29.07.2024 à 12:13
Alcyone Wemaere
La Conférence internationale sur le journalisme d’investigation aura lieu pour la première fois en Asie l’an prochain. GIJC25 se tiendra, en effet, à Kuala Lumpur, en Malaisie, du 20 au 24 novembre 2025. Découvrez les premiers détails ainsi que le partenaire local de GIJN de cet événement.
La Conférence internationale sur le journalisme d’investigation (GIJC25) se tiendra à Kuala Lumpur, en Malaisie, du 20 au 24 novembre 2025.
Le Réseau international du journalisme d’investigation (GIJN) est heureux de s’associer à Malaysiakini en tant que co-organisateur local de la GIJC25. Malaysiakini est un média en ligne indépendant créé en 1999, qui a été reconnu tant au niveau local qu’international pour sa contribution au paysage médiatique, son engagement en faveur de la liberté de la presse et ses enquêtes approfondies.
La Conférence internationale sur le journalisme d’investigation est le plus grand rassemblement international de journalistes d’investigation et de rédacteurs en chef. GIJC25 en sera la 14ème édition. La Conférence propose des sessions de formations sur les derniers outils et techniques d’investigation, des ateliers de pointe et de nombreuses séances de réseautage et de réflexion. La date précise et le lieu exacte de la conférence en Malaisie seront annoncés un plus tard dans l’année.
C’est la première fois que le GIJN organise sa conférence internationale en Asie. Mais GIJN a déjà organisé avec succès des conférences régionales sur le continent asiatique, notamment à Manille (2014), Katmandou (2016) et Séoul (2018).
« Nous sommes extrêmement heureux d’organiser une conférence internationale en Asie avec Malaysiakini qui attirera des journalistes du monde entier », a déclaré Brant Houston, président du conseil d’administration de GIJN. « Il est crucial pour notre mission mondiale que nous travaillions avec nos collègues de Malaisie pour offrir une formation et des compétences qui seront essentielles au journalisme d’investigation à une époque qui présente tant de défis sérieux pour la pratique du journalisme.»
« Le journalisme d’investigation a mis en lumière la corruption et les abus de pouvoir, ce qui a conduit à des changements spectaculaires ici en Malaisie », a déclaré le co-fondateur de Malaysiakini, Premesh Chandran. « Depuis 25 ans, les enquêtes de Malaysiakini disent la vérité au pouvoir, et nous sommes ravis d’accueillir la plus grande communauté journalistique du monde qui partage le même chemin. La Malaisie est très multiculturelle, nous invitons tout le monde à rester un peu plus longtemps et à explorer !»
« Nous sommes honorés de ce partenariat avec Malaysiakini et ravis d’organiser notre toute première conférence internationale en Asie. Nous sommes impatients de faciliter le partage des connaissances et le travail en réseau entre les journalistes du monde entier lors de notre rassemblement mondial de 2025 en Malaisie », a déclaré Emilia Díaz-Struck, directrice exécutive de GIJN. « Dans le cadre de la mission de GIJN de renforcer les capacités des journalistes d’investigation dans le monde entier, GIJC25 poursuivra la tradition de notre conférence internationale en se concentrant sur les techniques d’enquête pratiques et avancées – partagées par des journalistes courageux qui dénoncent obstinément la corruption et les abus de pouvoir. Ce sera également l’occasion de célébrer une communauté qui continue à demander des comptes aux pouvoirs en place, malgré les menaces croissantes auxquelles les journalistes sont confrontés.»
GIJN est particulièrement heureux d’organiser la GIJC25 en Malaisie, étant donné qu’une précédente conférence régionale prévue à Kuala Lumpur en 2020 a dû être annulée en raison de la pandémie de COVID-19.
Les précédentes conférences internationales sur le journalisme d’investigation se sont tenues dans dix pays, dont le Brésil, le Danemark, l’Allemagne, la Norvège, l’Afrique du Sud et l’Ukraine. Les rencontres ont lieu tous les deux ans. La dernière GIJC, organisée en 2023 conjointement avec le Fojo Media Institute et le Föreningen Grävande Journalister en Suède, a rassemblé un nombre record de participants : plus de 2.100 personnes venues de plus de 130 pays et territoires.
Comme les années précédentes, GIJC25 proposera un solide programme de bourses pour permettre à des journalistes du Sud et d’autres régions de participer à la conférence. Les donateurs et co-sponsors qui souhaitent soutenir cet événement à fort impact peuvent contacter les organisateurs à l’adresse hello@gijn.org. Abonnez-vous au bulletin de GIJN pour recevoir les dernières mises à jour sur les inscriptions, les bourses, l’appel à propositions de sessions, et plus encore.
La Conférence internationale sur le journalisme d’investigation valorise et soutient la diversité dans le journalisme et accueille les participants sans distinction de race, de couleur, de croyance, de religion, d’identité de genre, d’orientation sexuelle, d’origine nationale, d’ascendance, de statut de citoyen ou de handicap. GIJN prévoit de fournir un environnement sûr et favorable à tous ses membres et participants à la GIJC25 ; en cas de problèmes ou de questions spécifiques, veuillez nous contacter à l’adresse hello@gijn.org. GIJN organisera également des appels téléphoniques pour recueillir les commentaires sur les questions et répondre aux préoccupations.
Article traduit par Alcyone Wemaere, avec l’aide de Deepl
Malaysiakini est un membre du GIJN et un média en ligne basé en Malaisie. Ses politiques et décisions éditoriales restent sous le contrôle total de ses rédacteurs et journalistes qui s’engagent à demander des comptes à ceux qui sont au pouvoir et à fournir les informations et les points de vue qui comptent.
The Global Investigative Journalism Network (GIJN) sert de plaque tournante internationale pour les journalistes d’investigation du monde entier, avec 250 organisations à but non lucratif membres dans 91 pays. Son personnel travaille quotidiennement dans une douzaine de langues, offrant aux journalistes de surveillance les outils, la technologie et la formation nécessaires pour dénoncer les abus de pouvoir et l’absence de responsabilité. Pour plus d’informations, contactez hello@gijn.org.
23.07.2024 à 01:07
Toby McIntosh
La « compensation carbone » est un outil controversé dans la lutte contre le réchauffement climatique. La surveillance par les journalistes est essentielle et a déjà eu un impact majeur. C’est une mission importante, mais pas facile. Mais il y a de nombreux sujets à traiter dans le monde entier, du niveau local jusqu’aux conseils d’administration des entreprises.
On parle de compensation carbone lorsqu’un projet qui réduit les émissions de gaz à effet de serre est transformé en une marchandise vendable : les « crédits carbone ». Ces crédits peuvent être utilisés par l’acheteur pour « compenser » ses propres émissions.
Le « marché volontaire » des échanges de crédits de carbone a connu une croissance rapide, mais il a ensuite traversé une mauvaise passe, en grande partie à cause des questions relatives à la crédibilité de certains des projets sous-jacents. Le marché volontaire fonctionne pratiquement sans réglementation et avec une transparence limitée.
Les compensations carbone sont de plus en plus scrutées à la loupe. Il y existe de nombreuses pistes d’investigation.
Les enquêtes peuvent être menées sur plusieurs fronts : la validité des projets de compensation carbone, qui en bénéficie et qui n’en bénéficie pas.
Il existe un potentiel de collaboration entre les journalistes du Nord et du Sud, car la plupart des projets de compensation sont créés dans les pays en développement, mais utilisés par des entreprises des pays développés.
Ce guide du GIJN est axé autour des points suivants:
Partie 1 : Qu’est-ce que les compensations carbone ?
Partie 2 : Où et comment mener des recherche sur des projets de compensations carbone.
Partie 3 : Enquêter sur la validité des projets de compensation, et autres sujets potentiels.
GIJN a également créé une liste d’articles d’investigation sur les compensations carbone, voir cette base de données correspondante.
Pour plus de détails, voir la version complète de ce guide.
Le concept de base des compensations carbone est assez simple.
« En termes simples, les compensations carbone impliquent qu’une entité qui émet des gaz à effet de serre dans l’atmosphère paie pour qu’une autre entité pollue moins », écrit Carbon Brief dans In-Depth Q&A : Les « compensations carbone » peuvent-elles contribuer à lutter contre le changement climatique ?
Commencez par planter un arbre. Comme les arbres absorbent et stockent le dioxyde de carbone (CO2), en planter davantage permet de compenser les émissions de gaz à effet de serre (GES). La quantité de dioxyde de carbone absorbée par les nouveaux arbres peut être quantifiée, sous la forme d’un crédit carbone, puis achetée et vendue.
Chaque crédit carbone représente une tonne métrique d’émissions de CO2 évitées ou éliminées de l’atmosphère.
Les projets de compensation se présentent sous de nombreuses formes et tailles. Certains résultent de l’introduction de fourneaux plus propres, de l’utilisation de techniques agricoles plus durables, de la création d’énergie solaire et éolienne et de la prévention des fuites de méthane.
Les projets de conservation des forêts sont le type de projet de compensation le plus courant.
La quantification de la valeur de réduction du carbone des compensations est très complexe. Les évaluations dépendent de prévisions concernant la nature, la technologie et les êtres humains. La mesure de ces variables est donc essentielle à l’évaluation précise des compensations.
Un autre niveau de complexité apparaît lorsque les projets de compensation sont créés pour ne pas faire quelque chose de dommageable pour l’environnement, par exemple en protégeant une forêt. L’évaluation de ce type de projet implique des questions telles que celle de savoir si la forêt risquait réellement d’être déboisée. (Pour plus de détails sur ces concepts, voir la version longue de ce guide).
Note de style : « Crédits de carbone » fait référence à la marchandise commercialisable, un actif vendable. L’expression « projets de compensation » est le terme habituel pour désigner l’activité à l’origine des crédits. Les crédits peuvent ou non être utilisés par les acheteurs pour « compenser » leurs propres émissions (compensation).
Le guide de GIJN se concentre sur la manière d’enquêter sur le « marché des crédits volontaires » (VCN) – le marché du secteur privé dans lequel les compensations sont la monnaie.
Les critiques s’inquiètent du fait que les entreprises – y compris celles de l’industrie des combustibles fossiles – utilisent les crédits carbone pour éviter de réduire leurs propres émissions.
Le marché volontaire du carbone est en grande partie non réglementé. Il n’existe pas de système centralisé pour l’évaluation des compensations. Les projets de compensation sont certifiés par des « registres » du carbone qui utilisent des méthodes quantitatives pour valider les compensations qui leur sont présentées. Le degré de validité de ces méthodologies est un point clé de la controverse et un sujet sur lequel les journalistes devront enquêter.
Il existe de nombreux autres acteurs, notamment des courtiers, des consultants et des places de marché.
Les prix des crédits de compensation spécifiques sont peu transparents. Le marché détermine la valeur des compensations, les prix dépendant de facteurs tels que la demande, l’offre, la localisation et le type de compensation.
Une compensation peut être échangée plusieurs fois, mais une fois qu’un acheteur l’a comptabilisée dans son objectif volontaire ou son objectif contraignant en matière d’émissions, la compensation est « retirée » et ne peut plus être utilisée.
L’une des principales questions qui se posent est de savoir si une mesure compensatoire donnée permettra d’obtenir les résultats bénéfiques annoncés. Étant donné que les avantages prévus reposent sur des hypothèses et des modèles complexes, il est nécessaire de fouiller dans les détails.
Les nombreuses autres intrigues possibles sont les suivantes :
Les points de départ d’une enquête sur les compensations carbone sont les suivants :
Des informations peuvent également émerger localement sur les projets dans votre pays, lorsque les développeurs de compensations ou les différents gouvernements annoncent de nouveaux accords. Les entreprises qui achètent des crédits de compensation peuvent les annoncer et les promouvoir.
Même si les projets ne sont pas annoncés publiquement, des informations les concernant sont disponibles auprès des organisations qui enregistrent les compensations.
Les compensations volontaires sont certifiées par quatre principaux « registres ».
Tous les registres proposent des bases de données consultables.
Les pages du registre contiennent des documents descriptifs, parfois longs, sur chaque projet de compensation et son développeur. La terminologie peut s’avérer compliquée, mais ces documents constituent un point de départ essentiel.
Deux bases de données contiennent des informations combinées provenant des registres.
OffsetsDB recueille et standardise les données sur les projets de compensation et est mise à jour quotidiennement. Il est réalisé par (Carbon)plan, une organisation à but non lucratif qui analyse les solutions climatiques.
Le Carbon Trading Project de l’Université de Californie à Berkeley a également consolidé les informations des registres, mais il n’est mis à jour que périodiquement.
Pour plus d’informations sur ces ressources, voir la version longue du guide du carbone du GIJN.
Que recherchez-vous sur les projets ? Voici une liste de questions de base :
L’une des principales pistes de recherche concerne la validité du projet. Comme indiqué plus haut, il y a beaucoup de questions à poser.
Que recherchez-vous ?
Certaines de ces recherches peuvent nécessiter l’intervention d’experts dans les domaines scientifiques concernés, mais certaines recherches de vérification peuvent être effectuées par des journalistes sur le terrain ou à l’aide d’images aériennes.
Il existe un large éventail de sources potentielles.
Il est important de comprendre que les experts peuvent être en désaccord sur la validité de certaines compensations carbone. Ces débats peuvent devenir techniques et difficiles à suivre pour les profanes, mais prêter attention aux détails est essentiel.
Les registres s’appuient sur des méthodologies fondées sur la recherche. Mais d’autres peuvent ne pas être d’accord avec les recherches effectuées. La science dans ce domaine est dynamique. Les journalistes ont parfois été pris entre deux feux.
Pour rendre compte de projets spécifiques, l’idéal serait de trouver des sources expertes qui puissent aider à naviguer dans les méthodologies utilisées pour évaluer les types de projets. Une recherche dans la littérature scientifique est un moyen de trouver des études et des experts pertinents.
Ne négligez pas les scientifiques locaux, les naturalistes et les défenseurs de l’environnement, qui sont autant de voix à prendre en compte.
Il est possible de réaliser de bons articles sans devoir chercher à interroger les méthodologies des registres.
En particulier pour les articles sur les compensations de reboisement, les images satellites peuvent fournir des preuves importantes sur les résultats du projet. Elles peuvent aider à répondre à des questions telles que : quelle proportion des terres concernées était boisée avant le début du projet par rapport à aujourd’hui ?
N’oubliez pas, cependant, que les données satellitaires ne fournissent qu’une partie de l’image. L’enquête doit encore intégrer les informations issues de la modélisation et des rapports de terrain.
Les visites sur les sites des projets se sont révélées précieuses.
Faites appel à l’expertise locale pour déterminer la validité du projet et son efficacité. Essayez de contacter les dirigeants des communautés locales, les exploitants forestiers, les agriculteurs, les revendeurs et les naturalistes. N’oubliez pas que certaines des personnes impliquées auront des intérêts directs, financiers ou politiques.
Les communautés locales peuvent bénéficier ou non de la compensation. L’inégalité du pouvoir de négociation entre les créateurs de la compensation et les communautés autochtones, ainsi que l’absence de consultation, ont parfois abouti à des projets douteux et à une répartition inéquitable des bénéfices.
Les reportages sur les crédits carbone devraient constituer un terrain fertile pour les collaborations entre journalistes et les collaborations transfrontalières.
De nombreux crédits sont basés sur des actions menées dans le Sud et sont achetés par des entités du Nord. Les journalistes des pays développés, qui traitent par exemple des compensations achetées par une entreprise, devraient envisager de collaborer avec des journalistes connaissant bien le terrain, qui pourraient se rendre sur place et enquêter sur les acteurs locaux. Le travail d’équipe peut aider à relever les défis de l’apprentissage sur ce sujet souvent complexe.
Une autre ligne d’enquête clé concerne les promoteurs de tout projet de compensation.
Il peut s’agir d’entrepreneurs, de courtiers et (plus rarement) de communautés locales. Ils sont incités à augmenter la valeur de l’accord, à « surcréditer ». Peu d’entre eux sont transparents quant à leurs honoraires.
Ce qu’il faut rechercher dans cette cohorte.
Autres informations clés à rechercher dans le cadre de la couverture de ces transactions.
Les gouvernements s’intéressent de plus en plus aux compensations, ce qui laisse penser que les législateurs et les régulateurs pourraient devenir des sources, et que le débat sur la manière de réglementer méritera d’être suivi.
Plusieurs initiatives ont été lancées pour encourager l’adoption de normes plus strictes sur les marchés du carbone.
(Pour plus d’informations sur la réglementation gouvernementale et l’autoréglementation, voir la version complète de ce guide).
Les groupes environnementaux, internationaux et locaux, peuvent être utiles aux journalistes.
En Amérique latine, 13 médias ont organisé le projet Opaque Carbon (Carbono Opaco) pour enquêter sur la façon dont une entreprise colombienne a cherché à « monopoliser le marché des crédits carbone dans la région ».
Le journaliste d’investigation colombien Bermúdez Liévano, également auteur du rapport A Reservation Sold Carbon Credits and Its Inhabitants Didn’t Know, recommande une « stratégie de diffusion approfondie ». Mais, ajoute-t-il, votre meilleure source pour générer de nouvelles pistes provient souvent du dernier article que vous avez publié.
Ce que vous considérez comme la dernière période de votre histoire, lorsque vous dites « fin », « publier », peut très bien être la voie vers votre prochain point d’interrogation initial », a-t-il fait remarquer. « Toutes les histoires que nous avons publiées et que nous continuerons à publier sont, d’une manière ou d’une autre, issues de personnes qui ont lu notre histoire et nous ont dit ‘J’en ai une autre pour vous’ ».
Pour une liste d’articles d’investigation sur les compensations carbone, voir la base de données correspondante de ce guide.
Toby McIntosh conseille le centre de ressources de GIJN, qui fournit des ressources à des journalistes à travers le monde. Il a été rédacteur en chef de FreedomInfo.org (2010-2017), une plateforme à but non-lucratif qui se spécialise dans la couverture des politiques de transparence dans le monde. Il a travaillé au sein de Bloomberg BNA à Washington pendant 39 ans et a introduit quantité de requêtes d’accès à l’information aux États-Unis. Il a également écrit abondamment sur les lois d’accès à l’information à travers le monde. Il siège au comité de pilotage de FOIANet, un réseau international de défenseurs des lois d’accès à l’information.
08.07.2024 à 14:37
Andrea Arzaba , Ana Beatriz Assam,
Du Mexique au Brésil, du Costa Rica au Chili, en passant par le Pérou, toute cette semaine, GIJN met un coup de projecteur sur le journalisme d’investigation en Amérique latine. À travers des focus sur des enquêtes phare de la région, des interviews de journalistes d’investigation de cette zone ou encore les retours de quelques uns des 25 membres de GIJN actifs dans la région, plongez dans un panorama complet sur le journalisme d’investigation latino-américain, ses spécificités, ses points forts, ses défis et ses perspectives d’avenir.
Le travail d’investigation n’a jamais été facile en Amérique latine. Qu’il s’agisse de réaliser des enquêtes sous des régimes autoritaires, de faire face à des risques de sécurité importants dans une région confrontée au défi supplémentaire de l’impunité, ou encore d’effectuer des reportages dans un contexte de difficultés financières persistantes et de faire face aux réactions négatives qui accompagnent la dénonciation d’actes de corruption, les conditions auxquelles sont confrontés les journalistes d’investigation dans cette region du monde sont depuis longtemps éprouvantes.
Pour (re)voir le webinaire GIJN du 9 juillet 2024 : « Comment l’Amérique latine se connecte à votre enquête – Enquêter sur la portée mondiale de la région en matière d’argent illicite, d’exploitation minière illégale, de trafic de drogue et de destruction de l’environnement » :
Au Pérou, par exemple, Gustavo Gorriti, l’un des plus grands journalistes d’investigation du pays, lutte contre une campagne d’intimidation qui, selon lui, a été lancée en représailles aux enquêtes incessantes menées par son journal sur l’affaire de corruption Odebrecht. Au Guatemala, José Rubén Zamora, journaliste et rédacteur en chef d’El Periódico, a passé près de deux ans enfermé dans une cellule pour des accusations que les groupes de défense de la liberté de la presse estiment motivées par des considérations politiques. À la fin de l’année dernière, la journaliste brésilienne Schirlei Alves a été condamnée à un an de prison et à verser plus de 80 000 dollars pour diffamation après avoir publié un rapport sur l’humiliation subie par une femme au cours d’un procès pour viol. Au Venezuela et au Nicaragua, les médias indépendants sont confrontés à la censure et de nombreux reporters travaillent en exil. Le Mexique est l’un des pays les plus meurtriers pour les journalistes, avec de nombreux meurtres ou disparitions chaque année.
Mais en dépit de cette myriade de défis, les journalistes de la région font entendre leur voix depuis des décennies et font la lumière sur des questions cruciales, grâce à des projets d’investigation qui font ce que les journalistes d’ici font le mieux : révéler « les terribles vérités cachées par le pouvoir économique et politique », comme le dit Camilo Amaya, directeur exécutif de l’association colombienne « Consejo de Redacción ».
Voici quelques exemples des projets dynamiques et diversifiés qui ont été produits récemment : L’enquête de Quinto Elemento Lab sur la façon dont la crise des personnes disparues au Mexique remet en question les récits officiels ; l’approche innovante du journalisme d’investigation d’El Surtidor au Paraguay, qui a permis à l’équipe d’exposer l’impact de la crise climatique sur la santé des travailleurs ; un documentaire Armando.info co-produit avec PBS Frontline sur un scandale de corruption qui touche à la fois le Venezuela et les États-Unis ; une enquête menée par Repórter Brasil sur la chaîne d’approvisionnement qui relie l’élevage de bétail à la déforestation en Amazonie brésilienne et qui a valu au secrétaire exécutif de l’organe, Marcel Gomes, le prix Goldman ; et le travail du Centre latino-américain de journalisme d’investigation (CLIP) sur le projet Digital Mercenaries, qui met en lumière le monde obscur des consultants politiques et leur rôle dans les campagnes de désinformation.
Lors de la COLPIN, la conférence latino-américaine sur le journalisme d’investigation, trois enquêtes ont reçu le prix Javier Valdez : une analyse médico-légale de la violence des forces de l’ordre au Pérou par IDL-Reporteros, une enquête sur la manière dont les gangs ont infiltré les prisons vénézuéliennes par Runrun.es et Connectas, et une enquête sur la mort d’enfants indigènes Yanomami au Brésil par Sumaúma.
De tels projets révèlent la capacité d’adaptation et le courage des journalistes de toute la région. Pour célébrer ces réalisations, nous avons créé la semaine « Focus sur l’Amérique latine » à GIJN, la première d’une série en cours de coups de projecteurs sur différentes régions du monde, dans laquelle tout notre contenu pendant une semaine détaillera comment les journalistes d’une région spécifique enquêtent avec les défis qui sont les leurs.
GIJN compte plus de 25 membres actifs dans la région, du Mexique au Brésil, du Costa Rica au Chili. Nous les avons interrogées sur ce qui définit le journalisme d’investigation latino-américain, sur ses points forts et sur ses perspectives d’avenir.
Les rédacteurs en chef et les journalistes nous ont dit que le journalisme d’investigation en Amérique latine est motivé par un engagement en faveur de la vérité, de la responsabilité et de la poursuite de la justice, mais que la collaboration est également au cœur du travail.
Pour Armando.info – dont certains journalistes ont été contraints de quitter le Venezuela, mais continuent de réaliser des enquêtes exil – les éléments qui définissent le journalisme d’investigation sur le continent sont, selon les termes du codirecteur Ewald Scharfenberg, « le courage, la bravoure et la persévérance ».
Teresa Mioli, de la LatAm Journalism Review du Knight Center for Journalism in the Americas, explique que les défis auxquels sont confrontés les journalistes de la région ont donné au journalisme d’investigation latino-américain ses caractéristiques distinctives.
« Là où il y a de la corruption et des abus, les journalistes d’investigation latino-américains ont réagi », souligne Teresa Mioli. « Lorsque des publications ont été reprises par le gouvernement, que des sites web ont été bloqués dans certains pays, que des journalistes ont été tués ou attaqués ou que le journalisme a été réprimé d’une manière ou d’une autre, des voix indépendantes ont répondu dans la région par le journalisme d’investigation pour découvrir qui essayait de les faire taire et d’empêcher la vérité de sortir. De cette manière, la répression a en fait renforcé les pratiques d’investigation ».
Elle cite en exemple le projet Miroslava au Mexique ou le programme Tim Lopes d’Abraji au Brésil, qui ont tous deux « émergé en réponse à l’assassinat de collègues ».
Jazmín Acuña, du journal paraguayen El Surtidor, abonde dans le même sens : « J’ai vu le meilleur journalisme d’investigation se développer malgré le siège du pouvoir politique dans des contextes de capture des médias et de concentration du pouvoir économique ; des journalistes et des médias qui voient des opérations d’influence à leur encontre et qui répondent par un journalisme plus abondant et de meilleure qualité ; des rédactions qui ont déménagé mais qui, depuis l’exil, continuent à raconter les histoires que d’autres préféreraient garder cachées ; et des collaborations radicales entre des médias de tout le continent… dans lesquelles nous dénonçons le crime organisé, les paradis fiscaux, les désinformateurs et les mercenaires qui cherchent à corrompre nos démocraties déjà fragiles. »
Certains de nos membres se sont tournés vers le passé pour expliquer comment l’histoire a façonné les types de journalisme qui ont émergé sur le continent, ainsi que les mécanismes d’adaptation des reporters qui s’entraînent dans certains environnements.
Alejandra Xanic, du Quinto Elemento Lab, basé au Mexique, a déclaré que la bataille même pour pouvoir raconter l’histoire aide les journalistes d’investigation à renforcer leur détermination, leur conférant une certaine « obstination » à mener des enquêtes même lorsque tout semble aller à l’encontre de leur but.
« Pendant longtemps, nous avons travaillé sans disposer de ce qui, dans de nombreuses autres régions, était considéré comme une évidence : l’accès à l’information publique et aux entités mettant à disposition d’énormes collections de données et de documents. Nous savions comment travailler sans accès aux dossiers judiciaires, aux informations législatives transparentes, aux informations sur les entreprises. Pendant des décennies, rien n’était disponible », explique Alejandra Xanic.
D’autres ont souligné que les turbulences politiques qu’ont traversées de nombreux pays ont été un élément déterminant et ont façonné l’attitude des journalistes d’aujourd’hui.
« La mémoire des dictatures sur le continent, comme l’horreur du plan Condor, et les conflits armés en Colombie et en Amérique centrale au siècle dernier, qui ont coûté la vie à des milliers de personnes, ont donné un caractère distinctif au journalisme d’investigation en Amérique latine », explique Jazmín Acuña d’El Surtidor. « Les journalistes latino-américains savent qu’aujourd’hui nous pouvons raconter une histoire, mais nous ne tenons jamais pour acquis que nous nous réveillerons avec cette liberté.
Cette histoire continue d’alimenter le travail d’investigation aujourd’hui. Au Brésil, à l’occasion du 60e anniversaire du coup d’État militaire, des médias tels que Agência Pública ont passé au crible cette période dans une série d’enquêtes, en mettant l’accent sur les entreprises et les organisations accusées d’être des « complices » de la dictature.
Le journalisme collaboratif semble s’être imposé relativement facilement en Amérique latine, où il a été utilisé comme un outil pour élargir les enquêtes, établir des liens et s’attaquer à des problèmes tels que la corruption, qui ne se limitent pas à un seul pays. Les grandes enquêtes collaboratives dans des affaires comme Lava Jato ou Operation Car Wash – qui a exploré un réseau tentaculaire de corruption centré sur des entreprises brésiliennes – ont franchi plusieurs frontières. L’année dernière, NarcoFiles a été l’un des plus grands projets de collaboration transfrontalière.
« Nous nous sommes rendu compte que les questions transnationales ne pouvaient pas être couvertes par des journalistes isolés ou par des médias nationaux, et les alliances étaient donc une réponse naturelle pour élargir notre champ d’action », explique Jose Luis Peñarredonda de la CLIP.
Selon Alejandra Xanic, les journalistes de la région savent comment collaborer : « Le manque de ressources a fait que cela s’est fait très naturellement, en particulier entre les médias locaux, les organisations à but non lucratif et les petits médias numériques indépendants.
Au Brésil, une équipe internationale impliquant plus de 50 journalistes de 10 pays a été montée pour enquêter sur les relations entre le gouvernement local et les individus soupçonnés d’avoir assassiné le journaliste britannique Dom Phillips et l’activiste indigène Bruno Pereira dans la région amazonienne en 2022. « Nous avons fait une enquête en Amazonie, sur les lieux du crime, et nous avons fait entendre la voix des peuples indigènes qui subissent l’oppression que Dom et Bruno dénoncent », explique Tatiana Farah, responsable de la communication de l’organisation brésilienne Abraji.
Au Mexique, l’équipe de Periodistas de a Pie est reconnaissante pour « l’héritage de journalistes exceptionnels qui savaient comment construire un savoir collaboratif ». Au Pérou, Adriana León, de l’Instituto Prensa y Sociedad (IPYS), estime que les rencontres internationales telles que COLPIN, la conférence sur le journalisme d’investigation destinée aux reporters d’Amérique latine, favorisent la collaboration entre les journalistes de différents pays.
« Lors de conférences, de webinaires et de petits rassemblements, les journalistes de la région ont souligné l’importance d’une collaboration qui traverse les frontières et les océans », ajoute Teresa Mioli. « Les grands sujets d’enquête en Amérique latine – corruption gouvernementale, crimes financiers, destruction de l’environnement – ne sont pas l’apanage d’un seul pays ou d’une seule région. »
Principales préoccupations : Attaques juridiques, sécurité et difficultés financières
Les défis auxquels sont confrontés les médias de la région sont nombreux, mais beaucoup de nos membres ont tiré la sonnette d’alarme sur les mêmes risques : plusieurs ont mentionné la viabilité financière et le harcèlement judiciaire.
Au Consejo de Redacción de Colombie, l’équipe a également souligné les menaces et la violence générales auxquelles de nombreux journalistes de la région doivent régulièrement faire face dans le cadre de leur travail. Les collègues du Mexique soulignent la menace que représente l’expansion du crime organisé.
« Le journalisme d’investigation en Amérique latine est risqué », déclare Adriana León de l’IPYS. « Les attaques contre les journalistes – menaces, meurtres, harcèlement judiciaire, entre autres – sont l’un des principaux problèmes auxquels la presse est confrontée dans la région.
Les procès intentés par les détenteurs du pouvoir restent un problème récurrent.
« Le journalisme d’investigation a besoin de temps, de ressources et du soutien des dirigeants des médias pour se développer pleinement. Si l’un de ces éléments fait défaut, les journalistes ne peuvent pas faire leur travail correctement », explique Jazmín Acuña d’El Surtidor. Le deuxième défi est l’instrumentalisation de la justice et de la loi pour persécuter et réduire au silence les journalistes, ce que l’on appelle en anglais le « lawfare ». Les détenteurs du pouvoir qui font l’objet d’une surveillance de la part des journalistes montent des dossiers pour diffamation, calomnie et autres affaires juridiques sans fondement solide, dans le but de censurer et de punir ».
Enfin, les équipes du CLIP et de Connectas soulignent un thème qui apparaît dans l’un de nos articles de cette semaine : la régression de la capacité des journalistes à accéder à l’information dans de nombreux pays. « Un autre défi auquel sont confrontés les journalistes d’investigation est de surmonter l’opacité qui règne dans la majorité des pays d’Amérique latine », explique Carlos Huertas, directeur de Connectas. « Nous constatons une tendance générale à la fermeture de l’accès aux sources d’information, en particulier aux sources officielles, ce qui rend très difficile la recherche d’articles révélant des problèmes structurels.
Selon les organisations de la région, les projets d’enquête transnationaux se multiplieront à l’avenir. Cette réaction est naturelle dans une région où la corruption gouvernementale, les crimes financiers et la destruction de l’environnement dépassent les frontières et nécessitent un effort collectif.
Scharfenberg d’Armando.info envisage « une collaboration plus profonde et plus régulière dans les projets d’enquête transnationaux », tandis que Mioli de LatAm Journalism Review voit une voie dans laquelle il y a encore « plus de collaboration entre collègues des Amériques, mais aussi avec des collègues d’Asie, d’Europe, d’Afrique ».
Chez Periodistas de a Pie, l’équipe entrevoit un avenir où les histoires locales ont un impact régional significatif – et où l’engagement intense du public et la collaboration permettent aux publications d’avoir une « connexion plus intense » avec le public.
D’autres s’attendent également à ce que le journalisme d’investigation en Amérique latine continue d’innover en utilisant de nouvelles plateformes et de nouveaux récits pour mieux se connecter avec les audiences, s’engager plus efficacement avec les lecteurs et favoriser une connexion plus profonde avec le public.
« Nous pensons que le journalisme d’investigation doit trouver sa place dans le nouvel environnement médiatique », déclare Amaya au Consejo de Redacción. « Il doit également trouver des moyens de s’engager dans des entreprises transnationales plus collaboratives alors que des dangers imminents menacent toute la région en termes d’environnement, de flux internationaux d’argent douteux et de propagation de la désinformation et de la mésinformation.
En ce qui concerne la technologie et la formation, Adriana León, de l’IPYS, s’attend à une plus grande professionnalisation qui permettra aux journalistes de continuer à enquêter sur ce que les grandes puissances veulent cacher. Peñarredonda, de CLIP, prévoit que la technologie et les outils d’IA marqueront une nouvelle ère de journalisme d’investigation à la pointe de la technologie, qui aidera les journalistes à demander des comptes aux entités puissantes.
« Les journalistes d’investigation utilisent et développent de plus en plus la technologie et les outils d’IA pour améliorer leur productivité, tirer parti de nouvelles sources d’information et faire leur travail en toute sécurité », explique-t-il. « À mesure que la technologie devient une force de plus en plus influente dans nos sociétés, nous évoluerons dans notre compréhension de son fonctionnement, de son interaction avec d’autres pouvoirs, et de ce que nous pouvons – et devons – faire pour que ses créateurs, ses vendeurs et ses colporteurs soient tenus de rendre des comptes. »
Certains espèrent que le meilleur reste à venir. Alejandra Xanic, du Mexique, déclare que les reporters de la région « ont encore beaucoup à enquêter ensemble. Nous n’en sommes qu’au stade de l’échauffement. Jazmín Acuña, d’El Surtidor, abonde dans le même sens : « Je ne sais pas où cela va nous mener, mais j’ai hâte de voir ce que cela va nous apporter.
Andrea Arzaba est la journaliste en charge de l’édition espagnole de GIJN. Elle a couvert l’Amérique latine et les communautés hispaniques des États-Unis. Elle est titulaire d’une maîtrise en études latino-américaines de l’université de Georgetown, est membre de l’International Women’s Media Foundation ainsi que du programme pour jeunes journalistes de Transparency International.
Ana Beatriz Assam est la responsable de l’édition portugaise de GIJN et une journaliste brésilienne. Elle a travaillé comme reporter indépendant pour le journal O Estado de São Paulo, couvrant principalement des sujets relatifs au journalisme de données. Elle travaille également pour l’Association brésilienne de journalisme d’investigation (Abraji) en tant que coordinatrice adjointe des cours de journalisme.
Article traduit par Alcyone Wemaere (avec Deepl)