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17.12.2025 à 12:25

Malgré ses engagements, l'Union européenne garde la porte grande ouverte aux lobbys du tabac

Séverin Lahaye

Malgré la ratification par l'Union européenne et ses États membres d'un traité antitabac il y a vingt ans, les industriels du secteur continuent de fréquenter assidument les institutions bruxelloise. Et cherchant notamment à ce que le vieux continent fasse pression contre les règles mises en place par d'autres pays, au nom du « libre-échange ».
« Nous voulons forcer la main de l'Union européenne (UE) pour qu'elle respecte enfin le cadre qu'elle s'est fixé », explique Martin Drago, chargé (…)

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Malgré la ratification par l'Union européenne et ses États membres d'un traité antitabac il y a vingt ans, les industriels du secteur continuent de fréquenter assidument les institutions bruxelloise. Et cherchant notamment à ce que le vieux continent fasse pression contre les règles mises en place par d'autres pays, au nom du « libre-échange ».

« Nous voulons forcer la main de l'Union européenne (UE) pour qu'elle respecte enfin le cadre qu'elle s'est fixé », explique Martin Drago, chargé de plaidoyer au sein de l'organisation non gouvernementale (ONG) Contre-feu. Dans un rapport intitulé « Lobby du tabac : quand l'industrie utilise l'UE pour influencer les politiques de santé dans le monde », celle-ci met en lumière la stratégie d'influence des industriels du tabac et la complaisance des instances européennes. Et ce, en totale contradiction avec un traité signé par l'UE il y a vingt ans.

À travers notamment son article 5.3, la Convention-cadre de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la lutte antitabac, ratifiée par l'Union européenne et ses États-membres en 2005, exige en effet que les contacts avec l'industrie du tabac soient strictement limités et totalement transparents : « Lors de l'élaboration et de la mise en œuvre de leurs politiques de santé publique en matière de lutte antitabac, les Parties ne devraient interagir avec l'industrie du tabac que lorsque et dans la mesure où cela est strictement nécessaire pour leur permettre de réglementer efficacement l'industrie du tabac et les produits du tabac. »

« Leurs lobbyistes disent agir dans le domaine du commerce »

Or, c'est tout l'inverse qui se passe. « En 2025, l'industrie du tabac a déclaré avoir participé à plus de 58 consultations publiques et contribué à 56 “feuilles de route” de la Commission européenne », détaillent les auteurs du rapport. Plusieurs de ces actions concernaient directement des réglementations liées à la lutte contre le tabagisme. « Ce lobbying en amont du processus législatif s'avère rentable et efficace, déplore Christophe Clergeau, eurodéputé du Parti socialiste. Cela leur permet d'influencer directement l'élaboration des textes pour qu'ils soient en leur faveur. »

Leur objectif : utiliser le pouvoir diplomatique de l'UE afin de saper les politiques de lutte antitabac adoptées par des pays tiers.

Les grandes multinationales du tabac, comme Philip Morris International (PMI), l'entreprise britannique Imperial Brands PLC ou British American Tobacco (BAT), ont particulièrement investi le champ du commerce international via la Direction générale du commerce (DG Trade). Leur objectif : utiliser le pouvoir diplomatique de l'UE afin de saper les politiques de lutte antitabac adoptées par des pays tiers, par exemple en évitant le bannissement des nouveaux produits développés par l'industrie (vapoteuse, tabac chauffé, snus…). La liste des nations ainsi ciblées inclut l'Inde, l'Argentine, le Brésil, le Mexique, le Japon, la Turquie, le Vietnam, Singapour, Taïwan et la Thaïlande.

« C'est un coup de génie, juge Martin Drago. Les lobbyistes disent ne pas agir dans le champ de la santé publique en Europe, mais dans le domaine du commerce, pour éviter de tomber sous le coup du cadre imposé par le traité de l'OMS. Mais leur but reste toujours de nuire à la santé des habitants de pays extérieurs ! »

L'extrême droite attentive aux industriels

Les industriels du tabac ont aussi investi le Parlement européen. Entre 2023 et 2025, Contre-feu a recensé 257 entretiens entre des députés européens et divers représentants d'intérêts de la filière. Les élus d'extrême droite semblent être les plus attentifs aux arguments des industriels : le député danois Anders Vistisen, du groupe des Patriotes pour l'Europe (PfE), les a rencontrés sept fois en deux ans, d'après le registre de l'ONG Transparency International. Côté français, l'eurodéputée du Rassemblement national (RN) Marie-Luce Brasier-Clain a participé à deux rendez-vous : le premier en septembre avec un représentant de Philip Morris International, le second en novembre avec Imperial Brands PLC. Ses collègues RN à Bruxelles Aleksandar Nikolic, Thierry Mariani et Angéline Furet ont chacun rencontré au moins une fois un représentant de la filière.

Le groupe Patriotes pour l'Europe, dont fait partie le RN, a rencontré 19 fois le cigarettier Philip Morris International depuis 2023.

Comme nous l'indiquions dans une récente enquête (lire Quels lobbies les eurodéputés d'extrême droite (et les autres) rencontrent-ils à Bruxelles ?), les Patriotes pour l'Europe ont rencontré 19 fois le cigarettier Philip Morris International, ce qui en fait le troisième lobby le plus consulté par le groupe politique. « La rhétorique libertarienne utilisée par les lobbys du tabac fait mouche auprès des députés d'extrême droite, estime Martin Drago. Ils ne veulent pas d'une hausse des taxes au niveau européen sur les cigarettes, car cela constituerait une forme de privation de liberté pour les fumeurs. »

« L'extrême droite se fait le porte-parole des puissances de l'argent, dont l'industrie du tabac », dénonce Christophe Clergeau. Lui n'a jamais rencontré de représentants de la filière, mais assure recevoir de nombreuses sollicitations, comme des cartes postales vantant les mérites de la puff. « Et ce n'est que la partie immergée de l'iceberg. Leur lobbying se fait aussi de façon plus pernicieuse, par exemple en finançant des think tanks, en organisant des colloques ou en rencontrant des décideurs politiques sans le déclarer. »

Une industrie encore florissante

Leur implantation économique en Italie, Grèce ou Suède permet de faire du chantage à l'emploi auprès des décideurs.

« L'industrie du tabac reste très puissante financièrement », note Martin Drago. D'après le rapport de Contre-feu, elle dépense près de 14 millions d'euros par an dans ses activités de lobbying, soit une hausse de 164 % par rapport à 2012. Ces investissements témoignent de la vitalité du secteur, qui a trouvé une seconde vie dans les produits à base de nicotine ou de tabac chauffé. Certains sont directement produits en Europe, comme en Italie, où Philip Morris a investi il y a quelques années un milliard d'euros dans une nouvelle usine à Bologne. « Les multinationales du tabac ont investi plusieurs milliards d'euros en Europe, notamment en Italie, en Grèce ou en Suède, rappelle Martin Drago. Ces États sont d'ailleurs les plus réticents à imposer de nouvelles taxes sur les nouveaux produits de l'industrie. » « Cette implantation économique leur permet de faire du chantage à l'emploi auprès des décideurs », ajoute l'eurodéputé Christophe Clergeau.

Pour tenter de limiter cette influence, l'ONG Contre-feu réfléchit à porter le dossier devant un tribunal, face au non-respect de la Convention-Cadre de l'OMS. « Pour cela, il faut trouver des actes attaquables en justice et prouver que cette convention-cadre puisse être invocable devant un tribunal », détaille Araceli Turmo, maîtresse de conférences en droit européen à l'université de Nantes.

Christophe Clergeau appelle quant à lui à une loi encadrant plus fermement le lobbying dans l'Union européenne. « Nous faisons face à une grave défaillance qu'il faut régler au plus vite », juge-t-il. Mais il devra faire face à l'alliance assumée entre les partis du centre et d'extrême droite au Parlement européen. Le Parti populaire européen (PPE) et les Conservateurs et réformistes européens (CRE) ont bloqué le 28 novembre dernier l'adoption d'une résolution non contraignante visant à interdire les nouveaux produits de l'industrie dans certains lieux publics. Un exemple supplémentaire de la nouvelle alliance entre droite et extrême droite qui se structure au sein du Parlement européen depuis plusieurs mois (lire Au centre du jeu bruxellois, l'extrême droite sonne la charge contre l'écologie et le climat).

12.12.2025 à 11:45

La vérité des chiffres. La lettre du 12 décembre 2025

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Dix ans, ça passe trop vite

Le 12 décembre 2025, nous fêterons le dixième anniversaire de l'adoption de l'Accord de Paris sur le climat.

À l'époque, l'Observatoire des multinationales avait consacré de nombreuses enquêtes aux préparatifs de la COP21 à Paris et au rôle joué par les grandes entreprises et leurs lobbys. C'était une époque d'unanimité apparente, où les grands industriels tricolores, même dans les secteurs les plus polluants, ont multiplié les professions de foi et les promesses pro-climat.

Nous avions examiné, en partenariat avec le Basic, la réalité des pratiques derrière les beaux discours, à travers un rapport intitulé « Gaz à effet de serre : doit-on faire confiance aux entreprises pour sauver le climat ? ». Ce rapport soulignait les limites de la transparence des entreprises françaises sur leurs émissions, la mauvaise prise en compte des émissions au niveau de toute la chaîne de valeur (amont et aval), et l'absence d'alignement sur les objectifs européens à long terme de réduction des émissions, avec souvent des paris sur des solutions technologiques incertaines pour atteindre ces objectifs.

Dix ans plus tard, nous nous sommes à nouveau penchés sur la question, sur la base d'un échantillon de douze entreprises représentatives de la diversité du CAC 40, avec une question simple : comment ont évolué les émissions de gaz à effet de serre déclarées par les groupes français depuis 2015 ?

Malheureusement la réponse n'est pas simple, et globalement négative. La moitié des entreprises de notre échantillon a vu ses émissions de gaz à effet de serre augmenter ou stagner depuis 2015. Dans l'autre moitié, les réductions d'émissions constatées sont parfois significatives, mais elles s'expliquent par la revente des actifs les plus polluants à d'autres acteurs (donc zéro bénéfice net pour le climat) ou par la chute des ventes de voitures et d'avions au moment de la pandémie de Covid, pas encore rattrapée.

On constate que les groupes français parviennent à peu près à baisser leurs émissions directes, par exemple en remplaçant de l'électricité polluante par de l'électricité renouvelable, mais que quand il s'agit de réduire les émissions indirectes, liées aux chaînes de valeur dans leur ensemble, les réponses manquent cruellement.

Un point positif : les entreprises sont plus transparentes sur toutes leurs émissions indirectes qu'il y a dix ans, mais c'est récent, grâce à la mise en œuvre d'une directive européenne aujourd'hui attaquée au nom de la « simplification ».

Lire l'enquête : Dix ans après l'accord de Paris, le CAC 40 a-t-il avancé ?

Nuit du bien commun : Stérin et ses copains

L'édition parisienne de la « Nuit du bien commun » s'est tenue le 4 décembre dernier aux Folies Bergères, sur fond de manifestations. Cette soirée caritative est en effet associée à Pierre-Édouard Stérin, le milliardaire désormais bien connu pour ses liens avec l'extrême droite et le soutien qu'il a apporté à une multitude d'associations intégristes, anti-droits sexuels et anti-migrants.

On a vu dans certains médias circuler le « narratif » - conçu par l'agence Image 7 d'Anne Méaux – selon lequel Pierre-Édouard Stérin serait depuis longtemps désengagé la Nuit du bien commun et qu'en s'attaquant à cette dernière on s'attaquerait en réalité à la philanthropie privée et au financement des associations en général.

Notre dernière enquête montre que ce n'est que de la poudre aux yeux. Même si Stérin n'est plus – depuis quelques mois seulement – au conseil d'administration de la « Nuit », qu'il a cofondée, il reste lié à l'événement de multiples manières, et notamment via la société organisatrice Obole, dont il est actionnaire.

De Stanislas de Bentzmann et Charles Beigbeder à Denis Duverne en passant des dirigeants de Domino RH, ManoMano ou Payfit, Pierre-Édouard Stérin a associé de nombreuses figures du monde des affaires à ses activités caritatives, dont beaucoup continuent de graviter dans cet écosystème. Certains partagent les visées de plus en plus clairement politiques de cette « philanthropie », d'autres ont choisi de les ignorer.

À lire : Derrière la Nuit du bien commun, l'ombre embarrassante de Stérin et toute une galaxie d'hommes d'affaires

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En bref

Enquête officielle sur Christophe Castaner et Shein. Il y a quelques mois, l'Observatoire des multinationales avait adressé, avec les Amis de la Terre, un signalement à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique au sujet du lobbying orchestré par Shein contre le projet de loi « fast-fashion » (lire Pourquoi il faut faire la lumière sur le lobbying de Shein et le rôle de Christophe Castaner). Plusieurs des acteurs de ce dossier ont mis à jour leurs déclarations de lobbying suite à cette alerte, et il est désormais confirmé qu'une enquête officielle est en cours sur le rôle exact de l'ex ministre Christophe Castaner. Recruté par le géant chinois, il a toujours prétendu, sans trop convaincre, que ce n'était pas pour faire du lobbying. Malheureusement pour lui, l'ex ministre Véronique Louwagie en a rajouté une couche dans le Complément d'enquête diffusé le 11 décembre sur France Télévisions (pour lequel nous avons été interrogé, et qui utilise des courriels que nous avons obtenus de l'Elysée) : elle raconte avoir reçu de nombreux SMS de son ex collègue lui demandant de lui parler de Shein pour « dédiaboliser » l'entreprise. À suivre.

Dans les coulisses du lobbying contre le devoir de vigilance. L'ONG néerlandaise SOMO s'est procurée des documents internes du cabinet de relations publiques Teneo, qui lèvent le voile sur une partie de l'offensive qui a conduit l'UE à vider de sa substance sa directive sur le devoir de vigilance des multinationales (voir ici et dans nos précédentes lettres). Une structure a été créée par Teneo, la « table-ronde sur la compétitivité » (Competitiveness Roundtable) regroupant surtout des multinationales pétrolières, majoritairement américaines, mais aussi TotalEnergies, pour coordonner le travail d'influence. Les entreprises se sont par exemple « répartis » les gouvernements des Etats-membres sur lesquels elles feraient pression, en fonction de leurs implantations dans les pays concernés. TotalEnergies s'est chargé de la France, mais aussi de la Belgique et du Danemark. Lire ici les révélations de SOMO et l'article en français de Mediapart.

L'optimisation en chiffres. Les multinationales ne délocalisent pas seulement les usines, mais également les profits : 10 milliards d'euros de profits échappent chaque année à la France, selon une étude de l'Observatoire européen de la fiscalité basée sur des données fiscales en général inaccessibles aux chercheurs. Cela représente une perte de revenus fiscaux de 3,7 milliards. Cette optimisation passe par des transferts financiers intra-groupes, « notamment via des filiales spécialisées dans la propriété intellectuelle, la R&D ou des activités financières, permettant d'attribuer les profits à des juridictions à fiscalité réduite » (Luxembourg, Suisse, Singapour, Pays-Bas et Hong-Kong).

Pour 2,9 milliards t'as plus rien. En 2023, le gouvernement français annonçait en grande pompe une subvention de 2,9 milliards d'euros pour l'extension d'une usine de ST Microelectronics à Crolles, près de Grenoble. L'opération devait se faire en partenariat avec Global Foundries, un groupe ayant son siège outre-Atlantique mais propriété à 82% du fonds souverain émirati Mubadala. Depuis, Global Foundries semble s'être désengagé sans le dire. L'association Actionnaires pour le climat, a cherché à obtenir la convention encadrant la subvention et fini par mettre la main sur une lettre d'engagement de ST, qui table sur « la création d'un minimum de 1 000 emplois à temps plein nets » d'ici 2027. Ce dont le groupe, qui a annoncé en avril la suppression d'un millier d'emplois en France, semble très loin. Une raison de suspendre la subvention, dont 630 millions d'euros auraient déjà été versés ? C'est ce que pense l'association, même si la valeur juridique d'une telle clause reste incertain. Lire le récit de Libération. ST Microelectronics vient de recevoir un nouveau financement public d'un milliard d'euros de la Banque européenne d'investissement.

Gaz offshore au Mozambique : deux pays européens disent non à TotalEnergies. Le Royaume-Uni puis les Pays-Bas ont successivement annoncé la fin de leur soutien (sous la forme de crédit export et de garantie d'emprunt) au projet gazier de Cabo Delgado de TotalEnergies. Celui-ci-avait été gelé suite aux violences dans cette province du pays. Le traitement des populations civiles par l'armée a d'ailleurs donné lieu au dépôt d'une plainte pour « complicité de crime de guerre » contre l'entreprise, dont nous avons parlé dans une précédente lettre. Ce double retrait fragilise la relance annoncée du projet, dans un contexte d'insécurité persistante, même si l'administration Trump, elle, a accordé un prêt de 4,7 milliards de dollars au groupe pétrogazier français.

Idée cadeau. Comment est né le mouvement « anti-monopoles » aux États-Unis ? Comment le ketchup est devenu si sucré ? Comment Shenzhen a attiré les multinationales du monde entier avant de donner naissance à des géants chinois comme Huawei et BYD ? Comment Unilever a construit sa prospérité d'aujourd'hui sur le dos du Congo belge et de sa population ? Nous publions quelques nouvelles bonnes feuilles du livre Multinationales. Une histoire du monde contemporain, paru chez La Découverte. Un livre riche en substance et en infos intéressantes, à mettre sous tous les sapins. Toutes les infos ici.

Cette lettre a été écrite par Olivier Petitjean.

12.12.2025 à 00:08

Dix ans après l'accord de Paris, peu de progrès et beaucoup de questions pour le CAC 40

À l'occasion du dixième anniversaire de l'Accord de Paris sur le climat, bilan des progrès accomplis (ou non) par les groupes du CAC 40 en matière de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre.

- Dix ans après l'accord de Paris, le CAC 40 a-t-il avancé ? / , , , , , , , , , , , , , , , ,
Texte intégral (809 mots)

À l'occasion du dixième anniversaire de l'Accord de Paris sur le climat, l'Observatoire des multinationales dresse le bilan des progrès accomplis - ou non - par les groupes du CAC 40 en matière de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Le chemin semble encore très long pour décarboner réellement le modèle productif et commercial des grandes entreprises françaises, et rares sont celles qui ont pris des mesures concrètes à la hauteur de leurs discours.

Le 12 décembre 2025, nous fêterons le dixième anniversaire de l'adoption de l'Accord de Paris sur le climat. Pour l'occasion, l'Observatoire des multinationales s'est penché sur la performance climatique d'un échantillon de douze entreprises du CAC 40, représentatives de différents secteurs d'activité : Airbus, ArcelorMittal, BNP Paribas, Carrefour, Danone, Engie, L'Oréal, LVMH, Michelin, Renault, Saint-Gobain et TotalEnergies. Avec une question simple : comment ont évolué les émissions de gaz à effet de serre déclarées par ces groupes français depuis 2015 ? Ont-elles baissé drastiquement, comme semblait le promettre la floraison d'engagements et d'initiatives qui ont accompagné la COP21 et la signature de l'Accord de Paris ? Ou bien constate-t-on un écart entre les discours et les promesses et la réalité concrète ?

Principales conclusions de l'étude :

  • La moitié des entreprises étudiées a vu ses émissions d'ensemble (directes et indirectes) augmenter ou stagner entre 2019 et 2024.
  • Dans la plupart des cas, la réduction d'émissions atteintes par certains groupes s'expliquent par la simple revente d'actifs polluants, sans bénéfice net pour le climat, ou par la chute des ventes d'avions ou de voitures pendant la pandémie.
  • Les entreprises parviennent généralement à réduire leurs émissions directes, quoiqu'avec certains effets de trompe-l'oeil dus à l'utilisation de « mécanismes de marché ». En revanche, les émissions indirectes, au niveau de l'ensemble de la chaîne de valeur, continuent souvent d'augmenter, alors qu'elles sont souvent beaucoup plus importantes. Beaucoup de groupes ne semblent pas avoir de véritable réponse sur les moyens de renverser la tendance.
  • Grâce à la mise en œuvre de la directive européenne CSRD, aujourd'hui attaquée, les entreprises sont enfin plus transparentes sur leurs émissions indirectes.

Il y a dix ans, en amont de la conférence climat parisienne, l'Observatoire des multinationales avait publié avec le Basic un rapport intitulé « Gaz à effet de serre : doit-on faire confiance aux entreprises pour sauver le climat ? », portant sur un échantillon de dix grandes entreprises françaises (dont sept que l'on retrouve dans notre nouvel échantillon). Ce rapport soulignait les limites de la transparence des entreprises françaises sur leurs émissions, la mauvaise prise en compte des émissions au niveau de toute la chaîne de valeur (amont et aval), et l'absence d'alignement sur les objectifs européens à long terme de réduction des émissions, avec souvent des paris sur des solutions technologiques incertaines pour atteindre ces objectifs. La présente étude confirme, dix ans plus tard, une grande partie de ces constats.

Si aucune n'a officiellement abandonné ses objectifs climatiques, on assiste chez certaines entreprises à un mouvement de recul ou du moins de plus grande prudence par rapport aux objectifs et aux engagements affichés au moment de l'Accord de Paris et dans les années qui ont suivi. Au-delà du contexte politique immédiat, cette baisse relative d'enthousiasme affiché s'explique peut-être aussi par la prise de conscience par ces entreprises des difficultés concrètes à réduire véritablement leurs émissions et à atteindre la neutralité carbone en 2050, et les coûts induits.

09.12.2025 à 10:08

Comment Shenzhen est devenu l'atelier du monde

En 1980, en guise de premier acte de sa réouverture économique, la Chine inaugure la zone économique spéciale de Shenzhen, destinée à attirer les multinationales du monde entier. La ville deviendra la capitale de la mondialisation dans les années 1990, avec son côté obscur en termes d'exploitation des travailleurs, et le berceau de multinationales chinoises comme Huawei et BYD. Extrait de Multinationales. Une histoire du monde contemporain.
En 1979, la Chine décide d'ouvrir son économie (…)

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En 1980, en guise de premier acte de sa réouverture économique, la Chine inaugure la zone économique spéciale de Shenzhen, destinée à attirer les multinationales du monde entier. La ville deviendra la capitale de la mondialisation dans les années 1990, avec son côté obscur en termes d'exploitation des travailleurs, et le berceau de multinationales chinoises comme Huawei et BYD. Extrait de Multinationales. Une histoire du monde contemporain.

En 1979, la Chine décide d'ouvrir son économie au monde. Deng Xiaoping se rend en visite aux États-Unis où il rencontre des investisseurs et des patrons de grandes entreprises. L'année suivante, le gouvernement chinois officialise l'ouverture d'une première zone économique spéciale, à Shenzhen, à proximité immédiate de Hong Kong et de Macao – ces deux territoires sont encore sous administration britannique pour le premier (jusqu'en 1997) et portugaise pour le second (jusqu'en 1999) – pour attirer les investissements occidentaux. Aujourd'hui, Shenzhen abrite une population de 17,5 millions de personnes (chiffre 2020) et est devenue la troisième ville de Chine après Pékin et Shanghai.

La zone économique spéciale de Shenzhen offre aux entreprises du monde entier un territoire d'implantation doté de son propre port et de ses propres règles. Elle leur offre aussi l'accès à une quantité immense de travailleurs migrants venus du monde rural chinois.

Un premier projet de zone industrielle voué à l'exportation est porté sur place par le groupe China Merchants, mais l'ambition est désormais bien plus vaste. Directement inspirée du modèle des zones franches et profitant du développement rapide de la conteneurisation, la zone économique spéciale de Shenzhen offre aux entreprises du monde entier un territoire d'implantation doté de son propre port, de droits de douane réduits, d'une fiscalité avantageuse et de ses propres règles. Elle leur offre aussi l'accès à une quantité immense de travailleurs migrants venus du monde rural chinois, dont les droits sociaux sont réduits à portion congrue et qui logent dans des dortoirs appartenant à leurs employeurs. Le tout est entouré de fils barbelés et de checkpoints pour contrôler les mouvements de population.

Forte de ses atouts, Shenzhen ne tarde pas à attirer entreprises et investisseurs, tout d'abord depuis Hong Kong et Taïwan, puis depuis le reste du monde. Les grandes marques occidentales y sous-traitent progressivement leur production à des entreprises chinoises ou du reste de l'Asie. Le port de Shenzhen devient l'un des plus importants du globe et envoie ses conteneurs aux quatre coins de la planète, approvisionnant notamment les supermarchés et enseignes de vêtements nord-américains et européens. On y produit de tout : des objets de consommation courante, des appareils électroménagers, des machines, des poupées Barbie pour Mattel, des chaussures pour Nike, des vêtements et des jouets pour Disney.

Un sous-traitant très puissant

L'installation du groupe taïwanais Foxconn, en 1988, est une étape cruciale dans le développement des industries électroniques à Shenzhen. L'entreprise fondée en 1974 par Terry Gou y ouvre cette année-là sa première usine hors de Taïwan. Elle se spécialise dans la production d'appareils ou de composants pour toutes les grandes marques américaines, européennes, japonaises et chinoises, de BlackBerry et Apple à Xiaomi en passant par Nokia, Samsung, Nintendo, Sega et Sony. Foxconn et Shenzhen se font connaître du grand public occidental dans les années 2000 et 2010 comme l'un des principaux lieux de production de l'iPhone d'Apple. On a estimé en 2012 que le groupe taïwanais fabriquait 40 % de tous les gadgets électroniques vendus dans le monde. Si Foxconn possède désormais des usines également au Brésil, en Inde et en Europe, la Chine reste son principal site de production.

Foxconn et d'autres sous-traitants opérant à Shenzhen sont régulièrement épinglés par des organisations non gouvernementales et des journalistes pour les conditions de vie et de travail drastiques qu'ils imposent à leurs employés, particulièrement à l'approche des ventes de Noël en Occident, ainsi que pour le recours au travail de mineurs.

Le modèle des zones économiques spéciales est ensuite exporté ailleurs dans le monde au bénéfice des entreprises chinoises dans le cadre des « nouvelles routes de la soie ».

L'un des objectifs de la création de la zone économique spéciale était de constituer un terrain d'expérimentation en vue de l'introduction du capitalisme et des marchés internationaux en Chine d'une manière qui soit compatible avec les valeurs du « communisme » étatique chinois et le maintien du contrôle par le parti unique. Le succès de Shenzhen pousse le gouvernement chinois à créer d'autres zones économiques spéciales et d'autres dispositifs similaires le long du littoral et des grands fleuves. L'une des plus connues est le quartier de Pudong à Shanghai. Leur localisation coïncide souvent avec celle des ports sous concession étrangère du XIXe siècle, mais la nature des relations sino-occidentales a radicalement changé. Le modèle des zones économiques spéciales est ensuite exporté ailleurs dans le monde au bénéfice des entreprises chinoises dans le cadre des « nouvelles routes de la soie ».

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Le berceau de Huawei et BYD

Shenzhen est aussi le lieu de naissance et le siège social de nombreuses multinationales chinoises. Huawei y voit ainsi le jour en 1987. L'entreprise s'inspire des équipements téléphoniques occidentaux qui sont produits ou revendus dans la zone économique spéciale pour développer ses propres modèles et partir ensuite, avec le soutien de l'État, à la conquête du marché chinois, puis du marché mondial. Le constructeur de véhicules électriques BYD est également fondé à Shenzhen en 1995, initialement comme producteur de batteries pour le compte de donneurs d'ordres internationaux.

Le contrôle social n'empêche pas des grèves souvent massives.

Aujourd'hui, le PIB de Shenzhen dépasse celui de Hong Kong. La ville est l'une de celles qui abritent le plus de milliardaires de la planète. Les autorités mettent l'accent sur sa spécialisation dans la finance et la haute technologie, en passant sous silence les centaines de milliers d'ouvriers qui continuent à y trimer. Les activités industrielles à faible valeur ajoutée sont de plus en plus délocalisées dans d'autres pays où les salaires sont plus bas. Shenzhen reste aussi extrêmement surveillée, les fils de fer barbelés ayant cédé la place à des milliers de caméras de vidéosurveillance. Ce contrôle social n'empêche pas des grèves régulières souvent massives dans la région, comme dans des ateliers fournissant le groupe textile japonais Fast Retailing (Uniqlo, Comptoir des cotonniers…) en 2005, ou de la part d'ouvrières produisant des chaussures Adidas, Nike ou New Balance en 2011, ou des ouvriers d'IBM en 2014. En 2023, l'organisation indépendante China Labour Bulletin (basée à Hong Kong) recense plus de 500 conflits sociaux dans la région de Guangdong, dont Shenzhen fait partie, soit un tiers des protestations sociales recensées dans l'ensemble de la Chine.

(c) La Découverte, tous droits réservés

09.12.2025 à 10:00

Lever Brothers, ancêtre d'Unilever : une prospérité bâtie sur l'huile de palme et sur le Congo belge ­

Unilever est aujourd'hui, avec Nestlé, l'un des géants mondiaux de l'agroalimentaire, détenteur de dizaines de grandes marques omniprésentes dans les supermarchés. Sans le Congo belge et sa population, invisible dans l'histoire officielle de l'entreprise, elle ne serait jamais devenue ce qu'elle est. Extrait de Multinationales. Une histoire du monde contemporain.
Unilever constitue aujourd'hui l'une des multinationales à laquelle il est difficile d'échapper, tant ses multiples marques (…)

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Unilever est aujourd'hui, avec Nestlé, l'un des géants mondiaux de l'agroalimentaire, détenteur de dizaines de grandes marques omniprésentes dans les supermarchés. Sans le Congo belge et sa population, invisible dans l'histoire officielle de l'entreprise, elle ne serait jamais devenue ce qu'elle est. Extrait de Multinationales. Une histoire du monde contemporain.

Unilever constitue aujourd'hui l'une des multinationales à laquelle il est difficile d'échapper, tant ses multiples marques sont omniprésentes dans le secteur agroalimentaire (Amora, Ben & Jerry's, Carte d'Or, Knorr, Lipton…), les produits ménagers et l'hygiène (Cif, Dove, Rexona, Signal…). Unilever emploie 128 000 personnes dans le monde, est présente dans quasiment tous les pays et réalise plusieurs milliards d'euros de bénéfices. Elle affiche aussi fièrement son siècle et demi d'histoire, avec à son origine un modèle de réussite à la britannique.

William Lever est l'un des premiers à commercialiser des savons dans des emballages individuels et en soigner le marketing.

Cette histoire commence à Bolton, cœur de l'industrie textile britannique, non loin de Manchester et Liverpool. En 1866, à l'âge de seize ans, William Lever quitte l'école pour travailler à l'épicerie familiale. Il lui vient l'idée de commercialiser des savons dans des emballages individuels – à l'époque le savon se coupe dans des gros blocs et se vend au poids. Il en soigne le marketing, crée la marque Sunlight et fait appel à des artistes pour ses affiches publicitaires. L'entreprise Lever Brothers (que William gère avec son frère) se développe vite, les fabriques de savon se multiplient, notamment grâce aux politiques hygiénistes qui accompagnent l'urbanisation. Il fonde même une petite ville en 1888, Port Sunlight, près de Liverpool qui se veut une cité ouvrière « idéale », avec maisons individuelles, terrains de sport, bibliothèque, sous la surveillance étroite de l'entrepreneur. En 1915, Lever Brothers met la main sur sa principale concurrente, les savons Pears, à l'époque l'une des marques les plus connues dans le monde.

En 1912, William Lever a déjà accumulé une fortune personnelle de trois millions de livres sterling. Au sortir du premier conflit mondial, il est élu maire de Bolton puis est anobli par la Couronne britannique. Lord Lever s'éteint en 1925. Fragilisée par la crise de 1929, son entreprise fusionne alors avec une compagnie néerlandaise de l'agroalimentaire, Margarine Unie, pour former Unilever. À ce récit du petit épicier de Bolton, précurseur en matière de marketing, entrepreneur plutôt philanthrope, devenu un lord millionnaire, il manque cependant un chapitre, et non des moindres. Celui qui permet à la firme de William Lever de prendre un essor sans précédent et de s'imposer sur le marché occidental : celui de ses affaires au Congo belge.

Travail forcé

L'huile de palme qui permet la fabrication du savon Sunlight arrive à Liverpool depuis les forêts ouest-africaines et le golfe de Guinée (les huiles d'olive et d'arachide du pourtour méditerranéen arrivant, elles, à Marseille). En 1911, Lever Brothers négocie à des conditions très favorables des concessions au Congo belge (futur Zaïre puis République démocratique du Congo). L'État belge vient d'« hériter » de cet immense territoire qui s'étend de l'Atlantique au centre de l'Afrique. Le Congo belge avait auparavant été reconnu par les empires coloniaux européens, l'Empire ottoman et les États-Unis, comme une possession personnelle de Léopold II de Belgique. La future Unilever se voit octroyer, au cœur des forêts et savanes congolaises, cinq cercles d'un rayon de 60 km chacun, où les palmiers à huile sont foison. L'entreprise loue ainsi un territoire équivalent à deux fois et demie la Belgique.

L'entreprise loue ainsi un territoire équivalent à deux fois et demie la Belgique.

Une filiale dédiée – les Huileries du Congo belge – est créée, et même une ville, Leverville (aujourd'hui Lusanga, à 500 km de la capitale Kinshasa). La population congolaise, déjà fortement éprouvée par l'exploitation et le pillage de ses terres – pour le caoutchouc et l'ivoire notamment – pendant la colonisation privée du roi Léopold II, est mise à contribution avec une brutalité équivalente. Des villageois sont expropriés, des milliers de Congolais sont recrutés de force pour travailler comme porteurs ou récolteurs, pour un salaire misérable de 25 centimes par jour (soit à peine 0,5 % de ce que leur travail rapporte à Unilever sur une journée), trimant souvent sous la menace d'une arme à feu.

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Sans le Congo belge et sa population, invisible dans l'histoire officielle de l'entreprise, Unilever ne serait jamais devenue ce qu'elle est.

« Chaque jour, ils devaient se débrouiller pour trouver cinq à huit régimes mûrs [de noix de palme]. Il leur fallait pour cela grimper à des troncs sans branches, souvent à plus de trente mètres de hauteur et, une fois arrivés en haut, détacher un régime à l'aide d'une machette. Les exploitants d'Unilever partaient du principe que tous les Noirs pouvaient se livrer sans difficultés à ce genre d'acrobaties, alors qu'un tel exercice exigeait une adresse particulière que tout le monde était loin de posséder. Il y eut des morts », raconte l'historien David Van Reybrouck dans Congo. Une histoire (Actes Sud, 2012) à partir de témoignages qu'il a recueillis. Une fois les noix de palme récoltées, elles sont transportées par des femmes, à pied, sur des distances pouvant atteindre 30 km le long de chemins forestiers, chaque régime de noix de palme pesant entre 20 et 30 kg. Avec la crise de 1929, le prix de l'huile de palme est divisé par quatre. Unilever répercute cette baisse sur les travailleurs congolais, en divisant le salaire journalier par dix ! Cette situation, en plus du poids de la domination coloniale, provoque en 1931 des révoltes au sein des Bapendé, le peuple dont est issue une large part de la main-d'œuvre pour les palmiers à huile. Des symboles du pouvoir blanc et de l'administration coloniale sont détruits. Un collecteur d'impôts belge est tué dans la région de Kikwit. La répression par l'armée fait plus de 400 morts.

Sans le Congo belge et sa population, invisible dans l'histoire officielle de l'entreprise, Unilever ne serait jamais devenue ce qu'elle est. Cent ans plus tard, la multinationale, comme d'autres géants (Nestlé et Colgate notamment), est toujours mise à l'index par les défenseurs des droits humains à cause des conditions de travail dans les plantations, en Afrique mais aussi désormais en Indonésie et en Malaisie. Unilever ne gère plus directement de plantations mais se fournit auprès des nouveaux géants du secteur, comme Wilmar ou Olam.

Un extrait de Multinationales. Une histoire du monde contemporain, co-dirigé par Olivier Petitjean et Ivan du Roy, éditions La Découverte, 2025, 860 pages, 28 euros.

(c) La Découverte, tous droits réservés

09.12.2025 à 09:53

L'histoire de Heinz, ou pourquoi le ketchup est si sucré

Derrière le ketchup tel qu'on le connaît aujourd'hui, il y a un homme d'affaires de Pittsburgh, fils d'immigrés allemands, pionnier de l'industrie agroalimentaire : Henry Heinz. Extrait du livre Multinationales. Une histoire du monde contemporain.
En plus d'être le berceau du taylorisme et de la sidérurgie, la ville de Pittsburgh est aussi celui de Henry J. Heinz, qui, à travers l'entreprise qui porte son nom, joue un rôle tout aussi important dans la naissance de l'industrie moderne. (…)

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Texte intégral (1252 mots)

Derrière le ketchup tel qu'on le connaît aujourd'hui, il y a un homme d'affaires de Pittsburgh, fils d'immigrés allemands, pionnier de l'industrie agroalimentaire : Henry Heinz. Extrait du livre Multinationales. Une histoire du monde contemporain.

En plus d'être le berceau du taylorisme et de la sidérurgie, la ville de Pittsburgh est aussi celui de Henry J. Heinz, qui, à travers l'entreprise qui porte son nom, joue un rôle tout aussi important dans la naissance de l'industrie moderne.

Né le 11 octobre 1844, ce fils d'immigrés allemands puritains fonde une première entreprise vendant des bouteilles de sauce au raifort, un radis piquant cultivé dans la ferme familiale. On dit que ce sont les traditions familiales rigoristes qui le sensibilisent aux principes d'hygiène qu'il appliquera ensuite à la commercialisation de denrées alimentaires à grande échelle.

Heinz contribue à fixer le goût du ketchup en y ajoutant une quantité importante de sucre, qui favorise sa conservation.

C'est avec son frère John et son cousin Frederick qu'il crée en 1876 la société F.&J. Heinz, rebaptisée H.J. Heinz Company en 1888, pour commercialiser du ketchup. Initialement appelée catsup, cette sauce est connue depuis au moins le XVIIe siècle en Grande-Bretagne puis aux États-Unis, dans des versions très différentes (certaines utilisent des champignons). L'inspiration initiale serait venue de marins britanniques ayant rapporté d'Asie une sauce de saumure proche du nuoc-mâm vietnamien. Heinz contribue à fixer le goût caractéristique du ketchup tel qu'on le connaît aujourd'hui, notamment en y ajoutant une quantité importante de sucre, qui favorise en outre sa conservation.

Pour que le ketchup Heinz devienne plus tard la sauce la plus consommée au monde, il aura fallu une série d'innovations industrielles, technologiques et commerciales pour la produire à grande échelle et sans problème de contamination bactérienne. Dès 1890, Heinz met en place dans son usine des techniques d'assemblage modernes, comme la soudure automatique de ses boîtes de conserve. Comme beaucoup de conserveries de l'époque, les usines Heinz emploient surtout des femmes, moins payées que les hommes à travail équivalent, ce qui permet au dirigeant de se réserver un taux de profit conséquent.

Sécurité alimentaire

Pour assurer la qualité de ses produits, Henry Heinz va jusqu'à s'immiscer dans l'hygiène personnelle de ses employés, en les incitant à prendre des douches et en payant une manucure hebdomadaire aux ouvrières qui manipulent les matières premières. Dans cette période d'exode urbain, les enjeux de sécurité alimentaire sont cruciaux. Les besoins de conservation des aliments explosent sans que les pratiques d'hygiène adaptées soient toujours mises en place. Les consommateurs peuvent mourir intoxiqués par les conservateurs dangereux présents dans certaines conserves, comme le formaldéhyde. D'où le recours au sucre. Pour faire face à la défiance des clients potentiels, le groupe Heinz a en outre l'idée de proposer un modèle de bouteille transparente, afin de rassurer sur le contenu. Ce sera l'une de ses marques de fabrique jusqu'à aujourd'hui.

Avec les soupes Campbell, les sauces Heinz sont les symboles de ce nouvel âge de l'industrie agroalimentaire.

En 1905, Heinz produit déjà 5 millions de bouteilles de ketchup. L'année suivante, un scandale sanitaire secoue toute l'industrie agroalimentaire. Dans son roman La Jungle, Upton Sinclair révèle les conditions sanitaires déplorables qui règnent dans les abattoirs de Chicago, et notamment l'usage de viande avariée pour fabriquer des saucisses ou pour des conserves. Le Congrès américain adopte alors la première loi de protection des consommateurs, le Pure Food and Drug Act, qui fixe des normes sanitaires plus strictes pour les produits alimentaires aux États-Unis et commence à réguler la vente et l'usage de drogues et de médicaments. Il met également en place une agence publique chargée de superviser les secteurs agroalimentaire et pharmaceutique, la Food and Drug Administration (FDA), qui ne cesse de grandir au cours du siècle.

Avec sa culture hygiéniste, Henry J. Heinz mène campagne en faveur de la nouvelle loi et en influence le contenu. Il accueille d'autant plus favorablement cette volonté de standardisation et de contrôle qu'elle lui permet de mettre un frein aux pratiques d'industriels concurrents moins scrupuleux en termes de production, d'étiquetage ou de traçabilité. Avec les soupes Campbell, les sauces Heinz sont les symboles de ce nouvel âge de l'industrie agroalimentaire.

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L'entreprise continue de croître au fil des années. Elle devient un acteur majeur de la filière étatsunienne puis mondiale de la tomate, issue de champs et d'usines où les conditions de travail sont souvent problématiques. La mécanisation progressive de la production permet de réduire constamment les coûts. Porté par un marketing ingénieux – comme la mise en avant du chiffre 57, totalement arbitraire mais censé suggérer la richesse des ingrédients de la sauce –, Heinz conquiert le monde à la faveur de la Seconde Guerre mondiale. À la Libération, les Français découvrent le ketchup parmi d'autres produits emblématiques venus d'outre-Atlantique.

Porté par un marketing ingénieux, Heinz conquiert le monde à la faveur de la Seconde Guerre mondiale.

Devenu un géant qui vend, outre des sauces, des soupes, des conserves de pâtes cuisinées et des baked beans, Heinz est racheté par le milliardaire Warren Buffet en 2013 puis fusionne avec le groupe de charcuterie et fromages Kraft Food Groups, pour former Kraft-Heinz en 2015, qui devient alors le cinquième groupe alimentaire mondial. La recherche par les consommateurs d'une nourriture moins transformée et moins sucrée et des difficultés économiques contraignent Kraft-Heinz à des restrictions budgétaires et à la fermeture d'usines. Pour mieux coller à son époque, l'entreprise commercialise aujourd'hui du ketchup bio ou une déclinaison de son produit phare... réduite en sucre.

Un extrait de Multinationales. Une histoire du monde contemporain, co-dirigé par Olivier Petitjean et Ivan du Roy, éditions La Découverte, 2025, 860 pages, 28 euros.

(c) La Découverte, tous droits réservés

04.12.2025 à 07:30

Derrière la Nuit du bien commun, l'ombre embarrassante de Stérin et toute une galaxie d'hommes d'affaires

Clément Le Foll

Alors que son édition parisienne devrait se tenir ce jeudi 4 décembre, la Nuit du Bien commun tente de s'éloigner de son sulfureux fondateur Pierre-Édouard Stérin. Chefs d'entreprises catholiques traditionnalistes, startuppers conservateurs, grands patrons philanthropes... Notre enquête montre que de nombreuses figures du monde des affaires, de Stanislas de Bentzmann à Denis Duverne, ont été associés dès le début aux activités caritatives du milliardaire d'extrême droite, dont la politique (…)

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Alors que son édition parisienne devrait se tenir ce jeudi 4 décembre, la Nuit du Bien commun tente de s'éloigner de son sulfureux fondateur Pierre-Édouard Stérin. Chefs d'entreprises catholiques traditionnalistes, startuppers conservateurs, grands patrons philanthropes... Notre enquête montre que de nombreuses figures du monde des affaires, de Stanislas de Bentzmann à Denis Duverne, ont été associés dès le début aux activités caritatives du milliardaire d'extrême droite, dont la politique n'a jamais été éloignée. Certains continuent parfois de graviter dans le même écosystème.

Ce 14 juin 2017, l'ambiance est studieuse dans les bureaux cossus des Jardins de Saint Dominique, un lieu de séminaire dans le VIIe arrondissement parisien, mis gracieusement à disposition par l'entreprise Chateauform. Les photos, encore accessibles sur les réseaux sociaux de la Nuit du Bien Commun, montrent une table encombrée de bouilloires, de bouteilles d'eau et de fascicules. Assis autour de celle-ci, l'homme d'affaires Pierre-Édouard Stérin et le patron de la société Obole Stanislas Billot de Lochner écoutent attentivement les présentations. Vingt-six associations participent à ce grand oral. Un représentant d'Espérance banlieues, réseau d'établissements privés hors contrat où les élèves portent l'uniforme, expose ses besoins de financement pour une de ses écoles. L'objectif : convaincre le jury réuni ce jour-là, afin de participer à la toute première édition de la Nuit du bien commun, qui se tiendra quelques mois plus tard, en novembre, au théâtre Mogador à Paris. Cet événement caritatif conçu par Stérin et Billot de Lochner a pour principe de mettre en relation des associations et des mécènes au cours d'une soirée festive.

Charles Beigbeder

Pour l'épauler dans cette première sélection, Pierre-Édouard Stérin a réuni autour de la table ses premiers soutiens. Il y a notamment Charles Beigbeder, l'entrepreneur derrière Poweo et AgriGeneration, très actif dans la French Tech, ancien membre de l'UMP qui est aussi un fervent défenseur de la Manif pour tous et de l'union des droites et un soutien financier d'Atlantico, de L'incorrect ou encore de l'école de science politique créée par Marion Maréchal. Également présent ce jour là, Stanislas de Bentzmann, patron de Devoteam, une importante société de conseil en numérique qui compte plus de 4 300 collaborateurs. Il a été, comme Charles Beigbeder quelques années auparavant, le président de CroissancePlus, un lobby de patrons de PME et d'entreprises de taille intermédiaire. C'est lors d'un événement de cette association professionnelle qu'il confie avoir rencontré Stérin.

Benoît Dumoulin, le directeur de cabinet de la société Audacia de Beigbeder, Antoine Desjars, fondateur du cabinet de conseil Ares&Co, et Hugues de Lastic Saint Jal de la société Eurydice, prestataire technique audiovisuel de la première Nuit du bien commun, complètent le panel. Est également assise autour de la table Caroline de Malet, chef de service Débats au Figaro, partenaire officiel de l'événement, qui fera paraître dans le journal un élogieux article de compte-rendu. Elle y précise que les hommes d'affaires présents ce jour là ont, en plus d'aider à la sélection des candidats, « entièrement financé l'organisation de la soirée » au sein d'un groupe d'« une dizaine d'entrepreneurs soucieux du bien commun ».

Des « Nuits » de plus en plus chahutées

Huit ans après son édition inaugurale de 2017, la Nuit du bien commun s'enorgueillit d'avoir soutenu 560 projets et levé 28 millions d'euros. Une nouvelle édition parisienne se tient ce jeudi 4 décembre aux Folies Bergères, après d'autres soirées dans une quinzaine de villes françaises cette année. Mais l'événement a lieu dans un contexte beaucoup plus tendu. Depuis la révélation à l'été 2024 du « projet Périclès », par lequel Pierre-Édouard Stérin prévoit d'investir plusieurs dizaines de millions d'euros pour la victoire électorale de l'extrême droite, les regards scrutateurs se sont tournés vers ses autres activités, y compris philanthropiques.

La Nuit du bien commun a servi à financer de nombreuses associations proches des réseaux catholiques réactionnaires, comme la Maison de Marthe et Marie, accusée de réaliser un lobbying anti-IVG (lire l'enquête du collectif Hors Cadre pour Le Poulpe), ou Excellence Ruralités, réseau d'établissements hors contrats qui prônent un enseignement traditionaliste (lire l'enquête du même collectif pour Basta !). Dans les villes où sont organisées des Nuits du bien commun, les manifestations sont désormais systématiquement organisées, conduisant parfois à des annulations, comme à Aix-en-Provence début octobre. Les opposants à Stérin se sont encore donnés rendez-vous ce 4 décembre à Paris, dans un appel relayé par de nombreux syndicats et associations.

Dans sa communication officielle, la Nuit du bien commun tente désormais de prendre ses distances avec Pierre-Édouard Stérin. Son départ du conseil d'administration de l'événement, ainsi que celui des deux autres co-fondateurs Stanislas Billot de Lochner et Thibaut Farrenq, a été annoncé en juin dernier. Les porte-paroles de la Nuit du bien commun réaffirment que l'événement se veut « fédérateur, aconfessionnel et a politique » et réfutent aujourd'hui tout lien avec les batailles culturelles et politiques de Pierre-Édouard Stérin. « Bien que la proximité des noms puisse prêter à confusion, il n'y a aucun lien de gouvernance entre ces deux fonds de dotation. Ce sont deux initiatives indépendantes l'une de l'autre », écrit-elle sur son site. « Nous acceptons pour autant que le Fonds du Bien Commun soutienne certaines de nos soirées et de nos associations lauréates », poursuit-elle cependant. De fait, plusieurs associations ont été financées conjointement par les deux structures, comme Esprit de patronages.

La Nuit du bien commun tente désormais de prendre ses distances avec Pierre-Édouard Stérin.

Les documents que nous avons pu rassembler pour cette enquête, y compris des archives depuis effacées des sites internet de la Nuit du bien commun et du fonds de dotation créé parallèlement par Pierre-Édouard Stérin pour l'accompagner, le Fonds du bien commun, démontrent de fait que leurs liens avec les réseaux de la droite culturelle et politique sont anciens, et qu'ils perdurent jusqu'à aujourd'hui. Et que l'homme d'affaires a réussi à embarquer dans sa croisade culturelle de nombreux hommes d'affaires, certains clairement identifiés à l'extrême droite de l'échiquier politique, d'autres plus discrets sur leurs engagements.

« La tech, les énergies fossiles et la finance alternative »

Gonzague de Blignières

Dès 2019, la Nuit du bien commun s'est structurée autour d'un conseil d'administration, composé des trois fondateurs Stérin, Billot de Lochner et Farrenq, avec trois autres hommes d'affaires influents. Xavier Caïtucoli, le premier, est l'ancien directeur général de Direct Énergie, racheté en 2018 par TotalEnergies. Après être resté un an au sein du groupe pétrogazier, il a investi dans plusieurs entreprises du secteur de l'énergie, dont Transition S.A. (fusionné entre-temps avec Arverne) et Verso Energy. (Coïncidence ou non, Arverne et Verso figurent parmi les entreprises rencontrées à Bruxelles par Marion Maréchal, dans le cadre de son mandat de députée européenne. Voir notre article.)

Le deuxième est Gonzague de Blignières, ancien patron de Barclays Private Equity et cofondateur de Raise. Imaginé avec Clara Gaymard, ex patronne de General Electric France et femme de l'ancien homme politique français Hervé Gaymard, cette société est l'un des grands noms du capital-investissement français. Elle a recruté l'ancien ministre de l'Agriculture Julien Denormandie comme « senior advisor » à son départ du gouvernement. Otium, le fonds d'investissement de Pierre-Édouard Stérin, a investi dans des fonds de Raise, comme nous l'avons souligné dans notre récente enquête (lire Face à Pierre-Édouard Stérin, le grand silence de la « French Tech »).

Stanislas de Bentzmann complète le trio. « J'ai aidé financièrement Pierre-Édouard Stérin dans ce projet que je trouvais ambitieux et novateur en France, résume le président de Devoteam qui explique avoir pris depuis ses distances avec la soirée. La Nuit du bien commun a pris son envol. Pierre-Édouard continue de me solliciter de temps en temps pour me demander si je suis intéressé à l'idée de soutenir une association. Nous conservons une relation courtoise. Mais je ne suis absolument pas associé à ses autres projets. »

Ils sont issus des mêmes milieux que Pierre-Édouard Stérin, catholiques et des starts-up.

Pour Théo Bourgeron, sociologue à l'université d'Édimbourg et co-auteur avec Marlène Benquet de La finance autoritaire (Raisons d'agir, 2021), les trois profils de l'ancien conseil d'administration de la Nuit du bien commun « sont intéressants, car ils sont issus des mêmes milieux que Pierre-Édouard Stérin, catholiques et des starts-up. On constate également qu'ils reflètent presque caricaturalement les principaux soutiens de l'extrême-droite en France : la tech, les énergies fossiles et la finance alternative. »

Stanislas de Bentzmann et Xavier Caïtucoli ne cachent par leur proximité avec l'extrême droite. En 2022, Stanislas de Bentzmann participait, selon La Lettre, à un dîner privé avec Éric Zemmour, Henri de Castries d'Axa et d'autres patrons. Il y a quelques mois, il a cosigné avec son frère une tribune dans Le Figaro intitulée « Notre économie n'a pas besoin de plus d'immigration ». Quant à Xavier Caïtucoli, ancien cadre du MNR de Bruno Mégret, une enquête de Mediapart a révélé qu'il fait partie des donateurs de la campagne présidentielle du même Éric Zemmour. En janvier 2022, il était présent au meeting de Villepinte du candidat Reconquête.

L'étrange archive du Fonds du bien commun

Une archive transmise à l'Observatoire des multinationales suggère que Stanislas de Bentzmann a pu être davantage impliqué qu'il ne le suggère dans les projets de Pierre-Édouard Stérin. En 2021, ce dernier crée en effet le Fonds du bien commun, un fonds de dotation théoriquement abondé par les profits de ses investissements regroupés sous la marque Otium (en réalité, comme nous l'avons révélé, le Fonds du bien commun est financé par Stérin sous la forme de prêts). Contrairement à la Nuit du bien commun, dont le principe est de présenter à des mécènes venus assister aux soirées des associations et des projets pré-sélectionnés par les organisateurs, le Fonds du bien commun donne à Stérin encore plus de liberté dans le choix de ses financements, exclusivement fléchés vers des associations en phase avec les valeurs qu'il défend, comme la Nuit des influenceurs chrétiens, la plateforme de prière en ligne Hozana ou le spectacle Murmures de la cité à Moulins mettant en scène une vision révisionniste et biaisée de l'histoire de France (lire l'enquête du collectif Hors cadre pour Basta ! ici et ).

Stanislas de Bentzmann

Le document que nous avons pu consulter – dont nous n'avons pas pu établir la date précise et qui est aujourd'hui introuvable sur le site – se présente comme une page du site du Fonds du bien commun, qui présente celui-ci non comme un fonds de dotation crée par un milliardaire, mais comme « un mouvement collectif de dizaines d'entrepreneurs, dirigeants d'associations et d'entreprises ». Suit une liste de membres avec leur portrait, au premier rang desquels Ghislain Lafont, l'ancien président du conseil de surveillance de Bayard, qualifié de « Président du Fonds du bien commun », Edward Whalley, le directeur général du Fonds du bien commun depuis 2024 et présenté sous ce titre, puis Stanislas de Bentzmann et d'autres dirigeants d'entreprises ou de fonds d'investissement comme Domino RH, Partech, ManoMano ou Payfit.

Selon l'archive, ces entrepreneurs « participent au financement et au soutien des équipes dans la définition et la mise en œuvre de la stratégie du fonds du bien commun ». Questionné à ce propos, Stanislas de Bentzmann réfute tout lien avec le Fonds du bien commun. Aucune des autres personnes citées n'a répondu à nos demandes de confirmation, de sorte que nous ne sommes pas en mesure de garantir l'authenticité du document. Des liens existent entre certains noms cités et la galaxie Stérin, qui est par exemple investisseur de Payfit, tandis que le fondateur de ManoMano a un temps travaillé pour Otium.

Les présidents d'Axa et de Sanofi au comité des mécènes de la Nuit du bien commun

Plusieurs hommes et femmes d'affaires cités parmi les membres du « mouvement collectif » que serait le Fonds bien commun apparaissent également dans les premiers soutiens de la Nuit du bien commun en 2017 ou dans la liste du « comité des mécènes » de la Nuit du bien commun – une liste elle aussi disparue du site de l'événement mais dont on retrouve bien, dans ce cas, la trace dans les archives du net. Ce comité est généralement composé d'une vingtaine de personnes, en très grande majorité des hommes. Certains d'entre eux sont historiquement liés à Pierre-Edouard Stérin comme Paul-François Croisille, président d'Excellence Ruralités, financé par le Fonds du bien commun, aujourd'hui trésorier du fonds de dotation de La Nuit du Bien Commun.

La liste en date de 2020 inclut par exemple le cofondateur de la marque alimentaire Michel & Augustin Michel de Rovira, le directeur général de Sud Radio Patrick Roger, ou le fondateur de Webhelp Olivier Duha (qui a lui aussi été un temps le président du lobby CroissancePlus). Mais aussi – de manière plus inattendue – les anciens présidents du conseil d'administration d'Axa (jusqu'en 2022) et de Sanofi (jusqu'en 2023), Denis Duverne et Serge Weinberg.

Je suis très surpris à la lecture de ce document. Je n'ai jamais fait partie d'un tel comité.

« Je suis très surpris à la lecture de ce document. Je n'ai jamais fait partie d'un tel comité, confie Serge Weinberg à l'Observatoire des multinationales. Je ne savais pas que je faisais partie des mécènes de la Nuit du bien commun en 2020, mais cela s'explique sans doute par le fait que Denis Duverne, alors président d'Axa et moi avions lancé en 2018 un mouvement destiné à favoriser la philanthropie « changer par le don ». Nous avions demandé à la société Obole, également organisatrice des soirées du bien commun, de nous aider à organiser quelques manifestations destinées à lever des fonds pour des associations sélectionnées par plusieurs acteurs de la philanthropie. » À croire que ni la Nuit du bien commun ni le Fonds du bien commun ne consultaient leurs partenaires et mécènes avant de les afficher sur leurs sites web.

Aujourd'hui, les mécènes historiques de l'événement font majoritairement profil bas. « Je ne vois pas l'intérêt de cette discussion », balaye l'un d'entre eux à notre demande d'interview. Le président-fondateur de la société Domino RH, Loïc Labouche, argumente lui son refus : « Ayant été déjà suffisamment perturbé sur ce sujet par une succession d'attaques infondées, je ne passerais pas une minute de plus pour en échanger. Grâce aux organisateurs nous versons des dons à des associations méritant un grand respect pour ce qu'elles apportent à des personnes en difficulté. Cela ne devrait pas faire l'objet de polémiques mais, au contraire, susciter d'autres belles initiatives en ce sens. »

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Obole, une société au cœur de la galaxie Stérin

Au centre des liens entre Pierre-Édouard Stérin et la Nuit du bien commun, il y a aussi la société chargée d'organiser l'événement depuis 2017 et citée par Serge Weinberg : Obole. Elle a été lancée par les cofondateurs de la Nuit, Stanislas Billot de Lochner et Thibaut Farrenq, pour favoriser la numérisation des dons fait à l'Église. Pierre-Édouard Stérin est présent au capital de l'entreprise d'Obole depuis 2020. Il a été rejoint en 2021 par la Financière de Rosario, fonds créé il y a une cinquantaine d'années par Jean-François Michaud, figure du groupuscule d'extrême-droite Groupe union défense (GUD). En 2024, le fonds a été repris par ses fils, proches des groupuscules de Génération identitaire ou des Natifs selon Le Nouvel Obs.

En plus d'organiser les Nuits, Obole conseille également dans des levées de fonds ou des évènements certaines associations lauréates.

En 2022, Obole a également lancé son start-up studio, baptisé Obole Lab. Au capital, on retrouve encore Pierre-Édouard Stérin, mais aussi Denis Duverne, Olivier Duha, le fonds d'investissement de Loïc Labouche le patron de Domino RH, et une société liée à Vincent Strauss, autre figure de la finance alternative cité dans le comité des mécènes de 2020. En plus d'organiser les Nuits, Obole conseille également dans des levées de fonds ou des évènements certaines associations lauréates de la Nuit du Bien Commun, comme Le Rocher, Lazare ou Espérance banlieues. Depuis 2022, Obole Lab est actionnaire majoritaire de Oh My Love, la première application de rencontre intra-conjugale, dont le but est de reconnecter un couple pour éviter des divorces. Une initiative auréolée en 2024 du prix des couples, une distinction soutenue par... le Fonds du bien commun de Pierre-Édouard Stérin.

Façade grand public

Car quoiqu'en disent aujourd'hui les acteurs concernés, la Nuit du bien commun et ses lauréats continuent de faire partie du même écosystème que Pierre-Édouard Stérin, son « Fonds du bien commun » dédié à la bataille culturelle et désormais son « projet Périclès », dédié à la bataille directement politique. Les « Nuits », façade la plus grand public et « fédératrice » de cet écosystème, ont pu permettre de recruter de nouveaux alliés et repérer des projets prometteurs. Parmi les associations sélectionnées en 2017 pour présenter leur projets sur la scène du Mogador lors de la première Nuit du bien commun, il n'y avait pas qu'Espérance banlieues. Il y avait aussi l'Institut libre de journalisme, nouvelle école pensée par Jean-Baptiste Giraud, cofondateur et directeur de la rédaction d'Economie matin. Il y avait aussi Alexandre Pesey, qui a exposé le Coquetier, un incubateur pour « stimuler les initiatives des jeunes français ». S'il a réussi à recueillir pour ce projet presque 45 000 euros sur les 600 000 récoltés ce soir-là, Alexandre Pesey semble surtout avoir été conquis par une l'autre présentation. Moins d'un an plus tard, il cofonde l'Institut Libre de Journalisme, pitché par Jean-Baptiste Giraud. Depuis, l'école forme des étudiants et étudiantes à grand coup de conférences des journalistes des médias Bolloré comme Charlotte d'Ornellas ou Geoffroy Lejeune.

Avant de se lancer dans cette aventure, Alexandre Pesey avait déjà créé le très droitier Institut de formation politique (IFP), version française du Leadership Institute aux États-Unis, destiné à « former de jeunes conservateurs en France, pour les destiner à la politique ou pour qu'ils diffusent leurs idées dans les médias [...] en étant ultralibéral économiquement et en prônant des valeurs conservatrices » (lire notre enquête). L'IFP est désormais financé par Pierre-Édouard Stérin via le projet Périclès. De la philanthropie à l'entreprise de changement de régme, il n'y a parfois qu'un pas.

28.11.2025 à 08:56

L'odeur de l'argent. La lettre du 27 novembre 2025

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Quand le mécénat profite surtout... aux mécènes

Reconstruire Notre-Dame, secourir les Restos du Coeur, aider les hôpitaux face à la crise Covid, empêcher des chefs d'oeuvre artistiques d'être rachetés par de riches étrangers… Ces dernières années, les dons des milliardaires et de leurs entreprises ont bénéficié d'une forte médiatisation.

Mais qu'y a-t-il vraiment derrière cet élan de générosité ? C'est ce que nous avons voulu savoir en nous plongeant dans la législation actuelle sur le mécénat et son application.

Aujourd'hui, avec le mécénat, le don d'une entreprise ou d'un milliardaire c'est :
60% pour la collectivité sous forme de réduction d'impôt
25% pour le « bénéficiaire » en contreparties (généralement secrètes)
15% pour le donateur, qui décide où l'argent va et peut s'en arroger tout le mérite.

En réalité, donc, le mécénat coûte relativement peu aux entreprises et leur rapporte beaucoup en termes de publicité et d'influence.

Mais pour l'État et les simples citoyens, il coûte de plus en plus cher : 1,7 milliard d'euros par an en 2024. Et il risque de nuire aux missions d'intérêt général qui devraient être celles des institutions culturelles et d'enseignement supérieur.

Lire Défiscalisation, contreparties, privatisation rampante... Le mécénat, un cadeau de l'État aux entreprises et aux milliardaires ? et Mécénat : derrière la manne d'argent, le silence est d'or

Exemple avec l'omniprésence du groupe LVMH au Louvre. Louis Vuitton dans les appartements d'été d'Anne d'Autriche, Dior dans la Cour carrée, Bulgari dans la salle des Cariatides, Kenzo dans le jardin des Tuileries...

Profitant de la législation très accommodante sur le mécénat, les marques du groupe sont autorisées à s'approprier les lieux et bénéficient de généreux privilèges. Mais sans résoudre le manque criant d'investissements dans la maintenance et la sécurité du musée, dont a témoigné le cambriolage retentissant du 19 octobre dernier.

Lire Comment LVMH a envahi le Louvre

Extrême crypto

L'année dernière, le secteur américain des cryptomonnaies s'est ouvertement et massivement rallié à Donald Trump et aux Républicains, en finançant leurs campagnes à hauteur de plusieurs millions de dollars. On en a parlé dans cet entretien avec Molly White.

La même dérive vers la droite extrême est à l'oeuvre en France, comme le montre le deuxième volet de notre série « Extrême Tech ».

Le libertarianisme traditionnel du secteur des cryptos prend des tournures de plus en plus radicales, avec des appels à l'exil et à la sécession, tout en se conjuguant à des discours sécuritaires, sexistes et racistes. Certaines figures de la crypto française ont franchi le pas en s'affichant aux côtés de personnalités politiques d'extrême droite, ou encore en participant au « Sommet des libertés » co-organisé par Vincent Bolloré et Pierre-Édouard Stérin en juin dernier, voire carrément en invitant des néo-nazis à s'exprimer dans leurs chaînes YouTube.

Nous l'avons vérifié dans un portrait parallèle de deux patrons emblématiques de la crypto française. Le premier, Pierre Noizat (Paymium), ne cache plus son engagement politique. Le second, Eric Larchevêque (Ledger) garde encore ses distances, tout en écumant les plateaux télévisés (et une émission de téléréalité sur M6 où il participe comme juré) pour dire tout le mal qu'il pense de la taxe Zucman, de l'impôt et de l'État... alors qu'il a lui-même profité d'aides publiques.

Lire Libertariens et plus si affinités ? Chez les patrons français de la crypto, la tentation de l'extrême droite

Mais ces figures ne sont que la face visible d'une tendance plus profonde. Sur YouTube, en podcast et sur les réseaux sociaux, de nombreuses chaînes pro-crypto recyclent les discours de l'extrême droite et donnent la parole à certaines de ses figures les plus violentes. Appliquant une stratégie éprouvée de l'alt-right américaine, elles ciblent un public d'hommes jeunes qu'elles nourrissent d'idées fascisantes sous couvert de parler de Bitcoin.

Lire « La France est un Socialistan » : sur YouTube, la sphère crypto française ouvre grand les portes à l'extrême droite

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En bref

L'extrême droite s'ouvre aux « lobbies bruxellois ». L'extrême droite est en position de force au Parlement européen depuis les élections de 2024. Si ses eurodéputés rencontrent encore relativement moins de représentants d'intérêts que la plupart des autres groupes, les informations disponibles sur leurs rendez-vous montrent un penchant pour les lobbies de l'agroindustrie et de l'énergie, ainsi que pour des think tanks trumpistes ou proches du pouvoir hongrois. Nous nous sommes penchés sur ces données dans cet article : Quels lobbies les eurodéputés d'extrême droite (et les autres) rencontrent-ils à Bruxelles ?.

TotalEnergies s'allie au magnat des hydrocarbures Daniel Křetínský. Le groupe pétrogazier français a annoncé son alliance avec le milliardaire tchèque, propriétaire du groupe EPH, très investi dans le gaz et le charbon (lire notre enquête Daniel Křetínský : une fortune basée sur les énergies fossiles). L'homme d'affaires deviendra à cette occasion l'un des premiers actionnaires de l'entreprise, et celle-ci met la main sur plusieurs actifs énergétiques en Italie, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Irlande et en France, notamment dans le gaz. L'acquisition ne concernerait pas la centrale à charbon de Saint-Avold (Moselle), dont l'avenir est incertain. Autre avantage : le nouvel actionnaire de TotalEnergies a des intérêts financiers directs ou indirects dans plusieurs médias (Marianne, Libération...) et possède des maisons d'édition, via le groupe Editis.

Mozambique : bras de fer financier et plainte contre TotalEnergies. Le groupe pétrogazier français a confirmé récemment qu'il allait relancer son projet gazier au large du Mozambique, qui avait été interrompu plusieurs années suite aux avancées d'une force insurgée islamiste dans le nord du pays. Mais il demande 4,5 milliards d'euros et une extension de sa concession au gouvernement de Maputo, en raison du retard pris. Ce dernier a rétorqué en annonçant un audit des surcoûts du projet. L'ONG European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR) a déposé le 17 novembre dernier une plainte pénale contre TotalEnergies et contre X auprès du Parquet national antiterroriste français pour « complicité de crimes de guerre, de torture et de disparitions forcées ». Dans le contexte du conflit, des civils mozambicains avaient été séquestrés et torturés par des soldats surveillant le site gazier de TotalEnergies (lire notre article).

Catastrophe de Mariana au Brésil : condamnation historique de BHP. En novembre 2015, un barrage minier s'était effondré près de la ville de Mariana, au Brésil, entraînant 19 morts, des centaines de déplacés et une coulée de boue toxique dans toute la vallée du Rio Doce (lire Rupture d'un barrage au Brésil : BHP Billiton et Vale impliqués dans un désastre environnemental historique). La mine était gérée par Samarco, une filiale conjointe de deux groupes miniers, le britannique et australien BHP et le brésilien Vale. La Haute Cour de Londres a jugé BHP responsable de la catastrophe, pour avoir omis d'assurer la sécurité du barrage malgré les alertes. Ce jugement ouvre la voie à l'indemnisation de centaines de milliers de personnes affectées. Il fait suite à un accord de réparation de 28 milliards d'euros signé au Brésil l'année dernière, dont BHP – qui a annoncé son intention de faire appel – estime qu'il est redondant avec la décision du tribunal de Londres.

Cette lettre a été écrite par Olivier Petitjean.

27.11.2025 à 07:00

Quels lobbies les eurodéputés d'extrême droite (et les autres) rencontrent-ils à Bruxelles ?

Anne-Sophie Simpere

L'extrême droite est en position de force au Parlement européen depuis les élections de 2024. Si ses eurodéputés rencontrent encore relativement moins de représentants d'intérêts que la plupart des autres groupes, les données disponibles sur leurs rendez-vous montrent un penchant pour les lobbies de l'agroindustrie et de l'énergie, ainsi que pour des think tanks trumpistes ou proche du pouvoir hongrois.
Le 13 novembre dernier, les députés européens de la droite (Parti populaire européen, (…)

- FAF40. Enquêtes sur l'extrême droite, les grandes fortunes et les milieux d'affaires / , , ,
Texte intégral (4236 mots)

L'extrême droite est en position de force au Parlement européen depuis les élections de 2024. Si ses eurodéputés rencontrent encore relativement moins de représentants d'intérêts que la plupart des autres groupes, les données disponibles sur leurs rendez-vous montrent un penchant pour les lobbies de l'agroindustrie et de l'énergie, ainsi que pour des think tanks trumpistes ou proche du pouvoir hongrois.

Le 13 novembre dernier, les députés européens de la droite (Parti populaire européen, PPE) et ceux de l'extrême droite votaient ensemble pour vider de leur substance deux directives qui devait améliorer les performances environnementales et sociales des grandes entreprises [1]. C'est la première fois que le cordon sanitaire entre un parti traditionnel et l'extrême droite saute pour un texte d'importance. Une évolution majeure dans un Parlement européen qui, depuis les élections de juin 2024, compte 187 députés d'extrême droite, un nombre suffisant pour former une majorité absolue avec la droite « classique » du Parti populaire européen (PPE).

Alors que l'extrême droite a acquis ce pouvoir de bascule dans une institution clé de l'Union européenne, nous avons voulu nous pencher sur leurs activités à Bruxelles.

Alors que l'extrême droite a acquis ce pouvoir de bascule dans une institution clé de l'Union européenne, nous avons voulu nous pencher sur leurs activités à Bruxelles. Et notamment sur les entreprises et groupes d'intérêts qu'ils rencontrent. Ou déclarent rencontrer. Car depuis 2023, le code de conduite des eurodéputés leur impose de divulguer toutes leurs réunions avec des représentants d'intérêts ou représentants de pays tiers. Des données plus fournies que ce qui est exigé en France et pour lesquelles l'ONG Transparency International a créé un outil de suivi, IntegrityWatch.eu. Malgré des lacunes et limites (voir notre encadré méthodologique), les informations recueillies permettent de donner un aperçu des fréquentations de nos eurodéputés à Bruxelles, et donc des discours et influences auxquels ils sont exposés.

Premier constat : l'extrême droite ne déclare pas grand chose

Sur les huit groupes politiques du Parlement européen, ce sont les trois groupes classés à l'extrême droite qui, au 17 novembre dernier, avaient déclaré le moins de rencontres, que ce soit avec des entreprises, des ONG, des syndicats, des représentants de pays tiers ou d'autres personnalités. En valeur absolue, le PPE (droite) est en tête, avec plus de 13 000 rendez-vous déclarés, soit environ 70 par député (le groupe étant composé de 188 membres). Quand on rapporte le nombre de réunions déclarées au nombre de députés du groupe, c'est Renew, le groupe auquel les partis Renaissance et centristes français sont ralliés, qui est en haut du classement (104 réunions par député), suivi des Verts puis des Socialistes. Le Groupe pour la gauche unitaire européenne (Gue), où siège la France insoumise, arrive en cinquième position avec un peu plus de 47 rencontres déclarées par eurodéputé.

En valeur absolue, le PPE (droite) est en tête, avec plus de 13 000 rendez-vous déclarés

Côté extrême droite, les députés issus du RN français siègent dans le groupe des Patriotes pour l'Europe, présidé par Jordan Bardella. Au 17 novembre, ils avaient rendus publiques 1748 rencontres, soit à peine plus de 20 par députés, leur groupe comptant 84 membres. Parmi les français, Thierry Mariani fait figure d'hyperactif avec 97 rendez-vous déclarés, contre seulement 13 pour Jordan Bardella. Pour les 78 membres du groupe Conservateurs et réformistes européens (CRE), où siègent trois anciens Zemmouriens (Marion Maréchal, Nicolas Bay et Guillaume Peltier), 2749 rendez-vous ont été déclarés, soit un peu plus de 35 par député. Marion Maréchal est au dessus de cette moyenne, avec 44 rencontres déclarées, contre seulement 9 pour Nicolas Bay et 4 pour Guillaume Peltier.

Enfin, le groupe Europe des Nations Souveraines (ESN), plus petit groupe du Parlement européen avec 25 eurodéputés et 8 pays représentés, déclarait seulement 170 réunions, soit moins de 7 par membre en moyenne. Les eurodéputés allemands de l'AfD (Alternative pour l'Allemagne) dominent très largement cette petite formation où on ne retrouve qu'une française, l'élue de Reconquête Sarah Knafo. Celle-ci a déclaré 19 rencontres (toujours au 17 novembre 2025).

Nous avons interrogé les groupes concernés sur cette faible activité, qui ne nous ont pas répondu. Elle pourrait être liée à des défauts de déclaration, ou à une plus faible activité parlementaire. « Jusqu'ici les eurodéputés des groupes d'extrême droite avaient moins de chance d'avoir des rôles de rapporteurs, ce qui peut faire baisser le nombre de leurs réunions », explique Raphaël Kergueno, de Transparency international. Certains représentants d'intérêts peuvent aussi appliquer un cordon sanitaire en refusant de les rencontrer. « Mais maintenant qu'on voit que le PPE peut s'allier aux groupes d'extrême droite pour former une majorité, il est possible que les lobbyistes se mettent à les solliciter davantage, car ils deviennent importants pour faire pencher la balance. »

La droite rencontre les entreprises, la gauche les ONG et syndicats

Si l'on se penche sur les acteurs rencontrés par les différents partis politiques, il n'y a pas de grande surprise du côté des partis traditionnels. Dans le top 20 des rendez-vous déclarés par le PPE, on retrouve neuf entreprises, dix groupes d'intérêts industriels et patronaux, et une fondation – la Fondation Konrad Adenauer du parti allemand CDU. Les entreprises qui cumulent le plus de rendez-vous appartiennent au secteur de la Tech (Google, Meta, Apple, Amazon), des énergies fossiles (ExxonMobil, TotalEnergies), de la chimie (Bayer, BASF) et du tabac (Philip Morris). Côté groupes d'intérêts privés, les Chambre de commerce des États-Unis ou de l'Autriche sont bien placés (40 et 35 réunions déclarées), tout comme le lobby du commerce de détail et de gros EuroCommerce (31 réunions déclarées). Pour ce qui est des eurodéputés PPE français (issus des Républicains), la FNSEA arrive en tête des réunions déclarées (sept), suivi par Airbus, l'ambassade d'Egypte, la CGA-CGM et Eurodom (association d'entreprises des DOM-TOM), avec cinq rendez-vous déclarés chacun. Une seule association se hisse dans le top 20 des réunions déclarées par les députés PPE français, Oeuvre d'Orient (aide aux chrétiens d'Orient). À l'échelle du groupe dans son ensemble, aucune ONG ni aucun syndicat n'atteint le haut du classement. Bien sûr, ces députés ont quand même quelques rendez-vous avec ce type d'organisations, mais dans des proportions bien moindre que les acteurs économiques privés.

Les réunions des centristes de Renew sont un peu plus variées, avec huit entreprises, neuf organisations industrielles, patronales ou de lobbying privé, mais quand même trois ONG environnementales (European Environmental Bureau, Transport et environnement, WWF Europe) dans le top 20. Chez les treize Français de Renew, le Medef, Airbus, Transport et environnement (ONG), Renault, la Société générale, le WWF Europe et TotalEnergies ont obtenu le plus de rendez-vous (déclarés) – de 23 pour le Medef à 13. Le top 20 du groupe socialiste se diversifie encore un peu plus, avec seulement trois entreprises (Apple, ArcelorMittal et Google), cinq organisations patronales ou d'industriels, cinq ONG, trois syndicats, une fondation, une organisation de protection des consommateurs et une de protection animale.

Quand on arrive dans le haut du tableau des rendez-vous déclarés par les Verts, il n'y a plus aucune entreprise, et seize ONG environnementales, de défense des droits humains ou de lutte contre la corruption. Chez les français, un lobby de startups (France Digitale) arrive quand même dans le « top 20 » grâce à quatre rendez-vous déclarés avec David Cormand. Là encore, les eurodéputés ont quand même rencontré des entreprises ou groupes d'intérêt privés (FNSEA, CPME, Banque de France, Toyota…), mais très peu de rendez-vous avec ce type d'acteurs sont déclarés. Quant aux eurodéputés de la GUE, ils déclarent le plus grand nombre de rendez-vous avec la Confédération des syndicats, et leur top 20 regroupe des syndicats, des entreprises, des fédérations professionnelles et des ONG. Même liste variée chez les français, avec la CGT largement en tête – 19 rendez-vous, dont 18 avec l'eurodéputé Anthony Smith, inspecteur du travail et syndicaliste.

Patriotes pour l'Europe : lobbies hongrois et tabac

Plus gros groupe d'extrême droite du Parlement européen, avec 84 membres dont 29 Français, les Patriotes pour l'Europe (PfE) déclarent relativement moins de rendez-vous que les autres partis. À l'échelle du groupe, c'est la Fondation pour une Hongrie civique, du parti Fidesz de Viktor Orbán, qui arrive en tête des rencontres déclarées. Selon le registre, ils ne voient que des eurodéputés hongrois. Numéro un ex aequo avec vingt rencontres déclarées, une autre organisation proche du pouvoir en place à Budapest : le Mathias Corvinus Collegium (MCC) Bruxelles (lire notre enquête). Les rendez-vous avec ces entités concernent très majoritairement des eurodéputés hongrois et, à la marge, polonais et autrichiens. Mais pas de français, alors même que les députés RN du groupe Virginie Joron, Angeline Furet et Mathilde Androüet ont bien participé à des événements du think tank proche d'Orbán et des réseaux trumpiens, qui a présenté en mars dernier à Washington un plan pour démanteler l'Union européenne. En troisième place des réunions déclarées des Patriotes, le cigarettier Philip Morris, avec 19 rencontres déclarées, dont une avec la française Marie-Luce Brasier-Clain, membre de la Commission de la santé publique et opposée à la hausse des taxes sur le tabac. Au total, le top 20 des « Patriotes » comprend six entreprises, tabac mais aussi largement dans le secteur de l'énergie (pétrole – notamment le pétrolier hongrois MOL, donc MCC est actionnaire, gaz, hydrogène) et huit groupes d'intérêts professionnels. Mais aussi Heartland Institute, think tank climato-sceptique venu des États-Unis, ancien partenaire du réseau Atlas, qui a rencontré le député autrichien Harald Vilimsky à sept reprises.

Jordan Bardella ne déclare que 13 rendez-vous, surtout avec des lobby agricoles (FNSEA, Jeunes agriculteurs, semenciers), mais aussi avec l'entreprise Renault

Les PfE français, à l'image du groupe, ont moins de rendez-vous déclarés que la moyenne des eurodéputés. C'est la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) qu'ils auraient rencontré le plus (sept réunions déclarées), devant l'entreprise Primagaz, puis Corteva Agriscience (entreprise de production de pesticides et de semences) TotalEnergies, Eurodom, la Représentation de la Chine auprès de l'UE, la Coordination rurale, l'Union française des semenciers, puis le lobby du porc Inaporc. Le président du groupe et du RN, Jordan Bardella, ne déclare que 13 rendez-vous, surtout avec des lobby agricoles (FNSEA, Jeunes agriculteurs, semenciers), mais aussi avec l'entreprise Renault, avec qui il a échangé sur l'avenir de la filière automobile le 5 novembre dernier.

ECR : des entreprises et des évangélistes étatsuniens

Le groupe des anciens de Reconquête ne déclare pas non plus beaucoup de rencontres, et c'est l'entreprise de gestion de l'eau italienne Acea (dont le groupe français Suez détient 23%) qui arrive en tête des réunions listées publiquement, ce qui est moins étonnant si l'on considère que la délégation est dominée par les Frères d'Italie, le parti de Giorgia Meloni. Leur top 20 (de 19 à 8 rendez vous) comprend dix entreprises du secteur du pétrole, du nucléaire, de la tech, de l'eau, du tabac, de la défense… et MacDonald's, pour parler emballages ou franchises. Ils ont aussi vu à plusieurs reprises sept lobbys patronaux ou industriels (FuelsEurope, Chambre américaine de commerce, Croplife Europe…) et leur membre finlandais, Sebastian Tynkkynen, a déclaré plusieurs réunions avec la commissaire européenne finlandaise et le bureau de l'UE à Helsinki. En septième position, on trouve tout de même une association : Alliance Defending Freedom (ADF). Cette organisation évangéliste venue des États-Unis, qui combat le droit à l'avortement et les droits LGBT+, a été vue par des députés ECR croates, polonais, roumains et néerlandais. Aucun des trois députés français du groupe n'a indiqué l'avoir rencontré. L'eurodéputée RN Virginie Joron (groupe PfE) ne l'a pas non plus mentionnée dans ses réunions, alors même qu'elle a co-organisé un événement avec ADF en mai 2025, avec le Croate Stephen Bartulica, d'ECR (qui lui, a déclaré deux rencontres avec ADF)

Marion Maréchal a rencontré aux États-Unis la Heritage Foundation, qui a coordonné le « Project 2025 »

Si on s'en tient aux trois Français d'ECR, les noms qui arrivent en tête de leurs réunions déclarées sont le lobby de la défense Gifas, TotalEnergies, le lobby anti-taxe Contribuables associés (lire notre enquête) et la Banque de France, avec deux rendez-vous chacun. Toutes ces rencontres sont le fait de Marion Maréchal, qui a aussi vu, parmi les entreprises, Dassault Aviation, Arverne group (géothermie) et Verso Energy (hydrogène). Aux États-Unis, elle a rencontré la Heritage Foundation, ancien membre du réseau Atlas, qui a coordonné le « Project 2025 », un programme ultra-consevateur et pro-fossiles pour préparer la présidence de Donald Trump (lire notre article). Elle a aussi vu Americans for Tax Reform, un lobby anti-impôt américain lié aux frères Koch, des magnats de l'industrie pétrolière, et à leur galaxie de think tanks conservateurs. Une inspiration pour nourrir ses discours anti-taxe en France ?

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Les penchants trumpistes de Sarah Knafo

Sarah Knafo, eurodéputée Reconquête, déclare aussi trois rendez-vous aux États-Unis, avec Donald Trump et le parti Républicain. Passée par le Claremont Institute, l'un des premiers think tanks à soutenir le président américain (voir notre entretien avec Maya Kandel), l'élue du parti d'Éric Zemmour ne cache pas sa proximité avec le trumpisme. Chargée d'un rapport sur la souveraineté technologique européenne, elle a rencontré plusieurs interlocuteurs et entreprises du secteur. Hors de ce travail et de ses accointances avec les conservateurs étatsuniens, elle a aussi rapporté des réunions avec Meta sur la modération des réseaux sociaux, avec la Coordination rurale, et avec Thierry Baudet, un homme politique néerlandais anti-UE, climato-sceptique, pro-russe et complotiste.

Si on prend les trois groupes d'extrême-droite du Parlement européen ensemble, on retrouve sur le podium des entreprises qu'ils déclarent le plus rencontrer Philip Morris à la première place

Dans sa globalité, le groupe ESN, principalement constitué des allemands de l'AfD, ne déclare que très peu de rencontres. Un groupe de défense des cryptomonnaies et l'ambassade Bélarus en Russie figurent en tête de leur reporting, avec cinq rendez-vous chacun avec des députés polonais d'une part et slovaques de l'autre. Des Bulgares et un Allemand ont vu Republican for National Renewal, une association nationale-populiste des États Unis, soutien de Donald Trump et soutenue par Viktor Orbán, qui vise à radicaliser le parti républicain, notamment sur l'immigration.

Si on prend les trois groupes d'extrême-droite du Parlement européen ensemble, on retrouve sur le podium des entreprises qu'ils déclarent le plus rencontrer Philip Morris à la première place (29 rendez-vous), devant le lobby des producteurs de carburant FuelsEurope (27) et l'entreprise de gestion de l'eau italienne Acea (25). Chez les français, TotalEnergies et la CPME arrivent en tête avec sept rendez-vous chacun, devant la Coordination rurale, Primagaz, Eurodom, Corteva Agriscience, la représentation de la Chine auprès de l'UE, l'Union française des semenciers, le lobby du porc Inaporc et la multinationale américaine Meta. L'échantillon est limité par le peu de réunions déclarées, mais il indique que les eurodéputés venus de RN et de Reconquête parlent majoritairement avec des représentants d'entreprises et d'intérêts industriels, notamment celles de secteurs à risques pour la santé et l'environnement (pétrole, gaz et agro-industrie). Ce qui pourrait expliquer pourquoi, dans l'hémicycle, ils joignent leurs voix à celles du PPE pour revenir sur les normes protégeant les citoyens contre les activités de ces sociétés.

Méthodologie
En utilisant le site Integritywatch.eu de Transparency international, nous avons analysé les rendez-vous déclarés par les eurodéputés depuis le début de la 10e législature du Parlement européen, qui a commencé le 16 juillet 2024, jusqu'au 17 novembre 2025 (soit une période de 16 mois). Il est possible qu'entre temps, quelques chiffres aient évolué, puisque des eurodéputés ont pu ajouter des rendez-vous après le 17 novembre.
IntegrityWatch se base sur les déclarations publiées par les eurodéputés sur leurs rencontres avec des représentants d'intérêts (entreprises, cabinets de lobbying et représentants d'intérêts professionnels (chambres de commerce, lobby sectoriel…), syndicats patronaux ou de travailleurs, associations et organisations non gouvernementales (ONG) et des représentants de pays tiers.
Les informations disponibles sont imparfaites, car elles ne reposent donc que sur les réunions déclarées par les élus. Nous avons par exemple noté que certains eurodéputés d'extrême droite avaient omis de rapporter des rencontres, par exemple avec le think tank pro-Orban MCC Brussels, ou avec l'organisation évangéliste conservatrice Alliance Defending Freedom. Si la déclaration de ces réunions est obligatoire, c'est un comité consultatif composé d'eurodéputés qui est en charge de contrôler le respect du code de conduite. « Vu le grand nombre de déclarations, beaucoup de députés prennent cette obligation au sérieux, mais en cas de manquement, le risque de sanction reste faible », estime Raphaël Kergueno, de Transparency International EU.
Autre limite : en l'absence d'uniformisation sur les modalités de reporting, le suivi automatisé est parfois difficile. Par exemple, l'organisation patronale de la Confédération des petites et moyennes entreprises sera parfois indiquée sous son nom complet, parfois sous son acronyme (CPME), créant deux entrées. Nous avons corrigé les cas que nous avons pu identifier.
Nous nous sommes principalement penchés sur les représentants d'intérêts avec lesquels les eurodéputés ont eu le plus de rendez-vous, quantitativement (« top 20 »). Moins les eurodéputés déclarent de réunions, plus cette approche quantitative présente de limites. Les résultats peuvent notamment être influencés quand un député est en charge d'un rapport sur un sujet spécifique, ce qui va automatiquement augmenter ses réunions avec le secteur (cas de Sarah Knafo sur la souveraineté technologique). Certains groupes d'intérêts multiplient les rencontres, mais avec un seul eurodéputé ou les eurodéputés d'un seul pays. Nous l'avons indiqué, par exemple dans le cas de la Fondation pour une Hongrie civique, du parti de Viktor Oran, qui ne rencontre que des eurodéputés hongrois.

Si vous souhaitez nous transmettre des informations, vous pouvez nous contacter à cette adresse : assimpere [at] multinationales.org.


[1] Voir nos articles sur le sujet ici, ici et .

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