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09.07.2025 à 19:30

« Au Congo, l’extractivisme détruit une économie fondée sur la relation »

David Maenda Kithoko  ·  Gloria Menayame

La guerre en RDC dure depuis 30 ans. Inéluctables conflits tribaux ? Non : ingérences étrangères pour le contrôle des métaux. Dans un entretien avec Celia Izoard, la juriste Gloria Menayame et le politiste David Maenda Kithoko dénoncent la malédiction, au Congo, de ne pas pouvoir se percevoir autrement que comme une ressource pour les puissances capitalistes.

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Texte intégral (5195 mots)
Temps de lecture : 16 minutes

Cet article est le second épisode d’une enquête en deux parties de Celia Izoard sur l’extractivisme minier en RDC. Premier épisode : « Un néo-colonialisme technologique : comment l’Europe encourage la prédation minière au Congo ».

Politiste, David Maenda Kithoko, 30 ans, est originaire de la ville d’Uvira, sur les rives du lac Tanganyika, à l’est de la RDC (République Démocratique du Congo). Avec sa famille, il a été réfugié successivement au Burundi, au Rwanda, aux Comores, à Mayotte puis à Lyon. Là, il a cofondé avec des amis Génération lumière, une association qui milite contre l’extractivisme et pour la paix en RDC.

Juriste, Gloria Menayame, 31 ans, a grandi dans la ville de Kisangani, sur les rives du fleuve Congo. Arrivée en France en 2017, elle fait partie de Génération Lumière et milite au sein de l’ONG Congolese Action Youth Platform (CAYP) et pour l’initiative Genocost, qui vise à faire reconnaître les crimes subis par le peuple congolais.

Propos recueillis par Celia Izoard.


Celia Izoard : Vous avez vécu la guerre pendant votre enfance au Congo. Que compreniez-vous alors du conflit ? Comment l’analysez-vous aujourd’hui ?

Gloria Menayame : J’avais 7 ans quand les forces rwandaises et ougandaises ont attaqué ma ville, Kisangani. Mon père est venu me chercher à l’école et nous sommes restés six jours dans la cave. En sortant j’ai découvert une ville méconnaissable, détruite. Un millier de personnes étaient mortes. Dans la Kisangani d’après-guerre, il y avait beaucoup de délinquance et de prostitution juvéniles. La ville à l’époque devait ressembler un peu à Goma avant qu’elle tombe ces derniers temps : il y avait partout des ONG locales et internationales. Je vivais en face du QG de la Monusco, le camp des casques bleus. Vers 14 ans, j’ai été parmi les premières personnes à être formées par l’UNICEF. Ils venaient de créer un programme pour former des jeunes à devenir des relais communautaires sur la santé et la délinquance, par exemple on animait des émissions de radio.

C’est depuis longtemps une région de mines artisanales d’or et de diamants. Tous les jeunes allaient travailler dans les mines d’or, à la « Sokimo » (Société minière de Kilo-moto). C’était une province riche. Il y avait beaucoup de « diamantifères », des gens du coin qui s’étaient enrichis en vendant des pierres précieuses.

Adolescente, je savais déjà que l’attaque de l’Ouganda et du Rwanda était liée à ces minéraux. Mais pour moi, l’expression « Diamants de sang », c’était juste un slogan, ça voulait dire que les gens se battent pour les diamants, pour en avoir plus que le voisin. Ça n’avait pas réellement de signification politique. C’est plus tard que j’ai découvert l’importance du tantale et de l’étain pour le secteur du numérique, et que j’ai compris que la guerre au Congo était liée à l’importance cruciale du commerce de métaux pour les puissances capitalistes.

Celia Izoard : Dans cette guerre qui frappe l’est du Congo depuis 30 ans, on a l’impression d’un état de chaos et de violence permanents dans lequel tout le monde meurt – des gens d’origines très diverses. Pourquoi l’appelez-vous « génocide » ?

Gloria Menayame : Au sein de l’ONG CAYP, nous parlons d’un « genocost », un génocide motivé par les gains économiques. Ce ne sont pas des guerres tribales où tout le monde est en train de s’entre-tuer, comme on nous le dit depuis l’Europe. Ce n’est pas un champ de bataille où des sauvages se massacrent parce qu’ils veulent tous avoir accès aux ressources. En RD Congo [RDC], il y a 450 ethnies et 250 langues différentes, cette pluralité n’est pas un problème en soi. La question, c’est : qui instrumentalise les groupes armés ? Derrière les revendications ethniques, foncières ou religieuses, on retrouve toujours les mêmes acteurs : le Rwanda, l’Ouganda, eux-mêmes soutenus par les grandes puissances.

À la longue, on en conclut que l’enjeu de cette guerre est de se débarrasser de la population pour avoir accès aux richesses.

Gloria Menayame

Ce n’est pas normal qu’une guerre dure 30 ans. J’ai 31 ans aujourd’hui et elle n’a jamais cessé. Elle a déjà fait 6 millions de morts et elle continue. La terreur, les exactions, l’usage du viol visent à détruire le socle social. Obliger des enfants à violer leur maman, par exemple, c’est briser toutes les règles de la société. Les femmes subissent des mutilations de leurs parties génitales, les chefs coutumiers sont systématiquement assassinés. C’est la possibilité même d’habiter ce territoire qui est détruite par les massacres. Car ce que les centaines de peuples qui vivent dans cette région ont de commun, c’est le fait d’être attaché à la terre – les noms bantous sont souvent liés à la terre. Teominaté : tu es celui/celle qui vient de telle colline, de tel endroit. Or il y a aujourd’hui dans le pays près de 7 millions de déplacés internes, plus que nulle part au monde. Le déracinement est massif. À la longue, on en conclut que l’enjeu de cette guerre est de se débarrasser de la population pour avoir accès aux richesses.

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Celia Izoard : Quand on pense à un génocide, on pense à la politique d’extermination nazie ou aux massacres des Tutsies – des crimes commis en quelques années ou en quelques mois. Mais ça peut aussi être un processus génocidaire qui se déroule sur un temps long, comme celui qui a fait disparaître la majorité des peuples autochtones de l’Amérique du Nord…

Gloria Menayame : Oui. Cette situation s’inscrit dans la continuité de l’histoire du Congo et même de sa création en tant qu’entité coloniale, en 1885, à la conférence de Berlin où les grandes puissances se sont partagé l’Afrique. Contrairement aux autres colonies, le Congo a alors été pensé comme un marché dans lequel chacune des puissances irait puiser des ressources, et ce, sans les Congolais·es. Le Congo n’existe que pour être pillé. Sous Leopold II de Belgique, c’était l’hévéa et le caoutchouc ; aujourd’hui ce sont les mines. Hier les occupants coupaient les mains des gens pour les obliger à travailler, aujourd’hui ils violent les femmes et ils précipitent les enfants dans les puits de mine. Il y est admis que la vie ne vaut rien et qu’elle peut être sacrifiée pour accéder aux ressources.

Le Congo n’existe que pour être pillé. Il y est admis que la vie ne vaut rien et qu’elle peut être sacrifiée pour accéder aux ressources.

Gloria Menayame 

Celia Izoard : Et pourtant l’armée congolaise et les groupes locaux comme les Maï Maï participent eux aussi à la terreur et à la guerre pour la prise de possession des carrés miniers…

Gloria Menayame : À la base, les Maï Maï sont des groupes d’autodéfense des villages. Ils n’avaient aucune revendication sur le contrôle des ressources. Mais ils font comme les autres : ils pratiquent la terreur et s’emparent des mines. Ils sont devenus des marchands de métaux précieux. Ils deviennent eux-mêmes bourreaux pour s’inscrire dans ce marché, dans cette économie de guerre. C’est aussi parce que la guerre a fait disparaître les autres possibilités de subsistance.


Les guerres du Kivu en République démocratique du Congo : 1994-2025

1994 Génocide au Rwanda. Le parti de Paul Kagamé l’emporte sur les extrémistes Hutus. Repli des géocidaires au Kivu.

1995 Création des Allied Democratic Forces (ADF), groupe armé ougandais affilié à l’État islamique

1996-1997 1ère guerre du Congo. Chute de Mobutu au Congo-Zaïre (actuelle RDC) après 32 ans de dictature soutenue par la France. Arrivée au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila avec l’appui du Rwanda (et du secteur minier occidental)

1998-2003 2ème guerre du Congo. Laurent-Désiré Kabila fait scission avec le Rwanda. Rébellion au Kivu soutenue par le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi

2000 Le Conseil de sécurité de l’ONU crée un groupe d’experts posté au Kivu pour surveiller les groupes armés et « réunir des informations sur toutes les activités relatives à l’exploitation illégale des ressources naturelles »

2001 En RDC, arrivée au pouvoir de Joseph Kabila, fils de Laurent Désiré Kabila

2004-2009 Guerre au Kivu. Le Rwanda soutient l’offensive du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) en RDC

2007 Accord minier RDC-Chine portant notamment sur l’extraction de cuivre et de cobalt au Katanga (sud du pays) et de diamants (province du Kasaï)

2010 Loi Dodd-Frank (USA) sur les minerais de conflit

2012-2013 Guerre au Kivu. Création du M23 (issu d’une scission du CNDP), vaincu en 2013

2016 Félix Tshisekedi devient président de RDC après des élections (truquées)

2017 Au Rwanda, Power Resources (GB) investit dans une fonderie de tantale

2018 Au Rwanda, Luma Holdings (Pologne) investit dans la fonderie d’étain en copropriété avec l’État

2019 Au Rwanda, création d’une raffinerie d’or

2021 Début de la nouvelle offensive du M23 au Kivu

2022 Annexion de la ville de Bunagana par les troupes du M23

2023 Accord de coopération entre la RDC et le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM), France

Février 2024 Accord minier UE-Rwanda

Juillet 2024 En France, l’association Génération Lumière organise une marche contre l’extractivisme

Décembre 2024 Accord minier UE-RDC

Janvier 2025 Annexion de la ville de Goma par le M23

Mai 2025 Accord minier USA-Rwanda. Accord de défense + mines USA-RDC

Celia Izoard : C’est un cercle vicieux, l’extractivisme crée la guerre, puis la guerre encourage l’extractivisme parce que l’agriculture n’est plus possible…?

Gloria Menayame : C’est ça, l’agriculture n’est pas compatible avec la guerre. La région de Goma et Bukavu, c’était vraiment traditionnellement la région nourricière, une zone volcanique, très fertile : production de lait, de pommes de terre, de fromages. Aujourd’hui le fromage et le saucisson ne se font plus à Goma. Il faut le faire venir de Gisenyi, de l’autre côté de la frontière, au Rwanda.

L’exploitation minière détruit le sol, le sous-sol, change la façon d’habiter la terre. La population de Goma et Bukavu était essentiellement formée d’agriculteurs et d’éleveurs, très attachée à la terre. Mais tout le monde se met dans le commerce des mines. À quoi bon faire de l’agriculture ? Tu vas avoir un troupeau de vaches et, du jour au lendemain, des rebelles vont venir tout brûler. Tu ne vas pas semer si ta récolte a de grandes chances d’être attaquée. Ce n’est pas viable. Donc les gens deviennent mineurs, transporteurs, vendeurs. Et comme on produit de moins en moins de nourriture dans la région, elle devient de plus en plus chère, donc il faut de plus en plus d’argent pour l’acheter. D’où vient cet argent, sinon de la vente des minerais ?

Ma ville natale, Kisangani, est presque une île sur le fleuve Congo. Si tu voulais manger du bon poisson frais, c’était là que tu allais. Quand j’étais petite, comme il y en avait tellement et qu’on ne pouvait pas le conserver, il était vendu le jour même ou jeté. Mais aujourd’hui, le poisson est devenu cher. Les Wagénias [les pêcheurs dits acrobates des chutes de Wagénia, sur le fleuve Congo] disent que « le poisson ne meurt plus », que les poissons sont tristes. Les poissons ne viennent plus, ils ne remontent plus à la surface. En fait c’est parce que le fleuve Congo est pollué, principalement par les mines.

Pêcheurs Wagénia sur la rivière Lualaba, près de Kisangani en République démocratique du Congo. Wikimedia.

Celia Izoard : L’expression la plus couramment associée au Congo est la « malédiction des ressources », qui indique le paradoxe d’un pays ravagé par la guerre et la pauvreté malgré toutes ses ressources naturelles. Mais parler de « malédiction », d’une sorte de mauvais sort, n’est-ce pas une manière de dissimuler la prédation ?

David Maenda Kithoko : Cette histoire de « malédiction des ressources » me hérisse les poils. Qui a maudit ? Qui met en place les instruments pour exécuter la malédiction ? À quel moment habiter à Bunagana devient une malédiction ? Dans la culture chrétienne, la malédiction sans cause est sans effet. Nous n’avons rien demandé. Nous n’avons rien fait d’autre que de naître et de vivre sur ce territoire.

C’est une expression qui est reprise comme si c’était une évidence. Nous sommes maudits. Ah bon ? Mais vous, quand vous exploitez ces ressources, vous n’êtes pas maudits ? Et l’Angleterre, qui a fait la Révolution industrielle grâce à toutes ses mines de charbon et de fer, pourquoi n’a-t-elle pas subi cette fameuse malédiction des ressources ?

Dire que le Congo est un « scandale géologique », c’est une manière de blâmer la victime. Tu nais sur un territoire qui, dans le regard de l’autre, est un appel. On t’a violée parce que tu étais attirante. C’est ta faute.

David Maenda Kithoko

Ça me fait penser à l’autre expression souvent employée pour parler de mon pays : le Congo serait un « scandale géologique ». C’est la formule qu’a employée le géologue belge Jules Cornet à son retour du Katanga, où il prospectait pour la colonie dans les années 1910. C’est un regard assez étrange. Il lorgne sur les cailloux. Il ne s’intéresse qu’au sous-sol, et pas aux êtres vivants qui sont au-dessus. Et il semble justifier par avance tous les crimes qui vont être commis, causés par ce « scandale géologique ». C’est une manière de blâmer la victime. Tu nais sur un territoire qui, dans le regard de l’autre, est un appel. On t’a violée parce que tu étais attirante. C’est ta faute. Ce scandale géologique a justifié la manière de tuer et de nous déshumaniser dans ce territoire. Cette idée des richesses irrésistibles semble là pour justifier les massacres, les viols, les atrocités qui ont lieu dans ma région.

Quand on parle de la France, on ne parle jamais de ses ressources minières, on parle de ce que l’esprit humain a créé, de la culture, de la gastronomie… mais pour les pays africains, on parle des minerais. Vous ne nous intéressez pas, ce sont les cailloux qui nous intéressent, vous êtes un scandale géologique. Alors qu’au Congo on a une production culturelle très importante, ne serait-ce que la musique [ndlr : Ninho, Tiakola, Dadju, SDM, Gims et Damso sont tous originaires de RDC].

Un exemple récent de cette supposée « malédiction » : l’accord minier signé en 2024 entre l’Union européenne et le Rwanda pour l’approvisionnement en métaux stratégiques, soi-disant pour la transition écologique. Génération lumière dénonce cet accord depuis plus d’un an : on sait depuis 25 ans que le Rwanda est le principal bénéficiaire des minerais de conflit pillés au Congo, et qu’il produit lui-même très peu de métaux. Or la signature de cet accord a coïncidé avec une montée en puissance de l’offensive du M23 et de l’armée rwandaise en RDC, et avec la prise de possession de Goma, de Bukavu et des principales zones minières du Kivu.

On a là un exemple très tangible de colonialisme visible, assumé. C’est une pure prédation de ressources au bénéfice des métropoles. Et on trouve toujours un argument moral pour justifier ça. Ici, les gouvernements européens utilisent l’alibi de la transition écologique pour faire accepter cette politique à leurs populations ; de même qu’à l’époque des colonies, l’argument invoqué était la défense de la civilisation contre la barbarie.

Des champs dans le Nord Kivu. Wikimedia.

Celia Izoard : Que vous inspire ce nouvel accord que viennent de conclure les USA avec la RDC et le Rwanda ? C’est un accord de paix entre le Rwanda et la RDC chapeauté par les États-Unis, qui ont signé avec chacun des deux pays un accord minier.

David Maenda Kithoko : Cet accord n’a aucune chance d’amener la paix, pas plus que les précédents. La même situation se rejoue sans cesse. En 2008, on a signé les accords de 100 ans avec la Chine, ils étaient censés durer un siècle et assurer la paix et le développement de routes et d’hôpitaux, en échange de concessions dans les mines de cuivre et de cobalt du Katanga, dans les mines d’or. Une dizaine d’années plus tard, les infrastructures ne sont pas là, mais la corruption et la pollution ont augmenté. Et la guerre se poursuit parce que les Occidentaux veulent reprendre la main sur les Chinois.

On conditionne la survie sur un territoire aux ressources de ce territoire. C’est le regard qui a toujours été porté sur le Congo.

David Maenda Kithoko

D’autre part, les États-Unis ont toujours allié, soutenu et financé le Rwanda. Ça me paraît étrange qu’ils prétendent nous protéger alors qu’ils ont fabriqué la puissance militaire qui nous agresse et qu’ils continuent à le soutenir. Cet accord de « paix » me paraît d’autant moins protecteur qu’il inclut un partenariat commercial avec le Rwanda sur l’étain et le tantale, des minerais qui ont de fortes chances de continuer à provenir du Kivu livré au feu et au sang. Les États-Unis ont toujours favorisé une stratégie de maintien du chaos en RDC, qui les avantage, et semblent continuer sur cette voie.

Je suis encore plus choqué que les dirigeants congolais eux-mêmes voient cela comme une porte de sortie et ne se questionnent pas sur cette valeur cardinale : nous sommes humains, nous n’avons pas besoin d’offrir quoi que ce soit en échange de la paix. Les prémisses de cet accord « défense contre ressources » sont colonialistes. On conditionne la survie sur un territoire aux ressources de ce territoire. C’est le regard qui a toujours été porté sur le Congo. C’est comme si les Congolais·es n’avaient droit à la vie qu’en tant que pourvoyeurs de ressources. On ne les préserve pas parce qu’ils ont le droit de vivre, mais pour les intérêts économiques extractivistes.

Pour aller plus loin, vous pouvez lire aussi dans Terrestres « Mines, bétail, soja : comment les multinationales saignent le Brésil » d’Erika Campelo, mai 2025.

Celia Izoard : Finalement, la malédiction, ce serait plutôt la cupidité des empires qui a transformé le pays en « ressources », ce qui fait qu’aujourd’hui, la classe politique et la population congolaise ont tendance à vouloir tirer parti de ce « scandale géologique » ?

David Maenda Kithoko : Oui, Les Congolais·es ont grandi dans un imaginaire totalement extractiviste et ont intégré cette image de leur pays comme scandale géologique. Comment sortir du modèle extractiviste quand il y a des expressions comme ça, qui banalisent le fait que tout un territoire, tout un pays, soient assignés à la mine ? À l’Assemblée nationale, le 29 mars 2024, j’ai assisté à une rencontre sur les projets de transformation de cobalt pour batteries en RDC, pour favoriser l’indépendance économique du pays. Après avoir entendu l’ambassadeur du Congo s’exprimer, je lui ai dit : « Qu’est-ce que c’est que cette manière de parler de nous ? Tout ce que tu dis là, c’est « venez acheter, venez prendre dans nos sous-sols ». » Est-ce qu’on ne peut pas se penser sans le désir européen, le désir des riches pour nos ressources ? Est-ce qu’on ne peut rien faire d’autre, jamais ? La malédiction, elle est là, de se percevoir comme ressource, de ne pas pouvoir se percevoir autrement que comme ressource. On a du mal à imaginer une forme de vie qui ne serait pas fondée sur la mine, on ne se projette que là-dedans. Derrière cet accord avec les Américains, il y a ce même présupposé – que, de toute façon, ce sera les mines. Dans le meilleur des cas, ce qui est dit c’est que le Congo doit exploiter ses ressources de manière équitable. Ce modèle-là sature nos imaginaires.

La malédiction, elle est là : de ne pas pouvoir se percevoir autrement que comme ressource. On a du mal à imaginer une forme de vie qui ne serait pas fondée sur la mine.

David Maenda Kithoko

Je suis contre. Et la santé des gens ? Et l’exploitation des forêts? Récemment, un de mes amis est parti travailler dans les mines du Nord Kivu, il est rentré malade. Il y a des rivières taries à cause des mines. On est capables d’imaginer une autre économie en Afrique, moins dépendante d’un marché mondialisé, moins violente avec la terre.

Dans ma ville natale, à Uvira, il y a le port sur le lac Tanganyka qui permet des échanges de produits agricoles et de pêche non seulement à l’intérieur du pays, mais aussi dans presque toute la région des Grands lacs. Il n’y a pas d’école d’ingénieurs nautiques, et pourtant les gens fabriquent des bateaux avec un savoir-faire exceptionnel. Il existe à Uvira une autre forme d’économie, une économie basée d’abord sur la relation. Les gens arrivent à créer des tontines, une forme d’épargne en dehors du système bancaire fondée sur la confiance. J’y ai également vu une sorte de mutualisation dans la construction des logements. Lorsqu’un jeune souhaite fonder un foyer, d’autres viennent l’aider à construire la maison et ainsi de suite. Cette économie encastrée dans la relation, ces formes de réciprocité à la Karl Polanyi, c’est précisément ce que détruit l’extractivisme minier au Congo.

Marche pour la paix en RDC et contre l’extractivisme entre Besançon le Parlement Européen de Strasbourg, juin-juillet 2024. Image : Association Génération Lumière.

Celia Izoard : Certes, on peut arrêter de s’identifier à la proie, mais il faut aussi que la prédation s’arrête… Qu’est-ce qui le permettrait, selon vous ?

David Maenda Kithoko : On dit chez nous : C’est à celui qui est ivre de travailler sur son ébriété. Le problème, c’est la demande pour ces ressources, c’est l’addiction à ces ressources. Cette société occidentalisée est régie par l’extractivisme. On bouffe les mines. Tu imagines qu’on fabrique maintenant des caleçons connectés… des gourdes connectées ! Tout ça, ce sont des minerais. Il faut lutter contre la surconsommation de métaux en Europe.

Pour aller vers cette désintoxication, il faut peut être commencer par prendre soin des objets. C’est-à-dire apprendre à réparer. Et donner à ce geste technique une ambition politique qui s’inscrit dans la réduction de la production, dans un souci du soin à la Terre et ceux et celles qui la peuplent. Le législateur doit créer un nouveau droit pour les citoyen·nes, le droit à réparer. Contraindre chaque fabricant à prévoir la réparabilité de ses produits, pour allonger la durée de vie des objets. Plus les outils durent, plus on questionne le modèle d’affaire de ces multinationales. En parallèle, il faut des politiques publiques du renoncement, appuyée par des campagnes de sensibilisation comme celle de l’Ademe [les « dévendeurs »] qui a été censurée.

Ce qui a changé, c’est qu’on met en avant, non pas seulement la corruption des élites du pays, mais aussi les dynamiques impérialistes et néo-coloniales qui l’entretiennent et qui sont la véritable cause de la guerre.

Gloria Menayame

Gloria Menayame : C’est difficile de rêver à une ouverture. Il faut comprendre que toutes les personnalités qui semblaient capables de changer le cours des choses ont été assassinées : Patrice Lumumba [1925-1961], Général Mamadou Ndala [1978-2014].

Pour autant, notre action n’est pas vaine. En 2022, la Cour internationale de justice a condamné l’Ouganda à verser 325 millions de dollars de réparations pour sa responsabilité dans la 2Guerre du Congo (1998-2003). Mais le Rwanda n’a pas été condamné, pas plus que les chefs de guerre congolais qui ont commis des exactions et qui font encore partie aujourd’hui du gouvernement de la RDC. L’ONG CAYP milite pour qu’ils soient jugés et que les responsabilités soient établies.

Chaque 2 août, le jour anniversaire du début de la 2e Guerre du Congo, nos organisations préparent une commémoration du génocide congolais. Cette date de commémoration a récemment été actée par une loi en RDC.

Pour garder espoir, on peut aussi dire que notre génération de la diaspora congolaise est mieux équipée pour comprendre et pour agir. La génération précédente nous a laissé des acquis, mais elle ne voyait le pouvoir qu’à travers une seule classe politique. C’était « Kabila dégage », parce qu’il avait été mis au pouvoir par le Rwanda, parce qu’il était corrompu – alors même qu’en RDC, beaucoup de gens le soutenaient. La diaspora ne parlait pas le même langage que les habitant·es. Aujourd’hui, nous pouvons faire signer des tribunes à des partenaires locaux à Goma ou à Kinshasa. Ce qui a changé, c’est qu’on met en avant, non pas seulement la corruption des élites du pays, mais aussi les dynamiques impérialistes et néo-coloniales qui l’entretiennent et qui sont la véritable cause de la guerre. Et cela renforce notre lien avec les habitant·es de là-bas, ça crée un pont.

Image d’ouverture : lac Kivu, 2024. Wikimedia.

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05.07.2025 à 11:56

Un néo-colonialisme technologique : comment l’Europe encourage la prédation minière au Congo

Celia Izoard

Nos technologies avalent un nombre croissant de minerais, dont une partie est arrachée dans la violence. Dans une captivante enquête sur l’extractivisme minier au Congo, Celia Izoard démontre la complicité de l’UE dans une économie de guerre : en signant un accord minier avec le Rwanda, la Commission soutient la terreur et le saccage dans la région du Kivu.

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Texte intégral (6794 mots)
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« Je ne veux plus entendre parler de « malédiction des ressources » pour décrire la situation du Congo… Qui a maudit ? Qui amène les instruments pour exécuter la malédiction ? À quel moment habiter à Bunagana

David Maenda Kithoko, co-fondateur de l’association Génération lumière, juin 2025.

Cet article est le premier épisode d’une enquête en deux parties de Celia Izoard sur l’extractivisme minier en RDC. Second épisode : « Au Congo, l’extractivisme détruit une économie fondée sur la relation ».

À l’été 2025, la guerre en République démocratique du Congo (RDC) a fait fuir 7 millions de personnes, dont 3,9 millions sont menacées de famine

Les projets d’ouverture de mines lancés en Europe ces dernières années ont tendance à faire oublier que les entreprises de notre continent ne pourraient en aucun cas se contenter de quelques milliers de tonnes de lithium extraites en Auvergne et de cuivre d’Espagne. Même si tous les projets miniers actuels voyaient le jour dans nos campagnes, ils seraient loin de pouvoir approvisionner la production d’avions, de satellites et de drones, les data centers et les réseaux, le BTP, les voitures électriques, la production d’armement en plein essor, etc. C’est la définition même d’un « mode de vie impérial » : les seules ressources européennes sont loin de pouvoir satisfaire le niveau de consommation européen (qui est en grande partie celui que le marché impose aux populations). Ainsi, la loi votée en 2023, le Critical Raw Materials Act, s’est fixé pour objectif d’approvisionner 10 % des besoins de l’Union par des mines « locales »

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Le but de cette politique est de « sécuriser les approvisionnements » en métaux (entendre : face à la concurrence chinoise et russe, entre autres) par des importations ou des accès garantis à des gisements. Ce qui s’est traduit depuis 2021 par la signature de « partenariats stratégiques » avec une quinzaine de pays : Canada, Ukraine, Kazakhstan…

Pourquoi le Rwanda ? Parce que ce pays de l’Est de l’Afrique, frontalier de la RDC, « est un acteur majeur au niveau mondial dans le secteur de l’extraction de tantale » et produit « de l’étain, de l’or, du tungstène », a justifié la Commission. Le tungstène est un métal très dur utilisé en armement et en aéronautique qui sert aussi, entre autres, à faire vibrer les téléphones. L’or est surtout destiné à fabriquer des lingots et des bijoux. Mais si l’Europe s’intéresse au Rwanda, c’est surtout pour le tantale et l’étain. Le tantale, métal bleu-gris issu d’un minéral nommé coltan, est principalement utilisé pour fabriquer les condensateurs présents dans les circuits imprimés de n’importe quel objet électronique. On en trouve aussi dans les écrans à cristaux liquides. Quant à l’étain, obtenu à partir d’un minéral nommé cassitérite, il est utilisé aux deux tiers dans les soudures et les connexions des circuits imprimés. La demande pour ces métaux connaît des pics réguliers depuis le lancement des premiers PC et des PlayStation dans les années 1990. Il suffit d’imaginer les milliards de circuits imprimés que peut contenir un data center pour comprendre que la course à l’intelligence artificielle les rend plus stratégiques que jamais.

De Celia Izoard, retrouvez aussi dans Terrestres « La ruée minière au XXIe siècle », paru en janvier 2024.

Où sont les mines ?

Le problème, c’est que les minéraux vendus par le Rwanda sont majoritairement un butin de guerre et non une industrie nationale. Le secteur minier représente près de 70 % des exportations rwandaises. Mais dans ce pays densément peuplé et très agricole, plus petit que la région Normandie, les mines sont rares. Le gouvernement et les entreprises minières du pays ont toujours refusé de publier les tonnages produits sur chaque site d’extraction, ce qui est pourtant une information de base que l’on peut trouver, même dans le secteur réputé opaque des matières premières. Faute de mieux, les capacités de production du Rwanda ne peuvent qu’être estimées. Les experts jugent que ses mines de coltan pourraient en produire moins de 100 tonnes par an, alors que le Rwanda en a exporté près de 2000 tonnes en 2023

Selon l’agence Ecofin et l’ONG anglaise Global Witness, 90 % des minéraux exportés et taxés par le Rwanda proviendraient de mines situées en République démocratique du Congo. À moins de cent de kilomètres de la frontière, de l’autre côté du lac Kivu, ces collines abritent les gisements de coltan (tantale) les plus riches de la planète. Comme par exemple la mine de Rubaya, une sorte d’immense taupinière ocre perchée au milieu de la forêt tropicale. Parsemée de puits de mine creusés à la main et périlleusement étayés, elle produit à elle seule au moins 20 % du coltan mondial. Plus au sud, entre Bukavu et Uvira, la cassitérite (étain) est exploitée à faible profondeur sur les collines ou dans le lit des rivières.

Selon l’agence Ecofin et l’ONG anglaise Global Witness, 90 % des minéraux exportés et taxés par le Rwanda proviendraient de mines situées en République démocratique du Congo.

Mine de coltan de Luwowo près de Rubaya, Nord-Kivu, mars 2014. MONUSCO/Sylvain Liechti. Wikimedia.

Du nord au sud, les gisements d’or parsèment toute la bande côtière des Grands Lacs, du lac Edward au lac Tanganyika. Contrairement à cette région minière du sud de la RDC appelée le Katanga, où de grandes entreprises principalement chinoises exploitent le cuivre et le cobalt, il n’existe pas de mégamines industrielles dans le Kivu. La plupart des mines sont artisanales, et ceux qui s’y risquent sont des travailleurs migrants, réfugiés de guerre ou anciens soldats, des mineurs unis en coopérative ou encore des enfants. Ils seraient plusieurs dizaines de milliers à s’y activer, toujours menacés d’être rackettés ou réduits au travail forcé par des groupes armés.

La plupart de ces minéraux bruts sont ensuite achetés par des négociants-contrebandiers qui les revendent dans les comptoirs d’exportation de Goma, la capitale régionale congolaise. « L’intégralité des ressources minières de l’est du pays [la RDC], explique Pierre Jacquemot, ex-ambassadeur de France à Kinshasa, est exportée après une première transformation par deux corridors principaux bien organisés : Nord (la voie ougandaise) et Centre (la voie rwandaise) conduisant à Mombasa et Dar es Salam, pour se poursuivre vers l’Europe, les Émirats arabes et l’Asie. (…) L’État congolais ne perçoit évidemment aucun revenu sur ces flux. »

Le pillage du Kivu est certainement le trafic de matières premières le plus documenté au monde.

Cette situation, le groupe d’experts des Nations unies, posté au Kivu depuis la Première guerre du Congo, l’a décrite dans chacun de ses rapports semestriels depuis 2001. Des dizaines d’ONG l’ont analysée et dénoncée. Le pillage du Kivu est certainement le trafic de matières premières le plus documenté au monde. C’est de là que vient l’expression tristement connue de « minerais de conflits ». Reparcourir les grandes lignes de cette histoire permet de comprendre que la Commission européenne, en signant cet accord avec le Rwanda, a choisi de s’associer à une économie de guerre.

Carte issue de l’enquête « La laverie ITSCI » de l’ONG Global witness (2022).

Au Kivu, une économie de guerre extractive

Dans cette région de l’est du Congo, la guerre a commencé en 1995, dans le sillage du génocide des Tutsis au Rwanda. En 1994, l’armée du Rwanda, dominée par des extrémistes hutus, responsable de l’assassinat de près d’un million de Tutsis, s’est repliée au Kivu. La France avait misé sur ce gouvernement génocidaire pour protéger ses intérêts : elle l’a soutenu et armé pendant les massacres

En signant cet accord avec le Rwanda, la Commission européenne a choisi de s’associer à une économie de guerre.

Depuis trente ans, les réseaux des génocidaires hutus se sont maintenus au Kivu, dans une région habitée depuis toujours par des communautés tutsies

Depuis 25 ans, ces groupes armés se financent grâce à la contrebande de minéraux, s’intéressant à tel ou tel métal en fonction de l’évolution des cours mondiaux : étain, tantale, niobium, tungstène, or…. Leurs objectifs immédiats sont de s’emparer des carrés miniers, de racketter les mineurs ou les transporteurs, de dévaliser les entrepôts. Pour prendre le contrôle de ces mines en obligeant les mineurs à travailler pour eux ou en prélevant leur dîme au détriment des autres milices, chacun de ces groupes doit instaurer un climat de terreur plus intense que ses concurrents. Le viol des filles et des femmes des villages y est une véritable « stratégie militaire à des fins minières », selon l’expression de Fabien Lebrun dans son livre Barbarie numérique

Les guerres et les affrontements qui se sont succédé au Kivu depuis trente ans auraient fait six millions de morts

Derrière le chaos apparent des conflits ethniques et historiques se maintient donc une économie de guerre étroitement intégrée aux chaînes d’approvisionnement mondiales.

Derrière le chaos apparent des conflits ethniques et historiques se maintient donc une économie de guerre étroitement intégrée aux chaînes d’approvisionnement mondiales. Que ce soit l’un ou l’autre des groupes armés qui contrôle les mines ou rackette les mineurs, les minéraux bruts arrivent dans les comptoirs de Goma d’où ils sont expédiés vers les fonderies d’Asie, avant de parvenir, sous la forme de métal ultra-pur, aux usines d’électronique, puis incorporés, pulvérisés en milliards de points microscopiques, aux téléphones, tablettes, consoles de jeux, ordinateurs, serveurs, etc. À la suite de l’écrivain Christophe Boltanski (Minerais de sang, 2012), Fabien Lebrun (Barbarie numérique, 2024) l’a obstinément décrit. Depuis un quart de siècle, les mines de coltan et d’étain du Kivu ont alimenté la chaîne d’approvisionnement de la Silicon Valley : les PlayStation de Sony, les téléphones de Motorola et les Macintosh d’Apple dans les années 2000, puis les iPhone d’Apple à partir des années 2010, les iPad, les objets connectés, les data centers, etc.

La croissance du Rwanda fondée sur le commerce de métaux stratégiques

En février 2024, quand l’UE signe cet accord minier avec le Rwanda, on sait depuis un quart de siècle que cet État est le principal bénéficiaire du pillage des minerais de la région des Grands Lacs. Dès 2001, le groupe d’experts des Nations unies décrivait le fonctionnement de l’économie de guerre mise sur pied par l’armée rwandaise, occupant la RDC avec 25 000 soldats au motif de traquer les anciens génocidaires hutus du Front démocratique de libération du Rwanda (FDLR). Une cellule spéciale, le « Bureau Congo », était alors chargée du trafic de minéraux qui partaient par avion pour la capitale du Rwanda, Kigali. Elle était gérée « directement par l’armée en étroite collaboration avec le gouvernement ». Les sociétés exploitant les minerais congolais, écrivent alors les experts de l’ONU, « appartiennent au gouvernement ou à des personnes très proches du Président Kagame

Dès 2001, le groupe d’experts des Nations unies décrivait le fonctionnement de l’économie de guerre mise sur pied par l’armée rwandaise.

En 2006, le gouvernement rwandais armait discrètement une organisation congolaise nommée Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), dont le but était de reconquérir la RDC. Le CNDP occupe alors la ville de Goma et un territoire deux fois grand comme le Rwanda. À l’époque, un ancien rapporteur de l’ONU posté au Kivu, interviewé par le journaliste Christophe Boltanski, raconte : « Sous le prétexte de lutter contre les FDLR [extrémistes hutus], le Rwandais Paul Kagamé procède à un pillage organisé du Kivu. Une grande partie de l’économie de son pays en dépend. » Cet expert a démontré au Comité des sanctions de l’ONU qu’en six mois, le Rwanda avait augmenté de 100 à 150 % ses exportations de ressources naturelles alors que les trois quarts de ses mines étaient fermées

Au début des années 2020, la situation du Kivu n’a pas beaucoup changé, sauf que la rébellion congolaise armée par le Rwanda ne s’appelle plus le CNDP mais le M23, le Mouvement du 23 maiBillets d’Afrique, « si la stigmatisation des Tutsis du Congo est une réalité historique indéniable et la question de leur accès à la propriété foncière un problème non résolu, ces injustices semblent surtout faire figure de prétexte. La résurgence du M23 n’est pas précédée par une recrudescence particulière des violences dans sa zone. Au contraire, écrit-il, c’est la reprise de la guerre et le soutien militaire du Rwanda qui ont eu pour effet de raviver dramatiquement le racisme et les persécutions contre les Tutsis. La communauté tutsie n’a pas non plus été épargnée par le M23 en matière de recrutements forcés, y compris d’enfants, dans les camps de réfugiés

Mais alors qu’est-ce qui motive l’offensive rwandaise ? Plus sûrement, la volonté du pays de conforter sa position d’acteur de premier plan sur le marché des matières premières. Le Rwanda a fait de l’exportation de métaux précieux son principal moteur de croissance. Sa puissance économique et géostratégique et ses appuis occidentaux en dépendent. Le gouvernement s’est fixé pour objectif de doubler ses revenus d’exportation de minéraux pour atteindre 1,5 milliard de dollars en 2024

Le Rwanda a fait de l’exportation de métaux précieux son principal moteur de croissance.

Les investisseurs occidentaux comptent aussi sur le pays. L’UE est le principal financeur étranger du Rwanda, avec des investissements atteignant 210 millions de dollars en 2022. Avec son aide, Kigali est en train de devenir le centre métallurgique de la région des Grands Lacs. En 2018, une entreprise d’intelligence artificielle polonaise domiciliée à Malte, Luma Holdings, a racheté l’unique fonderie d’étain du pays, qui avait fermé ses portes en 2005 faute de matière première. En co-propriété avec l’État rwandais qui détient un quart des parts, elle vise à fournir le marché des véhicules électriques, de la robotique et de l’IA. La fonderie dispose d’un second haut-fourneau qu’elle espère mettre en service si elle parvient à doubler son approvisionnement en minerai d’étain (passer de 360 à 720 tonnes par mois)

Conseil d’administration de l’entreprise Luma Holdings, qui vise à fournir le marché des véhicules électriques, de la robotique et de l’IA.

En 2017, l’entreprise britannique Power Resources, domiciliée à Malte, a investi dans la construction d’une fonderie de tantale. Si elle prévoit aussi de développer l’extraction de coltan au Rwanda, ses besoins en matière première risquent d’être conséquents, puisque la même entreprise a construit en 2017 une fonderie de tantale en Macédoine. Elle a signé dès son lancement un contrat d’approvisionnement avec Apple

Pour aller plus loin, vous pouvez lire aussi dans Terrestres « « ChatGPT, c’est juste un outil! » : les impensés de la vision instrumentale de la technique » d’Olivier Lefebvre, juin 2025.

« Rwanda, votre porte d’entrée en Afrique »

En 2021, le M23 s’est reformé après sa défaite de 2012 et a commencé à annexer des territoires du Kivu en prenant possession des carrés miniers. En juin 2022, il a envahi Bunagana, une cité stratégique située à 60 km de Goma, la capitale du Nord-Kivu. Le président Kagame a beau nier l’implication directe de l’armée rwandaise au sein du M23, elle est établie : le Rwanda viole l’intégrité territoriale du pays voisin. En juin 2023, tandis que le M23 continue son offensive, avec l’appui évident de l’armée rwandaise, une centaine d’entreprises européennes se réunissent à Kigali pour un « EU Business Forum » coorganisé par l’UE et le gouvernement du Rwanda. On y rencontre le patron polonais de Luma Holdings, ainsi que le directeur général des partenariats de la Commission européenne. Le titre du forum est évocateur : « Rwanda, your gateway to Africa » (« Rwanda, votre porte d’entrée en Afrique »). De fait, tout indique que ces investissements visent à faire du Rwanda une porte d’entrée vers la région du Kivu pour intercepter les minerais avant qu’ils ne partent dans les circuits de vente asiatiques, et donc à concurrencer la Chine. Le but est de casser les monopoles chinois sur les matières premières afin d’offrir de nouvelles chaînes d’approvisionnement aux entreprises européennes.

Le M23 poursuit son annexion du Kivu face à des soldats congolais peu payés et souvent corrompus. Les soldats kenyans, burundais et ougandais de l’armée de la Communauté d’Afrique de l’Est, formée en 2022, ont dû battre en retraite

Le but est de casser les monopoles chinois sur les matières premières afin d’offrir de nouvelles chaînes d’approvisionnement aux entreprises européennes.

Pourtant, malgré cette conclusion limpide, deux mois plus tard, la Commission européenne signe avec le Rwanda ce fameux partenariat sur les métaux, assorti d’un plan d’investissement de 900 millions d’euros. Le Rwanda vient d’annoncer fièrement que ses revenus miniers sont « montés en flèche, passant de 71 millions de dollars en 2010 à 1,1 milliard en 2023 ». Bien sûr, cette ascension fulgurante n’a officiellement aucun rapport avec les conquêtes du M23 au Kivu. Selon le Bureau des mines, l’augmentation de 43 % entre 2022 et 2023 serait « due à une croissance de la valeur ajoutée et des investissements dans la mécanisation, ainsi que par la mise en œuvre stratégique de pratiques minières responsables et durables ». Des efforts que l’accord minier semble récompenser : sur le papier, il vise à rien de moins que « le renforcement du devoir de vigilance et de la traçabilité, la collaboration dans la lutte contre le trafic illicite de matières premières et l’alignement sur les normes internationales en matière environnementale, sociale et de gouvernance »

Carte : Division géographique de la direction des Archives du ministère des Affaires étrangères et européennes, novembre 2008.

Une vaste opération de blanchiment

Pour les personnes qui s’intéressent aux minerais de conflit dans le Kivu, ce dernier passage a dû sembler, non pas seulement déconcertant, mais parfaitement loufoque. Le gouvernement de Paul Kagame peut-il être un partenaire dans la lutte contre le trafic illicite de matières premières ? Non seulement les rapports semestriels de l’ONU ont montré depuis plus de vingt ans qu’il était complice et bénéficiaire de la guerre des métaux au Kivu, mais en avril 2022, l’ONG anglaise Global Witness a publié une enquête accablante sur la question. Le document d’une centaine de pages, fruit d’une investigation de terrain et de deux ans de travail, s’intitule The ITSCI Laudromat (« La laverie ITSCI »). Il s’est intéressé au programme « ITSCI », un système de traçabilité mis en place pour lutter contre l’importation de coltan, d’étain et de tungstène au profit des groupes armés.

Le programme ITSCI a été créé il y a une quinzaine d’années, justement parce que l’accumulation de rapports sur le Congo décrivant les massacres sur fond de trafic de minerais commençait à ternir l’image de marque des entreprises de la Silicon Valley. En 2010, le gouvernement Obama vote la loi Dodd-Frank (destinée à discipliner la finance après la crise des subprimes) qui contient un article sur les « minerais de conflit ». Toute entreprise qui utilise dans ses produits de l’étain, du tantale ou du tungstène (les « 3T », en anglais) devra désormais auditer sa chaîne d’approvisionnement pour s’assurer que les minéraux ne proviennent pas des bandes armées du Kivu. Au Rwanda, l’association du commerce mondial de l’étain met alors en place ITSCI pour étiqueter les minerais extraits dans la région des Grands Lacs. Jusqu’à aujourd’hui, c’est sur cet étiquetage que se reposent la plupart des grandes marques pour justifier la provenance des 3T composant leurs appareils.

L’ONG Global Witness a montré que le programme « ITSCI », un système de traçabilité mis en place pour lutter contre l’importation de métaux au profit des groupes armés, fonctionne en fait comme un système de blanchiment.

Pourtant, dès 2012, les experts de l’ONU considèrent ce système comme inopérant : « La crédibilité du système rwandais de certification des minerais est menacée par le blanchiment de produits miniers congolais, les certificats d’origine étant couramment vendus par les coopératives minières, écrivent-ils. Plusieurs négociants ont financé le M23 au moyen des bénéfices qu’ils tirent de la contrebande de minerais d’origine congolaise au Rwanda

Ce que démontre Global Witness dix ans plus tard, ce n’est pas qu’ITSCI ne fonctionne pas, c’est qu’il fonctionne comme un système de blanchiment. Il a été fondé par un proche de Paul Kagame qui supervisait les opérations minières du Congo Desk, le Britannique David Bensusan. Directeur général de Minerals Supply Africa (MSA) et réputé à Kigali le « roi du commerce », il commerçait un tiers de tous les 3T du Rwanda. Décédé en 2021, Bensusan aurait souvent affirmé avoir fondé ITSCI avec le Général James Kabarebe, ex-ministre de la Défense du Rwanda et actuel conseiller de Paul Kagame. « Au Rwanda, dès le début, écrivent les enquêteurs, le système ITSCI semble avoir été utilisé pour blanchir d’énormes volumes de minerais introduits en contrebande depuis la RDC, ce qui a permis au Rwanda de continuer à profiter des ressources du pays voisin. Certaines sources proches de l’industrie considèrent que le blanchiment de minerais frauduleux de la RDC au Rwanda serait la véritable raison d’être du programme ITSCI. »

Un autre négociant de 3T au Rwanda, l’homme d’affaires suisse Chris Huber, a même créé un système de « mines factices » en utilisant des carrières désaffectées. Global Witness a interviewé un jeune ingénieur recruté un temps par ITSCI, qui raconte : « Tous les deux mois, des hommes du voisinage étaient réunis et habillés en mineurs avec des casques pour donner l’impression que les mines étaient actives. Une fois quelques photos prises, on les renvoyait chez eux. » En 2020 et 2021, en visitant les mines d’où étaient censés provenir les métaux exportés par le Rwanda, les enquêteurs de Global Witness et de l’ONU les ont trouvées « à l’abandon », « sans aucune trace d’activité » ou très peu exploitées. Elles servaient manifestement au stockage et à l’étiquetage des minerais revendus par les groupes armés.

La Commission européenne a signé, en toute connaissance de cause, un accord de recel.

Mais dans tous les cas, en février 2024, au moment de la signature de cet accord minier, l’avancée du M23 au Kivu a fait voler en éclats la façade qui aurait permis de prétendre à une quelconque traçabilité des minerais au Rwanda. Dès mars 2023, les fonctionnaires d’ITSCI ont été obligés de déclarer la suspension du programme dans toute la région de Masisi, occupée. À mesure de l’avancée des troupes de l’Alliance du Fleuve Congo

Utiliser les conflits ethniques pour invisibiliser la question des minerais

« Qu’est-ce que vous voulez ? Vous les avez déjà obtenues, vos indépendances, non ? », s’est écrié un habitant de la banlieue de Mulhouse qui promenait son chien, à la vue des drapeaux congolais et des marcheurs et marcheuses à la peau noire. En ce 1er juillet 2024, au lendemain du premier tour des élections législatives où le Rassemblement national est arrivé en tête, ils sont une vingtaine à traverser l’est de la France. Partie de Besançon à destination du Parlement européen de Strasbourg, cette marche contre l’extractivisme est organisée par l’association Génération lumière, fondée par des jeunes de la diaspora congolaise en France

Marche de l’association Génération Lumière contre l’extractivisme pour la paix en République Démocratique du Congo.

La signature de l’accord minier UE-Rwanda début 2024 coïncide avec une amplification historique de l’offensive rwandaise au Kivu. En avril 2024, le groupe d’experts de l’ONU note que « le M23 et la RDF [armée rwandaise] ont renforcé leurs opérations conjointes grâce à des technologies et du matériel militaires de pointe ». L’armée rwandaise a déployé 3000 soldats et « contrôle de facto les opérations du M23 » qui visent « l’expansion territoriale et l’occupation et l’exploitation à long terme des territoires conquis ». Leur « zone d’influence [est] la plus vaste jamais enregistrée, représentant une augmentation de 70 % par rapport à novembre 2023, y compris de nouvelles zones qu’ils n’avaient jamais contrôlées auparavant ». Goma, la capitale régionale du Kivu, abritant plus d’un million d’habitants, est encerclée. La coalition « contrôle la ville de Rubaya et toute la zone minière autour de Rubaya, où le coltan, l’étain et le manganèse continuent d’être extraits », mais aussi les « centres de négoce à Rubaya et Mushaki ainsi que des routes de transport des minéraux de Rubaya au Rwanda, où ceux-ci [sont] mélangés à la production rwandaise. Selon ces mêmes experts, « Il s’agit de la contamination la plus importante jamais enregistrée des chaînes d’approvisionnement par des minéraux « 3T » (étain, tantale et tungstène) non certifiés, dans la région des Grands Lacs, ces dix dernières années ».

La signature de l’accord minier UE-Rwanda début 2024 coïncide avec une amplification historique de l’offensive rwandaise au Kivu.

L’équipe de l’ONU insiste sur le fait que « l’extraction frauduleuse, le commerce et l’exportation vers le Rwanda des minéraux de Rubaya ont bénéficié à la fois à la coalition AFC-M23 et à l’économie rwandaise. Le M23 a mis en place une véritable « administration minière » dans les territoires occupés, la seule mine de coltan de Rubaya rapportant 800 000 dollars par mois au M23. De toute évidence, le gouvernement rwandais a interprété l’accord minier européen comme une validation de son annexion du Kivu.

Pourtant, les mois suivants, alors que le M23 poursuit ses exactions, l’accord n’est pas remis en cause. À la veille de la commémoration du génocide des Tutsis au Rwanda, une délégation française vient signer à Kigali un plan d’investissement de 400 millions d’euros pour la période 2024-2028. En novembre 2024, le Conseil de l’Europe vote le versement d’une deuxième tranche d’aide militaire de 20 millions d’euros au Rwanda dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix. Ces fonds sont officiellement destinés au déploiement de troupes rwandaises en Mozambique pour combattre la rébellion islamiste, qui menace un gigantesque projet de gaz naturel liquéfié de Total et Exxon Mobil (il a été calculé que ce projet émettrait entre 3,3 et 4,5 milliards de tonnes de CO2, soit plus que l’Union européenne en une année). Comment le financement de l’armée rwandaise pourrait-il ne pas financer l’offensive au Kivu ? Cette aide militaire « pour la paix » est critiquée de toutes parts, mais maintenue.

Alors que le M23 poursuit ses exactions, l’accord minier européen n’est pas remis en cause.

Janvier 2025. L’Alliance Fleuve Congo-M23 occupe Goma, la capitale régionale. Aux côtés de l’armée congolaise, les Casques bleus de la Monusco ont échoué à défendre la ville, tout comme les mercenaires roumains embauchés par le gouvernement de RDC via une société de sécurité française

Site web de Traxys, géant mondial du négoce de matières premières

Pendant ce temps, dans Goma occupée par le M23, un prêtre de la ville témoigne : « Le pillage, le viol et les exactions perpétrées par des hommes armés de diverses factions ont creusé de profondes cicatrices. Plus de cent jours après les combats, les blessures restent à vif, dans les corps et la mémoire collective de la population. La liberté d’expression, la dignité humaine, le droit à la vie et à la paix ont été brutalement violés. Aujourd’hui, la terreur est imposée par les tirs et les tabassages. Le système judiciaire s’est effondré. Les tribunaux ont été remplacés par des centres de détention qui, en pratique, fonctionnent comme des chambres de torture

Pour aller plus loin, vous pouvez lire aussi dans Terrestres « Économie numérique : la mue du système capitaliste contemporain » d’Hélène Tordjman, mai 2021.

KoBold Metals et la Silicon Valley : le retour de l’impérialisme étatsunien

Au printemps 2025, un an après la signature de l’accord minier, l’armée rwandaise et le M23 ont annexé en RDC un territoire grand comme la moitié du Rwanda qui comprend les principales zones minières du Kivu : les gisements d’or, de tantale et d’étain. Le Premier ministre rwandais annonce que l’État a dépassé ses objectifs d’exportation de minéraux pour l’année 2024, avec un revenu de 1,7 milliard de dollars, contre 373 millions en 2017. Les États-Unis ont pris quelques sanctions : l’Office de contrôle des actifs étrangers a gelé les avoirs et interdit les transactions financières de plusieurs personnalités liées au M23, comme James Kabarebe, ancien ministre de la Défense du Rwanda et actuel conseiller spécial du président Paul Kagame, sanctionné pour son soutien armé au M23, et Lawrence Kanyuka Kingston, porte-parole officiel de l’AFC-M23. Sont aussi visées deux entreprises, « Kingston Fresh Ltd (Royaume-Uni) et Kingston Holding SAS (France), deux sociétés-écrans accusées de participer au commerce illégal de minerais extraits des zones sous contrôle du M23, écrit l’agence étatsunienne. Ces entreprises auraient facilité l’exportation d’or et de coltan, en contournant les mécanismes de traçabilité internationaux et en fournissant au M23 un financement indispensable à son expansion militaire

Finalement, après les premières sanctions américaines et sous la pression des parlementaires européens, en mars 2025, le Conseil de l’UE a gelé les avoirs et interdit le séjour en Europe de huit dirigeants du M23 et du directeur général de l’Office rwandais des mines accusé de « commerce illicite de ressources naturelles ». La raffinerie d’or de Kigali, Aldango Ltd, est sanctionnée

Les décisions politiques ayant conduit au génocide de 1994 sont aujourd’hui reproduites à l’identique.

Emmanuel Macron soigne sa relation avec Paul Kagame, qu’il présente comme une solidarité post-génocide. Pourtant, les décisions politiques ayant conduit au génocide de 1994 sont aujourd’hui reproduites à l’identique. Pour utiliser le Rwanda comme « porte d’entrée » en Afrique de l’Est et protéger ses intérêts industriels, l’État français a choisi en toute connaissance de cause de prendre le parti de l’agresseur.

Une autre conséquence de cet impérialisme minier européen est d’avoir permis aux États-Unis de regagner leur influence dans la région des Grands Lacs. Car le M23, armé par les fonds publics européens, a jusqu’ici vaincu toutes les forces armées chargées de protéger l’intégrité territoriale de la RDC et de faire respecter les accords de paix. Alors la valse des mafias impériales se poursuit au Congo. En avril 2025, en désespoir de cause, le gouvernement congolais a lancé un appel à l’administration Trump pour lui proposer un accord « minerais contre soutien militaire » sur le modèle de l’accord conclu avec l’Ukraine pour les terres rares. Proposition à laquelle l’exécutif étatsunien s’est empressé de répondre, puisque l’une de ses priorités est justement de regagner l’accès aux mirifiques gisements de cuivre et de cobalt du Katanga, au sud de la RDC, dont les entreprises occidentales ont été privées suite à un accord minier RDC-Chine en 2007. Donald Trump a donc négocié l’accord en compagnie d’Erik Prince, le fondateur de Blackwater, l’entreprise de mercenaires qui s’est illustrée pendant la guerre en Irak. Quelques jours plus tard, une entreprise minière étatsunienne nommée KoBold a annoncé qu’elle venait d’obtenir l’un des principaux gisements de lithium de la RDC, pourtant revendiqué par une entreprise chinoise, Zijin Mining. Pur produit de la ruée minière portée par la Silicon Valley, KoBold est principalement financée par Jeff Bezos (Amazon), Bill Gates (Microsoft) et Sam Altman (Open IA, l’entreprise de Chat GPT)

Site Internet de KoBold Metals.

Mais pas plus que la Commission européenne, le gouvernement des États-Unis ne cherche à faire cesser l’expansionnisme du Rwanda. Telle est la loi d’airain des impérialismes : ne jamais suspendre ses intérêts à la victoire de l’un ou l’autre camp. En juin 2025, Donald Trump chapeaute la signature d’un accord de paix RDC-Rwanda tout en officialisant avec Kigali un accord minier pour l’importation d’étain, de tantale et de tungstène. Cet accord est justifié dans les mêmes termes fabuleusement hypocrites que la Commission européenne en 2024 : il vise à « renforcer la traçabilité des minerais de conflits »

Si l’on s’en tient aux événements qui se sont déroulés au Kivu en 2023-2025, la responsabilité de l’Union européenne est accablante.

Pouvons-nous, depuis l’Europe, nous borner à constater que cette guerre — l’une des guerres les plus dévastatrices du continent africain depuis 30 ans — est « très complexe », qu’elle a des « causes multiples » liées à l’histoire locale et coloniale sur lesquelles nous ne saurions nous prononcer ? Si l’on s’en tient aux événements qui se sont déroulés au Kivu en 2023-2025, la responsabilité de l’Union européenne est accablante. Sa stratégie impériale a consisté à se brancher sur une économie de guerre pour en capter le butin avant les puissances concurrentes. Qu’elles produisent des avions, des armes, des satellites ou des objets connectés, les entreprises européennes en sont responsables, non seulement en tant que bénéficiaires, mais aussi parce qu’elles font pression sur nos dirigeants pour qu’ils assurent notre soi-disant « souveraineté minérale » : c’est-à-dire, en réalité, pour qu’ils mènent des politiques impériales de façon à leur fournir les matières premières dont elles ont besoin.

C’est ainsi que des régions et des pays entiers se retrouvent piégés dans un destin extractiviste. Dans le meilleur des cas, dans une mono-industrie minière exclusive, destructrice et corruptrice. Dans le pire des cas, comme au Kivu, dans un cauchemar interminable de massacres, de viols et de travaux forcés.


Image d’accueil : Mine de coltan de Luwowo près de Rubaya, Nord-Kivu, mars 2014. MONUSCO/Sylvain Liechti. Wikimedia.

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