07.07.2025 à 01:00
Human Rights Watch
(New York, 6 juillet 2025) – Dix ans après le lancement de l’opération « Répression 709 » ciblant les avocats défenseurs droits humains, le gouvernement chinois continue de persécuter et de réduire au silence les avocats qui dénoncent les abus commis par les autorités, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Le Parti communiste chinois a également renforcé le contrôle idéologique sur la profession juridique au sens large.
En juillet 2015, la police chinoise a arrêté et interrogé environ 300 avocats, assistants juridiques et activistes à travers le pays ; ces personnes étaient membres d'une communauté informelle connue sous le nom de « mouvement de défense des droits », dont l'influence avait augmenté entre 2003 et 2013. Parmi les individus arrêtés, certains ont été victimes de disparition forcée pendant des mois et torturés, et dix ont été condamnés à de lourdes peines de prison. Au cours de la décennie qui a suivi, les autorités ont soumis nombre d'entre eux à la surveillance, au harcèlement, à l'humiliation publique et a des punitions collectives ; dans certains cas, elles ont révoqué ou annulé leur licence ou celles de leur cabinet d'avocats.
« Sous Xi Jinping, le gouvernement chinois cherche à éradiquer l'influence des avocats qui défendent les droits humains, tout en contraignant les autres professionnels du secteur juridique à soutenir les programmes du Parti communiste chinois », a déclaré Maya Wang, directrice adjointe pour la Chine auprès de la division Asie à Human Rights Watch. « Au cours de la dernière décennie, les autorités ont réduit au silence les avocats défenseurs des droits, même si nombre d'entre eux trouvent encore des moyens de lutter contre l'injustice sociale. »
Human Rights Watch a examiné divers documents officiels concernant les avocats et les cabinets d'avocats visés par la campagne « Répression 709 », surnommée ainsi en raison de la date de son lancement, le 9 juillet 2015. Human Rights Watch a également mené des entretiens avec sept avocats défenseurs des droits humains, et un autre avocat non impliqué dans ce type d’activisme.
Outre le harcèlement constant des avocats, les autorités exigent de plus en plus souvent qu'ils fassent preuve d'une « loyauté absolue » envers le Parti communiste chinois (PCC), requérant que des cabinets d’avocats créent des cellules du PCC et suivent leurs directives. L'élargissement de l'accès aux services juridiques publics fournis par le gouvernement a accru le rôle des avocats agréés par le PCC, au détriment de celui des avocats défenseurs des droits humains ; le gouvernement utilise ainsi le système judiciaire pour désamorcer des conflits, et renforcer son contrôle social.
Le gouvernement chinois devrait cesser de persécuter les avocats défenseurs des droits humains, indemniser les victimes d'abus passés et récents et rétablir les licences de ces avocats et de leurs cabinets, a déclaré Human Rights Watch. À l'occasion du 10ème anniversaire de la « Répression 709 », les gouvernements préoccupés devraient exprimer leur soutien aux avocats chinois défenseurs des droits humains, et soutenir ceux qui cherchent refuge à l'étranger.
« Les avocats chinois défenseurs des droits humains et leurs familles ont énormément souffert en raison de leurs efforts visant à aider des concitoyens à obtenir justice », a conclu Maya Wang. « Afin de contrer leur persécution continuelle et les tentatives de les réduire au silence, les gouvernements étrangers devraient soutenir ces juristes courageux par le biais d’une reconnaissance internationale et de mesures de solidarité. »
Suite détaillée en anglais, comprenant des témoignages d’avocats chinois.
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04.07.2025 à 13:55
Human Rights Watch
(Nairobi) – Les autorités centrafricaines ont arrêté des activistes qui organisaient une cérémonie commémorative en hommage aux élèves décédés dans une explosion ayant eu lieu dans un lycée, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.
Le 27 juin 2025, des activistes de la société civile ont organisé une veillée en mémoire des élèves décédés dans l'explosion du 25 juin au lycée Barthélemy Boganda de Bangui, la capitale, où ils passaient leurs examens de fin d'année. Selon les médias, le bilan s’est élevé à 29 morts et au moins 250 blessés. Les autorités ont arrêté sept personnes lors de la cérémonie commémorative, dont trois organisateurs, qui ont toutes depuis été libérées.
« Des élèves ne devraient pas craindre pour leur vie ou leur intégrité physique lorsqu'ils vont à l'école, et ils ont droit à une pleine reddition des comptes publique », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l'Afrique centrale à Human Rights Watch. « Le gouvernement devrait respecter son obligation de mener des enquêtes transparentes et efficaces et ne pas prendre pour cible ceux qui réclament des comptes. »
Le gouvernement a publié une déclaration le 1er juillet indiquant que 20 élèves étaient morts et 65 autres avaient été hospitalisés. Il a promis d'enquêter sur les causes de l'explosion.
L'explosion, qui s'est produite lors du rétablissement de l'alimentation électrique d'un transformateur électrique sur place, a provoqué une bousculade parmi les 5 000 élèves qui passaient des examens, selon des témoins et des médias. Un élève a déclaré à Human Rights Watch que les ambulances avaient mis beaucoup de temps à arriver et que des passants avaient dû transporter les blessés à l'hôpital en taxi-moto.
« Ma fille a sauté d’une fenêtre au deuxième étage », a déclaré à Human Rights Watch le père d'une victime âgée de 21 ans, qui n'était pas sur les lieux. « Ses amis et camarades de classe ont attendu plus d'une heure l'arrivée d'une ambulance et ont décidé de la transporter en moto, mais elle est décédée pendant le trajet vers l'hôpital. C'était son examen de fin d'études secondaires et elle était enthousiaste quant à son avenir. Nous l'avons enterrée hier et nous sommes encore sous le choc. »
Les journalistes qui ont couvert l'incident ont déclaré à Human Rights Watch que le nombre de morts s'élevait à 29 et que le nombre de blessés, y compris les blessés graves, était également supérieur au bilan officiel. Le gouvernement devrait mener immédiatement une enquête efficace, transparente et publique sur les causes et l'ampleur des dégâts, a déclaré Human Rights Watch.
Le président a décrété trois jours de deuil national, du 27 au 29 juin. Des activistes de la société civile appartenant à un groupe de coordination, le Groupe de Travail de la Société Civile, ont organisé une veillée le 27 juin pour commémorer la mort des victimes, réclamer des écoles plus sûres et exiger une enquête.
L'un des activistes a déclaré à Human Rights Watch que les organisateurs avaient tenté d'organiser la cérémonie commémorative au lycée, mais que le ministère de l'Éducation leur avait refusé l'accès au motif de l’enquête en cours. Comprenant cette raison, ils ont choisi un autre lieu, mais le ministre de la Sécurité a déclaré que la veillée n'était pas autorisée, invoquant une interdiction de manifester dans l’espace public datant de 2022.
Les organisateurs, les élèves et les familles d’élèves ont tout de même commencé à tenir la veillée, avant que la police ne les disperse et arrête sept personnes, dont les trois organisateurs, Gervais Lakosso, Fernand Mandé Djapou et Paul Crescent Beninga, ont déclaré les activistes.
Des photos montrant la police en train de frapper les participants à la veillée, vues par Human Rights Watch, ont circulé sur les réseaux sociaux. Human Rights Watch a également reçu des photos de l'un des organisateurs de la veillée montrant les blessures qu'il a subies lorsqu'il a été jeté dans un camion de police.
« Nous essayions d'allumer des bougies et de déposer des fleurs en mémoire de ceux que nous avons perdus », a déclaré Paul Crescent Beninga. « En quoi cela représente-t-il un risque sécuritaire ? Nous faisions le deuil de nos jeunes qui étudiaient pour leur avenir, et la police est venue, nous a frappés, arrêtés et emmenés. »
Au cours de leur interrogatoire, trois militants de la société civile ont été accusés de manière informelle par la police d'« association avec des criminels » et d'avoir des liens avec le Bloc républicain pour la défense de la constitution, une coalition de partis d'opposition. Les proches du gouvernement dénigrent souvent cette coalition et l'accusent de soutenir des groupes armés.
« Nous avons été traités comme des criminels et des traîtres », a déclaré Fernand Mandé Djapou.
Le ministère de la Sécurité intérieure a publié sur sa page Facebook son refus de la demande des activistes d'organiser la cérémonie commémorative, accompagnée de photos des trois activistes menottés. Le message indique que les « détenus », bien que libres, seront « soumis à une surveillance policière étroite ».
Les autorités ont emmené Gervais Lakosso et Fernand Mandé Djapou dans une cellule de l'Unité de sécurité nationale et Paul Crescent Beninga dans une cellule de l'Office central pour la répression du banditisme (OCRB), une unité de police de Bangui connue pour ses abus, où ils ont passé la nuit. Envoyer un activiste placé en détention pour avoir organisé une cérémonie commémorative en hommage à des élèves décédés dans un établissement géré par une unité connue pour ses actes de torture, ses exécutions et ses tirs à vue sur les suspects ne peut avoir pour but que d'intimider et d'envoyer un message menaçant aux activistes.
Les trois militants, ainsi que les quatre autres personnes arrêtées avec eux, ont été libérés après l'intervention du président Faustin-Archange Touadéra, selon les activistes et la page Facebook du ministère.
Depuis 2022, les autorités centrafricaines répriment la société civile, les médias et les partis politiques d'opposition. La police a empêché des manifestations politiques de l'opposition et des responsables gouvernementaux ont porté des accusations infondées selon lesquelles des activistes de la société civile collaboreraient avec des groupes armés.
La répression s'est intensifiée à l'approche des élections locales et nationales de 2023, et un référendum organisé en 2023 a abouti à une nouvelle constitution qui supprime la limitation du nombre de mandats et permet au président Touadéra de se présenter pour un troisième mandat, ce qui n'était pas autorisé par la constitution de 2016.
« Lorsque des tragédies comme celle-ci se produisent, la société civile devrait pouvoir commémorer, demander des comptes et soutenir les personnes dans leur deuil », a déclaré Lewis Mudge. « La répression exercée par le gouvernement lors de cet événement commémoratif montre à quel point il s'appuie sur celle-ci et présume le pire de la société civile. »
02.07.2025 à 20:44
Human Rights Watch
(Bangkok, le 2 juillet 2025) – Cinq activistes écologistes cambodgiens emprisonnés depuis un an sur la base d’accusations infondées devraient être libérés immédiatement et sans condition, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui ; leurs peines sont comprises entre six ans et huit ans de prison.
Le 2 juillet 2024, un tribunal de Phnom Penh a rendu un verdict de culpabilité envers dix activistes de l'association écologiste de jeunes Mother Nature qui étaient accusés de « complot contre l’État » et d'« insulte au roi » (lèse-majesté). Ces accusations étaient liées à leur militantisme pacifique en faveur de l’environnement. Cinq activistes ont été alors immédiatement incarcérés, tandis que quatre autres, dont on ignore le sort, étaient jugés par contumace. Le dixième, un ressortissant espagnol, avait été expulsé du pays en 2015.
« Les peines lourdes et infondées infligées aux activistes de Mother Nature il y a un an témoignent du profond mépris du gouvernement cambodgien envers l’environnement dans ce pays », a déclaré Bryony Lau, directrice adjointe de la division Asie à Human Rights Watch. « Le gouvernement devrait annuler ces condamnations pour militantisme environnemental pacifique, et libérer immédiatement les personnes emprisonnées. »
Les autorités ont incarcéré les cinq activistes dans cinq différentes prisons reparties à travers le pays et situées à des centaines de kilomètres de leurs familles, une mesure qualifiée de cruelle et sans précédent par l’organisation cambodgienne de défense des droits humains LICADHO. Le 30 avril 2025, la Cour suprême du Cambodge a rejeté la dernière demande de libération sous caution des activistes, confirmant le jugement rendu par la Cour d'appel de Phnom Penh le 17 février et la condamnation des cinq activistes.
Les cinq activistes emprisonnés sont Thun Ratha (à Tbong Khmum), Ly Chandaravuth (à Kandal), Phuon Keoraksmey (à Pursat), Yim Leanghy (à Kampong Speu) et Long Kunthea (à Preah Vihear). Les lieux éloignés des prisons limitent considérablement les visites familiales, les soins médicaux et l'accès à l'assistance juridique, ce qui représente un risque sérieux pour le bien-être des activistes et leur droit à une procédure régulière.
Click to expand Image Carte du Cambodge montrant les sites des prisons où sont incarcérés cinq activistes de l’ONG écologiste Mother Nature, suite à leur condamnation le 2 juillet 2024. © 2024 LICADHOPendant plus d’une décennie, l’ONG Mother Nature a dénoncé la corruption dans la gestion des ressources naturelles au Cambodge, s'oppose à des projets d'infrastructures destructeurs et mobilise la jeunesse pour défendre la biodiversité du pays, l'une des plus menacées au monde en raison des taux élevés de déforestation et de trafic d'espèces sauvages. Parmi les réussites de Mother Nature figurent d’une part la cessation de la construction d'un barrage financé par un consortium chinois et qui menaçait le mode de vie d’une communauté autochtone, et d’autre part l'arrêt des exportations de sable de l'île de Koh Kong dans le cadre d’un système corrompu.
En 2023, le groupe a reçu le prix Right Livelihood pour son « activisme courageux et engagé ». En octobre 2024, lors d’une réunion du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies à Genève, l’ONG Right Livelihood a dénoncé l'emprisonnement des activistes de Mother Nature qualifiant leurs arrestations et condamnations de « sans précédent, […] injustes et arbitraires ».
Les autorités cambodgiennes ont souvent accusé des militants des droits humains d'« incitation à commettre un crime », infraction passible d'une peine pouvant aller jusqu'à deux ans de prison. En 2021, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l'homme au Cambodge a déclaré qu’il était préoccupé par le fait que « des défenseurs des droits humains sont actuellement en détention et accusés d'incitation à commettre un crime ». Les activistes de Mother Nature ont été les premiers militants écologistes à être inculpés de « complot contre l’État », infraction passible d’une peine pouvant aller jusqu'à 10 ans de prison. Quatre activistes – Ly Chandaravuth, Phuon Keoraksmey, Long Kunthea et Thun Ratha – ont été condamnés en 2024 à six ans prison, soit jusqu'en 2030 ; Yim Leanghy a été condamné à huit ans de prison, soit jusqu'en 2032.
Suite aux condamnations des activistes de Mother Nature, les autorités cambodgiennes ont également ciblé des journalistes pour des reportages sur des questions environnementales.
Le 4 janvier, le journaliste britannique Gerald Flynn s'est vu interdire de revenir au Cambodge, apparemment en représailles à ses reportages. À son arrivée à Siem Reap depuis l'étranger, les autorités de l'immigration ont déclaré à Flynn que la prolongation de son visa était « invalide », alors qu'il avait pu entrer et sortir librement du Cambodge avec les mêmes documents en novembre 2024. Les autorités ont informé Flynn, l'un des rares journalistes étrangers encore basés au Cambodge, qu'il lui était interdit de revenir au Cambodge pour une durée indéterminée. Flynn avait enquêté sur des réseaux d'exploitation forestière illégale au Cambodge, et était apparu dans un documentaire vidéo de France 24 que le ministère cambodgien de l'Environnement avait publiquement qualifié de « fake news ».
Le 16 mai, trois policiers en civil circulant dans un véhicule banalisé ont arrêté et menotté un journaliste environnemental cambodgien, Ouk Mao, près de son domicile à Stung Treng ; ils n’ont présenté aucun mandat d’arrestation, a déclaré son épouse au site d’informations Mongabay. En juin 2024, la police militaire l'avait déjà interrogé au sujet de son enquête sur le défrichement de terres dans une forêt communautaire de Stung Treng.
Entre cet incident et son arrestation le 16 mai, Ouk Mao a continué à couvrir les questions de déforestation. Le 12 mai, Mongabay avait publié un article sur de précédentes agressions physiques et poursuites arbitraires le visant ; il avait aussi été interviewé par le service khmer de Radio France Internationale (RFI), dans une vidéo diffusée le 13 mai et vue par des dizaines de milliers de personnes.
Ouk Mao a été libéré sous caution le 25 mai après neuf jours de détention provisoire, mais il est toujours visé par plusieurs graves accusations liées à ses reportages sur l'environnement et à ses commentaires publics.
Le 27 mai, la Rapporteure spéciale des Nations Unies sur les défenseurs des droits humains a exprimé sa préoccupation au sujet d'Ouk Mao, déclarant que « le harcèlement judiciaire et physique des [défenseurs des droits environnementaux] qui dénoncent l'exploitation forestière illégale et la déforestation au Cambodge doit cesser immédiatement ».
« Le ciblage des activistes écologistes et des journalistes par le gouvernement cambodgien est désastreux », a conclu Bryony Lau. « Emprisonner ou expulser ceux qui sont encore prêts à risquer leur vie et leurs moyens de subsistance pour protéger l'environnement au Cambodge, ou forcer ces personnes à agir de manière clandestine, ne peut qu'entraîner des dommages à long terme pour le peuple cambodgien. »
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02.07.2025 à 19:17
Human Rights Watch
Les récentes attaques contre des filles et des jeunes femmes au Soudan du Sud illustrent les risques auxquels elles sont exposées et le manque de protections adéquates.
Le 25 juin, selon les médias, des hommes armés ont enlevé quatre lycéennes dans la commune Pochalla North (État de Jonglei), alors qu'elles se rendaient à leur école pour y passer des examens de fin d’année scolaire. Malgré les recherches menées par la communauté locale, les quatre lycéennes sont toujours portées disparues.
Le 19 juin, la police a annoncé l'arrestation de sept suspects dans l’affaire du viol collectif d'une adolescente de 16 ans à Juba, la capitale du Soudan du Sud. Une vidéo présumée de l'attaque avait circulé en ligne et suscité l'indignation du public. Suite à cet incident, la ministre sud-soudanaise du Genre, de l'Enfance et de la Protection sociale a appelé à une enquête approfondie et à la reddition de comptes. Des activistes ont réclamé des réformes juridiques et organisé des forums pour encourager les survivantes à s'exprimer. Mais même lorsque les affaires suscitent un tel intérêt public, les condamnations sont rares.
En mai, un groupe de jeunes hommes armés a encerclé un pensionnat pour filles à Marial Lou, dans l'État de Warrap, piégeant au moins 100 élèves à l'intérieur. Selon la mission de maintien de la paix des Nations Unies, les enseignants ont verrouillé les portes jusqu'à ce que les Casques bleus sécurisent l'école et négocient la fin du siège.
Ces incidents sont tristement courants au Soudan du Sud, où les filles subissent constamment des menaces, qu’il s’agisse de leur corps, de leur éducation ou de leur avenir. Des anciens conflits, l'accès généralisé aux armes et les coutumes patriarcales, menant parfois à des mariages forcés, ont depuis longtemps transformé les corps de filles et de femmes en champs de bataille, utilisés comme butin de guerre ou monnaie d'échange dans des conflits intercommunautaires.
La mobilisation de communautés pour protéger les filles permet d’espérer que ces comportements et pratiques peuvent changer, mais une protection efficace dépend avant tout du respect par l'État de ses obligations légales.
Le Soudan du Sud est un État partie à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (acronyme anglais CEDAW). Ce pays a également ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant et approuvé la Déclaration sur la sécurité dans les écoles, s'engageant ainsi à protéger les élèves et étudiantes contre des attaques. Le ministère du Genre, de l'Enfance et de la Protection sociale, ainsi que le ministère de la Justice, ont promu un projet de loi sur la lutte contre les violences basées sur le genre et visant une meilleure protection de l'enfance. Ce projet de loi renforcerait les protections juridiques, criminaliserait les mariages forcés et les mariages d'enfants, et garantirait aux survivantes un soutien médical et psychosocial gratuit. Le Parlement devrait donner la priorité à l'adoption de ce projet de loi.
Le gouvernement devrait également renforcer les institutions sud-soudanaises chargées de faire respecter l’état de droit, et garantir la reddition de comptes pour les abus. Il est essentiel de protéger les écoles contre les attaques, notamment en renforçant la présence des forces de sécurité, en organisant des dialogues avec les jeunes personnes et en mettant en œuvre des processus de désarmement respectueux des droits.
Au Soudan du Sud, les filles devraient pouvoir se rendre à l'école à pied et poursuivre leur éducation sans crainte ; et les autorités devraient agir pour garantir ces droits fondamentaux.
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02.07.2025 à 08:00
Human Rights Watch
(Guatemala City) – Le manque généralisé d’accès à l’eau potable et à des services d’assainissement adéquats au Guatemala menace le droit à la santé et d’autres droits de millions de personnes, en particulier des peuples autochtones et des femmes, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.
2 juillet 2025 “Without Water, We Are Nothing”Ce rapport de 88 pages, intitulé « “Without Water, We Are Nothing”: The Urgent Need for a Water Law in Guatemala » (« “Sans eau, nous ne sommes rien” : L’urgente nécessité d’une loi sur l’eau au Guatemala ») décrit l’indisponibilité fréquente de services sûrs et suffisants de distribution d’eau et d’assainissement au Guatemala, qui affecte de façon disproportionnée les membres de communautés autochtones, surtout les femmes et les filles. Le rapport détaille également l’impact de cet accès insuffisant à l’eau et à l’assainissement sur le droit à la santé, y compris pour les enfants, dans un pays où près d’un enfant de moins de cinq ans sur deux souffre de malnutrition chronique.
« Alors que le Guatemala est un pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, une part importante de sa population est forcée à vivre sans avoir accès à un élément aussi fondamental que l’eau potable », a déclaré Juanita Goebertus, directrice de la division Amériques à Human Rights Watch. « Les autorités guatémaltèques devraient approuver d’urgence un projet de loi de portée nationale sur l’eau, accomplissant ainsi un pas essentiel pour garantir à toutes et tous un accès sûr, fiable et universel aux services de distribution d’eau et d’assainissement. »
Le Guatemala dispose d’une quantité d’eau douce par habitant supérieure à la moyenne mondiale, mais depuis longtemps, le pays n’a pas su protéger et distribuer ces ressources comme il se doit. En l’absence de législation établissant clairement les droits et obligations liés à l’eau, de système de réglementation et de financement clair pour garantir ces droits, ainsi que de mécanismes d’application qui vont avec, la disponibilité et la qualité de l’eau dans le pays resteront compromises.
Human Rights Watch a mené des entretiens avec 108 personnes, surtout des femmes, issues de communautés majoritairement autochtones des départements de Jalapa, Santa Rosa et Totonicapán. L’équipe de recherche a mené des entretiens de suivi avec des experts, demandé des informations au gouvernement et analysé les données concernant l’eau, l’assainissement et la pauvreté issues de l’Enquête nationale sur les conditions de vie, réalisée en 2023 par l’Institut national de la statistique du Guatemala.
Les données analysées par Human Rights Watch révèlent que les Guatémaltèques autochtones ont moins accès à l’eau et à l’assainissement que les autres citoyens, ce qui correspond à des schémas anciens de discrimination et d’accès inéquitable aux services publics fondant les droits. D’après les données officielles, dans l’ensemble, 40 % des Guatémaltèques n’ont pas l’eau courante chez eux. Mais concernant les Guatémaltèques autochtones, ils sont 50 % à ne pas avoir pas l’eau courante, alors que cela n’est le cas que pour 33 % des citoyens non autochtones. De même, les personnes d’origine autochtone ont trois fois plus de chances de n’avoir à leur disposition que des latrines ou des fosses, formes d’assainissement qui peuvent représenter un risque pour la sécurité ou la santé, alors que les personnes d’origine non autochtone ont deux fois plus de chances de disposer de toilettes débouchant sur un système d’égout.
Click to expand Image María Magdalena Cac Pú, une femme guatémaltèque contrainte à chercher régulièrement de l’eau à un point d'eau situé loin de son domicile, transportait un bidon d’eau attaché à son dos tout en portant son bébé, dans la municipalité de Santa María Chiquimula (département de Totonicapán) au Guatemala. © 2025 Víctor Peña pour Human Rights WatchSans accès fiable à l’eau courante, des millions de Guatémaltèques sont forcés de récupérer de l’eau dans des puits, des fleuves, des lacs, des sources naturelles, ou encore de l’eau de pluie, comme source d’eau primaire. Cela implique de graves risques sanitaires, puisque le gouvernement estime que plus de 90 % des eaux de surface au Guatemala sont contaminées.
Ce sont souvent les femmes qui ont la responsabilité d’aller chercher de l’eau pour elles-mêmes et leur famille, de même qu’elles sont chargées des soins aux enfants. D’après les données de l’enquête officielle, deux tiers des adultes ayant rapporté qu’ils étaient allés chercher de l’eau le jour précédent étaient des femmes.
Rosalía Maribel Osorio Chivalan, une femme de 24 ans de la municipalité de Santa María Chiquimula, dans le département de Totonicapán, a décrit sa routine matinale qui l’oblige à se lever à 5 heures ou 5 heures et demie du matin et à effectuer un circuit de deux heures pour aller chercher de l’eau à un puits, avant de faire un trajet de 40 minutes aller-retour pour amener ses enfants à l’école à 8 heures.
Les enfants, eux aussi, doivent souvent aller chercher de l’eau. Une femme de 29 ans, mère célibataire de trois enfants à Santa María Chiquimula, a expliqué que ses enfants marchaient avec elle deux heures par jour pour aller chercher de l’eau, car elle ne pouvait pas le faire toute seule. « Parfois j’ai un moment de désespoir quand je les vois marcher en portant l’eau, les pauvres », a-t-elle déclaré.
Même les familles qui sont connectées à un réseau de distribution d’eau connaissent des difficultés d’accès à l’eau, notamment parce que le service fonctionne de façon intermittente. En analysant les données gouvernementales de 2023, Human Rights Watch a constaté que seuls 19 % des ménages rapportaient avoir eu de l’eau chez eux de façon ininterrompue, 24 heures sur 24, chaque jour du mois précédant cette enquête.
Comme le souligne le rapport, la qualité de l’eau est un sujet de préoccupation majeur au Guatemala. De nombreuses femmes interrogées avaient observé des signes de contamination, notamment une eau trouble, une mauvaise odeur et des débris polluant l’eau, sachant que très peu d’options de traitement de l’eau leur sont accessibles. Beaucoup ont déclaré qu’elles et leurs enfants souffraient de maux d’estomac, de vomissements et de diarrhées après avoir consommé cette eau, mais que ces sources contaminées représentaient pourtant la seule option accessible.
María Carolina Barrera Tzun, une femme de 28 ans, mère de trois enfants, de Santa María Chiquimula, a témoigné que le puits où elle allait chercher de l’eau pour elle et ses enfants était sale, et que ses enfants lui demandaient parfois : « Pourquoi l’eau est-elle si sale ? Pourquoi on n’a pas l’eau à la maison ? » Pourtant ils doivent la boire, a-t-elle expliqué, parce qu’ils n’ont pas d’autre possibilité.
Les infrastructures d’assainissement inadaptées représentent également un danger pour la santé et contribuent à la mauvaise qualité de l’eau. Seuls 42 % des foyers guatémaltèques rapportaient qu’ils disposaient de toilettes débouchant sur un réseau d’évacuation des eaux usées. Environ un tiers de la population est obligée de se servir de latrines, de fosses, ou encore de déféquer à l’air libre. D’après les informations officielles, en 2021, 97 des 340 municipalités du Guatemala, soit 29 %, n’avaient aucune station d’épuration des eaux usées opérationnelle.
Les impacts sanitaires d’un accès risqué ou insuffisant à l’eau et d’un assainissement inadéquat sont graves. D’après l’Organisation mondiale de la santé, en 2019, le taux de mortalité dû à l’eau non potable et aux services d’assainissement et d’hygiène inadaptés était au Guatemala de 15,3 décès pour 100 000 personnes, plus du double de celui de n’importe quel pays voisin. L’accès limité à l’eau et à l’assainissement contribue par ailleurs à la malnutrition chronique. Au Guatemala, près d’un enfant sur deux de moins de cinq ans souffre de malnutrition de façon chronique : c’est un des taux les plus élevés du monde.
Afin de faciliter une gouvernance globale en matière d’eau et un investissement efficace dans les infrastructures dédiées à l’eau et à l’assainissement, les autorités guatémaltèques devraient adopter un projet de loi sur l’eau qui crée la capacité institutionnelle de protéger la disponibilité en eau pour toutes et tous, et inflige des amendes pour la contamination des nappes d’eau.
En élaborant cette loi, le gouvernement devrait veiller au respect des pratiques autochtones de gestion de l’eau ainsi qu’à une réelle participation et consultation des peuples autochtones, qui sont souvent en première ligne des pratiques de conservation et de préservation des ressources et qui sont les plus affectés par la crise actuelle.
Les autorités devraient par ailleurs mettre en place un système réglementaire et financier qui permette au Guatemala d’honorer son obligation de prendre des mesures, dans la limite de ses ressources disponibles, pour garantir la disponibilité, l’accessibilité et la qualité de l’eau à usage personnel et domestique.
« Le gouvernement du président Bernardo Arévalo a une occasion historique de régler une ancienne dette et d’apporter un changement durable aux Guatémaltèques », a conclu Juanita Goebertus. « Il ne devrait pas la laisser passer. »
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01.07.2025 à 22:00
Human Rights Watch
(Johannesburg) – Le 26 juin, une douzaine d'hommes armés ont attaqué des manifestants qui protestaient pacifiquement au Malawi contre la manière dont le gouvernement planifie les prochaines élections nationales, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Le refus apparent de la police d’intervenir pour mettre fin aux violences ou pour arrêter les responsables suscite de vives inquiétudes quant à la capacité du gouvernement à organiser les élections générales de septembre de manière juste et impartiale.
L'incident s'est produit lors d’un rassemblement organisé par l’association Citizens for Credible Elections (« Citoyens pour des élections crédibles » - CCE), afin de réclamer un audit indépendant des listes électorales et la démission de hauts responsables de la Commission électorale du Malawi (Malawi Electoral Commission, MEC). Lors du rassemblement tenu dans la capitale, Lilongwe, entre 10 et 20 hommes – certains masqués et armés de bâtons, de sjamboks (fouets en cuir) et de grands couteaux – ont attaqué les manifestants, blessant plusieurs personnes et endommageant également des biens. Des groupes de la société civile et le principal parti d'opposition, le Parti démocratique progressiste (Democratic Progressive Party, DPP), affirment que les assaillants étaient liés à une milice de jeunes affiliée au Parti du Congrès du Malawi (Malawi Congress Party, MCP), au pouvoir. Le MCP est accusé d’employer des tactiques d'intimidation contre des citoyens souhaitant s’exprimer librement à l'approche des élections de septembre.
« Les autorités malawiennes devraient enquêter sur cette attaque brutale contre des manifestants pacifiques et veiller à ce que les responsables soient dûment punis », a déclaré Idriss Ali Nassah, chercheur senior auprès de la division Afrique à Human Rights Watch. « Pour que les Malawiens aient confiance dans l'équité des prochaines élections, ils doivent avoir la certitude que la police réagira rapidement et impartialement aux menaces ou aux actes de violence, quels qu'en soient les responsables. »
Le gouvernement et les forces de l'ordre ont la responsabilité de garantir le respect des droits fondamentaux à la liberté d'expression et de réunion pacifique, et de veiller à ce que les manifestants puissent manifester en toute sécurité, conformément à la Constitution du Malawi et aux normes internationales. Par ailleurs, la commission électorale MEC a rejeté la demande de plusieurs organisations locales qui souhaitaient examiner les listes électorales afin de déceler toute incohérence susceptible de conduire à des fraudes électorales ; ce refus a accru les inquiétudes des citoyens et de la société civile quant à l'équité des prochaines élections.
Sylvester Namiwa, directeur du Centre pour la démocratie et les initiatives de développement économique (Center for Democracy and Economic Development Initiatives, CDEDI Malawi) et principal organisateur des manifestations, a déclaré à Human Rights Watch qu'au moment où la manifestation allait commencer, des assaillants ont attaqué les personnes rassemblées. Il a déclaré que, sous le regard de la police et d'autres agents des forces de l'ordre, les hommes l'ont violemment battu, l'ont traîné vers un SUV Toyota et ont tenté de l'enlever. Il a ajouté qu'il a échappé à la tentative d'enlèvement grâce aux tirs de gaz lacrymogènes de la police. Les assaillants ont ensuite volé un système de sonorisation utilisé par les manifestants, endommagé plusieurs véhicules et incendié deux voitures.
Sylvester Namiwa a ensuite été soigné pour ses blessures dans un hôpital local.
Une femme qui est membre de l’organisation CCE a déclaré qu’alors que les assaillants la frappaient, elle a imploré les policiers de la secourir. Mais ils ne sont pas intervenus, et lors de l'attaque, elle a été blessée au dos à l’une de ses mains.
Des militants locaux des droits humains et des journalistes couvrant les manifestations ont corroboré les témoignages des manifestants, affirmant avoir vu des policiers observer les manifestants sans rien faire pour les protéger, même lorsqu'il était clair que leur vie était en danger. Aucun agresseur n'a été arrêté ; de plus, la police n'a pas répondu aux questions des médias sur la réaction des forces de l'ordre face aux attaques.
Précédemment en novembre 2024, des partis d'opposition et des organisations de la société civile ont allégué que le MCP avait organisé une violente attaque menée par des hommes masqués et armés contre des personnes qui manifestaient pacifiquement en faveur des réformes électorales. Des témoins avaient alors accusé les forces de l'ordre d'être restées passives lors de l’attaque, tout comme lors du récent incident du 26 juin.
Les gouvernements ont l'obligation, en vertu du droit international, de respecter, de faciliter et de protéger le droit à la liberté d'expression et de réunion pacifique. Le Malawi est un État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, qui énoncent ces droits. Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies, l'organe international d'experts chargé de surveiller le respect du PIDCP, a déclaré dans son Observation générale no 37 que les États parties ont « l’obligation positive de faciliter la tenue des réunions pacifiques et de permettre aux participants d’atteindre leurs objectifs ».
Les Lignes directrices sur la liberté d'association et de réunion en Afrique, publiées par la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP) indiquent ceci : « Les droits à la liberté d’association et de réunion restent des droits fondamentaux qui devraient sous-tendre toute société démocratique dans laquelle la personne humaine pourrait faire entendre librement sa voix sur toute question de société. » L’article 30 stipule ceci : « Les États sont censés protéger les associations, notamment leurs responsables les plus en vue, des menaces, actes de harcèlement, d’ingérence, d’intimidation ou de représailles de la part de tierces parties ou d’acteurs non étatiques. »
« Le gouvernement malawien devrait respecter les droits humains et l'État de droit en enquêtant, en arrêtant et en poursuivant en justice les agresseurs et les auteurs des violences », a conclu Idriss Nassah. « À l'approche des élections générales cruciales de septembre, les autorités doivent envoyer un message fort : les violations des droits humains ne seront pas tolérées. »
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Articles
APA News
01.07.2025 à 21:28
Human Rights Watch
(New York, 1er juillet 2025) – Le retrait de cinq pays européens du traité international qui interdit les mines antipersonnel de manière efficace depuis plusieurs années met inutilement la vie de civils en danger, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Le 27 juin, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont déposé auprès du siège des Nations Unies leurs instruments de retrait de la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel de 1997 ; ces retraits devraient prendre effet dans six mois. Début juin, les parlements de deux autres pays – la Finlande et la Pologne – ont officiellement approuvé des propositions relatives à leurs propres retraits de la Convention ; leur notification de l’ONU devrait suivre prochainement.
« Les cinq pays européens ayant choisi de se retirer de la Convention sur l'interdiction des mines antipersonnel mettent en danger leurs propres civils, et effacent des années de progrès accomplis pour éradiquer ces armes indiscriminées », a déclaré Mary Wareham, directrice adjointe de la division Crises, conflits et armes à Human Rights Watch. « Ces pays ont pourtant une expérience directe du danger à long terme que représentent les mines antipersonnel, ce qui rend leur acceptation de ces armes largement discréditées difficile à comprendre. »
Play VideoLes mines antipersonnel sont conçues pour exploser en réponse à la présence, à la proximité ou au contact d'une personne. Elles sont généralement posées à la main, mais peuvent également être dispersées par des avions, des roquettes et de l'artillerie, ou encore par des drones et des véhicules spécialisés. Ce sont des armes intrinsèquement indiscriminées qui ne font pas la distinction entre soldats et civils. Les mines terrestres non explosées représentent un danger à long terme, jusqu'à leur déminage et leur destruction.
La Convention sur l'interdiction des mines, entrée en vigueur le 1er mars 1999, interdit totalement les mines antipersonnel et oblige les pays à détruire leurs stocks, à déminer les zones minées et à venir en aide aux victimes. Au total, 166 pays ont ratifié cette Convention, les plus récents étant les Îles Marshall le 12 mars et le royaume des Tonga le 25 juin.
La Russie n'a pas adhéré à la Convention, et ses forces ont largement utilisé des mines antipersonnel en Ukraine depuis l'invasion russe à grande échelle en 2022, faisant des victimes civiles et contaminant des terres agricoles. L'Ukraine, bien que ce soit un État partie à la Convention sur l'interdiction des mines, a aussi utilisé des mines antipersonnel depuis 2022 ; l’Ukraine a reçu ce type d’armes de la part des États-Unis en 2024, en violation du traité.
Le 29 juin, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a annoncé avoir signé un décret proposant le retrait de ce pays de la Convention sur l'interdiction des mines. Cette mesure sera désormais examinée par le Parlement ukrainien. En vertu de l'article 20 de la Convention sur l'interdiction des mines, un retrait ne prend effet que six mois après la notification officielle de l'ONU par un État. Toutefois, l’article 20 inclut aussi cette clause qui pourrait s’appliquer à l’Ukraine : « Cependant, si à l’expiration de ces six mois, l’État partie qui se retire est engagé dans un conflit armé, le retrait ne prendra pas effet avant la fin de ce conflit armé ».
Par ailleurs, les articles de cette Convention « ne peuvent faire l’objet de réserves » (article 19).
« L'Ukraine étant en guerre, sa proposition de retrait de la Convention constitue de fait une manœuvre symbolique visant à se couvrir politiquement alors que ce pays bafoue l’interdiction formelle de développer, produire ou utiliser des mines antipersonnel », a déclaré Mary Wareham. « Mais le recours accru aux mines antipersonnel risque de faire de nouvelles victimes civiles et d’engendrer des souffrances, à court terme et à long terme. »
L'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie a fait plus de 13 300 morts et plus de 32 700 blessés parmi les civils. Selon la Mission de surveillance des droits de l'homme des Nations Unies en Ukraine, le nombre de victimes civiles au cours des cinq premiers mois de 2025 a augmenté de 47 % par rapport à la même période en 2024.
Les cinq États membres de l'Union européenne ont fait valoir que les préoccupations sécuritaires suscitées par l'invasion continue de l'Ukraine par la Russie étaient la principale raison de leur retrait du traité. Chacun des cinq pays a suivi une procédure d'approbation parlementaire formelle, mais précipitée.
Lors de réunions intersessions tenues à Genève du 17 au 20 juin (avant la 22ème Assemblée des États parties à la Convention prévue en décembre), les États parties, y compris ceux ayant annoncé leurs retraits, ont passé cinq heures à discuter des implications de ces retraits. Un groupe de pays africains mené par l'Afrique du Sud a exhorté ces États à « revoir leur position » et à« revenir à la table des négociations », car « les défis auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui exigent davantage de coopération, et non moins ». Ce groupe a ajouté : « Nous devons collectivement préserver l'intégrité et l'universalité du traité d'interdiction des mines. »
Le 16 juin, le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, a déclaré qu’il était « profondément préoccupé » par les retraits du Traité d'interdiction des mines, qualifiant cette action de « particulièrement inquiétante, car elle risque d'affaiblir la protection des civils et de compromettre deux décennies d'un cadre normatif qui a sauvé d'innombrables vies ». António Guterres a annoncé le lancement d’une nouvelle campagne mondiale visant à renforcer le soutien aux instruments de désarmement humanitaire tels que le traité d'interdiction des mines et aux efforts de déminage.
Le 17 juin, 101 lauréats du prix Nobel ont publié une déclaration conjointe (datée du 30 mai), mettant en garde contre les retraits en raison du risque de dommages civils et pour éviter de porter atteinte aux normes juridiques et humanitaires établies de longue date. Les lauréats ont spécifiquement critiqué la Russie et les États-Unis, deux pays qui n'ont pas interdit ces armes, pour avoir porté atteinte aux normes du Traité d'interdiction des mines et mis en danger les civils.
Parmi les lauréats du prix Nobel de la paix qui ont soutenu cet appel figurent le Dalaï-Lama et les anciens présidents Lech Walesa (Pologne), Juan Manuel Santos (Colombie), Oscar Arias Sánchez (Costa Rica) et José Ramos-Horta (Timor-Leste), ainsi que les membres de l'Initiative Nobel des femmes Jody Williams, Shirin Ebadi, Leymah Gbowee, Tawakkol Karman, Narges Mohammadi et Oleksandra Matviichuk.
Human Rights Watch, qui a cofondé la Campagne internationale pour l'interdiction des mines terrestres (ICBL), colauréate du prix Nobel de la paix 1997, a également soutenu cette déclaration.
Le 17 juin, Tun Channereth, ambassadeur de l'ICBL et survivant cambodgien de mines antipersonnel, a remis cette déclaration des 101 lauréats du prix Nobel à la Présidente de la 22ème Assemblée des États parties à la Convention sur l'interdiction des mines antipersonnel. Il lui a également remis une autre déclaration conjointe signée par 21 personnalités éminentes, dont l'ancien ministre canadien des Affaires étrangères Lloyd Axworthy, qui a dirigé le « processus d'Ottawa » ayant abouti à la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel. Les signataires ont exhorté les États qui se sont retirés à reconsidérer leur position, affirmant que « le respect du traité d'interdiction des mines n'est pas seulement une obligation juridique et morale, mais aussi un impératif stratégique pour tous ceux qui cherchent à limiter les souffrances en temps de guerre ».
Tous les États membres de l'UE avaient jusqu’à présent adhéré à la Convention sur l’interdiction des mines ; en avril 2025, l'UE a réaffirmé sa position commune de longue date, favorable « à l’universalisation et à la mise en œuvre » de la Convention.
La Finlande et la Pologne, qui ont produit des mines antipersonnel par le passé, ont indiqué qu'elles pourraient reprendre leur production. En 2015, la Finlande avait achevé la destruction de son stock d'un million de mines ; en 2016, la Pologne avait détruit son propre stock de plus d'un million de mines antipersonnel. Des civils finlandais et polonais ont été blessés par des mines terrestres et des munitions non explosées pendant la Seconde Guerre mondiale et d'autres conflits. Plus de 80 ans plus tard, les autorités locales reçoivent toujours des demandes de dépollution des résidus de mines terrestres et de restes explosifs de guerre.
« Les pays qui se retirent de la Convention sur l'interdiction des mines seront surveillés de près, car il existe désormais un risque réel qu'ils se mettent à produire, transférer et utiliser des mines antipersonnel », a conclu Mary Wareham. « Ces gouvernements devraient plutôt investir dans des mesures visant à éloigner les civils des zones minées, à prendre en charge les victimes des mines terrestres et à promouvoir le déminage. »
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01.07.2025 à 06:00
Human Rights Watch
(Bruxelles) – Les États membres de l’Union européenne (UE), sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, sont en train de trahir leur engagement de protéger les droits humains et l’environnement dans le cadre des chaînes d’approvisionnement mondiales, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le 23 juin, ces États membres ont approuvé une proposition du Conseil européen qui, si elle prenait force de loi, rendrait caduque une directive de l’UE sur la protection des droits le long des chaînes d’approvisionnement.
Cette directive, connue sous le nom de Directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (Corporate Sustainability Due Diligence Directive, CSDDD), était destinée à protéger les victimes d’abus des droits humains, ainsi que l’environnement, tout en créant un champ d’action équitable pour les entreprises. Elle a marqué une importante transition, les entreprises habituées jusque-là à appliquer certaines normes sur une base purement volontaire étant désormais tenues légalement responsables pour les violations des droits humains et de l’environnement commises tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement. Elle était entrée en vigueur en juillet 2024 dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe (European Green Deal), le projet phare de la Commission de l’UE pour rendre l’Union plus durable et neutre sur le plan climatique d’ici à 2050.
« Les États membres de l’UE veulent réduire la loi européenne sur les chaînes d’approvisionnement à un simple morceau de papier, trahissant les victimes et les survivants d’abus commis le long des chaînes d’approvisionnement des entreprises européennes », a déclaré Hélène de Rengervé, chargée de plaidoyer senior sur la responsabilité des entreprises à Human Rights Watch. « Cette proposition trahit l’engagement de l’UE en faveur des droits humains et de la durabilité et, si elle devenait loi, aurait très peu d’impact pour empêcher les atteintes aux droits humains et à l’environnement dans les chaînes d’approvisionnement. »
La prochaine étape aura lieu lorsque le Parlement européen adoptera sa position concernant cette proposition d’abandon de la CSDDD. Il s’agira d’une occasion cruciale et définitive pour le Parlement de se prononcer pour éviter que la directive ne devienne obsolète et pour conserver de réelles protections pour les victimes d’abus commis par les entreprises.
Les efforts en vue d’affaiblir la législation ont commencé en février 2025, lorsque la nouvelle Commission de l’UE a fait volte-face et avancé une proposition dite « Omnibus » visant à vider de leur substance les éléments les plus importants de la directive. Parmi ceux-ci figurent l’obligation pour les entreprises de faire preuve de vigilance en matière de droits humains et d’environnement tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement, ainsi que la possibilité pour les victimes de poursuivre en justice les entreprises si leurs droits sont violés. Ces mesures étaient considérées comme d’importants compromis, obtenus à la suite de négociations minutieuses.
Certains lobbies industriels semblent avoir joué un rôle prépondérant dans les efforts en faveur des changements. Leurs appels à davantage de compétitivité et de simplification, qui sont utilisés pour justifier les démantèlements, masquent une vaste entreprise de déréglementation et ignorent le véritable objectif de la loi : protéger les victimes d’abus tout en créant un champ d’action équitable pour les entreprises.
L'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne, la Banque centrale européenne (BCE), des entreprises progressistes, des experts juridiques et des économistes, des personnalités de haut niveau, des responsables et experts de haut rang des Nations Unies et le Groupe de travail de l’ONU sur les entreprises et les droits de l’homme ont tous critiqué cette proposition, exhortant l’UE à ne pas affaiblir la directive.
La décision du 23 juin, prise sous l’égide de la présidence polonaise de l’UE, soutient le plan de la commission consistant à limiter les obligations de vigilance obligatoires et systématiques aux seuls fournisseurs directs. Mais, du fait que de nombreuses violations des droits humains sont commises plus loin le long de la chaîne mondiale d’approvisionnement, par exemple au niveau de l’extraction des matières premières ou de la fabrication, ces limites restreignent gravement la faculté de la loi d’empêcher les abus.
La décision est également en contradiction avec les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, qui étend la responsabilité des entreprises d’exercer leur vigilance en matière de droits humains à tous les maillons de leur chaîne de valeurs. Limiter le devoir de vigilance aux seuls fournisseurs directs équivaudrait à négliger les maillons de la chaîne d’approvisionnement où la plupart des abus sont commis, a déclaré Human Rights Watch.
« Si la CSDDD est limitée au fournisseur direct, cela voudra dire qu’elle ne sera plus que des paroles creuses pour les travailleurs », a déclaré Kalpona Akter, une activiste du droit du travail du Bangladesh. « Nous serions laissés de côté. C’est inacceptable. »
Les États membres de l’UE ont même proposé d’aller encore plus loin dans la réduction des exigences de la directive, en affaiblissant les plans d’atténuation des effets des changements climatiques et en limitant le champ d’application de la loi aux entreprises de plus de 5 000 employés et de 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires.
Des estimations effectuées par le Centre de recherche sur les entreprises multinationales (Centre for Research on Multinational Corporations), présentées dans sa base de données sur la CSDDD, montrent que l’imposition d’un tel seuil exclurait 72,5 % des entreprises actuellement concernées par la loi de 2024, réduisant à moins de 1 000 le nombre de celles qui resteraient concernées.
La proposition du Conseil de limiter le devoir de vigilance essentiellement aux fournisseurs directs signifie que les entreprises pourraient ignorer les maillons de leur chaîne d’approvisionnement où se situent la plupart des risques, tout en transférant à leurs fournisseurs directs les coûts et la responsabilité du devoir de vigilance dans le cadre de contrats commerciaux inéquitables.
La décision du Conseil de remplacer une règle commune et harmonisée pour tenir les entreprises responsables par des règles propres à chaque État membre signifierait aussi qu’il y aurait 27 ensembles de règles. Cela rendrait plus complexe et plus coûteux l’application de la loi, tout en affaiblissant son aspect préventif et en encourageant les entreprises à faire du « forum shopping » pour trouver les États membres ayant les règles les plus avantageuses, a déclaré Human Rights Watch.
Des désastres industriels faisant des morts et des blessés parmi les travailleurs, comme l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza au Bangladesh, et les violations par les grandes entreprises des droits humains, du droit du travail et des normes environnementales le long des chaînes mondiales d’approvisionnement ont suscité un vaste mouvement de soutien à des législations contraignantes afin de tenir les entreprises responsables. Les organisations de défense des droits, les syndicats, des consommateurs, des dirigeants politiques et des entreprises progressistes ont milité en faveur de la loi.
Mais le processus législatif, qui a débuté en 2020, a été difficile ; il s’est heurté à une vive opposition de la part de multinationales et d’associations patronales, et les gouvernements français, italien et allemand ont mené les efforts, directement et aussi par l’intermédiaire de leurs groupement de lobbyistes d’employeurs, pour diluer les dispositions les plus importantes de la loi.
La hâte inhabituelle avec laquelle la Commission a fait avancer la proposition Omnibus, au mépris de ses obligations administratives et procédurales et sans consulter sérieusement la société civile, a conduit huit organisations de la société civile à porter plainte auprès du bureau du Médiateur européen en avril. En réaction, la Médiatrice de l’UE a ouvert une enquête en mai.
Human Rights Watch soutient cette initiative très importante des organisations et exhorte le bureau de la Mediatrice à tenter de mener à bien son enquête le plus promptement possible, dans la mesure du possible avant que le texte final de la CSDDD remaniée soit adopté. Cette enquête constitue un pas essentiel vers une complète transparence et responsabilité dans le processus de décision de la Commission, contribuant à assurer qu’elle reflète effectivement les valeurs démocratiques fondamentales de l’UE.
« Le Parlement européen a l’occasion de mettre fin à cette course au nivellement par le bas et de se battre pour une loi qui tient réellement responsables les grandes entreprises pour leurs violations des droits humains et de l’environnement », a conclu Hélène de Rengervé. « Tant les victimes des abus des entreprises que les consommateurs de l’UE méritent mieux que la situation actuelle. »
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