Dans l'affaire de la plateforme "French Bukkake", seize hommes, présumés innocents, doivent être jugés à Paris pour viols en réunion ou trafic d'être humains. Les investigations autour du site "Jacquie et Michel", elles, se poursuivent.
Des dizaines de femmes se sont constituées parties civiles. Depuis 2022, quinze autrices ont rencontré seize plaignantes refusant "d'être enfermées à perpétuité dans l'image de leurs corps violés".
Les bénéfices du livre, qui paraît vendredi aux éditions du Seuil, seront versés à la Fondation des femmes. "Ce livre, ce sont leurs vies broyées, leurs vies têtues", écrivent les autrices.
"Elles ont été victimes d'une surexposition" sur Internet, "d'un porno où on ne cherche pas à jouir ensemble, mais où la jouissance vient de la destruction de la femme", analyse pour l'AFP l'autrice Hélène Devynck, à l'origine du projet avec Adélaïde Bon. "Nous voulions leur offrir, avec la littérature, un reflet où elles se voient belles".
Dans le dossier "French Bukkake", de nombreux accusés assurent que les femmes étaient consentantes, qu'il s'agissait d'un jeu d'acteurs.
- "Le prénom de ma fille" -
Il y a d'abord Loubna, dont le prénom a été modifié comme pour les autres plaignantes.
Loubna se "défonce" depuis que son compagnon la prostitue. Un jour, il lui parle d'un "nouveau plan".
Emmenée sur le lieu de tournage, Loubna, encore "défoncée", "parle trop" et lâche le prénom de sa fille au caméraman qui l'accueille. Au sous-sol, deux hommes "là pour leur plaisir". Suivent "des heures de pénétration".
"Parfois, elle arrive à parler. Elle dit qu'elle ne veut pas d'anal. Elle répète, elle hurle, elle se débat", écrit la journaliste Alice Géraud, qui a mis en mots son calvaire.
"La violence des hommes est un marteau-piqueur qui s'acharne sans relâche sur le corps de Loubna". La mesquinerie aussi. Loubna découvrira le nom d'emprunt choisi par les réalisateurs pour la vidéo: "le prénom de ma fille".
Pauline, elle, "voudrait pouvoir dire qu'elle est aussi une jeune femme enjouée, pas seulement une rescapée de l'enfer".
Cette semaine, elle a lu, aux côtés d'autres plaignantes et d'autrices, des passages du livre à paraître, à la Maison des Métallos à Paris.
Droite au micro, celle qui a tenté de se suicider s'est sentie "fière" devant ce public venu l'écouter, dit-elle à l'AFP après la lecture. "Pourquoi on n'aurait pas le droit d'aller bien ?"
Toutes racontent "après les viols, le meurtre social": le harcèlement, sur Internet et jusque devant chez elles, les inconnus qui leur crachent reconnaître "leur cul". L'une dit avoir déménagé 18 fois en 12 ans.
"L'histoire d'un non"
Une heure et vingt minutes de récits de violence, mis en lecture par la metteuse en scène Lorraine de Sagazan. Le public, bouleversé, scande : "Justice !", transporté par la solidarité manifeste entre autrices et plaignantes, aux âges et milieux sociaux variés.
Agathe Charnet est, elle, de la même génération que la plaignante dont elle devait écrire le récit.
"Petites filles d'Internet" des années 2000, elles ont partagé les "mêmes fragments d'adolescence". Vu les mêmes images de "corps de gamines (...) se faisant retourner comme des crêpes par des hommes sans visages aux bites mastoïdes qui les traitaient sans interruption de +petites putes+, +belles salopes+ et de +sales chiennes+".
"Et au lieu de leur filer une mandale en pleine poire, les filles aux seins sublimes et au ventre nullipare se contentaient de placer judicieusement en levrette leurs fesses savamment bombées en hurlant que +oui, oui, oui+", se souvient Agathe Charnet, retraçant l'impact de la pornographie sur sa "confusion intrinsèque de l'amour romantique et de la soumission".
Mais, tout compte fait, Agathe Charnet ne "racontera pas aujourd'hui l'histoire de M.".
"Si elle soutient pleinement la raison d'être de ce livre, M. a émis le souhait de ne pas finalement être dite ici".
Alors ce livre, c'est aussi "l'histoire d'un non". Un non qui, pour une fois dans la vie de M., aura été respecté.