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15.11.2024 à 09:01

Relations toxiques - La lettre du 15 novembre 2025

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Diplomatie gazière
La 29e conférence de l'ONU sur le climat se tient en ce moment à Bakou, en Azerbaïdjan, dans une ambiance qui n'incite pas à l'optimisme. L'élection de Donald Trump (…)

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Texte intégral (1739 mots)

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Diplomatie gazière

La 29e conférence de l'ONU sur le climat se tient en ce moment à Bakou, en Azerbaïdjan, dans une ambiance qui n'incite pas à l'optimisme. L'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, le fait que pour la seconde fois consécutive, après Dubaï l'année dernière (et l'on pourrait ajouter l'Égypte l'année précédente), la COP se déroule dans une autocratie pétrogazière, la question épineuse des besoins de financement pour la transition climatique et de la responsabilité historique des pays riches, la présence à nouveau massive des lobbyistes des énergies fossiles (1773 selon le décompte de la coalition « Keep Big Polluters Out » rendu public ce jour) ... Tout ceci explique sans doute le peu d'espoir et le peu d'intérêts suscités par l'événement.

La COP29 est l'occasion de remettre un coup de projecteur sur l'Azerbaïdjan et la place qu'y occupent les groupes français. Berceau de l'industrie pétrolière, le pays reste un acteur stratégique à l'échelon régional de par sa position au carrefour de l'Europe, de la Russie et du Moyen-Orient.

Il y a une dizaine d'années, la France a mené une offensive diplomatique au plus haut niveau, dont le point d'orgue a été une visite présidentielle de François Hollande, pour s'assurer que TotalEnergies aurait une part du gâteau azéri. Comme aujourd'hui en Ouganda ou au Mozambique, l'Etat français s'est littéralement mis au service de la major pétrogazière pour faciliter ses projets dans le pays.

Aujourd'hui, alors que les tensions se sont accumulées entre la France et l'Azerbaïdjan, les autorités tricolores dans la région continuent de collaborer au quotidien avec TotalEnergies. Un mélange des genres qui se reflète aussi dans la désignation officielle du patron de l'entreprise dans le pays comme conseiller du commerce extérieur.

La France et TotalEnergies s'intéressent aussi de près aux gisements de gaz des autres pays riverains de la mer Caspienne, comme le Turkménistan.

Lire notre enquête : COP29 en Azerbaïdjan : malgré les critiques et malgré les tensions, une diplomatie française encore et toujours au service de TotalEnergies

En parallèle, nous publions un briefing qui présente de manière synthétique le rôle de l'industrie des énergies fossiles en Azerbaïdjan, et dans la COP29 en particulier, et la place des grandes entreprises françaises dans le pays. Les deux questions sont étroitement liées puisque l'essentiel des intérêts économiques français en Azerbaïdjan tourne directement ou indirectement autour de l'exploitation des hydrocarbures, impliquant – outre TotalEnergies – des entreprises comme Technip, Engie, la Société générale ou Suez.

Lire COP29 : l'Azerbaïdjan, TotalEnergies et l'industrie fossile.

Tendances lourdes

Début novembre, Auchan et Michelin ont créé une onde de choc dans l'opinion en annonçant la suppression de 2500 et 1250 postes respectivement parmi leur effectif français.

Syndicalistes et responsables gouvernementaux ont annoncé s'attendre à des plans sociaux supplémentaires, notamment dans des secteurs en difficulté comme la grande distribution, la chimie, le BTP ou encore l'automobile. La CGT évoque la disparition de « plus de 150 000 emplois ».

Ces nouvelles n'ont pas manqué de remettre sur la table la question des soutiens financiers publics dont bénéficient les grands groupes et notamment les deux « champions nationaux » qui ont fait la une de l'actualité. Pour combien exactement ? Difficile de le savoir, tant l'opacité continue à régner dans ce domaine, comme nous n'avons cessé de le déplorer dans le cadre de notre projet « Allô Bercy » sur les aides publiques aux entreprises.

Certains chiffres sont certes sortis dans la presse : 500 millions d'euros pour le groupe Mulliez, propriétaire d'Auchan, entre 2013 et 2018, au titre du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), 55 millions pour Michelin au titre du Crédit impôt recherche (CIR) et 12 millions d'euros au titre du chômage partiel durant la pandémie de Covid en 2020. Ils ne donnent toutefois qu'un aperçu partiel de la réalité.

Exonérations de charges, baisse du taux de l'impôt sur les sociétés, suppression des « impôts de production », CICE, CIR, rachats d'obligations des banques centrales... C'est toute la politique économique mise en place en France (et ailleurs) depuis des années qui consiste à arroser d'aides directes et indirectes les grandes entreprises, sans les soumettre à des conditions contraignantes en matière d'emploi (ni en matière de climat, ni d'aucune autre sorte).

En réalité, les annonces de Michelin et d'Auchan ne devraient pas être une surprise. Cela fait des années que la plupart des grands groupes français taillent dans leurs effectifs dans l'Hexagone – de manière plus discrète quand ça va bien, de manière plus drastique quand ils peuvent se justifier d'une crise. Cela fait des années qu'ils priorisent le versement de dividendes et de rachats d'actions. Nous avons eu maintes fois l'occasion de le montrer chiffres à l'appui (lire par exemple Comment le CAC40 a changé en vingt ans). En même temps que Michelin liquide les derniers restes de son implantation industrielle en France, le groupe a presque multiplié par quatre ses dividendes et rachats d'actions en depuis 2020.

Face à l'indignation de l'opinion, le gouvernement a promis de regarder comment l'argent public avait été utilisé par ces entreprises, tout en s'empressant d'ajouter qu'il n'était pas question de demander un quelconque remboursement.

On aimerait penser que le contexte de crise budgétaire et de plans sociaux est une opportunité pour mettre fin à une politique économique qui n'est qu'un transfert massif d'argent public dans les caisses des entreprises et dans les poches de leurs actionnaires, et dont il devrait être clair depuis longtemps qu'elle est un échec total au regard de ses objectifs affichés d'emploi et de transition climatique.

Tous nos chiffres et nos analyses sur la question des aides publiques aux entreprises sont disponibles sur notre page « Allô Bercy ».

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En bref

À quoi s'attendre pour le second mandat de Donald Trump ? Le « Project 2025 », un document de 900 pages porté par la Heritage Foundation, partenaire historique du réseau Atlas, se veut un programme clé en main pour le second mandat de Donald Trump à la Maison blanche. Les propositions extrémistes en matière de migration, de climat ou de droits sexuels y côtoient des mesures taillées pour les intérêts de certaines industries. Les critiques des démocrates durant la campagne ont poussé Donald Trump et les républicains à se distancier publiquement du Project 2025, mais leur succès électoral pourrait changer les choses. Et le document n'en révèle pas moins ce que pense et ce que veut une grande partie de la droite américaine au pouvoir aujourd'hui. Lire notre article « Project 2025 », ou comment la droite américaine imagine une seconde présidence Trump.

Portes tournantes entre le ministère des Armées et TotalEnergies. Alors que se tient la COP29, le groupe pétrogazier français TotalEnergies vient de faire un recrutement de choix en la personne de Clément Le Gouellec. Ancien conseiller industriel et innovation auprès de Sébastien Lecornu au ministère des Armées, il est aussi une personnalité clé au sein de l'influent Corps des Mines. Il travaillera désormais au sein de TotalEnergies OneTech, le pôle du groupe dédié à la recherche-développement. Il y sera plus particulièrement chargé, selon son profil LinkedIn, de la capture du CO2. Avant de travailler au ministère des Armées, il avait passé quelques années au sein de Thales et Airbus. Un recrutement qui illustre la prédilection de TotalEnergies pour les cadres des ministère des Armées et des Affaires étrangères (voir notre enquête Comment l'État français fait le jeu de Total en Ouganda et notre pages Les portes tournantes).

Cette lettre a été écrite par Olivier Petitjean.

12.11.2024 à 00:36

L'Azerbaïdjan, la COP29 et les grandes entreprises françaises

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Enquête sur le secteur pétrolier et gazier en Azerbaïdjan et la place qu'y occupent TotalEnergies et d'autres entreprises françaises.

- COP29 : l'Azerbaïdjan, TotalEnergies et l'industrie fossile / , , , , , , , , , , , ,
Texte intégral (7547 mots)

La COP29 s'ouvre ce lundi 11 novembre 2024 à Bakou, en Azerbaïdjan. Ce briefing a pour objectif de présenter de manière synthétique les informations essentielles relatives au rôle de l'industrie des énergies fossiles en Azerbaïdjan, et dans la COP29 en particulier, et à la place des grandes entreprises françaises dans le pays. Les deux questions sont étroitement liées puisque les principales activités de groupes français en Azerbaïdjan tournent directement ou indirectement autour de l'exploitation des hydrocarbures, impliquant des entreprises comme Technip, Engie, la Société générale, Suez et bien évidemment TotalEnergies.

La COP29 s'ouvre ce lundi 11 novembre 2024 à Bakou, en Azerbaïdjan. Avec la victoire de Donald Trump à l'élection présidentielle américaine et l'organisation, pour la deuxième année consécutive, de la conférence climat dans une autocratie pétrogazière, l'heure n'est guère à l'optimisme. Pour le régime du président Ilham Aliyev, la COP29 est l'occasion de redorer l'image de son pays sur la scène internationale malgré son passif en matière de droits humains et de répression des opposants, mais aussi de réaffirmer le rôle clé de son pays dans la géopolitique régionale du pétrole et du gaz au carrefour de la Russie, de l'Europe et du Moyen-Orient.

La principale question à l'ordre du jour officiel de la conférence est celle du financement de l'action climatique, avec des enjeux comme le montant du soutien apporté par les pays riches principaux responsables historiques de la crise climatique, les transferts de technologie et les priorités en termes de financement. Dans ce contexte, les industries des énergies fossiles auront pour pour priorité de mettre en valeur leurs propres solutions technologiques face à la crise climatique et de s'accaparer une partie importante des financements disponibles, tout en repoussant l'échéance d'une sortie rapide des énergies fossiles.

Ce briefing a pour objectif de présenter de manière synthétique les informations essentielles relatives : 1) au rôle de l'industrie des énergies fossiles en Azerbaïdjan, et dans la COP29 en particulier, et 2) à la place des grandes entreprises françaises dans le pays.

Les deux questions sont étroitement liées puisque les principales activités de groupes français en Azerbaïdjan tournent directement ou indirectement autour de l'exploitation des hydrocarbures, impliquant des entreprises comme Technip, Engie, la Société générale, Suez et bien évidemment TotalEnergies.

Parallèlement à ce briefing, l'Observatoire des multinationales publie une enquête sur la manière dont la diplomatie française s'est mise au service des intérêts de TotalEnergies en Azerbaïdjan : COP29 en Azerbaïdjan : malgré les critiques et malgré les tensions, une diplomatie française encore et toujours au service de TotalEnergies.

L'Azerbaïdjan et les énergies fossiles

L'Azerbaïdjan est l'un des berceaux historiques de l'industrie pétrolière. Le nom du pays est une référence au « feu sacré » de la religion zoroastrienne, qui y est née – un feu alimenté par le bitume et le gaz qui y affleurait naturellement. Au XIXe siècle, alors que la région est sous le contrôle de l'Empire russe, le pétrole y est exploité et exporté en Europe par l'entreprise des frères Nobel et les ancêtres de la Royal Dutch Shell. Ces gisements seront nationalisés après 1917 par le pouvoir soviétique.

Aujourd'hui, l'Azerbaïdjan n'est pas un acteur dominant de la production de pétrole et de gaz à l'échelle globale en termes quantitatifs, avec moins de 1% de la production mondiale. C'est néanmoins un acteur d'importance à l'échelle régionale et sous-continentale de par ses relations avec l'Europe et la Russie. Les hydrocarbures représentent en outre plus de 90% de ses revenus d'exportation, 60% des recettes de l'Etat azerbaïdjanais et entre 30 et 50% du PIB du pays [1].

Après la fin de l'URSS en 1991 et la naissance de l'Azerbaïdjan moderne, c'est la major pétrolière britannique BP qui s'assure un rôle prépondérant dans l'exploitation du pétrole azerbaïdjanais à travers la signature en 1994 du « contrat du siècle » pour l'exploitation du gisement offshore Azeri-Chirag-Güneshli ou ACG, découvert dans les années 1970. BP reste aujourd'hui la principale multinationale impliquée dans l'exploitation du pétrole et du gaz azerbaïdjanais aux côtés de l'entreprise nationale Socar. Néanmoins, l'Azerbaïdjan a également des relations étroites avec des entreprises de pays voisins comme la russe Lukoil ou la turque TPAO.

Le graphique ci-dessous a été compilé par les ONG Urgewald et CEE Bankwatch à partir des données de Rystad Energy [2].

L'Agence internationale de l'énergie classe l'Azerbaïdjan en 23e position mondiale pour l'extraction de pétrole, avec une production en déclin. Ce pétrole est exporté vers la Russie et vers l'Europe via un réseau d'oléoducs, dont le principal est l'olédoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC), qui rejoint la côté méditerranéenne de la Turquie et dont TotalEnergies possède 5%.

C'est plus récemment que l'Azerbaïdjan s'est préoccupé de mettre en exploitation ses gisements de gaz, dont la production a récemment dépassé celle du pétrole. L'AIE classe le pays au 22e rang mondial. Le principal gisement de gaz en exploitation est celui de Shah Deniz, dont l'opérateur est là encore BP, en partenariat avec SOCAR, le russe Lukoil et les entreprises pétrolières nationales turque, iranienne et hongroise [3]. TotalEnergies et d'autres groupes européens (Eni, Equinor) possédaient des parts minoritaires dans le gisement, mais les ont cédées, officiellement (pour TotalEnergies) parce qu'il ne satisfaisait pas leurs critères de rentabilité et parce qu'il n'était pas stratégique [4]. D'autres gisements de moindre importance sont en exploitation ou en développement, dont celui d'Apchéron (ou Absheron) opéré par TotalEnergies dont il sera question ci-dessous.

Outre BP, le secteur du pétrole et du gaz en Azerbaïdjan est sous le contrôle de l'entreprise nationale SOCAR, qui contrôle l'ensemble de la chaîne de valeur, depuis l'extraction jusqu'à la vente. SOCAR est étroitement lié au régime azerbaïdjanais. Le président Ilham Aliyev, qui était le vice-président de l'entreprise lorsque son père Heydar Aliyev était au pouvoir, a le pouvoir discrétionnaire de nommer le président et les 14 administrateurs de l'entreprise. Les revenus du pétrole et du gaz contribuent à enrichir le clan présidentiel et ses alliés tout en leur donnant les ressources nécessaires pour garantir la stabilité de leur régime. Les journalistes et les militants démocratiques qui tentent d'alerter l'opinion sur la corruption et sur les dégâts écologiques liés à l'exploitation pétrolière et gazière subissent la répression du régime [5].

En plus d'être un producteur majeur d'hydrocarbures, l'Azerbaïdjan s'est positionné comme un « hub » important, grâce à son réseau d'oléoducs et de gazoducs existant et ceux en construction reliés à la Russie et à l'Europe, pour le transport du pétrole et de gaz extrait ou qui pourrait être extrait dans d'autres pays de la région (Turkménistan, Kazakhstan, éventuellement Irak et Iran).

L'Azerbaïdjan, l'Europe et la Russie

Le gaz de Shah Deniz est officiellement dédié à l'approvisionnement de l'Union européenne via une succession de gazoducs désignée sous le nom générique de Southern Gas Corridor ou corridor gazier sud-européen, qui aboutit en Italie du Sud. Depuis plus de 10 ans, l'Union européenne a noué des liens étroits avec l'Azerbaïdjan pour son approvisionnement en gaz, avec pour objectif officiel de réduire la dépendance du vieux continent avec la Russie. Malgré les critiques sur sa collaboration avec un régime corrompu et répressif, l'Union a soutenu et facilité le financement de la construction du corridor gazier sud-européen (lire notre enquête De la mer Caspienne à la Méditerranée, un projet de gazoduc géant symbolise les reniements de l'Europe).

Cette collaboration a été facilité par la « diplomatie du caviar » déployée au début des années 2010 par l'Azerbaïdjan, qui s'est traduite par de nombreux échanges de faveurs avec certains responsables européens et dans certains cas des actes de corruption qui ont fait l'objet de condamnations, comme celle de Luca Volontè en Italie [6]. En France, les noms de responsables politiques comme Rachida Dati, Thierry Mariani et Jean-Marie Bockel (entre autres) ont été cité dans la presse comme parties prenantes du réseau d'influence du régime d'Ilham Aliyev [7].

L'invasion russe de l'Ukraine a ramené l'Union européenne dans les bras de l'Azerbaïdjan. En 2022, la Commission a signé un accord avec le pays en due de doubler ses exportations de gaz vers le vieux continent. Sa mise en œuvre concrète a suscité l'opposition du Parlement européen et continue à faire l'objet de négociations alors que la fin de l'accord russo-ukrainien sur le transport du gaz vers l'Europe s'approche [8].

Il a cependant été soupçonné, dès le début des années 2010, que le corridor gazier sud-européen pourrait en fait – malgré son objectif affiché – servir à acheminer du gaz russe vers l'Europe en évitant l'Ukraine. L'existence d'un risque de double jeu de la part de l'Azerbaïdjan semble confirmé par les révélations récentes de Global Witness qui ont montré que le pays était, avec son allié, turc, une pièce essentielle dans les dispositifs permettant d'écouler le pétrole russe en Europe malgré les sanctions.

Une COP sous le patronage de SOCAR et du clan Aliyev

Pour la deuxième fois de suite, après la COP28 de Dubaï l'année dernière, la conférence des parties est organisée par un pays pétrogazier en y associant directement son entreprise d'hydrocarbures nationale. (On notera que l'Égypte, pays hôte en 2022, et le Brésil qui accueillera la COP30 l'année prochaine sont également des pays qui prévoient de développer leurs ressources pétrolières et gazières en s'appuyant sur leurs entreprises nationales.)

Depuis 2003, le président Ilham Aliyev, qui a succédé à son père, dirige le pays de façon autoritaire, limitant sévèrement les libertés fondamentales. L'Azerbaïdjan figure parmi les derniers au classement mondial de la liberté de la presse, avec des journalistes systématiquement harcelés, intimidés et emprisonnés pour des enquêtes sensibles, notamment sur la corruption et l'industrie pétrolière [9]. La répression vise également l'opposition politique et la société civile, entraînant persécutions, arrestations arbitraires et procès inéquitables pour militants et avocats indépendants. Les élections sont entachées d'irrégularités, Aliyev ayant remporté un cinquième mandat en 2024 avec 92% des voix. Le président azerbaïdjanais voit l'organisation de la COP29 comme une validation internationale, soulignant ce qu'il appelle « l'immense confiance et le profond respect » de la communauté mondiale envers son pays.

De même qu'en 2023 la COP était officiellement présidée par le patron d'Adnoc, l'entreprise pétrolière nationale des Emirats arabes unis, la COP29 sera présidée par le ministre azerbaïdjanais de l'Écologie, Mukhtar Babayev, qui a travaillé pendant plus de vingt ans pour SOCAR. Le directeur exécutif de la COP29 Elnur Soltanov, vice-ministre de l'Énergie, siège au conseil de surveillance de la SOCAR. Le président actuel de la SOCAR Rovshan Najaf est membre du comité d'organisation de la COP, de même que le président de son conseil de surveillance, le ministre de l'Économie Mikayil Jabbarov [10].

La COP29 elle-même compte parmi ses sponsors SOCAR (ou du moins sa filiale dédiée aux énergies renouvelables, qui représente une part négligeable de son activité), ainsi que le conglomérat Pasha Holdings, qui est sous le contrôle de la famille de la femme du président Ilham Aliyev, Mehriban Aliyeva. Selon Transparency International, les autres sponsors de la COP29 sont également liés aux intérêts de la famille Aliyev, et l'organisation de cette conférence internationale accueillant des milliers de délégués profitera largement à des entreprises appartenant aux familles au pouvoir et à leurs alliés [11].

Comme l'année dernière à Dubaï [12] et l'année précédente à Charm-el-Cheikh, l'organisation de la COP à Bakou pourrait être l'occasion de voir une floraison de signatures de nouveaux contrats dans la domaine du gaz et du pétrole. L'ONG Global Witness et la BBC ont filmé le directeur exécutif de la COP29 Elnur Soltanov en caméra cachée en train de proposer à un interlocuteur de faciliter ses affaires durant la COP2920.

Dans le cadre de la préparation de la COP29, fidèle à ses habitudes, le régime azerbaïdjanais a mené une campagne d'influence de grande envergure pour promouvoir l'image de son pays. Une partie de cette campagne a été confiée au cabinet de communication nord-américain Teneo. Selon les informations divulguées par Teneo dans le cadre de la législation étatsunienne sur les ingérences étrangères, l'équipe de Teneo est menée par Geoff Morrell, président en charge de la stratégie et de la communication, qui a travaillé entre 2011 et 2022 pour BP [13].

TotalEnergies en Azerbaïdjan (et au-delà)

Le principal groupe français présent en Azerbaïdjan, de loin, est, de loin, TotalEnergies, à travers sa participation dans l'exploitation du champ gazier d'Apchéron (ou Absheron), dans la mer Caspienne, en partenariat avec l'entreprise nationale azerbaïdjanaise Socar et l'entreprise nationale émiratie Adnoc. La première phase du projet a été inaugurée en septembre 2023 en présence du PDG Patrick Pouyanné et du président azerbaïdjanais Ilham Alyev [14], qui ont eu un rendez-vous officiel à cette occasion. Une deuxième phase de développement est prévue qui pourrait presque quadrupler la production prévue, pour passer à 5,5 milliards de mètres cubes par an (par comparaison, la capacité de production estimée de Shah Deniz est de 10 milliards de mètres cubes par an).

TotalEnergies est également présent en Azerbaïdjan à travers une part de 5% dans l'oléoduc BTC de BP, qui relie le pays à la côte turque de Méditerranée. Il est également un acheteur important du pétrole produit par Socar, via sa filiale de négoce [15].

En ce qui concerne le gaz, TotalEnergies possédait initialement une part de 10 % dans le gisement de Shah Deniz opéré par BP, qu'il a cédé en 2014 comme indiqué ci-dessus. L'exploitation des deux gisements de Shah Deniz et d'Apchéron s'inscrit dans la stratégie globale d'exportation de l'Azerbaidjan au bénéfice de l'Europe, le second gisement étant censé satisfaire la demande locale (comme celle de l'industrie pétrochimique) afin de « libérer » le gaz de Shah Deniz pour l'exportation. Il y a quelques années, TotalEnergies faisait part de son intérêt pour l'exploitation d'un autre gisement de gaz offshore azerbaïdjanais, celui d'Umid-Babek, aujourd'hui contrôlé conjointement par Socar et la junior Noble Energy [16].

Comme il le fait désormais régulièrement, TotalEnergies a signé un accord avec l'Azerbaïdjan pour développer des capacités de génération d'électricité renouvelable en marge de son projet gazier d'Apchéron [17].

La diplomatie française a apporté un soutien appuyé à TotalEnergies en vue de la signature du contrat de partage de production d'Apchéron, notamment autour de la visite présidentielle de François Hollande en 2014 (lire notre enquête COP29 en Azerbaïdjan : malgré les critiques et malgré les tensions, une diplomatie française encore et toujours au service de TotalEnergies). Comme dans d'autres pays, l'ambassade de France à Bakou associe étroitement TotalEnergies à ses activités. Le représentant du groupe en Azerbaïdjan a également le titre de conseiller au commerce extérieur dans le pays.

Au-delà de l'Azerbaïdjan lui-même, TotalEnergies est aussi intéressé par les réserves de gaz des autres pays riverains de la mer Caspienne, notamment le Turkménistan, actuellement 13e producteur mondial de gaz et avec des réserves estimées qui pourraient le porter à la 4e place. Le groupe a un bureau depuis plusieurs années. Les projets de construction d'un gazoduc trans-caspienne entre ce pays et l'Azerbaïdjan pourraient permettre l'exportation du gaz turkmène vers l'Europe. Des représentants de TotalEnergies et de la diplomatie française ont participé fin octobre 2024 à la conférence Oil & Gas Tkm dans la capitale turkmène [18].

Au nord de la Caspienne, TotalEnergies est aussi présent au Kazakhstan à travers une part de 16 ,8% dans le consortium qui exploite l'immense gisement offshore de Kashagan.

Parmi les autres pays riverains, l'Iran est pour l'instant hors des projets de TotalEnergies. En revanche, le groupe français est l'un des principaux partenaires de l'Irak, dans le cadre d'un contrat conclu en 2023 avec les autorités et avec Qatar Energy. Le récent rapport de Transparency International suggère que des discussions pourraient être en cours entre TotalEnergies, l'Irak et l'Azerbaïdjan en vue de l'exploitation et de l'exportation des hydrocarbures du nord de l'Irak [19].

Les autres intérêts économiques français en Azerbaïdjan

Une partie importante des autres intérêts français en Azerbaïdjan sont liés directement ou indirectement à l'exploitation des hydrocarbures du pays. Engie était initialement l'un des partenaires du consortium Apchéron, mais a cédé ses parts à TotalEnergies dans le cadre de sa sortie de l'exploration-production. Engie reste cependant l'un des principaux acheteurs et revendeurs du gaz de Shah Deniz, à travers un contrat d'approvisionnement de long terme signé en 2013, pour 2,5 milliards de mètres cube par an, soit une proportion importante du gaz destiné à l'Europe [20]. (Engie a ultérieurement associé Shell à ce contrat d'approvisionnement [21].)

Un autre acteur français majeur dans le secteur des hydrocarbures azerbaïdjanais est le groupe parapétrolier Technip, dont l'Etat détient près de 10% via Bpifrance. C'est un partenaire de longue date de Socar pour ses installations pétrolières et gazières, dont Shah Deniz [22], et de l'industrie pétrochimique azerbaïdjanais. Comme ceux de TotalEnergies, les dirigeants de Technip bénéficient de rencontres au sommet avec le président Aliyev [23], et le groupe s'est associé à la fondation Heydar Aliyev pour développer un programme d'échange et de formation d'experts azerbaïdjanais à des fins de « transferts technologiques » [24].

Les banques françaises jouent également un rôle dans le secteur des hydrocarbures. Société générale, principale banque tricolore présente en Azerbaïdjan, a été l'un des principaux financeurs des projets de gazoducs reliant le pays au sud de l'Europe (lire Les dirigeants de la multinationale Chiquita bientôt poursuivis pour complicité de crimes contre l'humanité ?). Selon le rapport Banking on Climate Chaos 2024, le Crédit agricole reste un partenaire financier de Socar à hauteur de 260 millions de dollars depuis 2016, loin derrière JP Morgan Chase cependant. Les autres banques françaises semblent avoir arrêter le soutien direct à Socar depuis 2019.

Suez s'est implanté en Azerbaïdjan à travers des contrats avec BP pour le traitement des eaux usées et des déchets issus de l'exploitation pétrolière et gazière. Elle a signé depuis un contrat d'assistance avec la compagnie nationale d'eau [25].

Les autres entreprises françaises présentes en Azerbaïdjan incluent Alstom, engagé dans plusieurs projets d'équipement ferroviaire dans le pays avec le soutien de l'Agence française de développement (AFD). L'Azerbaïdjan est en effet aussi un nœud important pour le transport des marchandises entre l'Asie et l'Europe par fret ferroviaire. Y transite notamment l'uranium que la France achète au Kazakhstan pour ses centrales nucléaires [26].

Thales est également implanté depuis longtemps dans le pays. L'un de ses cadres a même été nommé ambassadeur en Azerbaïdjan par Nicolas Sarkozy. Officiellement le groupe n'est présent dans le pays qu'au titre de ses activités civiles, et non militaires, à travers la fourniture d'équipements de contrôle et d'automatisation de la gestion des trains et du métro de Bakou. Des discussions ont toutefois eu lieu il y a quelques années entre l'Azerbaïdjan et MBDA en vue de la fourniture d'un système de défense antiaérienne, et avec Airbus en vue de l'achat d'un satellite d'observation.

Une mission parlementaire de 2016-2017 sur les relations économiques entre la France et l'Azerbaïdjan montre à quel point le soutien direct des pouvoirs publics, et en particulier la visite présidentielle de François Hollande à Bakou en 2014 a été essentielle pour la signature des contrats de Suez et d'Alstom [27] et pour la conclusion de l'accord de partage de production d'Apchéron. En outre, les projets d'Alstom dans le pays ont bénéficié comme indiqué du soutien de l'AFD. De même, la Coface a apporté sa garantie a apporté sa garantie à plusieurs contrats signés lors de la visite présidentielle de 2014.

Les tensions se sont progressivement attisées entre la France et l'Azerbaïdjan à partir de la guerre des 44 jours de 2020, en raison du soutien affiché par l'Hexagone et la majorité de ses dirigeants politiques à l'Arménie. Après que le Sénat français a voté une résolution condamnant l'Azerbaïdjan et appelant à reconnaître l'indépendance du Haut-Karabakh (République d'Artsakh), le Parlement de l'Azerbaïdjan a répliqué en demandant l'expulsion de toutes les entreprises françaises, citant nommément TotalEnergies [28]. Le gisement d'Apchéron a néanmoins été inauguré en 2023, le PDG de TotalEnergies rencontrant à cette occasion le président Ilham Aliyev. En 2023, la France a conclu des contrats de livraison d'armes « défensives » à destination de l'Arménie et des accords de formation militaires, provoquant une nouvelle vague d'incidents diplomatiques. L'Azerbaïdjan a été accusée par les responsables français d'attiser les tensions en Nouvelle-Calédonie et dans des territoires d'Outre-mer français. Dans ces conditions, les relations économiques entre les deux pays sont devenues plus difficiles pour les groupes français.

La présence des lobbyistes fossiles à la COP

L'année dernière, à l'occasion de la COP28 de Dubaï, la présence massive des lobbyistes des énergies fossiles a fait la une des médias. Les données collectées par la coalition d'ONG Keep Big Polluters Out (« Laissez les gros pollueurs dehors ») montrent qu'au moins 2456 lobbyistes représentant le secteur des hydrocarbures étaient accrédités pour la conférence, dont une partie non négligeable par leurs propres gouvernements. La France a par exemple accrédité le PDG de TotalEnergies Patrick Pouyanné et cinq autres cadres de l'entreprise, et l'Union européenne a accrédité des cadres de BP, Eni et ExxonMobil [29].

Les grandes entreprises des secteurs polluants sont présentes dans les COP en leur propre nom, mais aussi donc dans certaines délégations officielles, et enfin à travers des associations professionnelles et sectorielles comme le Comité 21 ou Entreprises pour l'environnement en France, ou BusinessEurope, l'Ipieca ou l'International Emissions Trading Association au niveau international). Certaines ONG semblent même s'être spécialisées dans l'octroi de badges supplémentaires à des cadres pétroliers sous l'étiquette « société civile » [30].

Emmanuel Macron s'était également rendu à Dubaï avec dans la délégation officielle des dirigeants d'autres entreprises du secteur des énergies fossiles (Jean-Pierre Clamadieu, président d'Engie), des banquiers comptant parmi les principaux financeurs des hydrocarbures (le président France de JP Morgan Chase), des secteurs fortement émetteurs (Rodolphe Saadé du transporteur maritime CMA-CGM), ainsi que des représentants d'EDF, Veolia et Danone [31].

Les informations relatives aux délégations à la COP29 ne sont pas encore disponibles (11 novembre, 12h).


[1] Energy Efficiency Policy in Azerbaijan : a Roadmap', International Energy Agency, juin 2024, p. 6. https://iea.blob.core.windows. net/assets/f3452765-ade4-4a2a-8316-e8bde4c5ea3d/Ener- gyEfficiencyRoadmapforAzerbaijan.pdf.

[2] Urgewald et CEE Bankwatch (2024), « SOCAR - Azerbaijan's Fossil Fuel Proxy », https://www.urgewald.org/sites/default/files/media-files/urgewald_Report_SOCAR_2024.pdf. On rappellera que le gisement d'Apchéron dont TotalEnergies détient 35% a été mis en service en juillet 2023.

[3] Source : BP.

[4] La première explication provient des déclarations du représentant de TotalEnergies devant la mission d'information parlementaire sur les relations économiques entre la France et l'Azerbaïdjan. La seconde explication provient du communiqué de presse du groupe.

[5] Sur ce sujet globalement, lire le récent rapport de Transparency International (2024), « COP co-opted ? How corruption and undue influence threaten multilateral climate action ».

[7] 1. Laura Motet, « « Diplomatie du caviar » : les échanges de bons procédés entre l'Azerbaïdjan et les élus français », Le Monde, 5 septembre 2017. Laurent Richard, « Mon président est en voyage d'affaires », Cash Investigation, France Télévisions, septembre 2015.

[8] Voir ici et .

[10] Ces relations sont détaillées dans le rapport déjà cité de Transparency International (2024), « COP co-opted ? How corruption and undue influence threaten multilateral climate action ».

[11] Ibid.

[14] Source : TotalEnergies.

[15] Rapport de la mission d'information parlementaire sur les relations économiques entre la France et l'Azerbaïdjan

[16] Ibid.

[17] Source : TotalEnergies.

[18] Source : Ambassade de France.

[20] Audition dans le cadre de la mission d'information parlementaire sur les relations économiques franco-azerbaïdjanaises.

[21] Source : Engie.

[22] Source : Technip.

[23] Par exemple ici.

[24] Source : Technip.

[25] Pour ce paragraphe et les suivants, voir le rapport et les auditions de la Mission d'information parlementaire sur les relations économiques entre la France et l'Azerbaïdjan.

[26] Emmanuel Grynszpan et Faustine Vincent, « L'Azerbaïdjan menace de frapper la France au porte-monnaie », Le Monde, 19 janvier 2024.

[27] « Ainsi, s'agissant du contrat de Suez avec Azersu, la société publique d'eau et d'assainissement d'Azerbaïdjan, M. Stéphane Heddesheimer a affirmé que sa signature « s'est joué au niveau du président ». De même, le contrat d'achat de locomotive à Alstom a été, selon les termes de M. Philippe Delleur, « négocié avec les chemins de fer ou avec le métro de Bakou, qui sont des entités publiques, mais ces sujets sont trop importants pour ne pas remonter au Président de la République d'Azerbaïdjan. Les ministres sont évidemment partie prenante, mais ce genre de décision est centralisé. » ». Source : Mission d'information parlementaire sur les relations économiques entre la France et l'Azerbaïdjan.

[28] Emmanuel Grynszpan et Faustine Vincent, « L'Azerbaïdjan menace de frapper la France au porte-monnaie », Le Monde, 19 janvier 2024.

[31] Mickaël Correia, « Macron débarque à la COP28 avec des saboteurs climatiques », Mediapart, 30 novembre 2023.

12.11.2024 à 00:35

COP29 en Azerbaïdjan : malgré les critiques et malgré les tensions, une diplomatie française encore et toujours au service de TotalEnergies

Matisse de Rivières

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Enquête sur le secteur pétrolier et gazier en Azerbaïdjan et la place qu'y occupent TotalEnergies et d'autres entreprises françaises.

- COP29 : l'Azerbaïdjan, TotalEnergies et l'industrie fossile / , , , , , , ,
Texte intégral (4842 mots)

Comme en Ouganda et ailleurs, la diplomatie française s'est mobilisée pour faciliter les projets d'extraction de gaz de TotalEnergies en Azerbaïdjan. Un mélange de genre qui se reflète aussi dans la désignation d'un cadre de l'entreprise comme conseiller du commerce extérieur.

Emmanuel Macron ne se rendra pas à Bakou pour la 29e conférence des parties de la convention des Nations unies sur le climat, ou COP29. Une absence qui s'explique par l'accumulation des tensions qui se sont accumulées entre la France et l'Azerbaïdjan depuis quelques années, la première ayant résolument pris le parti de l'Arménie dans le conflit qui oppose les deux pays autour de la province du Haut-Karabakh. La diplomatie tricolore sera bien présente à la COP29 et entend continuer à y afficher ses ambitions et s'y faire le champion d'une action ambitieuse sur le climat [1].

En coulisses, cependant, une autre partition se joue. L'Azerbaïdjan, un pays sous la coupe d'un régime répressif et autocratique, est une source crucial de pétrole et – de plus en plus – de gaz pour l'Europe. Les entreprises françaises Engie et surtout TotalEnergies y ont des intérêts importants. Comme dans d'autres pays où le géant pétrogazier développe aujourd'hui des projets aussi stratégiques que controversés – l'Ouganda ou le Mozambique par exemple [2] -, les autorités françaises ont fait passer au second plan leurs engagements officiels pour le climat, la démocratie et les droits humains pour soutenir TotalEnergies et ses projets.

Après une offensive diplomatique qui a culminé avec la visite officielle de François Hollande en 2014 et la signature de précieux contrats, les services diplomatiques français à Bakou continuent de collaborer au quotidien avec les représentants de l'entreprise dans le pays, dans le cadre d'une confusion savamment entretenue entre l'intérêt de la France et celui de ses grandes entreprises. Au risque de faire apparaître une nouvelle fois les grands discours progressistes de la France sur la scène internationale comme de la pure hypocrisie – ce que ne manqueront pas de souligner ses adversaires comme, justement, le régime du président Ilham Aliyev.

Ruée sur le gaz azéri

Contrairement à l'Ouganda et au Mozambique, où la controverse fait encore rage sur les projets extractifs de TotalEnergies, qui pour sont certains encore en attente d'une validation définitive, c'est en 2016 qu'a été lancée officiellement l'exploitation du principal actif du groupe dans le pays : le gisement offshore d'Apchéron (ou Absheron) dans la mer Caspienne, dont il est l'opérateur et dont il possède 35% (les autres actionnaires étant les entreprises nationales azérie et émiratie Socar et Adnoc). La première phase du projet a été inaugurée en 2023 en présence du PDG Patrick Pouyanné et du président de l'Azerbaïdjan. Elle doit être suivie d'une seconde phase qui devrait voir sa production de gaz presque quadrupler [3].

Historiquement, c'est BP qui est le partenaire clé du régime azéri pour le développement de ses ressources pétrolières et gazières. La major britannique signe en 1996, après la fin de l'URSS, le « contrat du siècle » qui lui donne le contrôle du gisement pétrolier dit ACG dans la mer Caspienne. Elle récidive quelques années plus tard en s'assurant la part du lien du gisement gazier offshore géant de Shah Deniz, destiné aux consommateurs européens. C'est en 2011, avec la découverte du gisement d'Apchéron (dont Engie détient alors une partie, de même que l'entreprise nationale azérie Socar), que TotalEnergies voit s'ouvrir une opportunité qui engage les relations diplomatiques entre la France et l'Azerbaïdjan sur une nouvelle voie. « Cette découverte s'annonce très significative en termes de ressources », déclare alors Marc Blaizot, son directeur Exploration.

Pour obtenir ses droits d'entrées dans un pays qui est le pré carré de BP, TotalEnergies a besoin du soutien de la France au plus haut niveau. La signature du contrat de partage de la production (production-sharing agreement en anglais, ou PSA) nécessite de longues négociations avec la compagnie nationale azerbaïdjanaise de pétrole et de gaz Socar, sous le contrôle direct du président et de son clan. Comme le soulignera Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de TotalEnergies, en explique les rouages [4] : « Un PSA est un contrat passé entre la co-entreprise (joint venture) – en l'occurrence Total, Engie et SOCAR – et l'État, sachant que SOCAR est présente de part et d'autre puisqu'elle est notre partenaire mais qu'elle exerce aussi la fonction de régulateur et qu'elle est de surcroît une société d'État à qui il arrive de signer des contrats en lieu et place de l'État, d'où un risque de conflit entre ses différentes branches. » Dans cet écheveau où les intérêts économiques et politiques de Socar, du gouvernement azerbaïdjanais et du clan d'Ilham Aliyev sont virtuellement indiscernables, l'appui de l'État français est indispensable.

La visite présidentielle de François Hollande en 2014 en Azerbaïdjan, avec un accent fort sur le développement des liens économiques de la France avec le pays, est le point d'orgue de cette offensive diplomatique. Le chef de l'État est accompagné d'une délégation d'une trentaine de dirigeants d'entreprises tricolores, dans le cadre du premier forum économique franco-azerbaïdjanais. Il érige explicitement en priorité la mise en exploitation du gisement gazier découvert par TotalEnergies : « C'est pourquoi j'ai invité les entreprises françaises de ce secteur, déjà présentes depuis des années, à aller encore plus loin avec vous. Je pense notamment au nouveau champ d'Absheron où Total et GDF Suez sont parties prenantes [5] »

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Diplomatie du caviar

Selon une enquête de Cash Investigation de 2015, la visite de François Hollande a permis la signature de onze contrats pour une valeur de 2 milliards d'euros. Le magazine d'investigation de France Télévisions met en lumière à cette occasion les réseaux d'influence tissés en France par le régime d'Ilham Aliyev, en citant notamment le député Thierry Mariani, l'ex ministre Jean-Marie Bockel et l'actuelle ministre de la Culture Rachida Dati, alors députée européenne. En 2011, celle-ci a organisé au musée Rodin une soirée de prestige intitulée « L'Azerbaïdjan : un partenaire stratégique pour la sécurité énergétique en Europe », financée par la fondation Heydar Aliyev (du nom de l'ancien président et père du président actuel). En plus de son mandat au Parlement européen, elle continue à exercer la profession d'avocat et est accusée de recevoir de généreux émoluments de GDF Suez (lire notre article Rachida Dati, GDF Suez et l'Azerbaïdjan : quand le Parlement européen se penche sur les conflits d'intérêts en son sein). GDF Suez qui signe en 2013 un important contrat d'approvisionnement avec le consortium du gisement de Shah Deniz, faisant de l'entreprise française l'un des principaux revendeurs du gaz azéri sur le vieux continent.

La France n'est pas la seule à se rapprocher alors de l'Azerbaïdjan. C'est toute l'Europe qui, sous prétexte de réduire sa dépendance à la Russie (c'est l'époque de la première guerre en Ukraine), choisit de fermer les yeux sur le passif du régime en matière de démocratie, de droits humains et de répression des opposants. Les autorités européennes soutiennent la construction d'un immense gazoduc destiné à transporter le gaz de la mer Caspienne vers la Grèce et l'Italie (lire notre enquête De la mer Caspienne à la Méditerranée, un projet de gazoduc géant symbolise les reniements de l'Europe). Les dirigeants azéris savent s'assurer de nombreux soutiens à travers le vieux continent en distribuant les faveurs dans le cadre de ce qui est alors qualifié de « diplomatie du caviar ». Les voyages, invitations à des réceptions et petits cadeaux font parfois la place à des pots-de-vin purs et simples. Les révélations de journalistes d'investigation – comme le scandale de la « lessiveuse azerbaïdjanaise » de l'OCCRP relayé en France par Le Monde – et les enquêtes d'agence anti-corruption mèneront à la condamnation ou à la mise en examen de plusieurs responsables politiques en Italie et en Allemagne.

En France, les réactions politiques se limitent à la mise en place en 2016-2017 d'une mission d'information parlementaire au mandat inoffensif, puisqu'on lui demande simplement de se pencher d'une manière générale sur les relations économiques entre la France et l'Azerbaïdjan [6]. Son rapporteur confirme néanmoins le rôle important joué par les autorités françaises au plus haut nioveau dans la conclusion du contrat d'Apchéron : « Plusieurs des personnes que nous avons entendues nous ont indiqué que les relations bilatérales entre la France et l'Azerbaïdjan, concrétisées notamment par la visite du Président de la République sur place, avaient joué un rôle déterminant dans la négociation des contrats ». L'ambassade de France à Bakou continuera d'ailleurs d'afficher publiquement son soutien à TotalEnergies et au projet Apchéron.

Conflit d'intérêt institutionnalisé

C'est aussi à l'occasion de la visite de François Hollande en 2014 que se mettent en place les différentes pièces qui continuent jusque à ce jour de structurer les relations économiques entre la France et l'Azerbaïdjan, et au centre desquelles on retrouve immanquablement TotalEnergies. Emmanuel de Guillebon, le patron du groupe pétrogazier dans le pays caucasien, est ainsi membre du conseil de la Chambre de commerce et d'industrie franco-azerbaïdjanaise (CCIAF) fondée en 2014 en présence d'Ilham Aliyev et de François Hollande. L'ancien ambassadeur français Zacharie Gross, ambassadeur de France en Azerbaidjan entre 2019 et 2022, a décrit la CCIAF comme un « lieu de dialogue régulier » entre entreprises et décideurs politiques, soulignant l'importance de cette structure, qui coordonne étroitement son action avec le service économique de l'ambassade, dans les échanges franco-azerbaïdjanais [7]. Elle compte parmi ses membres fondateurs figurent la Socar), le Fonds pétrolier d'État d'Azerbaïdjan (Sofaz), GDF Suez (aujourd'hui Engie), Société générale (l'un des principaux financeurs du gazoduc Azerbaïdjan-Europe) et TotalEnergies. Une surreprésentation du secteur des énergies fossiles qui en dit long sur les vraies priorités de la France dans le pays.

Outre son rôle au sein de TotalEnergies et sa présence au conseil de la CCIAF, Emmanuel de Guillebon occupe une poste de nature encore plus officielle : celui de Conseiller du commerce extérieur de la France (CCE) de la France en Azerbaïdjan. Les CCE sont des volontaires nommés par le Premier ministre sur proposition du ministre chargé du Commerce extérieur, après avis d'une commission consultative comprenant des ministres et des représentants institutionnels [8]. Les candidats à ces fonctions, lorsqu'ils opèrent à l'étranger, sont recommandés par les chefs de service économique des ambassades de France, sous réserve de l'avis de l'ambassadeur. Dans le cadre de leurs fonctions, les conseillers du commerce extérieur participent à divers conseils stratégiques, apportent leurs analyses et recommandations aux pouvoirs publics sur des problématiques liées aux échanges internationaux ou à leurs marchés spécifiques. Un rôle qui fait fi des conflits d'intérêts potentiels et qui – comme l'illustre le cas du patron de Total en Azerbaïdjan – soulève des questions sur l'indépendance de la diplomatie économique française.

La visite présidentielle de 2014 lance également la coopération bilatérale dans le domaine de l'enseignement supérieur, avec la naissance à Bakou de l'Université franco-azerbaïdjanaise (UFAZ), majoritairement financée par des fonds publics azerbaïdjanais. Comme le résume Eckhart Hötzel, responsable du projet pour l'Université de Strasbourg, « l'Azerbaïdjan paye à prix fort de nombreux spécialistes étrangers. Le pays souhaite (...) bénéficier d'une expertise française pour former ses propres spécialistes dans des domaines stratégiques tels que l'industrie pétrolière ». Dans la foulée de sa création, TotalEnergies signe avec l'UFAZ une première convention dont est également partie prenante le Quai d'Orsay. Ce partenariat inclut des bourses cofinancées par le groupe pétrlgazier et l'ambassade pour les étudiants de l'UFAZ, dans le but de former une nouvelle génération de professionnels dans le secteur énergétique. L'ambassade de France se fait volontiers le relais de cette initiative [9].

C'est précisément à l'époque de la visite de François Hollande en Azerbaidjan que Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, formalise la doctrine française de la « diplomatie économique » [10]. Son ministère prend sous sa tutelle le commerce extérieur et le tourisme. Les ambassadeurs reçoivent pour mission explicite d'accompagner l'action des entreprises françaises à l'étranger, et une nouvelle direction dédiée est créée au sein du Ministère. L'une de ses premières directrices sera d'ailleurs une haute fonctionnaire passée quelques années par TotalEnergies, Hélène Dantoine (lire notre enquête Comment l'État français fait le jeu de Total en Ouganda).

Le successeur de Laurent Fabius Jean-Yves Le Drian expliquera ainsi tranquillement devant la commission d'enquête sénatoriale de 2024 sur les relations entre l'Etat français et TotalEnergies que « la diplomatie économique consiste à mettre nos réseaux, nos leviers d'action et notre capacité d'influence au service des entreprises et de nos intérêts économiques ». Laurence Tubiana, directrice de la Fondation européenne pour le climat et l'une des architectes de l'accord de Paris, souligne qu'il est « habituel d'emmener les acteurs économiques lors des visites diplomatiques, mais il y a un moment où effectivement cela pose problème lorsque l'on emmène des acteurs pétroliers », soulignant un manque de « cohérence » de la diplomatie française [11], qui affiche l'objectif d'une sortie internationale des énergies fossiles tout en se mettant au service de TotalEnergies. D'après une enquête de Mediapart, environ une ambassade française sur trois – soit 52 sur 168 – aurait relayé d'une manière ou d'une autre les intérêts du groupe pétrogazier depuis 2021.

Les affaires continuent

La guerre de 44 jours entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, survenue en 2020, se solde par la victoire militaire du second, qui prend le contrôle de la région du Haut-Karabakh, enclave peuplée majoritairement d'Arméniens, et en expulse la population. C'est un tournant pour la diplomatie française, qui prend ouvertement et unilatéralement parti pour l'Arménie, suscitant à Bakou des menaces de rétorsions commerciales. Les relations se dégradent encore à partir de 2023 avec la signature de contrats de coopération dans le domaine militaire entre l'Hexagone et l'Arménie. Le 4 décembre 2023, Martin Ryan, un homme d'affaires français, est arrêté en Azerbaïdjan pour des accusations d'espionnage, une détention que Paris a qualifiée « d'arbitraire ». L'Azerbaïdjan expulse deux diplomates français le 26 décembre 2023, accusés d'activités « incompatibles avec leur statut », ce à quoi la France a répondu le lendemain en expulsant deux diplomates azerbaïdjanais « par mesure de réciprocité ». Les tensions s'accroissent encore avec la condamnation de Théo Clerc, un autre Français, à trois ans de prison pour un graffiti dans le métro de Bakou, une peine que Paris a dénoncée comme « arbitraire et ouvertement discriminatoire » [12]. L'Azerbaïdjan est accusé par les autorités françaises d'attiser la révolte – provoquée par les choix d'Emmanuel Macron – en Nouvelle-Calédonie et dans les Antilles françaises, voire de mener une campagne de manipulation de l'information visant à nuire à la réputation de la France avant les Jeux olympiques de 2024.

Dans ce contexte, la position de TotalEnergies dans le pays attire l'attention. Dans le cadre de la commission d'enquête sur TotalEnergies, Yannick Jadot, sénateur écologiste, adresse ses reproches à Patrick Pouyanné : « Cette commission d'enquête est née pour des raisons climatiques et de politique étrangère. Quelques jours avant l'épuration ethnique organisée par le président de l'Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh contre les Arméniens, vous étiez à Bakou pour ouvrir un champ gazier [celui d'Apchéron]. » « Ne nous demandez pas de faire la morale à la place des pouvoirs publics. Si l'Union européenne et les Nations unies décident de sanctions contre l'Azerbaïdjan, nous les appliquerons. Mais je ne vois pas en quoi, aujourd'hui, nous devrions renoncer à cette production de gaz », lui répond le PDG [13].

Rencontre entre Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, et le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev, le 13 mars 2017. Source : Azertac

La situation de TotalEnergies en Azerbaïdjan ne peut que rappeler le précédent de ses investissements en Russie. Le groupe pétrogazier français a beaucoup misé sur le pétrole et le gaz russe pour son développement, nouant des liens étroits avec des oligarques proches du Kremlin – un choix qui s'est retrouvé progressivement en contradiction avec la politique française et plus largement occidentale. Même après l'annexion de la Crimée en 2014 et les sanctions qui s'en sont suivies, TotalEnergies a maintenu ses investissements en Russie, avec le soutien financier et diplomatique du gouvernement français (lire notre enquête Total dans l'Arctique russe). Lors d'une rencontre avec Vladimir Poutine quelque mois après l'annexion, Patrick Pouyanné déclare : « Total est une entreprise privée, mais c'est aussi une des plus grandes entreprises françaises, et donc d'une certaine manière elle représente le pays. Vous pouvez compter sur moi pour faire mon possible afin d'influencer les relations entre nos deux pays. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir. »

Qu'en est-il aujourd'hui en Azerbaïdjan ? La diplomatie française y fait profil bas, tout en maintenant son appui discret au géant pétrogazier en attendant – peut-être - des jours meilleurs. Les dirigeants économiques et politiques français sont d'autant plus soucieux de garder une part du gâteau azerbaïdjanais que le pays est aussi une tête de pont stratégique et un hub qui leur ouvre accès à d'autres pays du pourtour de la mer Caspienne, comme le Kazakhstan et le Turkménistan, dans les eaux territoriales abritent elles aussi du gaz et où TotalEnergies est également présent avec le soutien discret des ambassades françaises. Une chose est sûre en tout cas : les compromissions et les ambiguïtés de la diplomatie tricolore ne pourront que nuire aux messages forts qu'elle prétend vouloir faire passer dans le cadre de la COP29.

Matisse de Rivières, avec l'appui d'Olivier Petitjean


Photo : Dragon Oil, cc-by-sa via Wikimedia Commons


[1] Voir la page dédiée du ministère de l'Ecologie.

[2] Lire nos articles ici et .

[4] Voir le rapport de la mission d'information parlementaire de 2016-2017 sur les relations économiques entre la France et l'Azerbaïdjan.

[5] Source : Vie-publique.fr.

[6] Voir son rapport.

[7] Source : Azernews.

[8] Plus d'informations ici.

[9] Voir par exemple ici.

[10] Sur ce sujet, voir cet article.

[11] Source : Le Monde.

[12] Voir ici.

[13] Un enregistrement vidéo de cette rencontre est disponible ici.

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