Les embouteillages s'intensifient, les tarifs des taxis augmentent de moitié et les Nigérians écument restaurants, bars et night-clubs jusqu'au petit matin.
"Detty December", le pidgin nigérian pour "Dirty December", est là: déjà célèbre pour la frénésie de sa vie nocturne, la mégapole de plus de 20 millions d'habitants, gonflée par l'afflux des Nigérians de la diaspora qui rentrent pour les fêtes de fin d'année, ne dort plus.
Des techniciens installent encore quelques projecteurs tandis que les premiers spectateurs arrivent pour la soirée d'ouverture du "Detty December Festival", qui égrènera pendant trois semaines concerts et spectacles.
"Après avoir travaillé toute l'année, le mois de décembre est l'occasion de sortir, de m'amuser et de me détendre", explique Chioma Chinweze, consultante en marketing de 33 ans, cheveux lissés coupés au carré et casquette New York City vissée sur la tête.
"Detty December, c'est l'excitation, Detty December, c'est le plaisir, Detty December, c'est la fête sans interruption, Detty December, c'est la vie!", s'emballe Rukky Michel, 27 ans, lunettes de soleil dans la nuit noire et cocktail à la main.
Cette année, Detty December "va être encore plus gros que l'an dernier", assure Taiwo Akintunji, infirmier installé depuis une vingtaine d'années à Los Angeles.
"Les Nigérians sont connus pour aimer profiter de la vie(...). Nous sommes de grands dépensiers", plaisante le quarantenaire dans son débardeur à l'effigie des Ramones, mythique groupe de punk américain.
Sur la scène, le spectacle bat son plein, à grands renforts de danseurs et chanteurs qui ambiancent le public au son de tubes d'afrobeat.
Derrière les grandes façades vitrées du bâtiment, quelques femmes passent la serpillère, des balais trainent encore sur le parking.
"Tout se passe pendant Detty December, tout le monde devient fou. De nouveaux clubs ouvrent, de nouveaux restaurants ouvrent. Pour être très honnête, c'est pendant Detty December qu'on gagne de l'argent", décrit Charbel Abi Habib, manager du lieu.
Les tablées commencent à danser aux sons du DJ. Une femme d'une trentaine d'année, minirobe noire moulante et longue chevelure raide, assise sur une banquette en velours vert, lorgne sur des escarpins sur son téléphone portable. L'homme à côté d'elle, cinquantenaire tout de noir vêtu, cigare aux lèvres, alliance à l'annulaire gauche, lui fourre deux billets de 100 dollars dans le décolleté. Immédiatement, elle se redresse et se met à danser.
Dans les toilettes en faux marbre noir, l'image d'une panthère noire fixe de son oeil jaune les clientes qui se rafraîchissent.
Kiki Banjo - un pseudonyme - glousse avec ses amies. Installée au Royaume-Uni, elle doit se marier ce mois-ci au Nigeria, comme le proclame son serre-tête en strass "Bride to be" ("future mariée"). "C'est de la pure joie, tout le monde de la diaspora se réunit, j'adore!", s'exclame-t-elle dans sa courte robe à sequins argentés.
"L'économie nigériane est très tendue, et vivre au Nigeria n'est pas vraiment idéal. Mais en décembre, on est insouciant, on ne pense pas à économiser. On veut juste s'amuser", assure Michelle Wobo, maquilleuse de 32 ans.
Depuis 2023, le Nigeria connaît sa pire crise économique depuis une génération et l'inflation à deux chiffres a sévèrement plombé le pouvoir d'achat de ses habitants.
Au milieu de la salle toute en longueur au plafond parcouru de lasers, deux pole-danseuses assurent le show, bottes en fausse fourrure rouge et blanche, body en satin rouge, Noël oblige.
"En temps normal les gens de Lagos sortent, mais à Noël c'est multiplié par trois", décrit Kola Adegbola, 31 ans, qui travaille dans le secteur pétrolier.
Les fêtards de la mégapole ne se sentent aucunement concernés par la recrudescence des kidnappings de masse et de l'insécurité dans la moitié nord du Nigeria, qui a poussé le chef de l'Etat Bola Tinubu à proclamer l'état d'urgence sécuritaire dans le pays fin novembre.
"Je ne me suis jamais sentie autant en sécurité qu'ici", affirme Liberty Mini, décoratrice d'intérieur de 33 ans, originaire du Burundi, élevée aux Pays-Bas et installée à Lagos depuis trois ans.
Sur la scène, au milieu des volutes de shisha, des danseuses en bikinis microscopiques se trémoussent.
Plusieurs femmes en string et cache-tétons pailletés dansent sur les genoux d'hommes qui leur jettent des billets de banque, dans la pure tradition nigériane du "spraying", une pratique qui consiste à lancer des billets en l'air lors des célébrations - en principe interdite par la loi.
Cet agent immobilier de 40 ans rentrera chez lui se coucher "peut-être d'ici une heure". Car "demain, la fête continue".