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Acrimed | Action Critique Médias
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Observatoire critique des médias né du mouvement social de 1995

▸ les 10 dernières parutions

01.05.2025 à 08:00

Face au journalisme de classe (tract)

Acrimed

Un tract pour les manifestations du 1er mai.

- Travail, salaires, emploi, etc.
Texte intégral (831 mots)

Un tract d'Acrimed pour les manifestations du 1er mai. Disponible en pdf ici.

Régulièrement qualifié de « fête du travail » par les médias dominants, le 1er mai fait l'objet d'une dépolitisation massive. Alors que les licenciements se multiplient, les luttes des travailleurs et travailleuses sont passées sous silence, tandis que les attaques du gouvernement contre le système de protection sociale, les droits des salariés et les services publics sont reléguées au second plan.

Dans la droite ligne de la loi de finances 2025 imposant des saignées budgétaires à l'enseignement, la transition écologique, l'AME, la culture, l'audiovisuel public, etc., les politiques austéritaires mériteraient reportages et enquêtes. Mais au lieu d'exercer ce rôle de contre-pouvoir, les médias dominants accompagnent et légitiment la casse sociale.

Préparer les esprits aux « sacrifices » sociaux

Au cours des deux derniers mois, les séquences de matraquage patronal se sont de nouveau multipliées autour de deux mots d'ordre : « travailler plus » et « réduire les dépenses publiques ». Menées avant-hier au nom de « l'équilibre » du système des retraites, hier de « l'effort de guerre », aujourd'hui de la lutte contre le « déficit public » face à la « guerre commerciale », les campagnes médiatiques se suivent et se ressemblent. Alignées sur les positions du gouvernement, elles relaient les intérêts du patronat.

« Pensions ou munitions ? » ; « Les canons ou les allocations ? » Signés Dominique Seux (Les Échos, 10/03) et Étienne Gernelle (RTL, 10/03), les deux slogans résument le cadrage du débat public. « Pas d'échappatoire, il faut réduire les dépenses publiques », prescrit L'Opinion (7/03), à l'image des éditos « éco » de l'audiovisuel, de France Inter à BFM-TV. « Il faut choisir : se reposer… ou être libre », prévenait déjà Olivier Babeau sur Europe 1 (3/03). « Notre sacro-saint modèle social […] ruine consciencieusement le pays », martèle jour après jour Le Figaro (7/03). Le Monde prend toute sa part au matraquage, présentant le « douloureux réveil budgétaire »… comme une fatalité : « Le réarmement du pays […] place l'exécutif dans la situation très délicate d'avoir à remettre à plat les dépenses de l'État, des collectivités locales et de la Sécurité sociale pour trouver des gisements durables d'économies. » (7/03)

Bref, les éditocrates jouent (presque) partout leur rôle traditionnel de gardiens de l'ordre. Pédagogues de l'orthodoxie néolibérale, ils affirment qu'« il n'y a pas d'alternative » et ménagent les profiteurs de crise pour mieux fabriquer le consentement aux « sacrifices que les Français devraient faire » : « On sait très bien qu'on a une contradiction entre notre modèle social généreux, confortable, solidaire, adapté à la paix, et la nécessité d'aller vers un effort de guerre et une économie de guerre. » (Christophe Barbier, BFM-TV, 5/03)

Diabolisation de la gauche sociale et politique

Les voix contestataires sont d'autant plus inaudibles que la diabolisation médiatique de la gauche sociale et politique se poursuit sur fond de normalisation de l'extrême droite. La condamnation judiciaire du RN est commentée comme un « déni de démocratie » ; une large partie de l'éditocratie fait désormais le procès de la justice, accréditant les pires slogans de l'extrême droite contre l'État de droit ; « insécurité » et « immigration » continuent de polariser l'agenda, pollué par les surenchères des Retailleau, Darmanin, Wauquiez, etc. auxquels les chefferies éditoriales déroulent le tapis rouge.

Dans ce grand bain réactionnaire, les urgences sociales et écologiques sont reléguées aux marges, les syndicats de salariés n'ont pas voix au chapitre et La France insoumise continue d'essuyer les calomnies en série, clouée au pilori pour son engagement contre le génocide en Palestine, largement invisibilisé par les grands médias.

Face à cela, il faut soutenir les médias indépendants, seuls capables d'imposer d'autres préoccupations et d'autres voix ; organiser les solidarités avec les journalistes qui tentent de faire front en interne ; et continuer de porter les propositions visant à libérer l'information de l'emprise des industriels et de la communication.

29.04.2025 à 14:03

L'empire médiatique de Bolloré en Afrique

Extrait d'un rapport d'Attac et de l'ODM.

- L'empire Bolloré / , ,
Texte intégral (2665 mots)

Nous publions un extrait du rapport Le Système Bolloré. De la prédation financière à la croisade politique, produit par Attac et l'Observatoire des multinationales (24 avril).

Lorsqu'en 2022, Vincent Bolloré vend pour 5,7 milliards d'euros sa branche logistique africaine à l'amateur Mediterranean Shipping Company (MSC), le milliardaire a semblé tourner le dos au continent qui a fait sa fortune. Deux ans plus tard, le voici reparti à l'offensive, dans la télévision et le divertissement cette fois : en annonçant vouloir prendre le contrôle de MultiChoice, le géant sud-africain de la télévision payante, Bolloré se positionne pour faire de Canal+, son groupe de médias, le premier opérateur de toute l'Afrique subsaharienne.

À la peine dans l'Hexagone [1] où il perd des abonné·es, Canal+ a aujourd'hui de grandes ambitions à l'international. Comme l'a expliqué le président du directoire du groupe, Maxime Saada, devant une commission sénatoriale, « la vidéo par abonnement est un marché de coûts fixes. Il y a donc un enjeu de taille critique pour l'ensemble des acteurs, afin de mieux amortir ces coûts. Plus un opérateur a d'abonnés, moins le prix de revient par abonné d'une série ou d'un film est important » [2]. Canal+ mise donc sur une offre combinant à la fois des contenus propres – chaînes en continu, exclusivités sportives, production de séries, etc. – et la distribution des offres en streaming de ses concurrents [3]. Avec un objectif clair : dépasser rapidement les 50 millions d'abonné·es et devenir un acteur de taille mondiale, capable de résister aux grandes plateformes de vidéo à la demande comme Netflix, Prime Video ou Disney+. Et pour cela, multiplier les acquisitions, alors que le groupe Bolloré regorge de liquidités. À partir de 2019, Canal+ rachète ainsi le diffuseur de chaînes luxembourgeois M7 (3 millions d'abonnés au Benelux et en Europe centrale et de l'est), prend une participation majoritaire dans l'opérateur SPI [4], propriétaire du groupe polonais de télévision Kino Polska et distributeur, dans une cinquantaine de pays, des chaînes et service de streaming FilmBox, investit dans la plateforme de streaming hongkongaise Viu et entre au capital de Viaplay, le « Netflix scandinave » aux 7,3 millions d'abonné·es. En parallèle, Studio Canal investissait dans une quinzaine de studios de production européens ou américains afin de sécuriser son accès aux contenus exclusifs : Red Production, UrbanMythFilm ou Sunny March au Royaume-Uni, Bambú Productions en Espagne, SAM Productions au Danemark, The Picture Company aux États-Unis, Lailaps Films en Allemagne, etc.

Dans cette frénésie d'acquisitions internationales, l'Afrique subsaharienne occupe une place à part. Les dirigeants du groupe en sont persuadés : « L'avenir de Canal+, c'est l'Afrique ! » [5]. Le potentiel de développement de la télévision payante y est en effet plus important que partout ailleurs, porté par une urbanisation rapide, par le développement de l'électrification et de la connectivité à haut débit et par l'émergence d'une classe moyenne au pouvoir d'achat plus conséquent.

Pour Canal+, ce nouvel eldorado africain est d'autant plus stratégique que le groupe est implanté au sud du Sahara depuis plus de 30 ans. Il y revendique un peu plus de 8 millions d'abonné·es, presque autant qu'en France – 9,8 millions – et près du tiers du total de ses abonnés à travers le monde. Son chiffre d'affaires sur le continent progresse régulièrement, pour franchir la barre des 850 millions d'euros en 2023. En Afrique, Canal+ propose naturellement ses abonnements de télévision par satellite mais aussi, plus récemment, par la TNT via ses filiales Telenum. La Côte d'Ivoire y est de loin son premier marché de télévision payante – 225 millions d'euros de chiffre d'affaires part du groupe en 2023 et près de 10 millions d'euros de bénéfices – devant la République démocratique du Congo (97 millions d'euros de CA), le Cameroun (87 millions) et le Sénégal (55 millions).

Une autre branche, celle l'opérateur télécom Group Vivendi Africa (GVA), installe et commercialise, sous la marque CanalBox, ses propres réseaux internet haut débit en fibre optique dans une dizaine de métropoles africaines, de Libreville à Kampala, Lomé, Pointe Noire ou Abidjan. La société CanalOlympia, une vitrine culturelle du groupe, gère également un réseau d'espaces polyvalents, à la fois salles de cinéma, de spectacle et de concert, dans une douzaine de pays. En Afrique, Canal+ fait aussi et surtout le pari des contenus locaux, en investissant dans la production ou en proposant ses propres chaînes africaines. Il est ainsi devenu l'actionnaire majoritaire des sociétés de production Rok Studios au Nigeria et au Ghana, Plan A en Côte d'Ivoire et ZACU Entertainment au Rwanda, et est entré au capital de Marodi TV au Sénégal. Il édite et diffuse la chaîne A+ à l'échelle du continent, des déclinaisons locales en Côte d'Ivoire et au Bénin, Kana TV en Éthiopie ou encore Nollywood TV et Nollywood TV Epic, spécialisés dans la diffusion des produits de l'industrie cinématographique nigériane. Canal+ multiplie les chaînes en langues locales, du wolof au Sénégal (Sunu Yeuf TV) au lingala en République démocratique du Congo (Maboke TV), en passant par le kinyarwanda (Zacu TV) pour les abonné·es du Burundi et du Rwanda, le malgache (Novegasy) ou l'amharique et l'oromifa pour le public éthiopien. Comme s'en inquiète auprès de Mediapart le journaliste Hamadou Tidiane Sy, directeur de l'École supérieure de journalisme, des métiers de l'internet et de la communication de Dakar, « cela signifie que les petites radios ou télévisions communautaires diffusant dans ces langues et qui se disaient que ça, au moins, c'était leur "petit territoire", ne vont plus avoir de marge à ce niveau » [6].

L'emprise de Bolloré va donc croissante, tout en restant circonscrite à une quinzaine de pays, essentiellement francophones. Et c'est ici que l'enjeu de la prise de contrôle de MultiChoice devient manifeste : le groupe de télévision payante sud-africain aux 20,9 millions d'abonné·es, avec une audience estimée à près de 100 millions de personnes, est comme un miroir anglophone et lusophone de Canal+, dans une complémentarité presque parfaite [Fig. 4]. L'Afrique du Sud, où il a commencé à diffuser en 1985, reste son premier débouché et représente 60 % de son chiffre d'affaires. Mais MultiChoice est aussi le premier opérateur sur les très vastes marchés du Nigeria et de l'Éthiopie, au Kenya, en Zambie ou au Ghana, et dans une moindre mesure en Angola et au Mozambique. La complémentarité n'est pas seulement géographique : comme Canal+, le Sud-Africain propose des bouquets de chaînes par satellite, en ligne ou via mobile et dispose, via GOtv, d'une plate-forme de diffusion numérique terrestre ; sa filiale SuperSport est le premier diffuseur sportif d'Afrique par télévision payante, détenant les droits des principaux événements mondiaux de football, de rugby, de cricket, de tennis ou de golf ; Shomax, son service de vidéo à la demande, propose des contenus en partenariat avec le géant américain Comcast – premier câblo-opérateur et fournisseur d'accès à internet américain, propriétaire des studios DreamWorks et NBCUniversal. MultiChoice s'appuie également sur Irdeto, un acteur mondial de la cyber-sécurité spécialisé dans la lutte contre le piratage des contenus en ligne, et détient des actifs dans les paris sportifs (Betking au Nigeria, SuperSportBet en Afrique du Sud) ou dans les services médicaux en ligne (Namola). Il est enfin et surtout un important producteur de séries, de films ou d'émissions de téléréalité en anglais, en portugais ou en langues nationales – plus de 6 500 heures de productions locales en 2023 – et un des principaux acheteurs de contenus produits en Afrique.

L'intérêt de Canal+ pour MultiChoice est ancien. En 2017 déjà, le groupe avait proposé un milliard de dollars pour racheter l'opérateur à son propriétaire de l'époque, l'éditeur de presse sud-africain Naspers. L'offre avait été jugée insuffisante et Naspers avait préféré jouer la carte de la scission et de l'introduction à la bourse de Johannesburg. En septembre 2020, le groupe Canal+ annonçait franchir le seuil des 5 % de détention de MultiChoice. En 2024, alors que le contexte macroéconomique au Nigeria et en Afrique du Sud pèse lourdement sur les résultats de MultiChoice, dont le cours de l'action s'est effondré de près de 40 % sur un an, tout s'accélère : le groupe français annonce détenir plus de 35 % du capital de son partenaire, franchissant ainsi le seuil de déclenchement d'une offre publique d'achat (OPA) obligatoire. Dans un premier temps, le conseil d'administration MultiChoice rejette l'offre de Canal+ au minimum réglementaire de 105 rands par action (env. 5,15 euros). Début mars, le français renchérit sur sa proposition initiale à 125 rands par action (env. 6,12 euros), soit une prime de 67 % par rapport au cours du 1er février et une valorisation de MultiChoice à 2,7 milliards d'euros. Un accord est conclu entre les parties, publié le 8 avril 2024 : Canal+ s'engage à débourser jusqu'à 1,8 milliard d'euros supplémentaires – il est entre-temps monté à 45,2 % du capital – pour acquérir tous les titres que les actionnaires de MultiChoice voudront lui céder. L'offre, « entièrement financée par les fonds dont dispose le groupe », devait s'achever en avril 2025. Elle a été prolongée de six mois pour permettre à Canal+ de se conformer à la réglementation sud-africaine interdisant à tout actionnaire étranger de posséder plus de 20 % des votes au conseil d'administration d'un groupe de télécommunications et de posséder plus de 20 % du capital du titulaire d'une licence de radiodiffusion commerciale. Pour satisfaire ces exigences, Canal+ et MultiChoice envisagent tous les scénarios, y compris des cessions d'actifs, des partenaires locaux ou des dispositifs de limitation des droits de vote sur certaines entités du groupe.

Les dirigeants de Canal+ attendent beaucoup de cette fusion : ils espèrent naturellement bénéficier de l'expérience du Sud-Africain dans le streaming en ligne, mutualiser les coûts de production, offrir aux annonceurs un débouché publicitaire beaucoup plus large et peser dans les négociations des coûts satellites, des droits sportifs, cinématographiques ou de distribution des chaînes. Surtout, avec la prise de contrôle de MultiChoice, le groupe Canal+ changerait littéralement d'échelle : son chiffre d'affaires devrait bondir de 45 %, son nombre d'abonné·es presque doubler pour frôler les 50 millions, dont près de 30 millions au sud du Sahara. Son centre de gravité se transporterait ainsi brusquement en Afrique, qui pèserait plus de 40 % du chiffre d'affaires mondial et plus de 60 % de l'audience [Fig. 5]. Le groupe de Vincent Bolloré deviendrait le principal opérateur de télévision payante du continent africain, très loin devant son principal concurrent, le chinois StarTimes et ses 13 millions d'abonné·es. L'offensive de Bolloré va ainsi donner naissance à un nouvel empire de la télévision et du divertissement, en situation de quasi-monopole dans une trentaine de pays et pesant d'un poids considérable sur la production de contenus africains. Un nouvel empire aux mains d'un milliardaire réactionnaire.

Attac et l'Observatoire des multinationales, Le Système Bolloré. De la prédation financière à la croisade politique, 24 avril 2025, p. 31-36.


[3] Sur la stratégie de Canal+, voir notamment Alexandre Joux, « Les investissements de Canal+ dessinent une alternative mondiale aux services américains de streaming », Revue européenne des médias et du numérique, 69-70, 2024.

[4] Le groupe SPI a été totalement acquis par Canal+ en août 2023.

[5] Maxime Saada invité de CNBC Africa, 1er février 2024.

[6] « Canal+ sur le point de contrôler le marché de la télé payante en Afrique », Mediapart, 3 juillet 2024.

25.04.2025 à 11:12

Le Point, Frontières, Bolloré et compagnie : revue de presse de la semaine

Elvis Bruneaux

Du 18/04/2025 au 24/04/2025.

- L'actualité des médias /
Texte intégral (1028 mots)

Critique des médias : une revue de presse hebdomadaire. Si ce n'est exhaustive, au moins indicative [1]. Au programme : du 18/04/2025 au 24/04/2025.

Critique des médias

« Frontières : un torchon raciste parmi d'autres ? », Blast, 20/04.

« Mort du pape François : à la télé, priorité à l'affect », Arrêt sur images, 22/04.

« La désinformation climatique se normalise gravement dans les médias », Blast, 21/04.

« Le Parisien joue l'indécence en donnant la parole à un agresseur sexuel d'enfants après le suicide de sa victime », L'Humanité, 18/04.

« Grande étude sur le "wokisme" à l'université : intérêt médiatique limité », Arrêt sur images, 18/04.

« Retour sur l'affaire Gérard Miller : quelle responsabilité de la télé ? », Arrêt sur images, 18/04.

« Moins de pollution grâce à Hidalgo et l'UE, les médias le taisent », Arrêt sur images, 19/04.

Enfin ! Des journalistes de gros médias se révoltent contre le génocide à Gaza, Le Média, 23/04.

Économie des médias

« Au magazine "Le Point", plus de 50 suppressions de postes prévues », Le Monde, 24/04.

« Vivendi : la scission pourrait coûter cher à Bolloré », Le Monde, 22/04.

« Le projet de fusion TF1-M6 bientôt relancé ? », Libération, 22/04.

« Quand Rodolphe Saadé fait son autopromo chez BFM », La Lettre, 22/04.

« L'Agence France-Presse en délicatesse avec une partie de ses correspondants », Le Monde, 23/04.

« Deux cents médias français portent plainte contre Meta pour "pratiques illégales" », Le Monde, 23/04.

« De "Vert" à "Disclose", le don s'installe parmi les modèles économiques des médias, La Revue des médias, 22/04.

À signaler, aussi

« Menaces, espionnage et garde à vue, quatre journalistes racontent les pressions qu'ils ont subi », StreetPress, 18/04.

« Nomination à la tête de France Télévisions : lettre des syndicats à l'Arcom pour la transparence du processus », communiqué intersyndical, 24/04.

« Non, les plumitifs de Frontières ne sont pas des journalistes », Blast, 22/04.

« Le portrait de la journaliste palestinienne tuée par Israël, Fatima Hassouna, n'a pas été généré par IA », L'Humanité, 22/04.

« Non au retour de Sébastien Cauet à l'antenne ! », MeTooMedia, 23/04.

Et aussi, dans le monde : Ukraine, États-Unis, États-Unis (bis), Afghanistan...

Parutions

Pauline Perrenot, Les médias contre la gauche, Agone, 18 avril 2025.

« Orwellisation du débat public », Médiacritiques, n°54, printemps 2025.

Le Système Bolloré. De la prédation financière à la croisade polique, rapport, Attac/Observatoire des multinationales.

Retrouver toutes les revues de presse ici.


[1] Précisons-le : référencer un article dans cette revue de presse ne signifie pas forcément que nous y souscrivons sans réserve.

18.04.2025 à 10:00

Gaza, Le Parisien, RN et compagnie : revue de presse de la semaine

Elvis Bruneaux

Du 11/04/2025 au 17/04/2025.

- L'actualité des médias /
Texte intégral (1225 mots)

Critique des médias : une revue de presse hebdomadaire. Si ce n'est exhaustive, au moins indicative [1]. Au programme : du 11/04/2025 au 17/04/2025.

Critique des médias

« Condamnations du RN : saturation de la comm', discrédit de l'État de droit », Acrimed, 15/04.

« Sarkozy, Le Pen : quand le tribunal médiatique fait le procès de la justice », Blast, 13/04.

« Rassemblement en solidarité des journalistes à Gaza : la plupart des télévisions font l'impasse », Acrimed, 17/04.

« TF1 et France 2 tanguent dans la "tourmente" boursière », Télérama, 11/04.

« Arrogance "artistique" et mépris du "social", LMSI, 15/04.

« Fait divers : pourquoi la presse parle si mal des meurtres de personnes trans », Arrêt sur images, 15/04.

« Demorand, ce malade si "émouvant" qu'il en fait oublier la crise de la psychiatrie », Arrêt sur images, 13/04.

« Vous saviez que CNews était une chaîne d'extrême droite ? Nous pouvons le prouver », Sleeping Giants, 17/04.

Économie des médias

« "C'est simple, ils n'en ont rien à foutre" : le plan de "réorganisation" du Parisien prévoit la suppression de 54 postes », L'Humanité, 15/04.

« Radio France acte la mort de la radio Mouv' », L'Humanité, 17/04.

« Audiences radio : RTL redevient deuxième derrière France Inter, Europe 1 grimpe », Le Monde, 15/04.

« Présidence de France Télévisions : dans la dernière ligne droite, les candidats ne se bousculent pas », L'Informé, 14/04.

« Bras de fer judiciaire entre France télévisions et les studios niçois de la Victorine », La Lettre, 16/04.

« Le média féministe "Period" est-il en passe de disparaître ? », Arrêt sur images, 14/04.

Dans les rédactions

« Europe 2 : Sébastien Cauet, mis en examen pour viols et agression sexuelle, reprend les rênes de la matinale de la radio », Libération, 15/04.

« "Le travail a officiellement commencé" : Hanouna a débarqué chez M6 et prépare la rentrée de septembre, Libération, 15/04.

« "C'est vraiment minable" : une grande signature du "Canard enchaîné" en conflit avec la nouvelle direction », Télérama, 14/04.

À signaler, aussi

« Sondages : les oligarques des médias à la manœuvre pour 2027 », OFF Investigation, 11/04.

« Les "journalistes" de "Frontières" sont-ils vraiment journalistes ? », Arrêt sur images, 12/04.

« "Cash Investigation" et deux journalistes françaises visées par une vague de cyberharcèlement prochinoise après une enquête sur Decathlon », Le Monde, 14/04.

« Une journaliste convoquée par la police pour un article qui n'est pas paru : stop aux manœuvres d'intimidation ! », SNJ, 16/04.

« A La Baule, le carton d'un journal gratuit conspi, antivax et proche de l'extrême droite », Libération, 12/04.

« Le CDJM lance SOS Déonto, un service d'assistance et de conseils aux journalistes », CDJM, 14/04.

« Quand Macron infiltrait Le Monde pour le compte des Sarkozystes », OFF Investigation, 15/04.

« Journalisme sous IA : que retenir de l'expérimentation d'« Il Foglio AI » ? », La Revue des médias, 11/04.

« "Les journalistes de Gaza sont des héroïnes" », Mediapart, 16/04.

« Confrère brûlé vif à Gaza : journalistes, indignons-nous ! », Arrêt sur images, 11/04.

« "Les journalistes palestiniens ne sont pas affiliés au Hamas" : rassemblement en solidarité avec les journalistes tués à Gaza », L'Humanité, 17/04.

« Guerre à Gaza : la photojournaliste Fatima Hassouna assassinée dans le bombardement de sa maison par Israël », L'Humanité, 16/04.

Et aussi, dans le monde : Soudan, Russie...

Retrouver toutes les revues de presse ici.


[1] Précisons-le : référencer un article dans cette revue de presse ne signifie pas forcément que nous y souscrivons sans réserve.

18.04.2025 à 09:37

Les médias contre la gauche

Pauline Perrenot

Introduction à la réédition.

- Des livres : présentations et extraits
Texte intégral (4756 mots)

Publié en 2023, notre livre Les médias contre la gauche montre comment les médias dominants jouent un rôle actif dans la droitisation du débat public depuis quarante ans. Un processus qui s'est encore accéléré ces deux dernières années, en même temps que se dégradaient les conditions d'expression et d'existence médiatique de la gauche. Après plusieurs milliers d'exemplaires vendus, notre éditeur (Agone) a décidé de le rééditer en poche. Il sera disponible en librairie à partir du 18 avril. Il est aussi possible de le commander sur notre boutique en ligne. Nous en publions ici l'introduction.

Il y a quarante ans, en mars 1983, François Mitterrand, premier président de gauche de la Ve République, élu en 1981 sur un programme de rupture avec le capitalisme, amorce un « tournant de la rigueur » et renonce de ce fait à poursuivre la politique pour laquelle il a été élu [1]. Il n'y aura pas de retour en arrière. Au cours des années et des décennies suivantes, les médias qui s'opposaient au pouvoir gaulliste puis giscardien et avaient soutenu le candidat socialiste s'abstiennent d'interroger trop ouvertement – et a fortiori de critiquer – ce fait politique majeur. Au nom du réalisme, du sérieux et de la culture de gouvernement, ils l'accompagnent même avec zèle.

En 1984, Libération, qui est pourtant alors emblématique de la gauche post-soixante-huitarde (quotidien fondé en 1973 autour de Jean-Paul Sartre), donne un compte rendu enthousiaste d'une émission spéciale réalisée par la chaîne de service public Antenne 2, « Vive la crise ! », qui chante les louanges de l'austérité, les vertus du marché et l'obsolescence de l'État-providence [2]. Au cours des années 1980, Le Nouvel Observateur, hebdomadaire de la gauche intellectuelle et culturelle qui s'était engagé en faveur de François Mitterrand, devient l'organe de propagande de la faction du Parti socialiste la plus anticommuniste et la plus droitière, acquise à l'économie de marché la plus débridée ; il s'accommode évidemment fort bien des reniements gouvernementaux, quand il ne les appelle pas de ses vœux. Le Monde, qui tient à son statut de quotidien « de référence » et à sa ligne de centre gauche, s'aligne sans scrupules sur la nouvelle doxa économique et politique. Les médias se ferment à l'économie hétérodoxe (marxiste et même keynésienne) comme à la critique sociale. Partout, le néolibéralisme est hégémonique [3].

Bien que connaissant une embellie à partir de la fin des années 1990, les organisations de gauche fidèles à l'histoire du mouvement ouvrier, qu'elles soient partisanes, syndicales, intellectuelles ou associatives, sont marginalisées et disqualifiées. Les mobilisations parfois massives contre les réformes libérales (de la sécurité sociale, des retraites, du droit du travail, de la SNCF, etc.) provoquent systématiquement une contre-mobilisation médiatique et subissent les quolibets, le mépris et la vindicte de l'éditocratie [4]. Dans la foulée des « intellectuels contre la gauche [5] », retournement qui a marqué les années 1970, les médias ne cessent d'entonner leur crédo : la gauche sera « moderne » et « modernisatrice »… ou ne sera pas !

Ces quarante années de néolibéralisme portent aussi dans leur sillage une crise sociale et une crise politique qui ont nourri une progression constante des idées et des scores électoraux de l'extrême droite. Au cours des années 1980 et 1990, si Jean-Marie Le Pen est en partie décrié dans les médias dominants, des titres comme Le Figaro et dans une moindre mesure Le Point, mais aussi TF1 – qui domine alors outrageusement le paysage audiovisuel –, portent régulièrement les thématiques et les problématiques qui font écho aux thèses du Front national : l'immigration, l'islam et l'insécurité. En 2002, c'est d'ailleurs à l'issue d'une campagne où ce dernier thème aura occupé une place totalement disproportionnée dans les médias que Jean-Marie Le Pen accède au second tour de l'élection présidentielle. Au cours de la décennie suivante, la stratégie politique de Nicolas Sarkozy – qui braconne ouvertement sur les terres du FN tout en saturant un espace médiatique fasciné par le personnage – puis l'ascension politique de Marine Le Pen accélèrent la banalisation de son parti.

Dans cette configuration du débat public, la gauche de gauche est doublement perdante. D'une part, la question sociale, qu'il s'agisse des retraites, des salaires, du logement ou des services publics, est reléguée dans les tréfonds des débats – quand elle n'est pas préemptée par Marine Le Pen sans que les vedettes du journalisme politique y trouvent à redire. D'autre part, dès lors qu'un ou plusieurs des termes du triptyque immigration–islam-insécurité occupent l'agenda médiatique, c'est à travers le cadrage et les grilles de lecture de la droite qu'ils sont discutés, d'autant plus que le PS, en pleine « mue sécuritaire », n'en finit pas de durcir son discours. Au cours des années 2010, et plus encore à partir de 2015, à la suite de la série d'attentats qui ont endeuillé le pays, on assiste à une légitimation graduelle de mots d'ordre sécuritaires, autoritaires, nationalistes et identitaires. Ces thématiques s'imposent dans une presse magazine en perte de vitesse, et surtout dans le secteur audiovisuel où la concurrence est exacerbée, notamment depuis que coexistent quatre chaînes d'information (bas de gamme) en continu. Une partie du traitement médiatique de ces thèmes repose sur une mise en accusation de la gauche, systématiquement suspectée d'ingénuité et de laxisme, de déni et de complaisance. Prisonnière d'un débat mutilé, dont les termes ne sont pas les siens, où le pluralisme n'existe pas, la gauche ne parvient plus à imposer sa manière d'aborder ces sujets ; les désaccords qui la traversent, les analyses qu'elle propose, les réponses alternatives qu'elle apporte deviennent médiatiquement inaudibles.

Le système médiatique paraît donc, à peu près partout et tout le temps, ouvertement hostile à la gauche – et dans le même temps très affable avec les politiques et intellectuels qui ont capitulé devant le monde tel qu'il va. Sondages et doctes analyses politologiques à l'appui, les éditocrates diront qu'ils ne font que refléter l'état du débat public, rendre compte des attentes de l'opinion, des évolutions des rapports de force et des positionnements des formations politiques. Qu'en aucun cas ils n'exercent quelque influence que ce soit. Les éditocrates aiment se dépeindre comme de simples et humbles serviteurs de la démocratie et du débat public – qu'ils contribuent, de fait, à organiser. L'information qu'ils produisent, la présentation qu'ils font des enjeux et des rapports de force politiques ne seraient que les reflets d'une réalité qui s'imposerait à eux. Ils ne seraient que des miroirs du réel dont ils tenteraient de rendre compte en toute indépendance et en toute objectivité.

Pourtant, les médias ne sont pas indépendants ni autonomes. Au contraire, ils sont les faire-valoir et les relais d'influence de leurs propriétaires. Et s'ils ne sont pas directement dépendants de ce pouvoir capitalistique, qui ne se manifeste frontalement que rarement, la plupart des grands médias et des producteurs d'information (pris collectivement) se trouvent dans des situations d'interdépendance étroite à l'égard des pouvoirs politique et économique, vis-à-vis desquels ils ne sont donc pas en position de jouer leur rôle de contre-pouvoir. Par ailleurs, ils ne peuvent prétendre à une quelconque objectivité, dirigés et contrôlés qu'ils sont par des chefferies éditoriales sociologiquement solidaires des intérêts et des points de vue des classes dirigeantes.

Certes, les médias ne décident pas de l'actualité. En revanche, ils choisissent de porter leur regard ici plutôt que là, hiérarchisent les informations qui leur parviennent, distinguent celles qu'ils estiment devoir être traitées comme telles de celles qui doivent être considérées comme des « non-événements », sélectionnent celles dignes d'être « montées en une » et relèguent celles qui ne méritent que des « brèves ». Les médias ne fixent pas l'agenda politique. Ils se contentent de suivre servilement celui des institutions, des partis dominants, des multinationales, etc. Les médias ne fixent pas les termes du débat public. Mais ils savent ignorer ou, quand ils ne le peuvent pas, disqualifier ceux qui leur déplaisent, et au contraire porter voire imposer ceux qui leur conviennent ; ils savent également choisir à dessein les questions soumises aux sondés, sélectionner les « petites phrases » et entretenir les polémiques. Les médias ne sélectionnent pas les représentants politiques. Mais ils décident de faciliter ou non leur expression, de leur présenter ou non des signes de déférence, de prêter ou non du crédit à leurs propos, tout comme ils savent favoriser les « bons clients » et ignorer les plus rétifs ou les moins à l'aise. Les médias ne font évidemment pas les élections. Mais ils pèsent sur l'ensemble du processus électoral [6].

Pour toutes ces raisons, les médias jouent un rôle actif dans l'histoire sans fin de la droitisation du débat public depuis quarante ans. Et comme nous le montrerons tout au long de cet ouvrage, ce processus s'est encore accéléré au cours des dix dernières années, en même temps que se dégradaient les conditions d'expression et d'existence médiatique de la gauche, dans toutes ses composantes.

En 2017, la candidature à l'élection présidentielle d'Emmanuel Macron, qui promettait d'achever la normalisation libérale de la France, fait l'objet d'une hypermédiatisation et déclenche des vagues d'enthousiasme incontrôlé dans nombre de rédactions, du Monde à la presse quotidienne régionale, en passant par France Télévisions, L'Obs, L'Express et BFM-TV. Une fois Emmanuel Macron élu, le journalisme politique donne toute sa mesure : personnalisation outrancière du président, focalisation sur sa communication, service après-vente décomplexé des réformes engagées comme de toutes ses initiatives, fascination pour les jeux politiciens agitant le pouvoir en place, etc. Un véritable journalisme de cour, qui montrera à nouveau tout son savoir-faire lors de la campagne présidentielle 2022.

Au cours de ce premier quinquennat, dont l'un des objectifs déclarés était pourtant de lutter contre le Front national, l'assise électorale du parti de Marine Le Pen a encore progressé, tout comme l'enracinement médiatique de l'extrême droite, avec, notamment, la circulation d'un commentariat ultra réactionnaire aux quatre coins du paysage de l'information et le développement par Vincent Bolloré de son empire médiatique. Le journalisme politique installe dès 2017 le « duel Macron-Le Pen » à la une pour en faire le centre de gravité de la vie politique, au détriment notamment de Jean-Luc Mélenchon, qui avait obtenu près de 20 % des voix au premier tour de l'élection présidentielle. Pendant cinq ans se succèdent les chasses politico-médiatiques aux ennemis de la République – dont la gauche fait les frais –, et l'agenda médiatique est régulièrement polarisé par les obsessions de l'extrême droite. Une longue banalisation qui culmine en 2022 avec le traitement médiatique triomphal réservé aux candidatures d'Éric Zemmour et de Marine Le Pen à l'élection présidentielle.

Lorsque le débat public porte sur des questions socio-économiques, on pourrait penser que la gauche est a priori sur un terrain qui lui est plus favorable. C'est loin d'être le cas tant prévaut dans les médias dominants ce qu'il faut bien appeler un « journalisme de classe ». Le journalisme économique stricto sensu ne tolère pas le moindre écart au prêt-à-penser libéral. Il est la chasse gardée d'une poignée de spécialistes dont les erreurs d'analyse, les partis pris et les conflits d'intérêts sont proverbiaux mais qui continuent de clamer leur détestation de l'intervention publique et de l'État social, comme leur croyance en l'efficience de marchés omnipotents. Au-delà des seules rubriques économiques, le pluralisme est aussi en berne : les médias multiplient les partenariats avec le patronat au prétexte d'œuvrer pour l'emploi, les dirigeants de multinationales sont traités avec une considération inversement proportionnelle au mépris qui accueille les revendications des salariés comme leurs mobilisations pour protéger les acquis sociaux. Quant aux préoccupations et aux modes de vie des classes populaires, ils sont littéralement absents des grands médias, qui n'ont d'yeux que pour les classes supérieures, seules à même d'attirer les annonceurs.

Si cette éclipse de l'enquête sociale n'est pas nouvelle, à l'inverse il est une forme de journalisme qui a proliféré pendant le premier quinquennat d'Emmanuel Macron : le journalisme de préfecture. La couverture de la mobilisation contre la loi Travail en 2016 avait marqué une étape décisive dans l'accompagnement médiatique du durcissement répressif et autoritaire de l'État. Avec le mouvement des Gilets jaunes, cette tendance s'est encore accentuée. Les violences policières massives subies par les manifestants ont mis des mois à percer le mur d'indifférence médiatique, alors que les rédactions relayaient en boucle les images des affrontements tout en saluant et en documentant avec délectation la militarisation du maintien de l'ordre. Depuis, qu'il s'agisse de couvrir la moindre manifestation d'ampleur nationale, une nuit de révolte dans un quartier populaire, un fait divers crapoteux ou l'installation d'une zone à défendre (ZAD), la plupart des médias dominants ont recours au prisme sécuritaire du maintien de l'ordre. Les points de vue qui contredisent la communication des institutions répressives sont le plus souvent ignorés et, quand les nombreuses organisations de gauche mobilisées sur ces questions trouvent à s'exprimer, leurs explications ou leurs propositions sont dénigrées. Les moyens d'action politique (happenings, blocages, grèves, etc.) ne sont plus considérés que comme des perturbations de l'ordre… qu'il faut rétablir urgemment.

Tout au long de ce quinquennat, toutes les composantes de la gauche ont été à un moment ou à un autre la cible de cabales médiatiques. Comme à l'accoutumée, à l'occasion de chaque mouvement social, les syndicats furent vilipendés, leurs responsables morigénés en direct sur toutes les antennes. Régulièrement, les organisations écologistes qui réclament des mesures vigoureuses pour lutter contre le réchauffement climatique et le désastre environnemental sont tournées en ridicule et caricaturées en « khmers verts » par les plus grandes vedettes du journalisme. À plusieurs reprises, les mêmes ont entrepris de traquer d'introuvables « islamo-gauchistes » ou leurs succédanés « wokistes » et « décoloniaux » qui gangrèneraient La France insoumise ou, pire, l'Université. Jusqu'au feu d'artifice final contre la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) lors des élections législatives de juin 2022. Dans la plupart des médias se déchaîna une campagne d'une violence inouïe contre l'accord et chacun de ses protagonistes. Il ne s'agissait alors plus d'information mais bien d'une mobilisation de toute l'éditocratie, unanime contre une alliance et un programme remettant en cause la soumission de la gauche à un certain nombre de dogmes libéraux et n'entendant pas céder au cours autoritaire de la vie politique. Une union clairement campée à gauche, dont l'existence même et le relatif succès dans les urnes constituent un camouflet pour les médias dominants.

***

Deux ans plus tard, la guerre médiatique contre la coalition du Nouveau Front populaire, constituée en vue des élections législatives après la dissolution de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron en juin 2024, a pris des allures de bis repetita [7]. Feuilletonnant les « batailles pour Matignon » jusqu'à plus soif, les médias dominants ont réussi à faire oublier la victoire de la gauche aux élections, normalisant le coup de force antidémocratique du camp présidentiel [8]. La France insoumise est demeurée, à cette période, leur cible privilégiée [9].

Dans la roue du pouvoir politique et de très nombreux partis d'opposition, gauche comprise, les grands médias sont même parvenus à accoler au mouvement dirigé par Jean-Luc Mélenchon le stigmate de « parti antisémite » depuis le 7 octobre 2023. Dès le lendemain des massacres commis par le Hamas, le journalisme dominant a épousé le récit du gouvernement d'extrême droite israélien et a étouffé l'ensemble des voix et des mouvements de solidarité avec le peuple palestinien. S'est ainsi enclenchée la plus vaste et la plus violente campagne de diabolisation que la sphère politico-médiatique ait entreprise à l'endroit de mouvements sociaux et politiques contestataires au cours des dernières décennies [10].

À la manière d'un redoutable accélérateur, la question palestinienne a cristallisé un processus à l'œuvre depuis plus de dix ans dans les champs politique et journalistique, consistant à vilipender la gauche dite « extrême », tout en promouvant l'extrême droite… et ses visions du monde. Gardiennes autoproclamées du « cercle de la raison », les chefferies éditoriales se radicalisent et s'alignent toujours plus ouvertement sur le pôle réactionnaire de la vie publique, avec lequel elles communient dans une fuite en avant autoritaire et islamophobe.

Opérant précisément à la manière d'un trait d'union, la mouvance d'extrême centre gravitant autour du Printemps républicain occupe de nouveau un rôle majeur dans la conjoncture. L'influence dont jouit ce petit nombre d'éditorialistes, essayistes et polémistes au sein du champ journalistique – et des sphères de pouvoir, plus généralement – est d'autant plus importante qu'ils disposent d'un organe de presse à leur image et fait par eux, Franc-Tireur, largement légitimé, repris et cité par les grands médias en dépit, ou plus précisément en raison de sa nature indigente : un condensé d'éditorialisation et une synthèse du prêt-à-penser dominant. Sous la coupe du groupe Czech Media Invest – propriété du milliardaire Daniel Kretinsky et dont la présidence est assurée par l'illustre Denis Olivennes –, l'hebdomadaire devrait même bénéficier d'une « déclinaison » sur la TNT en 2025. Tandis que l'empire Bolloré continue de doper la droitisation et le confusionnisme ambiants, le pluralisme n'en finit plus de s'étioler… Dans un tel contexte, c'est la possibilité même de l'existence de la gauche dans le débat public – c'est-à-dire une apparition qui ne soit pas préalablement entachée de discrédit voire de diffamation systématique – qui est tout simplement en jeu.

Deux ans ont passé… et ce sont bien l'ensemble des dynamiques décrites dans ces pages qui ont redoublé d'intensité. Mobilisation de l'éditocratie contre les opposants à la réforme des retraites début 2023 [11] ; rappels à l'ordre et triomphe des injonctions sécuritaires au moment des révoltes des quartiers populaires en juin 2023 [12] ; accompagnement de la répression lors des manifestations écologistes, notamment à Sainte-Soline [13] ; surexposition outrancière de Jordan Bardella, la tête de liste du Rassemblement national aux élections européennes [14] ; relégation du journalisme social face à la suprématie des actionnaires du CAC40, qui accaparent les bénéfices de la politique économique d'Emmanuel Macron à mesure qu'ils licencient massivement partout en France [15]

On ne compte plus les symptômes de la débâcle du « quatrième pouvoir », dévoyant les missions d'information et de pluralisme qui, en théorie, le consacrent historiquement comme un pilier de la démocratie. Nous ne tirons aucune satisfaction à voir les diagnostics ici posés demeurer d'une brûlante actualité. Plutôt la conviction que le combat pour une réappropriation démocratique des médias est, aujourd'hui encore davantage qu'hier, une nécessité politique de premier plan.

Pauline Perrenot, Les médias contre la gauche, Agone, 2025, p. 7-19.


[1] Serge Halimi, Quand la gauche essayait. Les leçons du pouvoir (1924, 1936, 1944, 1981), Agone, 2018.

[2] Pierre Rimbert, « Il y a quinze ans, “Vive la crise !” », Le Monde diplomatique, février 1999.

[3] Serge Halimi, Le Grand Bond en arrière. Comment l'ordre libéral s'est imposé au monde, Agone, 2012.

[4] Serge Halimi, Les Nouveaux Chiens de garde, Raisons d'agir, 2022.

[5] Michael Christofferson, Les Intellectuels contre la gauche. L'idéologie antitotalitaire en France (1968-1981), Agone, 2014.

[6] Mathias Reymond et Grégory Rzepski, Tous les médias sont-ils de droite ?, Acrimed & Syllepse, 2008.

[7] Mathias Reymond, « Les médias en guerre contre le Nouveau front populaire », Acrimed, 5 juillet 2024.

[8] Jérémie Moualek, « La "bataille pour Matignon" : comment les médias ont fait oublier l'élection », Acrimed, 15 octobre 2024.

[10] « Israël-Palestine, le naufrage du débat public », Médiacritiques, n°49, janvier-mars 2024 ; « Maccarthysme médiatique », Médiacritiques, n°51, juillet-septembre 2024 et « Médias et Palestine », Médiacritiques n°53, hiver 2025.

[11] « Retraites : l'éditocratie avec Macron », Médiacritiques, n°46, avril-juin 2023.

[12] Mathias Reymond, « Mort de Nahel : de l'appel au calme au rappel à l'ordre », Acrimed, 12 juillet 2023 et Pauline Perrenot, « Nahel et révoltes urbaines : promenade à travers la PQR », Acrimed, 17 juillet 2023.

[13] Acrimed, « Sur BFM-TV, la police fait l'information », dans Avoir vingt ans à Sainte-Soline, sous la direction du Collectif du Loriot, La Dispute, 2024.

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