30.01.2025 à 12:41
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Avec cette livraison, nous vous annonçons une grande nouvelle : notre site web s'étoffe et s'enrichit ! Nous lançons des nouvelles rubriques « à chaud » où vous trouverez plus d'actualités, plus d'informations sur les agissements des grandes entreprises françaises, plus de chiffres, plus d'infographies et plus de contrepoints à leur comm' et à leurs arguments bidon.
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Bonne lecture
En 2019, 2020, 2021 et 2023, TotalEnergies n'a pas payé d'impôt sur les sociétés en France (et a même parfois touché de l'argent du fisc)
Raison invoquée ? Les activités françaises ne sont pas profitables et « TotalEnergies paie ses impôts là où le groupe extrait du pétrole et du gaz ».
Pour inaugurer notre nouvelle rubrique « Debunk », on est allé y regarder de plus près.
Cette plongée dans les documents du groupe livre quelques éléments de réponse.
D'abord, certes, TotalEnergies paie effectivement une grande partie de son impôt sur les sociétés dans les pays où il extrait du pétrole et du gaz, mais à des degrés très variables (et surtout en Norvège et au Royaume-Uni, assez peu dans les pays d'Afrique).
La localisation des bénéfices et donc des impôts acquittés reste cependant difficile à tracer du fait de la structuration du groupe.
Ensuite, le groupe réalise aussi des profits substantiels sur d'autres activités, notamment le négoce. Les deux filiales de trading du groupe, dont les salariés n'ont probablement jamais vu un puits de pétrole ou de gaz, représentent 30% des bénéfices de TotalEnergies en 2023. Elles sont basées en Suisse, et on ne sait pas combien d'impôt sur les sociétés elles ont versé.
TotalEnergies paie également beaucoup plus d'impôts en Allemagne qu'en France (600 millions d'euros pour être précis), alors que – sauf erreur de notre part – ce n'est pas un pays majeur d'extraction de pétrole et de gaz.
Conclusion : la France apparaît clairement mal lotie, du fait des arbitrages financiers et des décisions des dirigeants de TotalEnergies, et leurs explications sur le manque de compétitivité du raffinage français paraissent bien hypocrites.
Lire l'article : Est-il vrai que « TotalEnergies paie ses impôts là où le groupe extrait du pétrole et du gaz » ?.
Dans le livre Le coup d'État silencieux. Comment les entreprises ont renversé la démocratie, paru en anglais en 2023 et traduit en français par les Editions critiques, les journalistes Matt Kennard et Claire Provost parcourent le monde pour montrer comment les multinationales ont imposé en quelques décennies leur pouvoir aux dépens des Etats – en commençant par les pays du Sud de la planète.
Tribunaux arbitraux permettant de poursuivre les gouvernements en justice, privatisation de l'aide au développement pour servir des grands projets lucratifs aux dépens des populations locales, zones économiques spéciales où les règles communes ne s'appliquent plus, agents de sécurité privés... Le livre – pour lequel Matt Kennard et Claire Provost ont été récompensés d'un prix éthique décerné par l'association Anticor à l'occasion de sa 17e cérémonie annuelle – dépeint un monde où la souveraineté des Etats a été grignotée, neutralisée, et finalement mise au service des intérêts privés. Un monde qui est le nôtre.
Dans cet entretien avec Matt Kennard, réalisé à l'occasion de son passage à Paris pour recevoir son prix, il est notamment du question du rôle des médias et pourquoi ils parlent si peu de ce « vrai monde caché » que décrit le livre, pour reprendre une expression de Noam Chomsky à son propos.
À lire ici : « L'élection de Trump est la conclusion logique du coup d'État silencieux que nous racontons dans notre livre ».
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Soutenez l'ODMRetrouvez-nous à Paris pour le lancement du livre Multinationales. Une histoire du monde contemporain. Dans deux semaines paraîtra aux éditions La Découverte un livre collectif sur les multinationales et leur histoire, publié en partenariat avec l'Observatoire des multinationales et Basta !, à la fois fresque historique et généalogie critique du monde d'aujourd'hui. À cette occasion, nous organisons une soirée-débat en présence d'auteurs et d'autrices du livre ainsi que de Sophie Binet et Lucie Pinson. Informations et inscriptions ici.
La France, championne de la dérégulation à Bruxelles. Prenant prétexte de l'élection de Donald Trump et de ses menaces de guerre commerciale, le gouvernement français a remis à l'ordre du jour à Bruxelles toute une série de vieilles revendications patronales. En ligne de mire, notamment, la récente directive sur le devoir de vigilance des multinationales, que la France souhaite voir reportée sine die. Mais aussi la taxonomie verte, les garde-fous en matière de stabilité financière, l'encadrement strict de de la « titrisation » mis en place suite à la crise de 2008, les règles environnementales de la politique agricole commune, la législation en matière de déchets ou encore le tout nouveau cadre législatif sur l'intelligence artificielle. Lire notre article.
Patrons français en mode Trump. Les grands patrons français cachent de moins en moins leur enthousiasme pour Donald Trump et Elon Musk. Dernier en date : Bernard Arnault, qui – peut-être pour détourner l'attention des résultats financiers annuels décevants de LVMH – s'est lancé dans une diatribe contre la régulation et contre la modeste proposition d'augmentation provisoire de l'impôt sur les sociétés en évoquant de possibles délocalisations aux États-Unis. Rappelons que Bernard Arnault avait déjà déménagé outre-Atlantique en 1981 par peur du gouvernement socialiste – c'est à cette occasion qu'il avait fait la connaissance de Donald Trump. Le PDG de LVMH était présent à la cérémonie d'investiture de ce dernier à Washington. Un autre milliardaire français était, lui aussi, discrètement dans les parages, Rodolphe Saadé, patron de CMA-CGM et du groupe de médias Altice (BFM, RMC), comme l'a révélé La Lettre. Théoriquement, la présence aux cérémonies nécessite que les entreprises versent une contribution financière, mais aussi bien LVMH que CMA-CGM assurent que ça n'a pas été le cas.
Comment détruire un désert. Depuis plus de dix ans, l'entreprise Eramet, héritières des intérêts miniers coloniaux français, extrait du zircon et d'autres minéraux à usage industriel au Sénégal. Et depuis dix ans, les riverains lui reprochent de tout détruire au passage : de précieux écosystèmes abritant un importante agriculture maraîchère, et aujourd'hui l'iconique désert de Lompoul. Mais le vent est en train de tourner, particulièrement depuis l'élection d'un nouveau gouvernement se posant en défenseur de la souveraineté sénégalaise. Lire l'article dans notre nouvelle rubrique « Sur le front » : La colère monte au Sénégal contre Eramet et ses activités minières.
Bangladesh : les ouvrières du textile pas sorties de la crise. Il y a un peu plus d'un an, un mouvement social massif agitait l'industrie textile du Bangladesh pour des augmentations de salaire. Violemment réprimés, les ouvriers et ouvrières du secteur se sont vengés en participant aux manifestations de l'été 2024 qui ont mené à la chute de la Première ministre Sheikh Hasina. Mais l'activité dans le secteur a ralenti et, selon les patrons d'usines, les grandes marques occidentales ont détourné une partie de leurs commandes vers l'Inde et le Cambodge. Pire encore : malgré les interpellations de la société civile, elles n'ont pas fait le moindre geste pour s'opposer à la répression dont ouvriers et ouvrières continuent de faire l'objet. Lire l'article, également dans notre nouvelle rubrique « Sur le front » : Les grandes marques de prêt-à-porter enfoncent les ouvrières du Bangladesh dans la crise.
Cette lettre a été écrite par Olivier Petitjean.
28.01.2025 à 11:12
« L'histoire qu'il nous a semblé le plus important de raconter en tant que journalistes est la bataille victorieuse menée ces dernières décennies par les multinationales contre les États. » C'est ainsi que Matt Kennard décrit la genèse du livre sans concession qu'il consacre avec Claire Provost à la prise de pouvoir silencieuse des multinationales au moyen d'institutions et de mécanismes centraux dans le monde d'aujourd'hui, mais dont les médias ne parlent presque jamais. Entretien.
Dans (…)
« L'histoire qu'il nous a semblé le plus important de raconter en tant que journalistes est la bataille victorieuse menée ces dernières décennies par les multinationales contre les États. » C'est ainsi que Matt Kennard décrit la genèse du livre sans concession qu'il consacre avec Claire Provost à la prise de pouvoir silencieuse des multinationales au moyen d'institutions et de mécanismes centraux dans le monde d'aujourd'hui, mais dont les médias ne parlent presque jamais. Entretien.
Dans le livre Le coup d'État silencieux. Comment les entreprises ont renversé la démocratie, paru en anglais en 2023 et traduit en français par les Editions critiques, les journalistes Matt Kennard et Claire Provost parcourent le monde pour montrer comment les multinationales ont imposé en quelques décennies leur pouvoir aux dépens des Etats – en commençant par les pays du Sud de la planète.
Tribunaux arbitraux permettant de poursuivre les gouvernements en justice, privatisation de l'aide au développement pour servir des grands projets lucratifs aux dépens des populations locales, zones économiques spéciales où les règles communes ne s'appliquent plus, agents de sécurité privés... Le livre – pour lequel Matt Kennard et Claire Provost ont été récompensés d'un prix éthique décerné par l'association Anticor à l'occasion de sa 17e cérémonie annuelle – dépeint un monde où la souveraineté des Etats a été grignotée, neutralisée, et finalement mise au service des intérêts privés. Un monde qui est le nôtre. Entretien avec Matt Kennard, de passage à Paris pour recevoir son prix.
Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce livre ?
Claire Provost et moi-même avons bénéficié en 2014 d'une bourse du Centre pour le journalisme d'investigation. Claire venait du Guardian, et moi du Financial Times. Les conditions étaient incroyables : deux années pour faire ce que nous voulions et un budget pour voyager. J'avais couvert la Banque mondiale à Washington et Claire avait beaucoup travaillé sur l'aide au développement. Nous avons décidé d'être aussi ambitieux que possible, pour faire en sorte de mériter cette opportunité qui nous était offerte. En discutant, nous avons tous deux convenu que l'histoire la plus importante à raconter était ce que nous avons fini par appeler le « coup d'État des grandes entreprises » – la bataille que les multinationales ont menée contre les États au cours des 500 dernières années, et qui est est maintenant presque arrivée à son stade final.
Le coup d'État silencieux. Comment les entreprises ont renversé la démocratie
Par Matt Kennard et Claire Provost, éditions critiques, 2024, 400 pages, 28 euros. Traduit de l'anglais par Émilie Babef, Vivien Guarino et Fabien Trémeau.
Beaucoup de gens, lorsqu'ils écrivent un livre, disent qu'il s'agit d'un voyage de découverte. Ils disent qu'ils n'avaient pas vraiment d'idée de ce qu'ils allaient écrire. Souvent, ce n'est pas vraiment vrai. Mais en fait, pour Silent Coup, c'est un peu ce qui s'est passé.
Le premier article que nous avons réalisé portait sur le système de règlement des différends entre investisseurs et États. C'est toujours l'exemple emblématique de la façon dont tout cela fonctionne, mais nous n'avons pas construit le livre avant de commencer. En ce qui concerne l'ISDS, par exemple, lorsque nous avons examiné différents projets d'aide, nous avons commencé à voir la SFI, la branche de la Banque mondiale chargée des prêts au secteur privé. Ainsi, lorsque nous avons terminé l'ISDS, nous avons dit « examinons maintenant l'aide et le développement ». Et lorsque nous avons terminé cette section, nous avons réalisé que partout où nous étions allés, nous avions vu des zones économiques spéciales, et nous avons examiné toute cette idée de territoires découpés. À la fin de ce chapitre, nous avons dit « nous avons vu des gardes de sécurité qui ne font pas partie de l'État et de l'armée », et c'était le dernier chapitre. En ce sens, il s'agissait véritablement d'un voyage de découverte.
Cela fonctionne bien, parce qu'il est difficile d'aborder un sujet aussi vaste que le pouvoir des entreprises au niveau conceptuel. La façon dont nous l'avons divisé en quatre parties différentes est une manière assez élégante de le faire, et cela a fonctionné comme une fenêtre sur l'ensemble de ce système, même s'il est évident qu'il comporte aussi d'autres éléments.
C'est un livre de journalistes, au sens où vous emmenez le lecteur dans vos enquêtes sur le terrain, mais vous dressez aussi un tableau d'ensemble ambitieux au fur et à mesure que vous avancez. On a presque l'impression que la prochaine étape est de passer à la théorie.
Le journalisme permet de comprendre le monde d'une manière beaucoup plus réelle qu'à partir de manuels académiques.
On nous a reprochés de ne pas introduire assez de théorie et de donner trop d'exemples. Mais la raison pour laquelle j'aime le journalisme, c'est qu'il permet de comprendre le monde d'une manière beaucoup plus réelle qu'à partir de manuels académiques. Nous ne sommes pas dans la spéculation. Il ne s'agissait pas de proposer une théorie et de discuter abstraitement le pour et le contre. Nous sommes partis de ce que nous avons trouvé sur le terrain, et qui est une réalité indiscutable. Le livre a beaucoup plus de force ainsi.
Lorsque nous avons commencé à écrire le livre, nous nous sommes rendu compte qu'il était assez aride, avec beaucoup de faits, beaucoup d'acronymes, d'institutions et de personnes dont le lecteur n'avait n'avez entendu parler. C'est pour le rendre plus accessible que nous l'avons présenté comme un processus de découverte journalistique, ce qu'il était d'ailleurs.
Pour ce qui est de la théorie, au final, l'idée que nous avançons n'est pas très compliquée. Il y a deux grands centres de pouvoir dans notre société, l'État et les entreprises. Il y a eu une longue bataille entre les deux pour savoir lequel contrôlerait l'autre, et aujourd'hui, ce sont les entreprises qui l'ont emporté.
Si c'est une idée simple, comment expliquez-vous que les journalistes et les médias en parlent si peu ? Vous achevez d'ailleurs votre livre sur cette question.
Il y a un écosystème et une infrastructure autour des journalistes qui font que la plupart d'entre eux ne pensent pas certaines choses, et n'ont pas d'analyse critique des entreprises.
Si vous viviez en Union soviétique et que vous lisiez la Pravda, vous ne vous attendriez pas à y trouver la vérité sur ce que fait l'Union soviétique, parce que la Pravda est détenue et dirigée par le gouvernement. Il en va de même pour le pouvoir des grandes entreprises aujourd'hui. Il serait naïf de penser obtenir la vérité sur la façon dont les grandes entreprises dirigent la société dans laquelle nous vivons par le biais de médias gérés par des grandes entreprises. Bien sûr, cela ne fonctionne pas aujourd'hui comme à l'époque de l'Union soviétique. On ne dit pas aux journalistes ce qu'ils doivent écrire. Mais en raison des différents filtres qui agissent sur les informations qui parviennent aux médias – la publicité, les actionnaires, les services de relations publiques des entreprises , il y a un écosystème et une infrastructure autour des journalistes qui font que la plupart d'entre eux ne pensent pas certaines choses, et n'ont pas d'analyse critique des entreprises. Même en ce qui concerne le Guardian, par exemple, une section entière de son site web, sur le développement global, est sponsorisée par la Fondation Bill Gates. Vous n'aurez jamais analyse radicale de la manière dont les entreprises dirigent notre société ou le développement lorsque vous êtes financé par l'une des institutions les plus néolibérales qui existent dans le monde du développement.
La plupart des journalistes qui montent en grade dans les médias de l'establishment sont malheureusement ceux qui acceptent le monde tel qu'il est, et non ceux qui ont une analyse critique. J'ai travaillé au Financial Times pendant trois ans. Il y avait de bons journalistes aux niveaux hiérarchiques inférieurs, mais soit ils sont soit partis soit ils en sont toujours au même point.
N'est-ce pas aussi que les journalistes ne se rendent pas assez sur le terrain, là où les effets de pouvoir des multinationales se font le plus sentir, comme vous l'avez fait pour ce livre?
C'est vrai, mais même lorsqu'ils se rendent sur le terrain, ils évoluent au sein de l'écosystème que je viens de décrire. Lorsque je travaillais au Financial Times, j'ai été envoyé en Haïti en 2010 après le tremblement de terre. Vous atterrissez à Port-au-Prince, la capitale, et on vous emmène dans un beau 4x4 jusqu'à un hôtel cinq étoiles, puis on vous emmène dans un beau 4x4 jusqu'aux bureaux de la Banque mondiale. Tout est fait pour que vous ayez une certaine vision du monde, et cela vous convient parfaitement. Vous avez un travail agréable et respecté. Tout le monde pense que vous êtes intelligent. Vous avez de l'argent. Il n'y a aucune raison pour regarder au-delà de ce qu'on vous montre. En Haïti, on m'a emmené visiter des projets financés par US Aid ou la Banque mondiale. Lorsqu'il y a une catastrophe de cette ampleur et que l'on vous emmène dans des endroits où quelque chose fonctionne, vous vous dites psychologiquement « Eh bien, c'est comme ça qu'il faut faire ». Mais il y a une autre réalité, d'autres initiatives, d'autres manières de faire qui n'ont ni financement ni infrastructures derrière elles et qui ne sont jamais présentés au journaliste.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donÀ la lumière de ce que vous décrivez dans votre livre, comment analysez-vous le retour au pouvoir de Donald Trump?
C'est du fascisme, fondamentalement. Je pense que c'est Mussolini qui a dit que le fascisme se définissait par la fusion du pouvoir de l'État et de celui des grandes entreprises. C'est ce que nous avons avec Trump. C'est un homme d'affaires, un oligarque lui-même, soutenu par les 1% et les grandes entreprises. Lors de sa précédente présidence, il a massivement réduit les impôts des riches. Son élection est presque une conclusion logique. Si le système fonctionne dans l'intérêt des entreprises et des oligarques, les choses deviennent pires pour les citoyens. Comme ils n'ont pas de médias qui les informent de ce qui se passe vraiment, ils ne comprennent pas pourquoi leur situation empire. Dès lors, les conditions sont réunies pour qu'un oligarque ou un démagogue vienne leur dire que tout est de la faute des musulmans.
Donc je dirais que Trump est un résultat de ce coup d'État des entreprises que nous racontons dans notre livre. Mais cela vaut aussi pour quelqu'un comme le nouveau Premier ministre Keith Starmer au Royaume-Uni. Il n'est pas du même bord politique, mais c'est une sorte de centriste au corps vide, l'autre côté de la médaille. C'est le genre de personnages qui préparent la place aux fascistes, qui créent les conditions du fascisme.
Que faites-vous aujourd'hui après ce livre ?
J'ai co-fondé un média appelé Declassified UK, que j'ai quitté il y a environ trois mois. Je veux travailler sur la Palestine. Les quinze mois qui viennent de s'écouler m'ont changé en tant que personne et en tant que journaliste. La manière dont l'Empire et dont notre monde fonctionnent a été mise à nu à Gaza comme elle ne l'a jamais été. Des civils ont été tués en masse chaque jour, des enfants massacrés et mutilés - et tout cela avec le soutien de libéraux comme Biden et Starmer. Je veux me concentrer sur ça parce qu'il faut garder cette lucarne ouverte, continuer à faire passer ce message. Je ne sais pas quelle forme cela prendra, mais c'est ce que je veux faire.
Propos recueillis par Olivier Petitjean
28.01.2025 à 10:00
Le groupe français Eramet extrait du zircon et d'autres minéraux à usage industriel sur la côte du Sénégal, détruisant au passage des écosystèmes uniques et provoquant la colère des riverains. Mais le vent est peut-être en train de tourner pour cette entreprise héritière des intérêts coloniaux français.
Depuis plus de dix ans, l'entreprise minière Eramet s'est lancée dans l'exploitation des sables minéralisés du Sénégal, sur la côte Atlantique, à quelques dizaines de kilomètres au nord de (…)
Le groupe français Eramet extrait du zircon et d'autres minéraux à usage industriel sur la côte du Sénégal, détruisant au passage des écosystèmes uniques et provoquant la colère des riverains. Mais le vent est peut-être en train de tourner pour cette entreprise héritière des intérêts coloniaux français.
Depuis plus de dix ans, l'entreprise minière Eramet s'est lancée dans l'exploitation des sables minéralisés du Sénégal, sur la côte Atlantique, à quelques dizaines de kilomètres au nord de Dakar. Sa filiale locale, Grande Côte Opération ou GCO, propriété à 10% de l'État sénégalais, en extrait divers minéraux à usage industriel comme le zircon, le rutile et l'ilménite. Le zircon, en particulier, est hautement stratégique car il est utilisé dans la construction des réacteurs nucléaires ainsi que des sarcophages censés isoler les déchets radioactifs.
L'État français détient plus d'un quart du capital d'Eramet, qu'il contrôle conjointement avec la famille Duval et qui a été constitué à partir de sociétés minières coloniales comme la SLN (Nouvelle-Calédonie), la Comilog (Gabon) et les actifs miniers détenus par Elf-Aquitaine en Afrique.
Depuis dix ans, les opérations de dragage menées par Eramet avancent petit à petit vers le nord de sa concession de près de 4500 kilomètres carrés. Et détruisent tout ou presque au passage. Les impacts de ce projet et les doléances des communautés locales ont été documentés il y a quelques mois dans un rapport de l'ONG FIAN dont le titre – « Extractivisme et dépossession au Sénégal » – résume bien les conclusions. Il y est question de déplacement des populations dans des villages dits de « recasement », de destruction d'écosystèmes uniques et de zones traditionnelles d'agriculture maraîchère, les Niayes, essentielles pour l'alimentation du pays, de surexploitation des ressources en eau, de pollution, de négation des droits traditionnels liés à la terre, notamment ceux des femmes, au profit de l'État sénégalais et des leaders locaux – et aussi de compensations financières ridiculement basses pour les personnes affectées. Autant d'accusations balayées par l'entreprise, qui met en avant sa contribution à l'emploi et aux revenus fiscaux du pays.
Depuis dix ans, la colère gronde sur le terrain, sans trop d'écho jusqu'ici. Mais la situation est en train de changer. Depuis des semaines les manifestations sur place se multiplient, derrière le slogan GCO, dafa doy ! (« GCO, ça suffit ! » en wolof). Plusieurs titres de presse français – Reporterre et Le Monde notamment – se sont fait l'écho du mouvement ces derniers jours.
Plusieurs raisons expliquent l'ampleur prise par les protestations. D'abord, Eramet a fini par atteindre le désert de Lompoul, une région emblématique de dunes brunes prisées des réalisateurs de cinéma et des éco-touristes. Exploité au moyen de la « plus grosse drague au monde », le site est en train de disparaître à vue d'œil. Le Monde s'attarde sur le rôle d'un expatrié français, vendeur de pompes à eau photovoltaïques, qui a découvert l'ampleur des dégâts causés par l'activité minière chez l'un de ses clients et qui depuis se démène avec succès sur le réseau social Linkedin pour alerter l'opinion.
Le mouvement s'inscrit aussi dans le nouveau contexte politique sénégalais, avec un gouvernement élu sur la base d'un programme d'affirmation de la souveraineté sénégalaise aux dépens, notamment, de l'ancienne puissance coloniale française. Les habitants de Lampoul et de la région espèrent beaucoup du régime emmené par le président, Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko. Des députés du parti présidentiel Pastef, qui a remporté les élections législatives de novembre dernier, ont déjà annoncé la création d'une commission d'enquête et demandent en attendant un gel des activités extractives d'Eramet.
Est-ce le début de la fin pour le groupe minier français au Sénégal ? Rien n'est moins sûr, car l'entreprise garde des soutiens politiques – sur place avec les autorités préfectorales et coutumières, mais aussi au sein même du parti au pouvoir. L'ancien ministre des Transports et nouveau président de l'Assemblée nationale est un ancien cadre d'Eramet.
Le groupe français, de son côté, a dénoncé par le biais d'un communiqué de sa filiale GCO une « campagne de déstabilisation ». Un élément de langage lui aussi tout droit hérité de l'époque coloniale.