les prix montent en flèche. Victor n'est pas près d'arrêter sa production.
Brad Feuerhelm le 9/12/2025
Victor Sira - Europass - Bookdummy Press
09.12.2025 à 11:56
On aime #120

Texte intégral (573 mots)
L’image sage
Photo Neva Hirve
La jeune photographe indienne Neva Hirve a suivi une communauté d'une trentaine d'Européens installée dans le Tamil Nadu, près d'Auroville, la "ville de l'aurore" inspirée de Sri Aurobindo (« Il doit exister sur Terre un endroit inaliénable, un endroit qui n'appartiendrait à aucune nation, un lieu où tous les êtres de bonne volonté, sincères dans leurs aspirations, pourraient vivre librement comme citoyens du monde ») et conçue par l'architecte français Roger Anger en 1968. Plus de deux millions d'arbres et d'arbustes y ont été plantés en quatre décennies dans ce qui était un désert. Un travail que poursuit aujourd'hui cette communauté nommée qui s'est nommée Sadhana Forest, et vit dans une forêt mal en point qu'elle essaie de régénérer.
L'air du temps
Kurt Vile - Loading Zones
Le haïku sur la tête
nuage de moustiques –
ce serait vide
sans eux
Issa
L'éternel proverbe
La vraie sagesse se trouve loin des gens dans la grande solitude.
Proverbe eskimo
La phrase qui parle
L'erreur, la faiblesse tout au moins, c'est peut-être de vouloir savoir de quoi on parle. À définir la littérature, à sa satisfaction, même brève, où est le gain, même bref ? De l'armure que tout ça, pour un combat exécrable.
Lettre de Samuel Beckett à Georges Duthuit, 11 août 1948
09.12.2025 à 11:52
Équerre 2025, bal champêtre au pays des nains. Zéro mort !

Texte intégral (1818 mots)
L’équerre 2025, comme les années précédentes, propose un condensé d’écologie à la petite semaine. Par là même, ces prix réduisent le champ de l’excellence. Au détriment des lauréats eux-mêmes ?
Kunstsilo, Kristiansand (Norvège). Mendoza Partida+Bax Studio + Mestres Wage (2024) @Alan Williams
Les différents prix de l’Équerre d’argent ont été attribués le 24 novembre 2025 à la Maison de la Radio à Paris. L’Équerre d’argent est la plus haute distinction française annuelle pour un projet d’architecture. Il y a bien un Grand Prix National d’architecture – qui récompense l’œuvre d’un homme de l’art mais encore jamais une femme de l’art – et pléthore de prix catégoriels selon les matériaux – bois, acier, paille, etc. – ou la typologie, de type Pyramide d’or, mais l’Équerre, à l’échelle du pays, demeure le prix le plus prestigieux des prix d’architecture en France. Cela est plus du fait de son histoire sinon, désormais, de son impact puisque les limites de ce prix sont chaque année toujours plus évidentes.
La première est son échantillon puisqu’il se résume à environ 300 projets dont les agences sont suffisamment sûres d’elles-mêmes pour payer la cotisation. Comme un sondage sur internet, entre les architectes et maîtres d’ouvrage qui ne veulent surtout pas participer et la grande majorité qui s’en fout, ces 300 projets ne sont pas véritablement représentatifs de ce qu’est l’architecture en France.
Par exemple, parmi les lauréats 2025, aucune de ces gares du Grand Paris pourtant acclamées dans le monde entier. Pour autant voilà des réalisations qui sont amenées à être exploitées pendant un siècle au moins et, du fait du transport en commun de millions de gens, soit autant de bagnoles en moins, d’un bilan carbone imbattable à l’échelle du siècle justement. Parmi les lauréats, pas un musée non plus, ou un théâtre, pas un stade, pas un aéroport… Aucun nom connu hors nos frontières, aucune grosse agence. L’Equerre est devenue un bal champêtre au pays des nains.
D’ailleurs l’Equerre 2025, comme les années précédentes et de plus en plus d’ailleurs, propose un catalogue de petites choses plus ou moins bien serties. Surtout, en prônant encore et toujours, ad nauseam, les vertus du bois et des matériaux biosourcés, ces prix présentent un condensé d’écologie à la petite semaine et par là même réduisent le champ de l’excellence, comme si l’architecture était une histoire de matériaux et de bouts de ficelle. Ce n’est pas parce que le groupe scolaire Simone-Veil, à Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis) de l’agence Le Penhuel & associés a été réalisé « en pierre, terre crue et bois » qu’il mériterait l’Équerre mais peut-être parce que l’agence depuis longtemps travaille les sujets de l’école et de la mutualisation des espaces, au point d’en écrire un « Manuel de pratiques vertueuses pour penser et construire les écoles du futur » (Park Book, 2024).
Idem avec le prix de la première œuvre attribué à l’agence Hemaa. Ce ne sont pas les sempiternels matériaux bois et biosourcés qui en font l’intérêt mais la composition autour d’une cour ouverte et protectrice, l’élévation qui lui confère solennité et statut public, et la connexion avec le stade et la forêt avoisinants. Dans les deux cas, les matériaux de ces projets sont anecdotiques. Penser autrement est réduire le travail et l’intelligence des ouvrages à une juxtaposition astucieuse de produits, comme si le talent de Picasso était lié à sa marque de peinture. Gagner pour ces raisons en est presque désobligeant pour les architectes.
Limitation plus problématique, dans la Catégorie Habitat de l’Équerre 2025 avons-nous « Réhabilitation d’un îlot en 14 logements sociaux à Aurillac (Cantal) » qui coche toutes les cases merveilleuses : un travail propre, une belle histoire en patois, une restructuration astucieuse, des circuits courts. Pour autant, le pays connaît une spectaculaire crise du logement et notre meilleur projet de l’année ce sont 14 logements à Aurillac (Cantal) ? Il s’agit sans conteste d’un projet formidable, sensible comme tout, mais si dans ce domaine les lauréats de l’Équerre sont censés représenter ce qui se fait de mieux en France, je n’ose dire l’élite, ce projet ne peut jamais concourir dans la même division, voire le même stade, que des lauréats dans d’autres concours à l’étranger sur le même thème du logement. Est-ce ce projet-là que vous voulez pour représenter le pays aux Oscars ? Ce serait comme envoyer ma petite sœur sur le ring face à Mike Tyson.
Et encore s’agit-il d’une réhabilitation, pratique aujourd’hui mise en exergue ! Voyons par exemple, s’il est question de réhabilitation, le projet Kunstsilo, réalisé à Kristiansand en Norvège par les agences Mendoza Partida+Bax Studio + Mestres Wage. Il est non seulement parmi les nommés du Prix Versailles 2025 des plus beaux musées du monde mais également Prix d’architecture espagnol (décerné par l’équivalent du CNOA). Il s’agit de la transformation d’un immense grenier industriel portuaire – vaste bâtiment de 3 300 m² construit en 1935, réparti sur trois étages et composé de 30 silos à grains – devenu depuis mai 2024 le plus grand musée du sud de la Norvège.
La rénovation préserve la structure et les matériaux du silo, ouvre le rez-de-chaussée au public et ajoute une terrasse panoramique sur le toit. Son intégration avec l’Opéra de Kilden et l’École de Culture renforce son rôle de pôle culturel. Telle une cathédrale de béton, le lieu inspire un sentiment de grandeur et de poésie ; ce que l’escalier vertigineux amplifie au fil d’une ascension propice à la méditation avec au sommet une vue panoramique sur le littoral. Toutefois, l’aspect le plus spectaculaire de l’édifice demeure ces gigantesques silos de béton qui soulignent l’échelle monumentale de l’ouvrage.
« Le projet répond à des exigences élevées en matière de développement durable grâce à l’optimisation de l’inertie thermique du béton, à la mise en œuvre de stratégies d’éclairage passif et à la priorité accordée à l’efficacité énergétique », soulignent ses auteurs. Qui précisent : « Kunstsilo est une référence en matière de régénération urbaine et de développement durable, conciliant conservation du patrimoine, innovation architecturale et inclusion sociale ». Tous les éléments de langage dont nous avons coutume sont bien là !
Alors, en termes de réhabilitation, ma petite sœur ou Mike Tyson ?
Il est vrai cependant que, comme toutes les gares du Grand Paris, autres cathédrales contemporaines en leur nom propre, le Kunstsilo est une ode au béton. Ceci expliquant peut-être cela.
De fait, combien de ces Équerres tiennent la route ? Nous savons de quelques bâtiments célébrés cinq minutes qui vieillissent vite et mal. Peut-être faudrait-il que ces prix soient attribués dans chaque catégorie à des bâtiments de plus de 10 ans, de plus de 25 ans et de plus de 50 ans. Là, les modes passées, il sera bien question, au-delà des matériaux, d’architecture !
Car, à la fin, si l’Équerre est à chaque fois plus décevante, c’est sans doute qu’on aurait envie d’audace, de prise de risque, de pied de nez aux marchands de bonheur. Qu’on aurait envie d’être surpris par le souffle de projets d’envergure qu’assurément on soutiendrait alors jusqu’aux Oscars. Au moins jusqu’à l’Eurovision.
Christophe Leray, le 9/12/2025
Equerre 2025
Le palmarès 2025 :
– Équerre d’argent 2025 : Groupe scolaire à Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis)
Architectes : Le Penhuel & Associés ;
– Habitat : Réhabilitation d’un îlot en 14 logements sociaux à Aurillac (Cantal)
Architectes : Boris Bouchet
– Culture, jeunesse et sport : Aménagement du château de Foix (Ariège)
Architecte : Cros & Leclercq
Architecte associé : Antoine Dufour
– Lieux d’activité : Bureaux et logements à Nantes (Loire-Atlantique)
Architecte : Alexandre Chemetoff – Bureau des paysages
– Espaces publics et paysagers : Parc sportif et paysager à Elancourt (Yvelines)
Maîtrise d’œuvre : D’ici là
– Infrastructures et ouvrages d’art : Passerelle cyclo-piétonne à Cormoranche-sur-Saône (Ain)
Maîtrise d’œuvre : Atelier Tropisme Mécanique
09.12.2025 à 11:41
Les connexions énergétiques d'Alexandra Jabre

Texte intégral (935 mots)
Analix Forever a le plaisir de présenter la première exposition personnelle d’Alexandra Jabre (après un duo en 2024 à Drawing Now et plusieurs expositions collectives) sur le thème « Connexions », une notion qui traverse profondément l’œuvre et l’âme de l’artiste.
Alexandra Jabre, Life Cycle of a Split Soul (1-5) — 26 x 36cm — Watercolour on paper © Alexandra Jabre
Jusqu’ici, Analix Forever n’avait pas encore exploré les représentations artistiques de la spiritualité, la télépathie ou des relations avec l’au-delà. Aujourd’hui, le temps semble propice à cette recherche que mènent les artistes sur les réalités humaines, naturelles et surnaturelles, sur leurs ondes, auras et karmas. Parmi celles qui empruntent ce chemin, déjà largement exploré, entre autres, par les surréalistes, on pense à Janet Biggs, Rachel Labastie ou Mimiko Türkkan.
© Alexandra Jabre
À quelques mètres seulement de ses enfants et de son conjoint, dans son atelier londonien, Alexandra Jabre accueille sur ses toiles et son papier les forces cosmiques et leurs chutes, qu’elle traduit en formes, corps et beautés grâce à sa maîtrise virtuose de l’aquarelle. Si l’énergie cosmique se manifeste le plus souvent chez l’être humain sous forme d’énergie sexuelle, les œuvres d’Alexandra Jabre la transforment en une rencontre corporelle, avec soi, avec autrui et avec le monde. L’art d’Alexandra Jabre, à la fois puissant et délicat, mature et sensuel, capte notre regard, éveille nos émotions et fait surgir les sentiments souvent enfouis que nous éprouvons vis-à-vis de notre place dans le monde et l’au-delà.
Phil Spectro, le 9/12/2025
Alexandra Jjabre - Connexions -> 14/02/2026
Galerie Analix Forever 10 rue du Gothard 1225 Chêne-Bourg (Suisse)
09.12.2025 à 11:31
15e édition du SoBD : Anne Simon & Lucie Servin invitées d’honneur & focus sur la BD Chilienne

Texte intégral (3020 mots)
Du vendredi 5 au dimanche 7 décembre 2025, vous aviez rendez-vous au festival SoBD à Paris pour un week-end de bande dessinée autour de la bande dessinée chilienne, pays invité avec une délégation d’artistes et de spécialistes chilien.ne.s ainsi que 8 expositions, des tables rondes, ateliers et rencontres.
En plein cœur de Paris, chaque début décembre, vous pouvez retrouver la plus grande proposition d’ouvrages sur la bande dessinée, essais, beaux livres et revues ; mais aussi des expositions thématiques dans le cadre de la programmation ou monographiques autour des invité.e.s.
Anne Simon & Lucie Servin invitées d’honneur
Cette année, ce sont Anne Simon, autrice, & Lucie Servin, journaliste, qui sont à l’honneur avec une série de table rondes, masterclass et expo. Une occasion de les rencontrer et de découvrir leur travail sous plusieurs facettes.
Pour Lucie Servin vous pouvez la retrouver dans la conférence des invitées d’honneur le samedi (15h – 15h50) et dans la rencontre Lucie Servin : portrait, parcours, engagements (dimanche de 14h15 – 14h50).
Pour Anne Simon, en plus de la conférence des invitées d’honneur, vous pouvez découvrir ses planches dans l’exposition le musée éphémère d’Anne Simon ou la rencontrer en signature le dimanche 7 décembre à partir de 15h ou encore assister à sa Master class vendredi 5 décembre 16h30
Focus sur la bande dessinée Chilienne
L’autre point d’orgue de cette 15e édition du SoBD, c’est le moment de la BD chilienne à paris avec 23 invité.e.s dont des auteurices, des spécialistes et des professionnels du livre au Chili.
Les artistes Antonia Bañados, Sol Díaz, Rodrigo Elgueta, Sofía Flores Garabito, Germán Gabler, Alberto Montt, Panchulei, Maliki, Oficinisma, Félix Vega Encina seront présents tout le week-end en dédicace et tables ronde. La plupart des artistes ont des traductions françaises de certains de leurs livres à retrouver sur le salon et une librairie chilienne est également installée pour découvrir toutes leurs publications.
Vous pourrez retrouver leurs travaux dans l’exposition Bande dessinée chilienne contemporaine au cœur du salon avec des planches des invité.es.s mais également les rencontrer lors des tables rondes thématiques tout le week-end [tout le programme est dispo ici].
En plus de la délégation d’artistes, le salon invite deux éditeurs Claudio Álvarez (Acción Cómics) & Daniel Olave Miranda ( Reservoir Books (Penguin Random House)) ; ainsi que des spécialistes Claudio Aguilera Álvarez (Responsable des archives graphiques à la Bibliothèque nationale du Chili) & Paloma del Pilar Domínguez Jeria ( Directrice du diplôme Bande dessinée de l’Université Diego Portales)
Les expositions
En plus des expositions déjà mentionnées : le musée éphémère d’Anne Simon & Bande dessinée chilienne contemporaine ; vous pouvez découvrir les expo :
Artima, un grand éditeur populaire du milieu du xxe siècle
Infos
Les belles gravures du SoBD
Infos
Jeunes talents étudiants
Expo hors les murs
Infos
Déconfetti, l’aventure déconfinée
Expo hors les murs
Infos
Ateliers & Masterclass
Ce vendredi 5 décembre, vous pouvez assister à deux master class (payantes) :
Raconter et dessiner : la façon d’Anne Simon
16h30 -19h
Mettre une séquence en images avec Mezzo
14h – 16h15
Mais également des ateliers gratuits : Création de fanzines, Gravure sur brique de lait, Linogravure, Le dessin BD et ses styles, Charadesign avec le Webtoon Café, Crowdfunding, Initiation au webtoon.
Les rencontres
De nombreuses rencontres sont proposées pendant tout le week-end, voici une sélection :
Dessiner aujourd’hui : deux parcours croisés Anne Simon & Delphine Panique
Samedi 14h – 14h50
Les éditeurs bd et le crowdfunding avec Laurent Lerner (Delirium) et Thomas Dassance (iLatina)
Samedi 14h – 15h30
Conférence des invitées d’honneur : Anne Simon & Lucie Servin
Samedi 15h – 15h50
L’utopie dystopique avec Anne Simon, Lucie Servin et Lauren Triou
Samedi 16h – 16h50
Rire du désastre : l’humour dans la BD chilienne avec Sol Diáz, Alberto Montt et Claudio Aguilera
Dimanche 14h30 – 15h20
Qu’est-ce que la critique de bande dessinée ? avec Lucie Servin, Irène Le Roy Ladurie et Christian Rosset
Dimanche 15h – 15h50
« Brigida » et la Polola : deux initiatives féminines chiliennes avec Maliki, Sol Diáz et Paloma Domínguez
Dimanche 16h30 – 17h20
Fiction et non-fiction dans la BD chilienne avec Antonia Bañados, Félix Vega et Paloma Domínguez
Dimanche 17h30 – 18h20
Toutes les infos sur les rencontres ici
💡 Et les infos pratiques
SoBD 2025 est en accès libre et gratuit (sauf pour les master class)
Une inscription préalable est demandée pour assister aux rencontres, tables rondes et ateliers. Pour vous inscrire gratuitement : sobd2025.com
Accès au salon : 48 rue vieille-du-temple 75004 paris
Horaires
Vendredi 5 décembre : 16 h – 20 h
Samedi 6 décembre : 11 h – 19 h
Dimanche 7 décembre : 11 h – 19 h
Bonus : Bubble éditions en dédicace
Rien à voir avec la programmation du festival cette fois mais je voulais absolument vous informer que pour la dernière dédicace de l’année, on a réuni 5 auteurices de Bubble éditions, c’est la première fois qu’ils/elle sont toustes réuni.e.s.
Souky, Yoann Kavege, Anne Masse, Nicolas Bazin & Thomas Mourier
Vous pouvez venir discuter avec nous, vous faire signer des livres au stand S5.
Thomas Mourier, le 9/12/2025
SoBD 15e
09.12.2025 à 11:21
Envisager Lady Hunt d'Hélène Frappat comme gothique et neurologique

Texte intégral (2982 mots)
Entre plaine Monceau parisienne et pays de Galles aux accents de Tennyson, une formidable réécriture contemporaine du roman gothique classique, à l’ombre inquiétante d’une maladie neurologique héréditaire et incurable.
Depuis plusieurs mois, mes nuits sont troublées par l’irruption d’un rêve étrange. Une maison s’introduit dans mon sommeil, accapare mes rêves.
Un visage inconnu, dans une fête, au fond d’une pièce noire de monde, me fixe avec une inexplicable insistance. Intriguée par ce regard qui me lance un appel muet, je me fraie un chemin dans la foule. Mais l’inconnu a disparu. Personne ne se souvient de lui, à croire que j’ai inventé sa présence.
Le rêve a fait son apparition au début de l’automne, quelques jours après mon embauche dans l’agence immobilière Geoffroy de Birague, place des Ternes.
Le plus souvent, ça commence comme ça… Un lieu que je n’ai jamais vu m’emplit d’inquiétude et d’apaisement. J’ignore si l’écho que le lieu suscite en moi (trop faible pour se transformer en souvenir) résonne comme une sonnette d’alarme. Quand le rêve s’achève, je voudrais retourner devant la demeure où mes nuits trop courtes m’empêchent d’entrer. En fermant les yeux, chaque soir, j’attends et redoute le retour du rêve.
J’hésite à inviter un homme dans mon lit, de crainte que le rêve, au contact de l’intrus, ne s’évapore.
Après sa visite, je sombre dans le sommeil lourd de l’aube, d’où j’émerge, certains jours, en ayant raté mes rendez-vous matinaux.
Quelque part sur le trottoir d’une avenue du 17e ou du 8e arrondissement (l’agence est spécialisée dans les transactions haut de gamme du « triangle d’or »), un homme d’affaires américain ou anglais attend, en vain, une négociatrice bilingue dont le téléphone sonne dans le vide.
Laura Kern est une jeune agente immobilière parisienne, spécialisée dans les biens de luxe du Triangle d’Or et de la Plaine Monceau. Elle est aussi aux prises depuis quelque temps avec un rêve aussi inquiétant que récurrent, dans lequel une mystérieuse demeure se fait envahissante et oppressante. Lorsque lors de la visite apparemment anodine d’un grand appartement aux pièces en enfilade, l’enfant du couple d’acquéreurs potentiels disparaît – fût-ce brièvement – de manière totalement inexplicable, la jeune femme, comme la lectrice ou le lecteur, éprouve un intense vacillement entre la possibilité du fantastique, contre toute raison, et celle, hélas plus crédible en apparence, de la folie pure et simple, entre psychose hallucinatoire et possibles premiers symptômes de la maladie de Huntington, héréditaire et incurable, qui a précisément conduit son propre père vers la démence relativement précoce. En quête d’une clé qui expliquerait ou dénouerait la montée du danger, Laura entreprend de fait une étrange quête mémorielle – mais aussi physique, sensible et localisée -, quête dans laquelle les secrets ne sont pas nécessairement ce qu’ils semblent.
e 31 avenue des Ternes est un immeuble haussmannien situé à l’angle des avenues Niel et Mac-Mahon. Il fait partie des biens qui séduisent notre clientèle familiale – vieille bourgeoisie ou parvenus désireux de s’établir dans la Plaine-Monceau -, les autres clients, souvent américains, exigeant des appartements d’exception au cœur du Triangle d’Or. Comme je parle couramment anglais, c’est à eux que j’ai affaire, mais les Américains se font plus rares ces derniers temps.
Depuis mes premières visites, jamais aucun client ne m’a identifiée. J’ai beau arpenter, dossier dans une main, cigarette dans l’autre, le porche où nous avons rendez-vous, le client me demande souvent du feu avant de s’éloigner pour me téléphoner, inquiet du retard de la négociatrice qui se tient en face de lui. Est-ce ma chevelure rousse, impossible à discipliner ? Ou le Burberry trop grand, hérité de mon père, dans lequel je me sens protégée comme par une vieille couverture ?
Ce matin-là, le père de famille qui remonte l’avenue des Ternes à grands pas, sa femme et son fils trottinant derrière lui, se dirige sans aucune hésitation dans ma direction et me tend une main ferme. Bouleversée qu’il me reconnaisse avant même de m’adresser la parole, je laisse tomber ma cigarette. Le gamin qui nous a rejoints éclate de rire. (La fiche transmise par l’agence précise que le couple vient de faire un bel héritage, et recherche un appartement familial dans le style haussmannien de la Plaine-Monceau. Nos clients apprécient les enfilades tristes de pièces peuplées, à l’identique, de parquets, moulures, miroirs, cheminées.)
Le père de famille me laisse seule avec sa femme devant l’ascenseur, une cage grillagée antique suspendue au-dessus du vide. Entre chaque étage, le petit garçon (sa mère l’appelle Arthur) nous adresse de grands gestes enthousiastes. Il doit avoir sept ou huit ans. Lui et son père s’adorent. La mère se tient en retrait.
Une fois franchie la porte d’entrée majestueuse, le produit est sans surprise. Réceptions parquetées au point de Hongrie, cheminées en marbre blanc, rose et gris, miroirs, trumeaux, peu de lumière en provenance de la cour, en dépit du cinquième étage.
Les plafonds sont si hauts que la voix aiguë du petit garçon résonne en écho.
Publié en 2013 chez Actes Sud, le cinquième roman d’Hélène Frappat, après « Sous réserve » (2004), « L’agent de liaison » (2007), « Par effraction » (2009) et « Inverno » (2011), propose un chemin inédit et dérangeant, riche en ruse fantastique et en spéculation médicale intime, vers les abîmes de mensonge conscient et inconscient que secrète la mémoire – contre nous-mêmes.
Dans sa réécriture audacieuse du roman gothique que l’on dirait d’abord « classique », sous le signe obsédant d’Alfred Tennyson et de son célèbre poème « La Dame de Shalott » (1833), elle crée discrètement des atmosphères troubles et fondamentalement inquiétantes, dignes de spécialistes telles que Mélanie Fazi ou Lisa Tuttle, pour entraîner et briser les grands appartements bourgeois de la plaine Monceau dans un voyage géographique et mémoriel joliment insensé, aux pays des landes, galloise ou bretonne.
Nourri en profondeur de la confrontation chez l’autrice du matériau échangé lors d’une résidence d’écriture dans le service de psychopathologie de l’enfant de l’hôpital Avicenne à Bobigny (coïncidence de lectures, le lieu était lui-même récemment au centre du bouleversant « Les colonies intérieures » de Denis Lemasson) et d’une histoire familiale tout à fait personnelle – même si une distance romanesque salutaire exclut tout aspect autobiographique ou autofictif -, « Lady Hunt » utilise savamment le carburant du shining cher à Stephen King comme celui des comptines enfantines à significations multiples et pas toujours recommandables, pour nous offrir une ronde éminemment diabolique, et parfaitement inattendue.
Dans l’appartement sans électricité, il fait noir. En hiver la nuit tombe vite. Personne ne m’a vue emprunter les clés. je vais devoir retrouver le trousseau manquant à tâtons. Les miroirs renvoient des ombres menaçantes. Le défilé de nuages d’un ciel d’orage. Au-dessus de la cheminée, je sursaute en apercevant la lueur rouge de mes cheveux.
Les pièces vides sont immobiles. Même les arbres de l’avenue des Ternes se tiennent droit. Leur cime nue a cessé de se balancer dans le vent. L’appartement retient son souffle. La cabine de phare m’attend.
J’ai caressé le marbre des cheminées, le relief des moulures, les lames rugueuses du parquet. Sur la paume de mes mains, je sens la morsure de petites échardes.
Les portes des trois chambres sont fermées. J’étais sûre de les avoir laissées ouvertes dans ma fuite. L’une après l’autre, j’ouvre chaque porte brutalement. Le choc du bois résonne plus fort dans le noir.
Une chose me serre le cœur. Un sentiment informe, une grosse ombre grise à l’intérieur de moi, une vibration. Ce n’est pas l’obscurité, le vide, ma solitude dérisoire en ces pièces trop hautes, trop grandes. Une radio dévoilerait la tache qui obscurcit peu à peu mes organes.
Et ma voix. Je lance un appel vague :
– Oh hé…
Il me revient en écho. Le cri rend un son voilé. En sourdine. Des mains invisibles ont tendu, en mon absence, les murs de feutre.
– Oh hé…
Les deux syllabes rebondissent vers la porte de la dernière chambre, la cabine de phare. Le trou noir qui a englouti l’enfant. La chambre secrète. Le dépôt obscur de toutes mes peurs.
Derrière la porte, je ferme les yeux. Une force invisible m’entraîne doucement. Mais dans quoi ? Une chambre d’enfants rêvée, ou la faille du temps ?
Une présence me guide ici comme le chien d’un aveugle. Sans faire un geste, j’ai le vertige. La force tourbillonne autour de moi. Elle voudrait me connaître, me défier. Brusquement, il ne fait plus froid.
J’ai ouvert les yeux, juste à temps pour voir le trousseau de clés s’abattre devant mes pieds. Quand il atterrit sur les lames du parquet, l’entrelacs de clés métalliques ne fait aucun bruit en heurtant le sol.
Hugues Charybde, le 9/12/2025
Hélène Frappat - Lady Hunt - éditions Actes Sud
l’acheter chez Charybde, ici
09.12.2025 à 11:14
Le monde est devenu céleste (mais le ciel est devenu mortel)

Texte intégral (933 mots)
Le Clavier Cannibale a depuis longtemps un faible pour les éditions La Lettre volée. Grâce à elles, j'ai pu découvrir l'œuvre ardente et cabossée de Bernard Desportes (cf. Brève histoire de la poésie par temps de barbarie), ou faire plus ample connaissance avec le travail de Laure Gauthier (avec kaspar de pierre), ainsi que celui de La Sainte-Victoire de trois-quarts, d'Olivier Domerg ou les Art Poems de Stéphane Lambert. C'est aujourd'hui le tour du texte de Rachel M. Cholz, Trois pour cent sauvages, paru en septembre dernier.
Poème séditieux, partition cadencée ou texte appelé à être mis en scène : qu'importe la forme puisque tel il est donné ici, dans son déroulement brutalement serein, où page après page une esquisse de récit nous est présentée/livrée sur la vague carrière d'un prétendu Belhomme – "avec un grand A", A comme Anonyme ou juste comme se-croyant-premier – un individu dit aussi "petit animal", et qui semble destiné à n'être répertorié dans ce monde-ci que par des pourcentages et des attributs, tant son "cerveau intérieur cuir" n'est disposé qu'aux calculs qui permettent de tenir à distance l'infinie et floue tribu des "Etc". Belhomme est le contraire du Plume de Michaux: un être pesable et pourcentable qui aborde le monde comme un fichier tristement excell, avec matelas à l'avenant. Un éventuel et banal winner, comme il en pleut, et dont on ne pleurera pas l'inéluctable épuisement dans le vide acide de sa vie.
Pour lui, "prendre un café une douche un sac de riz un stylo" est un héritage venu d'un quasi préhistorique passé, son but qui est une cible s'étant détaché de cette histoire et rêvant de choses qui ne sont plus des rêves, juste des parts de camember. Il préfère "imagine[r] tous les probables", tel un baladin d'un monde hyper occidentalisé, "surdimensionné", autant dire "une vie sans échelles".
Que dit le texte de Cholz? À coups de moins de dix lignes-flèches par page, comme autant de portraitures brisées, Trois pour cent sauvages met en scène le hiatus entre celui-qui-croit-savoir et ceux-qui-font, entre celui qui sait de quel côté dormir et ceux qui ont compris depuis longtemps que fructifier "son destin sur le destin de l'autre" est acte inique. Le texte de Cholz, par ses légers écarts, ses redites soignées, sa presque narration aux subtiles découpes, trace une saine logomachie entre ce Belhomme rivé aux bourses des valeurs et les "petites choses" qu'absorbe le quotidien des anonymes dits"Etc" – que piétinent, froides, ces valeurs.
Sous la langue faussement encalminée, bat un tempo, net, imparable. Nul besoin pour Cholz de monter dans les tours ou de fracasser les remparts: il lui suffit de fragmenter son Belhomme en ses pathétiques parties pour qu'on sente monter l'impensé de la violence sociétale. Mais: lisez, c'est toujours mieux:::
"Le corps de Belhomme n'a pas de contours / pas de limites et trop de place / Il s'étale tellement sur le globe qu'en se parcourant / il peut se dire bonjour / chaque fois / quand il passe// Se reconnaît à l'horizon / Un événement à lui seul // Prend sa mesure de taille / savoir ce qu'il pèse / un poids vif sans le reste / le reste n'a pas d'importance / le reste c'est le poids de caracasse qu'on retrouve chez les porCs."
Claro, le 9/12/2025
Rachel M. Cholz, Trois pour cent sauvages, éd. La Lettre volée
02.12.2025 à 15:07
En voie de disparition, créer de nouvelles œuvres à partir de fragments ratés

Texte intégral (2020 mots)
Une boîte récupérée contenant des images « ratées » devient la matière première de nouvelles compositions en grille, transformant des fragments jetés en nouvelles histoires racontées à travers des traces, des objets et des connexions visuelles inattendues.
Lunar Eclipse and Sailor. Cyanotype on Paper, unique image © Cynthia Katz
Les segments d'images de ces œuvres ont été sélectionnés dans une boîte d'échecs destinés à être déchirés ou jetés au feu. Mais en tant que recycleuse, je ne pouvais pas me résoudre à jeter les parties que j'aimais, et j'ai commencé à découper des fragments, transformant ce qui était des « déchets » en compositions soigneusement sélectionnées. Les moments qui traversent la surface des grilles créent des liens, ralentissant le regard du spectateur pour lui permettre d'apprécier les formes qui racontent des histoires à travers des traces, des objets et de nouveaux liens visuels.
— Cynthia Katz
Blue Moons. Cyanotype on Paper, unique image © Cynthia Katz
Blue Lightening. Cyanotype on Paper, unique image © Cynthia Katz
Quadrants. Cyanotype and thread on Paper, unique image © Cynthia Katz
Found. Cyanotype and thread on Paper, unique image © Cynthia Katz
Cynthia Katz, le 2/12/2025
De nouvelles œuvres à partir de fragments ratés
02.12.2025 à 11:59
On aime #118

Texte intégral (687 mots)
Father and Son Watching a Parade, West End, Newcastle; UK, 1980 © Chris Killip
L'air dans la tête
Agnes Obel - Broken Sleep
Le haïku de cœur
De temps en temps
Les nuages nous reposent
De tant regarder la lune.
Matsuo Bashõ
L'éternel proverbe
Le monde est une mer, notre cœur en est le rivage.
Proverbe chinois
Les mots qui parlent
“Si je ne sentais pas ma misère, comment pourrais-je sentir ma joie qui est fille aînée de ma misère et qui lui ressemble à faire peur ?”
Léon Bloy - Le mendiant ingrat
01.12.2025 à 12:25
“Desire” de Tuxedomoon revient encore plus surprenant avec 45 ans au compteur

Texte intégral (1051 mots)
Après la pochette proto-papier peint rose 60’s de Half Mute, le premier Tuxedomoon, celle de Desire anticipait les visions de David Lynch avec sa forêt violette et un son inouï pour l’époque qui mixait, l’air de rien, jazz et cabaret, électro et avant-garde. Inutile de dire qu’on l’a usé, cherchant, au volant, à trouver des correspondances entre paysages ruraux français et envolées inconnues. Un parfait décalage qui absorbait le passéisme de sons radio hexagonaux en offrant une autre leçon de géographie sonore. Il revient remixé et augmenté. Super !
Un album qui créait son propre paysage. Et tellement prenant qu’on en a fait un classique instantané, sur lequel on revenait de loin en loin, y trouvant un trait d’union entre un Hexagone soulevant le joug de la Giscardie à l’accordéon et pas encore au fait des radios libres à venir. Comme une brise issue du label des Residents ( Ralph Records) et soufflant fort sur une musique en pleine évolution avec MX 80, Yello ou Snakefinger. Quelque chose d’autre, quelque chose qui venant d’ailleurs avait l’attrait de la nouveauté, et qui s’éloignait du post-punk et de la new wave anglaise ; avec pour seule correspondances Wire ou Joy Division. Pas mal quand même …
DESIRE - 45th Anniversary Edition a été remasterisé à partir des bandes originales et comprend trois titres inédits, deux morceaux rares, des versions live (voir la liste des titres ci-dessous) et des souvenirs écrits par Steven Brown, Gareth Jones (ingénieur et coproducteur), John Foxx (qui a participé au processus d'enregistrement), ainsi que des notes écrites par Blaine Reininger et Peter Principle en 2015, des photos et d'autres souvenirs.
Étape importante dans l'expérimentation post-punk, Desire capture Tuxedomoon à son apogée cinématographique et atmosphérique. Son ambiance romantique hantée et son mélange musical qui défie les catégories lui ont permis de rester influent parmi des générations de musiciens explorant les intersections entre le rock, la musique électronique, le cabaret, le minimalisme, le jazz et la musique classique.
Desire a été écrit juste avant le déménagement du groupe de San Francisco vers l'Europe. Il a été enregistré au Royaume-Uni et sorti en 1981 sur Ralph Records, le label des Residents, avant d'être réédité en 1987 sur CramBoy, le label créé par Crammed Discs pour accueillir la production du groupe. Et, en parlant de post-punk on découvre le clip de No Tears.
Vues d’ailleurs quelques échos de l’importance du groupe :
L'œuvre considérable de Tuxedomoon (16 albums à ce jour, avec un nouvel album en préparation) reste unique et toujours aussi pertinente aujourd'hui, grâce à la capacité visionnaire du groupe à transcender les genres et à l'esprit romantique, rebelle et imaginatif qui illumine leur musique.
Ils ont été une anomalie dès le début. La plupart de leurs œuvres semblaient être des bandes originales de films noirs inexistants. Parfois, ils semblaient distants et étrangers, parfois ils créaient des mélodies d'une grande chaleur et d'une grande sophistication. Mais quoi qu'ils fassent, c'était toujours intelligent, beau et provocateur. Glenn O'Brien (dans le magazine Interview d'Andy Warhol, 1982)
Un paysage de tension cinématographique, de mélancolie de musique de chambre et de pulsations électroniques enfumées. Desire n'a pas tant été enregistré qu'évoqué, à partir de souvenirs fragmentaires et de signaux radio lointains. Desire donne l'impression d'un rêve fiévreux capturé sur bande magnétique, une carte postale d'un groupe en pleine évolution, traversant les continents et les genres pour trouver son propre langage. Gareth Jones (coproducteur, 2025)
Nous étions jeunes et stupides, intrépides et convaincus de notre immortalité. Nous avons cet album classique pour le prouver. Blaine L. Reininger (2015)
TuxedoWorld est urbain et spectral. On y trouve des trajets en métro dignes d'un opéra et des chansons brisées provenant de voitures qui passent. C'est romantique, déchiré et magnifiquement dérangeant. C'est une musique qui évolue dans une strate qui lui est propre, avec toute la magie abîmée d'un film retrouvé. C'est ce qui la rend merveilleuse. John Foxx (2025)
Jean-Pierre Simard, le 2/12/2025
Tuxedomoon - Desire 45th Anniversary edition - Crammed Disc
28.11.2025 à 13:58
L’autrice italienne Elena Mistrello empêchée de venir à un festival BD en France par la Police nationale

Texte intégral (4234 mots)
Vendredi 21 novembre, Elena Mistrello a été sommée de remonter dans un avion en arrivant à l’aéroport de Toulouse où elle s’apprêtait à se rendre au festival BD Colomiers invitée par sa maison d’édition Presque Lune pour dédicacer son album “Syndrome Italie”, réalisé avec Tiziana Francesca Vaccaro.
💡 Mise à jour le 25 novembre 2025 à 16h34, avec l’ajout d’une Lettre ouverte du Groupement des Auteurs de Bande dessinée (SNAC) au ministre de l’Intérieur, reproduite en intégralité en fin d’article.
Ce livre publié cette année en France par Presque Lune a reçu le prix du Meilleur Scénario au Treviso Comic Book Festival et le prix du Meilleur Premier Ouvrage au Napoli Comicon en 2022 (année de sa sortie en Italie), et l’autrice venait présenter Syndrome Italie au public français pour la première fois, à BD Colomiers [lire l’interview Amandine Doche, directrice artistique du festival BD Colomiers].
Cet album raconte l’histoire de Vasilica, une Roumaine venue travailler comme aide à domicile en Italie ; et à travers son histoire les autrices abordent les thématiques des travailleurs migrants, de l’impact économique et social liés aux métiers d’aide à la personne dans une fiction inspirée des recherches de sa co-autrice Tiziana Francesca Vaccaro.
Elle raconte dans une chronique [reproduite en fin d’article dans son intégralité] sa mésaventure à l’aéroport ; le peu d’informations qu’elle a obtenu sur ce refus de pouvoir entrer sur le sol français faisant l’objet d’une « mesure d’interdiction d’entrée » sans plus de précisions autres qu’elle constituerait « une menace grave pour l’ordre public français » ; et la menace de l’envoyer dans un Centre de rétention administrative pour migrants (CRA) en cas de refus.
Dans son texte, Elena Mistrello s’interroge sur les raisons qui ont pu conduire à être qualifiée de « menace grave pour l’ordre public français » via son travail ou ses prises de position personnelles, tout en remettant cet événement en perspective : comment en Europe, en 2025, peut-on être interdit de circulation et de séjour sur le sol français sans explications claires ; comment des individus peuvent être intimidés par les forces de l’ordre, d’arrestation, de détention sans précisions, Elena Mistrello n’apprendra qu’une fois dans l’avion du retour, après ces menaces, être l’objet d’une « mesure d’interdiction d’entrée », en lisant le procès-verbal de rapatriement.
Elle écrit : « je tiens à souligner la gravité de ce qui s’est passé : si, d’une part, je pense que la dérive autoritaire et répressive des États européens à l’encontre des militants et des activistes politiques est désormais évidente pour tous, d’autre part, je constate une dérive arbitraire croissante de la part des forces de police, qui peuvent décider sans explication de vous renvoyer chez vous simplement parce que vous êtes « indésirable », créant ainsi un système de contrôle et de surveillance basé non pas sur des faits, mais sur les opinions et les fréquentations des personnes.
J’ai pensé que cela ne pouvait pas rester une simple « mauvaise expérience » personnelle, mais qu’il était judicieux de la partager, afin de contribuer, dans la mesure du possible, à démanteler des mécanismes destinés à empirer s’ils ne sont pas combattus de toute urgence. »
En juin dernier, nous évoquions, l’arrestation l’autrice cinéaste et militante féministe franco-kurde Kudret Günes en Turquie, inquiétée pour son travail et ses prises de postions. En soutien à Kudret Günes, le militant associatif et poète Amar Benhamouche rappelait que « Les régimes autoritaires ont peur des artistes ». De son côté, Elena Mistrello, s’interroge encore sur l’absence de faits ou de justifications sur place, et de l’attitude menaçante de la police qui l’a empêchée de venir au festival et de défendre son album.
✍️ Petite chronique d’un refus forcé, Toulouse 2025.
Elena Mistrello
« Ce week-end (21-23 novembre 2025), j’aurais dû assister au festival de bande dessinée BD COLOMIERS (https://www.bdcolomiers.com/), auquel j’ai été invitée suite à la publication en traduction française de mon livre « Sindrome Italia » par les éditions PresqueLune (https://www.presquelune.com/syndrome-italie).
La maison d’édition avait organisé mon voyage, mon hébergement ainsi que deux jours de dédicaces pour la sortie du livre. Inutile de dire que j’étais impatiente : c’est un très beau festival, où j’aurais pu rencontrer de nombreux collègues, une occasion importante pour mon travail.
Vendredi soir. Le vol Francfort-Toulouse atterrit à 18 heures et, dès que je descends de l’avion, je trouve trois agents de la Police nationale (la police française) qui m’attendent. Ils m’arrêtent et me mettent au courant du fait que je ne peux pas mettre les pieds en France, qu’ils ne savent pas exactement pourquoi, mais qu’il existe un signalement du ministère de l’Intérieur concernant le danger que je représenterais. Je reste interdite, mais après un premier moment de surprise mêlée de panique, j’explique tout d’abord que je n’ai jamais eu de problèmes avec la justice française et je montre la lettre d’invitation du festival, en précisant que je suis là pour mon travail. Ils ne m’écoutent pas, ils sont inflexibles.
On me dit que je dois immédiatement remonter dans l’avion et retourner à Milan : ils ont reçu l’ordre de me rapatrier et si je refuse, « ce sera pire pour moi », ils seront obligés de m’arrêter et, probablement, de me transférer dans un CRA (Centre de rétention administrative pour migrants). Tout cela dure 15 minutes, je me sens acculée et je décide de remonter dans l’avion.
Dans l’avion, on me remet une sorte de procès-verbal de rapatriement dans lequel il est précisé que je n’ai pas pu entrer en France car je constituerais « une menace grave pour l’ordre public français » et qu’en conséquence, je fais l’objet d’une « mesure d’interdiction d’entrée ». En cherchant une explication à cela, je me souviens du mois de juin 2023, lorsque j’ai participé aux journées d’assemblées, de concerts et de manifestations publiques organisées à Paris à l’occasion du dixième anniversaire du meurtre de Clément Méric, un jeune antifasciste tué en 2013 à Paris à l’âge de 18 ans par trois extrémistes de droite. Bien que ces initiatives se soient déroulées sans aucune tension, en présence de milliers de personnes venues à Paris de toute l’Europe, j’ai appris que certains de mes compagnons de voyage italiens avaient eu des problèmes aux frontières dans les mois qui ont suivi, avec quelques questions supplémentaires de la part de la police sur les raisons de leurs déplacements, mais personne n’a jamais été bloqué ou refoulé.
Il y a donc encore quelque chose qui m’échappe et je vais certainement devoir me faire aider par des personnes plus compétentes en matière de jurisprudence française pour clarifier les aspects juridiques de cette affaire.
Cela dit, je tiens à partager quelques brèves réflexions.
Mon travail de dessinatrice de bandes dessinées m’amène souvent à voyager : découvrir le monde, parler aux gens, m’informer pour écrire et dessiner ce qui se passe autour de moi, tout cela fait partie de ma vie. Tout comme être active politiquement, participer à des initiatives, des manifestations et des assemblées : tout cela se mélange et se reflète également dans ce que je dessine. Face à tout cela, je ne suis donc pas surprise de pouvoir faire l’objet d’une « attention » particulière de la part des forces de police, étant donné que désormais, l’activisme politique, même modéré et au grand jour, constitue un motif de profilage de la part de l’État. C’est pourquoi j’ai toujours pris en compte les responsabilités et les conséquences que cela implique, tout comme je suis consciente que ce que j’écris peut ne pas plaire à tout le monde.
Mais être rapatriée de force avec ce genre de justification a vraiment dépassé mon imagination et m’oblige à écrire ces lignes pour donner une explication au festival, à la maison d’édition et aux personnes qui seraient venues me rendre visite au stand, à la fois pour les remercier de leur compréhension et pour m’excuser de la situation dans laquelle je les ai mises.
Mais surtout, je tiens à souligner la gravité de ce qui s’est passé : si, d’une part, je pense que la dérive autoritaire et répressive des États européens à l’encontre des militants et des activistes politiques est désormais évidente pour tous, d’autre part, je constate une dérive arbitraire croissante de la part des forces de police, qui peuvent décider sans explication de vous renvoyer chez vous simplement parce que vous êtes « indésirable », créant ainsi un système de contrôle et de surveillance basé non pas sur des faits, mais sur les opinions et les fréquentations des personnes.
J’ai pensé que cela ne pouvait pas rester une simple « mauvaise expérience » personnelle, mais qu’il était judicieux de la partager, afin de contribuer, dans la mesure du possible, à démanteler des mécanismes destinés à empirer s’ils ne sont pas combattus de toute urgence. »
✍️ Petite chronique d’un refus forcé, Toulouse 2025.
Elena Mistrello
« Ce week-end (21-23 novembre 2025), j’aurais dû assister au festival de bande dessinée BD COLOMIERS (https://www.bdcolomiers.com/), auquel j’ai été invitée suite à la publication en traduction française de mon livre « Sindrome Italia » par les éditions PresqueLune (https://www.presquelune.com/syndrome-italie).
La maison d’édition avait organisé mon voyage, mon hébergement ainsi que deux jours de dédicaces pour la sortie du livre. Inutile de dire que j’étais impatiente : c’est un très beau festival, où j’aurais pu rencontrer de nombreux collègues, une occasion importante pour mon travail.
Vendredi soir. Le vol Francfort-Toulouse atterrit à 18 heures et, dès que je descends de l’avion, je trouve trois agents de la Police nationale (la police française) qui m’attendent. Ils m’arrêtent et me mettent au courant du fait que je ne peux pas mettre les pieds en France, qu’ils ne savent pas exactement pourquoi, mais qu’il existe un signalement du ministère de l’Intérieur concernant le danger que je représenterais. Je reste interdite, mais après un premier moment de surprise mêlée de panique, j’explique tout d’abord que je n’ai jamais eu de problèmes avec la justice française et je montre la lettre d’invitation du festival, en précisant que je suis là pour mon travail. Ils ne m’écoutent pas, ils sont inflexibles.
On me dit que je dois immédiatement remonter dans l’avion et retourner à Milan : ils ont reçu l’ordre de me rapatrier et si je refuse, « ce sera pire pour moi », ils seront obligés de m’arrêter et, probablement, de me transférer dans un CRA (Centre de rétention administrative pour migrants). Tout cela dure 15 minutes, je me sens acculée et je décide de remonter dans l’avion.
Dans l’avion, on me remet une sorte de procès-verbal de rapatriement dans lequel il est précisé que je n’ai pas pu entrer en France car je constituerais « une menace grave pour l’ordre public français » et qu’en conséquence, je fais l’objet d’une « mesure d’interdiction d’entrée ». En cherchant une explication à cela, je me souviens du mois de juin 2023, lorsque j’ai participé aux journées d’assemblées, de concerts et de manifestations publiques organisées à Paris à l’occasion du dixième anniversaire du meurtre de Clément Méric, un jeune antifasciste tué en 2013 à Paris à l’âge de 18 ans par trois extrémistes de droite. Bien que ces initiatives se soient déroulées sans aucune tension, en présence de milliers de personnes venues à Paris de toute l’Europe, j’ai appris que certains de mes compagnons de voyage italiens avaient eu des problèmes aux frontières dans les mois qui ont suivi, avec quelques questions supplémentaires de la part de la police sur les raisons de leurs déplacements, mais personne n’a jamais été bloqué ou refoulé.
Il y a donc encore quelque chose qui m’échappe et je vais certainement devoir me faire aider par des personnes plus compétentes en matière de jurisprudence française pour clarifier les aspects juridiques de cette affaire.
Cela dit, je tiens à partager quelques brèves réflexions.
Mon travail de dessinatrice de bandes dessinées m’amène souvent à voyager : découvrir le monde, parler aux gens, m’informer pour écrire et dessiner ce qui se passe autour de moi, tout cela fait partie de ma vie. Tout comme être active politiquement, participer à des initiatives, des manifestations et des assemblées : tout cela se mélange et se reflète également dans ce que je dessine. Face à tout cela, je ne suis donc pas surprise de pouvoir faire l’objet d’une « attention » particulière de la part des forces de police, étant donné que désormais, l’activisme politique, même modéré et au grand jour, constitue un motif de profilage de la part de l’État. C’est pourquoi j’ai toujours pris en compte les responsabilités et les conséquences que cela implique, tout comme je suis consciente que ce que j’écris peut ne pas plaire à tout le monde.
Mais être rapatriée de force avec ce genre de justification a vraiment dépassé mon imagination et m’oblige à écrire ces lignes pour donner une explication au festival, à la maison d’édition et aux personnes qui seraient venues me rendre visite au stand, à la fois pour les remercier de leur compréhension et pour m’excuser de la situation dans laquelle je les ai mises.
Mais surtout, je tiens à souligner la gravité de ce qui s’est passé : si, d’une part, je pense que la dérive autoritaire et répressive des États européens à l’encontre des militants et des activistes politiques est désormais évidente pour tous, d’autre part, je constate une dérive arbitraire croissante de la part des forces de police, qui peuvent décider sans explication de vous renvoyer chez vous simplement parce que vous êtes « indésirable », créant ainsi un système de contrôle et de surveillance basé non pas sur des faits, mais sur les opinions et les fréquentations des personnes.
J’ai pensé que cela ne pouvait pas rester une simple « mauvaise expérience » personnelle, mais qu’il était judicieux de la partager, afin de contribuer, dans la mesure du possible, à démanteler des mécanismes destinés à empirer s’ils ne sont pas combattus de toute urgence. »
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📨 Lettre ouverte du Groupement des Auteurs de Bande dessinée (SNAC) à Monsieur Laurent Nuñez, ministre de l’Intérieur
Paris, le 25 novembre 2025
« Monsieur le ministre,
Nous venons à vous, mu·es par une profonde perplexité pour ne pas dire sidération, après avoir appris ce week-end l’interdiction d’entrée sur le territoire français d’une collègue italienne. En effet, l’autrice de bande dessinée, Elena Mistrello, s’est vu signifier son renvoi dans son pays depuis le tarmac lors de son arrivée à l’aéroport de Toulouse Blagnac, alors même qu’elle était invitée par le festival de Colomiers à dédicacer son album Syndrome Italie aux Editions Presque Lune.
Pour rappel, le nouvel ouvrage de l’autrice à la carrière affirmée et solide, traite du sort réservé aux femmes migrantes arrivant dans son pays.
Monsieur le Ministre, nous ne pouvons que souligner l’ironie d’une telle situation…
Si nous nous adressons à vous aujourd’hui, c’est afin de comprendre les motivations de vos services. En effet, nous sommes dans l’ignorance la plus complète, aucune raison n’ayant été fournie à notre collègue, si ce n’est – nous citons -, qu’elle représenterait « une grave menace pour l’ordre public français ».
Cette personne n’ayant commis à notre connaissance, aucun crime ou délit, ou tout acte susceptible de mettre en péril la sécurité publique, notre incompréhension est totale. Elle l’est d’autant plus que nous nous permettons de rappeler à qui lirait ce courrier, que dans la hiérarchie des normes, et ce depuis la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, le principe de liberté est supérieur à celui d’une éventuelle « anticipation » d’atteinte à la sécurité. Nous renvoyons pour cela, outre le texte de 1789, au préambule de la Constitution de 1946, à la Constitution de la Ve République – norme suprême de notre nation depuis 1958 -, ou enfin, si cela ne suffisait pas, à quelques décisions du Conseil constitutionnel prises ces dernières années, dans le cadre strict de Questions Prioritaires de Constitutionnalité.
En outre, de par les règles établies au sein de l’Union européenne et de l’espace Schengen dont nos deux pays (France et Italie) font partie des membres fondateurs, souhaitez-vous faire valoir qu’écrire ou dessiner des livres pourrait dorénavant motiver de tels actes d’autoritarisme, c’est-à-dire d’empêcher la liberté de déplacement des citoyen·nes européen·nes ? L’actualité est pourtant brûlante sur ce sujet ces dernières semaines et ont donné lieu à de vives tensions internationales…. Nous sommes sans voix, Monsieur le ministre, vis-à-vis de ce deux poids deux mesures et cette singulière incohérence…Rajoutons encore une fois la thématique spécifique de l’ouvrage : dénonciation des mauvais traitements réservés à d’autres êtres humains. Les artistes ayant pour motivation de défendre par leurs œuvres les personnes en migration, se retrouveraient-ielles désormais non grata en France ?
De telles mesures, Monsieur le ministre, ne font qu’entériner des soupçons pointés et soulevés, et nous inquiètent à juste titre, quant à une dérive illibérale de certaines fonctions régaliennes dans notre pays.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous ne pouvons que considérer cette expulsion comme une fâcheuse erreur administrative, du zèle dans les ordres transmis à vos services, ou encore une initiative malheureuse d’un échelon hiérarchique ayant échappé à votre regard. Comprenez toutefois notre émoi. Nous sommes honteux.ses d’être associé·es à de tels faits qui méritent réparations et excuses.
Nous ajoutons qu’il nous semble incontestable qu’une enquête doit être diligentée, afin de saisir la mécanique des dysfonctionnements qui se sont donnés lieu pour arriver à une telle situation à tout le moins déplorable.
Certain·es que le bien-fondé de ces demandes ne manquera pas de vous sauter au visage, nous vous prions, Monsieur le ministre, d’agréer nos sincères salutations.
Le Conseil Syndical du Snac »
Thomas Mourier , le 2/12/2025
Illustration principale : planches de l’album Syndrome Italie © Elena Mistrello / Tiziana Francesca Vaccaro / Presque Lune
