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06.05.2024 à 08:10

Parabole de la Chute du monde

dev

« Pour les bienfaits de sa quête renouvelée, l'Assemblée des camarades de l'anti-monde s'auto-dissolut et put retourner à sa dispersion originelle. »

- 6 mai / , , ,
Texte intégral (933 mots)

Sur une plage autour d'un feu, l'anti-parlement de l'anti-monde s'était rassemblé. On parlait tous en même temps, on chantait le bleu d'étoiles pas mortes, on louait au hasard les noms et le mystère des événements qui toujours arrivent. On cherchait les phrases comme des énigmes à inventer. On était persuadé que la révolution, comme il est dit de la Révélation dans le Livre, est d'abord un phénomène acoustique.

L'un, le plus naïf et le plus pur, proposa qu'on se crève les yeux pour se sauver - car qui ne voit plus, songeait-il, entend à nouveau le bruit du monde. L'hypothèse était moins fantasque qu'elle semblait. Elle fut examinée par une commission qu'on avait créée à cet effet. Malheureusement, il ressortit de ses travaux que la solution proposée était sans secours. On était déjà aveugle et l'on ne pouvait plus ne plus voir. Même les yeux crevés, on aurait continué de voir. Et pourtant, on ne voyait pas plus qu'on n'entendait, car on ne voyait que par l'entremise du texte. On ne voyait que ce qu'on lisait, on voyait en phrases, on ne voyait que ce que les phrases nous disaient de voir. On ne savait plus voir. Le mal était profond. Il ne touchait pas seulement ceux qui étaient portés à l'étude des livres. Certes, il est possible que quelques anciens analphabètes en fussent épargnés, mais la masse de ceux qu'on désigne communément, comme une injure, du nom d'analphabète, était au contraire, et cela d'autant plus qu'elle l'ignorait, la plus évidente victime. C'était ce nœud compliqué qui enserrait l'existence civilisée, bien au-delà de ceux qui semblaient s'y ajuster naturellement au point d'en faire leur dignité.
Cependant, le travail de la commission était loin d'avoir été inutile. Sa conclusion se fondait sur une découverte de grande portée qui permettait de relire, si l'on peut dire, notre histoire de plusieurs millénaires. Le problème n'était pas que le monde fût un livre impossible à déchiffrer. Le monde n'était pas un livre scellé, mais nous avions scellé le monde dans un livre. Et ce geste, à son tour, avait scellé la malédiction qui précipitait la chute du monde et de son expérience. Le sort du monde était bien renfermé dans le livre, mais dans un sens opposé à celui qu'on avait cru comprendre. Dès lors, si la tâche consistait à libérer le monde du livre, rien ne servait d'apprendre à ne plus voir, parce que la tradition innervait, en profondeur et depuis trop longtemps, l'intégralité de nos sens. On était tous devenu, à des degrés différents d'amplitude, des petits livres sur pattes : beaucoup étaient des codes civil ou pénal qui occupaient des places peu négligeables dans la longue chaîne de l'Imprimerie de la Bureaucratie Mondiale, plus souvent, on était de minuscules règlements intérieurs qui avaient néanmoins leur place dans la nécessité d'ensemble, quelques-uns, heureusement, étaient des lettres d'amour ou de véritables poèmes qui avaient su échapper à l'impression. Mais tous ne voyaient que par leurs phrases. Et aucun ne pouvait plus voir autrement, ou, même, ne pas voir.
Contre cette malédiction, la seule issue n'en était pas vraiment une - sauf, bien sûr, à considérer par avance sa réussite incertaine. Car il ne pouvait s'agir que de s'opposer aux phrases qui renfermaient le monde et s'opposaient à sa fuite. Or cela ne pouvait se faire que par d'autres phrases, ce qui semblait condamner à l'enfer du signe. Mais l'un des présents de l'anti-parlement de l'anti-monde dit d'une voix qui l'emporta sur les autres : « Les phrases, elles, ne sont peut-être pas condamnées aux livres. Nous pouvons les en arracher, les détourner pour saturer leurs signes et assurer leur fuite ». Il disait qu'en libérant le monde du livre, on parviendrait à en saturer tous les signes pour les rendre in-identifiables, in-interprétables, et que par surcroît, le livre se trouverait lui-même libéré du monde. Une bonne phrase, mais encore une phrase. Il jeta alors une pierre qui raviva le feu, comme pour donner à voir ce que chaque enfer recelait toujours de possibilités d'étincelles et de lumières, et lança : « D'une pierre deux coups, camarades ! » Tandis qu'un autre répétait pour lui-même qu'il n'y avait pas de clairière seulement une forêt, sans que personne ne comprît ni réagît. Enfin, un vrai poète suscita l'attention de tous et dit fermement : « Phrases ! Quand le monde sera réduit en un seul bois noir pour nos quatre yeux étonnés, — en une plage pour deux enfants fidèles, — en une maison musicale pour notre sympathie, — je vous trouverai. »
Ainsi, pour les bienfaits de sa quête renouvelée, l'Assemblée des camarades de l'anti-monde s'auto-dissolut et put retourner à sa dispersion originelle.

Atelier Oncléo

06.05.2024 à 07:54

Les remplaçants chantent : Carrefour Express

dev

« Ce pauvre magasin qui se faisait chier aurait jamais espérer un tel 1er mai »

- 6 mai / , ,
Lire plus (363 mots)

Nos lectrices et lecteurs connaissent le talent d'Alex Ratcharge pour l'écriture ainsi que la finesse de son coup de crayon. Mais c'est une nouvelle facette de l'artiste que nous dévoilons aujourd'hui : une oreille absolue au service de vocalises harmonieuses. Les remplaçants chantent Carrefour Express, une ode aux caisses automatiques.

Ce pauvre magasin qui se faisait chier
Aurait jamais espérer un tel 1er mai
Voir ses vitrines pétées
Et tout le monde s'engouffrer

Pour sa première, sa seule, et sa plus belle fête

On a libéré le Carrefour Express
Champagne gratos pour tous les schlags au Carrefour Express
On a libéré le Carrefour Express
Ses chaînes sont tombées, maintenant il est à nous

Direct les médias ont gueulé au sabotage
Tu m'étonnes qu'ils parlent pas d'autoréduction
Pourtant, si on lui demandait son avis
Le magos' dirait que ça a été

Sa première, sa seule, et sa plus belle fête

On a libéré le Carrefour Express
Champagne gratos pour tous les schlags au Carrefour Express
On a libéré le Carrefour Express
Ses chaînes sont tombées, maintenant il est à nous

Libération de tous les supermarchés

06.05.2024 à 07:35

Évider le Réel

dev

Comment relier l'art, la vie et le politique en mangeant du pop-corn ?
(reportage au festival international du film documentaire)

- 6 mai / , , ,
Texte intégral (5770 mots)

Le mois dernier, se tenait à Paris le Réel, soit le 46e festival international du film documentaire. La Fraction des tigres à dent de sabre, collectif ad hoc de cinéastes cinéphiles communisto-insurrectionnel, est allée voir ce que proposait cet évènement incontournable du cinéma contemporain et engagé. À travers ce compte rendu analytique des meilleurs séances, se pose la question de ce que peut et doit le cinéma aujourd'hui : délier par la représentation les évènements et luttes politiques de leur puissance ou au contraire tenir ensemble « l'art, la vie et la révolte, dans un même geste ».

Nous attendons d'un festival de cinéma qu'il nous aide à déplacer nos manières de voir et de faire, que de la salle émerge un rapport vivant à ce qu'on regarde. Nous désirons que ce moment – surtout s'il prétend parler de luttes et de communautés – vienne se lier avec la vie et le politique. Puis il y a la réalité du Réel, au cœur du Paris marchand, et le vide réel que nous laissent ces désirs vains.

Ici, pas de Farocki pour s'écrier « Réalité [1] » et difficile de jouer les Godard. La gueule du loup est resserrée, pour y entrer il faut d'abord passer les portiques de sécurité en se séparant de ses objets dangereux et si possible de sa volonté critique. S'installer dans des salles sans âme, adopter l'attitude religieuse et disciplinée qu'exige l'art du documentaire. Qui l'exige ? En tout cas les partisan'nes du sérieux dans la salle ne manquent pas de se faire gardien'nes de l'ordre des manières de regarder – disciplinées, silencieuses, insensibles – à coup de regards sévères, de « fermez vos gueules » et de « vous cassez les couilles ». La gueule du loup a aussi son propre dispositif anti-débat, composé de spécialistes de Marx qui comblent l'apparition gênante du silence qu'il faut à tout prix éviter. Après la projection du film l'Evangile de la révolution, c'est-à-dire 2h de témoignages sur des luttes armées mystiques, trois types parlent entre eux sur la scène en évidant les mots pour nous expliquer que l'époque n'est plus révolutionnaire.

Au Réel les paroles se prennent au sérieux, sont mesurées et bien souvent dérisoires. Ici on aime les rebelles à l'écran mais pas dans la salle. Une forme d'irruption ou l'expression d'une anomalie aurait-elle pu avoir la puissance de faire émerger du réel dans les rouages bien huilés du Réel ? Et de quelle manière porter collectivement la critique ? La question reste ouverte et la partie n'est que remise à l'année prochaine. Entre les films, nous avons passé notre temps à chercher le débat loin du loup : en-dehors du musée, à l'ours malin, le bar où celleux qui en veulent plus se retrouvent, et l'alcool aidant, parlent. Dans ce « cheminement anarchique sans distinction » auquel nous invite la programmation, nous avons suivi une route bien anarchiste et au fil des discussions nous avons restauré un peu de distinction. Qu'est ce qui en ressort ?

COUP D'ETAT ET REVOLUTION


Soundtrack to a Coup d'Etat fait une énième histoire de la guerre de libération Congolaise. Il se distingue des autres par le fait de lier cette histoire à celle du jazz qui en devient la bande son. L'Evangile de la révolution est un voyage touristique à la rencontre de la « théologie de la libération » en Amérique du sud, dernière trouvaille historique encore peu connue du public. Ne s'intéressant pas au pourquoi et au comment, ces films semblent libérés du « problème politique » : la finalité n'est pas une question, elle est connue d'avance : la défaite. Ils décrivent des réalités d'autres continents sur le mode distant de l'historien et/ou de l'esthète. Ils ont un intérêt exotique pour des luttes lointaines.

Contrairement à Dial H-I-S-T-O-R-Y — un autre film de Johan Grimonprez sur l'histoire du détournement d'avion, des Panthères aux islamistes — ces films ne prennent pas de risque politique, ne posent pas de problème. Certes il est toujours un peu scandaleux de remuer le fondement religieux du marxisme. Mais pourquoi, quand on se branche sur l'histoire d'illuminés révolutionnaires zinzins en parler aussi froidement ? Dans l'Evangile on voit défiler des pépés et des mémés sur le mode du catalogue ethnobotanique. Dans les archives utilisées : des mitrailleuses partout, dans la voix off : du pacifisme partout.

Dans ces films la dynamique politique principale est la dénonciation. On dénonce haut et fort les machinations du pouvoir, enfonçant des portes ouvertes à propos de la CIA et des pouvoirs coloniaux du XXe siècle. 'Qui dénonce s'exempt' disait le Comité Invisible. Pourquoi alors le cinéma ? Le cinéma pour le cinéma ? pour la virtuosité du montage ? pour la pédagogie ?

Ce qu'on voit c'est que toute une économie du cinéma se branche sur le passé des révolutionnaires, que l'on fait œuvre avec leurs restes et leurs vieux os. Mais ces films qui parlent de révolutions et de coups d'Etats là-bas depuis le vide politique de l'occident bourgeois ne sont pas en lutte. Ils ne cherchent pas à savoir comment gagner, ils cherchent la meilleure, la plus belle, la plus originale manière de raconter comment on a déjà perdu. Dans l'Evangile on nous raconte l'occupation des sans terres, le gouvernement envoie l'armée. Dans les archives : les paysans se rassemblent dans le champ autour de la croix, les soldats sont en ligne … et puis ? Rien. On passe à un autre sujet.


Il y a un intérêt presque morbide pour les vaincus. Dans un rapport froid qui classe et catalogue, les réalisateurs-historiens-ethnologues taxidermisent ces expériences politiques, achevant leurs possibles résonances avec l'ici et maintenant. Malgré une prétention à l'exhaustivité, ces films manquent de dialectique pour approcher une totalisation : Soundtrack s'intéresse aux politiciens, aux stars, à Khrouchtchev—qu'on arrive à faire passer pour un gauchiste !—L'Evangile, aux prêtres du sud plutôt qu'aux cangaceiros du nord. Soundtrack enchaîne les scènes à l'ONU, les clips de jazz, les pubs pour l'Iphone, qui s'intègrent dans la forme sans accroc, L'Evangile survole différents pays d'Amérique latine et accumule les témoignages d'anciens maquisards. Mais ils n'en actualisent pas la puissance, d'où cet effet de « paralysie frénétique ».

On cherche alors comment être touché'es par ce qu'on nous raconte et on sort de la salles confus, spectateurs de révolutions et de coups d'Etat sur un arrière fond jazzy. En croyant peut-être nous rendre accessible l'histoire ces films nous en séparent.

INTERLUDE - SIEMPRE LA LUCHA/SIEMPRE LA DERROTA

La team se sépare le temps d'une séance. Une partie s'est rendue à la projection de Direct Action tandis que je suis allé voir Guerilla des farcs - l'avenir a une histoire. Le film s'ouvre sur des images tournées en 2008, le réalisateur apparaît devant la tombe de son beau-père, le réalisateur de fiction Dunav Kuzmanich. Cette séquence annonce l'approche de Pierre Carles au sujet des guerillero.as colombien.ne.s mis constamment en parallèle avec sa propre histoire et celle de Dunav Kuzmanich, « Duni ». Cette approche résonne avec L'Evangile de la révolution, visionné la veille. Ici aussi le réalisateur appose son discours et son destin, à celui des multiples mouvements révolutionnaires des Amériques Latines.

Ce qui fera le lien entre « l'épique et l'intime » c'est la vie de Duni et son œuvre, plus particulièrement son film Canaguaro, réalisé en 1981, qui traite de la période de guerre civile en Colombie qui dura de 1948 à 1960. Pierre Carles superpose la fiction de Duni avec l'imaginaire qu'il se fait de la réalité des F.A.R.C (Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia). À travers ce rapport fantasmagorique, Pierre Carles ne sabote pas sciemment l'expérience des FARC, mais la pertinence de son discours et cette volonté de s'inscrire lui-même dans l'histoire de la lutte armée des Guerillero.a.s colombien.ne.s, me pose question. Particulièrement quand le discours des protagonistes se voit supplanté par la voix off recouvrant la leur et que Pierre Carles se met littéralement à parler à leur place.

J'ai aussi une forte admiration pour les vidéos prises par les FARC elleux-mêmes, leur sincérité et leur absence de visée cinématographique en font de précieuses traces de réalités. Si bien que l'on ne regrette pas la voix bassinante de Pierrot. On se demande alors : quel est l'interêt de tous ces films de documentaristes sur les luttes armées si toutes ces images d'archives parlent autant d'elles-mêmes ?

L'intrusion, aussi bienveillante soit-elle, n'est pas seulement présente dans la forme mais se précise également dans le fond. Le film donne son avis sur l'évolution de la lutte armée et en particulier sur sa fin. Les images tournées après les accords de paix passés entre le gouvernement et les groupes armés en 2016, donne un bilan assez amer de la reddition. On y voit des personnes dépossédées, dont l'existence au sein du pays semble à peine tolérée, certaines diront « qu'ils et elles ont rendu les armes trop tôt ! ». Le chef des armées gouvernementales, au comble du mépris, vient calmement parler de « match nul » entre le gouvernement et les FARC, alors que quelques milliers d'individus déterminés étaient parvenus à tenir tête au pouvoir pendant 57 ans.

Je trouve que Pierre Carles ne s'attaque pas assez à cette vision du « match nul ». Au-delà de la triste réalité des compromis avec l'Etat, ce qui m'attriste c'est bien que le film semble se réjouir du tournant pacifique que les anciens membres des FARC ont pris. Certain.e.s peinent à retrouver une vie « normale » après tant d'années de luttes dans le maquis, d'autres sont parqué.e.s dans des sortes de réserves. D'autres encore essayent de vivre de l'agriculture et la construction en bois, dans un retour fantasmé à la « Nature ». Une nature plus civilisée que la jungle qui plait plus aux gouvernants. Comme le dira une des intervenantes durant le débat « Ils font maintenant partie du processus d'un pays en développement ». Même le général des armées n'aurait osé imaginer une telle insulte !

Ailleurs, une ancienne des FARC propose aux jeunes des moyens d'expression artistique, des ateliers de dessin à la bombe de peintures pour que : les jeunes ne reprennent jamais les armes. Je suis consterné devant cette bienveillance pour tout ce qui se dissocie, cette façon de saluer le désarmement des révolutionnaires comme un avenir meilleur. Le film semble voir dans les luttes armées une fascinante puissance imaginaire, mais ne peut s'empêcher de considérer ce mode d'action du point de vue réformiste. C'est d'ailleurs sur une note 'd'espoir' que s'achève le documentaire : l'arrivée au pouvoir d'un candidat de la gauche institutionnelle ; qui, une personne dans la salle l'a précisé a déjà trahit ces promesses depuis la sortie du film. Incroyable non ?

COMMUNAUTÉS


La communauté contemporaine est un autre aspect politique qui traverse la programmation du festival. Elle apparait dans The garden cadences, Direct Action, Arancia Bruciata ou la BM du Seigneur. Comme en miroir des luttes massives et militarisées du XXe siècle on trouve dans les films sélectionnés des communautés autarciques d'individus désarmés. Contrairement aux images de propagande qui dirigent le regard dans les archives de l'époque, ces films optent pour une caméra 'neutre', qui ne s'engage pas. La caméra 'regarde' simplement : les plans sont lointains, longs, larges. Il y a ce désir de représenter exactement le réel et de considérer les choses en-soi. Ces films naturalistes tentent de nier la transcendance opérée sur le réel qu'ils captent et montent.

Dans The garden cadences, un film sur les Mollies, un collectif queer-féministe qui a vécu pendant une décennie dans un parking de caravanes à Berlin, de longues séquences sont accordées à la contemplation des fleurs et des limaces, au rythme de la 'Nature'. Mais cette passion pour le jardin est concomitente d'une sorte d'échec de la rencontre. Même au plus proche des choses—dans les pistils de fleurs comme dans les intimités des caravanes—on regarde avec une distance qui ne cesse de s'accroître, séparant ainsi les spectateurices de la question de la communauté pour entrer dans la performance de celle-ci. La caméra est comme derrière un buisson, depuis lequel on voit des gens vivre mais dont on ne distingue rien et rares sont les dialogues qui nous disent quelque chose. Parfois elle tente d'aller au coeur des choses—ici des fleurs— dans un mouvement qui veut pénétrer la couleur. L'écran se remplit d'un rouge, d'un violet, où plus aucune forme n'est distinguable. Cette séquence témoigne d'un regard qui reste en surface de l'en-soi jusqu'à l'informe.

The garden cadences reste en surface des corps et des peaux ornées de tatouages, des symboles qui ne parviennent pas à s'incarner dans les personnages, la vie ou le récit, et deviennent des images sans résonance, vidées de sens. Des ornements de l'idée de communauté queer. Cette superficialité prudente fait écho à ce que nous vivons parfois dans ces communautés : libéralisme existentiel et culture du safe. Ainsi, en dépit de la beauté et de la poésie avec laquelle ces lieux et ces gens sont filmés, les communautés nous apparaissent emprises d'une mélancolie. Dans The garden cadence, le monde industriel progresse inéluctablement autour du jardin sans rencontrer de résistance. Le film donne la sensation d'une extériorité impuissante au monde. La communauté serait alors ce refuge, un monde clos sur lui-même que rien ne perturbe. Lorsqu'à la fin quelques personnes discutent au coin du feu, le son est désynchronisé et la caméra est loin des visages. Les discussions sonnent creuses et le cinéma à l'air de ne rien pouvoir faire pour rendre la communication possible au sein de la séparation.

Toutefois on se demande si ce vide appartient seulement aux communautés filmées ou si ce n'est pas ce rapport au cinéma qui vient l'amplifier. Ce vertige nous empêche de croire à la joie de vivre qu'on nous montre sur une photo et la contemplation nous apparaît comme un remplissage du réel, que nous vivons comme son absence.

The garden cadence dessine les contours d'une communauté mythifiée et autarcique, un schéma que l'on retrouve dans d'autres films bien qu'ils se passent dans des environnements très différents, comme Direct Action ou Arancia Bruciata. Des motifs sont récurrents : l'absence de liens entre les choses, entre les personnes qui filment et celles qui sont filmées, entre les communautés et leurs extériorités, entre les formes et les vies. Au regard des films historiques, mettant en scène la guérilla, la communauté dans ces films enterre la lutte en-dehors du cadre, au profit d'une sensation imaginaire de paix.

Sous les feuilles, construit autour de l'existence d'un cimetière non référencé d'esclaves dans une forêt en Martinique, partage certains motifs avec les films cités ci dessus - il y a cette caméra extérieure qui ne voudrait pas trop interférer avec un réel sacralisé ; il y a la proposition faite au spectateur, de s'identifier à cette soignante blanche qui découvre toujours avec enthousiasme ce que le film décrit - mais il s'en distingue également.

Sous les feuilles s'intéresse aussi aux plantes, mais contrairement peut-être à The garden cadence, le film parvient à 'passer sous les feuilles'. C'est-à-dire qu'il rencontre véritablement quelque chose : des liens—entre les habitant'es de l'île et les plantes— qui sont des actes de résistance face à la colonisation et la 'profitation'. Dans un plan séquence un personnage-conteur raconte la dérive des graines de l'arbre venues dire aux hommes que l'histoire de la colonisation est celle d'un massacre. Ici les liens entre la vie et la politique sont établis dans une vieille tradition de lutte contre l'esclavage. Le mythe, construit par les gens dans leur vie quotidienne- comme celui du boisbois, ou du cassé-coutelas - est la construction d'un récit qui échappe aux yeux du maître. Reste la question de comment le cinéma se relie à cette construction et arme le mythe ?


Dans la structure lieu de mémoire + les arbres qui parlent + soigner les gens, une certaine bien-pensance s'empare du documentaire pour rendre le mythe lisible, le décortiquer, le rendre utile même ; pensant ainsi soigner les blessures de l'esclavage. Le personnage de Mr Léon met en crise la tentation de mystification à l'oeuvre. Là où le film cherche à voir un objet mystique, il explique que c'est son panier à crevette. Mr Léon ne veut pas aller au cimetière des esclaves massacrés, « c'est un endroit de mort, je préfère aller avec les vivants » dit-il. Les séquences entrent alors en friction, entre ce qu'on désire voir, ce qu'on présente comme symbole et la manière dont il s'incarne. Mr Léon pose un problème et ramène de la complexité dans le rapport fantasmé qu'entretient le film avec son sujet. La sincérité de Sous les feuilles est de lui avoir donné une place dans le récit.

Les communautés traversent aussi les films de Jean-Charles Hue. Mais chez lui ce qui résiste à la mystification et à l'autarcie, bien que les sujets soient marginaux, c'est la rencontre entre une extériorité, la caméra, et des individus pris dans leurs mondes. Dans Topo y Wera, les coutures de la rencontre apparaissent autant par de nombreuses adresses à la caméra, que dans le fait que le réalisateur retrouve Topo des années plus tard, au milieu d'une grande précarité dont il ne se fait pas dénonciateur. Bien que les images en témoignent, la caméra cherche la rencontre avec Topo, le considérant jusque dans sa folie. Dans ce moyen métrage ou dans Pitbull Carnaval, on devine derrière la caméra des liens qui débordent le film, les traces que le cinéma sont venues laisser dans les vies réelles.

Dans La BM du seigneur c'est le jeu avec le cinéma et la fiction qui permet de résister. Le mythe existe comme objet de jeu, puisque faire du cinéma, même documentaire, c'est construire du récit, puisque filmer dans le réel c'est agir dessus. Ici le réalisateur se saisit de ce décalage comme d'une puissance fabulatrice. Fabriquant ainsi un objet étrange où les frontières entre réel et fiction se brouillent, on se demande parfois où se situent les personnages entre sincérité et caricature, ce jeu nous place dans un rapport flou à la réalité de ce monde, et nous pose ainsi la question de la représentation et du réel. Leur monde est conflictuel et complexe—de nombreuses scènes d'embrouilles, de bagarres viriles—le film en fait exister l'écho au dedans des personnages, qui ne sont alors pas cataloguables. Ce cinéma construit du relief à travers la fiction qui dessine des lignes de fuites, des liens et des non-liens qui composent et fracturent cette communauté gitane. Ici les symboles filmés—la BM ou les jeux de lumières mystiques—se remplissent du sens porté par la fiction et incarnent ainsi l'expression d'une communauté.

DIRECT ACTION

Direct action, le film sur la zad de Notre-Dame-des-Landes, à obtenu le grand prix du Réel qui s'ajoute au prix de la Berlinale. Nous avions parié dessus. Direct action est un point d'orgue entre les deux chemins que nous avons suivi dans la programmation, le point de rencontre entre le fil historique des luttes et celui de la communauté.

Dans les premières séquences, le jeu avec le hors-champ rend compte de liens incongrus : une zadiste aux cheveux bleus lit un livre pour se défendre des techniques policières—dézoom—elle s'adresse à un cochon. L'en-dehors est peuplé de sons d'oiseaux et d'activités humaines qui se mélangent. Une équipe défonce un mur à coups de masse au milieu des champs. Ici le film « est avec » une puissance, celle d'une communauté qui a mis en échec l'Etat et le Capital pendant des années. La zad victorieuse, celle de la composition, le lieu où les choses se lient, la zad du « nous sommes la nature qui se défend ».

Mais plus le film avance, plus il travaille à dé-lier les choses. D'abord on retrouve cette caméra naturaliste, puis un regard ethnographique. Bien que la zad soit à 20 minutes de la métropole Nantaise, elle semble être d'un autre continent, ses habitant'es d'une autre ethnie, que l'on regarde avec la distance ordinairement requise pour l'indigène. La zad rentre dans la catégorie des luttes exotiques et lointaines. On s'intéresse donc aux us et coutumes de ce nouveau peuple –n'est-il pas nous ?–et on engage le spectateur à le regarder du dehors. En cela le film se distingue peu de ceux de l'industrie du cinéma, qui proposent de regarder la zad depuis le point de vu du petit bourgeois médiocre dans Problemos ou du flic infiltré dans Zone à défendre. Ici, on nous propose le costume du sociologue-bourgeois.

Rapidement, le champ, comme le hors-champ, qui se systématisent en d'esthétiques tableaux, commencent à manquer de politique. Le travail filmé en plan fixe comble le vide. Ce qui apparaît c'est une ZA, déliée du D, une Zone Artisanale. Des plans longue durée, cadrés sur des mains ou des visages impersonnels, dressent des portraits type dans un montage cataloguesque. Le forgeron forge, le boulanger pétri, le rappeur rap, le militant milite. Chacun à sa place, le blanc est paysan, l'arabe est rappeur. Tout va bien.

Le D, la défense, passe au second plan. Les expulsions de 2012 et 2018 rejoignent l'histoire ancienne, archivée dans les petits dossiers d'un bureau d'ordinateur. La zad commence à rentrer dans la catégorie des luttes passées. Quand la guerre rattrape finalement le film à Sainte-Soline, la caméra est lointaine et contemplative. On nous montre alors des images qu'on a déjà vues : grande focale, arrière-plan flou, dans l'horizon d'un champ des flics balancent des grenades meurtrières sur des manifestant'es et vice-versa—avec cette gênante mise en équivalence dans l'image de la brutalité d'Etat et de la violence révolutionnaire. Ces images sont plates. La guerre, renvoyée à l'arrière plan n'est pas regardée en face, ou bien est-elle prise dans sa dimension esthétique ? Dans l'histoire de la zad elle est pourtant centrale et profonde, n'en déplaise à toutes celles et ceux qui voudraient, comme le film peut-être, « regarder autre chose. »

Pourquoi le film plaît tant à Berlin, à Paris ? Peut-être parce qu'il rabat l'expérience subversive de la zad sur quelque chose de connu et de rassurant. Et pour cela il faut l'avoir vidée de son caractère guerrier. Mais ce caractère ne concerne pas seulement l'image littérale de la guerre, il se situe au delà, dans le domaine du regard. Les réalisateurs ont peut-être cru qu'il suffisait de déserter le champ de bataille pour que la guerre cesse. Pour déserter le champ de bataille, il faut avoir mis la guerre en dehors de la zad, donc de la vie et du quotidien, en avoir fait une activité séparée. Pour enfin instituer d'un côté la Zone Artisanale paisible et utopique, où l'on travaille la matière, la terre, le bois et de l'autre les Soulèvements de la Terre, militants, où l'on travaille la lutte.

Si dans le hors-champ du film on peut croire à un tissus de liens étranges, ce qui vit en-dehors de l'image petit à petit se rétrécie. Les belles images sages, lentes, précises, se juxtaposent comme une longue liste continue. Les traits d'union qui lient les formes-de-vies se rompent, des actes s'enchaînent mais ne s'imbriquent pas. Pas de transitions, pas d'associations, pas de superpositions, pas de raccord, pas de montage. Crêpes. Cut. Réunion secrète. Cut. Planter des patates. Cut. Quelque chose manque. Le cinéma ? Et si les traits d'union d'Agamben posaient la question du montage, de ce qui se tisse entre deux plans. Ce qui manque c'est alors le produit de la dialectique, le produit du montage : la conflictualité des images qui se rencontrent et se négocient une place. Des contradictions qui apportent de la complexité aux récits.

Au contraire, le film s'efforce de ne pas montrer les liens dans leurs entremêlements, car il faudrait alors parler de blessures, de conflits, de luttes. Il travaille plutôt à les défaire, enfermant chaque geste artisanal dans son cadre. Le cinéaste avec sa caméra pelliculaire n'est il pas lui même un artisans du regard ? Les rares paroles dans le film défendent pourtant l'inverse : la zad ce sont des anarchistes urbains qui apprennent à faire pousser des carottes, des agriculteurs qui squattent des maisons etc. La politique c'est le lien improbable, la force de la zad c'est la composition et le mélange.

En cela le film reste en surface, d'ailleurs il veut voir la zad d'en haut. On embarque avec le regard des réalisateurs à dos de drone pour une visite à hauteur technologique et commentée de la zad. Lorsque le drone revient sur le phare d'où il s'est envolé, c'est à dire d'où se trouvaient les réalisateurs et la caméra 16m avant son envol, ces derniers ont disparu du champ, ils se sont évaporés, du moins leurs corps. Car il reste le regard machinique du drone qui filme seul, est ce là l'apothéose du regard naturaliste ? Regarder les vaches dont on s'occupe tout les jours avec tendresse depuis un champ voisin est-ce la même chose que regarder la zone depuis sa machine dans le ciel ? L'expérience du regard à la zad n'est-ce pas de voir depuis la hauteur des haies sauvages sur des chemins boueux, des buissons fous et des barricades ? Ces regards ne sont-ils pas en lutte ?

Le film veut seulement regarder, respecter son sujet, mais jusqu'où ? Qu'est ce que produit une caméra obéissante à son sujet ? Qu'est qu'un cinéma qui ne veut rien déranger ? Un cinéma du vide, où tout les gestes se valent. Où ceux qui filment se retirent du processus et refusent de voir leur propre existence, leur propre impact dans le monde, tendent à effacer leurs propres corps. Mais ce refus ne suffit pas a ne pas impacter le monde, il est seulement un leurre. Ce qui gagne alors dans ce cas là c'est le récit mythologique, la communication. Comme le film évite les problèmes, les questions, les choses qui sortent de son petit système représentatif, il construit le mythe de la ZA, zone artisanale.

Ce mythe nous ennuie car pour nous, l'art, le cinéma, servent à faire exister des problèmes, exposer les intériorités, les dynamiques intenses de nos luttes. Le temps long, le montage, la création c'est pour aller en profondeur. Ici on utilise les moyens du cinéma pour faire exister un message de propagande médiatique avec une prétention artistique. Et alors on s'envole dans les nuages de l'esthétisme.

CONCLUSION

La programmation du Réel donne à voir des communautés alternatives et de luttes ; queer, chrétien'nes révolutionnaires, zadistes, tant qu'elles sont loin, vaincues, ou évidées. Les formes de vie prévalent, des formes dont est séparée la vie, qui disparaît au profit d'images fantasmant la forme-de-vie. Ce qui est mis en valeur ce sont des films politiques d'où la politique se trouve absente, des films sur des communautés où l'on soustrait les liens pour ne garder que son image

D'un côté l'échec de la révolution, des libérations nationales, des luttes armées, du mysticisme révolutionnaire, du XXe siècle, de l'autre les communautés autarciques et impuissantes d'aujourd'hui. Au milieu la zad.

Nous ne voyons pas d'un bon œil que la lutte la plus convaincante de ces 30 dernières années en France se retrouve coincé entre des guérilleros vaincus et des artistes des beaux-arts en errance. Est-ce que la sacralisation de ce film est le signe que la zad comme imaginaire est en passe d'être vaincue ? Son entrée dans le panthéon des luttes exotiques serait-elle le signe qu'en plus d'avoir été une victoire, 2018, fût en même temps une défaite ?

Dans les films que nous avons vus, avec Direct Action comme forme canonique nous voyons quelque chose qui se dessine d'un cinéma de la dé-liaison. Ce cinéma cherche des formes pour trouver de la puissance—dans des luttes ou des communautés—mais il n'en fait exister que la performance. L'impuissance ne se trouve que masquée, apaisée. Les puissances sont mises à nu, cataloguées, disséquées. Ce qui est vaincu l'est alors une seconde fois. Ce cinéma de la dé-liaison nous agace particulièrement car il vient faire des propositions esthétiques et politiques exactement à l'endroit où nous aimerions en faire, c'est-à-dire au niveau des luttes, des communautés, du quotidien. Quels sont les gestes d'un cinéma de la dé-liaison ? Séparer - Dénoncer - Représenter - Dépolitiser - Cataloguer - Mystifier. À ce cinéma là, nous aimerions opposer un cinéma de la fusion qui tient en même temps, l'art, la vie et la révolte, dans un même geste.

Fraction des tigres à dent de sabre.
Pour le cinéma léopard·e.

https://cineleopardes.noblogs.org/


06.05.2024 à 06:37

Les maux de la terreur

dev

« Ainsi, le terroriste, bien sûr, est dans l'œil de celui qui regarde. »

- 6 mai / , , , ,
Texte intégral (17880 mots)

Giorgio Agamben dit du "terrorisme" qu'il n'est jamais qu'un nom de plus pour désigner la "guerre civile mondiale". Nous publions cette semaine un excellent texte, érudit et précis, à propos de l'usage politique actuel du concept. Sa difficile définition, le rapport purement abstrait à son emploi quotidien, repose peut-être sur l'effet en retour d'une caractérisation trop précise. Quelque soit la puissance qui cherche à le définir, il semble qu'elle soit vouée à se l'appliquer à elle-même. Comme disait Edward Peck, directeur adjoint de la task force de la Maison Blanche pour la définition du terrorisme : « Ainsi, le terroriste, bien sûr, est dans l'œil de celui qui regarde. »

Dès qu'il s'agit de certains sujets, le concret se fond dans l'abstrait, et personne ne semble en mesure de recourir à des formulations qui ne soient pas rebattues : la prose consiste de moins en moins en des mots choisis en raison de leur sens, et de plus en plus en des formules accrochées les unes aux autres comme les éléments d'un poulailler préfabriqué.

George Orwell, « Politique et langage » [1]

Le 7 octobre 2023, la branche armée du Mouvement de résistance islamique (Hamas) lance une offensive meurtrière contre l'État d'Israël. Traversant en de nombreux points le mur, les grillages et les barbelés qui enclavent le territoire de Gaza, détruisant les tourelles de tirs automatiques censées « sécuriser » la zone, les forces armées du Hamas et du Djihad islamique provoquent en quelques heures la mort d'environ 1 140 personnes. Parmi les victimes, environ 370 militaires et policiers, près de 700 civils israéliens dont 36 enfants et adolescents, plus de 70 ressortissants étrangers [2].

En France, s'ensuit aussitôt une bataille politique et médiatique. Pourtant première à réagir, La France insoumise (LFI) se retrouve sous un feu nourri de critiques. En cause, selon ses détracteurs, un communiqué dans lequel elle ne condamnerait pas explicitement les attaques : « Nous déplorons les morts israéliens et palestiniens. Nos pensées vont à toutes les victimes. L'escalade actuelle risque d'entraîner un cycle de violences infernales [3]. »

Dès lors, tout va très vite.

L'arène politico-médiatique se déchaine contre le passage d'un tweet de Jean-Luc Mélenchon : « la violence ne produit et ne reproduit qu'elle-même ». Oubliée la suite : « Horrifiés, nos pensées et notre compassion vont à toutes les populations désemparées victimes de tout cela. Le cessez-le-feu doit s'imposer. [...] Les peuples palestinien et israélien doivent pouvoir vivre côte à côte, en paix et en sécurité... [4] »

La situation dramatique se profile déjà à Gaza, mais le journal Le Monde juge prioritaire de se fendre d'un éditorial résolument hostile au leader de LFI – le 3e en moins d'un an –, avec ces reproches voilant à peine l'injonction : « Jean-Luc Mélenchon et ses proches refusent de qualifier de « terroriste » l'action d'un groupe islamiste qui s'est attaqué à des civils, a massacré des familles, pris en otage des enfants et déclenché une guerre meurtrière » [5]. Et l'éditorial, suspicieux, de s'interroger : « son but est-il d'« encourager l'antisémitisme » ? de « cautionner le terrorisme islamiste [6] » ?

Dans le même temps, le président du CRIF, Yonathan Arfi, déclare Jean-Luc Mélenchon « ennemi de la République [7] », tandis qu'Éric Dupont-Moretti, ministre de la Justice, l'accuse de vouloir la « détruire ».

Antisémite supposé, allié du Hamas et du terrorisme, « Jean-Luc Mélenchon devrait être fiché S », s'emporte à son tour Karl Olive, député de la majorité présidentielle [8], croyant sans doute que ce fichage est du ressort et de la compétence du politique.

Poussant la diabolisation à l'extrême, Serge July, l'ex-directeur du journal Libération, livre quant à lui son incroyable révélation dans une chronique : Mélenchon est le diable en personne ! Il serait « possédé – au sens diabolique du terme [9] ! » Il s'en faut de peu qu'on ne rallume les bûchers…

Si le délire et l'acharnement frappent avant tout le leader de gauche, il touche plus largement La France insoumise. La chaine d'extrême-droite CNews accuse le parti d'être sorti de l'arc républicain pour n'avoir pas qualifié le Hamas et son attaque de « terroristes », et dans un retournement vertigineux, s'interroge : « LFI : le nazisme est-il passé à l'extrême gauche ? [10] » En parallèle, des députés LR et Renaissance demandent la « dissolution de LFI », allant jusqu'à évoquer une « cinquième colonne du terrorisme palestinien en France » [11]. Réactivant au passage l'imaginaire xénophobe et complotiste d'une « cinquième colonne islamiste » déjà mobilisé en 2013 et 2015 par Christian Estrosi, Jacques Myard, ou Aymeric Chauprade pour stigmatiser les banlieues pauvres [12].

Plus étonnant ? Alors que LFI a immédiatement dénoncé les actes du Hamas en les qualifiant de massacres et de « crimes de guerre » [13], cette dernière dénomination est à son tour récusée :

« Depuis samedi, en ne nommant pas le Hamas comme groupe terroriste, mais comme force armée qui commet des crimes de guerre, LFI légitime le Hamas et ses modes d'action », a déploré le socialiste Jérôme Guedj. De nombreux utilisateurs de Twitter (renommé X) ont également dénoncé l'emploi par Mathilde Panot du terme « crime de guerre » comme une volonté de légitimer le Hamas, et de ne pas le qualifier de terroriste. » (Libération , 10/10/23 [14])

La qualification de « crime de guerre » devenue insignifiante dans les médias français, le procès se poursuit sur le plateau d'Europe 1, où l'on discute de « l'urgence à dissoudre la France insoumise ». Dans le « 13h », Céline Géraud s'indigne : « Il [Manuel Bompard] parle de crime de guerre, hein, uniquement » ; la réponse de Stéphane Le Rudelier satisfait la journaliste : « Oui, il parle de crime de guerre, eh bien c'est du négationnisme ; c'est une forme d'apologie du terrorisme [15]. »

Ce harcèlement diffamatoire contre la gauche [16] s'est à peine atténué avec l'augmentation rapide du nombre de morts à Gaza, son cortège de victimes civiles et les condamnations de l'ONU. En témoignent les polémiques récurrentes autour d'un supposé antisémitisme de gauche que les médias montent en épingle [17].

Absence de contextualisation

Deux éléments frappent dans ces polémiques : une injonction politico-médiatique alignée sur la position gouvernementale, doublée d'une absence de contextualisation journalistique. Sur l'usage du terme « terroriste », chacun y va de son opinion en restant dans une strate polémique qui relève de la guerre idéologique, sans que les strates juridique et scientifique soient mobilisées [18].

Quelques articles ont bien tenté de contextualiser « les mots de la guerre [19] », sans que cela n'influence ni les rédactions ni les animateurs de plateaux radio ou télévisé. Le choix de la BBC, de Skynews ou d'autres médias américains de ne pas qualifier de « terroriste » l'attaque du 7 octobre, n'a pas incité les médias français à se questionner sur leur position [20]. Les pages en français et en anglais de Wikipedia consacrées à l'attaque du 7 octobre illustrent jusqu'à la caricature cette différence de traitement : alors que la page anglophone n'use jamais des termes « terrorist » ou « terror attack » autrement que dans des propos rapportés, leurs équivalents sont employés systématiquement pour qualifier les attaquants du Hamas et leur offensive dans la version française [21].

Rappeler la réalité du terrorisme et des faits qu'il recouvre était pourtant possible : des études existent, et la littérature sur le sujet s'accumule de façon importante depuis des dizaines d'années. Les médias de service public (Radio France, France Télévision...) et les médias dits de « référence » (Le Monde, Le Figaro...) auraient pu – auraient dû – apaiser le débat en rappelant le flou autour de la notion de terrorisme, les dangers de l'utilisation du terme, ou même encore, expliquer en quoi la position de La France insoumise pouvait se justifier et être légitime.

Le terrorisme : pas de sens commun

L'attaque du 7 octobre pouvait-elle être qualifiée de « terroriste » ?

À cette question jamais posée, on serait tenté de répondre : Oui, bien sûr. Le qualificatif recouvre tellement d'actes de nature et de gravité différentes, de l'attaque au couteau par un déséquilibré en passant par l'attentat à la bombe, l'occupation de méga-bassines par des écologistes, la pose de barres de fer sur des caténaires, jusqu'au détournement d'avions, que tout acte – même non meurtrier ou moralement fondé – nuisant à une politique étatique par un acteur non-étatique, pour peu qu'il porte un objectif politique, religieux ou simplement celui de « troubler gravement l'ordre public [22] », est susceptible d'être qualifié de terroriste.

Les Résistants français au régime nazi et au pétainisme ont été affublés de cette appellation infamante, tout comme les militants de l'IRA en Irlande, de l'ANC en Afrique du Sud, etc. Dans une synthèse de mars 2023, Eric Schmid, spécialiste mondialement reconnu de la question, se souvient avoir recensé plus de 100 définitions du terrorisme dans les années 1980 [23].

Dans un entretien avec la journaliste Amy Goodman, présentatrice de Democracy now, l'ancien directeur adjoint du groupe de travail (Task Force) de la Maison blanche contre le terrorisme, Edward Peck, rappelle que les États-Unis ont conditionné l'écriture de leur définition du terrorisme à un impératif simple : que leurs propres actes soient exclus de cette catégorie :

« En 1985, alors que j'étais directeur adjoint du groupe de travail sur le terrorisme de la Maison Blanche de Reagan, on nous a demandé [...] d'élaborer une définition du terrorisme qui pourrait être utilisée par l'ensemble du gouvernement. Nous en avons produit environ six, et à chaque fois, elles ont été rejetées, parce qu'une lecture attentive aurait indiqué que notre propre pays avait été impliqué dans certaines de ces activités.

Après que le groupe de travail a terminé ses travaux, le Congrès s'en est mêlé, et vous pouvez consulter le Code des États-Unis, Titre 18, Section 2331, sur Internet, et lire la définition américaine du terrorisme. Et l'un des passages dit « le terrorisme international... » signifie, je cite « ...activités qui semblent avoir pour but d'affecter la conduite d'un gouvernement par la destruction massive, l'assassinat ou l'enlèvement ».

Oui, bien sûr, on peut penser à un certain nombre de pays qui ont été impliqués dans de telles activités. Le nôtre est l'un d'entre eux. Israël en est un autre. Ainsi, le terroriste, bien sûr, est dans l'œil de celui qui regarde. Et je pense qu'il est utile pour les personnes qui discutent de cette expression de se rappeler qu'Israël a été fondé par des organisations terroristes et des chefs terroristes, [comme] Menachem Begin, qui sont devenus des hommes d'État et ont obtenu le prix Nobel de la paix. Nasrallah n'est peut-être pas le même type d'homme, mais ses intentions sont les mêmes. Il veut libérer son pays de la domination d'un autre. » [24]

La réalité des attentats terroristes

Dans l'éditorial cité plus haut, Le Monde reproche de ne pas qualifier de « terroriste » l'action d'un groupe islamiste ayant attaqué des civils, massacré des familles, pris en otage des enfants...

Hormis la question des otages, dont nous reparlerons plus loin, et hormis le fait que l'on soit en présence d'un groupe islamiste, en quoi ces actions diffèrent-elles de celles menées par les forces armées israéliennes à Gaza, où plus de 15 000 enfants ont été tués depuis le 7 octobre ? Tuer des civils et massacrer des familles serait-il caractéristique de ce qu'on s'accorde généralement à qualifier de « terrorisme » ? Ou ces actions sont-elles considérées comme barbares uniquement car réalisées de façon « artisanale » au fusil d'assaut, plutôt que de manière « chirurgicale » par des missiles guidés à l'intelligence artificielle [25], qui ne font, comme chacun sait, que des « dommages collatéraux » [26] ?

Y aurait-il, comme semble le penser Arié Alimi dans un texte publié sur AOC, une sorte de bon sens populaire, un « sens commun » qui permettrait de juger ce qui relèverait de la guerre ou du terrorisme – un « acte de violence commis contre des populations civiles en vue d'instaurer la terreur » –, en dépit des « critiques juridiques, politiques et géopolitiques [27] » ?

Cet appel populiste au « sens commun » entend en réalité s'affranchir de toute réflexion intellectuelle [28]. Dans le débat qui nous occupe, on s'étonne que la très grande majorité des acteurs ignorent ou feignent d'ignorer le droit international, la littérature académique sur le terrorisme, et en général, toute recherche internationale sur ce thème, pour n'adopter que des définitions personnelles prétendument partagées par le plus grand nombre. La recherche existe pourtant, qui démontre que le « sens commun » se trompe.

À partir des données de la Global Terrorism Database (GTD) les chercheurs Daniel Dory et Hervé Théry démontrent dans un article de 2021 sur « les réalités du terrorisme dans le monde » que :

« Contrairement à l'idée trop répandue sous l'effet du « 9/11 » les actes terroristes très meurtriers sont, en fait, rarissimes. [...] Le terrorisme, qui est habituellement associé à la mort, se distingue par le fait que plus de la moitié des attentats (57 %) n'ont pas de conséquences létales. Et d'autre part qu'environ 99,9 % des attentats tuent moins de 100 personnes. » [29]

Sur les quelque 111 400 attentats répertoriés entre 1970 et 2019, 91,5% des attentats ont occasionné zéro (57%) ou entre 1 et 5 décès (34,5%), sans compter les blessés, absents de l'étude ; cinq attentats ont fait plus de 500 décès, soit 0,004% des attentats enregistrés. D'où la conclusion des auteurs : le 11/09 est un évènement « absolument atypique et exceptionnel [...] qui ne saurait représenter la réalité « ordinaire » du fait terroriste ».

Une étude de la Fondation pour l'innovation politique consacrée uniquement au « terrorisme islamiste », publiée en 2019 puis mise à jour en 2021, confirme cet éclairage :

« entre 1979 et mai 2021 au moins 48 035 attentats islamistes ont eu lieu dans le monde. Ils ont provoqué la mort d'au moins 210 138 personnes. En moyenne, un attentat islamiste a causé la mort de près de 4,4 personnes. [...] Les explosifs sont le type d'arme le plus utilisé (43,9%), tandis que les militaires sont la cible principale (31,7%), devant les civils (25,0%) et les forces de police (18,3%). » [30]

À rebours des opinions régulièrement exprimées dans les médias, l'étude montre que les militaires et la police sont les cibles principales des attentats, plus souvent que la population civile. Si le nombre de morts recensés est élevé, il faut le comparer aux morts causés par la guerre et les forces armées étatiques dans les régions concernées durant cette période : c'est sans commune mesure. Les auteurs montrent en effet que « l'Afghanistan a été le pays le plus touché par le terrorisme islamiste, devant l'Iraq et la Somalie » et que « la plupart (89,5%) des attentats islamistes ont été commis dans des pays musulmans. De même, la très grande majorité des morts provoquées par des attentats islamistes (91,7%) ont été enregistrées dans des pays musulmans ».

Les musulmans sont donc les premières victimes du « terrorisme islamiste », et ce dernier fleurit avant tout en contexte de guerre longue, ce qui nuance quelque peu la qualification de « violence islamiste » et la portée de l'étude : « Sur l'ensemble de la période étudiée, les talibans ont été le groupe le plus meurtrier. Ses actions terroristes ont provoqué la mort de 69 303 personnes ». Enfin, l'étude montre que la Russie est le pays du continent européen le plus touché par le terrorisme islamiste, observation malheureusement confirmée par l'attaque du 22 mars près de Moscou.

On est loin de l'imaginaire véhiculé par le personnel médiatique et politique français sur les actes terroristes : les attentats font majoritairement peu de morts voire pas du tout, et leurs cibles sont d'abord la police et l'armée. Dans la majorité des cas, ce qui est considéré comme un acte terroriste ne consiste pas à tuer des civils, massacrer des familles, ou prendre en otage des enfants. Enfin, contrairement aux propos de certains « spécialistes », le terrorisme ne vise pas en priorité les sociétés démocratiques, et ne cherche pas à les diviser ou à menacer leur « mode de vie [31] » ; il concerne d'abord et de très loin les régimes autoritaires et les pays en proie aux conflits armés longs, pour s'inscrire dès lors dans une logique de guerre avec des moyens faibles, confirmant en cela l'analyse de John A. Lynn que nous aborderons plus loin.

L'accusation de minimiser les actes du Hamas en ne les qualifiant pas de terroristes était donc totalement fallacieuse et exactement inverse à la vérité : avec ses presque 1 200 morts, l'attaque du 7 octobre relevait bien plus d'une offensive militaire s'inscrivant dans le « conflit armé permanent » opposant Israël et Palestiniens, que du terrorisme. L'amalgamer aux quelques milliers d'attentats ne faisant aucune victime revenait au contraire à nier la gravité d'un tel acte. La France insoumise, en qualifiant de « massacres » ou de « crimes de guerre » les actes commis sur les civils par les combattants du Hamas, était donc plus proche de la réalité, et c'est tout à son honneur.

On peut dès lors se poser cette question : alors même qu'il n'existe pas de définition internationale du terrorisme, que les définitions nationales amalgament des faits à la gravité et à la légitimité hétérogènes, et que les faits recensés comme tels ne recouvrent que dans moins de 0,004 % des cas le type d'attaque perpétré le 7 octobre, fallait-il dès lors employer ce terme ?

On l'a affirmé plus tôt : on le pouvait. Pour autant, fallait-il le faire ?

Autrement dit, la position adoptée par la France insoumise est-elle légitime ?

Un usage qui amplifie les fractures françaises et nuit à la compréhension de l'évènement

Si l'on voulait éviter de cautionner le massacre actuel à Gaza, la position de La France insoumise était non seulement légitime, mais la seule qui aurait dû prévaloir. Au regard du gouvernement actuellement au pouvoir en Israël, mais surtout de la déshumanisation ancienne de la population palestinienne, massacre et « risque de génocide » étaient prévisibles.

Nous pensons donc que si l'on pouvait qualifier l'offensive du Hamas de terroriste, il ne fallait surtout pas le faire.

Première raison : selon les approches de spécialistes reconnus de la question, la qualification de terrorisme n'était pas pertinente. Alex Schmid, déjà évoqué, recommande d'adopter une définition étroite du terrorisme permettant de limiter les abus dans la lutte contre celui-ci. Dans une proposition de 1992, il considère les actes terroristes comme « des crimes de guerre commis en temps de paix ». Dans sa mise à jour de 2023, Schmid ne considère pas comme déterminant le fait que l'acteur soit étatique ou non-étatique. Pour Ben Saul, autre spécialiste du terrorisme, l'important est que les actes se situent « en dehors d'un conflit armé » (outside an armed conflict) [32].

Cette situation ne correspond doublement pas au conflit israélo-palestinien : les Nations unies qualifient justement celui-ci de « conflit armé permanent », et elles considèrent Israël comme « puissance occupante » dans les territoires palestiniens annexés et la bande de Gaza, malgré l'évacuation des colons de celle-ci en 2005. Les qualifications de « massacre » ou de « crime de guerre » sont donc les plus légitimes.

La seconde raison que nous invoquerons, c'est que l'usage univoque du terme par les médias français a avant tout servi comme arme de destruction massive pour tuer le pluralisme d'opinions. En retour, de larges pans de la société française ont perdu toute confiance dans la capacité des médias à produire une information à peu près objective.

Prenons encore une fois un exemple outre-Manche.
Face aux injonctions politiques de se conformer à la position officielle du gouvernement britannique et d'utiliser le terme « terroriste », la BBC a répondu qu'elle était un « diffuseur de contenus éditorialement indépendant » (editorially independent broadcaster). Ajoutant qu'il était primordial que le journalisme de la chaine puisse « continuer à être factuel, précis, impartial et véridique » dans le contexte actuel. Le guide éditorial de la BBC considère en effet « le mot « terroriste » comme « un obstacle plutôt qu'une aide à la compréhension » » et le devoir du travail journalistique d'« utiliser des mots qui décrivent spécifiquement l'auteur de l'attentat, tels que « poseur de bombes », « attaquant », « tireur », « kidnappeur », « insurgé » et « militant » [33]. »

En France, c'est la situation exactement inverse qui a prévalu : les médias ont fait pression sur des politiques, en l'occurrence situés à gauche, pour qu'ils se conforment à la position officielle du gouvernement français et du gouvernement d'extrême-droite israélien. Étonnant, non ?

Enfin, sur le plan judiciaire, l'usage du terme terroriste autorise une vague de répression sans précédent, qui sert à briser toute parole alternative.

Terroriser l'expression

Au nom de la lutte anti-terroriste et singulièrement depuis le 11 septembre 2001, les États sont de plus en plus tentés de s'arranger avec le cadre légal, et les législations d'exception se multiplient au mépris du droit international et des droits fondamentaux, restreignant toujours plus les libertés publiques et individuelles. La France n'est pas en reste, et à la fin janvier 2024, plus de 600 procédures avaient été lancées pour apologie de terrorisme en lien avec l'attaque du Hamas. Parmi elles, Mohamed Makni, élu d'Échirolles, commune limitrophe de Grenoble, coupable selon le parquet d'avoir retweeté le 11 octobre une phrase d'un ex-ministre tunisien des affaires étrangères : « Ils [les Occidentaux] s'empressent de qualifier de terroriste ce qui, à nos yeux, est un acte de résistance évident ». Quatre mois de prison avec sursis et 800 euros d'amende, dont 400 avec sursis, ont été requis contre lui pour cette imprudence au « pays des Lumières » [34]. On peut s'étonner : bien que les guerres menées par les États occasionnent une mortalité sans commune mesure avec le terrorisme infra-étatique, c'est l'apologie de celui-ci qui est condamné, et non l'apologie de la réponse militaire [35].

Terrorisme ou résistance ?

La députée LFI Danièle Obono a également fait les frais de cette intimidation médiatique et judiciaire, comme récemment la philosophe Judith Butler pour avoir qualifié l'attaque du Hamas d'« acte de résistance », même si elle les avait auparavant condamnés « sans la moindre réserve [36] ».

La dichotomie entre « actes de résistance » et terrorisme n'a pourtant aucune raison d'être. Dans un ouvrage paru en France en 2021, Une autre guerre. Histoire et nature du terrorisme, l'historien de la guerre John A. Lynn considère au contraire que :

« Le terme de « terrorisme » ne désigne pas à mes yeux une forme particulière d'idéologie politique, mais plutôt l'idée que les attentats constituent une forme de résistance politique, perçue comme légitime voire nécessaire, pouvant être adoptée pour faire avancer des causes très différentes. » [37]

Lynn rappelle que les auteurs d'actes terroristes, dans le cadre d'une lutte politique, n'ont souvent pas le choix : leur manque de moyens dans la lutte les oblige à recourir à des tactiques non conformes au droit de la guerre. Et de citer un ancien responsable du Hamas au Liban, qui déclarait en 2005 : « Je vous répondrai ceci : nous n'avons pas d'avions à réaction, nous n'avons pas de chars. Voilà pourquoi nous avons recours aux kamikazes. C'est une de nos manières de résister [38]. »

Dans le cas de Gaza et du Hamas, Israël dénie aux Palestiniens tout État et toute constitution en nation, alors même que depuis 1947, l'ONU prévoit la création d'un État palestinien. La situation dans les territoires palestiniens est qualifiée de « conflit armé permanent » par les organes des Nations Unies, et Israël est considéré comme « puissance occupante » en raison du blocus à Gaza, de la colonisation et du contrôle de la population par les forces israéliennes en Cisjordanie [39]. Le droit à la résistance, y compris par la lutte armée, a été affirmé et réaffirmé par les résolutions 37/43 (1982) et 45/130 (1990) de l'Assemblée Générale des Nations unies, toujours en vigueur et toujours d'actualité :

« Considérant que le déni des droits inaliénables du peuple palestinien à l'autodétermination, à la souveraineté, à l'indépendance et au retour en Palestine, la répression brutale de l'Intifada [...] par les forces israéliennes, ainsi que les agressions répétées d'Israël contre la population de la région font peser une lourde menace sur la paix et la sécurité internationale, [...]

2. Réaffirme la légitimité de la lutte que les peuples mènent pour assurer leur indépendance, leur intégrité territoriale et leur unité nationale et pour se libérer de la domination coloniale, de l'apartheid et de 1'occupation étrangère par tous les moyens à leur disposition, y compris la lutte armée ; [...]

6. Condamne de même énergiquement les violations constantes et délibérées des droits fondamentaux du peuple palestinien, ainsi que les actes expansionnistes d'Israël au Moyen-Orient, qui constituent un obstacle à l'autodétermination et à l'indépendance du peuple palestinien et une menace contre la paix et la stabilité dans la région. » [40]

Contrairement à ce qu'affirme Arié Alimi dans son texte paru dans AOC, la situation des Palestiniens n'a rien à voir avec celle de l'ANC en Afrique du Sud luttant contre l'apartheid, ou celle des résistants pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces deux « groupes terroristes », tels que les qualifiaient leurs opposants, bénéficiaient d'un soutien international. Dès le début des années 1960, soit une dizaine d'années après la mise en place officielle de l'apartheid, une opposition internationale s'organise, débutant par un mouvement de boycott en Grande Bretagne, un embargo sur les armes, puis une campagne massive de boycott international. Le mouvement de résistance français, est-il besoin de le rappeler, bénéficiait du soutien des Alliés, et n'avait pas d'intérêt stratégique à s'aliéner le soutien international par des actions pouvant révolter l'opinion publique.

Dans les territoires palestiniens, rien de tel. Face au soutien européen et américain à l'occupation et l'annexion des territoires palestiniens, face à une armée puissante disposant des outils de contrôle et de destruction les plus puissants, le Hamas a peu d'options tactiques à sa disposition pour résister, défendre la population palestinienne, et visibiliser son combat sur la scène internationale. Malgré toutes les condamnations des Nations Unies concernant les annexions et les colonies illégales, et le fait que la population israélienne se soit dotée d'un gouvernement composé de personnalités d'extrême-droite et fascistes, le soutien politique, économique et militaire occidental à Israël est resté constant et inconditionnel.

Pire : après la décision contraignante de la Cour internationale de Justice (CIJ) rappelant qu'il existait à Gaza « un risque réel et imminent qu'un préjudice irréparable » soit causé aux droits à la vie des Palestiniens, et ordonnant à Israël « de prendre des mesures pour empêcher les actes de génocide à Gaza [41] », les États-Unis continuent de s'opposer à un cessez-le-feu, et comme la plupart des pays alliés d'Israël, persévèrent dans leur soutien militaire.

Si le contexte de résistance du 7 octobre ne fait aucun doute, les massacres perpétrés cette date, notamment contre les civils, ne sauraient être excusés. Il faut cependant rappeler que les civils, considérés comme des occupants, n'étaient pas la cible première : les attaquants du Hamas avaient 25 objectifs militaires, et pour mission de tuer mais surtout faire prisonniers les civils, potentiellement armés [42], qu'ils rencontreraient sur leur chemin. C'est l'absence première d'opposition de l'armée israélienne qui leur a permis de s'écarter de leurs objectifs. Le festival Tribe of Nova, déplacé à peine deux jours avant, n'a été connu des attaquants qu'après le début de l'assaut, comme le confirme une enquête des autorités israéliennes [43]. Les forces militaires de l'État hébreu, prévenues d'une potentielle offensive, n'ont pas jugé utile de redéplacer le festival ou de le protéger.

Le massacre de quelque 360 participants à cet évènement festif est terrible, il n'est pas en soi un acte terroriste, dès lors que l'objectif de départ n'était pas de tuer ces personnes. Comme elles nous le prouvent tous les jours, les armées régulières peuvent également massacrer de manière indiscriminée hommes, femmes et enfants. Il faudrait alors qualifier ces massacres de « terroristes », ou considérer que ce critère n'est pas suffisant.

Délégitimation de l'autre, légitimation de soi

Forgé au départ pour qualifier la Terreur d'État durant la Révolution française [44], le mot « terrorisme » a vu son usage se modifier et se retourner au cours du 19e siècle pour finalement servir à discréditer et délégitimer les acteurs non étatiques opposés à l'État [45]. John A. Lynn, dans Une autre guerre, s'en amuse :

« Prenez n'importe quel débat sur n'importe quel aspect du terrorisme. Vous pouvez être certain que, quel que soit le sujet, vous vous retrouverez confrontés à tant de controverses, d'inexactitudes et de polémiques que [...] la seule certitude valable sur le terrorisme, c'est le caractère péjoratif du terme. » [46]

Dans un autre ouvrage de référence sur le terrorisme, Verena Erlenbusch-Anderson ne dit pas autre chose : « L'étiquette de « terrorisme », par exemple, sert à nier la légitimité de certaines formes de violence tout en affirmant la nécessité d'autres formes de violence » [47], et de prendre l'exemple des actes commis par certains États, en particulier les États-Unis et Israël, coutumiers du genre :

« Prenons l'exemple des frappes de drones. Du point de vue de leurs victimes, elles ressemblent à s'y méprendre à des actes de terrorisme, mais leurs auteurs les justifient comme étant des opérations militaires destinées à mettre fin, précisément, au terrorisme. » [48]

Le terme sert à délégitimer certains auteurs de violences, souvent les « islamistes », les « indépendantistes », les « séparatistes », etc., mais également à inverser les rôles : ce ne sont plus les groupes opprimés ou minoritaires qui se retrouvent « en lutte », mais les États. Le vocable de « lutte contre le terrorisme » permet à ces derniers de s'autoriser des moyens extra-légaux de combat du terrorisme. Israël s'en est fait une spécialité en pratiquant les assassinats ciblés, les bombardements indiscriminés de populations civiles et les raids de « représailles », ainsi que les détentions arbitraires. L'excuse du « bouclier humain », invoquée régulièrement par Israël, a bon dos, alors qu'aucun dirigeant ennemi n'est nulle part à l'abri d'assassinats ciblés par une frappe de missile guidé [49].

Revenons sur l'éditorial du Monde : pour le journal, on peut penser que ce qui détermine le qualificatif de terroriste, les actions décrites n'étant pas caractéristiques, c'est que leur auteur soit un « groupe islamiste ».

Une étude publiée en 2021 sur les médias allemands confirme cette impression. La chercheuse Valerie Hase révèle des biais systématiques quant à la manière de couvrir les actes de « violence politique » : les journalistes allemands ont tendance à présenter les attaques menées contre les pays occidentaux par des extrémistes islamistes comme du terrorisme, contrairement à d'autres violences politiques. L'auteure résume ainsi : « Les informations sont très sélectives quant aux actes de violence politique qui sont présentés comme du terrorisme, ce qui peut favoriser les stéréotypes et empêcher l'adoption de mesures politiques à l'égard des différentes formes d'extrémisme [50]. » Cette grille de lecture détermine ensuite l'interprétation d'évènements et de situations, comme celle des otages.

En juillet 2023, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Mme Francesca Albanese, rapporte qu'environ 5 000 Palestiniens, dont 160 enfants, croupissent dans les prisons israéliennes, et qu'environ 1 100 d'entre eux sont détenus sans inculpation ni jugement. Selon son rapport, « les enfants, passibles d'emprisonnement dès l'âge de 12 ans, sont par ailleurs traités de façon aussi inhumaine que les adultes, avec de longues périodes en isolement. [...] Les pratiques carcérales illégales d'Israël équivalent à des crimes internationaux qui justifient une enquête urgente du Procureur de la Cour pénale internationale [51]. »

La situation des prisonniers palestiniens, pour lesquels de nombreux cas de torture sont avérés, dont certains ayant entrainé la mort, fait dire que les détentions arbitraires menées par Israël sont en réalité des prises d'otages. C'est ce qu'affirme par exemple Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières, lors d'un entretien sur TV5 Monde [52]. Cette grille de lecture est introuvable dans le traitement journalistique des médias dominants. Cette absence détermine dès lors le « deux poids-deux mesures » de la réponse politique à l'égard d'Israël et du Hamas : alors que les bombardements, les incursions meurtrières, les exécutions sommaires, ou même l'inondation des tunnels sont encouragés pour récupérer les otages israéliens, aucune pression occidentale n'est exercée pour que soient libérés les prisonniers palestiniens arrêtés arbitrairement et détenus illégalement par Israël.

Le terrorisme d'État

Pour de nombreux auteurs, de Daniel Dory à John Lynn, l'identité ou les statuts des auteurs d'actes de terrorisme importent peu [53]. John Lynn, contournant les problèmes de définition, a proposé une caractérisation des formes de terrorisme en termes de capacité.

Sur cette échelle à six niveaux, les États se situent aux deux niveaux les plus hauts, car ils ont la capacité de produire des actes de terreur de grande envergure avec une forte capacité destructrice. Dans cette catégorisation, le Hamas se situe au niveau 2, celui du « terrorisme radical des groupes infra-étatiques ». Le terrorisme d'Israël se situe au niveau 5, celui du « terrorisme des forces militaires en guerre », car il est indéniable qu'Israël utilise de façon massive la tactique terroriste face à ses opposants.

Dans l'ouvrage collectif Contemporary State Terrorism, un texte de Sandra Nasr intitulé « Israel's other terrorism challenge » évoque les multiples actes visant à terrifier, intimider, humilier les Palestiniens : détentions arbitraires pouvant être assimilées à la prise d'otages, torture des détenus, usage de boucliers humains, bombardements indiscriminés, assassinats extrajudiciaires... Pour elle, l'emploi de « tactiques de terreur » par Israël ne fait aucun doute :

« [...] il est incontestable qu'Israël commet quotidiennement des actes de terreur d'État de toutes sortes dans les territoires occupés. Dans chaque cas examiné dans ce chapitre, l'action entreprise montre une réponse illégale et disproportionnée, qui ne parvient pas à cibler les individus de manière adéquate et appropriée pour un but acceptable et stratégique. Ce manquement est le signe d'une politique plus générale consistant à employer des tactiques de terreur dans le but de soumettre une population. »

[54]

Depuis le 7 octobre, les bombardements sur la bande de Gaza relèvent de la même tactique que celle de la Royal Air Force sur Dresde en 1945 et la dépasse même : si les bombes ne sont pas incendiaires, il s'agit bien de terroriser la population palestinienne, mais également d'effacer tout vestige culturel et identitaire, et d'interdire toute vie future.


Les six degrés du terrorisme selon John A. Lynn. Source : Une autre guerre. Histoire et nature du terrorisme, p. 25.

Barbarie contre « civilisation »

L'idée commune que les États détiennent « le monopole de la force légitime » et bénéficient donc d'un « droit à se défendre », au contraire des populations pratiquant le terrorisme, renforce le « deux poids-deux mesures » médiatique. Cette vision fausse sert un narratif colonialiste et une vision occidentale faisant la part belle aux États installés face aux nations en construction, forcément moins « civilisées ». Dans un autre chapitre de Contemporary State Terrorism, Karine Hamilton juge que la « punition collective » infligée par l'État hébreu lors du conflit l'opposant au Hezbollah en 2006 :

« a mis en évidence le rôle central de la politique d'« altérisation » dans la logique de dissuasion utilisée par Israël, où l'idée que les Arabes ne comprennent que la force a longtemps été au cœur de la stratégie militaire. Dans le climat mondial de la « Guerre au terrorisme » [War on Terror], ces types de stéréotypes culturels sur les peuples arabes ou islamiques sont de puissants instruments d'identité en Israël et dans d'autres États utilisant la force militaire pour lutter contre le terrorisme. »

Pour Karine Hamilton, les divisions culturelles artificiellement créées par les États entre « barbares » et « civilisés » servent avant tout à soutenir la légitimité des États-Nations face aux acteurs non-étatiques. Discours particulièrement mobilisé en Israël, qui se présente et se considère volontiers comme « la seule démocratie du Moyen-Orient », dès lors moralement supérieure à ses ennemis, en particulier dans l'exercice de la guerre :

En fin de compte, l'exclusion des États du terme « terrorisme' protège leurs dirigeants des questions de légitimité que les actes de violence à motivation politique contre les civils (c'est-à-dire le terrorisme) provoquent dans les discours politiques contemporains. Ce faisant, cette rhétorique inégale de la « terreur » est elle-même un mécanisme de terrorisme d'État, par lequel les gouvernements valident et masquent leur utilisation de tactiques terroristes en définissant leurs actions comme défensives ou rationnellement stratégiques, tout en employant l'étiquette délégitimante de « terroriste » à l'encontre de leurs opposants [...] La résistance profonde dont font preuve les chefs d'État pour reconnaître leur recours au terrorisme réside précisément dans l'utilité politique de maintenir une image de combat vertueux tout en maintenant certains groupes en dehors des normes et des récits politiques acceptés. » [55]

Bien que l'expérience de la Seconde Guerre mondiale devrait nous préserver de tout manichéisme opposant « barbarie » et « civilisation », les discours autour du « terrorisme » sont justement au service d'une telle vision. Et pourtant, c'est bien la civilisation industrielle qui a produit l'horreur la plus systématique que l'Humanité ait jamais connu.

Soutenue de façon « inconditionnelle » par les États-Unis, l'Allemagne ou la France, la guerre au « terrorisme » a autorisé la réponse dramatiquement violente et meurtrière d'Israël. C'était prévisible : les réactions de l'État hébreu au « terrorisme » palestinien ont toutes été disproportionnées : entre 2008 et septembre 2023, pour 6 307 blessés côté israélien, les Palestiniens en dénombraient 152 560, soit... 24 fois plus ! Selon la même source, durant la même période, Israël a compté 308 morts dans sa population, les Palestiniens, 6 407. Là encore, le rapport est de 1 à 20 [56].

Depuis des années, documentaires, reportages, films, enquêtes et rapports démontrent le caractère systématique de la répression et du harcèlement qui frappent la population palestinienne à Gaza et en Cisjordanie, que ce soit par les bombardements et les attaques de colons protégés par l'armée israélienne. L'ONG Breaking the silence, à travers les témoignages d'anciens militaires israéliens, documente depuis longtemps les exactions et les violences de la soi-disant armée « la plus morale du monde » et la déshumanisation des Palestiniens en son sein. En 2015, une enquête mettait « en évidence la volonté d'Israël de destruction systématique plutôt que de recherche et d'élimination d'éléments terroristes [57]. » En 2018, l'ex-ministre de la défense Avigdor Liberman confirmait cette approche en déclarant : « Il n'y a pas d'innocents à Gaza [58] ».

Dans un ouvrage paru en 2017 sous le titre Ten Myths about Israel, l'historien israélien de gauche Ilian Pappe rappelle qu'« entre 1948 et 1982, les Palestiniens furent diabolisés en étant comparés aux nazis. Le même processus de « nazification » appliqué aux Palestiniens fut ensuite étendu à l'Islam en général, et aux activistes en particulier ». La victoire du Hamas aux élections législatives de 2006 n'a rien arrangé : « À partir de ce moment, la diabolisation des palestiniens en tant qu'« Arabes » abhorrés a été renforcée par la nouvelle étiquette de « musulmans fanatiques ». Le langage de la haine s'est accompagné de nouvelles politiques anti-palestiniennes agressives qui ont encore aggravé la situation dans les territoires occupés, déjà lamentable et atroce [59]. »

Ilian Pappe conclue, et cela devrait nous faire réfléchir sur l'aveuglement politique de nos dirigeants, que ce qu'Israël prétendait être une « guerre d'autodéfense contre le terrorisme » était en réalité « un génocide graduel de la population gazaouite [60]. » Déjà.

Avec la « guerre au terrorisme », le massacre rendu possible

Le massacre en cours ainsi que la destruction systématique du cadre de vie dans l'enclave palestinienne, soumise à un blocus illégal depuis 2015, était donc totalement prévisible : déshumanisation et altérisation sont les moteurs des massacres et des génocides, les prétendus « attentats » souvent le prétexte déclencheur. La volonté des politiques ne pas appeler immédiatement au cessez-le feu était donc ouvertement et sciemment criminelle.

Il est naïf – ou malhonnête – de penser que la plus grande destruction urbaine contemporaine jamais vue par les organisations humanitaires aurait pu se faire sans que l'ennemi ne soit qualifié de terroriste, équivalent du mal absolu. Il n'y a que d'un tel ennemi que l'on peut déclarer vouloir sa « destruction » ou son « élimination totale », comme l'ont fait les responsables israéliens [61]. Dans le conflit opposant la Russie et l'Ukraine, aucun des deux belligérants n'a osé promettre la destruction de l'adversaire, pas même de l'armée adverse. Contre l'Allemagne hitlérienne et le Japon impérial, les Américains n'ont jamais évoqué l'élimination totale des forces armées ennemies, ou même des membres du Parti nazi. Au contraire, de nombreuses personnalités furent amnistiées. Faut-il le rappeler ? « La guerre contre le nazisme n'a pas eu lieu. C'est l'Allemagne conquérante qui a été combattue, avec retard, par les armes et vaincue : il n'y a pas eu d'insurrection intérieure notoire contre le régime nazi ni de soulèvement général, universel, à son encontre, pas de refus instinctif, de rejet délibéré, et certes pas de résistance internationale spontanée, immédiate [62]... »

Fondatrice de l'esprit de colonisation, l'opposition barbarie versus civilisation est constitutive de la mentalité de la population israélienne et de ses dirigeants, largement issus d'Europe de l'Est et d'ex-URSS. Chaïm Weizmann, futur président d'Israël, aurait eu ces propos avant la création de l'État hébreu : « D'un côté les forces de la destruction, les forces du désert, se développent, de l'autre tiennent fermement les forces de la civilisation et de la construction. C'est la vieille guerre du désert contre la civilisation, mais nous ne céderons pas [63]. »

Une trentaine d'années après la fondation de l'État d'Israël en 1948, la déshumanisation des voisins arabes est déjà dans le langage officiel. En 1983, devant une commission du Parlement israélien, le général Rafael Eitan se vante de ses victoires en Cisjordanie : « Tout ce que les Arabes pourront faire, c'est s'agiter comme des cafards drogués dans une bouteille [64]. » Selon la même logique, Netanyahou n'a de cesse de justifier le mépris du droit humanitaire face aux « terroristes ». Dès le 9 octobre, le ministre de la défense israélien, Yoav Gallant, assène, comme en écho au général Eitan : « Nous allons imposer un siège complet à Gaza. Pas d'électricité, pas de nourriture, pas d'eau, pas de gaz, tout sera fermé […]. Nous combattons des animaux humains, nous agissons en conséquence [65]. »

Face à la constante déshumanisation de la population palestinienne, face au génocide graduel de ce peuple, les pays occidentaux semblent encore attendre que l'État hébreu affirme ouvertement ses ambitions conquérantes pour réagir.

Quelques réflexions en guise de conclusion

1. 2021, les bombes pleuvent sur Gaza. Le 15 mai, une frappe israélienne réduit en cendres un immeuble abritant plusieurs médias, dont l'agence américaine Associated Press et la chaîne de télévision qatarie Al Jazeera [66]. En France, seules quelques voix à gauche s'émeuvent de ce crime de guerre de l'État hébreu, et Gérald Darmanin, fidèle à lui-même et à sa conception de la liberté d'expression, interdit déjà les manifestations pro-palestiniennes. Yannick Jadot, à l'époque, s'offusque du climat politico-médiatique français autour du conflit : « L'ambiance est dingue, la disqualification des concurrents politiques est devenue la règle. Or la question israélo-palestinienne est sans cesse instrumentalisée dans des enjeux de politique nationale ». Il juge alors « insupportable que le débat politique se résume à 280 caractères sur Twitter, surtout sur des sujets aussi complexes, avec tout le harcèlement qui s'ensuit. » [67]

Cela peut paraître anecdotique au regard des enjeux actuels, mais la question du harcèlement politico-médiatique, ici clairement verbalisée par Yannick Jadot, devrait nous questionner et nous préoccuper. La violence verbale et symbolique abattue récemment sur les membres de la France insoumise montre un harcèlement médiatique et politique continu à l'encontre des voix discordantes proposant une intelligence différente des évènements (sur le Hamas, les émeutes urbaines de 2023, etc.). Cet épisode doit nous inciter à réfléchir à la violence propagée par les médias dits « traditionnels », alors que les conflits actuels illustrent à quel point les médias traditionnels peuvent propager des messages belliqueux et partiaux, et influencent toujours grandement l'opinion publique. Portée et banalisée par des autorités institutionnelles, cette violence est symboliquement plus forte que sur les réseaux sociaux. La tolérance à la violence doit nous inquiéter : à la fois pour le traitement du harcèlement, mais aussi pour ce qu'elle montre de la brutalisation croissante de notre société.

2. Les polémiques françaises ont montré, une fois de plus, à quel point le débat hexagonal est enfermé dans une bulle médiatique univoque qui s'extrême-droitise de plus en en plus. La polémique autour de Judith Butler en est un nouveau symptôme. Que des personnalités prétendument de gauche reprennent des grilles d'analyses relevant des droites françaises et israéliennes devrait nous attrister. Pour l'essentiel, Judith Butler n'a fait que reprendre, entre autres, l'avis de Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l'ONU [68]. Alors que les enquêtes et contre-enquêtes se suivent en Israël et aux États-Unis sur la question des viols perpétrés par les attaquants du Hamas, ces débats n'ont pas filtré dans les médias français dominants [69].

3. Je suis enseignant. En tant que tel, j'ai le devoir professionnel d'actualiser mes connaissances et de réduire l'écart entre ce que j'enseigne et les connaissances établies par le champ académique. Force est de constater que cela ne semble pas être le cas pour les médias : en se situant uniquement dans la strate polémique, en excluant majoritairement les strates juridique et académique, les animateurs de plateau, chroniqueurs, éditorialistes, n'ont pas rempli leur mission de journalistes pour laquelle ils sont payés, et ont contribué à appauvrir le débat. C'est inquiétant pour la démocratie.

4. Dans son étude, Valerie Hase fait ce constat : « Lorsqu'ils utilisent le terme de terrorisme, les journalistes reprennent souvent le langage des hommes politiques [...]. Ainsi, à travers leur traitement de l'information, les journalistes permettent aux gouvernements de poursuivre des objectifs politiques, par exemple pour légitimer une guerre [...]. » Et elle conseille : « les journalistes devraient réfléchir attentivement à la pertinence de décrire des actes comme du terrorisme et choisir des descriptions plus neutres, afin de servir l'information plutôt que servir d'outil pour les politiciens [70]. » La séquence actuelle montre que les médias français sont bien plus un auxiliaire du pouvoir gouvernemental et étatique qu'un contre-pouvoir. Les choix sémantiques de la BBC et d'autres médias anglo-saxons doivent pouvoir être un exemple, même s'il y a peu d'espoir à court terme.

5. Le harcèlement contre La France insoumise a révélé au grand jour la volonté du personnel politique et médiatique de disqualifier la gauche en discréditant toute lecture anticoloniale (à la fois juive et non-juive) et rationalisant le combat du Hamas [71] ; l'intention de légitimer et d'installer l'extrême-droite dans le paysage politique, en particulier en validant la grille de lecture de la droite israélienne déshumanisant les Arabes palestiniens ; et la volonté de légitimer le massacre à Gaza aux yeux de l'opinion publique. Le Rassemblement national a été le grand gagnant de cet épisode. Le refus de LFI de jouer le jeu médiatique en rejetant les injonctions et diktats (« Est-ce que vous condamnez les violences ? [72] ») explique une partie des représailles. Cependant, il faut bien admettre que le personnel médiatique, notamment depuis la crise du Covid, s'aligne de plus en plus sur les positions institutionnelles et officielles.

5. Ce suivisme s'explique en partie par un déficit intellectuel, une incapacité à avoir une vision historique du temps long. La focalisation sur le 7 octobre comme point de départ du conflit a prouvé la difficulté du personnel médiatique à appréhender autre chose que l'évènement. Il faut ici différentier les informations produites par les journalistes de terrain [73], souvent remarquables mais de plus en plus rares, des narrations produites par les animateurs de plateaux radio-télévisés. Il faut aussi s'inquiéter de journalistes de plus en plus fixés sur les réseaux sociaux, enfermés dans des bulles d'information et de « controverses » qu'ils sont pourtant les premiers à dénoncer.

6. La mainmise d'une supposée communauté juive sur les médias est un des lieux communs de l'antisémitisme. La flagrante partialité pro-israélienne des médias les plus influents, illustrée par le « deux poids-deux mesures », ne peut malheureusement qu'encourager et fortifier ce lieu commun antisémite.

L'appartenance de certains médias à des milliardaires, en l'occurrence Patrick Drahi, détenteur de BFM, RMC (cédées depuis) et de la chaine israélienne I24 News, renforce les soupçons de biais dans l'information. Il est donc urgent de réfléchir à un financement des médias plus équilibré.
L'association entre antisionisme et antisémitisme a, par effet inverse et perverse, entériné l'association entre judéité et sionisme, renforçant le soupçon d'une allégeance des Juifs de France à l'État d'Israël. Guillaume Erner accusant la professeure de droit international Raphaëlle Maison d'avoir « une vision biaisée des attaques du 7 Octobre » est à cet égard exemplaire [74]. Et sa justification, pour le moins maladroite : « je suis juif... et puis aussi parce que le fait d'être allé plusieurs fois en Israël, d'y avoir de la famille, d'avoir par exemple un vieil oncle [...] dans un kibboutz non loin de Gaza [...]. Tout cela me rend plus objectif [75]... »

La crainte que l'antisémitisme soit exacerbé par l'existence d'un État juif s'exprimait déjà chez les Juifs antisionistes du début du 20e siècle, parmi lesquels Lord Montagu, opposé à la Déclaration Balfour et seul ministre juif du gouvernement Lloyd George. Pour lui, sionisme et citoyenneté britannique étaient incompatibles, et l'existence d'un foyer pour les juifs en Palestine ferait toujours peser un soupçon sur le patriotisme de cette population [76]. En ce sens, polémiques actuelles et parti-pris pro-israéliens ne peuvent que renforcer l'antisémitisme et mettre en danger les juifs de France.

Au contraire, une information objective, pluraliste et plurivoque créera les conditions d'une réponse appropriée aux actions de l'État hébreu, et contribuera à la sécurité des populations juives, où qu'elles soient.

Yves Russell

Grenoble, 25 mars 2024

Références principales

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Schmid Alex, Defining Terrorism, International Centre for Counter-Terrorism (coll. « ICCT Report »), 2023.


[1] George Orwell, « Politique et langage », dans Pourquoi j'écris, Gallimard, « Folio », 2020 [1946], p. 75.

[2] Mélanie Meloche-Holubowski, « L'impact de 100 jours de guerre entre Israël et le Hamas, en chiffres et en cartes », Radio Canada, 14/01/2024. L'AFP décompte quant à elle 1 163 décès côté israélien, dont les otages décédés.

[5] C'est nous qui soulignons.

[6] « Que cherche Jean-Luc Mélenchon ? A renforcer sa base électorale dans les quartiers ? A monter les communautés les unes contre les autres ? A encourager l'antisémitisme ? A cautionner le terrorisme islamiste ? Toutes ces questions méritent d'être ouvertement posées [...], tant le cas Mélenchon est devenu le problème de toute la gauche. », dans Éditorial : « Mélenchon, le problème de toute la gauche », Le Monde, 11/10/2023. Pas avare d'imagination lorsqu'il s'agit du leader de LFI, Le Monde avait déjà titré son éditorial du 5/05/2023 « A gauche, le problème Mélenchon ».

[9] « Ce diable de Mélenchon, par Serge July », Libération, 30/10/2023.

[10] Dans un bandeau affiché au cours d'une retranscription de débats à l'Assemblée, le 12/10/2023.

[14] Jacques Pezet, « Peut-on qualifier les actes commis par le Hamas de « crimes de guerre » ? », Libération, 10/10/2023.

[15] Céline Géraud, « La France Insoumise ne considère pas le Hamas comme une organisation terroriste, faut-il une dissolution du parti ? », Europe 1, 11/10/2023. CNews et Europe 1 sont contrôlés par Vincent Bolloré.

[16] Pour une synthèse, impossiblement exhaustive, du déferlement médiatique et politique qui s'est abattu sur La France insoumise, on peut lire sur le site d'Acrimed cet article de Mathias Raymond : « Conflit israélo-palestinien : calomnies médiatiques contre LFI ou « La Formation infréquentable » » (26/10/2023). Ont suivi trois excellents articles de Julien Deroni sur la couverture médiatique du conflit, toujours sur Acrimed (accès libre) : « Israël-Palestine, le 7 octobre et après (1) : un cadrage médiatique verrouillé » (12/02/24), « Israël-Palestine, le 7 octobre et après (2) : doubles standards et compassions sélectives », (22/02/2024), et « Israël-Palestine, le 7 octobre et après (3) : invisibilisation de Gaza et déshumanisation des Palestiniens » (22/02/2024).

[17] On peut rappeler, entre autres affaires récentes : les textes d'Eva Illouz accusant la gauche d'être « devenue une idéologie de haine envers les Juifs » (relayés par Le Monde, Haaretz, Süddeutsche Zeitung), les anathèmes lancés à l'encontre de Judith Butler après une conférence à Pantin, ou les rodomontades du pouvoir après l'occupation d'un amphi à Sciences-po Paris – antre supposé du wokisme et de l'islamo-gauchisme – pour un cessez-le-feu à Gaza.

[18] Pour suivre une catégorisation de Daniel Dory, spécialiste français du terrorisme. Sur cette question : Daniel Dory et Kattalin Gabriel-Oyhamburu, « Neuf questions sur le terrorisme », Sécurité globale, 2023, vol. 33, no 1, p. 75‑96, ou encore Daniel Dory, « Le terrorisme et les transformations de la guerre : un état de la question », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2022, vol. 285, no 1, p. 41‑57.

[19] Par exemple : Noémie Lair, « Crime de guerre, terrorisme, attentat : quelle réalité juridique derrière les mots du conflit Israël-Hamas », Radio France, 12/10/2023.

[20] Sur la mort du professeur Dominique Bernard lors de l'attaque au couteau du lycée d'Arras, la BBC, Reuters, et d'autres agences anglo-saxonnes ont décrit précisément les faits sans utiliser le vocable imposé en France.

[21] Pages Wikipedia consultées pour la dernière fois le 23/03/2024 : « Attaque du Hamas contre Israël de 2023 », et la page s'y rapportant en langue anglaise : « 2023 Hamas-led attack on Israel ».

[22] Voir sur Légifrance : Code pénal, Titre II : Du terrorisme, article 421-1.

[23] Alex Schmid, Defining Terrorism, International Centre for Counter-Terrorism, 2023, p, 3.

[24] « National Exclusive : Hezbollah Leader Hassan Nasrallah Talks With Former US Diplomats on Israel, Prisoners and Hezbollah's Founding », Democracy Now, 28/07/2006. Cette traduction de l'anglais et celles qui suivent sont de nous.

[25] Florian Gouthière et Alexandre Horn, « Comment l'armée israélienne utilise l'intelligence artificielle pour bombarder Gaza », Libération, 2 décembre 2023. L'usage de l'intelligence artificielle pour générer plus de cibles avait déjà été documenté en 2021. En 2023, l'article explique que « le nombre de morts civils jugé acceptable par le commandement militaire israélien dans l'objectif d'atteindre un dirigeant du Hamas serait passé de « dizaines » à « des centaines », ce qui fait dire à d'anciens officiers de renseignement que le procédé s'assimile à une « usine d'assassinat de masse ».

[26] Cf. les propos de Christophe Barbier, Caroline Fourest, Raphaël Enthoven, Julien Odoul, Olivier Truchot... entre autres.

[27] Arié Alimi, « L'éthique de l'intellectuel ou la résistance à son propre pouvoir », AOC, 22/03/2024.

[28] On pense évidemment à Raphaël Enthoven, qui osa affirmer : « Rien n'est plus monstrueux que de vouloir expliquer la barbarie et de se donner l'air en plus de mieux la comprendre en le faisant. » (Europe 1, 10/10/2023).

[29] Daniel Dory et Hervé Théry, « Mettre le 11 septembre 2001 à sa place. Réflexions géographiques sur les réalités du terrorisme dans le monde », La Géographie, 2021, vol. 1583, no 4, p. 40‑45.

[30] Dominique Reynié (ed.), Les attentats islamistes dans le monde : 1979-2021, Nouvelle éd., données collectées jusqu'au 31 mai 2021., Paris, Fondation pour l'innovation politique, 2021, 69 p.

[31] Cette vision médiatique a été analysée outre-Rhin, où une étude sur la presse allemande a montré que « grâce à une couverture très sélective, les journalistes présentent le terrorisme comme une menace qui touche principalement les citoyens occidentaux. En revanche, la couverture ne reflète pas la violence qui sévit ailleurs, par exemple au Moyen-Orient ». Voir Valerie Hase, « What is terrorism (according to the news) ? How the German press selectively labels political violence as “terrorism” », Journalism, 13 mai 2021. Certains universitaires viennent conforter cette perspective médiatique paresseuse : par exemple Jenny Raflik, à la vision très eurocentrée, comme ici, invitée de Thomas Legrand dans « Le terrorisme », En quête de Politique, France Culture, 28/10/2023.

[32] Alex Schmid, Defining Terrorism, International Centre for Counter-Terrorism, 2023, p. 12.

[33] Ian Youngs, Paul Glynn, « BBC defends policy not to call Hamas 'terrorists' after criticism », BBC News, 12/10/2023.

[34] Mohamed Makni a été condamné en première instance le 26/04/2024. Il a annoncé faire appel.

[35] Pour approfondir cette question, on pourra se reporter à Vanessa Codaccioni, Justice d'exception : l'État face aux crimes politiques et terroristes, Paris, CNRS éditions, 2024, 400 p.

[36] Judith Butler, « Condamner la violence », AOC, 13/10/2023.

[37] John A. Lynn, Une autre guerre : histoire et nature du terrorisme, Paris, [Paris], Passés/composés ; ministère des Armées, 2021, p. 29. C'est nous qui soulignons.

[38] Cité par Ibid., p. 32.

[39] Voir par exemple le Rapport sur l'assistance de la CNUCED au peuple palestinien : Évolution de l'économie du Territoire palestinien occupé (25/10/2023), qui détaille les conditions de vie économique dans les territoires palestiniens en 2022 : https://unctad.org/fr/publication/rapport-sur-lassistance-de-la-cnuced-au-peuple-palestinien

[42] De nombreux Kibboutz ont organisé depuis longtemps des milices armées composées de civils
: les civils ne sont donc pas forcément des non-combattants, comme l'illustre tragiquement la situation dans les colonies de Cisjordanie.

[44] On ne peut comprendre le refus de Jean-Luc Mélenchon d'employer le terme « terroriste » si on ne connait pas son érudition à propos de la Révolution française, et en particulier de la période de la Terreur. Voir par exemple l'émission dans laquelle il faisait face à Nicolas Truong et Gérard Miller : Jean-Luc Mélenchon face à Robespierre, « Et si c'était vous ? », Toute l'Histoire, 8/10/2016. Il y affirme clairement son rejet de la violence en politique.

[45] Alex Schmid, Defining Terrorism, International Centre for Counter-Terrorism, 2023, p. 5.

[46] Cité dans John A. Lynn, Une autre guerre : histoire et nature du terrorisme, Paris, Passés/composés ; Ministère des Armées, 2021, p. 17.

[47] « The terrorism label, for instance, serves as a means to deny the legitimacy of some forms of violence while affirming the necessity of others », dans Verena Erlenbusch-Anderson, Genealogies of terrorism : revolution, state violence, empire, New York, Columbia University Press, 2018, p. 5.

[48] Ibid., p. 1.

[49] On peut lire à ce propos Quentin Brunet, « Frappes de drones sous Obama : entre acte terroriste et (il)légalité militaire », A contrario, 6 février 2020, n° 29, no 2, p. 63‑80, cet entretien très instructif entre Ronen Bergman (Lève-toi et tue le premier : l'histoire secrète des assassinats ciblés commandités par Israël) et David Horovitz, « Les assassinats ciblés pour tenter « d'arrêter l'Histoire » », The Times of Israël, 7/03/2019, ainsi que Ariel Colonomos, Le pari de la guerre : guerre préventive, guerre juste ?, Denoël, 2009, en particulier le chapitre « Les assassinats ciblés : la chasse à l'homme ».

[50] Valerie Hase, « What is terrorism (according to the news) ? How the German press selectively labels political violence as “terrorism” », Journalism, 13 mai 2021.

[51] Compte rendu de séance, « « Les pratiques carcérales illégales d'Israël équivalent à des crimes internationaux qui justifient une enquête urgente du Procureur de la Cour pénale internationale », déclare Mme Albanese devant le Conseil des droits de l'homme », 10/07/2023, Office des Nations Unies à Genève. https://www.ungeneva.org/fr/news-media/meeting-summary/2023/07/les-pratiques-carcerales-illegales-disrael-equivalent-des-crimes

[52] Entretien avec Rony Brauman, « Internationales », TV5 Monde, 11/11/2023. https://www.tv5monde.com/emissions/episode/internationales-rony-brauman

[53] Daniel Dory affirme ainsi : « Je ne parle pas de « terroristes » autant que faire se peut. Et ce pour la simple et bonne raison que à mes yeux les « terroristes » n'existent pas en tant que tels. Il s'agit d'une désignation essentiellement polémique qui efface la réalité des sujets en les résumant au seul usage d'une technique. Je parle, par conséquent d'acteurs recourant au terrorisme, en des moments et des lieux qu'il s'agit d'analyser », dans Daniel Dory et Kattalin Gabriel-Oyhamburu, « Neuf questions sur le terrorisme », Sécurité globale, 2023, vol. 33, no 1, p. 83.

[54] Sandra Nasr, « Israel's other terrorism challenge » dans Contemporary State Terrorism, Routledge, 2009, p. 81.

[55] Karine Hamilton, « The deterrence logic of state warfare : Israel and the Second Lebanon War, 2006 » dans Contemporary State Terrorism, Routledge, 2009, p. 223‑224.

[58] « « Il n'y a pas d'innocents à Gaza » (Lieberman) », I24News, 8/04/2018.

[59] IIian Pappe, Les dix légendes structurantes d'Israël, Les Nuits rouges, 2022, p. 144‑145. Mme Albanese ne dit pas autre chose dans son rapport au Conseil des droits de l'homme de l'ONU intitulé « Anatomie d'un génocide », rendu public le 25/03/2024 : « Les actions d'Israël ont été motivées par une logique génocidaire faisant partie intégrante de son projet de colonisation en Palestine, indiquant une tragédie annoncée ». Voir ici pour la version officielle en anglais : https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/hrbodies/hrcouncil/sessions-regular/session55/advance-versions/a-hrc-55-73-auv.pdf

[60] Ibid., p. 144.

[61] Dalia Hadar et Natalie Merzoughui, « Israël réussit-il dans sa mission d''élimination' du Hamas ? », BBC Arabic, 4/03/2024.

[62] Viviane Forrester, Le crime occidental, Fayard, 2004, p. 9-10.

[63] Cité par Alain Gresh dans Israël, Palestine : vérités sur un conflit, éd. actualisée, Paris, Pluriel, 2017.

[64] « All the Arabs will be able to do is scuttle around like drugged cockroaches in a bottle », cité par Paul Foot, « In a state of cruelty », The Guardian, 30/05/2020.

[65] Sanjana Karanth, « Israeli Defense Minister Announces Siege On Gaza To Fight ‘Human Animals' », Huffington Post, 9/10/2023.

[67] Fabien Escalona et Pauline Graulle, « Conflit à Gaza : les gauches françaises entre indignation et tétanie », Mediapart, 18/05/2021.

[68] Voir par exemple cette interview très éclairante : Mike Wagenheim, « 'Un acte de résistance illégitime ne délégitime pas la résistance', déclare la rapporteuse spéciale de l'ONU à i24NEWS », I24 News, 23/12/2023.

[69] The Intercept a remis en cause l'enquête du New York Times sur les viols perpétrés lors de l'offensive du Hamas, intitulée « ‘Screams Without Words' : How Hamas Weaponized Sexual Violence on Oct. 7 », et certains témoignages ont été invalidés, notamment par le porte-parole du kibboutz de Be'eri. Voir notamment les articles « “Between the Hammer and the Anvil”. The Story Behind the New York Times October 7 Exposé » (28/02/2024) et « Kibbutz Be'eri Rejects Story in New York Times October 7 Exposé : “They Were Not Sexually Abused” » (4/03/2024). Norman Finkelstein, un universitaire juif anti-sioniste, a également critiqué fermement le rapport de la mission Patten sur les viols, en affirmant qu'ils étaient plus sûrement le fait d'individus isolés (voir : « Pramila Patten's Rape Fantasies : A Critical Analysis of the UN Report on Sexual Violence during the 7 October Attack » (11/03/2024). On ne peut comprendre en France la position de Judith Butler si on méconnait l'existence du pluralisme de voix qui s'expriment outre-atlantique.

[70] V. Hase, « What is terrorism (according to the news) ? », art cit, p. 413.

[71] « Le Hamas est catalogué comme une organisation terroriste, tant dans les médias que dans la loi. Je prétends qu'il s'agit d'un mouvement de libération légitime », écrit Ilian Pappe dans Les dix légendes structurantes d'Israël, p. 143.

[72] Usul et Ost Politik, « Usul. Est-ce que vous condamnez les violences ? », Mediapart, 3/04/2023.

[73] On peut souligner ce remarquable article de Benjamin Barthe, ancien correspondant à Ramallah pour L'express et Le Monde, « L'histoire de Gaza, ou la fabrique d'une poudrière », Le Monde, 15//2023.

[74] Voir une analyse sur Arrêt sur Images : « Israël-Gaza : France Culture et la chercheuse 'biaisée' », par Pauline Bock, 11/01/2024.

[76] « Si un Anglais juif jette les yeux sur le Mont des Oliviers et aspire au jour où il secouera le sol britannique de ses chaussures et reprendra ses activités agricoles en Palestine, cet homme m'a toujours semblé avoir des objectifs reconnus comme incompatibles avec la citoyenneté britannique et avoir admis qu'il est inapte à prendre part à la vie publique en Grande-Bretagne ou à être traité comme un Anglais. », dans « Mémorandum d'Edwin Montagu sur l'antisémitisme du gouvernement actuel [britannique] » du 23 août 1917. Disponible en anglais sur https://balfourproject.org/edwin-montagu-and-zionism-1917/. Le texte français est publié dans Antisionisme, une histoire juive, Éditions Syllepse, 2023, 368 p. L'ouvrage comporte également la « Protestation à Woodrow Wilson contre un État sioniste », de l'Organisation juive américaine, présentée par Julius Kahn. Tout était dit.

06.05.2024 à 06:36

A B [Cinétract]

dev

(Deleuze, la révolution, la Palestine, en stéréoscopie)

- 6 mai / , , ,
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Extrait de l'Abécédaire de Gilles Deleuze sur la bande images de photographies stéréoscopiques de la Palestine datant du XIXè siècle.

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