12.11.2024 à 18:38
Maxime Domegni
#AfricaFocusWeek Du 18 au 24 novembre 2024, GIJN met en lumière le journalisme d’investigation en Afrique… et organise pour l’occasion un webinaire spécial, avec des journalistes chevronnés, pour vous aider à connecter vos enquêtes à l’Afrique. Rendez-vous mardi 26 novembre.
Plus que jamais, des recherches en investigation révèlent des pistes qui finissent très loin de leur point d’origine. Une enquête sur un meurtre dans une mine en République démocratique du Congo pourrait mener au siège londonien de l’une des principales sociétés diamantaires au monde. Une enquête sur la corruption au Libéria pourrait mener à un cabinet d’avocats ou à une société financière d’Amérique centrale. De même, une histoire sur le trafic d’espèces sauvages en Asie pourrait trouver son origine en Afrique du Sud.
Par conséquent, les journalistes d’investigation ont souvent besoin d’un coup de main pour mener à bien leurs enquêtes en accédant à des informations provenant de régions du monde auxquelles ils ne peuvent pas accéder facilement. En Afrique, plus que dans la plupart des autres régions du monde, les obstacles que les journalistes doivent surmonter pour réaliser des reportages en dehors de leur pays ou de leur continent sont nombreux, qu’il s’agisse de limitations financières, de restrictions en matière de visas ou de barrières technologiques. Les reporters étrangers se heurtent également à des difficultés uniques en Afrique, que les journalistes locaux ont les compétences et l’expérience nécessaires pour surmonter.
Le journalisme d’investigation collaboratif gagne donc en importance en tant qu’outil mutuellement bénéfique pour les journalistes et les rédactions désireux de raconter des histoires en Afrique ou sur l’Afrique, comme le montrent les exemples récents du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et de ses partenaires en Afrique australe, Africa Uncensored et Lighthouse Reports, le Pulitzer Center, ainsi que ce premier et ce deuxième sujetsréalisés par les équipes d’Associated Press.
Dans le prolongement de sa série Africa Focus Week (prévue du 18 au 22 novembre), GIJN est heureux de vous présenter ce webinaire au cours duquel des journalistes africains qui ont mené des enquêtes collaboratives percutantes discuteront de la manière de relier les points entre l’Afrique et votre prochain sujet d’enquête. Notre panel d’experts s’appuiera sur leurs propres expériences et connaissances pour identifier des conseils utiles pour enquêter sur les méfaits des multinationales, l’exploitation des ressources naturelles et l’impunité au-delà des frontières.
Grace Ekpu est photographe et réalisatrice de documentaires. Anciennement productrice de nouvelles à TVC News Africa et journaliste senior à la BBC, elle a rejoint en 2022 l’unité d’enquêtes internationales de l’Associated Press, où elle couvre les océans et les pêcheries grâce à son expertise visuelle.
Cynthia Gichiri est reporter et productrice à Africa Uncensored, un média d’investigation et de journalisme d’intérêt public de référence. Au cours d’une carrière où son travail a été récompensé à plusieurs reprises, elle a participé à plusieurs projets locaux et internationaux de journalisme d’investigation collaboratif.
Madeleine Ngeunga est Editor pour l’Afrique au Pulitzer Centre, qui finance des reportages et enquêtes indépendants sur des questions systémiques sous-estimées dans le monde entier, y compris en Afrique et à propos de l’Afrique.
Micah Reddy est le coordinateur pour l’Afrique du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), qui s’est associé à plusieurs centres de journalisme d’investigation et à des médias en Afrique pour réaliser des enquêtes percutantes.
La modératrice est Dinesh Balliah, directrice du Wits Centre for Journalism et organisatrice de la Conférence africaine sur le journalisme d’investigation 2024.
Surveillez notre fil Twitter @gijnAfrique et abonnez-vous à notre bulletin d’information en français pour plus de détails sur les événements à venir.
Date du webinaire : Mardi 26 novembre 2024
Heure : Trouver l’heure qu’il fera dans votre ville
21.10.2024 à 15:34
Alcyone Wemaere
GIJN en français a organisé le 7 novembre 2024 un webinaire durant lequel trois journalistes confirmés ont partagé leurs astuces pour enquêter sur le système agro-industriel.
Que ce soit en termes d’emplois ou de chiffre d’affaires, l’agro-alimentaire est la première industrie de France. Son impact majeur sur de nombreux secteurs (alimentaire, sanitaire, environnemental, social…) en fait une matière riche à enquêtes d’intérêt public.
Vous souhaitez visionner le replay de ce webinaire? Envoyez un mail à : alcyone.wemaere@gijn.org pour en demander l’accès.
Pourtant, à la mesure de son poids économique, l’agro-industrie n’est pas un terrain réputé facile pour les journalistes d’investigation. “Opacité”, “silence”, “omerta”, “pression” sont des mots qui reviennent souvent dans la bouche des journalistes couvrant le sujet, en France comme ailleurs.
Pour encourager les enquêtes sur le système agro-industriel et aider les journalistes désireux de creuser le sujet, le département francophone de GIJN, le Réseau international de journalisme d’investigation, a organisé le 7 novembre 2024 un webinaire avec plusieurs journalistes expérimentés, travaillant depuis plusieurs années sur le sujet et qui ont partagé leurs conseils et leurs techniques d’enquête :
Nicolas Legendre. Correspondant pendant plusieurs années du journal Le Monde en Bretagne et également collaborateur de Géo et XXI, il a reçu le Prix Albert Londres en 2023 pour son livre-enquête “Silence dans les champs” (éditions Arthaud), fruit de sept ans de travail et riche de plus de 300 témoignages recueillis sur le terrain.
Inès Léraud. Journaliste indépendante, membre du collectif Disclose, elle a co-cofondé Splann ! ainsi que l’Observatoire français des atteintes à la liberté de la presse (Ofalp), elle a commencé à enquêter sur le phénomène des algues vertes à partir de 2016 pour Radio France. Enquête qui a donné lieu à une BD : “Algues vertes, l’histoire interdite” (éditions Delcourt).
Robert Schmidt. Journaliste indépendant, co-fondateur du collectif We Report, il enquête, entre autres, sur les conflits d’intérêts et les questions d’environnement pour différents médias français mais aussi allemands (Mediapart, Arte…). Il a commencé à travailler sur l’enquête #WaterStories en 2017.
Modération : Alcyone Wemaëre, responsable de GIJN en français et co-encadrante du master data et investigation du CFJ et de Sciences-Po Lyon.
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09.10.2024 à 03:46
Ana P. Santos
Comment les journalistes peuvent-ils enquêter sur les féminicides sans réduire le meurtre de femmes à des statistiques criminelles, et comment produire un récit qui humanise sans sensationnaliser ?
Les articles sur le féminicide – le meurtre délibéré de femmes parce qu’elles sont des femmes – sont souvent axés sur des détails salaces et macabres, ou s’appuient uniquement sur des données concrètes pour illustrer le nombre de femmes tuées.
Alors comment les journalistes peuvent-ils faire mieux lorsqu’ils traitent de cette question cruciale, et utiliser des données sans réduire le meurtre de femmes à des statistiques criminelles, et comment peuvent-ils produire un récit qui humanise mais ne fait pas de sensationnalisme ? Lors d’une table ronde à la 13e Conférence mondiale sur le journalisme d’investigation (#GIJC23), Mago Torres, Rédactrice en chef – responsable data à The Examination, a discuté avec quatre journalistes de la manière de trouver un équilibre entre les statistiques et les récits personnels pour produire une narration puissante sur la question du féminicide.
Problème structurel
Pour l’enquête Justicia Machista ( « Justice sexiste »), Fabiola Torres et son équipe de Salud con Lupa, basée au Pérou, ont déposé des demandes de liberté d’information pour accéder aux dossiers judiciaires et compiler une base de données de 160 décisions de justice sur le féminicide et la tentative de féminicide entre 2018 et 2022.
Ils ont constaté que les phrases extraites des décisions de justice montraient que les justifications des juges reflétaient souvent le récit et les arguments présentés par les avocats de la défense de l’accusé, qui comprenaient des arguments pour réduire les allégations de féminicide, ou de tentative de féminicide, à des crimes moins graves, tels que les blessures physiques. Par exemple, le raisonnement selon lequel les blessures n’étant pas situées dans des zones critiques du corps d’une femme, il n’y avait pas eu d’intention de la tuer.
Les journalistes de Salud con Lupa ont noté que les tribunaux, lorsqu’ils prononçaient des condamnations, n’imposaient souvent pas les peines prévues par le code pénal pour de tels crimes. Certains juges ont estimé que si le condamné était un jeune homme ayant des enfants à charge et qu’il était encore « à un âge productif », son crime ne méritait pas l’emprisonnement à vie.
L’enquête a révélé une « vérité dérangeante », a déclaré Mme Torres. « Le profil [d’une personne qui commet] un féminicide est celui d’un homme ordinaire qui a un comportement sexiste bien ancré ». La société a tendance à réduire le problème de la violence sexiste à un groupe de « mauvais hommes », mais ce n’est pas vrai, a-t-elle ajouté. « Il s’agit d’un problème structurel.
Les conclusions de l’enquête ont été communiquées aux juges péruviens, notamment à la commission de la justice en matière de genre du pouvoir judiciaire, afin de mieux comprendre les lacunes et les incohérences du système judiciaire.
Selon Mme Torres, lorsqu’ils enquêtent sur les féminicides, les journalistes doivent aller au-delà du nombre de femmes tuées et rechercher des tendances. Par exemple, Mme Torres et son équipe ont noté qu’environ une victime de féminicide sur sept en 2021 avait d’abord été déclarée disparue : « Il y a d’abord les disparitions, puis les féminicides », a déclaré Mme Torres.
Pénurie « stupéfiante » de données
Janine Louloudi, journaliste et productrice à l’Institut méditerranéen du journalisme d’investigation (MIIR en anglais), a mené une enquête transfrontalière dans 19 salles de rédaction afin de dresser un état des lieux de la violence et des féminicides en Europe pendant la pandémie de COVID-19. Les féminicides : The Undeclared War on Women in Europe a révélé la pénurie « stupéfiante » de données actuelles sur les féminicides.
Selon l’enquête, il n’existe aucune donnée officielle sur les féminicides au niveau de l’Union Européenne après 2018, et dans toute l’Europe, seule Chypre identifie le crime spécifique de féminicide, distinct de l’homicide, dans son système juridique. Récemment, Malte a introduit une clause d’« intention féminicide » pour les meurtres de femmes. L’équipe a recueilli des données auprès de sources régionales telles que l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE) et de sources nationales telles que les statistiques nationales et les données policières. Des données provenant de sources non officielles, telles que des groupes de surveillance locaux, ont également été incluses.
Les entretiens avec les survivantes et les membres de la famille des victimes ont été essentiels pour contrer le sensationnalisme des reportages sur les féminicides, qui sont considérés comme des crimes passionnels. « Chaque statistique est un moment où la vie d’une femme change », a déclaré Mme Louloudi.
Mme Louloudi et Thanasis Troboukis – un journaliste de l’organisation à but non lucratif iMEdD Lab, basée à Athènes, qui s’est chargé de l’analyse et de la visualisation des données pour l’histoire transfrontalière – ont partagé des conseils pour la collecte de données et l’établissement de comparaisons significatives.
2. Se concentrer sur les taux, pas seulement sur les chiffres absolus. La collecte de données dans différents pays implique des disparités dans les méthodologies de collecte et les calculs. Calculez les variations en pourcentage pour effectuer des comparaisons significatives.
3. Utilisez des données statistiques générales pour établir des comparaisons. Comparer les données sur les féminicides à des statistiques telles que la population permettra de contextualiser l’incidence des meurtres de femmes par rapport à l’ensemble de la population.
4. Examiner comment les données illustrent le parcours du survivant. Par exemple, une victime peut essayer d’appeler un service d’assistance téléphonique. Essayez de savoir combien d’appels sont enregistrés, a déclaré Troboukis. En outre, une femme peut déposer une plainte, et l’analyse du nombre de plaintes et des types de violence signalés peut illustrer combien d’entre elles aboutissent effectivement à une arrestation et à une condamnation.
5. D’autres questions à se poser : Votre pays reconnaît-il la violence entre partenaires intimes ? Quelles sont les lois existantes qui encadrent la violence à l’égard des femmes ? Quel est l’âge des victimes ? Quel est le sexe des victimes ?
Dans le cas de l’Afrique du Sud, l’absence de données sur les féminicides a été le premier obstacle rencontré par Laura Grant et son équipe du Media Hack Collective ; les données sur la criminalité publiées chaque année ne comptabilisent que le nombre de meurtres, sans répartition entre les hommes et les femmes.
Une présentation PowerPoint du Service de police sud-africain (SAPS) basée sur les données criminelles de 2019-20 comprenait des informations sur la relation entre la victime et le tueur, mais cette information n’était connue que dans environ un cas de meurtre sur cinq – pour les victimes hommes et femmes – cette année-là.
Pour combler les lacunes et raconter certaines de ces histoires, l’équipe de Mme Grant a compilé des articles de presse sur les meurtres de femmes et a créé une carte interactive des lieux où ces meurtres ont eu lieu – mais même certains articles de presse ne contenaient pas d’informations sur les victimes et les causes de leur décès. Ces détails manquants, a expliqué Mme Grant, sont la raison pour laquelle ils ont décidé d’intituler leur enquête #SayHerName : Les visages de l’épidémie de féminicide en Afrique du Sud. (De plus amples détails sur leur méthodologie de recherche d’articles de presse sont disponibles ici).
Selon les données du SAPS citées dans leur enquête, entre 2015 et 2020, un total de 13 815 femmes ont été assassinées, soit environ sept femmes par jour. En examinant les reportages de janvier 2018 à octobre 2020, a expliqué Mme Grant, ils ont constaté que sur le nombre de femmes de 18 ans et plus qui ont été tuées au cours de cette période, seule une petite fraction des cas avait été présentée dans les nouvelles nationales ou locales.
« Les histoires médiatiques [sur les féminicides] concernent souvent des femmes jeunes et jolies, ou des célébrités. Les détails sont salaces ou horribles », a déclaré Mme Grant, qui a ajouté que la plupart des histoires qui sont finalement rendues publiques le sont lors de journées commémoratives appelant à mettre fin à la violence à l’égard des femmes.
« Il y a beaucoup d’histoires de femmes qui ne sont pas racontées. Et le fait que ces histoires ne soient pas racontées est tout aussi important », a ajouté Mme Grant.