Du concert géant de Thompson, légende de la musique croate connue pour ses sympathies pronazies qui a réuni 450.000 personnes à Zagreb en juillet, à l'attaque par des hooligans d'évènements culturels serbes en novembre, les tensions se multiplient ces derniers mois, note Florian Bieber, de l'université autrichienne de Graz.
"On voit à la fois une montée du révisionnisme historique et une hausse des menaces contre ceux qui pensent différemment", explique le chercheur. Un processus qui s'accompagne de nombreuses tentatives de réhabilitation des Oustachis, le régime pronazi au pouvoir pendant la 2e guerre mondiale.
"Ce n'est pas nouveau, mais cela s'est accéléré et amplifié cette année", ajoute M. Bieber.
En juillet, Marko Perkovic, connu sous le nom de scène 'Thompson', a chanté devant des centaines de milliers de personne son tube qui commence par "Za dom spremni" - "Pour la patrie, prêts"; le slogan des Oustachis. Un régime installé par Berlin pendant la guerre et responsable de la persécution et de la mort de centaines de milliers de Serbes, de Juifs, de Roms et de militants antifascistes.
Ce concert a ouvert une brèche dans laquelle se sont engouffrés les sympathisants d'extrême droite.
"Les racines sont plus profondes, mais le concert les a sûrement encouragés, car ils ont vu le nombre de fans", analyse Florian Bieber.
Même le Premier ministre, Andrej Plenkovic, a assisté aux répétitions, et posté un selfie avec Thomson.
Depuis mai 2024, son parti le HDZ (droite) gouverne au sein d'une coalition avec le Mouvement patriotique, au discours nationaliste, anti-immigration, anti-LGBT, et qui prône l’interdiction de l’avortement dans un pays où l'église catholique est presque toute puissante.
"Foi, famille, patrie"
Thompson, dont le pseudonyme évoque un pistolet mitrailleur, est devenu célèbre pendant les conflits qui ont déchiré la Yougoslavie dans les années 1990.
Présentant ses concerts comme des célébrations de "la foi, la famille et la patrie", il rejette toute sympathie nazie, des accusations "inacceptables" selon lui.
Mainte fois, il a expliqué que le refrain de "Za dom spremni" n'a rien à voir avec le slogan Oustachi, même si les mots sont les mêmes. Il dit se référer à l'utilisation de ce même slogan par un groupe paramilitaire au début des années 1990.
Une phrase normalement interdite selon une décision de la Cour constitutionnelle en 2006. Mais répétée jusqu'au sein du Parlement par deux députés après le concert géant de Thomson cet été.
En octobre, plusieurs députés ont organisé au sein du Parlement une table ronde remettant en question le nombre de victimes du camp de concentration croate de Jasenovac, dans lequel 100.000 personnes ont été tuées, selon le musée américain de l'Holocauste.
La communauté juive a fustigé un évènement "scandaleux" et "une disgrâce morale".
Tensions serbo-croates
Un discours ultranationaliste qui ravive aussi les tensions entre Serbes et Croates, qui se sont affrontés pendant les guerres des années 1990.
Et si le respect des droits de la minorité serbe de Croatie était l'une des conditions de l'entrée du pays dans l'Union européenne en 2013, les discours antiserbes n'ont jamais disparu.
Pour Milorad Pupovac, le représentant de la minorité serbe - 3% des 3,8 millions d'habitants de Croatie, la situation n'a jamais été aussi tendue.
Début novembre, des hommes masqués ont pris d'assaut un événement culturel serbe en scandant des slogans fascistes, poussant à l'annulation de plusieurs événements similaires pour des raisons de sécurité. Des graffitis antiserbes ont aussi été signalés dans plusieurs villes.
"Nous n'avions jamais vu des groupes masqués de jeunes ultras s'en prendre ainsi à la culture, à la liberté d'expression et aux droits des minorités, et potentiellement bientôt aux institutions elles-mêmes", s'inquiète M. Pupovac.
- Nouvelles générations -
Dans les foules venues assister au concert de Thomson, au milieu des symboles pro-oustachis, de très nombreuses familles viennent avec des enfants et des adolescents, nés bien après la fin de la guerre.
Des nouvelles générations exposées à des idées ultra-nationalistes parfois même plus extrêmes que celles ayant cours pendant la guerre - "dans un contexte mondial où les idées radicales sont plus courantes, plus socialement acceptables", explique Florian Bieber.
Dimanche, environ 10.000 manifestants antifascistes se sont rassemblés en Croatie pour dénoncer les récentes actions antiserbes et la résurgence de la politique d'extrême droite dans leur pays.
"Il est temps pour une majorité silencieuse de dire quelque chose contre ces évolutions dangereuses et violentes", expliquait la militante Vedrana Bibic à l'AFP quelques jours avant la manifestation.