05.11.2024 à 09:08
Olivier Petitjean
Le « Project 2025 », un document de 900 pages porté par la Heritage Foundation, se veut un programme clé en main pour un éventuel second mandat de Donald Trump. Les propositions extrémistes en matière de migration, de climat ou de droits sexuels y côtoient des mesures taillées pour les intérêts de certaines industries. Devenu un épouvantail brandi par les démocrates durant la campagne, le document n'en révèle pas moins ce que pense et ce que veut une grande partie de la droite américaine (…)
- Actualités / États-Unis, normes et régulationsLe « Project 2025 », un document de 900 pages porté par la Heritage Foundation, se veut un programme clé en main pour un éventuel second mandat de Donald Trump. Les propositions extrémistes en matière de migration, de climat ou de droits sexuels y côtoient des mesures taillées pour les intérêts de certaines industries. Devenu un épouvantail brandi par les démocrates durant la campagne, le document n'en révèle pas moins ce que pense et ce que veut une grande partie de la droite américaine aujourd'hui.
Si, au soir du mardi 5 novembre 2024, Donald Trump était élu pour un nouveau mandat à la tête des États-Unis, à quoi ressemblerait concrètement sa seconde présidence ? Un document cristallise depuis plusieurs mois l'attention des médias et est devenu une cible de choix pour Kamala Harris et les démocrates : le « Project 2025 », aussi intitulé Mandate for Leadership (« Mandat de direction »), censé offrir une feuille de route au candidat républicain en cas de succès électoral.
Concocté par des dizaines d'organisations conservatrices coordonnées par la Heritage Foundation [1], un partenaire historique du réseau Atlas dont nous avons révélé les activités et les relais en France et en Europe dans notre enquête de mai dernier, ce document de plus de 900 pages est directement inspiré par une autre publication portant le même titre, publié début 1981 après l'élection de Ronald Reagan. Plusieurs des mesures qui y étaient proposées avaient été mises en œuvre au cours des deux mandats de ce dernier, contribuant à engager les États-Unis et le monde dans la révolution néolibérale.
Dans son nouvel avatar, le Mandate for Leadership se donne pour objectif, selon les termes de Kevin Roberts, le dirigeant de Heritage, d'« institutionnaliser le trumpisme » – autrement dit de proposer un programme cohérent derrière lequel pourrait se ranger toutes les nuances de la droite ultraconservatrice américaine, et une méthode pour mettre en œuvre rapidement et efficacement ce programme, par contraste avec le chaos qui a présidé au premier mandat de Donald Trump. « Project 2025 », florilège de propositions politiques extrémistes dans le domaine des migrations, des droits sexuels ou encore du climat, se distingue aussi par son caractère extrêmement détaillé et par la connaissance intime qu'il reflète des rouages de l'administration. L'un des aspects qui a le plus retenu l'attention est sa suggestion de démanteler une grande partie des ministères et des agences publiques existantes, à commencer par celles qui sont chargées de l'environnement et du climat, et de licencier en masse les fonctionnaires fédéraux pour les remplacer par des loyalistes formés et triés sur le volet. Le média américain Propublica a divulgué des enregistrements vidéo de ces sessions de formation. On y entend par exemple quelqu'un suggérer d'éradiquer toute mention du changement climatique dans les documents officiels.
C'est en avril 2023 que le « Project 2025 » a été rendu public. Dans un premier temps, l'opération a été un succès, Heritage réunissant à rallier derrière elle plusieurs dizaines de groupes de la droite et de l'extrême-droite américaine, depuis des libertariens jusqu'à des populistes trumpiens en passant par des groupes religieux ultraconservateurs. Le stratégiste Steve Bannon a proposé le nom de Kevin Roberts pour être le chef de cabinet de Donald Trump à la Maison-Blanche. Le même Kevin Roberts a promis solennellement une « deuxième révolution américaine » qui se déroulerait « sans effusion de sang, si la gauche le permet ».
Peut-être la Heritage Foundation aurait-elle mieux fait d'adopter la même stratégie qu'en 1981, en attendant après l'élection pour dévoiler les mesures souvent impopulaires qu'elle proposait de mettre en œuvre. Avec ses excès et ses propositions extrémistes, le Project 2025 s'est transformé en pain bénit pour les démocrates, qui n'ont pas manqué une occasion de le mettre en avant dans leurs discours et dans leurs spots télévisés de campagne. Donald Trump et les autres dirigeants républicains se sont publiquement distancés de ce qui était devenu un fardeau dans l'opinion, affirmant n'avoir aucun lien avec Heritage et avec Project 2025. Ce qui est faux : de nombreux anciens cadres de l'administration Trump (140 selon un décompte de CNN) et des conseillers proches de l'ancien président comme John McEntee ont directement participé à son élaboration. L'un des auteurs clés du Project 2025 a été filmé en train de confirmer le soutien de Trump à l'entreprise.
L'attention portée au « Project 2025 » et à la Heritage Foundation a suscité une floraison d'investigations de la part de médias et d'organisations de la société civile américaines, qui permettent de lever en partie le voile sur leurs soutiens et leurs alliés dans le monde économique. Le budget de l'opération – y compris la formation de loyalistes pour prendre les rênes de l'administration – a été estimé à 22 millions de dollars. Impossible de savoir exactement d'où vient cet argent faute de transparence. Une partie semble avoir été apportée par des grandes fortunes à travers des structures de financement coordonné dont certaines sont liées à l'activiste conservateur Leonard Leo. Parmi les entreprises qui ont contribué à ces fonds ou bien ont financé des groupes directement impliqués dans le « Project 2025 », on trouve les frères Koch, des acteurs financiers comme Fidelity ou Vanguard, ou encore des compagnies pétrolières comme Pioneer ou Shell [2].
Les liens avec les grandes entreprises ne sont pas seulement financiers. De nombreux lobbyistes attitrés de multinationales américaines comme Meta (Facebook), Verizon, Amazon, Ford ou General Motors sont cités parmi les rédacteurs du projet, selon l'analyse d'Accountable.us. Dans quelle mesure ont-ils défendu des positions personnelles ou fait valoir celles de leurs éminents clients, la question reste ouverte.
L'attitude du secteur pharmaceutique illustre ces ambiguïtés. Le rédacteur officiel du chapitre santé de « Project 2025 » est Roger Severino, issu de la droite religieuse, qui a été à la tête du Département pour les services de santé et humains (HHS) sous Trump. Parmi les autres contributeurs, on trouve aussi divers représentants de petites entreprises spécialisées dans l'assurance maladie ou les technologies médicales – mais pas de grande multinationale du secteur. PhRMA, le lobby regroupant tous les géants du secteur, aujourd'hui dirigé par un triumvirat regroupant Daniel O'Day de Gilead, Albert Bourla de Pfizer et Paul Hudson de Sanofi, a néanmoins financé Heritage Foundation et plusieurs des autres groupes et think tanks derrière le « Project 2025 » à hauteur de 530 000 dollars, selon le décompte de l'ONG Accountable.us. Un soutien qui pourrait expliquer que le Project 2025 prévoit d'annuler la réforme introduite en 2022 qui autorise enfin le programme fédéral Medicare à négocier le prix des médicaments avec les laboratoires au lieu de les accepter passivement comme elle y était obligée auparavant – ce qui explique que ledit prix des médicaments soit considérablement plus élevé aux États-Unis que dans le reste du monde. Presque personne, même parmi les républicains, ne souhaite revenir sur cette décision. Cette mesure qui ne plaît qu'à l'industrie pharmaceutique se trouve mêlée dans le chapitre « Santé » à des propositions comme l'interdiction de toute forme d'avortement et l'abandon de toute mesure de protection vis-à-vis des personnes LGBTQ+.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donLes républicains ont tout fait pour minimiser l'importance du « Project 2025 » et s'en distancer. Mais il n'en reflète pas moins ce que pense et ce que veut aujourd'hui une bonne partie de la droite américaine. En cas de victoire de Donald Trump, ou bien même seulement si les républicains préservent leur majorité à la Chambre des représentants ou conquièrent le Sénat, ses propositions seront bien à l'ordre du jour. Et une partie du monde des affaires applaudira plus ou moins discrètement.
La Heritage Foundation n'était au reste pas la seule à préparer à second mandat Trump. Elon Musk, qui s'est illustré ces dernières semaines par son soutien de plus en plus actif à l'ancien président, est pressenti pour prendre la tête d'une commission chargée de rendre le gouvernement fédéral plus « efficient » en réduisant drastiquement la taille de l'administration fédérale et en procédant à des coupes claires dans les régulations. Un programme qui correspond avec ses intérêts personnels – ses entreprises sont sous le coup de plusieurs procédures initiées par des agences fédérales – mais qui est aussi parfaitement aligné avec la vision du monde d'une droite américaine bien décidée à en finir avec « l'Etat administratif ».
Plus discrètement, mais de manière sans doute plus influente, un autre think tank créé au lendemain de la défaite de Trump en 2020 par des proches, l'American First Policy Institute, semble destiné à jouer un rôle de premier plan dans l'éventuelle future administration du milliardaire. Sa présidente Linda McMahon a d'ailleurs été désignée co-leader de l'équipe qui serait chargée de mener la transition. L'American First Policy Institute, qui affichait en 2022 un budget de 23,6 millions de dollars mais ne divulgue pas le nom de ses donateurs, a lui aussi élaboré une feuille de route, sur laquelle il est beaucoup plus avare de détails que Heritage. Mais les grandes lignes – le démantèlement de l'administration fédérale, l'abandon des politiques climatiques, le soutien aux revendications des groupes religieux – restent les mêmes.
Olivier Petitjean
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Image de une : DonkeyHotey cc by-sa
04.11.2024 à 13:51
C'est le montant total des amendes infligées depuis 2010 à des multinationales par les autorités de 45 pays pour des infractions sociales, environnementales ou économiques, selon une nouvelle base de données.
- Chiffres / BNP Paribas, Volkswagen, BPCE, Veolia, TotalEnergies, JP Morgan Chase, Bank of America, normes et régulations, crimes et délits économiques700 milliards de dollars. C'est le montant total des amendes infligées depuis 2010 à des multinationales par les autorités de 45 pays pour des infractions sociales, environnementales ou économiques, selon une nouvelle base de données mise en ligne par l'ONG américaine Good Jobs First.
« Violation Tracker Global » est l'extension d'une base de données qui existe depuis plus de dix ans aux États-Unis (où ces informations sont plus facilement disponibles). Elle regroupe les informations divulguées par les autorités en charge du recouvrement des impôts, de la protection des consommateurs, de la police environnementale, des droits des travailleurs, de la concurrence ou encore de la lutte contre la corruption. Dans beaucoup de pays, ces données ne sont que partiellement publiques. Pour la France, par exemple, sont seulement prises en compte à ce stade, faute d'accès, les chiffres émanant de l'Autorité de la concurrence, de l'Autorité des marchés financiers, de l'ACPR, de la DGCCRF, de la CNIL et du Parquet national financier. Les délits environnementaux et sociaux sont donc hors absents.
Même avec ces limites, la base de données est riche en enseignements. Conséquence de la crise financière de 2008, les grandes banques occupent les toutes premières places du classement des amendes totales acquittées. Bank of America a ainsi payé 64 milliards de dollars d'amendes depuis 2010 pour 189 infractions, suivie par JP Morgan Chase avec 33 milliards de dollars d'amendes pour 179 infractions. Elles sont suivies par Volkswagen (à cause du Dieselgate) et BP (pour la catastrophe de Deepwater Horizon). La première entreprise française est BNP Paribas, en seizième position, avec plus de 10 milliards d'euros d'amendes payées. La toute récente amende de 30 milliards de dollars infligée par le Brésil à Vale et BHP pour la catastrophe minière de Samarco est également incluse.
Concernant les amendes acquittées en France, la première place revient à Alphabet, la maison mère de Google, principalement pour des infractions en matière de concurrence. Airbus est deuxième avec l'amende de plus de 2 milliards de dollars payée en 2020 pour solder une enquête pour corruption. Suivent UBS et McDonald's (pour leurs affaires fiscales) et Apple (pour des infractions fiscales et de concurrence).
Les données de Violation Tracker Global confirment la faiblesse relative des amendes infligées en matière environnementale ou pour des infractions au droit du travail par comparaison avec les amendes dans le domaine de la concurrence, de la fiscalité ou de la corruption. Parmi les groupes français, les industriels comme Air Liquide, Arkema, Saint-Gobain, TotalEnergies ou Veolia se distinguent par le nombre élevé de violations répertoriées (107 et 139 respectivement pour les deux derniers), mais les amendes totales acquittées se chiffrent seulement en dizaines de millions de dollars, très loin derrière les banques.
31.10.2024 à 15:54
Bienvenue dans la lettre d'information de l'Observatoire des multinationales.
N'hésitez pas à la faire circuler, et à nous envoyer des réactions, commentaires et informations.
Si elle vous a été transférée, vous pouvez vous abonner ici pour la recevoir directement dans votre boîte mail.
Bonne lecture
Les troublantes contributions financières de groupes français à la campagne électorale américaine
Le 5 novembre prochain a lieu aux États-Unis un scrutin qui décidera non seulement du (…)
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Bonne lecture
Le 5 novembre prochain a lieu aux États-Unis un scrutin qui décidera non seulement du nom du prochain locataire de la Maison Blanche, mais également de la majorité au Sénat et à la Chambre des Représentants.
Comme l'Observatoire des multinationales l'avait fait lors de scrutins précédents (voir Élections américaines : l'argent des entreprises françaises), nous nous sommes penchés sur les contributions financières à la campagne électorale émanant de filiales de groupes français aux États-Unis. Et l'exercice révèle quelques surprises.
Cette année encore, plusieurs groupes du CAC40 ont versé via leurs « political action committees » (ou « PACs) » de l'argent à des candidats au Sénat et à la Chambre. Beaucoup tendent à privilégier les républicains, et ils ont tous financé des candidats représentant l'aile la plus dure du parti, celle qui refuse toujours de reconnaître le résultat de l'élection présidentielle précédente, en 2020. Un déni qui avait mené à l'invasion du Capitole par une foule de supporters de Donald Trump.
C'est le cas notamment de Sanofi, ce qui n'est pas très étonnant tant les dirigeants de ce groupe le considèrent désormais comme américain plutôt que français (voir notre lettre précédente). Son PAC a déclaré à ce jour pour 409 000 dollars de contributions à des campagnes, en majorité pour des républicains. Il a par exemple donné 30 000 dollars chacun aux comités nationaux républicains pour le Sénat et le Congrès, et financé les campagnes de multiples candidats qui ont refusé de valider le résultat des élections de 2020.
D'autres noms sont plus inattendus. Plusieurs entreprises contrôlées totalement ou partiellement par l'État français – Airbus, Thales, Engie, Orano et EDF – ont ainsi contribué via leurs PACs aux campagnes de plusieurs candidats trumpistes.
Est-ce que les financements accordés par les PACs de groupes français comme Sanofi, Airbus ou EDF à des candidats républicains extrémistes vaut approbation de toutes leurs positions en matière de climat, de droits sexuels, de migration ou de recours à la violence politique ? Dans la plupart des cas, non. Le choix des bénéficiaires reflète surtout une bonne dose d'opportunisme et d'intérêts bien compris. Si Airbus se montre si généreux avec les candidats de l'Alabama et du Mississippi, deux États dominés par les républicains, cela tient évidemment à la localisation de sa seule usine aux États-Unis.
Mais ces contributions montrent précisément aussi que pour les industriels, quand il s'agit de faire des affaires, la frontière entre ce qui est démocratiquement acceptable et ce qui ne l'est pas n'existe pas.
Lire le détail de notre analyse : Campagne électorale américaine : les troublants financements d'Airbus, EDF et Sanofi.
700 milliards de dollars. C'est le montant total des amendes infligées depuis 2010 à des multinationales par les autorités de 45 pays pour des infractions sociales, environnementales ou économiques, selon une nouvelle base de données mise en ligne par l'ONG américaine Good Jobs First.
« Violation Tracker Global » est l'extension d'une base de données qui existe depuis plus de dix ans aux États-Unis (où ces informations sont plus facilement disponibles). Elle regroupe les informations divulguées par les autorités en charge du recouvrement des impôts, de la protection des consommateurs, de la police environnementale, des droits des travailleurs, de la concurrence ou encore de la lutte contre la corruption. Dans beaucoup de pays, ces données ne sont que partiellement publiques. Pour la France, par exemple, sont seulement prises en compte à ce stade, faute d'accès, les chiffres émanant de l'Autorité de la concurrence, de l'Autorité des marchés financiers, de l'ACPR, de la DGCCRF, de la CNIL et du Parquet national financier. Les délits environnementaux et sociaux sont donc hors absents.
Même avec ces limites, la base de données est riche en enseignements. Conséquence de la crise financière de 2008, les grandes banques occupent les toutes premières places du classement des amendes totales acquittées. Bank of America a ainsi payé 64 milliards de dollars d'amendes depuis 2010 pour 189 infractions, suivie par JP Morgan Chase avec 33 milliards de dollars d'amendes pour 179 infractions. Elles sont suivies par Volkswagen (à cause du Dieselgate) et BP (pour la catastrophe de Deepwater Horizon). La première entreprise française est BNP Paribas, en seizième position, avec plus de 10 milliards d'euros d'amendes payées. La toute récente amende de 30 milliards de dollars infligée par le Brésil à Vale et BHP pour la catastrophe minière de Samarco est également incluse.
Concernant les amendes acquittées en France, la première place revient à Alphabet, la maison mère de Google, principalement pour des infractions en matière de concurrence. Airbus est deuxième avec l'amende de plus de 2 milliards de dollars payée en 2020 pour solder une enquête pour corruption. Suivent UBS et McDonald's (pour leurs affaires fiscales) et Apple (pour des infractions fiscales et de concurrence).
Les données de Violation Tracker Global confirment la faiblesse relative des amendes infligées en matière environnementale ou pour des infractions au droit du travail par comparaison avec les amendes dans le domaine de la concurrence, de la fiscalité ou de la corruption. Parmi les groupes français, les industriels comme Air Liquide, Arkema, Saint-Gobain, TotalEnergies ou Veolia se distinguent par le nombre élevé de violations répertoriées (107 et 139 respectivement pour les deux derniers), mais les amendes totales acquittées se chiffrent seulement en dizaines de millions de dollars, très loin derrière les banques.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donDiplomatie économique. Emmanuel Macron était en visite officielle au Maroc pour sceller la réconciliation de la France avec le royaume chérifien. Une réconciliation placée sous le signe des espèces sonnantes et trébuchantes. Plusieurs contrats de grande envergure ont été signés à cette occasion, comme celui obtenu par Veolia pour construire une usine de dessalement de l'eau de mer, ou divers projets développés par EDF, Engie et TotalEnergies en partenariat avec des entreprises marocaines (dont plusieurs appartenant à la famille royale) pour des projets dans les énergies dites « bas carbone ». D'autres contrats ont été signés dans les secteurs ferroviaire (Engis et Alstom) et portuaire (CMA-CGM). Les PDG de toutes ces entreprises ont été conviés à faire partie de la délégation présidentielle. Cette pléthore de deals est la récompense accordée par le Maroc en échange de la reconnaissance surprise par Emmanuel Macron de la souveraineté du pays sur le Sahara occidental. Plusieurs entreprises françaises sont déjà actives dans ce territoire classé « non autonome » (autrement dit non décolonisé) par l'ONU et riche en ressources naturelles. Emmanuel Macron n'a pas caché son intention de pousser pour de nouveaux investissements français au Sahara occidental, en faisant fi du droit international.
Axa et BNP Paribas rattrapés par leurs financements israéliens. Depuis le début de l'offensive à Gaza, et désormais au Liban, tous les regards se tournent vers les liens qu'entretiennent des groupes français avec le complexe militaro-industriel israélien (lire l'article que nous avions consacré à cette question il y a quelques mois). Une autre forme de soutien attire désormais l'attention : celui apporté par des acteurs financiers à des entreprises israéliennes impliquées dans la guerre et dans les actes présumés de génocide auxquels elle donne lieu. L'ONG Eko a ainsi pointé du doigt Axa pour ses investissements substantiels de 150 millions de dollars dans plusieurs groupes d'armement du pays (lire leur rapport). De son côté, Action Justice Climat (ex Alternatiba Paris) a ciblé BNP Paribas pour son rôle dans l'émission d'obligations souveraines de l'Etat hébreu et ses liens avec l'entreprise de défense Elbit.
Esclavage moderne. Après le Qatar, l'Arabie saoudite. Après avoir contribué à mettre en lumière l'exploitation de la main d'oeuvre immigrée sur les chantiers de la Coupe du monde 2022, l'ONG Amnesty international se penche désormais vers les conditions de travail qui règnent chez le puissant voisin et y découvre des abus similaires en matière de droit humains au travail : recours à des travailleurs migrants recrutés par des agences de placement aux pratiques peu scrupuleuses, logement dans des conditions indécentes, journées à rallonge pour des salaires de misère, intimidation permanente. Comme au Qatar, les entreprises occidentales sont directement concernées. Après un précédent rapport sur les entrepôts Amazon, Amnesty pointe du doigt le groupe français Carrefour, très présent en Arabie saoudite à travers son accord de franchise avec le groupe émirati Majid Al Futtaim.
Formations ! Les formations de l'Observatoire des multinationales reprennent avec une session « Comment enquêter sur le lobbying à Paris et à Bruxelles » les 13 et 14 novembre à Paris (plus d'infos et inscription ici. Surtout, nous avons le plaisir d'organiser pour la première fois un stage à l'École des Vivants, qui aura lieu à La Zeste, dans les Alpes-de-Haute-Provence, à proximité de Sisteron du 11 au 15 décembre. Programme, informations utile et inscription sur le site de l'École des Vivants.
Cette lettre a été écrite par Olivier Petitjean.
31.10.2024 à 11:23
Olivier Petitjean
Des groupes français présents aux États-Unis ont financé, via leurs « political action committees », les campagnes électorales de candidats républicains représentant l'aile la plus dure du parti, dont beaucoup ont refusé de reconnaître les résultats de l'élection de 2020. Une liste dans laquelle on trouve des noms comme Pernod Ricard ou Sanofi, mais aussi des entreprises contrôlées par l'État français comme Airbus, Thales ou... EDF. Un signe de plus de la normalisation des politiques (…)
- Actualités / États-Unis, Sanofi, Pernod Ricard, EDF, Airbus, Thales, Engie, Air Liquide, Orano, pouvoir des entreprisesDes groupes français présents aux États-Unis ont financé, via leurs « political action committees », les campagnes électorales de candidats républicains représentant l'aile la plus dure du parti, dont beaucoup ont refusé de reconnaître les résultats de l'élection de 2020. Une liste dans laquelle on trouve des noms comme Pernod Ricard ou Sanofi, mais aussi des entreprises contrôlées par l'État français comme Airbus, Thales ou... EDF. Un signe de plus de la normalisation des politiques extrémistes au sein des milieux d'affaires ?
Le 5 novembre prochain a lieu aux États-Unis un scrutin qui décidera non seulement du nom du prochain locataire de la Maison Blanche, mais également de la majorité au Sénat et à la Chambre des Représentants.
La campagne qui s'achève a été ponctuée par les surenchères de Donald Trump dans les discours ouvertement racistes et misogynes et par des appels plus ou moins feutrés à la violence politique pour intimider ses adversaires, réveillant le spectre de l'attaque du Capitole le 6 janvier 2020 par des partisans de l'ancien président. La campagne a aussi été marquée par l'acceptation croissante de ce type de discours, désormais considérés et traités comme « normaux » par une partie importante des médias et de la population américaine.
L'attitude des milieux d'affaires reflète cette normalisation. Si une bonne partie de l'élite économique avait parié sur Hillary Clinton plutôt que sur Donald Trump en 2016, elle a très bien su s'accommoder de la politique mise en œuvre par ce dernier, notamment en matière de baisse des impôts. À l'inverse, les mesures prises par l'administration de Joe Biden pour tenter de rééquilibrer quelque peu le partage des richesses dans le pays, et son attitude plus agressive en matière de lutte contre les monopoles dans le numérique et au-delà, n'ont pas été de leur goût.
Si tous les soutiens traditionnels du parti démocrate n'ont pas été jusqu'à choisir ouvertement Trump, ils se sont largement détournés de Joe Biden, et son remplacement par Kamala Harris n'a que partiellement changé la situation. Les appuis de cette dernière, comme le milliardaire Mark Cuban, poussent à ce qu'elle revienne sur un positionnement plus centriste et « pro-business », avec pour risque d'aliéner une partie de l'électorat démocrate de gauche comme cela avait été le cas en 2016. Une bonne partie de l'establishment économique semble adopter une position de prudence et d'expectative, mettant sur le même plan les deux candidats. En témoigne la décision de Jeff Bezos, ancien patron d'Amazon, d'empêcher le Washington Post, dont il est aujourd'hui propriétaire, de soutenir officiellement la candidature de Kamala Harris, comme sa rédaction s'apprêtait à le faire.
Cette tiédeur ne donne que davantage de relief à l'activisme de certains soutiens de Donald Trump, à commencer par Elon Musk, le patron de Tesla, SpaceX et X (ex Twitter). En plus de mener ouvertement campagne en personne, le milliardaire finance les équipes de Donald Trump et des groupes menant des campagnes de désinformation dans les États clés du scrutin. En cas de succès du candidat républicain, Musk doit présider une commission chargée de rendre le gouvernement fédéral plus « efficient » - autrement dit d'effectuer des coupes claires dans les ministères et les agences et dans les régulations qu'elles sont chargées d'appliquer. Il aurait ainsi sous sa coupe des autorités publiques dont dépendent la fortune de ses entreprises (comme la Nasa) et d'autres avec lesquelles il est actuellement en conflit [1] Ce projet de dérégulation radicale rejoint celui qui est formulé dans le « Project 2025 » de la Heritage Foundation, membre du réseau Atlas, qui se veut le programme politique d'une future administration Trump (article à suivre).
Comme l'Observatoire des multinationales l'avait fait lors de scrutins précédents (voir Élections américaines : l'argent des entreprises françaises), nous nous sommes penchés sur les financements politiques des filiales de groupes français aux États-Unis, sur la base des données compilées par OpenSecrets [2]. Bien entendu, les sommes en jeu sont relativement modestes par rapport à celles qui ont été débloquées par les géants américains comme ExxonMobil ou Alphabet, la maison mère de Google. Il n'en reste pas moins que, même en se concentrant sur l'argent transitant par les « political action committees » (PACs), des entreprises françaises ont bien versé de l'argent à des candidats au Sénat ou à la Chambre des Représentants, en privilégiant souvent le camp républicain.
Dans de nombreux cas, ces financements ont même été à des hommes ou femmes politiques de la faction la plus extrémiste du parti, qui contestent encore aujourd'hui la légitimité du scrutin de 2020 et ont refusé d'en entériner officiellement les résultats. Alors que tout porte à croire que Donald Trump et ses partisans contesteront leur défaite si Kamala Harris était déclarée gagnante au soir du 5 novembre, ces candidats pourraient être amenés à jouer un rôle clé dans le sort de la démocratie américaine au cours des prochaines semaines.
Qui sont les groupes français concernés ? Celui qui arrive en tête de la liste ne devrait pas être une surprise tant il est désormais, au moins dans la tête de ses dirigeants, davantage américain que français : le géant de la pharmacie Sanofi. Son PAC a déclaré à ce jour pour 409 000 dollars de contributions à des campagnes électorales, en majorité pour des républicains. Il a par exemple donné 30 000 dollars chacun aux comités nationaux républicains pour le Sénat et le Congrès, et financé les campagnes de multiples candidats qui ont refusé de reconnaître le résultat des élections de 2020, comme John Joyce Lloyd Smucker, Guy Reschenthaler et Mike Kelly de Pennsylvanie, Buddy Carter en Géorgie, Jason Smith dans le Missouri, Richard Hudson et Greg Murphy en Caroline du Nord. Une orientation politique qui s'explique peut-être par la volonté affichée par Joe Biden et son administration de limiter le prix des médicaments dans le pays.
Une autre catégorie d'entreprises françaises, plus inattendue, se distingue également par ses financements politiques : les groupes à capitaux publics comme Airbus, EDF, Engie et Thales. Le premier, contrôlé conjointement par la France, l'Allemagne et l'Espagne, affiche 276 000 dollars de contributions, dans leur immense majorité en faveur de républicains. Selon l'organisation Donations and Democracy, le PAC d'Airbus US a soutenu pas moins de 28 candidats républicains qui ont voté contre l'approbation des résultats de l'élection de 2020. Sur les six candidats qui ont bénéficié de la somme maximale versée de 10 000 dollars, cinq ont refusé de reconnaître officiellement la défaite de Donald Trump.
Les political action commitees d'EDF aux États-Unis (où le groupe est présent à travers ses filiales Framatome et EDF renouvelables) ont versé 151 800 dollars de contributions, principalement pour des candidats démocrates. Mais on trouve néanmoins parmi les bénéficiaires de cette générosité des républicains alignés sur le déni électoral trumpiste comme Bob Good (Kansas) ou Ben Cline (Virginie), ainsi qu'un versement de 10 000 dollars au comité national républicain pour le Sénat.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donLe constat est le même chez Thales – qui affiche 54 500 dollars de financements politiques, à égalité entre républicains et démocrates, mais avec des bénéficiaires comme John Carter (Texas), Frank Lucas (Oklahoma), Guy Reschenthaler (Pennsylvanie) ou Scott Franklin (Floride) – ou Engie, avec 27 000 dollars de financements dont les bénéficiaires incluent Jason Smith (Missouri) et Jeff Duncan (Caroline du Sud). Dernier groupe concerné : Orano (ex Areva), dont le PAC déclare seulement 2500 dollars de dons, à Chuck Fleishmann du Tennessee, soutenu également par EDF, qui a lui aussi voté contre l'approbation du résultat des élections de 2020.
Hors de la sphère publique, un autre groupe français qui se distingue est Pernod Ricard avec près de 63 000 dollars de financements via son PAC, à 78% pour des républicains dont plusieurs ont refusé de reconnaître le résultat des élections de 2020 : Carol Miller (Virgine de l'Ouest), Jodey Arrington (Texas), Tom Cole (Oklahoma), Garret Graves (Louisiane). Idem dans une certaine mesure pour Air Liquide, dont le PAC déclare 21 000 dollars de financements, à 83% pour des républicains. Parmi les autres groupes du CAC40, seuls ArcelorMittal et TotalEnergies semblent avoir mis en place un PAC, pour des sommes négligeables [3]
Lorsqu'elles sont montrées du doigt pour ce type de contribution politique, les entreprises concernées se défendent généralement en faisant valoir qu'il ne s'agit pas de financements directs de leur part, mais de dons de leurs employés transitant par une structure certes liée à l'entreprise, mais indépendante d'elle. En réalité, la constitution d'un « political action committee » est décidée par l'entreprise, qui a le pouvoir de désigner les personnes qui décideront où iront les dons. Ce sont généralement les dirigeants de l'entreprise qui apportent les contributions financières. Les deux principaux donateurs au PAC d'EDF sont ainsi Tristan Grimbert, PDG de la filiale américaine, et Jim Peters, le vice-président en charge du financement des projets. Son trésorier est Virinder Singh, responsable des affaires législatives et de régulation – autrement dit lobbyiste en chef de l'entreprise à Washington.
Inversement, les contributions directes ne sont que l'une des manières pour une entreprise ou un homme d'affaires de peser sur des campagnes électorales. Les PACs ont en effet l'inconvénient d'être soumis à des obligations de transparence. Il est possible de contourner cet obstacle en faisant transiter l'argent par des structures plus opaques et en dirigeant l'essentiel des fonds vers des entités comme les « Super PACs ». Ces dernières, qui interviennent dans des campagnes mais sans lien formel avec un candidat, sont souvent utilisées pour les campagnes négatives ou de désinformation. Elles sont l'un des instruments d'influence privilégiés des milliardaires dans la politique américaine. Elon Musk a d'ailleurs créé le sien cette année. Une autre manière pour des entreprises de rester discrètes sur leurs soutiens est de faire transiter les financements via des associations sectorielles d'entreprises, comme PhRMA qui regroupe toutes les multinationales du médicament, dont évidemment Sanofi. PhRMA a déclaré à ce stade 550 000 dollars de contributions financières pour la campagne 2024 et a également financé la Heritage Foundation, l'organisation derrière le Project 2025.
Est-ce que les financements accordés par les PACs de groupes français comme Sanofi, Airbus ou EDF à des candidats républicains extrémistes vaut approbation de toutes leurs positions en matière de climat, de droits sexuels, de migration ou de recours à la violence politique ? Dans la plupart des cas, non. Le choix des bénéficiaires reflète surtout une bonne dose d'opportunisme et d'intérêts bien compris. Si Airbus se montre si généreux avec les candidats de l'Alabama et du Mississippi, deux États dominés par les républicains, cela tient évidemment à la localisation de sa seule usine dans le pays. Mais ces contributions montrent précisément aussi que pour les industriels, quand il s'agit de continuer à faire des affaires, la frontière entre ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas n'existe pas.
Olivier Petitjean
[1] Voir le bilan des relations entre Elon Musk et les agences fédérales dans cet article du New York Times.
[2] Voir le site opensecrets.org, qui compile les déclarations de dépenses électorales. Les données ont été consultées le 30 octobre. Le site compile les contributions individuelles émanant de personnes déclarant une entreprise comme employeur et les contributions émanant des PACs liés à cette entreprise. Nous nous concentrons ici seulement sur l'argent transitant par les PACs.
[3] Un autre groupe du CAC40 contribuait auparavant de manière significative aux campagnes électorales américaines : Axa. Mais il n'apparaît plus dans les données du fait de la scission de sa principale filiale dans le pays, Equitable.