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15.12.2025 à 20:44

Relancer l’offensive climatique européenne : utiliser l’Industrial Accelerator Act et le Clean Corporate Fleets pour développer des obligations ciblées sur la demande

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À partir du 16 décembre 2025 avec le règlement Clean Corporate Fleets (CCF), puis du 28 janvier 2026 avec l’Industrial Accelerator Act (IAA), la Commission européenne déterminera si l’Union choisit la percée ou le reflux en matière de politiques climatiques : soit consolider une architecture climatique socialement soutenable et industriellement robuste, soit ouvrir la voie au backlash fossile en affaiblissant les normes adoptées ces dernières années. La clef de la percée consiste à compléter les normes appliquées à la production et le signal-prix homogène du marché carbone par des obligations ciblées sur la demande, concentrées là où les surcoûts sont absorbables et où les capacités de structuration industrielle sont maximales. Nous les appellerons politiques d’absorption. Constats et recommandations clés 1. Faire des flottes professionnelles le moteur d’une transition juste (règlement Clean Corporate Fleets – CCF) Les véhicules des entreprises et administrations représentent une part limitée du parc, mais une part déterminante des immatriculations et des émissions. Leur conversion accélérée vers le zéro-émission permet d’absorber le surcoût initial là où il est supportable, de sécuriser les investissements engagés pour respecter les normes CO₂ (CAFE[1] et poids lourds[2]), d’alimenter un marché d’occasion électrique, et de réduire fortement la demande en carburants fossiles, allégeant la pression sur l’ETS-2[3] pour les ménages. Le Paquet automobile du 16 décembre 2025 doit ainsi : imposer des obligations zéro-émission et Made in EU ambitieuses sur les flottes professionnelles ; préserver l’intégrité des normes CO₂ voitures et poids lourds, indispensables à la visibilité industrielle et crédibilité politique de l’Union. 2. Relancer la sidérurgie par un marché pilote acier near-zero (IAA) La décarbonation profonde de l’acier primaire (~8 % des émissions mondiales de CO2) repose sur le DRI-hydrogène (DRI-H2), plus coûteux à produire mais dont l’impact sur le prix d’une voiture est d’environ 1 %. Ainsi, dans le Paquet automobile et l’IAA, porter les dispositions suivantes : Rejeter les supercrédits CAFE[4], qui affaibliraient les normes automobiles sans suffire à structurer une production européenne d’acier primaire bas-carbone ; Créer un marché pilote imposant des quotas croissants d’acier near-zero (DRI-H₂) dans les véhicules vendus dans l’Union européenne (UE) à partir de 2029–2030 ; Intégrer des clauses de réciprocité robustes : valeur carbone par défaut sur les importations ; exemption des véhicules exportés. 3. Débloquer la décarbonation des engrais et protéger les agriculteurs par un marché pilote à l’aval Les engrais azotés (≈5 % des émissions mondiales en intégrant l’usage) constituent un nœud climatique et social. Le couple ETS / CBAM[5], appliqué seul, pénalise les agriculteurs sans créer les conditions d’investissement dans des technologies bas-carbone. L’IAA est une opportunité unique de sortir de cette impasse sociale et écologique : Créer un marché pilote engrais bas-carbone pour l’alimentation animale, reposant sur les grands industriels et ciblant plus de la moitié des volumes d’engrais avec un impact inférieur à 2.5 % sur le prix du produit final ; Le doter de deux compartiments indépendants : contenu carbone des engrais à la fabrication et usage d’inhibiteurs réduisant les émissions de N2O à l’usage ; Compenser les agriculteurs pour le prix du carbone sur les engrais (désormais possible sans casser le signal à la décarbonation grâce au marché pilote à l’aval). 4. Étendre les politiques d’absorption à d’autres secteurs (IAA) L’acier et les engrais offrent ici chacun un cas d’école pour concevoir des marchés pilotes industriels bas-carbone. Cette grille de lecture et d’action doit être remobilisée pour déployer mutatis mutandis les politiques d’absorption sur d’autres secteurs émetteurs majeurs, en particulier ciment, aluminium, et plastiques. I. 16 décembre : l’Europe arrive sur le champ de bataille Le 16 décembre 2025 puis le 28 janvier 2026, la Commission européenne ne publiera pas simplement une série de textes techniques supplémentaires. Elle arbitrera un choix stratégique : donner une véritable dimension sociale et industrielle aux politiques climatiques de l’Union, ou donner corps au backlash politique en reculant de manière désordonnée sur des normes écologiques critiques non seulement pour le climat, mais aussi pour la prospérité à moyen et long terme de l’Union. Ce choix tient largement à un déplacement de la focale régulatoire : soit l’Europe continue de s’en remettre principalement à des signaux-prix moyens et à des normes amont sur l’offre pour porter son ambition écologique, soit elle assume de faire porter une partie décisive de l’effort sur des obligations ciblées à l’aval, là où les surcoûts sont socialement absorbables et où l’on peut piloter les effets sur l’activité et les emplois industriels de l’Union. C’est le dénominateur commun entre deux chantiers que la Commission va mettre sur la table  : Le 16 décembre 2025 avec le règlement Clean Corporate Fleets (CCF), qui doit encadrer le verdissement des flottes professionnelles et agir directement sur la demande de véhicules zéro-émission. Les révisions des règlements dits CO2 voitures (normes CAFE1) et CO2 poids-lourds2 y sont directement liées (ou plutôt, dans cette note : l’appel à ne pas toucher à ces règlements adoptés il y a moins de trois ans) ; Le 28 janvier 2026 avec l’Industrial Accelerator Act (IAA), qui ouvre la possibilité de créer de véritables marchés pilotes pour des matériaux bas-carbone, en particulier l’acier et les engrais. Là encore, l’enjeu n’est pas de raffiner marginalement un signal-prix, mais de structurer une demande garantie pour des produits industriels décarbonés, afin de faire basculer des chaînes de valeur entières. À travers ces textes, l’Union dispose d’une opportunité unique : faire converger un agenda social légitime (ne pas faire peser la transition sur les seuls ménages exposés), un agenda industriel offensif (sécuriser des investissements et des emplois en Europe) et un agenda climatique crédible (tenue des trajectoires 2030–2040). La thèse de cette note est la suivante : en organisant des obligations ciblées sur la demande d’acteur privés – via le règlement Clean Corporate Fleets, et via des marchés pilotes ambitieux dans l’Industrial Accelerator Act –, les institutions européennes peuvent rendre la transition pleinement désirable pour les citoyens, en même temps qu’elles renforcent la résilience de la base industrielle européenne. Les politiques climatiques constituent un champ de bataille permanent. Nous faisons face à une contre-offensive des intérêts fossiles, qui exploitent les failles sociales et industrielles des réglementations existantes. Soit l’Union recule en étirant et affaiblissant progressivement ses normes, soit elle relance l’offensive en

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13.12.2025 à 13:36

Un petit bilan d’une COP 30 pas totalement négative par Gaël Giraud

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La plupart des médias dressent un bilan catastrophique de la trentième édition de la COP, qui eut lieu, cette année, à Belém, au Brésil, située à la fois aux portes de la forêt amazonienne et au bord de l’océan. À y regarder de plus près, cependant, le tableau est moins sombre qu’il n’y paraît. Non seulement parce que l’atmosphère des échanges, en zones verte et bleue, fut extrêmement vivifiée par la présence de représentants des populations autochtones d’Amazonie et par une allégresse toute brésilienne, mais encore parce que de réelles avancées ont été obtenues. Des déplacements des rapports de force ont aussi été enregistrés. C’est sur ces points que je vais insister dans ce qui suit, avant d’aborder l’échec des négociations sur la sortie des hydrocarbures fossiles. 1. Droits des peuples autochtones Belém, première COP en Amazonie, ne pouvait pas ignorer les peuples autochtones. Patricia Gualinga, porte-parole du peuple Sarayaku (connu pour sa lutte, en Équateur, depuis de nombreuses années, contre la destruction de la forêt par les industries extractives) s’est faite entendre avec force, notamment sur l’enjeu décisif de la reconnaissance des droits fonciers des peuples d’Amazonie : certaines entreprises extractives se prévalent que des pans entiers du territoire amazonien sont aujourd’hui sans « propriétaire » formel alors que des peuples autochtones y vivent depuis des siècles.  Ces derniers revendiquent par conséquent d’être enfin reconnus comme propriétaires légitimes de ces terres. Plusieurs acquis importants ont ainsi été obtenus dans ce sens. Tout d’abord, sur le plan normatif, les textes (Belém Package, National adaptation plans, etc.) font une place explicite à la reconnaissance des droits fonciers autochtones et au rôle décisif des savoirs traditionnels dans l’adaptation. Une mention plus nette des peuples autochtones est désormais inscrite dans les plans nationaux d’adaptation. Certaines organisations autochtones brésiliennes (l’APIB[1] notamment) parlent d’« avancées historiques » sur la reconnaissance des droits des peuples autochtones et sur certains engagements financiers, tout en rappelant, à juste titre, que sans basculement massif des flux financiers  « bruns » vers la protection des territoires, ces promesses restent fragiles. Du côté financier, en effet, des engagements financiers nouveaux ont été obtenus : environ 1,8 milliard de dollars pour les droits fonciers des peuples autochtones et afro-descendants (Forest and Land Tenure Pledge) ainsi que des promesses additionnelles s’élevant à 2,5 milliards de dollars pour le bassin du Congo. Cette initiative, baptisée  « Belem Call for the Forests of the Congo Basin », était portée par la France et plusieurs pays européens. Ces sommes restent symboliques mais ces engagements permettent de faire entrer la reconnaissance des droits des peuples autochtones dans les négociations des prochaines COPs. La création de la Tropical Forests Forever Facility (TFFF), sur laquelle je reviendrai, a permis la reconnaissance d’un principe clé : au moins 20 % des flux dédiés aux forêts tropicales doivent aller directement aux peuples autochtones et aux communautés locales. C’était aussi une revendication forte de Patricia Gualinga, qui a fait valoir, avec raison, que l’on ne cesse de brasser des centaines de milliards dans les négociations internationales alors que ceux qui vivent dans la forêt (la protègent et sont les premières victimes de sa destruction comme du réchauffement) ne perçoivent aucune aide. 2. Convergence avec les luttes féministes De manière très intéressante, et peut-être pour la première fois, les revendications des peuples autochtones ont convergé avec le front de lutte féministe. Sur ce terrain également, un saut qualitatif a été obtenu, même si sa traduction concrète reste à construire. En effet, le Belém Gender Action Plan (GAP) 2025–2034, va beaucoup plus loin que les textes précédents puisqu’il intègre explicitement le travail du soin (care), de la santé des femmes et des violences faites aux femmes avec la reconnaissance des femmes afro-descendantes et des femmes défenseures de l’environnement comme actrices centrales des politiques climatiques. De façon révélatrice, le Belém Action Mechanism commence à articuler dans un même cadre les droits humains, les droits du travail, l’égalité de genre, les savoirs autochtones et la justice intergénérationnelle. Nous n’en sommes pas (encore) à une  « charte écoféministe » explicite, mais la COP30 marque une convergence : la justice climatique est de plus en plus clairement formulée dans les catégories issues des luttes féministes. Cela rejoint l’intuition formulée dès 2015 par l’encyclique Laudato Si’ du Pape François (§ 123) où le désastre écologique était mis sur le même plan que les violences faites aux enfants et aux personnes âgées et, dans l’interprétation qu’en a fournie le Pape lui-même lors d’une audience le 3 septembre 2020, les violences faites aux femmes. 3. Triplement de l’aide à l’adaptation La multiplication et l’ aggravation des événements climatiques extrêmes rend décisive la question des efforts d’adaptation (au Sud en premier lieu mais, désormais, également au Nord). Or la confirmation du triplement de l’aide financière à l’adaptation est l’un des rares chiffres politiques clairs de Belém. La décision Mutirão / Belém Package “appelle” à tripler le financement de l’adaptation d’ici 2035, la faisant passer d’environ 40 milliard de dollars  (le montant fixé à Glasgow) à 120 milliard de dollars  par an, et à porter le total du financement climat sur une trajectoire visant 1.300 Mds de dollars par an à la même date. C’est un signal politique important qui prolonge et poursuit l’effort lancé à la COP26 de Glasgow, maintient une certaine pression sur les pays riches pour qu’ils ne relâchent pas leurs efforts financiers et ancre dans la soft law l’idée que l’adaptation n’est plus un sous-chapitre de la lutte climatique mais un sujet prioritaire. Reste que le texte adopté est truffé de formulations au conditionnel et d’imprécisions. En particulier, il ne contient pas de ventilation claire au sujet de la question délicate de savoir “qui paie quoi”. C’était l’un des nœuds gordiens de la discussion : la COP29 avait en effet achoppé sur la question de savoir si seuls les pays du Nord étaient invités à mettre la main au portefeuille ; la décision a été prise d’ouvrir la possibilité au « Sud » (entendre : la Chine) de contribuer également — et c’est ce qui a permis d’obtenir un accord. Toutefois, de nombreux pays espéraient pouvoir obtenir un horizon plus proche (2030) : l’horizon du triplement est repoussé à 2035 alors que les besoins sont massifs dès maintenant. Les ONG de lutte pour

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19.11.2025 à 14:01

Shein au BHV : symptôme dramatique de la crise de la filière textile

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Résumé exécutif : La présence de Shein au BHV symbolise la dérive d’un modèle économique et industriel devenu écologiquement insoutenable. La filière textile, responsable de près de 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, illustre l’échec d’une économie du jetable qui mine à la fois l’environnement, l’emploi et la souveraineté industrielle. Cette note de l’Institut Rousseau propose des mesures concrètes pour refonder la filière autour de principes de durabilité, de justice sociale et de relocalisation des activités de tri, de réparation et de recyclage. L’Institut Rousseau, par la voix de son directeur Nicolas Dufrêne, a ainsi pu porter sa préoccupation lors des rencontres de la mode responsable (https://rencontresmoderesponsable.fr/), organisées notamment par Victoire Satto, créatrice de The good goods, à Bordeaux le 9 octobre 2025.   Données clés : 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre proviennent du textile.  800 000 tonnes de vêtements mis en marché chaque année en France. 1,7 million de tonnes de déchets textiles produits chaque année. Moins de 30 % collectés, 110 000 tonnes recyclées. Objectif : 30 000 emplois créés dans le tri et le recyclage d’ici 2030.   Voir Shein s’installer au BHV n’est pas un simple événement commercial : c’est le symbole d’une tragédie environnementale, sociale et industrielle. Cette tragédie dépasse une marque : elle incarne la faillite d’un modèle économique qui dévore ses propres bases matérielles, épuisant les ressources, les travailleurs et la planète. La filière textile concentre à elle seule près de 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre — davantage que le transport aérien et maritime réunis. En France, 800 000 tonnes de vêtements sont mises sur le marché chaque année, à des prix en baisse constante : –30 % en vingt ans. Dans le même temps, ces vêtements sont portés deux fois moins longtemps qu’auparavant. Résultat : 1,7 million de tonnes de déchets textiles générés chaque année, dont à peine 30 % sont collectés et 110 000 tonnes réellement recyclées. Ces chiffres racontent une crise systémique : explosion des volumes, saturation des débouchés, complexité des matières et effondrement du réemploi. Derrière Shein, Temu, ou même certaines enseignes françaises, se joue une course à la production infinie — 7 200 nouveaux modèles par jour pour Shein — qui transforme les vêtements en produits jetables et la mode en industrie extractive. Depuis 2020, la France a pourtant ouvert la voie avec la loi AGEC (Anti-gaspillage et économie circulaire) puis la loi Climat et Résilience en 2021. Ces textes ont introduit des avancées notables : l’interdiction de destruction des invendus, la modulation des éco-contributions selon les performances environnementales, la création d’un fonds réparation, l’affichage environnemental des produits. L’idée était simple : intégrer dans le prix des biens une partie, qui aurait dû être croissante, de leur coût écologique réel, et accompagner les dispositifs de réemploi. Mais l’application demeure partielle. La transparence reste lacunaire, les contrôles rares, les contournements nombreux. Aucune évaluation claire n’a encore mesuré la destruction réellement évitée depuis 2022. Les freins sont multiples : Techniques, avec des filières de tri trop peu soutenues donc pas assez efficaces et des textiles souvent irréparables car composés de mélanges complexes ; Économiques, car les coûts de collecte (près de 300 €/tonne) dépassent largement les financements actuels (192 €/tonne en 2025, 228 € prévus en 2026) ; Institutionnels, car la puissance publique se montre trop frileuse à imposer des objectifs plus contraignants aux éco-organismes. Dans ce contexte, le constat est clair : le signal-prix écologique reste trop faible. On ne corrige pas un modèle industriel qui génère 800 000 tonnes de déchets annuels avec un malus plafonné à 20 % sur des t-shirts vendus 4 €. La crise de la mode n’est pas isolée. Elle reflète un effet d’entraînement économique délétère : dans un contexte d’austérité, la qualité et la durabilité régressent. Moins de bio dans les assiettes, plus de voitures d’occasion polluantes, plus de vêtements jetables — et moins de moyens pour les acteurs du réemploi, de la réparation et de l’économie sociale et solidaire. Pourtant, alors qu’en 2024, le Fonds économie circulaire géré par l’ADEME représentait 300 millions d’euros, son budget a été réduit à 170 millions d’euros en 2025. En 2026, il sera à moins de 100 millions d’euros selon le projet de loi de finances présenté par le Gouvernement. Les politiques d’austérité détruisent ainsi les instruments mêmes qui permettraient de réduire notre empreinte écologique. Il faut le dire sans détour : l’austérité est l’ennemie du durable. Elle favorise les acteurs les plus agressifs sur les prix, ceux qui importent massivement à bas coût, et elle prive les structures vertueuses des leviers nécessaires à leur transformation. À ces difficultés viennent s’ajouter les difficultés juridiques, notamment au niveau européen. Début octobre 2025, la Commission européenne a rendu un avis circonstancié qui portait plusieurs critiques sur la proposition de loi “anti-fast fashion”, portée par Anne-Cécile Violland. L’ambition de cette loi est pourtant des plus louables : taxer les produits les moins durables, encadrer la publicité pour les marques ultra-polluantes, moduler les contributions selon le volume de production. Bruxelles a cependant émis des réserves sur plusieurs articles, invoquant la liberté du commerce et la directive sur le commerce électronique. Pourtant, ces arguments ne doivent pas être un prétexte à l’inaction. Les motifs d’intérêt général — santé, environnement, cohésion sociale — peuvent justifier des restrictions à la publicité ou à la mise sur le marché de produits non durables. En 2016, la France avait ainsi pris les devants en interdisant l’importation en France de cerises traités avec du diméthoate, poussant l’ensemble de l’UE à le faire en 2019. Il faut donc parfois savoir forcer des portes. Pour une refondation écologique de la filière textile L’Institut Rousseau plaide ainsi pour une transformation systémique de la filière textile autour de cinq axes concrets : Créer un véritable signal-prix écologique → En modulant beaucoup plus fortement les pénalités environnementales en fonction de la durabilité des produits, et en envisageant une pénalité-plancher pour les articles les moins

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27.10.2025 à 17:30

Réorienter la taxe carbone pour baisser les émissions… et les factures ?

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Ce qu’il faut retenir :   ●       Depuis 2013, les taxes sur les énergies ont augmenté de plus de 20 milliards d’euros/an (Mds €/an), dont seulement 20% ont été redistribués aux ménages pour les aider à accéder à des alternatives aux fossiles. La majorité de ces recettes a servi à réduire les prélèvements des entreprises et des ménages les plus aisés. ●       L’impact social régressif de ces taxes reste largement sous-estimé, alors qu’elles ont entraîné une perte de pouvoir d’achat de plus de 1 000 €/an pour les ménages les plus exposés aux factures énergétiques. ●       Faute d’alternatives accessibles, l’effet « prix » de ces taxes est resté très limité, avec un impact de –4% environ sur la consommation d’énergies fossiles des ménages. ●       Dans un contexte de prix et de taxes déjà élevés, l’ajout de 10 Mds €/an de taxe carbone européenne (Emission Trading Scheme 2 – ETS 2) prévu en 2027 et d’autres hausses de taxes « privées » dès 2026 (certificats biogaz et Certificats d’Economie d’Energie) sera d’autant plus complexe à compenser par des transferts ou des aides ciblées. ●       Une réorientation de l’intégralité des 20 Mds €/an de taxes ajoutées depuis 10 ans vers le soutien aux rénovations d’ampleur et véhicules électriques serait 3 fois plus efficace écologiquement qu’une nouvelle hausse de taxes et 5 fois plus favorable au pouvoir d’achat des ménages les plus exposés que la proposition inverse, de baisse des taxes, portée par le Rassemblement National. ●       Même dans un contexte budgétaire contraint, plusieurs leviers existent pour financer 15 Mds €/an de soutiens supplémentaires aux investissements écologiques des ménages. Le vivier de dépenses budgétaires ou fiscales dont l’inefficacité est largement documentée étant, à lui seul, largement supérieur à ces montants N.B: pour aller plus loin, une version longue (20 pages) de cette note est disponible ici. Cette version longue, non relue ni éditée par l’Institut Rousseau, n’engage que la responsabilité de son auteur. Depuis 10 ans, les gouvernements successifs ont ajouté plus de 20 milliards d’euros de taxes par an sur l’énergie (via la taxe carbone, le rattrapage de la sous-taxation du diesel et les certificats d’économie d’énergie – CEE[1]). Il était même initialement prévu d’augmenter la taxe carbone et le rattrapage diesel de 12 milliards d’euros par an supplémentaires, mais cette nouvelle hausse a été gelée au niveau de 2018 suite à la crise des Gilets jaunes. Ces 20 milliards sont venus quasiment doubler les 25 milliards d’euros par an (Mds €/an) de taxes « historiques » sur les carburants. Par ailleurs, ces taxes sur les énergies sont les plus régressives de tout le système fiscal : elles sont proportionnellement 3 à 4 fois plus élevées pour les ménages modestes que pour les plus aisés et 2 fois plus élevées pour les ménages moyens. Pour les 8 millions de ménages les plus exposés (« gros rouleurs » et résidant dans des logements peu isolés, chauffés au gaz ou au fioul), ces taxes ont entraîné une perte de pouvoir d’achat de plus de 1000 €/an. Supposées inciter à réduire les consommations de fossiles, ces hausses de taxes se sont avérées destinées à financer les diverses réductions d’impôts sur les entreprises et ménages aisés engagées sur la même période. Ce détournement de recettes explique que sur ces 20 Mds €/an de hausse, seuls 4 Mds/an ont été redistribués aux ménages pour les aider à accéder à des alternatives aux fossiles, tant pour chauffer leur logement que pour se déplacer. Un signal-prix pris isolément est inefficace : il entraîne une faible baisse des consommations… et une forte hausse des dépenses Les soutiens aux grandes alternatives aux dépenses fossiles étant restés limités, les rénovations énergétiques d’ampleur et les véhicules électriques sont restés inaccessibles pour la majorité des ménages. La quasi-totalité d’entre eux ont subi une hausse de leurs dépenses contraintes… en partie atténuée par une légère baisse, subie, de leur mobilité et/ou de leur température de consigne. Sur une baisse d’environ 12 % d’énergies fossiles consommées par les ménages depuis 2014 (à climat constant), l’effet « prix » de ces hausses de taxes peut être estimé autour de – 4%. Le reste est lié à l’augmentation des prix « hors taxes » et aux quelques investissements réalisés dans les logements et les véhicules électriques sur 10 ans. En comptant le reversement d’une partie de ces taxes sous forme de primes (notamment les CEE), ces + 20 Mds €/an de taxes ont entraîné, au mieux, une baisse de – 7% de la consommation d’énergies fossiles des ménages. Bilan environnemental et social des hausses de taxes sur les énergies (2014-2024)     + 20 Mds €/an de taxes énergies (Taxe carbone, diesel et CEE dont TVA) Importations de fossiles sur 470 TWh/an consommés par les ménages (270 carburants, 140 Gaz et 60 Fioul) – 7% (-35 TWh dont effets des primes CEE) Pouvoir d’achat des ménages « doublement exposés[2] » (7 à 8 millions de ménages) – 1100 €/an (dont – 500 €/an de carburants)   Cet effet limité sur les volumes s’est traduit par une baisse limitée des pollutions fossiles mais également par une explosion des factures énergétiques lorsque les prix (hors taxes) du gaz et du pétrole ont fortement augmenté en 2022-2023. Compte tenu des résultats de cette expérience récente de forte inflation et d’autres études[3] sur l’effet des hausses de prix des carburants, il y a fort à parier que la nouvelle taxe carbone prévue par l’UE (ETS 2[4]), qui devrait peser autour de 10 Mds/an, aura également un effet limité, estimé entre – 2% et – 3% d’énergies fossiles consommées par les ménages. Et ce, au prix d’une nouvelle baisse du pouvoir d’achat des ménages modestes et moyens « exposés ». L’ETS 2 à venir en 2027 : le risque d’une nouvelle injustice sociale inefficace Alors que la nouvelle taxe carbone européenne ETS 2 attendue en 2027 aura un nouvel impact régressif sur le pouvoir d’achat des ménages, elle sera très difficile à compenser par des dispositifs de reversement des recettes aux ménages. Même avec des critères multiples et des bonifications, des surcompensations sont difficiles à

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19.09.2025 à 12:30

Rousseau, l’imagination au pouvoir ?

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On se souvient des mots célèbres de Sartre adressés à Daniel Cohn-Bendit en mai 1968 : « Ce qu’il y a d’intéressant, dans votre action, c’est qu’elle met l’imagination au pouvoir. Vous avez une imagination limitée comme tout le monde, mais vous avez beaucoup plus d’idées que vos aînés. Nous, nous avons été faits de telle sorte que nous avons une idée précise de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas. […] Vous, vous avez une imagination beaucoup plus riche, et les formules qu’on lit sur les murs de la Sorbonne le prouvent. Quelque chose est sorti de vous, qui étonne, qui bouscule, qui renie tout ce qui a fait de notre société ce qu’elle est aujourd’hui. C’est ce que j’appellerai l’extension du champ des possibles. N’y renoncez pas ». Plus encore que la défiance à l’égard de la « démocratie représentative » et la réticence à considérer que le peuple puisse déléguer sa volonté, c’est peut-être ce rôle accordé à l’imagination entendue comme instrument d’une extension du champ des possibles qui, au-delà des slogans de mai 68, relie la pensée de Rousseau à notre présent. Il faut pourtant commencer par souligner le paradoxe : si l’imagination joue un rôle central dans l’œuvre et la pensée de Rousseau, elle n’a rien de naturel au sein de son « système ». À l’état de nature, l’homme ne saurait en effet être défini comme un animal imaginant puisque son existence se réduit d’abord aux seules sensations physiques : « son imagination ne lui peint rien ; son cœur ne lui demande rien » (Discours sur l’origine de l’inégalité). Heureuse situation, à bien des égards, que cette inactivité originelle de la faculté imageante. À l’état civil, l’homme se caractérise, à l’inverse, par un inassouvissement perpétuel que suscite l’écart qui sépare nos désirs de ce qui est à notre portée ou en notre pouvoir. Procédant d’un développement funeste de la perfectibilité, l’imagination joue un rôle central dans les pathologies sociales qui caractérisent « l’homme de l’homme ». Aussi importe-t-il de préserver Émile, au moins en un premier temps, de toute ouverture au registre sans repère de l’imaginaire : l’enfant est ainsi soigneusement tenu à l’écart des livres et des miroirs, comme de tout objet qui pourrait se substituer à une connaissance immédiate de la réalité et éveiller prématurément ses désirs. Pour autant, chez Rousseau, l’imagination n’est pas, par elle-même, opératrice de dénaturation. Bien au contraire, elle est au principe de la pitié, seule passion naturelle avec l’amour de soi. Faculté de transport et d’identification, elle suppose l’aptitude au moins virtuelle à se mettre à la place d’autrui. Nul hasard si c’est à Rousseau que l’on doit l’usage du verbe identifier sous une forme pronominale qui implique que le sujet puisse se confondre en pensée ou en fait avec un être réel ou une figure fictive. Nul hasard non plus si Rousseau fait un usage remarquable d’une autre tournure pronominale : se figurer. Mais alors que la langue classique associait ce tour à une puissance illusoire (« Peut-on se figurer de si folles chimères ? » écrivait ainsi Boileau), Rousseau lui donne le plus souvent une valeur éminemment positive. On a souvent souligné, en particulier, la vertu consolatrice d’une imagination qui, chez Rousseau, permet d’édifier des fictions compensatrices face aux blessures ou aux frustrations qu’inflige le monde social. En témoignent de multiples pages des premiers livres des Confessions où la naïveté de Jean-Jacques et ses châteaux en Espagne apparaissent certes comme ce qui l’expose à tous les dangers (conformément au modèle picaresque) mais aussi et surtout comme ce qui le préserve de tous les maux de la société. Loin d’être seulement une propension coupable, l’abandon aux chimères possède aussi une vocation dynamique et créatrice dont le récit de la genèse de La Nouvelle Héloïse, relatée au livre IX des Confessions, offre le modèle exemplaire. La fiction romanesque y apparaît, en effet, tout entière dérivée de la puissance de l’imaginaire et de la force obsédante de certaines visions : ce sont bien des figures rêvées, des images ravissantes, des tableaux voluptueux qui auraient hanté Rousseau tout au long du processus de création de la Julie : « Je me figurai l’amour, l’amitié, les deux idoles de mon cœur, sous les plus ravissantes images. Je me plus à les orner de tous les charmes du sexe que j’avais toujours adoré. […] Je ne voulais ternir ce riant tableau par rien qui dégradât la nature ». La seule source de l’imagination romanesque étant supposée être un moi se repaissant de chimères pour compenser les frustrations du réel, l’écriture de Julie est tout d’abord donnée comme étrangère à tout projet littéraire et à toute inspiration livresque. Elle ne serait que le prolongement d’une forme de transe qui dépossède le sujet écrivant de toute maîtrise et de toute autorité littéraire. Mais cette dépossession est en réalité aussi l’affirmation d’une créativité proprement démiurgique et souverainement autarcique, le sujet écrivant tirant de lui-même toute la substance de son œuvre. La fonction fabulatrice qui se serait ainsi épanchée souverainement sans répondre à une quelconque intention littéraire semble le fruit d’une subjectivité à la fois productrice et consommatrice de ses propres fictions. Ce récit génétique permet de mesurer à quel point, chez l’auteur de La Nouvelle Héloïse, la création artistique n’est plus indexée sur la ressemblance avec une nature qui existerait à l’extérieur du sujet, mais procède d’une expérience vécue, tout à la fois réelle et imaginaire, en tout cas purement intérieure (d’où l’hommage insistant que lui a rendu Wilhelm Dilthey dans sa théorie de l’imagination). Les pouvoirs de l’imagination, chez Rousseau, sont donc loin d’avoir une vertu seulement consolatrice, et ils sont loin aussi de ne s’épanouir que dans le versant supposé « littéraire » de son œuvre. De la fécondité critique et théorique des chimères témoignent de multiples formules provocantes que Rousseau égrène au fil de ses textes, y compris les plus « systématiques » : « Lecteur, j’aurai beau faire […] vous direz : ce rêveur toujours sa chimère » lit-on dans Émile. En réalité, l’accusation doit se renverser : « Depuis longtemps [les lecteurs] me voient dans le pays des chimères ; moi, je les vois toujours dans le

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