11.10.2024 à 16:34
Brèves de Cisjordanie : L’impunité ronge et la rage gronde
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Une amie vit en Cisjordanie depuis quelques mois. Elle nous raconte son quotidien et celui de ses compères palestiniens, par quelques brèves, dans les territoires occupées par les colons israéliens. Récit glaçant de la terreur infligée par l’armée coloniale, les checkpoints, et le cauchemar permanent. Avec un mot qui revient : impunité. Par Lina (textes écrits en juillet 2024) « Je fais le bilan depuis ma naissance. En cas de désespoir,.. Read More
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Texte intégral (3470 mots)
Une amie vit en Cisjordanie depuis quelques mois. Elle nous raconte son quotidien et celui de ses compères palestiniens, par quelques brèves, dans les territoires occupées par les colons israéliens. Récit glaçant de la terreur infligée par l’armée coloniale, les checkpoints, et le cauchemar permanent. Avec un mot qui revient : impunité. Par Lina (textes écrits en juillet 2024)
« Je fais le bilan depuis ma naissance.
En cas de désespoir, je me rappelle qu’il y a une vie après la mort.
Je n’ai aucun problème. Mais je demande : Oh Dieu, y a-t-il une vie avant la mort ? »
Mourid Al-Barghouti, écrivain palestinien (1944-2021)
Aujourd’hui à Burin, village au sud de Naplouse,devait avoir lieu un festival de cerfs-volants. Comme un hymne à la liberté des enfants, malgré le génocide en cours à Gaza, malgré les massacres incessants.
Mais les flammes des oliviers auxquels les colons israéliens ont choisi de mettre le feu aujourd’hui (comme hier et a priori comme demain) ont remplacé le spectacle.
Aujourd’hui, alors que les oliviers de Burin partaient en fumée, la Knesset (le parlement israélien) votait à l’unanimité contre la reconnaissance de tout Etat palestinien.
Normal. عادي, 3adi, comme disent, résistant, les Palestinien.nes face aux faits absurdes, impensables et impunis dont ils sont témoins et victimes au quotidien.
Aujourd’hui, en réponse à la réaffirmation par la Cour internationale de Justice (CIJ) de l’illégalité de la colonisation israélienne sur l’ensemble des territoires occupés de la Palestine, Benjamin Netanyahu a sans surprise réagi immédiatement, le sourire du monstre collé aux lèvres, piétinant la décision et vomissant son cynisme : « C’est absurde, les juifs ne peuvent pas être occupants sur leur propre terre ». Impunité. 3adi.
La colonisation serait donc illégale, devrait être démantelée et les préjudices réparés, dixit la plus haute juridiction au monde? Ah ouais ? Pour de vrai ? Pour de vrai, Israël s’en contre-fout et tous les pourris qui profitent de l’absurdité et du carnage aussi. Depuis plus de vingt ans, depuis la seconde Intifada en 2002, Israël n’a jamais cessé d’étendre la construction du mur de l’apartheid et de la colonisation. Selon l’Ocha (Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires) 85% de la longueur du mur est en Cisjordanie et non sur la Ligne verte, (autrement appelée ligne d’armistice de 1967 prétendant séparer Israël d’un futur Etat palestinien).
Ladite frontière est toujours en mode liseré vert sur les cartes, Israël se dit donc qu’il y a sûrement moyen de continuer à traverser, à grapiller, à piller, à installer chaque jour un peu plus de colons en zone occupée et ainsi continuer de commettre, tranquilles, des crimes de guerre…
Dans un avis consultatif rendu le 9 juillet 2004, la CIJ avait pourtant jugé le mur illégal et exigé son démantèlement 2024 : 20 ans ont passé, le mur est seulement beaucoup plus long.
Le mur (qui prend des formes architecturales diverses mais toutes aussi laides, violentes et carcérales les unes des autres) sépare des milliers de Palestinien.nes de leurs terres agricoles, de leur lieu de travail, du reste de leur famille. Ce mur en perpétuelle construction est censé s’étendre sur 712 km de long. La ligne verte mesure, elle, pourtant seulement 320 km. Un ptit souci dans la compta ? J’ai une petite horreur de 392 km supplémentaire qui s’est glissée. Bon, pas grave, ça devrait passer.
Quel Palestinien, quelle Palestinienne, peut encore croire à ce mensonge crasse de deux Etats? Je n’en ai rencontré aucun.e.
Brèves du réel et voix de ces invisibles qui vivent la dystopie :
Sheikh Jarrah, Jérusalem-Est
J’y étais il y a douze ans avec Souleymane, Fatma et leurs enfants. Ils vivaient sous une tente à cinq mètres de leur maison qui venait d’être envahie par des colons armés. Toute la famille avait été expulsée en pleine nuit, sous la menace des fusils Tavor (nommés en dédicace au Mont Tabor, #ArtMetaphoriqueSioniste). Les cris que les colons dégueulaient en sautillant autour de la maison dans une chorégraphie macabre résonnent encore dans ma tête. Je suis retournée là-bas. Souleymane, Fatma et leurs enfants n’y sont plus. Leur maison, douze ans après, est toujours occupée, peut-être toujours par les mêmes tarés.
Pas loin de ce drame, Najjat, une Palestinienne de Sheikh Jarrah est cernée par les colons, elle me dit qu’elle doit chaque fois présenter des nouveaux papiers introuvables pour prouver la propriété de sa maison, jusqu’à ce qu’elle ne soit plus capable de les obtenir et qu’elle soit démise de sa propriété. La quantité et le type des papiers qu’elle énonce sont insensés. « Expulsion légale » diront les tenants du système illégal d’occupation.
Il existe une loi discriminatoire qui permet aux organisations de colons de revendiquer des terres dont elles affirment qu’elles appartenaient à des juifs à Jérusalem-Est avant 1948. Sheikh Jarrah et Silwan, sont touchées de plein fouet par cette absurdité. A l’opposé (le fameux double-standard peut-être?) il est impossible pour les Palestinien.nes aux termes de la loi israélienne, de récupérer la propriété de terres qu’iels possédaient, dont iels ont été ethniquement nettoyés en 1948, et ce sur quoi s’est construit Israël. Impunité. 3adi
Brèves du Nord :
Abdallah vit à 3Assira, village au sud de Naplouse, il travaille à Ramallah. Ce soir il a mis quatre heures pour faire les 45 km qui séparent les deux villes, toutes deux pourtant en Cisjordanie mais, 3adi, cernées par les checkpoints. Un des soldats au checkpoint d’une des quatre entrées de Naplouse est français. Les mercenaires français qui servent dans l’armée d’occupation représentent le deuxième plus gros contingent derrière celui des Etats-Unis. Leur nombre est évalué à plus de 5 000, en progression constante depuis le 7 octobre 2023.
Début 2023, selon l’OCHA, 645 postes de contrôle et autres obstacles permanents traversaient, quadrillaient toute la Cisjordanie. S’ajoutaient à cela des points de contrôle « volants » complètement arbitraires. Un checkpoint répond à la fonction première de retarder et d’humilier les Palestinien.nes. Les mouvements des colons israéliens sont quant à eux illimités. Depuis le 7 Octobre, ces points de contrôle indéfinissables se sont démultipliés et sont de fait indénombrables.
Hakima, l’épouse d’Abdallah vient d’apprendre la mort de son oncle à l’hôpital de Naplouse. Un checkpoint fermé la sépare du défunt : très probable qu’elle ne puisse pas le voir une dernière fois.
Sabra (“patiente” en arabe), est ma voisine dans le bus pour Tulkarem, elle travaille à Tayibe au sud de la ville. Question au chauffeur : « C’est quoi la route aujourd’hui? Quel est le temps de trajet prévu ? »
Le chauffeur, au royaume de l’arbitraire, n’en a bien sûr aucune idée. Un canal Telegram existe bien pour s’informer en temps réel sur la présence de coupeurs de route. Quelle serait donc la différence entre, d’un coté, un gars ayant décidé de se poster sur la route pour racketter quelques passants et serait identifié comme brigand ou coupeur de route et de l’autre côté, ces mercenaires de l’occupation, colons ou soldats? Aucune, l’illégalité est la même. Mais posséder Telegram sur son téléphone, ici, sous occupation de la « seule démocratie du Moyent-Orient » (haha) est un motif, en cas d’interpellation et de fouille, d’arrestation par l’armée coloniale. Cela en dissuade certain.es.
Sabra passera une dizaine de coups de fils pendant le trajet qui aura duré trois heures (pour couvrir 25 km : trajet qui prendrait dans une Palestine libre, 30 minutes) pour négocier que des clients l’attendent, pour quémander un sursis, pour s’excuser platement pour finalement voir son petit magasin s’effondrer petit à petit sous les bottes de l’occupant.
Shirin, à Naplouse, mère de trois enfants, rêve pendant ce temps là, qu’un jour elle les laissera partir à Ramallah chiller avec leurs potes sans avoir la peur au ventre qu’ils ne reviennent pas à cause d’un mercenaire posté à un checkpoint qui aura eu la gâchette et l’esquive faciles.
Le chiffre de prisonniers palestiniens détenus par Israël selon Addameer (organisation de défense des droits des prisonniers palestiniens) est de 9 700 dont 3380 sont des prisonniers administratifs sans aucune charge connue. Plus de 1 400 plaintes relatives à des actes de torture commis par Shabak (l’Agence de sécurité israélienne) ont été déposées auprès du ministère israélien de la Justice depuis 2001. Résultat de la lutte judiciaire : trois enquêtes criminelles et aucune inculpation (selon le Comité public contre la torture, une organisation israélienne de défense des droits) 1400 vs 0. Impunité.3adi.
Aujourd’hui comme tous les jours des vacances d’été, Jouri, 7 ans, est au centre aéré Yaffa, dans le camp de réfugié.es de Balata à Naplouse. Aujourd’hui, elle y restera cloîtrée, effrayée par les tirs de l’armée coloniale, qui résonnent dans les ruelles étroites de ce camp surpeuplé.
L’invasion armée d’aujourd’hui s’est conclue par deux blessés graves, par 4 arrestations et par des habitant.es condamné.es à vivre en alerte et à porter les traumatismes des exactions de l’état colonial.
Une autre invasion armée du camp, la semaine dernière a plongé Amer dans le coma. Amer, 15 ans, est bénévole au sein du centre aéré où va Jouri. Amer était sur le pas de la porte de sa maison. Un sniper, depuis « Al Nouqta » (le point en arabe) situé sur le Mont Gerizim (Mont associé à la Torah #ArtMétaphoriqueSioniste) surplombant le camp Balata, a tiré à l’aveugle, assurément. Impunité. 3adi.
A 25 km de là, Ayat, Raed et leurs enfants survivent dans une maison à moitié détruite par l’armée d’occupation dans le camp de réfugiés Nour Al Shams, à Tulkarem. Quatorze personnes ont été tuées parmi leurs voisin.es proches depuis le 7 octobre dans les raids soudains et terrorisants de l’armée coloniale. Les nuits des enfants de Ayat et Raed sont envahies de cauchemars. Au total, 80 habitant.es ont été executé.es depuis le 7 octobre. (rectification alors que je relis cet article deux jours après l’avoir écrit : 85 ont été exécuté.es, un drone a tué 5 habitant.es hier.)
Les raids et les mort.es se multiplient. Les habitant.es du camp de Jénine ont été les 3 et 4 juillet 2024, victimes d’une des attaques les plus meurtrières en Cisjordanie depuis 2005 : douze habitant.es dont quatre enfants sont mort.es, 3 500 personnes déplacées selon l’Ocha, les décombres jonchent le camp.
Quatre cent soixante Palestinien.nes en Cisjordanie sont mort.es en 2023 et selon l’Ocha, au moins 554 palestinien.nes y ont été tué.es par l’occupation entre le 7 octobre et le 15 juillet (s’ajoutant aux plus de 40 000 Gazaouies massacré.es). L’Ocha ajoute que plus de la moitié des morts enregistrées sont survenues lors d’attaques israéliennes qui n’incluaient pas d’affrontements armés. Impunité. 3adi
Jenine. Depuis la colline de Burqin, je vois Haïfa et la mer à moins de 50 km à vol de drone ou d’hirondelle. Youssef à coté de moi, les voit aussi. Il est d’Haïfa, ses parents ont été chassés de leur maison lors de la Naqba en 1948. Il sent l’humidité de la mer mais ne l’a jamais touchée. Il sent Haïfa mais il n’y est jamais allé et ne pourra pas tant que la Palestine est occupée. On voit le checkpoint de Jalama, à 6 km d’ici, frontière infranchissable pour qui n’a, comme Youssef, qu’une carte d’identité palestinienne. On voit les avions de chasse et les gazaoui.es genocidé.es.
Impunité.3adi.
Brèves du Sud :
27 juin 2024, village d’Um Alkhir. Naram, 12 ans est réveillée par les bulldozers qui dévorent sa maison. Trois autres maisons voisines ne seront aussi plus que décombres, deux heures plus tard, laissant plus de 40 personnes sans abri dans le village.
La majorité des habitations de ce village du sud de la Cisjordanie sont sous ordre de démolition. La vidéosurveillance par drone est constante: si une bétonnière s’active, l’armée d’occupation débarque sur le champ. La plupart des bâtiments détruits en Cisjordanie chaque jour (incluant des écoles) le sont pour absence de permis de construire, impossible à obtenir par les Palestinien.nes.
Le droit international interdit pourtant à une puissance occupante de détruire les biens de l’occupé. Droit quoi? Hum. Connait pas… Impunité. 3adi
La « zone de tir » (ndlr : si tu es palestinien.ne, que tu t’approches, moi colon ou soldat israélien, je peux te shooter et c’est mon droit) qui couvre les zones de pâturage autour du village d’At-Tuwani, s’est soudainement étendue à l’ensemble du village le 13 octobre 2023. Zakaria, sortait de la mosquée du village, un colon escorté par un soldat attentif, veillant à la sécurité de son acolyte criminel, a débarqué, a braqué son fusil et a tiré une balle à fragmentations dans l’abdomen de Zakaria.
Zakaria, dix mois après le tir, est alité 22 heures sur 24 et a subi quatorze lourdes opérations chirurgicales. Le colon criminel vit à MA’on, colonie établie illégalement à 3 km de chez Zakaria. Le criminel est libre, souriant sûrement, en pensant à l’impunité dont il jouit : aucune poursuite n’a jamais pu être engagée contre lui.
Les actes de violence et d’intimidation commis par les colons sont quotidiens. Selon Human Rights Watch, les 1257 Palestinien.nes déplacé.es depuis le 7 octobre mentionnent les violences des colons et le fait qu’ils les empêchent d’accéder à des pâturages comme étant la principale raison pour laquelle ils ont été forcés d’abandonner leurs maisons. Le nettoyage ethnique s’est considérablement aggravé depuis le 7 octobre 2023. Impunité. 3adi
Human Rights Watch (HRW) déclare aussi que la répression des Palestinien.nes de Cisjordanie exercée par Israël équivaut aux crimes contre l’humanité d’apartheid et de persécution. Impunité. 3adi.
Mais ? La Knesset a déclaré l’UNRWA organisation terroriste le 23.07.2024. Est-ce que l’HRW ne ferait finalement pas partie de la même faction ? Mmm….sûrement.
« L’un d’eux l’entendit à peine lorsqu’il énonça sa dernière sentence :
« L’important n’est pas que l’un de nous meurt, l’important est que vous puissiez continuer. »
Et il rendit l’âme »
Ghassan Kanafani, auteur de « Retour à Haïfa », 1936-1972, mort assassiné
All Palestinians (juif.ves, musulman.es, and so on…) will be free from the river to the sea.
Impunité ? Intifada.
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07.10.2024 à 20:31
Événement spécial : Soirée de soutien !
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Nous avons une annonce importante à vous faire : ce samedi 12 octobre, nous organisons une grande soirée de soutien au local des Diables bleus ! 🗓 Quand ? Samedi 12 octobre à partir de 18h📍 Où ? Local des Diables bleus, 29 route de Turin, Nice Ce sera l’occasion parfaite de se retrouver, d’échanger autour d’un verre et de soutenir Mouais dans une ambiance conviviale et festive. Au programme :🎶 Musique live (DJ Feo),🍻 Bar (bières, vin, punch, sirops)🎙 Discussions, rencontres et.. Read More
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Nous avons une annonce importante à vous faire : ce samedi 12 octobre, nous organisons une grande soirée de soutien au local des Diables bleus !
Quand ? Samedi 12 octobre à partir de 18h
Où ? Local des Diables bleus, 29 route de Turin, Nice
Ce sera l’occasion parfaite de se retrouver, d’échanger autour d’un verre et de soutenir Mouais dans une ambiance conviviale et festive.
Au programme :
Musique live (DJ Feo),
Bar (bières, vin, punch, sirops)
Discussions, rencontres et peut-être quelques surprises !
Votre présence sera essentielle pour assurer la continuité de nos activités et nous permettre de poursuivre notre travail journalistique indépendant. Que vous soyez un fidèle abonné ou un nouveau lecteur, vous êtes tous et toutes les bienvenu(e)s pour partager ce moment avec nous.
N’hésitez pas à venir accompagné(e) et à partager l’invitation autour de vous ! Plus on est nombreux, plus la fête sera belle.
Merci encore pour votre soutien et votre engagement ! Nous vous attendons nombreuses et nombreux le 12 octobre, et d’ici là, bonne lecture du dernier numéro de Mouais.
- « Tout est à repenser » : présent et futur des luttes féministes avec Léane Alestra
- BD-reportage | (Chro)nique l’agro-industrie #1 | Agriculture & féminisme
- Entre une chenille et un F16, reportage au cœur de l’offensive d’Israël au Liban
- Brèves de Cisjordanie : L’impunité ronge et la rage gronde
- Événement spécial : Soirée de soutien !
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01.10.2024 à 11:42
Rire de tout, même des prépuces nazis ? Entretien avec le viré Meurice
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Le 29 octobre dernier sur France Inter, c’est le drame : Guillaume Meurice compare en direct Benyamin Netanyahou, premier ministre israélien d’extrême-droite, à « une sorte de nazi, mais sans prépuce ». Résultat : une suspension, suivie d’un renvoi à l’issue d’une procédure kafkaïenne. Retour avec lui sur cette histoire, sur le rôle de l’humoriste, et sur la mise au pas de l’audiovisuel public. Mačko Dràgàn : Lors de notre dernier.. Read More
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Texte intégral (4255 mots)
Le 29 octobre dernier sur France Inter, c’est le drame : Guillaume Meurice compare en direct Benyamin Netanyahou, premier ministre israélien d’extrême-droite, à « une sorte de nazi, mais sans prépuce ». Résultat : une suspension, suivie d’un renvoi à l’issue d’une procédure kafkaïenne. Retour avec lui sur cette histoire, sur le rôle de l’humoriste, et sur la mise au pas de l’audiovisuel public.
Mačko Dràgàn : Lors de notre dernier entretien, il y a deux ans [Mouais n°28, mai 2022], tu me disais, et cela paraît aujourd’hui cruellement ironique : « Nous on est un peu le village d’Astérix, on a notre bureau dans notre coin, on rigole, on boit des coups… On n’est pas du tout dans l’ambiance de la rédac’, c’est même pas le même étage ». Donc voilà, le village d’Astérix est terminé, César-Jupiter a fini par gagner ?
Guillaume Meurice : Le passage en hebdomadaire de notre émission [« c’est encore nous », émission quotidienne, était devenue « le Grand dimanche soir »], à la rentrée dernière était déjà quand même un signe inquiétant. Puis, une bonne semaine avant ma mise à pied, donc en mai, Adèle Van Reeth [directrice de France Inter, par ailleurs compagne de Raphaël Enthoven, NDLR] nous a annoncé la suppression d’un tiers du budget de l’émission. La suite, tu la connais… J’ai donc plutôt tendance à considérer qu’ils ont utilisé ça, le procès en antisémitisme supposé de cette blague, comme un argument commode, sans eux-même trop y croire. D’autant que la justice française, suite à la plainte [déposée par l’Organisation juive européenne, et qui a donné lieu à une enquête préliminaire menée par la brigade de répression de la délinquance contre la personne du parquet de Nanterre], avait acté qu’il n’y avait pas de problème, et a donc validé la blague ; j’étais donc sûr de pouvoir la faire.
M.D. : C’est d’ailleurs justement ça qui a coincé, non ? Que tu fasses en direct une blague sur le fait que la justice avait validé cette blague ?
G.M. : Exactement. Et puis, ils ont beaucoup changé de discours, de stratégie, d’éléments de langage au fur et à mesure de leurs prises de parole publiques. D’abord, c’était la blague. Après, ça a été la mise en garde de l’ARCOM. Après encore, ça a été l’attitude que j’aurais eue vis-à-vis d’eux. Ils ont pas mal louvoyé, tout simplement parce que c’est un vrai problème de liberté d’expression, en fait. Et personne ne l’ignore. Ils savent donc que s’ils vont sur ce terrain-là ils sont sûrs de perdre, ce qui les pousse à instrumentaliser d’autres éléments.
De mon côté, je vais aller aux Prud’hommes. Je suis en train de monter le dossier avec mon avocat. Ça va être un peu long… Mais tu sais quoi, ils s’en foutent, en vrai, de cette histoire. Ils s’en foutent de gagner, de perdre, parce que que ce n’est pas leur pognon. C’est ça qui est terrible. Ils s’en foutent de dilapider les ressources de l’audiovisuel public. Et c’est très problématique qu’ils agissent comme du patronat de base, comme s’ils étaient propriétaires de la boite et qu’ils avaient investi leur argent dedans, comme un boulanger avec ses trois employés.
M.D. : On l’a d’ailleurs vu tout l’an dernier avec la façon dont ils ont voulu dégager l’émission. L’émission mise en remplacement s’est plantée et ne sera pas reconduite, ils ont perdu des parts d’audience… Il y a vraiment un choix délibéré de s’en battre les steaks, de perdre beaucoup d’argent dans cette histoire… Même en termes gestionnaires, c’est assez délirant.
G.M. : Ouais, c’était la cata (rires). Mais ils font tout ça en service commandé, sans logiques économiques ou gestionnaires derrière. On leur demande de dégager Meurice, ils dégagent Meurice, c’est tout, ils font le taf.
C’est pour ça que pendant les convocations, les entretiens, que je faisais avec un représentant syndical car je suis syndiqué à Sud, n’étaient pas de haute volée quoi. J’aurais bien aimé que cela soit l’occasion d’un débat sur le service public, le rôle de l’humoriste, il y aurait eu plein de choses à dire, dans cette procédure, mais ça n’a pas été le cas. Malgré les soutiens en interne, les pétitions, etc., ils n’ont pas changé de ligne, pas débattu. Ils ont obéi aux ordres.
M.D. : Charline a dit dans un entretien 1 que si jamais tu t’étais excusé, peut-être que cela aurait pu sauver des trucs. Tu penses que c’est vrai, ou que de toute façon ils t’auraient viré ? Ou la question de présenter des excuses ne s’est pas posée pour toi ?
G.M. : A aucun moment je ne me suis posé la question. Je suis humoriste, j’ai fait une blague, pourquoi je m’excuserais pour avoir bien fait mon travail ? C’est pourtant ce qu’on m’a demandé, et c’est ce que j’ai répondu à Sibyle Veil [directrice générale de Radio France] la première fois que je l’ai eue au téléphone, c’était donc en novembre. Ça devait être le mercredi, genre trois jours après la chronique. Elle m’a dit que ce serait bien que je fasse un mot d’excuse, j’ai dit, « bah non ». Puis elle m’a dit que ce serait bien que je prenne la parole pour dire que vous êtes conscient d’avoir choqué les gens, je lui ai dit « bah si je fais ça aujourd’hui je fais ça toutes les semaines en fait, et ma chronique elle s’appelle Pardon ».
C’est ridicule. Mais ce sont des gens qui cèdent facilement aux pressions. Je lui ai expliqué que si elle m’appelait, c’est juste car Pascal Praud avait décidé d’en faire un sujet, de cette blague. Et donc qu’elle cédait aux pressions de l’extrême-droite, mais ça c’est son choix, son attitude, pas la mienne. C’est sa life, pas la mienne (rires).
M.D. : Et du coup l’émission s’arrête à la rentrée prochaine, et il reste juste Charline en matinale et Waly Dia on ne sait pas où ? C’est vraiment la fin de la dernière enclave gauchiste sur l’audiovisuel public…
G.M. : Exactement, je crois que c’est ça, après je t’avoue j’ai pas tout suivi, mais je crois que c’est ça. Après, au-delà du côté gauchiste ou pas gauchiste, c’était surtout un endroit de l’audiovisuel public français où il était encore possible de faire de l’humour satirique, c’est-à-dire de l’humour sur l’actu, avec un regard critique sur les gens qui sont censés nous représenter, tu vois ce que je veux dire ? Ce sont des espaces de liberté qui se réduisent de plus en plus. Et le service public garantissait ça, car il était supposé être beaucoup moins soumis à la pression, déjà économique, car on a moins de pub, et politique, car les dirigeants sont censés être « indépendants ». Tu noteras que je mets des guillemets (rires).
M.D. : Au moment de notre dernier entretien il y avait la fin de la redevance télé, mettant à mal le financement, et maintenant c’est la réforme Dati, avec son projet de fusion de l’audiovisuel public, reportée mais toujours dans les cartons. Beaucoup craignent un retour de l’ORTF, et elle-même ne s’est pas caché que l’ORTF elle trouvait pas ça si mal 2. On a donc vraiment l’impression qu’il y a un agenda politique, idéologique, une offensive globale contre le service public d’information, avec derrière Bolloré & co, et le RN qui pousse pour tout privatiser…
G.M. : De toute façon, c’est ça l’objectif final, c’est de privatiser, tu connais tu le truc. Pour privatiser un service public, c’est toujours la même technique, il faut le faire dysfonctionner, comme ça tu le revends pas cher à tes copains millionnaires. Ça, ça marche partout, dans tous les services publics, dans tous les pays. Donc quand les gens me disaient « Vous faites beaucoup d’audience, ça vous protège », je leur répondais que ça n’était même pas dans leur grille de lecture. Limite, ils auraient aimé qu’on fasse moins d’audience, ils auraient pu nous virer plus facilement. Ou en tous les cas avec moins de bruit autour de nous, moins d’articles… Mais voilà, si l’émission qui nous remplace fait moins d’audience, ils s’en foutent. Ils ont juste répondu aux ordres de nous jarter, ou bien ils ont été zélés au point de vouloir supprimer toute parole un poil contestataire, car tu parles d’enclave gauchiste, mais on était quand même des bisounours. S’ils ont peur de gens comme moi, qui suis juste pour une meilleure répartition des richesses, les droits des femmes, l’écologie… C’est qu’il leur en faut peu !
M.D. : Et du coup, vous allez créer un club avec Didier Porte [viré en 2010 pour un « j’encule Sarkozy »] et Pierre-Emmanuel Barré [ami proche de Guillaume, qui a quitté Inter en 2017 après qu’on lui ait refusé un sketch pro-abstention au moment du second tour Le Pen – Macron] ?
G.M. : (rires) Ben on commence à être nombreux sur la liste ! Nicole Ferroni [non reconduite en 2021 pour des raisons encore obscures], Florence Mendez [elle est partie après avoir fait état du « harcèlement » qu’elle aurait subi dans l’émission « La Bande originale » de Nagui]… Mais en interne, ça s’organise. En mai et juin, il y a eu des grèves pour moi, et des grèves contre justement le projet de réforme de l’audiovisuel public. Et les grèves pour moi, c’était pas tant en solidarité que sur le principe que si ça m’arrive à moi, ça peut arriver à toutes les personnes qui défendent plus ou moins le même combat, et qui se font la même idée de la fonction du service public. Donc il y a eu ça, ainsi qu’une motion de défiance de la rédac’ vis-à-vis d’Adèle Van Reeth. En 12 ans à France Inter, je n’ai jamais vu ça. Ça n’a pas tellement d’impact au niveau juridique, mais c’est quand même la rédaction de la première radio de France qui dit à sa patronne : « vu ce que vous avez fait ces derniers temps ont ne vous fait pas du tout confiance », donc vraiment ça n’est pas rien. Je ne sais pas si c’est déjà arrivé, c’est à toi de vérifier, c’est toi le journaliste après tout (rires) [vérification faite, donnez-moi un Albert Londres, ça ne semble être jamais arrivé à Radio France, mais en 1996, le Président de France Télévisions Jean-Pierre Elkabbach a du démissionner deux mois après une motion de défiance, de même que le directeur de l’information du même groupe, Laurent Guimier, en 2022].
M.D. : Comment tu as accueilli la nouvelle de la décision de l’ARCOM (ex-CSA) de ne pas renouveler les fréquences TNT de C8 et de NRJ12 ? Une petite victoire idéologique tout de même contre des chaînes d’extrême-droite ?
G.M. : (fait la moue) Mouais… Pour moi, ça risque ambigu. Et de toute façon, l’ARCOM, c’est un un problème. Ils se considèrent comme indépendants, mais le patron de l’ARCOM, il est nommé par Macron. Donc, fin de la blague. Ce n’est que des stratégies politiques.
Ils virent C8, mais ils laissent Cnews… Enfin bon, pour moi, c’est assez inaudible. Et en plus, pour mettre quoi à la place ? Une chaîne du Printemps Républicain [Raphael Enthoven, compagnon d’Adèle Van Reeth on le rappelle, récupère un créneau TNT]. Pour moi, c’est pas pas sérieux, c’est pas démocratique. Je me suis pas réjoui, même pas par petit plaisir coupable. Je trouve que ça victimise Hanouna qui va de toute façon façon faire faire la même chose sur Canal +. Je trouve la stratégie, déontologiquement et pragmatiquement, assez nulle. Mais c’est des macronistes, donc je ne suis pas étonné que leur stratégie soit nulle (rires). Je me suis dit « Ah ouais, ils font de la merde. Comme d’habitude ». Ils sont dans la réaction. Je les ai vu à l’œuvre dans mon histoire : ce sont de sens qui paniquent énormément. Ils n’ont pas de stratégie à long terme. Il ont juste voulu un peu taper les doigts sur Bolloré, mais ça ne va rien changer. Il va faire pareil ailleurs. Le problème, c’est la détention des médias par des milliardaires, on ne va pas tourner autour du pot. Moi, je te ferais une grande convention citoyenne des médias et je te balayerais tout ça avec la voix des gens : Qu’est-ce que que vous voulez des gens ? Comment vous voulez être informés ? Avec qui ? Avec quoi ? Qui contrôle tout ça ?
M.D. : Mais du coup face à l’offensive réactionnaire à l’œuvre, c’est quoi les derniers espace qui nous restent ?
G.M. : Je vais faire faire une réponse en deux temps. Le premier, c’est que je suis d’accord avec toi, c’est les faf qui imposent leur tempo. Moi, dans ma polémique, ce qui m’a surpris, ce n’est pas que les fafs soient des fafs et qu’ils me détestent. Ils jouent leur partition, c’est normal. Ce qui m’a surpris, c’est que les macronistes embrayent autant, et qu’ils jouent dans l’orchestre, en faisant même les solistes. Mais bon, l’alliance des libéraux et des fachos, dans les période de tension, ça s’est toujours passé comme ça. Quand il faut sauver leur cul, les libéraux, ils ne voient vraiment aucun inconvénient au fascisme.
Et pour ce qui est des derniers espaces de liberté qui nous restent… Là pour l’instant, on a Internet, mais c’est un espace de liberté très précaire j’ai envie de dire, car la chaîne télé que tu crées sur YouTube, Monsieur Google il peut te l’enlever du jour au lendemain. Et il y a les algorithmes… Donc ouais, c’est pas la panacée, quoi. Mais le merdier, c’est les rapports de domination, sur le sait. Plus quelqu’un a le pouvoir, plus va va en abuser. Donc Youtube, Google, etc., ils vont faire comme Bolloré, ils ne vont pas se gêner.
M.D. : Pour conclure, quel regarde tu portes sur la séquence que tu as traversé ? Se faire traiter d’antisémite, je suppose que ça n’est pas facile. Vous parlez-vous, entre humoristes, du fait que ça devient difficile de faire votre travail ? Est-ce que vous avez envisagé la possibilité de faire, je ne sais pas, un syndicat des bouffons et des clowns (rires) ?
G.M. : Excellente idée (rires) ! Pour ce qui est de l’accusation d’antisémitisme, c’est le tabou français. C’est un pays qui a tellement collaboré pendant la Seconde Guerre mondiale que maintenant il se refait la cerise avec ça. Donc, non, ça ne m’a pas heurté plus que ça, même si évidemment j’y ai réfléchi, car ça peut arriver à tout le monde de faire des blagues oppressives sans s’en rendre compte, car on est hélas traversé par ça.
Après, oui, j’ai reçu des menaces de mort, mon numéro a fuité… C’est le truc le plus chiant de l’histoire. Et c’est vrai que tout ça, ça peut en effrayer certains. Ce qui est arrivé à Blanche et Aymeric [qui ont fait l’objet d’un déluge de haine sur les réseaux suite à un sketch où ils ironisaient sur l’instrumentalisation des accusations d’antisémitisme contre les opposant au génocide en cours en Palestine], qui sont un peu moins rompu que moi à ce type de polémique, ça des laisses traces quand même. Ça les a inquiété. Et ce qui terrifiant, c’est que ça démonétise le terme. Car si tu te souviens, pendant que tout le monde était occupé à me traiter d’antisémite, il y avait des néonazis qui défilaient tranquillement à Paris, le 11 mai, avec leur drapeau, dans le plus grand des calmes, et autorisés par la préfecture.
Pour ce qui est de ta proposition de syndicat des humoriste, c’est vraiment une question intéressante. Je serai très curieux de voir ce que ça donne, même si ça ne marche pas. Après, c’est délicat. C’est un milieu plutôt individualiste, et surtout où le principe, c’est de ne rien prendre au sérieux, de tout tourner en dérision. Mais je me demande si on ne va pas y être contraint, à force de se faire virer de partout…
Le blocage, c’est que beaucoup d’humoristes ont peur de devenir des militants. Il y a une une crainte de ça. Le : « Non, mais nous on fait juste des blagues ». Ce à quoi je dis, d’accord, mais tu fais des blagues dans un contexte socio-économique qui fait que, si ça se trouve, tu ne vas plus pouvoir faire de blagues. Donc tu ferais bien de te de préoccuper du contexte dans lequel tu fais tes tes blagues. Et, éventuellement, d’aller en manif…
Par Macko Dràgàn. Un article tiré de notre numéro de rentrée, actuellement en vente, pour que vive la presse libre soutenez-nous, abonnez-vous ! https://mouais.org/abonnements2024/
Le programme de la rentrée du camarade Meurice ? « Écoute, je ne peux pas encore t’en parler car ce n’est pas encore signé, mais j’ai quelque plans pour reprendre l’émission à la rentrée, donc possiblement vous n’en avez pas fini avec nous ! » Il a depuis fait sa rentrée sur Radio Nova, tous les dimanche.
1 On y lit notamment : « Si elle assure ne pas en vouloir à son chroniqueur, elle juge toutefois qu’il aurait pu faire un geste envers les auditeurs « froissés » par sa plaisanterie. « Le 28 avril, il a refait sa blague à l’antenne. Je ne lui en veux pas, mais j’ai senti ce soir-là, que ça nous remettait en danger », se souvient-elle ». lemonde.fr/actualite-medias/article/2024/07/12/charline-vanhoenacker-en-a-peine-dix-ans-on-est-passe-de-je-suis-charlie-a-la-police-judiciaire_6248893_3236.html.
2 Voir à ce sujet la vidéo de Usul et Lumi pour Blast : FRANCE TV, RADIO FRANCE : LA MISE À MORT PROGRAMMÉE DU SERVICE PUBLIC, juin 2024.
A lire également : Avis de tempête à France Inter, où la rédaction subit une remise au pas à marche forcée, Yunnes Abzouz, 3 mai 2024
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26.09.2024 à 11:57
« Omerta », « système mafieux », « terreur », suicide : immersion dans l’enfer de la mairie de Nice
admin
En octobre 2023, Géraldine Guntz, 52 ans, attachée territoriale à la mairie de Nice, se donnait la mort par pendaison. Retrouvée chez elle par l’une de ses filles, une plainte contre X a été déposée pour faire la lumière sur les causes du suicide. Selon les témoignages récoltés, peu de doutes sur celles-ci : son travail. En tirant le fil, plusieurs agents ont fait état d’un « système mafieux »,.. Read More
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Texte intégral (3613 mots)
En octobre 2023, Géraldine Guntz, 52 ans, attachée territoriale à la mairie de Nice, se donnait la mort par pendaison. Retrouvée chez elle par l’une de ses filles, une plainte contre X a été déposée pour faire la lumière sur les causes du suicide. Selon les témoignages récoltés, peu de doutes sur celles-ci : son travail. En tirant le fil, plusieurs agents ont fait état d’un « système mafieux », où règne « l’omerta », et de charges de travail démesurées. Par Edwin Malboeuf
Le 7 octobre 2023, Géraldine Guntz, 52 ans, juriste de formation, fonctionnaire territoriale de catégorie A à la mairie de Nice, est retrouvée pendue par l’une de ses deux filles, chez elle. Malgré un signal d’alerte fort envoyé fin août à sa cheffe de service Véronique Borré. Dans une lettre adressée à celle-ci, Géraldine demande expressément une mutation de service avant, écrit-elle, « d’atteindre un point de non retour » (voir document ci-après). Tous les agents et agentes rencontrées au cours de cette enquête ont tous témoigné d’une solide travailleuse, ne comptant pas ses heures. Nul n’a fait part d’une quelconque fragilité psychologique qui aurait pu la mener au suicide, bien au contraire. Quelles sont les raisons qui ont poussé Géraldine Guntz à commettre l’irréparable ? Plongée dans le système infra-municipale, où le personnel fait état d’un « système mafieux », d’une « omerta » généralisée, notamment suite au suicide de cette agente, de restructurations permanentes. En un mot : « terreur », au sein de la mairie.
« C’est quelqu’un qui écrivait très bien », relate Katia* au sujet de Géraldine, une proche qu’elle surnomme « Gégé ». « Son truc, c’était les délibérations ». Insatisfaite dans son travail après dix ans de bons et loyaux services, alors qu’elle se voit confier une tâche supplémentaire sur la partie financière, elle demande à changer de service pour devenir chargée de mission aux instances délibérantes, sous l’égide du Directeur général des services (DGS). « Deux services ont été créés très récemment au sein de cette DPACT [Direction de pilotage, appui et contrôle et transformations]. En synthèse, les domaines respectifs : finances/instances. Cet affichage n’est pas neutre et pourrait me conduire à terme à devoir renoncer au suivi des instances pour me consacrer exclusivement au suivi budgétaire. J’y suis fermement opposée et avant d’atteindre un point de non-retour, je préfère anticiper », écrit Géraldine Guntz, dans un courrier daté du 25 août 2023, adressé à Christian Estrosi ainsi qu’à Véronique Borré et le DGS, Olivier Breuilly. Dans un premier temps la demande est acceptée. Mais Véronique Borré se ravise. Quelques jours plus tard, Géraldine Guntz se donne la mort. « Elle s’y est opposée car Géraldine était corvéable à merci. Elle avait fortement maigri les derniers temps », raconte Claude*, une proche de Géraldine Guntz. Dans la fin de son courrier, celle-ci rappelle ses qualités : « dynamique, intègre, […] pragmatique, prises de position contrôlées, habituée à travailler dans l’ombre, résiste au stress malgré la pression environnante, […] loyale. » Une qualité nécessaire dans un certain système… Tous les rapports d’évaluation que nous avons pu consulter ne disent pas autre chose : « Agent sérieux, rigoureux et autonome, expert dans son domaine qui démontre de réelles capacités de gestion de situations professionnelles complexes, et contribuent à les résoudre dans un contexte sous tension ». Une fonctionnaire exemplaire en somme.
« Omerta »
Après le suicide, aucun mot dans les messageries internes. « Madame Borré niait sa responsabilité » poursuit Claude. Il a fallu attendre la réaction du syndicat SUD Solidaires pour dénoncer « l’omerta ». Dans un mail interne adressé aux fonctionnaires par la section syndicale on peut lire : « Suite au suicide d’une de nos collègues, cela fait maintenant plusieurs jours que nous attendions une communication de notre employeur, la mise en place de mesures de soutien psychologique pour tou.te.s celles et ceux qui en auraient besoin… Mais non… RIEN! Au lieu de ça, c est une omerta qui s’est installée dans les services, chacun.e restant seul.e avec son mal être et ses angoisses. Cela est insoutenable ! Dans l’attente d’une réaction de notre administration, nous appelons donc l’ensemble des agent.e.s de nos 3 collectivités a sortir lundi à midi devant leur lieu de travail et à observer ensemble une minute de silence en mémoire de Géraldine. »
« Laissez-moi partir »
Katia s’emporte :« On nous a dit que la famille ne voulait pas ébruiter l’affaire. Ce qui est faux il y a eu plainte contre X derrière. On a demandé à chercher le quoi et pas le qui. Pour ne pas mettre [Véronique] Borré dans la merde ». « Ils ont fait en sorte que personne ne vienne [à la commission d’enquête]. Ils ont dit aux agents si vous n’y allez pas, ce n’est pas grave », poursuit-elle. Fin septembre, Géraldine pleure souvent en réunion. « J’ai été pertubé par son état et sa confusion, Elle se sent cornérisée », écrit Stéphane Dupont, le directeur administratif et financier du service, dans les documents d’enquête auxquels nous avons eu accès. Finalement, début octobre elle apprend que sa mutation a été refusée. « Le vendredi soir elle était prostrée dans le canapé. Elle appelle le samedi matin à 10 heures en demandant à Véronique Borré : laissez-moi partir », relate Katia. Selon les documents d’enquête interne, Véronique Borré donne sa version : « J’ai décroché car je sais qu’elle ne va pas bien. Elle me dit merci car elle a pu dormir grâce à moi, car elle faisait des insomnies. Elle a parlé de ce qu’elle pensait de moi : rien de négatif. » Le samedi dans la nuit, Géraldine se donne la mort. Elle passera ensuite une semaine à l’hôpital avant de décéder.
Contactée pour répondre à toutes les questions qui se posent suite à ce drame, Véronique Borré, par l’entremise du service presse de la mairie, a dans un premier temps demander une carte de presse préalable à toute réponse. Laquelle n’est pas nécessaire pour exercer la fonction de journaliste comme nous ne cessons de le rappeler. Puis après avoir reçu un scan de notre carte (par ailleurs plus valide mais qu’importe), elle a ensuite argué d’une enquête en cours pour éviter de répondre aux questions. Un entretien lui a également été proposé de notre part. En effet, une plainte contre X a été déposée par la famille Guntz fin décembre 2023. Dans un premier temps, une enquête interne au service et seulement au service de Géraldine a été menée. La justice doit maintenant passer. En attendant de connaître le résultat de l’enquête, analyse d’un système municipal où la gestion de l’administration ressemble plus à « un système mafieux » selon les personnes interrogées dans l’enquête qu’à une mairie digne de la cinquième ville de France.
« Le couple Borré dirige la mairie »
« C’est le couple Borré qui dirige la mairie. Estrosi est rarement là, il passe tout son temps à Paris », affirme Alex, rencontré autour d’un verre près de la place de la Libération. « On les appelle les Thénardier », abonde Claude au sujet d’Anthony et Véronique Borré. Lui est premier adjoint à la sécurité, au logement et à la rénovation urbaine, mais dirige aussi Côte d’Azur Habitat d’une main de fer, premier bailleur social du département. C’est lui qui a lancé la première convention pour appliquer une double peine aux condamnés résidant dans un logement social, permettant l’expulsion. Une première en France, dont il se targue allègrement. Elle, est Directrice générale adjointe à la Sécurité, la proximité, et la citoyenneté, mais est également vice-présidente à la Région Sud sur ces mêmes questions. En juin 2023, Le Figaro titrait un de ses articles sur sa partie web « À Nice, le tout-puissant couple Borré derrière Christian Estrosi ». Fidèle parmi les fidèles depuis 2009, lorsque Christian Estrosi était ministre de l’industrie, (son directeur de cabinet de l’époque était… Olivier Breuilly), Anthony Borré se verrait sans doute parrain à la place du parrain. En attendant, il montre sa loyauté et comme son mentor, n’hésite à cumuler les postes de pouvoir, et avec sa femme, gère les affaires courantes et les combats politiques.
« L’intime conviction qu’elle serait encore en vie si on avait accepté sa mutation »
Parmi tous les agents rencontrés un mot revient toujours. « Terreur ». « Ils ne font rien directement. C’est la peur qu’ils inspirent qui fait que les gens se restreignent », affirme Mélissa*. « Aujourd’hui, seul le maire décide des avancées de carrière. Fini la Commission administrative paritaire. Si on ne rentre pas dans le sérail, on n’a aucune chance ». Un serment d’allégeance pour se promouvoir ? Voilà qui rappelle un certain type de système. « Je préfère mourir de faim que de rentrer dans ce système », poursuit-elle, qui connaissait également très bien Géraldine. Alors que nous discutons, un coup de téléphone vient interrompre notre échange. Elle met en haut-parleur. Un de ses collègues, la voix tremblante et énervée raconte qu’il ne peut pas prendre ses vacances car sinon « c’est trop la merde quand je reviens ». Mélissa lui demande de prendre soin de lui et qu’elle n’a pas envie de le voir tomber comme Géraldine. Elle dit avoir confier au premier adjoint, Anthony Borré, que « 70% des agents sont en danger ». « La dernière fois, il y en avait un qui me disait qu’il ne pouvait même pas prendre de vacances. On lui demandait d’en prendre, mais il n’en prenait pas parce que sinon, la somme de travail s’accumule pendant les vacances et il préfère ne pas en prendre », abonde Katia.
« Géraldine était au service DGA de Mme Borré. Elle gérait un très grand périmètre d’action avec une pression permanente. Ne pouvant plus supporter cette charge, elle a fait la demande de changer de poste. Mme Borré a dit oui dans un premier temps, le DGS également. Puis elle s’est ravisée. Elle s’est pendue peu après », confirme Mélissa. « Moi-même, j’ai fait une dépression. On retourne la violence contre nous-même pour ne pas l’envoyer aux autres. J’ai eu des envies suicidaires. Anthony et Véronique Borré ne sont pas malveillants. Ce n’est pas le pouvoir qu’elle exerce, mais celui qu’elle induit. C’est la mafia, ça l’a toujours été. J’ai l’intime conviction que si on avait accepté sa mutation, elle [Géraldine] serait encore envie », conclut-elle.
Restructurations permanentes
Les agents rencontrés dénoncent également un organigramme en perpétuel mouvement. Des restructurations, des services asséchés, voire des services fantômes. « Depuis 2002, ce n’est pas moins de 32 organigrammes », affirme Katia. Soit près d’un et demi par an en moyenne. « L’incompétence est devenue la compétence chez nous. »
« Géraldine arrivait entre 6 heures et 6 heures et demi, mais elle badgeait plus tard pour être dans les règles », détaille Katia. Selon les données issues du badge, Géraldine passait en moyenne 9 heures au travail par jour avec 21 minutes de pause. Loin des 35 heures légales… Claude rappelle que c’est la norme pour bon nombre d’agents. « On est censé les mettre sur un compte épargne temps puisque en tant que fonctionnaire on n’a pas d’heures supplémentaires. Mais on n’en voit jamais la couleur ».
Dans le même temps que le suicide de Géraldine Guntz, une autre affaire sordide a montré le peu de cas que se font les instances dirigeantes de la mairie du personnel. Gérard Manzanares, agent municipal au service collecte et déchetterie est retrouvé mort chez lui après plusieurs mois. Il est enterré dans la fosse commune, faute de proches à prévenir. Sauf que les services municipaux ne semblent pas avoir chercher bien loin, puisque des membres de sa famille se sont manifestés peu après l’enterrement. Au final, 39 personnes, dont des agents municipaux se sont rendus à ses funérailles.
Pas d’opposition digne de ce nom à Nice
« A l’époque, [Jacques] Médecin (maire de 1966 à 1990 – N.D.L.R.], on pouvait le critiquer. Ce n’était pas un saint, loin de là. Même avec [Jacques] Peyrat (maire de 1995 à 2008 – N.D.L.R.), on pouvait. Mais avec Estrosi ça a changé rapidement. On se sent menacé sur nos primes. On est sûr d’être sanctionnés si on l’ouvre. Personne ne parle politique de peur d’avoir des oreilles qui traînent », continue Claude*. Plusieurs témoignages ont abondé en ce sens. Elle pointe également le manque d’opposition qui permettrait de contrebalancer certains pouvoirs exorbitants à la mairie. « Il a donné à manger à ses opposants donc il est tranquille ». Aujourd’hui, effectivement, le conseil municipal comporte Marc Concas, et Patrick Mottard, tous deux ex-socialistes, et figures de proue de l’opposition niçoise dans les années 2000. Ce dernier a mené la liste de gauche plurielle en 2001, réalisant le meilleur score de « gauche » depuis la 1947, échouant ainsi à 3 500 voix d’écart avec Jacques Peyrat. En 2020, l’opposition la plus à gauche s’être trouvée être menée par Jean-Marc Governatori. Si certains ont le cœur trop à gauche, lui a l’écologie au centre (selon le nom de son mouvement), donc à droite. Sur sa liste figurait le chevalier blanc (cassé) de la politique, Jean-Christophe Picard, ex-président de l’association de lutte contre la corruption en politique Anticor, également présent sur celle d’Olivier Bettati en 2014, lequel est passé par le FN pour revenir dans le giron estrosiste en tant que conseiller cette année. Vous suivez ? A Nice, la gauche institutionnelle n’existe pas et l’extrême droite s’acoquine avec Estrosi, comme Gaël Nofri, ex-directeur de campagne de Jean-Marie Le Pen, aujourd’hui adjoint au stationnement. Toutes les voix dissonantes sont silenciées à coup de procédures-baillons ou intégrées dans le camp estrosiste. Comme par exemple David Nakache, l’un des adversaires favoris d’Estrosi. Il avait du se pourvoir jusqu’en cassation afin d’être relaxé, pour avoir oser émettre l’idée qu’une mairie vraiment à gauche « mettrait fin à la corruption et au système clientéliste à Nice », lors des élections municipales de 2020.
Ou encore, dans un registre plus affectif, Frédéric Maurice, rédacteur en chef de l’agence de Nice de Nice-Matin et Erwann Le Hô, directeur du Centre LGBT, mariés fièrement par Christian Estrosi fin août 2024, avec ce message sur X : « Très heureux d’officier ce matin pour unir deux personnes que je connais si bien, Erwann et Frédéric. C’est un privilège en tant que Maire d’être présent à leurs côtés pour les marier officiellement, et marquer le début d’une nouvelle vie. Félicitations à eux ! ». Il va être difficile de continuer à accorder une quelconque confiance dans notre canard local vue la proximité qu’entretient son rédacteur en chef avec l’édile niçois. Pour rappel, la Métropole Nice Côte d’Azur et la Commune de Nice financent à hauteur de 1,6 million d’euros par an le groupe Nice-Matin par l’achat d’annonces publicitaires, selon les données disponibles sur le site du ministère de l’Economie, regroupées par Macellum, moteur de recherche de marchés publics.
Des affaires qui pèsent sur Christian Estrosi
Bons de commande post-tempête Alex dans le viseur de la justice qui a amené à 21 perquisitions en début d’année, dérapages financiers pour le Grand Prix de Formule 1 financé par la Métropole pourtant situé dans le département voisin du Var, dette municipale à hauteur d’un milliard d’euros, frisant la mise sous tutelle étatique, nomination de Rabah Souchi, condamné en première instance à six mois de prison avec sursis (il a fait appel) pour avoir commandité la charge contre Géneviève Legay en mars 2019. Il est évident que la guerre ouverte entre le clan Ciotti, proche du Département, et le clan Estrosi qui tient la mairie et la Métropole est à l’origine d’un certain nombre de révélations ces derniers mois. A l’origine de la dénonciation des notes de frais exorbitantes liées au Grand Prix, Christelle d’Intorni, proche d’Eric Ciotti et réélue députée dès le premier tour dans la 5ème circonscription des Alpes-Maritimes ce 30 juin 2024. Le groupement chargé de l’organisation du Grand Prix, dont Christian Estrosi souhaitait la tenue prochaine à Nice, a affiché une dette de 32 millions d’euros, mettant ainsi la structure gestionnaire en liquidation.
De son côté, comme à son habitude, Estrosi se place en victime. Il ne sait rien de tout ce dont il est accusé, n’a rien vu, rien entendu, et n’a rien fait de prohibé. L’étau se resserre mais rien ne semble pouvoir atteindre le chef de la municipalité. En attendant, une fonctionnaire s’est suicidé. La justice doit maintenant faire son travail pour mettre au jour les causes et circonstances de la mort.
* A la demande des personnes interrogées, les prénoms ont été changés et tous les témoignages sont anonymisés.
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23.09.2024 à 13:23
Kaizen : L’aventure extérieure
admin
Inoxtag a produit un film documentaire qui parle d’un défi et des moyens qu’il a mis en œuvre pour y parvenir. Mais aussi d’altérité, de l’idée qu’on ne grandit qu’au contact des autres, d’addiction au smartphone et d’émancipation. Des messages naïfs, aussi mignons qu’une vidéo de chatons, et qui entrent en résonance avec des millions d’individus. Kaizen (réalisé par Basile Monnot issu de la pub), qui met en scène les.. Read More
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Texte intégral (3995 mots)
Inoxtag a produit un film documentaire qui parle d’un défi et des moyens qu’il a mis en œuvre pour y parvenir. Mais aussi d’altérité, de l’idée qu’on ne grandit qu’au contact des autres, d’addiction au smartphone et d’émancipation. Des messages naïfs, aussi mignons qu’une vidéo de chatons, et qui entrent en résonance avec des millions d’individus.
Kaizen (réalisé par Basile Monnot issu de la pub), qui met en scène les aventures du youtubeur Inoxtag et ses potes, a attiré 300 000 personnes en salles lors de son avant-première, essentiellement des jeunes spectateurs, ce qui est totalement inédit (mis en ligne sur Youtube dès le lendemain, il cumulera 25 millions de vues en seulement 4 jours avant d’être diffusé sur TF1). Un film qui aimerait parler d’une jeunesse qui se cloisonne et s’oublie, mais dont la flamme de l’aventure peut être attisée.
Constat d’immobilisme
Né en 2002, Inès Benazzouz (aka Inoxtag) a toujours fait des vidéos, des stream de collégien (longues émissions en direct et face caméra) durant lesquels il joue à Minecraft et Fortnite, puis il a commencé à documenter sa vie (sa nouvelle voiture, son nouveau chien et le dressage adapté, son nouvel appartement…), à se lancer des défis (dormir dans une forêt hantée, vivre seul sur une île déserte durant une semaine…) et créer des concepts (avec d’autres youtubeurs vedettes). Le gamin tout seul sur son ordinateur qui commente des images a su s’entourer et faire fructifier sa popularité.
Progressivement, il se laisse dépasser par le nombre de vidéos à produire mensuellement pour faire vivre son équipe, frôlant même le burn-out, et ne parvient plus à trouver du sens à ce qu’il fait. Il va donc se contraindre à sortir de ses routines, documentant ses expériences (parfois totalement seul), cherchant à concilier ses impératifs de productions et la volonté de vivre une expérience qui l’aiderait à sortir de l’enfance. Sortir de sa chambre, de sa famille, de son réseau d’amis, un schéma classique dans la construction d’un individu.
Syndrome de l’imposteur
Inès accumule les dizaines de millions de vues sur Youtube, mais pour les mériter, pour se sentir légitime, encore faut-il avoir accompli une prouesse se dit-il : toute personne confrontée à la célébrité est hantée par ce sentiment. Souvenez-vous par exemple de Jérôme Jarre et de sa Love Army : en 2017, alors qu’il est très populaire sur le réseau social Vine (vidéos rigolotes et visage poupin de Jérôme), il se lance dans une guerre contre l’extrême-pauvreté (les Rohingyas, faisant alors l’objet d’un génocide, vivent dans un immense bidonville) avec l’idée que son renom puisse servir à quelque chose de concret et d’utile. Qu’il ne soit plus acclamé pour son chouette sourire de petit blondinet, mais pour une action historique d’utilité publique.
Inoxtag, lui, a opté pour gravir la plus haute montagne du monde. C’est le rite initiatique qu’il s’est choisi pour entrer dans le monde adulte. Il aurait pu s’engager dans l’armée, faire un tour du monde en stop, entrer dans le Guinness Book en cuisinant la plus grande pizza du monde, mais l’Everest est la suite logique de sa quête : partir à l’autre bout du Monde, au plus haut du Monde. Ainsi, non seulement on le considérera enfin comme un bonhomme, mais en plus il sera loué pour sa prouesse sportive, et pour avoir tenu parole.
Dépassement de soi
Personne n’est contraint à « se dépasser ». Mais ici, il ne s’agit pas de devenir un surhomme, plutôt de s’imposer un cadre de vie correspondant à l’objectif. Pousser de la fonte pour afficher de voluptueux biceps, c’est finalement facile (comme d’autres youtubeurs, Inoxtag a également filmé sa transformation musculaire), s’entraîner une année pour devenir alpiniste est plus ardu et constitue un challenge potentiellement fructueux en nombre de vues.
La transformation psychique est également recherchée par Inès, il explique qu’il souhaite ardemment être devenu autre à la fin de l’aventure. Et il découvre que pour « se dépasser », il faut s’instruire (le seul livre qu’il ait lu jusqu’à présent est celui d’un alpiniste, « enfin, j’ai lu un résumé » déclare-t-il sur le plateau de La Clique sur Canal +), chercher de l’aide, écouter et apprendre, et surtout rencontrer et s’ouvrir aux autres. C’est en tout cas ce qu’il dit, pas forcément ce que l’on voit dans ses vidéos.
Les rites de passage qui sortent le jeune adulte de la puberté sociale, symbolisés jadis par le service militaire et le départ du foyer familial, ont cédé la place à une transition plus progressive parsemée de rites ponctuels (les fameux défis). Mais la construction progressive d’une maturité sociale dépend de l’investissement personnel et des leçons tirées des épreuves constituées par ces rites. Et surtout la conscientisation que ce processus est personnel et intime.
Découverte de l’altérité
Inès rencontre donc des professionnels qui vont le former et l’entraîner, il va découvrir du pays et de la diversité sociale en Corse, en Savoie, sur les routes de France, de La Réunion, en Islande… Son message aux jeunes : sortez de chez vous, confrontez-vous au Monde. Ce qu’il fait en images, en toute extimité. Car Inès est accro à son téléphone et aux écrans, comme nombre de jeunes qui le suivent, il dit en avoir conscience et désire se désintoxiquer. Or, c’est par les réseaux qu’il existe et qu’il prospère. Pour appréhender ce paradoxe, il va donc se lancer des challenges, c’est ce qui est censé l’aider à décrocher de son équipe, sa team, et de ses followers.
Pour rencontrer l’autre, le mieux est de partager. C’est ce qu’il éprouve un an avant l’Everest en passant sa première nuit en haute-montagne avec David, dormant par moins vingt degrés à la belle étoile. Pour tisser des liens, rien de tel que d’affronter ensemble une épreuve. Brothers in arms, compagnons du froid dans les cimes. Comme pour nombre d’adolescents, l’iconographie militaire et ses promesses d’aventures, rendues dans des clips publicitaires léchés et qui flattent l’esprit d’équipe, de famille, de frères d’armes en terrain hostile, font fantasmer Inès. C’est ce qu’il veut vivre : une épreuve et une team de paires de couilles pour l’affronter.
Partir à l’aventure, c’est aussi découvrir des humains qui ont d’autres aspirations, comme ce jeune homme rencontré sur une virée en camping-car, qui rêve de créer une micro-ferme pédagogique et qui cultive des produits biologiques. Inès lui parle d’un jeu vidéo où tu peux être fermier, le gars connaît et cela l’amuse, une connivence éphémère se crée.
Pourtant, au gré de ses voyages, on ne sait pas ce que Inoxtag a retenu de ces échanges, en quoi il a grandi. Le post-adolescent sent bien que les éléments sont là, mais il ne sait pas comment les articuler pour progresser.
Émancipation
Le jeune youtubeur découvre que les voyages forment la jeunesse, qu’un agriculteur peut être un « Einstein » car il maîtrise l’art de greffe botanique, que la Tome de Savoie se fait avec du lait de vache, que pour pêcher des palourdes il faut gratter le sable humide… L’apprentissage de la vie hors écrans, par l’action, pas forcément par la réflexion, et avec une curiosité limitée à ce qui correspond au format de ses vlog.
Tu seras un homme mon fils, aux yeux du Monde et de tes followers, et de ta maman également. Cette maman qu’on entend parfois dans le film et qui se montre fière de son fils enfin sorti de sa chambre. Par cette aventure, Inès sort du foyer familial, s’affranchit de ses détracteurs, des servitudes liées à son métier et des préjugés de classe, c’est ce qu’il pense. Lui, le fils d’un chauffeur et d’une infirmière, qui a su construire les conditions qui lui permettent de déplacer des montagnes ou de partir sur les routes de France en voyage organisé par son pote, filme ses petits pas vers le monde adulte.
L’émancipation est un produit marketing comme un autre finalement, même si la dissonance cognitive guette puisque l’affranchissement des normes est avant tout un processus intellectuel intérieur. Inès souhaite-t-il réellement maturer, ou simplement présenter l’évolution Shônen (mangas pour adolescents) d’Inoxtag ?
Miroir d’une jeunesse
La chose est documentée, la jeunesse numérique, ayant grandi avec les réseaux sociaux et les sites de rencontres, souffre du manque d’altérité. Lorsqu’elle se déplace en discothèque ou en festival, ce n’est plus pour rencontrer de nouvelles personnes mais majoritairement pour passer du bon temps entre amis, et près de la moitié des moins de 24 ans n’ont pas de vie sexuelle, l’omniprésence des écrans étant directement mise en cause par les sociologues. Une jeunesse coincée dans son techno-cocon.
Les jeunes citadins évoluent dans des établissements scolaires carcéraux, grilles et sas d’entrée, se déplacent sous les yeux des caméras, sont géolocalisés par leurs parents, surprotégés dans un monde qui s’effondre pourtant et dont ils voient disparaître la biodiversité. L’extérieur est dangereux, terrorisme et événements climatiques, la conforteresse d’un rectangle lumineux et tactile les fige dans une existence refusant l’effraction liée à la prise de risque, pourtant indispensable dans la construction de soi car elle permet d’expérimenter le rapport à la réalité, à soi et aux autres.
Choisir l’Everest, c’est symboliquement se confronter au danger, et déjouer la mort lente de l’addiction ou la mort subite de la pulsion suicidaire. C’est le message perçu par les jeunes spectateurs : ton Everest est peut-être juste à côté de chez toi, il n’a pas besoin de culminer à 8849 mètres, mais il te sortira de ta bulle, tu y croiseras d’autres humains, tu seras confronté à tes limites, tu feras des expériences sensorielles, tu apprendras et tu t’amélioreras.
Le film a bien compris qu’il pouvait entrer en résonance avec une population jeune, un peu perdue et en manque de réel. Le parcours du jeune streamer devenu grand baroudeur reproduit ainsi un récit initiatique assez banal, tel l’écuyer qui devient roi, le fermier Jedi, la Cendrillon princesse, le Citizen Kane. Ou le pauvre qui devient millionnaire.
Kaizen : vlog ou doc ?
Inès est donc officiellement sorti de l’enfance. C’est en tout cas ce que veut montrer le film. Est-ce un documentaire ? Oui, car la vidéo documente le cheminement d’un jeune homme qui s’est donné publiquement pour défi de gravir le Chomolungma, la déesse mère des vents. Entraînements, escalades, déambulations, le personnage possède un arc narratif, souffre, rit, découvre, semble évoluer. Utilise-t-il les codes du documentaire ? Non, le film hybride le style Youtube avec des plans très composés, des séquences aux allures publicitaires ou issues du clip, des captations en GoPro ou caméras d’appoint, en drone, d’autres images entièrement générées par ordinateur, ce qui peut rendre le rendu assez incohérents visuellement, sortant le spectateur de l’immersion promise. Certaines séquences ressemblent même aux « campagnes immersives » publicitaires de l’Armée de Terre ou à une vidéo pour Décathlon (le réalisateur à également travaillé pour cette entreprise).
Le budget médian en France pour produire un documentaire est de 500000 euros, Kaizen aurait coûté 2 millions, largement financés par des sponsors. Donc les marques se voient à l’écran, beaucoup plus que dans d’autres films. Inoxtag a même participé directement à des publicités, par exemple pour SFR, spot dans lequel il déclare « je me suis rendu compte qu’on n’avait pas toujours besoin d’être connectés et scotchés à nos écrans. Sortons dehors, allons faire du sport, faisons de nouvelles rencontres. Bref, reconnectons-nous aux choses essentielles de la vie » ; le slogan étant « pour un monde digital plus sûr ». On peut savourer l’ironie. Le film n’est donc pas une œuvre isolée, il complète d’autres vidéos, d’autres récits et d’autres partenariats commerciaux.
Est-ce un bon documentaire ? Inoxtag est quasiment de tous les plans. Donc pour l’apprécier, il est primordial d’aimer le personnage, sa façon de parler, son « naturel » et sa bonne bouille, rire à ses blagues, être intéressé par ses problèmes de santé, bref compatir. Il n’est pas évident de parvenir à construire cette empathie durant le seul visionnage de Kaizen.
Le héros
Kaizen n’est pas un documentaire sur la montagne (elle n’est qu’un décor), ni sur les alpinistes (ils ne sont que figurants), il ne s’intéresse pas à l’esprit d’équipe tant vantée (les comparses couillus n’apparaissent que brièvement), ni à la marchandisation de l’évasion (rien sur les tarifs, sur l’organisation), ni au tourisme de l’extrême (qui sont ces gens qui font la queue au sommet de l’Everest ?), et il n’accorde que peu de place aux sherpas (un tiers des morts annuels sur l’Everest sont des sherpas), aux guides, aux autochtones. Kaizen ne s’intéresse qu’à son héros et sa réussite personnelle.
Inès est ce petit chat filmé alors qu’il tente d’accéder au toit de la maison : on le voit réfléchir et hésiter, s’élancer et sauter, c’est mignon tout plein et on ne se pose aucune question sur le lieu du tournage ou sur la conception du toit, on est juste attendri et heureux pour ce chat. La vidéo du chat est innocente car elle ne nous questionne pas sur la finalité (pourquoi ce toit ?), l’environnement de l’action (où est-on ? Que doit-on savoir sur ce lieu ?) et le message y est simpliste (à force de pugnacité, la chat parvient à son but).
Pourtant, toute œuvre est évidemment politique, qu’elle l’affiche clairement ou non, que cela soit revendiqué ou délicatement suggéré, et c’est ce qu’un spectateur qui n’est pas intime d’Inès va ressentir, éprouver, c’est la couleur qui lui restera en tête après le visionnage.
Message politique
Puisque l’œuvre comporte un message politique, quel est-il ? On l’a vu, l’objectif du producteur et du réalisateur n’est pas de parler de la nature à laquelle il faudrait se reconnecter, des sportifs de haut niveau, des méfaits du tourisme de masse, des effets de mode chez les riches, ou du dépassement de soi. On parle d’un jeune homme qui, grâce à une notoriété qu’il a su faire fructifier, peut assouvir quasiment tous ses désirs, y compris faire la queue au sommet de l’Everest. C’est long et tortueux, sûrement difficile pour lui, mais le chaton a finalement atteint le toit grâce à son équipe, son hélicoptère et ses équipements de marques.
Voici donc un gars issu d’un milieu populaire, devenu millionnaire sous les yeux de ses fans, année après année. Normal que les médias dominants accueillent à bras ouverts ce nouveau transfuge de classe dont le message est « croire en ses rêves », nouvelle figure de la méritocratie. Un joli conte comme Léa Salamé les adore pour une interview sur France Info toute en minauderies.
Le message probablement ressenti par les novices d’Inoxtag est moins « dépassons-nous et déconnectons des réseaux » que « avec de l’argent, on peut se lancer tous les défis ». Évidemment que l’ascension n’est pas chose aisée, mais il ne s’agit pas non plus d’un exploit sportif inouï puisque, durant la période du tournage, plus de 600 bourgeois ont atteint le sommet lors de la ruée annuelle.
Et comme le film accumule d’authentiques scènes publicitaires façon North Face, le capitalisme est bien présent à l’écran, il est un allié de l’aventure, voire sa finalité car il financera d’autres défis.
Une réussite commerciale
La réussite première du Kaizen est médiatique et commerciale : 310000 spectateurs (en seulement deux jours de projections) sont venus en salles découvrir un documentaire gratuitement visionnable en haute qualité sur Youtube. Les distributeurs et documentaristes critiquent la méthode et le fond, les alpinistes chevronnés se gaussent, les anticapitalistes médisent, les écologistes dénoncent, et le succès est là.
De plus, cet événement montre de manière éclatante que Youtube a définitivement remplacé la télévision : avec 11 millions de vues en 24 heures et 25 millions en 4 jours, Inoxtag explose les records et rivalise avec la meilleure audience de l’histoire de la télévision française (24 millions de téléspectateurs devant la finale de Coupe du monde 2022, France/Argentine).
D’ailleurs, la chaîne de Inoxtag a gagné plus de 300000 abonnés dès le lendemain de la diffusion, les recherches Google ont bondi et ses autres vidéos engrangent de nombreuses nouvelles vues. De quoi faire plaisir aux sponsors et publicitaires. Le budget investi dans le film a largement été remboursé par les recettes en salles, Inès et son équipe devrait en percevoir 500000 euros. Sur Youtube, Inoxtag a optimisé les recettes :« c’est gratuit, mais je vais mettre à masse de publicité » a-t-il déclaré.
L’autre grande réussite est d’avoir fédéré une solide communauté de fans, qui s’est considérablement agrandie ces derniers jours, et d’avoir inspiré quantité d’entre eux, parfois à petite échelle, parfois pour une totale remise en question aussi définitive qu’une décision adolescente. Cette aventure passionne parce qu’on y trouve ce qu’on avait même oublié : un certain goût de liberté (sécurisée avec une connexion SFR). Même si les valeurs prônées sont simples, on ne peut qu’être en accord avec les conseils qu’Inès délivre avec sa bonne humeur.
La question en suspend
La question n’est pas « va-t-il y avoir encore plus de touristes dans l’Himalaya ? », puisque, le tarif se situant entre 55000 et 70000 euros pour une ascension, les p’tits français ne vont pas se ruer. Elle n’est pas non plus « Inoxtag est-il devenu multimillionnaire ? », il réussit financièrement oui, c’est juste un constat. Mais d’autres questions viennent en tête : a-t-il initié les jeunes à la montagne ? Aux enjeux écologiques ? Aux comportements addictifs ? Aux conditions de vie d’un sherpa ? On pourrait refaire à l’infini le documentaire pour qu’il aborde mieux ou plus profondément tel ou tel aspect, se concentrer sur les parents d’Inès, sur son équipe, sur les déchets et la pollution engendrés par l’expédition… La proposition d’Inoxtag est autre, elle est lui, un lui réinventé et mis en scène.
Donc la question en suspend est : que va faire Inoxtag de cette nouvelle popularité ? Il dit avoir conscience que ses messages touchent des dizaines de millions d’individus ; à grand pouvoir grande responsabilité dirait un super-héros. Alors comment utiliser cette puissance ? Une nouvelle Love Army ou une aventure aquatique d’Inès dans un sous-marin ? Se filmer à bord de son yacht acheté à Monaco ou s’engager en politique ?
« Et Dieu dans tout ça ? » l’a questionné une Léa Salamé pétrie de préjugés face au jeune français de père algérien (donc forcément musulman), « je ne suis pas croyant » a déclaré Inès. Toujours est-il qu’aujourd’hui beaucoup croient en Inoxtag.
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