21.08.2025 à 11:23
19.08.2025 à 09:06
Nils Sabin
En 2024, la Bolivie a brûlé de mille feux. Les incendies, qui reviennent chaque année, ont été sans précédent : 12,6 millions d'hectares, soit quatre fois la superficie d'un pays comme la Belgique, sont partis en fumée. De très nombreuses communautés indigènes ont vu une partie, voire la totalité de leur territoire ravagé par les flammes. Dans le cas de la Centrale indigène Païkoneka de San Javier, une organisation regroupant 60 communautés indigènes à l'est de la Bolivie, 25 d'entre elles (…)
- Actualité / Amérique Latine-Global, Négociation collective, Environnement, Crise climatique, Développement durable, Désastres , Louise DurkinEn 2024, la Bolivie a brûlé de mille feux. Les incendies, qui reviennent chaque année, ont été sans précédent : 12,6 millions d'hectares, soit quatre fois la superficie d'un pays comme la Belgique, sont partis en fumée. De très nombreuses communautés indigènes ont vu une partie, voire la totalité de leur territoire ravagé par les flammes. Dans le cas de la Centrale indigène Païkoneka de San Javier, une organisation regroupant 60 communautés indigènes à l'est de la Bolivie, 25 d'entre elles ont été affectées.
« On a perdu tout le manioc, les bananes, le riz, la patate douce, l'ananas. Tout ce que l'on cultive pour vivre », témoigne Agustín, de la communauté Los Tajibos, « le feu nous a presque tout pris et depuis, chacun survit comme il peut. »
L'année 2024 a été une année terrible pour les communautés de la Centrale païkoneka : « Nous avons d'abord souffert d'une sécheresse terrible qui nous a fait perdre beaucoup de récoltes et directement après, les incendies, amplifiés par la sécheresse, qui ont duré de juin à octobre », explique Brian Baca Talamas, technicien et coordinateur des pompiers volontaires païkoneka.
Pour se rendre dans l'une des communautés affectées, il est difficile de trouver un véhicule, l'immense majorité de ceux de la Centrale indigène sont hors d'état de marche ou en réparation, après avoir servi à combattre les incendies dans des conditions difficiles.
À Bella Vista, le territoire de la communauté a été ravagé à plus de 70% par les incendies comme l'explique Maria Rodriguez Sorioco, une de ses membres : « Nous n'avons plus de quoi vivre ! Nous n'avons presque rien semé, alors que c'est ce qui nous permet de vivre ». À part quelques vaches qui paissent près de la petite église, la communauté semble vidée de ses habitants. Ceux-ci se sont retrouvés obligés d'aller travailler comme journalier dans les ranchs alentour. « Mais à 80 bolivianos [environ 10 euros] par jour, ce n'est pas suffisant pour une famille. Nous devons tout rationner et nous n'avons pas assez de nourriture pour nous alimenter correctement », souligne M. Baca Talamas.
Ces incendies ont aussi entraîné une migration temporaire inédite dans l'histoire de la centrale : « Une famille sur cinq a dû partir en ville pour trouver un travail salarié et pouvoir manger », ajoute-t-il. La situation n'était toujours pas revenue à la normale, trois mois après la fin des incendies.
La Bolivie n'est pas le seul pays à avoir souffert de la sécheresse et des feux en 2024. Le Brésil, l'Argentine, le Paraguay ou encore le Pérou ont fait face à des situations similaires. En Amérique centrale, ce sont les ouragans et tempêtes tropicales qui ont fait des ravages.
Selon l'organisation météorologique mondiale (OMM), 2024 a été une année record en termes d'ouragan, d'inondations, de sécheresses et d'incendies forestiers en Amérique latine et dans les Caraïbes. Dans la région, 74 % des pays sont fortement exposés à ce type de phénomènes météorologiques extrêmes, alertait l'Organisation Panaméricaine de la Santé en janvier 2025.
La fréquence élevée de ces évènements climatiques est un véritable risque dans une région où 17% des emplois dépendent directement des écosystèmes. Parmi les secteurs les plus touchés : l'agriculture, le tourisme nature, la pêche ou encore l'industrie du bois.
De par son importance en termes d'emploi et sa vulnérabilité aux évènements climatiques extrêmes, l'agriculture est de loin le secteur le plus à risque : « Il y a déjà des variations de températures, de précipitations qui vont continuer à se renforcer et qui peuvent affecter positivement ou négativement la production agricole en fonction des systèmes productifs », détaille Deissy Martínez-Barón, chercheuse colombienne et membre de l'Alliance pour la biodiversité et Centre International d'Agriculture Tropicale (CIAT). « Mais concernant la récurrence plus élevée d'événements climatiques extrêmes, les conséquences sont totalement négatives », indique-t-elle.
Pour autant, il est très difficile de chiffrer précisément les conséquences que pourrait avoir le changement climatique sur les emplois liés aux écosystèmes. « Il y a encore beaucoup de simplicité dans les modèles que nous utilisons pour interpréter ce qu'il se passe maintenant et dans les années à venir », reconnaît Santiago Lorenzo, chef de l'unité Économie du changement climatique de la Commission Économique pour l'Amérique Latine et les Caraïbes (Cepal). Et surtout, « cela dépend de comment les États investissent dans l'adaptation au changement climatique. »
« Si rien n'est fait, les emplois perdus se compteront en millions. Mais il est aussi possible d'investir dans des secteurs d'avenir qui ont besoin de beaucoup de main d'œuvre, par exemple, dans la conservation de l'environnement », continue M. Lorenzo.
Selon la Banque Interaméricaine de Développement (BID), la transition vers une économie plus durable pourrait créer jusqu'à 15 millions d'emplois dans la région d'ici 2030. Pour Deissy Martínez-Barón, l'un des freins à cette transition est le manque de vision à long terme. « Au niveau national, l'horizon des gouvernements est le plus souvent leur 4 ou 5 ans de mandat. Et au niveau local, les petits producteurs ont du mal à se projeter au-delà de la prochaine récolte et c'est parfois même au jour le jour ».
L'Alliance pour la biodiversité - CIAT tente de changer cela au niveau local en donnant aux petits producteurs, qui représentent 80% des exploitations du sous-continent, les outils et la formation nécessaires pour qu'ils puissent comprendre et évaluer par eux-mêmes comment le changement climatique va affecter leurs cultures.
L'un des projets les plus aboutis a lieu au Guatemala et au Honduras, dans le « corridor sec » centraméricain, une région caractérisée par des pluies irrégulières, une grande sensibilité à la variabilité du climat et donc une importante vulnérabilité au changement climatique.
C'est là que se trouvent les « Territoires durables et intelligents face au climat », comme les nomment L'Alliance pour la biodiversité - CIAT, où les communautés travaillent en collaboration avec des chercheurs pour identifier les pratiques agricoles les plus adaptées au changement climatique. « Cela passe par l'implantation de parcelles avec leur propre système de collecte d'eau et d'irrigation, des variétés qui résistent à différentes températures, à différents niveaux de précipitations… », développe Deissy Martínez-Barón. L'objectif final est qu'une fois formés, les producteurs soient totalement autonomes et qu'ils puissent à leur tour transmettre ces connaissances.
Les espaces internationaux ont aussi leur importance. « Ils permettent de donner du poids à des thèmes communs à tous les pays », juge Martínez-Barón, mais aussi de collaborer voire de s'unir sur certains sujets comme le financement de l'adaptation et la résilience climatique ». Cette année, la COP30 organisée à Belém, auBrésil, est l'occasion pour des acteurs locaux de mettre en lumière leurs revendications.
C'est l'objectif du Réseau syndical amazonien, issu de l'International des travailleurs du bâtiment et du bois (IBB) qui compte mettre les conditions de travail (parfois forcé) des travailleurs de l'Amazonie, au centre des négociations à Belém. « La protection des forêts tropicales et de leurs habitants doit aller de pair. Il ne suffit pas de protéger l'une si nous ne protégeons pas l'autre », déclarait Raimundo Ribeiro, président du comité régional de l'IBB pour l'Amérique latine et les Caraïbes, en mars, lors d'une rencontre pré-COP30 à Brasilia.
« L'adaptation au climat doit signifier la fin du travail forcé et des protections pour les travailleurs en extérieur confrontés à la chaleur croissante. L'atténuation [des effets climatiques] doit se traduire par des emplois verts qui sortent les travailleurs de l'informalité et de la pauvreté ». Parmi leurs revendications : assurer la participation des syndicats à tous les plans d'adaptation climatique ou encore affecter les fonds climatiques à la création de travail décent dans les régions forestières.
Pour Santiago Lorenzo, la coopération internationale est absolument nécessaire. Elle permet de partager les expériences des voisins, les erreurs, comme les bonnes leçons. Et surtout, « le changement climatique n'a pas de frontières et quand on parle de gestion de l'eau avec des cours ou des corps d'eau sur plusieurs pays ou encore de la forêt amazonienne, la coopération d'acteurs nationaux comme locaux est inévitable ».
Un constat partagé par Deissy Martínez-Barón qui tient à rappeler qu'à cette approche globale doit s'ajouter la prise en compte in fine des réalités locales : « Tout se passe sur le territoire et c'est sur celles-ci que nous devons concentrer nos efforts, parce qu'en fin de compte, ce sont elles qui sont confrontées quotidiennement aux effets sociaux-économiques du changement climatique. »