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27.05.2025 à 00:36

Q&R : Les « portes tournantes » en six brèves questions

Les points clés à retenir de notre rapport « Portes tournantes » : comment la circulation des élites entre secteurs public et privé dénature notre démocratie sous forme de questions-réponses. C'est quoi une porte tournante ?
On parle de « portes tournantes » pour désigner les reconversions de responsables publics (ministres, élus, fonctionnaires, conseillers) dans le secteur privé, et inversement le recrutement d'anciens employés du privé à des postes de responsabilité publique. Est-ce que (…)

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Texte intégral (596 mots)

Les points clés à retenir de notre rapport « Portes tournantes » : comment la circulation des élites entre secteurs public et privé dénature notre démocratie sous forme de questions-réponses.

C'est quoi une porte tournante ?

On parle de « portes tournantes » pour désigner les reconversions de responsables publics (ministres, élus, fonctionnaires, conseillers) dans le secteur privé, et inversement le recrutement d'anciens employés du privé à des postes de responsabilité publique.

Est-ce que c'est vraiment aussi généralisé que ça ?

Cédric O, Christophe Castaner, Muriel Pénicaud... Les reconversions d'anciens ministres macronistes ont défrayé la chronique ces dernières années. Mais au-delà de ces cas qui font la une des médias, le phénomène concerne aussi, de manière moins visible, des députés, des conseillers, ou des hauts fonctionnaires. Dans beaucoup de lobbys du secteur privé, on retrouve systématiquement d'anciens responsables publics. Nous avons établi pour ce rapport un échantillon de plus de 500 cas de portes tournantes entre janvier 2022 et janvier 2025, soit un cas tous les deux jours.

Pourquoi c'est un problème ?

La généralisation des portes tournantes est nocive pour la bonne santé de notre démocratie à plusieurs titres. Elles sont une source de multiples conflits d'intérêts qui alimentent la suspicion envers les dirigeants politiques. Elles donnent aux acteurs privés un accès privilégié aux décideurs et aux informations qui leur permettent de peser plus efficacement sur les décisions. Elles favorisent les phénomènes d'entre-soi entre secteur public et secteur privé.

Est-ce que ce n'est pas normal que tout un chacun puisse aller travailler dans le privé après avoir travaillé dans le public et vice-versa ?

Bien sûr que si. Nous ne parlons ici que des reconversions de responsables publics détenteurs d'un certain pouvoir, qui dans 98% des cas vont travailler ou sont issus du monde des grandes entreprises et des cabinets de conseil, et qui dans 71% quittent la sphère publique pour exercer des fonctions de lobbying... souvent auprès de leurs anciens collègues.

Est-ce que cela n'existe qu'en France ?

Non. Les « portes tournantes » sont une pratique bien documentée aussi bien aux États-Unis qu'au niveau des institutions européennes à Bruxelles, où plusieurs reconversions d'anciens commissaires, comme José Manuel Barroso à Goldman Sachs, ont fait scandale.

Est-ce qu'il n'y a pas des règles pour prévenir les abus ?

Des règles existent mais elles restent faibles et faciles à contourner. Elles permettent d'éviter certaines reconversions particulièrement problématiques, mais ne s'attaquent pas vraiment au fond du problème : protéger l'intégrité des décisions publiques contre les risques de capture par les grands intérêts privés.

Rapport à lire (pdf, 23 pages) : « Portes tournantes » : comment la circulation des élites entre secteurs public et privé dénature notre démocratie

27.05.2025 à 00:35

« Portes tournantes » : comment la circulation des élites entre secteurs public et privé dénature notre démocratie

Au-delà des scandales à répétition sur les « pantouflages » d'anciens ministres, les reconversions de responsables vers le privé ou inversement sont devenues une réalité structurelle de notre démocratie. Un nouveau rapport de l'Observatoire des multinationales montre comment, très loin des discours convenus sur l'ouverture des institutions politiques à la société civile et à l'entreprise, la généralisation des « portes tournantes » est surtout le symptôme d'une interpénétration croissante (…)

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Texte intégral (590 mots)

Au-delà des scandales à répétition sur les « pantouflages » d'anciens ministres, les reconversions de responsables vers le privé ou inversement sont devenues une réalité structurelle de notre démocratie. Un nouveau rapport de l'Observatoire des multinationales montre comment, très loin des discours convenus sur l'ouverture des institutions politiques à la société civile et à l'entreprise, la généralisation des « portes tournantes » est surtout le symptôme d'une interpénétration croissante entre sphère publique, intérêts privés et monde du lobbying.

Cette nouvelle enquête de l'Observatoire des multinationales démontre, chiffres à l'appui, comment les échanges de personnel entre le plus haut niveau de l'État et le monde des affaires sont de plus en plus normalisés, affectant profondément le fonctionnement de notre démocratie.

Cette enquête se base sur de nombreux exemples et sur des données inédites issues de l'analyse de plus de 500 cas de pantouflages et rétropantouflages (ou « portes tournantes ») entre janvier 2022 et janvier 2025 en France.

Elle révèle qu'au-delà même des cas emblématiques qui font régulièrement la une de l'actualité (Alexis Kohler et la Société générale, Christophe Castaner et Shein...), les « portes tournantes » se retrouvent à tous les niveaux de responsabilité publique, créant trop souvent des situations d'entre-soi, de conflits d'intérêts et de capture des décisions publiques par les intérêts privés.

Parmi ses principales conclusions :

  • Loin des discours convenus sur l'ouverture à la société civile et à l'esprit d'entreprise, les portes tournantes concernent à 98% des grands groupes et des cabinets de conseil.
  • Les trois quarts des personnes concernées vont occuper des postes de lobbying dans le privé ou sont d'anciens lobbyistes qui rejoignent le secteur public.
  • Dans beaucoup de cas, les régulateurs deviennent régulés ou inversement au sein d'un même secteur d'activité (finance, numérique, agriculture notamment).

Ce rapport de l'Observatoire des multinationales montre ainsi que le phénomène des « portes tournantes », souvent associé à la culture politique de Bruxelles et des institutions européennes, est tout aussi enraciné en France. En s'appuyant sur des exemples précis dans différents secteurs, il documente comment ce brouillage des frontières nuit à la qualité des régulations et à l'intégrité des décisions publiques.

Il souligne enfin à quel point l'encadrement actuel des portes tournantes reste inadéquat pour apporter une réponse à ces enjeux de fond. Un récent rapport de la Cour des comptes sur le sujet, rendu public le 14 mai, apporte des éléments d'information intéressants mais reste ainsi largement dans une optique de normalisation, voire de facilitation, des mobilités public-privé.

Rapport à lire (pdf, 23 pages) : « Portes tournantes » : comment la circulation des élites entre secteurs public et privé dénature notre démocratie

21.05.2025 à 11:37

5 milliards dans les caisses et un contrôle plus étroit que jamais : où en est le groupe Bolloré ?

Après la cession des activités portuaires et logistiques, le groupe Bolloré est recentré sur la communication et les médias, et assis sur plusieurs milliards d'euros de trésorerie dont la famille s'est servi, pour l'instant, pour consolider son contrôle. Et après ? Extrait du rapport « Le Système Bolloré ».
Empire construit selon une logique financière au fil des opportunités boursières, le groupe Bolloré n'a cessé de se décomposer et de se restructurer au fil du temps. Il ne reste (…)

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Texte intégral (1905 mots)

Après la cession des activités portuaires et logistiques, le groupe Bolloré est recentré sur la communication et les médias, et assis sur plusieurs milliards d'euros de trésorerie dont la famille s'est servi, pour l'instant, pour consolider son contrôle. Et après ? Extrait du rapport « Le Système Bolloré ».

Empire construit selon une logique financière au fil des opportunités boursières, le groupe Bolloré n'a cessé de se décomposer et de se restructurer au fil du temps. Il ne reste presque plus rien de la papeterie familiale dont Vincent et son frère ont pris les rênes en 1981. Sous la direction de Vincent Bolloré, le groupe s'est successivement lancé dans et/ou a abandonné les activités papetières, la culture du tabac, la production et la vente de cigarettes, le transport maritime, la gestion de ports, les activités logistiques, la gestion de lignes de train, la banque, les télécommunications, les tubes à usage industriel, le cinéma…

Aujourd'hui, le groupe s'est recentré quasi exclusivement sur les activités de communication, à savoir Vivendi et ses anciennes filiales : Universal Music, Canal+, Havas et Hachette. Fin 2023, après cession des dernières activités logistiques, la branche communication représente 95 % des effectifs et 77 % du chiffre d'affaires contributif et même … 111 % du bénéfice (les activités industrielles du groupe étant déficitaires en 2023, comme d'ailleurs toutes les années précédentes). Les activités “communication” sont aussi les plus profitables, rapportant à Bolloré SE plus d'un milliard d'euros en 2022 et 2023, contre 141 et 44 millions pour les activités pétrolières et -125 et -114 millions pour les activités industrielles (batteries et films plastique). Les résultats annuels 2024 publiés le 17 mars 2025 confirment le déficit structurel des activités industrielles.

Le pactole des activités portuaires et logistiques

Le groupe Bolloré a vu ses capitaux propres – et donc sa valeur financière – augmenter considérablement ces dernières années à la faveur des opérations financières et des cessions. Ils sont passés de 26 à 36 milliards entre 2019 et 2023 et surtout de 9 à 23 milliards d'euros en capitaux propres part du groupe (la partie revenant en propre à Bolloré SE, à l'exclusion des actionnaires minoritaires des filiales).

Après revente des activités portuaires et logistiques, et bien qu'une partie de cet argent ait été utilisée pour augmenter le contrôle de la famille Bolloré sur son groupe (voir ci-après), Bolloré SE dispose à fin 2024 d'une trésorerie nette positive de plus de 5,3 milliards d'euros et 8 milliards de disponibilités et de lignes de crédit. Autrement dit, le groupe Bolloré est assis sur une montagne d'argent liquide qu'il peut utiliser pour des acquisitions futures dans le domaine des médias, de la communication ou dans d'autres secteurs.

Personne ne sait, sauf peut-être Vincent Bolloré lui-même, à quoi cet argent sera utilisé... Lors de l'annonce des résultats 2024 du groupe, les marchés boursiers, qui anticipaient une redistribution aux actionnaires sous la forme de rachats d'actions, ont réagi négativement, entraînant le cours de la société à la baisse… ce qui pourrait permettre aux Bolloré de les racheter pour moins cher.

Opération verrouillage chez Vivendi

En décembre 2024, le groupe Bolloré a mis de l'ordre dans sa branche communication et médias, jusque-là regroupée sous l'ombrelle « Vivendi », en la découpant en quatre entités, introduites ensuite séparément sur les places boursières européennes. Les activités de télévision payante, d'internet haut débit et de production audio-visuelle sont désormais rassemblées dans la holding* « Canal+ », cotée à la bourse de Londres ; la branche « Havas » (publicité, conseil et relations publiques) a été introduite à la bourse d'Amsterdam ; les activités du groupe Lagardère et de Prisma Media dans l'édition, le Travel Retail et la presse sont regroupées dans la holding* « Louis Hachette Group », cotée sur l'Euronext Growth parisien, un marché non réglementé. Vivendi, qui reste à la bourse de Paris, conserve un portefeuille de participations diverses, notamment dans le jeux vidéo ou la téléphonie.

Yannick Bolloré, fils de Vincent Bolloré et président du conseil de surveillance de Vivendi, l'assure : l'opération de découpe « permet de créer de la valeur pour l'ensemble des actionnaires », puisque le cours de bourse de Vivendi « ne reflétait pas la véritable valeur de ses actifs », handicapée par une importante « décote de conglomérat ». Et effectivement, dans le monde financier, le tout vaut parfois moins que la somme des parties : face à un groupe diversifié comme Vivendi, le marché sanctionne le manque de lisibilité stratégique et le risque que les secteurs porteurs soient utilisés pour soutenir les activités les moins rentables. En redonnant de la lisibilité aux différentes branches d'activité, l'opération de scission devait donc permettre une meilleure valorisation de chacune d'elles.

Voilà pour le discours officiel. En arrière-plan, la réalité est sans doute moins avouable : l'opération a surtout comme objectif de renforcer le contrôle de Bolloré SE sans que la société ne soit contrainte de devenir actionnaire majoritaire. À l'issue de la scission, le groupe a en effet franchi le seuil de 30 % de détention dans les nouvelles entités « Canal+ », « Havas » et « Louis Hachette Group ». Si ces holdings* étaient restées cotées sur le marché réglementé de la bourse parisienne, Bolloré SE aurait été dans l'obligation de lancer une offre publique d'achat* (OPA) sur la totalité du capital de chacune d'elles et, par conséquent, de payer une « prime de contrôle » aux actionnaires minoritaires – Bolloré SE, qui ne détenait jusqu'alors que 29,9 % de Vivendi, se gardait bien de franchir ce seuil fatidique des 30 %. Mais il n'existe tout simplement pas de seuil d'OPA obligatoire pour les entreprises de droit français cotées à Londres ; il est porté à 50 % sur l'Euronext Growth ; et l'obligation d'OPA ne s'appliquera pas à Amsterdam puisque le seuil de 30 % a été dépassé … trois jours avant la première cotation d'Havas. Bolloré est donc libre de faire évoluer sa détention dans ces sociétés qu'il contrôle sans que cela ne bénéficie aux intérêts minoritaires.

L'opération de scission présentait cependant un risque majeur pour Havas. De taille modeste par rapport aux géants du secteur, sans actionnaire majoritaire, la société pouvait aiguiser les appétits hostiles. Vincent Bolloré l'avait d'ailleurs acquise en 2005, à l'issue d'un raid boursier resté dans les mémoires. D'où le choix d'une cotation sur la place d'Amsterdam, qui a quelques atouts à faire valoir : la législation des Pays-Bas permettra à Bolloré d'obtenir des droits de vote doubles dans deux ans, et même quadruples dans quatre ans. De quoi approcher la majorité des droits de vote tout en restant actionnaire minoritaire. Dans l'immédiat, une fondation de droit néerlandais, « Stichting Continuity Havas », créée pour l'occasion et contrôlée par des proches de Vincent Bolloré, détient une action préférentielle – une « action en or » dans le langage de la finance – qui lui donne pendant huit ans un droit de veto sur de nombreuses décisions du conseil d'administration d'Havas, comme le renvoi éventuel du président, la nomination d'un patron autre que Yannick Bolloré, son salaire, la nomination des autres cadres dirigeants, l'adoption des comptes annuels ou la distribution de dividendes [1]. Une véritable « pilule empoisonnée » destinée à décourager toute tentative de prise de contrôle hostile…

Actionnaires minoritaires

Avec de telles manœuvres, on aurait pu s'attendre à une levée de bouclier des autres actionnaires de Vivendi. Ils ont pourtant ignoré les alertes et voté massivement en faveur de la scission. Car comme le rappelle la journaliste financière Odile Dubois [2], « lorsqu'on investit avec Vincent Bolloré, c'est pour se rallier aveuglément à lui et pas autre chose ; sinon, mieux vaut passer son chemin ».

Cependant, suite à la plainte du fonds activiste CIAM, la Cour d'appel a récemment jugé que l'Autorité des marchés financiers n'aurait pas dû laisser Vivendi procéder à la scission sans procéder à une offre publique de retrait. On ne sait pas encore quelle sera la conséquence pratique de ce jugement (le fonds CIAM réclamant pour sa part le versement de 8 milliards d'euros aux actionnaires).

Quelques mois avant la scission de Vivendi, Bolloré a également réorganisé sa participation dans la Socfin. Il s'est mis d'accord avec son associé historique Hubert Fabri pour lui revendre 5% de ses parts dans la société (descendues ainsi à 34,75%) tout en lui cédant ses droits de vote au conseil. L'opération a entraîné une offre d'achat sur les titres restants, puis le retrait de la Socfin de la cote à la bourse du Luxembourg. En plus de consolider leur contrôle sur la société et de débarrasser Bolloré et Fabri des petits actionnaires – qui se sont d'ailleurs plaints que le prix de rachat qui leur a été proposé était sous-évalué –, cela a aussi pour effet de libérer en grande partie la Socfin de l'œil trop attentif des autorités boursières et des investisseurs institutionnels pour des activités souvent dénoncées pour leurs impacts en termes de droits humains.

Bolloré a parachevé ces opérations en rachetant les parts des actionnaires minoritaires dans trois sociétés du groupe, la Financière Moncey, la Compagnie du Cambodge et la Société industrielle et financière de l'Artois, toutes trois retirées dans la foulée de la cotation boursière. Là encore, quelques actionnaires minoritaires se sont plaints dans la presse du prix de rachat, accusant les banques conseils de Bolloré, Natixis et Société générale, ainsi que le cabinet comptable missionné pour la valorisation, Accuracy.


[2] Odile Dubois, « Vivendi SE : Somme des parties et sport en coulisses », Zonebourse, décembre 2024.

21.05.2025 à 09:21

La machine de guerre médiatique et culturelle de Vincent Bolloré

Le Groupe Bolloré se résume désormais, mis à part quelques activités industrielles relativement modestes, au secteur des médias et de la culture. Une partie de ces actifs est mise directement au service des idées et parfois des partis politiques d'extrême-droite, enjambant la frontière entre le politique et l'économique. Extrait du rapport « Le Système Bolloré ».
C'est à partir des années 2000 que Vincent Bolloré investit le secteur des médias et de la communication qui constitue (…)

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Texte intégral (2336 mots)

Le Groupe Bolloré se résume désormais, mis à part quelques activités industrielles relativement modestes, au secteur des médias et de la culture. Une partie de ces actifs est mise directement au service des idées et parfois des partis politiques d'extrême-droite, enjambant la frontière entre le politique et l'économique. Extrait du rapport « Le Système Bolloré ».

C'est à partir des années 2000 que Vincent Bolloré investit le secteur des médias et de la communication qui constitue aujourd'hui l'essentiel de son empire financier. Son offensive manquée sur le groupe Bouygues quelques années auparavant pourrait déjà avoir été motivée par le désir de mettre la main sur la chaîne de télévision TF1. Le groupe Bolloré prend le contrôle d'Havas en 2005, crée la même année la chaîne Direct 8 (devenue C8) sur la TNT, et se lance en 2006 dans la presse papier gratuite avec les titres Direct Soir et Direct Matin. La revente en 2012 de Direct 8 et de sa chaîne sœur Direct Star lui permettent de mettre un premier pied au capital de Canal+ et de Vivendi, dont Vincent Bolloré prend définitivement le contrôle en 2014. Avec le rachat des parts de Bolloré dans Havas en 2017, Vivendi devient pendant quelques années le pôle où se concentrent tous les actifs de Bolloré dans la communication, les médias, l'édition, les jeux vidéo et l'industrie culturelle – jusqu'à sa scission en quatre parties distinctes (mais toujours étroitement contrôlées par Bolloré) en décembre 2024.

Entre 2014 et 2024, l'ensemble Vivendi n'a cessé de se recomposer et de se décomposer au gré des opportunités politiques et financières sans qu'il soit possible de distinguer une stratégie industrielle et commerciale cohérente. Vivendi a ainsi revendu ses participations dans les télécommunications (SFR) ou les jeux vidéo (Activision Blizzard, Ubisoft) pour y revenir plus tard ou en acquérir d'autres (Telecom Italia, Gameloft). Le groupe entre au capital de la Fnac puis en ressort. Il s'étend dans le secteur de l'édition avec le rachat d'Editis (Nathan, Robert Laffont, Julliard, La Découverte, Plon, etc.), qu'il est contraint de revendre quelques années plus tard pour mettre la main sur son principal concurrent, Hachette-Lagardère (Fayard, Larousse, Grasset, Calmann-Lévy, etc.). La direction Concurrence de la Commission européenne a en effet refusé la perspective d'une fusion pure et simple entre le numéro un et le numéro deux du secteur. En 2021, Vivendi revend une partie de ses actions dans Universal Music, essentiellement pour lever des fonds.

Reprise en main

La constitution par Bolloré et son groupe d'un vaste empire médiatique à travers le rachat et/ou la reprise en main brutale d'un certain nombre de titres historiques a largement défrayé la chronique [1]. La prise de contrôle de Canal+ s'accompagne de la disparition de nombreuses émissions emblématiques et irrévérencieuses comme « Les Guignols de l'info », et la censure d'un documentaire d'enquête sur le Crédit mutuel [2]. La grève d'i-Télé en 2016 est la plus longue de l'histoire de l'audiovisuel français depuis 1968 (31 jours) et se solde par le départ des trois quarts de la rédaction. I-Télé est rebaptisée CNews en 2017, et devient le porte-voix des idées d'extrême-droite dans le paysage médiatique. En 2021, Bolloré met la main sur Prisma Media, le leader de la presse magazine (Femme actuelle, Voici, Geo, Gala, Capital). En prenant le contrôle du groupe Lagardère, il ajoute à son tableau de chasse le Journal du Dimanche et Europe 1, et encore Paris Match (revendu depuis à LVMH). Le JDD et la station de radio subissent la même réorientation idéologique brutale que i-Télé auparavant, avec le départ de la majorité des journalistes. Reporters sans frontières estime qu'au moins 500 journalistes au total qui ont quitté leurs médias suite à la prise de contrôle par Bolloré ont signé des « clauses de silence » qui leur interdisent de s'exprimer sur leur ancien employeur.

La prise de contrôle des médias va de pair avec des plans d'économie et d'austérité qui permettent à Vincent Bolloré et ses lieutenants de ramener les contestations à des motivations économiques plutôt qu'à une défense de l'éthique du journalisme et à un refus d'une ligne d'extrême-droite. Cessions d'activités, plan de rationalisation, regroupement de sièges sociaux sont autant d'occasions de couper dans les effectifs et de maintenir ceux qui restent sous la menace. L'ensemble du groupe Canal+ a été soumis à une cure de « cost-killing » qui affecte aussi bien ses salarié·es que ses fournisseurs et se poursuit jusqu'à aujourd'hui. En janvier 2025, ce sont les titres de Prisma Media qui ont été contraints d'accepter un plan visant à supprimer une centaine de postes et à réaliser 10 millions d'euros d'économies.

Synergies

Si ce sont surtout les participations de Bolloré dans les médias et dans une moindre mesure dans l'édition qui retiennent l'attention, l'empire qu'il s'est bâti va bien au-delà. Il contrôle également de manière plus ou moins étroite des studios, des boîtes de production audiovisuelle, des salles de spectacle, des plateformes de diffusion en ligne, des enseignes commerciales, des éditeurs de jeux vidéo. C'est un véritable empire culturel constitué par concentration horizontale (en rachetant des concurrents) et verticale (en contrôlant tous les maillons de la chaîne de production et de diffusion), qui favorise les synergies et les coopérations entre les différentes composantes – ainsi les chaînes Vivendi pourront faire la promotion des livres Vivendi avec le soutien des agences de comm' Vivendi, leurs auteurs pourront avoir accès aux salles Vivendi et leurs ouvrages pourront être mis en avant dans les points de vente Vivendi. Les pouvoirs publics français ont largement laissé faire par naïveté ou parce qu'ils se sont laissés convaincre de la nécessité de créer un « champion national » pour résister aux américains Apple ou Netflix.

C'est une véritable « machine de guerre » culturelle qui a ainsi été créée et qui est aujourd'hui, pour partie, mise au service de l'extrême-droite. Les boutiques Relay (groupe Hachette) ont par exemple mis en avant le livre de Jordan Bardella, publié chez Fayard (groupe Hachette), abondamment relayé par les médias comme Cnews ou le Journal du Dimanche (JDD).

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« Good Bolloré, Bad Bolloré » ?

Si certains titres de l'empire Bolloré (CNews, le JDD, Europe 1) sont clairement engagés dans une ligne éditoriale commune favorable à l'extrême-droite, portée en grande partie par les mêmes éditorialistes et les mêmes chroniqueurs, d'autres gardent au contraire (pour l'instant du moins) une distance relative avec cette orientation politique très agressive et revendiquent leur neutralité. C'est le cas de la chaîne phare Canal+ et pour les titres magazine de Prisma Media. De la même manière, dans le secteur de l'édition, c'est principalement la maison Fayard, dont l'éditrice d'Eric Zemmour, Lise Boëll, a pris la direction, qui est mise au service de l'extrême-droite en publiant les livres de Jordan Bardella, Éric Ciotti, Philippe de Villiers, etc.

Cette stratégie a plusieurs avantages pour Bolloré. D'abord celle de financer les maisons et les médias dédiés à l'extrême-droite – qui perdent souvent de l'argent, comme C8, ou des lecteurs comme le JDD – via les revenus des autres. Ensuite et surtout se prémunir du risque que ses médias et éditeurs se retrouvent, au moins partiellement, dans des situations de pariahs, et préserver leur intégration dans le paysage éditorial et médiatique « normal ». Certains programmes de Canal+ ou certains livres publiés par des maisons Hachette seront ainsi mis en avant pour preuve que « Bolloré ne fait pas de politique ». Lorsque Vincent Bolloré et ses lieutenants sont critiqués sur les biais politiques de certains de leurs médias – comme lors des auditions de la commission d'enquête parlementaire sur la TNT –, c'est leur ligne de défense principale : le fait que Canal+ accueille toutes les sensibilités et illustre des valeurs beaucoup plus ouvertes sert à les dédouaner de tout activisme politique.

L'argument de la « neutralité » de Canal+ qui compenserait à l'activisme de CNews oublie la profonde différence de public entre les deux médias. Canal+, chaîne payante dédiée en partie au cinéma, touche des classes sociales très différentes de CNews, disponible sur la TNT, qui est la première chaîne d'information continue en France, pour un public beaucoup plus populaire.

Politisation croissante

Enfin, la barrière entre les deux pôles de l'empire médiatique Bolloré est de moins en moins nette. C'est ainsi qu'on a vu la plateforme MyCanal faire la promotion de Cyril Hanouna et de sa nouvelle chaîne TPMP après la fin de l'émission sur la chaîne C8, ou encore que le groupe Vivendi a accueilli en son sein Progressif Media, une officine de communication d'extrême-droite qui a notamment mené des campagnes contre Reporters sans Frontières ou qui a aidé des candidats proche d'Éric Ciotti lors des élections législatives de 2024. Surtout, rien ne garantit que cette dualité se maintienne et rien ne protège les autres médias de la galaxie Canal+ ou les autres maisons de la galaxie Lagardère d'une reprise en main subite et brutale. Bolloré a l'habitude d'avancer masqué, mais les masques peuvent tomber à n'importe quel moment.

Une partie des salarié·es de l'empire Bolloré s'alarment de ces compromissions croissantes avec l'extrême-droite. Alors que i-Télé, le JDD et Europe 1 ont déjà subi les purges, ce sont aujourd'hui les salarié·es de Hachette qui ont lancé le combat contre Bolloré. Le comité social et économique du groupe a pris officiellement position contre « la ligne éditoriale proche de l'extrême droite de la sphère Bolloré (CNews, JDD, Europe 1, Fayard) ».


[1] Voir par exemple la série L'Empire de Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts pour Les Jours

[2] Cet épisode est relaté en ouverture de Vincent tout-puissant de Jean Pierre Canet et Nicolas Vescovacci (Jean-Claude Lattès, 2018). Les auteurs déclarent être en possession d'un enregistrement confirmant la réalité du coup de téléphone de Michel Lucas à Vincent Bolloré. Devant une commission d'enquête sénatoriale, c'est Maxime Saada qui assumera devant son patron l'unique responsabilité de cette censure.

21.05.2025 à 07:00

Le soutien jamais démenti des politiques à Bolloré

Depuis le début de sa carrière et jusqu'à aujourd'hui, Vincent Bolloré et son groupe ont pu compter sur de solides amitiés politiques, non seulement à droite de l'échiquier mais aussi au sein du parti socialiste. Extrait du rapport « Le Système Bolloré ».
« Il se trouve que, dans ma situation, je rencontre beaucoup de gens. J'ai rencontré beaucoup de présidents de la République. J'ai commencé à connaître le général de Gaulle, je tutoyais Pompidou, avec qui je jouais aux cartes. Je ne (…)

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Texte intégral (2146 mots)

Depuis le début de sa carrière et jusqu'à aujourd'hui, Vincent Bolloré et son groupe ont pu compter sur de solides amitiés politiques, non seulement à droite de l'échiquier mais aussi au sein du parti socialiste. Extrait du rapport « Le Système Bolloré ».

« Il se trouve que, dans ma situation, je rencontre beaucoup de gens. J'ai rencontré beaucoup de présidents de la République. J'ai commencé à connaître le général de Gaulle, je tutoyais Pompidou, avec qui je jouais aux cartes. Je ne parle pas de Nicolas Sarkozy ni de François Hollande. » C'est ainsi que Vincent Bolloré a décrit ses relations avec la classe politique à l'occasion d'une audition parlementaire en 2014.

Héritier d'une dynastie d'industriels bretons, Vincent Bolloré côtoie depuis son enfance des hommes d'affaires (Rothschild, Dassault…) mais aussi des politiques – son père Michel était un ami de Georges Pompidou. Ces liens transcendent le clivage entre la gauche et la droite : on retrouve dans l'entourage de Vincent Bolloré des politiciens des deux bords. Il compte ainsi parmi ses plus vieux amis (depuis plus de quarante ans) le socialiste Bernard Poignant, qui fut entre autres député, maire de Quimper, mais aussi conseiller du président François Hollande et soutien de la première heure d'Emmanuel Macron. Mais il a aussi noué des liens intimes avec Nicolas Sarkozy, à qui il prête son yacht au lendemain de son élection en 2007, ou son jet privé pour des vacances en Égypte la même année.

Cercles de pouvoir

L'homme d'affaires est donc parfaitement intégré dans le milieu politico-financier, que ce soit par des liens familiaux ou d'affaires. Il est l'ex beau-frère de Gérard Longuet, il tutoie Bernard Kouchner depuis plus de vingt ans, le père de Valérie Pécresse – Dominique Roux – est président de Bolloré Télécom pendant sept ans, tandis que la femme de Brice Hortefeux, Valérie Hortefeux, a siégé au conseil d'administration de Blue Solutions. Jean Glavany, ex ministre et collaborateur de François Mitterrand, a aussi siégé dix ans au comité stratégique du groupe Bolloré, et Michel Giraud, ex ministre d'Édouard Balladur, a cofondé la Fondation de la deuxième chance avec Vincent Bolloré. Michel Roussin, passé par les services de renseignement extérieur avant de s'engager auprès de Jacques Chirac puis d'être brièvement ministre de la Coopération dans le gouvernement Balladur, a aussi été vice-président du groupe Bolloré puis conseiller de son président.

Outre les relations personnelles de Vincent Bolloré, le groupe bénéficie aussi des réseaux de ses dirigeants. Gérald-Brice Viret, Directeur général des antennes et des programmes du groupe Canal+, est un proche de l'ancien ministre de la culture Franck Riester, et côtoie aussi David Lisnard côté républicains ou Jérôme Guedj côté socialistes, selon La Lettre. Arnaud de Puyfontaine, président du directoire de Vivendi et fidèle lieutenant de Bolloré, est lui aussi présent dans de nombreux cercles de pouvoir : Le Siècle, Le Polo de Paris, le Cercle de l'Union interalliée, l'Automobile Club de France ou encore la French American Foundation. Yannick Bolloré est lui aussi membre du Siècle.

Ministres et présidents se succèdent à Ergué-Gaberic

Du côté des politiques, s'afficher avec Vincent Bolloré et soutenir ses activités industrielles ne reflète pas que des relations amicales, mais aussi (et surtout ?) des intérêts politiques. Visiter les usines d'un grand groupe industriel national – qu'il s'agisse de celui de Bolloré ou d'un autre – permet de montrer que l'on soutient l'emploi, l'innovation française, le dynamisme économique du pays. En 1985, François Mitterrand martèle ainsi le message de la « France qui gagne » lors d'une visite en Bretagne où il passera par les sites Bolloré-Technologies à Ergué-Gaberic. En 2013, c'est le président François Hollande qui visite Ergué-Gaberic et les usines de batterie de la BlueCar, où Jean-Louis Borloo s'était déjà rendu en tant que ministre de l'Écologie en 2009, ainsi qu'Eric Besson, ministre de l'Industrie, en 2011. Beaucoup plus récemment, en mai 2024, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire se rend dans la même commune bretonne, et en profite pour annoncer le projet d'une gigafactory du groupe en Alsace.

Autre domaine dans lequel les politiques comptent sur le groupe Bolloré : le financement du cinéma, via Canal +. Le groupe est le premier financeur du cinéma français, avec des investissements annuels atteignant 220 millions d'euros (mais qui devraient baisser dans les années à venir). Le secteur est donc dépendant de l'entreprise, ce que les ministres de la Culture ne peuvent ignorer. Entrée en fonction en 2016, Audrey Azoulay explique avoir très rapidement reçu Vincent Bolloré « sur les sujets de création audiovisuelle et cinématographique » [1]. Au-delà des relations privilégiées de Canal+ avec le cinéma français, le groupe Bolloré peut plus généralement se targuer d'être un « champion » indispensable au rayonnement culturel français, avec par exemple des chaînes présentes dans plus de cinquante pays aujourd'hui.

La présence internationale du groupe Bolloré présente aussi en soi un intérêt pour les politiques. Du temps où il détenait les concessions portuaires et autres infrastructures en Afrique de l'ouest, il avait un intérêt stratégique pour les opérations de l'armée française, pour laquelle le groupe organisait le transport civil de troupes et d'équipements. Les affaires de Bolloré, sa proximité avec certains présidents africains dont il a accompagné la réélection (au Togo, en Guinée) font de lui un contact important vers les réseaux du continent, dont les dirigeants français ont pu vouloir profiter.

Interventions au sommet de l'État

Bien sûr, les liens entre Bolloré et les politiques ne bénéficient pas qu'à ces derniers. L'homme d'affaires y trouve aussi son compte. S'agissant de ses activités africaines, il s'est aussi servi des politiques pour le soutenir dans ses affaires et arracher des contrats face à des concurrents. Au Cameroun, par exemple, François Hollande serait intervenu auprès de Paul Biya pour soutenir l'octroi de la concession du port de Kribi au groupe Bolloré. Une intervention que l'ancien président a présentée comme « normale », et relevant de son activité de diplomatie économique, mais qui illustre les services réciproques rendus entre politiques et industriels.

Être proche des politiques offre d'innombrables avantages, plus ou moins visibles du grand public. Dans leur livre-enquête Vincent tout-puissant, Nicolas Vescovacci et Jean-Pierre Canet expliquent par exemple comment Bernard Poignant est intervenu auprès du secrétaire général de l'Élysée Jean-Pierre Jouyet et du ministre de l'Économie de l'époque, Emmanuel Macron, pour s'assurer que la Caisse des dépôts et consignations conserve ses parts dans la société Vivendi, et soutienne ensuite la prise de contrôle par Vincent Bolloré. C'est aussi via Bernard Poignant que Vincent Bolloré aurait directement appelé le député Patrick Bloche, en 2016, quand celui-ci était chargé d'une proposition de loi sur l'indépendance et le pluralisme dans les médias. Même si cet appel n'a pas forcément eu d'impact direct, l'homme d'affaire a bien eu un accès privilégié au législateur. Et il a conscience du poids que lui donne son groupe auprès des politiques : « Le premier problème est de savoir si vous voulez un champion national ou non », déclare-t-il lors d'une audition devant la commission de la Culture du Sénat, en 2016. « Si vous ne voulez pas d'un champion national, c'est assez simple : il suffit d'instaurer des mesures anti-concentration et les choses continueront comme aujourd'hui. » La loi Bloche ne contiendra pas de mesure sur la concentration des médias.

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Renversement des rôles

Cette proximité entre l'industriel et le politique – qui n'est pas spécifique au groupe Bolloré – devient particulièrement problématique dans la situation actuelle de contrôle de nombreux médias, chaînes de télévision, et maisons d'édition : les personnalités politiques peuvent craindre une exclusion de son champ médiatique, voire une campagne contre eux, s'ils critiquent le milliardaire. En 2023, quand Rima Abdul Malak s'inquiète des débordements de l'émission “Touche pas à mon poste” et appelle l'Arcom à s'en saisir, Cnews, le JDD et Paris Match enchaînent débats, articles et tribunes pour s'en prendre à la ministre de la Culture. À son pouvoir de capitaine d'industrie, sur l'emploi et la politique économique de la France, et à son pouvoir d'entreprise française à l'étranger (sur le « rayonnement » de la France) s'ajoute donc un pouvoir d'influence sur la teneur du débat public qui peut contribuer à assurer au milliardaire breton la passivité ou la bienveillance des politiques, même quand il n'a pas de liens amicaux ou d'affaire avec eux.

Depuis quelques années, Vincent Bolloré s'implique de manière plus directe dans la vie politique, pour soutenir un projet de société libéral et réactionnaire. Il ne s'agit alors plus simplement de défendre ses intérêts, comme le font tous les hommes d'affaires. Il rencontrerait régulièrement Éric Ciotti qui, selon Le Monde, l'aurait consulté pour engager le rapprochement entre LR et le RN lors des législatives de juin 2024. Les médias Bolloré ont ensuite fait l'objet de plusieurs saisines de l'Arcom autour de leurs biais ou « fake news » en faveur de la droite et l'extrême-droite pendant la campagne électorale, et Libération a révélé que l'agence de communication Progressif Média, hébergée dans les locaux du JDD, a prêté main forte aux candidats de l'alliance LR-RN Cet engagement politique partisan tranche avec le réseau construit par l'homme d'affaires depuis des décennies pour s'assurer d'un large soutien politique.


[1] Interview d'Audrey Azoulay, ministre de la Culture et de la Communication, invitée de Léa Salamé, dans la matinale de France Inter, le 15 novembre 2016 à 7h50.

21.05.2025 à 00:01

Guerres culturelles. La lettre du 16 mai 2025

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Bonne lecture
Les multinationales (…)

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Texte intégral (1913 mots)

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Les multinationales face à la croisade anti-diversité de Trump

Il y a quelques semaines, on apprenait que des entreprises françaises avaient reçu une lettre de l'ambassade des États-Unis à Paris les sommant de se conformer au décret du président Trump interdisant les programmes dits DEI (« diversité, équité et inclusion ») destinés à promouvoir les minorités dans l'administration, les universités et la sphère professionnelle.

De l'autre côté de l'Atlantique, beaucoup de grands groupes – mais pas tous – se sont empressés de faire acte d'obéissance vis-à-vis du locataire de la Maison Blanche en annonçant la fin de leurs programmes DEI. C'est le cas notamment des géants de la tech comme Google, Amazon et Meta (Facebook).

Aucun groupe français présent aux États-Unis n'a pris position sur la question, à part dans une certaine mesure L'Oréal. Tous ceux que nous avons contactés pour cette enquête, parmi lesquels LVMH, Michelin, Sanofi ou encore Hachette, n'ont pas souhaité donner suite à nos questions, dans plusieurs cas sous prétexte que « personne n'était disponible pour y répondre ».

Un silence assourdissant qui s'explique par la prudence et l'embarras, mais qui cache aussi une autre question : la relative invisibilité des enjeux de diversité, d'équité et d'inclusion des minorités visibles en France même.

Lire notre article : Face à la croisade anti-diversité de Trump, les groupes français entre silence et déni

Dans un article complémentaire, nous montrons qu'à travers le DEI, Donald Trump cherche à s'attaquer à un symbole, qui renvoie à l'héritage du mouvement des droits civiques et plus récemment au mouvement « Black Lives Matter ». Lire Pourquoi Trump s'attaque-t-il aux programmes de diversité, équité et inclusion ?.

L'internationale réactionnaire se renforce au niveau de l'UE

« Ils sont très actifs à Bruxelles, ils ont plus de vingt salariés, organisent des événements… Rien qu'en mars dernier, ils ont organisé deux événements au Parlement européen, avec du matériel de qualité, des posters. Tout cela a un coût. »

Dans une capitale européenne où l'extrême droite est plus influente que jamais, MCC Brussels apparaît comme la tête de pont de l'internationale réactionnaire et un allié de poids pour les eurodéputés du RN et de ses alliés. Mais plus de deux ans après l'ouverture de son bureau au coeur de l'Union européenne (UE), ce think tank n'a toujours pas publié la moindre donnée financière sur le Registre de transparence, comme sont censés le faire tous les représentants d'intérêts.

MCC Brussels est une émanation du émanation du Mathias Corvinus Collegium en Hongrie. Celui-ci est financé par l'État hongrois (il possède une part du capital de l'entreprise pétrogazière MOL et de la société pharmaceutique Gedeon Richter) et lié aux fondations conservatrices américaines comme la Heritage Foundation (Project 2025) est devenu en quelques mois une pièce essentielle de la guerre menée à Bruxelles contre les régulations, les ONG, et l'UE elle-même. De nombreux acteurs de l'extrême droite française participent à ses activités.

Lire notre enquête : MCC Brussels, ou comment l'extrême droite pro-Orbán et pro-Trump s'organise pour affaiblir l'Europe de l'intérieur

Un empire luxembourgeois et africain plutôt que breton

Les Bolloré ne manquent pas une occasion de mettre en valeur leurs racines bretonnes et leurs activités industrielles dans la région. Une manière de masquer la réalité d'un groupe construit sur des coups financiers et des savantes constructions juridiques dont beaucoup passent par le Luxembourg. Les activités industrielles de Bolloré en général, et en Bretagne en particulier, pèsent de peu de poids, d'un point de vue économique, à l'échelle du groupe.

L'autre base de l'empire, en plus du Luxembourg, est l'Afrique. Au fil des ans, le groupe Bolloré a amassé des milliards d'euros grâce à ses activités africaines, à la fois sous forme de remontée de dividendes et grâce aux plus-values réalisées lors des cessions d'actifs. Pour une large part, ce sont ces revenus qui lui ont permis d'acheter l'empire médiatique dont il dispose aujourd'hui. Même après avoir revendu ses concessions portuaires et ses activités logistiques, Bolloré est loin d'avoir quitté le continent.

C'est ce qu'expliquent les deux extraits de notre récent rapport « Le Système Bolloré » désormais disponibles sur notre site : Bolloré : un empire centré sur le Luxembourg bien plus que sur la Bretagne et Les rentes africaines de Bolloré.

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En bref

Palantir et Trump. Palantir, l'entreprise spécialiste de l'analyse de données cofondée par Peter Thiel, vient d'obtenir un nouveau contrat de 30 millions de dollars pour aider l'administration fédérale américaine à traquer et déporter les migrants. Un autre exemple – au-delà de la figure emblématique d'Elon Musk – de la collaboration entre une partie du secteur de la tech et la présidence Trump. Palantir est d'ailleurs dans l'administration actuelle. Lire notre article.

TotalEnergies en Ouganda : nouvelle manche au tribunal. La plainte initiée contre le groupe TotalEnergies pour ses projets pétroliers en Ouganda et en Tanzanie par plusieurs ONG françaises et ougandaises avait été la toute première à voir le jour dans le cadre de la loi française sur le devoir de vigilance. Elle s'est cependant en partie perdue dans des batailles de procédure, jusqu'à ce que les juges la déclarent irrecevable pour des questions de forme. Une nouvelle procédure a été engagée par les mêmes ONG avec des personnes affectées pour obtenir réparation de leur préjudice. Avant que l'affaire soit jugée sur le fond, une première audience a eu lieu le 15 mai avec un enjeu crucial : celui d'obliger TotalEnergies à donner accès à certains documents (audits, compte-rendus de réunion, études) permettant de vérifier si les droits des personnes affectées ont effectivement respectés comme le groupe le prétend. Inutile de dire que la possibilité pour une entreprise comme TotalEnergies de restreindre l'accès à certaines informations clés est souvent l'obstacle principal pour ceux et celles qui cherchent à obtenir justice. La décision du tribunal pourrait permettre de faire avancer significativement la jurisprudence sur ce point.

Une mine pas propre. L'Indonésie, où se rend ces jours-ci Emmanuel Macron, est devenue l'un des centres de la course mondiale aux minerais critiques et en particulier au nickel, métal indispensable à l'électrification. Une enquête publiée par Mediapart se penche sur le cas de la mine Weda Bay, sur l'île de Halmahera, et de la zone industrielle qui lui est associée. La mine est une co-propriété du géant chinois Tsingshan et de l'entreprise minière française Eramet (dont l'État est actionnaire aux côtés de la famille Duval). Des lanceurs d'alerte dénoncent de nombreux problèmes de conditions de travail et de pollution, systématiquement passés sous silence par la direction sur place. Quant à Eramet, après s'être longtemps abritée derrière son statut d'actionnaire minoritaire de la mine pour nier sa responsabilité, elle a fini par prendre des sanctions contre les cadres en charge de Weda Bay. Une nouvelle fois, les engagements d'exemplarité et les promesses d'une « mine propre » se heurtent aux réalités de l'industrie extractive.

Géo-ingénierie au Collège de France. Un colloque sur la « géo-ingénierie », autrement dit « l'ensemble des techniques qui visent à manipuler et modifier le climat et l'environnement de la Terre à grande échelle » pour éviter les « désagréments » du changement climatique (selon les termes du programme) s'est tenue le 15 mai au Collège de France, dans le cadre de la chaire annuelle « Avenir durable » financée par deux grands mécènes, le groupe d'assurance Covéa et... la multinationale pétrogazière TotalEnergies. Faut-il voir dans ce double choix de minimiser et relativiser la crise climatique et de privilégier pour y répondre des technologies douteuses un effet de l'influence de ce second mécène ? L'affaire repose la question de la stratégie de TotalEnergies dans le monde de la science et de l'enseignement supérieur, dont nous parlions encore récemment. Lire la chronique de Stéphane Foucart dans Le Monde.

Cette lettre a été écrite par Olivier Petitjean.

16.05.2025 à 07:22

Face à la croisade anti-diversité de Trump, les groupes français entre silence et déni

Clarisse Dooh

Texte intégral (3106 mots)

L'administration Trump a fait une priorité de la lutte contre les politiques de diversité, équité et inclusion (DEI) au sein des universités, de l'administration et des grandes entreprises, que celles-ci aient ou non leur siège aux États-Unis. Du côté des grands groupes français, on préfère éviter le sujet. Enquête.

« Nous vous informons que le décret 14173, concernant la fin de la discrimination illégale et rétablissant les opportunités professionnelles basées sur le mérite, signé par le Président Trump, s'applique également obligatoirement à tous les fournisseurs et prestataires du Gouvernement américains [sic], quel que soit leur nationalité et le pays dans lequel ils opèrent. À cet effet, nous vous prions de bien vouloir trouver ci-joint un formulaire de certification du respect de la loi fédérale américaine sur l'anti-discrimination, en anglais. (…) Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir remplir et signer le document en anglais, sous cinq jours, et de nous le retourner par courriel. »

Ainsi commence une lettre envoyée le 28 mars dernier par l'ambassade des États-Unis à Paris à plusieurs grandes entreprises françaises. À travers ce courrier [1], l'administration Trump semblait affirmer haut et fort sa volonté d'exporter hors de ses frontières et jusqu'en Europe sa bataille contre les politiques d'inclusion bénéficiant aux minorités raciales et sexuelles. Certains dirigeants des entreprises concernées ont fait part aux médias, sous couvert d'anonymat, de leur choc de recevoir une telle missive et de leurs interrogations sur son sens et sa portée. Mais presque aucun n'a pris publiquement position contre la croisade anti-diversité engagée par le nouveau gouvernement américain. Et les grands groupes que nous avons interrogés à ce sujet ont refusé, malgré plusieurs relances, de nous répondre.

Reculs généralisés sur la diversité et l'inclusion

C'est le 31 janvier dernier, moins d'une semaine après son investiture, que Donald Trump a signé ce fameux décret n°14173, visant à mettre fin aux programmes Diversity, equity, and inclusion (ou DEI – en français : Diversité, équité et inclusion), consistant à garantir une meilleure inclusion des minorités, dans les universités, l'administration publique et les entreprises privées. Un mouvement de recul sur ces questions était déjà enclenché depuis plusieurs mois, sous pression des Républicains, mais la signature du décret a accéléré le mouvement.

De nombreux grands groupes américains se sont empressés d'obéir à ces instructions, à commencer par les grands noms de la Tech ralliés à Donald Trump. Avant même le retour de ce dernier à la Maison Blanche en janvier, Mark Zuckerberg, le patron de Meta, a annoncé mettre fin à la fois à son programme DEI et à son dispositif de « fact-checking », dans le but d'élargir la liberté d'expression sur des sujets tels que « l'immigration et l'identité de genre ». Amazon a supprimé le chapitre DEI de son rapport annuel, en le remplaçant par une section intitulée « Capital humain ». Google et sa maison mère Alphabet ont également supprimé en février tous éléments liés à la diversité dans leur rapport annuel. « Nous sommes engagés à créer un espace de travail ou tous nos employés peuvent réussir et obtenir une égalité des chances », s'est défendu le porte-parole de Google cité par The Guardian. Google et Alphabet ont mis fin dans le même temps à des dispositifs qui consistaient à engager des employés issus de la diversité ou des minorités visibles, sur lesquels elles avaient commencé à rogner dès 2022-2023.

Du côté de Microsoft, Lindsay-Rae McIntyre, sa directrice de la diversité et de l'inclusion, a réaffirmé son engagement pour le DEI dans un post sur le réseau LinkedIn, en décembre dernier : « Je réfléchis à l'importance de poursuivre notre travail en matière de diversité et d'inclusion, d'élargir notre empathie et d'anticiper les besoins de toutes nos parties prenantes, tant au sein de Microsoft qu'au-delà. » Cependant, en juillet 2024, Le groupe Microsoft aurait lui aussi licencié son équipe chargée des programmes DEI, officiellement pour des raisons liées à des nouveaux besoins commerciaux selon un mail diffusé en interne, que le média américain Business Insider s'était procuré.

En revanche, Apple a résisté aux pressions de Donald Trump. En février, lors de l'assemblée générale annuelle, plus de 97% des actionnaires ont voté contre une résolution visant à mettre fin au programme DEI du groupe. Le patron Tim Cook avait recommandé de voter contre cette mesure, estimant que les pressions du président et de ses alliés constituaient une « tentative inappropriée de restreindre la capacité d'Apple à gérer ses activités ». Ce vote a entraîné une réaction furieuse de Donald Trump sur le réseau Truth Social (capitales dans l'original) : « APPLE DOIT SE DEBARRASSER DE SA POLITIQUE DEI, PAS SEULEMENT Y FAIRE DES AJUSTEMENTS. »

Obéir ou pas à Trump ?

Ces différences d'attitude se retrouvent dans d'autres secteurs. Du côté de l'agroalimentaire, PepsiCo a annoncé en février renoncer à certaines initiatives DEI. Son patron Ramon Laguarta a promis que son entreprise ne « visera plus des objectifs en termes de représentation des minorités, que ce soit dans les postes de directions ou dans sa base de fournisseurs ». Par contre, son concurrent Coca-Cola a réaffirmé sur son site officiel que la diversité, l'équité et l'inclusivité « sont au cœur de ses valeurs ».

L'entreprise McDonald's a décidé quant à elle d'abandonner certains objectifs spécifiques, comme celui d'améliorer la diversité aux hauts niveaux de direction. Ils avaient pourtant été mis en place très récemment, en 2021, suite à des plaintes pour harcèlement sexuel et discriminations déposées par des anciens employés. D'autres grands noms du capitalisme américain comme Ford et Starbucks se sont joints à la vague anti-DEI, et ce depuis l'année 2023.

Par contraste, la marque de glaces Ben and Jerry's (propriété d'Unilever) a publié un communiqué de presse contre la disparition du DEI, déclarant que « la société la plus juste et équitable nécessite une reconnaissance de la vérité ainsi que des mesures concrètes ».

Dans d'autres secteurs, la marque de lingerie Victoria's Secret a abandonné son dispositif DEI et mis fin à son objectif de promouvoir un certain pourcentage de travailleurs noirs dans ses rangs. L'entreprise a aussi modifié ses éléments de langage relatifs à la diversité sur son site officiel. Par exemple, la rubrique DEI a été rebaptisée « Inclusion and Belonging » (« Inclusion et sentiment d'appartenance »), et l'entreprise y reprend les éléments de langage trumpistes en mettant l'accent sur la notion de mérite : « Recruter les personnes les plus qualifiées à partir d'un vivier de talents large et diversifié, en garantissant une véritable méritocratie. »

En revanche, la marque de produits de beauté E.L.F Beauty a adopté la posture inverse en lançant une campagne publicitaire sous le titre « So many Dick » (en français « beaucoup de Dick », un patronyme anglophone signifiant aussi « con, connard ») pour dénoncer le déséquilibre en termes de représentation des minorités dans les entreprises.

Bientôt des procès contre des entreprises ?

Quelques entreprises ont été confrontées à des menaces concrètes de représailles de la part de l'administration Trump. C'est le cas des deux groupes de télévision et de divertissement NBC Universal et Disney. Cette dernière firme est devenue une cible prioritaire de la droite américaine qui lui reproche d'accorder une place trop importante aux minorités et à la diversité. Tous deux ont reçu un courrier officiel de Brendan Carr, président de la Federal Communications Commission, équivalent américain de l'Arcom, leur annonçant que son administration ouvrait une enquête pour vérifier s'ils continuaient ou non à appliquer des « initiatives discriminatoires » contraires aux prescriptions du décret n°14173.

En février, le procureur général de Floride James Utheimer et l'association trumpiste America First Legal ont lancé une procédure auprès d'un tribunal fédéral contre l'enseigne de grande distribution Target, accusant cette dernière d'avoir caché à ses investisseurs les risques encourus du fait de sa politique DEI. En 2023, une opération commerciale menée par Target à l'occasion du « mois des fiertés » (en l'honneur de la cause LGBTQ) avait suscité une violente colère du mouvement conservateur américain. Pourtant, début 2025, le groupe Target a lui aussi annoncé la fin de ses programmes DEI, s'attirant les critiques et l'annonce d'une campagne de boycott de la part des mouvements progressistes [2].

« Ces mesures qui ciblent des groupes désavantagés (femmes, minorités…) pour promouvoir l'égalité, Donald Trump dit qu'elles sont illégales, et il y a des procès contre les entreprises qui les mettent en œuvre, explique Laure Bereni, sociologue et directrice de recherche au CNRS. Mais il appartiendra aux tribunaux états-uniens de déterminer si elles sont légales ou non ».

Silence chez les champions français

Du côté des groupes français présents aux États-Unis ou destinataires de la lettre de l'ambassade, rares sont ceux qui se sont prononcés publiquement sur le DEI. Seule l'entreprise de cosmétiques L'Oréal a pris position, par la voix de sa directrice adjointe de la marque Barbara Lavernos dans un entretien avec Les Échos ,en faveur du maintien de ces mesures favorables à la diversité afin de « répondre aux besoins et aux aspirations des consommateurs du monde entier ». Sinon, c'est plutôt l'embarras et la stupeur qui règnent, à en croire les témoignages – tous anonymes – recueillis par des médias comme Le Monde.

Aucun des groupes que nous avons contactés pour cette enquête, parmi lesquels LVMH, Michelin, Sanofi ou encore Hachette, n'a d'ailleurs souhaité donner suite à nos questions, dans plusieurs cas sous prétexte que « personne n'était disponible pour y répondre ». LVMH nous a indiqué n'avoir pas été destinataire de la lettre de l'ambassade américaine.

Le sujet est délicat pour les grands groupes français. Ils sont sous la menace de la hausse des droits de douane aux États-Unis. Et les dirigeants de plusieurs d'entre eux, à l'instar de Benard Arnault de LVMH ou Patrick Pouyanné de TotalEnergies, avaient publiquement salué la politique de Donald Trump sur les questions d'énergie, de réduction des dépenses publiques et de fiscalité, et souhaité que la France et l'Europe s'en inspirent. Plusieurs groupes avaient même annoncé de grands projets d'investissement aux États-Unis, comme Schneider Electric qui avait mis 700 millions de dollars sur la table. Depuis, selon les termes de Novethic, les dirigeants se sont « muré[s] dans le silence ».

Du côté des politiques, le ton est un peu plus direct. Éric Lombard, ministre de l'Économie et des Finances a dénoncé en mars dernier, au sujet de la lettre envoyée par l'ambassade, « des ingérences américaines inacceptables ». La question des programmes DEI s'inscrit ainsi dans un contexte où les entreprises françaises sont sommées de part et d'autre de l'Atlantique de choisir un camp. Ce qu'elles préfèrent visiblement éviter.

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« Processus de requalification »

Si l'on consulte les sites officiels d'entreprises françaises aux États-Unis, ils continuent tous pour l'instant à afficher leur engagement pour la diversité. Le site LVMH promeut toujours par exemple son dispositif « Index d'inclusivité ». Créé en 2018, il a pour but de « reconnaître » et « stimuler » la diversité et un « meilleur équilibre des sexes » et inclut des initiatives liées à la communauté LGBTQ+. Sanofi propose encore de son côté une rubrique « Notre Conseil Diversité, Équité et Inclusion » avec des phrases tels que « nous souhaitons refléter la diversité de nos communautés (…) » ou « nous devons écouter les communautés marginalisées ». Michelin, avec sa page « Diversity, Equity & Inclusion Commitment » en langue anglaise annonce trois piliers pour garantir sa politique de diversité : « diversifier notre équipe », « cultiver le sentiment d'appartenance » et « impacter notre société ».

Soumises à la loi étatsunienne, les filiales de groupes français risquent pourtant de devoir s'adapter aux politiques anti-DEI. Selon Laure Bereni, il y a de fortes chances qu'elles commencent tout comme leurs homologues américaines à « requalifier » certains éléments de langages rattachés aux lexiques de la diversité : ​​​​​​« Elles abandonnent les mots qui fâchent, par exemple le mot équité, qui paraît trop politique. Il y a tout un processus de requalification, voire de dissimulation de ces pratiques. » Il est probable que certaines entreprises aillent jusqu'à abandonner certaines mesures « juridiquement risquées », dont celles qui protègent les minorités, ajoute la chercheuse.

Déni français ?

En France même, par contraste avec la bataille qui se mène outre-Atlantique, les enjeux de diversité, équité et inclusion restent souvent un tabou, souligne Christine Naschberger, enseignante du département « Etudes organisationnelles et éthique » à Audencia, une grande école de commerce et de communication : « La mentalité française est très prudente à ce sujet. De nombreuses personnes ont peur que nous puissions valoriser une catégorie sociale par rapport à une autre. C'est assez compliqué d'aborder les questions de diversité en France, même si elles sont très intégrées au sein des grandes entreprises. »

Dans le contexte français, la question de l'inclusion des diversités est supplantée par la parité homme-femmes. Pour Laure Bereni, après le décès de Georges Floyd en 2020, il n'y a pas eu en France la même onde de choc qu'aux États-Unis : « En France, ce qui a davantage joué, c'est le mouvement #Metoo, qui se déploie depuis 2017 et les politiques publiques qui ont imposé des mesures plus rigoureuses en termes de lutte contre violences sexistes et sexuelles, il y eu aussi une loi sur le handicap en 2018 qui a renforcé les obligations. »

La chercheuse ajoute que les campagnes contre les discriminations raciales en France ont très peu ciblé les grandes entreprises. L'absence de politiques comme celles existant aux États-Unis s'expliquerait selon elle par un différent degré de politisation de ces questions : « En France, nous sommes confrontés à une situation de déni, qui reflètent des politiques publiques qui ne traitent pas ou ne prennent pas ces questions au sérieux. Évidemment sur la question de l'égalité femmes-homme et du handicap, il y a un cadre juridique, mais ce sont des lois qui restent relativement peu contraignantes, dont les entreprises peuvent facilement s'accommoder. »

Christine Naschberger estime que les dispositifs du type DEI sont néanmoins positifs : « Les grandes entreprises en France ont un discours pro-diversité, et je pense que ce sont des vraies convictions, avec des réelles mesures. Il y a des études qui montrent les bénéfices de l'inclusion, qu'une entreprise qui est plus inclusive est à la fin plus performante. » L'enseignante n'en avertit pas moins : « Avec la diversité, rien n'est jamais gagné. Par exemple, aux États-Unis, les droits des femmes sont très fragilisés. »


[1] Mentionné initialement par Le Figaro et dont la teneur a été révélée par BFM. Une lettre similaire semble avoir été envoyée par les ambassades étatsuniennes dans d'autres pays, comme le Royaume-Uni.

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