29.10.2025 à 11:09
Olivier Petitjean
Les dépenses annuelles de lobbying du secteur de la Tech atteignent désormais 151 millions d'euros, leur plus haut niveau de l'histoire et une augmentation d'un tiers depuis 2023. Dix entreprises seulement représentent 49 millions d'euros annuels de dépenses de lobbying. Meta (Facebook) occupe la première place avec 10 millions d'euros.
Ce sont les chiffres révélés par l'ONG bruxelloise Corporate Europe Observatory en se basant sur le registre de transparence du lobbying mis en place dans (…)
Les dépenses annuelles de lobbying du secteur de la Tech atteignent désormais 151 millions d'euros, leur plus haut niveau de l'histoire et une augmentation d'un tiers depuis 2023. Dix entreprises seulement représentent 49 millions d'euros annuels de dépenses de lobbying. Meta (Facebook) occupe la première place avec 10 millions d'euros.
Ce sont les chiffres révélés par l'ONG bruxelloise Corporate Europe Observatory en se basant sur le registre de transparence du lobbying mis en place dans la capitale européenne.
L'industrie de la Tech compte désormais 890 lobbyistes en équivalent temps plein à Bruxelles, soit davantage que le nombre de députés européens (720).
Et ils ne chôment pas : les représentants du secteur ont obtenu, durant la première moitié de l'année 2025, pas moins de 378 rendez-vous avec des représentants de la Commission ou des députés européens. Soit trois rendez-vous par jour ouvré.
La régulation de numérique est depuis quelques années l'un des principaux champs de bataille de lobbying à Bruxelles, avec l'adoption de législations comme le Digital Services Act (DSA), le Digital Markets Act (DMA) ou encore l'AI Act. Les dépenses de lobbying des géants de la Tech ont augmenté en conséquence, mais n'avaient jamais atteint de tels niveaux.
Alors que ces règles européennes sont désormais ouvertement ciblées par les GAFAM et l'administration Trump, la Commission s'apprête à se pencher sur le numérique dans le cadre de sa politique de dérégulation.
23.10.2025 à 15:59
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Le « greenwashing » de TotalEnergies sanctionné par la justice
C'est une décision (…)
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C'est une décision judiciaire inédite. Suite à une plainte déposée par un groupe d'ONG écologistes (Amis de la Terre, Greenpeace et Notre affaire à tous) contre TotalEnergies, le Tribunal judiciaire de Paris a condamné le groupe pétro-gazier pour une campagne de communication de 2021 lancée à l'occasion de son changement de nom de Total à TotalEnergies. Elle vantait, sur fond d'éoliennes arc-en-ciel, sa contribution majeure à la transition énergétique et promettait d'atteindre la neutralité carbone en 2050.
Les juges ont considéré que cette promesse n'avait pas de base concrète et que la communication de TotalEnergies visait à cacher à ses clients et aux citoyens la poursuite de ses investissements dans les énergies fossiles, en minimisant l'impact climatique réel de sa stratégie de développement du gaz.
Il est rare que les campagnes de communication des multinationales, aussi éhontées soient-elles, soient ainsi condamnées à titre de « pratique commerciale trompeuse ». Les associations Sherpa et ActionAid avaient déposé plainte contre Auchan et Samsung France pour la manière dont ils faisaient la promotion de leurs codes de conduite et leurs engagements éthiques, alors que plusieurs enquêtes avaient constaté des abus chez leurs fournisseurs. Les procédures n'ont pas abouti.
Il est arrivé dans d'autres pays que des autorités de régulations de la publicité censurent ainsi les campagnes de certaines multinationales pétrolières pour excès de « greenwashing ». Mais pas en France, vu qu'il n'existe pas dans notre pays de véritable autorité de régulation, seulement une association contrôlée par les industriels qui se régulent eux-mêmes.
L'une des premières mesures annoncées par la Commission européenne dans le cadre de sa politique de « simplification » (aka destruction des protections sociales et environnementales) a été le démantèlement programmé de la directive sur le devoir de vigilances des multinationales récemment adoptée, et de sa directive sœur sur la transparence des entreprises (lire notre article). Pas suffisamment pour beaucoup de lobbys et de dirigeants politiques (dont Emmanuel Macron), qui ont demandé leur suppression pure et simple. Depuis, le sort de ces deux directives ne tient qu'à un fil.
Une nouvelle péripétie a eu lieu ce mercredi 22 octobre. La droite du Parlement européen avait forcé la main aux libéraux et aux sociaux-démocrates en les menaçant, s'ils ne votaient pas avec eux une version largement amoindrie de la directive, de s'allier avec les groupes d'extrême droite pour la réduire totalement à néant. Les défections et abstentions parmi les rangs des eurodéputés mécontents de ce compromis bas de gamme ont fait échouer l'opération. L'issue se décidera finalement lors du débat en plénière au Parlement, où le groupe conservateur pourrait décider de franchir le pas et de joindre une nouvelle fois ses voix à celles de l'extrême droite pour balayer les politiques mises en place par l'Europe ces dernières années en matière de climat et de droits humains.
On relira à ce sujet notre enquête : Au centre du jeu bruxellois, l'extrême droite sonne la charge contre l'écologie et le climat.
Pendant ce temps, la coalition des opposants à la directive sur le devoir de vigilance – qui regroupe la droite et l'extrême droite européennes, mais aussi les grandes multinationales, les gouvernements français et allemands et l'administration Trump, entre autres – continuent à faire entendre sa voix.
Les ministres de l'Énergie des États-Unis et du Qatar ont signé une déclaration commune contre la législation en estimant que celle-ci créait des risques juridiques pour l'approvisionnement en gaz de l'Europe, et représentait donc une « menace existentielle » pour le vieux continent.
Une menace à peine voilée de la part de pays qui sont deux des principaux producteurs de gaz naturel liquéfié (GNL) au niveau mondial. Ils représentent actuellement 20% du gaz arrivant en Europe, mais cette proportion est appelée à croître significativement en remplacement du gaz russe. Suite à la guerre en Ukraine, l'Union européenne a misé massivement sur les importations de GNL pour dénouer ses liens avec Moscou, mais n'aura fait au final que troquer une dépendance contre une autre.
À lire aussi : Comment ExxonMobil et Trump ont fait démanteler une législation européenne sur le climat et les droits humains
Il y a quelques jours, c'est une lettre ouverte signée par un groupe de multinationales françaises et allemandes emmenées par TotalEnergies et Siemens qui faisait événement. Publiée à l'issue d'une rencontre à huis clos entre les chefs de gouvernements français et allemand et des patrons de grandes entreprises des deux pays, la missive exigeait une accélération du processus de dérégulation en Europe et l'abandon pur et simple de la directive devoir de vigilance, en guise de « signal » adressé aux investisseurs. Elle demandait également un assouplissement des règles de concurrence pour permettre le développement de « champions européens ».
Depuis, certaines entreprises qui avaient été citées comme signataires de la lettre ont quelque peu nuancé leur position, certaines expliquant qu'ils n'étaient pas forcément en accord avec le ton virulent, quand bien même ils étaient alignés sur le fond, et d'autres continuant à soutenir le principe d'une directive sur le devoir de vigilance. Il semble que la lettre ait été publiée par TotalEnergies et Siemens sans que le texte en ait été vraiment présenté et discuté avec les autres participants.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donNous poursuivons notre plongée dans les recompositions politiques, économiques et idéologiques qui se sont faites jour aux États-Unis – et bien au-delà – avec la deuxième victoire électorale de Donald Trump, à travers deux entretiens et un article d'analyse.
Olivier Tesquet, co-auteur avec Nastasia Hadjadji et du récent Apocalyspe Nerds, a discuté avec nous de l'émergence outre-Atlantique d'un nouveau « techno-fascisme ». Celui-ci est d'abord un courant d'idées, alliant vision du monde ultra-réactionnaire et mysticisme technologique, qui contamine le débat politique aux États-Unis et ailleurs. Mais c'est aussi une nouvelle pratique du pouvoir, incarnée par exemple par le département DOGE ou par la firme technologique Palantir (fondée par Peter Thiel) et son rôle éminent dans la politique de chasse aux migrants. À lire : Olivier Tesquet : « Avec le Doge ou Palantir, on a des exemples très concrets d'une nouvelle architecture du pouvoir, un pouvoir techno-fasciste ».
De son côté, Maya Kandel, auteure d'Une première histoire du trumpisme, interroge avec nous les contours de la « coalition hétéroclite » qui a amené Donald Trump pour une deuxième fois à la Maison Blanche. Celle-ci regroupe des organisations ultraconservatrices autrefois marginales, des populistes de droite, des piliers historiques du parti républicain comme la Heritage Foundation, convertie au trumpisme par Kevin Roberts, ou encore des « Tech Bros ». Cette alliance montre des signes de fissures – notamment entre les tendances chrétiennes et nationalistes et les acteurs de la tech – mais dépasse déjà, selon l'historienne, la seule figure de Donald Trump et est appelée à lui survivre. À lire : « La coalition derrière Trump est une véritable contre-élite, aux intérêts parfois divergents ».
Enfin, pour clore provisoirement le premier volet de notre série « Extrême Tech », consacré au financiers de l'industrie numérique comme Peter Thiel ou Marc Andreessen aux États-Unis (ici et là) et Pierre-Édouard Stérin et quelques autres en France, nous nous sommes posés directement la question : qui sont ces « venture capitalists » et autres « business angels » ? Et y a-t-il des raisons particulières qui font qu'ils s'engagent si résolument aux côtés de l'extrême droite ? La réponse est oui.
Le CAC40 bat des records. Cela tranche avec la déprime ambiante sur l'état de l'économie française et avec les difficultés du gouvernement à boucler son budget. Le CAC40 a atteint un nouveau sommet historique le 21 octobre. L'explication ? Les résultats moins mauvais qu'attendus de certains groupes, et certains signes suggérant que la crise que traverse LVMH – l'un des poids lourds de l'indice – est moins profonde que prévu. C'est surtout une énième illustration de la déconnexion entre l'économie réelle et la bourse, et une manifestation parmi d'autres de l'extrême volatilité des marchés financiers ces jours-ci, avec la hausse continue du cours de l'or et la formation d'une véritable bulle autour de l'IA. La semaine dernière, une brusque montée du cours de LVMH avait fait monter la fortune de Bernard Arnault de 16 milliards d'euros en une seule journée.
BNP Paribas rattrapé par ses affaires avec la dictature soudanaise. Un jury populaire de New York a jugé BNP Paribas complice d'exactions commises par le régime soudanais d'Omar al-Bachir dans les années 1990 et 2000 dans le cadre du conflit au Darfour. Il a condamné la banque française à verser plusieurs millions d'euros à trois plaignants. La décision a fait chuter BNP Paribas en bourse, une « class action » regroupant plusieurs milliers de personnes étant encore en cours dans le même dossier, qui pourrait se traduire par des milliards d'euros supplémentaires de dommages et intérêts. La banque a annoncé son intention de faire appel, contestant le lien entre les prestations financières fournies par sa filiale à Genève et les crimes commis par l'armée soudanaise et les milices à sa solde. En 2014, elle avait plaidé coupable et accepté une amende record de 8,9 milliards de dollars pour avoir violé les sanctions américaines en traitant avec des entités du Soudan, d'Iran et de Cuba. Une partie de cette somme devait être versée aux victimes, mais ne l'a finalement pas été, sur décision du Congrès. Cette reconnaissance de culpabilité a été utilisée ensuite par les cabinets d'avocats qui accompagnent les plaignants, qui toucheront une part des sommes versées par la banque. Ceci dit, la filiale suisse de BNP Paribas a bien été l'une des principales banques occidentales à faire affaire avec le régime d'Omar al-Bachir durant cette période.
Dépendance. Lundi 20 octobre, une panne mondiale a conduit à l'interruption pendant plusieurs heures des services d'AWS, la très lucrative filiale d'Amazon dédiée au cloud, qui pèse à elle seule un tiers du marché mondial. De nombreux sites et applications ont cessé de fonctionner, comme Snapchat, Airbnb, Signal, Canva, Zoom ou Slack, de même que les services en ligne de nombreuses entreprises. Après la panne de Crowdstrike qui avait paralysé les services de Microsoft et par suite de dizaines d'aéroports, d'hôpitaux et d'entreprises en juillet 2024, la panne remet en lumière les risques de la dépendance envers des géants comme Amazon, Google ou Microsoft (ces deux dernières entreprises contrôlant un autre tiers du marché mondial du cloud). En pratique, cependant, les alternatives peinent à émerger. Le cours de l'action d'Amazon a continué de monter à la bourse de New York.
Cette lettre a été écrite par Olivier Petitjean.
21.10.2025 à 07:00
Dans son essai Une première histoire du trumpisme, l'historienne Maya Kandel se penche sur les alliances, et les idéologies et intérêts parfois contradictoires de la coalition hétéroclite qui a porté Donald Trump au pouvoir pour la deuxième fois. Entretien.
Ce n'est pas un bilan, mais bien une première histoire du trumpisme. Ce que j'ai eu envie de montrer, c'est comment celui-ci a évolué de 2016 à 2024. C'est une « première histoire », car elle est encore en train de s'écrire, mais il y a (…)
Dans son essai Une première histoire du trumpisme, l'historienne Maya Kandel se penche sur les alliances, et les idéologies et intérêts parfois contradictoires de la coalition hétéroclite qui a porté Donald Trump au pouvoir pour la deuxième fois. Entretien.
Dans ce premier bilan, paru peu de temps après la réélection de Donald Trump en 2024, vous parlez du soutien d'une « contre-élite hétéroclite ». Quelle est la nature de cette alliance ?
Ce n'est pas un bilan, mais bien une première histoire du trumpisme. Ce que j'ai eu envie de montrer, c'est comment celui-ci a évolué de 2016 à 2024. C'est une « première histoire », car elle est encore en train de s'écrire, mais il y a déjà une profondeur historique au phénomène. Le trumpisme est profondément différent en 2024 de ce qu'il était en 2016 et je voulais analyser cette évolution, pour montrer pourquoi le second mandat ne ressemblerait pas au premier. Le trumpisme déborde désormais largement la figure de Donald Trump – c'est d'ailleurs un des points centraux du livre. Trump a catalysé des tendances politiques qui étaient à l'œuvre depuis longtemps : le virage identitaire, l'extrême- droitisation du Parti républicain, le rejet des élites. Mais son élection a conduit à donner une idéologie à tout cela.
Ce qui change entre le premier mandat et le second c'est avant tout le degré de préparation en termes de programme et de personnel politique. Cette préparation a commencé dès janvier 2021, autour d'anciens de la première administration et des intellectuels nationaux-conservateurs, qui ont construit ou enrôlé des organisations bien financées. L'autre évolution vient du ralliement de certaines figures majeures de la Silicon Valley, qu'on a trop réduit à la seule figure d'Elon Musk. La coalition qui soutient Trump en 2024 est beaucoup plus large et porte au pouvoir une véritable contre-élite, aux intérêts parfois divergents.
Comment s'est construit cette coalition trumpiste ?
Une première histoire du trumpisme
Par Maya Kandel, Gallimard, 2025, 192 pages, 19 euros.
C'est un attelage compliqué, mais ce qui réunit tout le monde, c'est la figure de Donald Trump, instrument de leur victoire dans les urnes, qui est un personnage capable de créer un chaos suffisant pour provoquer une vraie révolution politique.
Parmi les think tanks derrière Trump, il y a le Claremont Institute, qui a été le premier à le soutenir, avant même sa victoire de 2016. L'obsession du Claremont, un centre californien fondé en 1979 et jusque-là marginal, consiste à revenir à l'esprit des pères fondateurs. Ils ont en cela un côté « fondamentaliste ». Ils considèrent que le système politique américain s'est dévoyé depuis la présidence de Woodrow Wilson, marquée notamment par une politique étrangère interventionniste, mais aussi par le début de l'expansion de l'appareil de sécurité nationale et de la bureaucratie, avec la création de nouvelles agences par le Congrès. Dans la lignée de Leo Strauss, leur pensée repose sur l'idée que toute bureaucratie, à force, devient antidémocratique. Il serait donc parfois nécessaire, notamment en temps de crise, d'avoir un leader fort, qui représente la vraie légitimité du peuple. C'est dans cette optique que les penseurs du Claremont dénoncent depuis des décennies l'« administrative state » (l'État administratif), synonyme du « deep state », cible de Trump et du mouvement MAGA.
C'est sur le Claremont Institute que Yoram Hazony [philosophie israélo-américain, national conservateur, ndlr] s'est appuyé pour développer le mouvement national-conservateur ou NatCon, qui naît officiellement en 2019 pour proposer une théorisation des intuitions de Trump et coller au nouveau socle électoral du parti républicain. C'est ce mouvement qui va construire « l'idéologie trumpiste ». Hazony fonde la Edmund Burke Foundation, dont le siège est à la même adresse que le Conservative Partnership Institute [institut fondé par un ancien leader du mouvement du Tea Party, en 2017, pour former et financer des cadres conservateurs, ndlr]. Son objet est d'organiser les conférences annuelles du mouvement NatCon. Ce sont des moment où ces gens vont pouvoir se rencontrer, se mettre en réseau, et fédérer des secteurs de plus importants du camp conservateur. Hazony va inclure des gens et des courants qui étaient à la marge, et que Trump va intégrer dans sa coalition électorale.
Quel a été le rôle des think tanks plus classiques, comme la Heritage Foundation, au sein de ces nouveaux réseaux ?
La Heritage Foundation, c'est une grosse machine depuis les années 1970. Elle a été créée à cette époque pour combattre l'influence de la gauche sur le plan économique, social ou politique. Ils ont des bâtiments énormes à Washington, beaucoup de donateurs, c'est le think tank le plus important de l'écosystème conservateur. L'objectif de la Heritage depuis sa création est de peser sur les choix politiques : ils préparent tous les quatre ans un programme pour le candidat républicain. Reagan, élu en 1980, avait adopté la majorité des mesures du « Mandate for leadership » de la Heritage.
Kevin Roberts a changé l'orientation et une partie du personnel de la Heritage Foundation pour s'aligner sur le trumpisme.
Après la première victoire de Trump, ils ont eu un moment de flottement. Ils cherchaient un nouveau président et ont même envisagé de prendre JD Vance. Cela ne s'est finalement pas fait, mais en 2021, Kevin Roberts a pris la tête de la Heritage. L'année suivante, il va prêter allégeance au mouvement national-conservateur lors de sa réunion annuelle de 2022, à Miami. Kevin Roberts a changé l'orientation et une partie du personnel de la fondation pour s'aligner sur le trumpisme. La Heritage, avec sa force de frappe, rédige en 2023-2024 un nouveau « Mandate for Leadership » : le « Projet 2025 ». Ils vont aussi créer un genre de Linkedin pour conservateurs pour trouver des cadres pour une future administration et ne pas reproduire l'impréparation de 2016, où il n'y avait pas le personnel nécessaire derrière le nouveau Président. Bien sûr, sur certains sujets, le commerce ou la politique étrangère notamment, le trumpisme bouscule les principes de la Heritage Foundation. Mais même s'ils ne sont pas alignés sur tout, ils n'iront jamais contre un républicain occupant la Maison blanche : leur raison d'être, c'est de travailler pour le républicain qui gagne.
Comment les milliardaires de la Tech se sont-ils alliés à ces réseaux conservateurs ?
Peter Thiel a aussi été impliqué dans les conférences NatCon, dès la première où il prononce l'allocution d'ouverture.
Il y a d'abord eu Peter Thiel, le seul de la tech à soutenir Donald Trump dès 2016 – avec Palmer Luckey, mais qui était encore très jeune et n'avait même pas encore fondé sa société Anduril. Thiel est un peu particulier dans la Silicon Valley, c'est un investisseur mais aussi un intellectuel, il a publié deux livres en 1995 et 2014, et plusieurs textes, dont celui où il déclare qu'il ne pense plus que la liberté et la démocratie soient compatibles. Il finance depuis longtemps des publications et causes conservatrices. Il est difficile à approcher mais il est toujours dans les cercles et discussions de la droite américaine. Son soutien à Trump a été une surprise, à l'époque, mais il avait un constat très sombre sur la politique et disait voir en Trump un agent du chaos capable de faire table rase du système, pour en construire un nouveau. Thiel a aussi été impliqué dans les conférences NatCon, dès la première où il prononce l'allocution d'ouverture. Il est intervenu aussi dans les éditions suivantes, en 2021 et 2022. À partir de 2024, il n'est plus présent. Mais il a pu trouver le mouvement NatCon intéressant pour définir le trumpisme à partir de ce nouveau socle électoral. Et la place très importante qu' occupe la religion correspond à sa vision.
Quelqu'un comme Elon Musk a basculé : avant, il était plutôt démocrate. Il a évolué avec le Covid, en 2020, son tweet sur la pilule rouge, et puis il y a eu sa fille transsexuelle, et il est devenu « anti-woke ». En 2022, il a contribué au financement du super PAC de Stephen Miller [proche de Donald Trump, qu'il conseillait déjà lors de son premier mandat, ndlr]. Mais à cette époque, certains pensaient pouvoir tourner la page Trump, et Musk va d'abord soutenir son concurrent républicain Ron DeSantis, tout comme David Sacks, une autre figure de la tech. Pour eux, Trump n'était pas le premier choix, et ils ont basculé tardivement.
Vous étiez présente à la dernière conférence NatCon, en septembre 2025, et avez constaté des fissures dans cette alliance. Où en sont-ils ?
Le meurtre de Charlie Kirk a eu pour effet de ressouder tout le monde, pour l'instant.
C'est plus facile d'être unis dans l'opposition qu'une fois au pouvoir. A la dernière conférence NatCon, il y avait des rumeurs sur le retour de Peter Thiel, mais finalement il n'était pas là. Et les divisions étaient beaucoup plus visibles, entre des nationaux conservateurs de plus en plus centrés sur la religion pour sauver les États-Unis, et la droite tech qui a rejoint Trump en 2024. Il y avait plusieurs panels sur l'intelligence artificielle (IA), avec beaucoup d'hostilité des participants. Les milliardaires de la tech ont été très attaqués, qualifiés d'« hérétiques ». Le sénateur Josh Hawley a été très virulent contre l'IA « qui menace les travailleurs américain ». Steve Bannon, qui déteste Elon Musk depuis des années, a fait le discours de clôture avec une vraie déclaration de guerre contre les « Tech Bros », qualifiés de « ralliés de la 25e heure qui veulent capturer l'État pour leurs propres intérêts ». Il y avait devant l'hôtel où se tenait la conférence des pancartes appelant à déporter Elon Musk. On voyait de claires divergences d'intérêts également sur des sujets centraux comme la Chine ou l'immigration.
Mais après cette conférence, il y a eu le meurtre de Charlie Kirk. Cela a eu pour effet de ressouder tout le monde, pour l'instant, autour de « l'ennemi intérieur », comme ils qualifient la gauche, en écho à Trump.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donEst-ce que ces réseaux nationaux-conservateurs ont des liens avec l'Europe et la montée des conservatismes sur notre continent ?
Oui, pour deux raisons principales. D'une part, les milieux conservateurs aux États-Unis et au Royaume-Uni sont liés depuis longtemps. C'est culturel, historique. Il y a des Anglais qui sont passés par la Heritage Foundation, ou par l'Americain Enterprise Institute, des Américains qui vont travailler à Chatham House ou d'autres centres à Londres. Ces univers intellectuels sont liés, parfois par des réseaux anciens comme la Société du Mont Pèlerin. L'autre raison, c'est Yoram Hazony. Il a été conseiller de Benjamin Netanyahu dans les années 1990. Dès la création de la Edmund Burke Foundation et les premières conférences NatCon, il a développé une stratégie parallèle en Europe et invité des intellectuels européens. D'ailleurs, leur première conférence a eu lieu à Londres en 2019. Puis il y en a eu d'autres, à Rome, à Bruxelles aussi en 2024 : Eric Zemmour y a participé. Ces réunions leur servent à partager des éléments de langage, à se connecter tout simplement pour se relayer ensuite via les réseaux sociaux. L'agenda d'Hazony est très lié à Israël : il veut s'assurer du soutien politique de toutes les droites à l'État hébreu. Il y a aussi un angle « civilisationnel », avec l'Europe comme berceau de « l'Occident judéo-chrétien », la civilisation occidentale dont ils se disent les défenseurs.
Ils ont des propos très anti-Union européenne, qui représente tout ce qu'ils détestent. Mais ils ne sont pas contre l'Europe qu'ils voient comme le berceau de l'Occident.
Donc d'un côté, ils ont des propos très anti-Union européenne (UE), qui représente tout ce qu'ils détestent : le multilatéralisme, les valeurs libérales, cela représente pour eux comme une extension des démocrates américains. Mais ils ne sont pas contre l'Europe qu'ils voient comme le berceau de l'Occident. Cela explique leur soutien à des partis d'extrême droite européens très opposés à l'UE. Il y a aussi des liens étroits entre les écosystèmes conservateurs américains et hongrois, via le Danube Institute ou le Mathias Corvinus Collegium, qui a ouvert un bureau à Bruxelles. La Hongrie d'Orbán investit beaucoup d'argent pour accueillir des chercheurs comme Rod Dreher, un proche de JD Vance, qui passe son temps entre Budapest et Washington. Ces rapprochements reflètent une stratégie d'influence de longue date de Viktor Orbán.
Lire aussi :
Pour revenir aux États-Unis, quelle influence les milliardaires de la tech ont, aujourd'hui, sur les politiques menées par Donald Trump ?
Il y a beaucoup de gens de la tech dans l'administration Trump : David Sacks est le conseiller pour l'IA, Michael Kratsios le conseiller scientifique et technologique du président, mais aussi beaucoup d'autres à des postes moins visibles au Pentagone ou dans d'autres agences de l'exécutif. Ils ont une influence, un poids sur les décisions. Kratsios a eu un rôle très important sur les politiques en matière d'IA, avec un plan d'action pour l'IA présenté comme un « nouveau plan Marshall », des investissements dans les data centers. De nombreux patrons de la Silicon Valley étaient dans la délégation du premier voyage de Donald Trump dans le Golfe.
On retrouve une convergence entre les MAGA et les Tech Bros dans l'offensive contre les réglementations européennes.
Mais les Tech Bros ne l'emportent pas toujours. Par exemple, la décision de faire payer 100 000 dollars pour les visas HB1 [visas pour les travailleurs étrangers qualifiés, ndlr] ne les arrange pas. Donc ils ont du pouvoir, mais ils sont comme tous les autres intérêts autour de Trump : il y a toujours le « facteur Trump » qui perturbe les plans bien ordonnés et la construction idéologique. On le voit par exemple sur les droits de douane. Les économistes de la nouvelle droite vont expliquer que les tarifs ont un intérêt pour protéger certains secteurs, certains emplois, ou pour faire rentrer des recettes. Mais Trump les utilise comme une tactique pour obtenir des concessions sur d'autres dossiers, comme par exemple pour obtenir de l'Europe qu'elle achète du pétrole et du gaz aux États-Unis plutôt qu'à d'autres pays. Les droits de douane servent aussi de menace contre l'application des règlements européens Digital Markets Act (DMA) et Digital Services Act (DSA), qui visent à limiter la domination économique des grandes plateformes et la diffusion en ligne de contenus et produits illicites. Ces régulations impactent surtout les géants de la tech américains. On retrouve une convergence entre les MAGA et les Tech Bros dans l'offensive contre ces réglementations. Tous instrumentalisent la notion de liberté d'expression pour condamner ces réglementations au nom d'une soi-disant « censure » des entreprises et citoyens américains. C'est une instrumentalisation délibérée, particulièrement ironique de la part d'une administration qui attaque la liberté d'expression aux États-Unis (c'était l'objet d'un des premiers décrets de Trump en janvier 2025).
Qu'est-ce qu'il en est des secteurs traditionnellement influents sur les politiques américains, comme les industries fossiles ?
La question des énergies fossiles est devenue un « marqueur identitaire » dans les guerres culturelles américaines. Ce n'est pas qu'un phénomène américain. Chez les nationaux conservateurs, il y a des justifications plus élaborées : l'augmentation de la production va permettre d'améliorer la productivité américaine ; en baissant les prix, on affaiblit des pays comme la Russie et l'Iran, dont les économies sont dépendantes du prix du pétrole.
Un facteur déterminant aujourd'hui, ce sont les besoins démesurés d'énergie pour les data centers nécessaires au développement de l'IA.
Évidemment, Trump qui détruit le plan climat de Biden, c'est une voie royale pour la domination de la Chine dans le secteur des énergies renouvelables. Côté républicain, on va dire que certes, ils laissent la place aux Chinois pour devenir leaders dans ce domaine, mais il y aura toujours des pays sans vent et sans soleil qui auront besoin d'énergies fossiles. Surtout, pour eux, en attendant la transition, il y aura toujours besoin de pétrole, et quand ils ne considèrent pas que le changement climatique est un hoax, ils se disent que des solutions technologiques vont être trouvées. Donc que cela vaut encore le coup de faire des États-Unis le leader mondial du pétrole.
Enfin, un facteur déterminant aujourd'hui, ce sont les besoins démesurés d'énergie pour les data centers nécessaires au développement de l'IA, dont les États-Unis sont en train de faire un enjeu existentiel de concurrence avec la Chine. Cela explique pourquoi les géants de la tech ont tous renié leurs engagements antérieurs sur l'énergie et le climat.
Peut-on s'attendre à ce que le monde de la tech continue à s'impliquer autant dans la politique ?
Depuis les présidentielles, Meta en est à son deuxième « Super PAC » pour les prochaines élections du Congrès. Ce sont des machines à faire élire. Les dépenses de campagne aux États-Unis sont de plus en plus vertigineuses, depuis que la Cour Suprême a ouvert la voie à ce financement privé avec la décision Citizens United (2010). Ils ont bien sûr des objectifs politiques. On l'a vu récemment avec un amendement proposant un moratoire de 10 ans sur toute tentative de régulation de l'IA de la part des États, qui avait été proposé dans le cadre de la « One Big Beautiful Bill » de Trump et finalement rejeté. Il pourrait revenir.
Quand on me demande si les États-Unis sont une ploutocratie, je réponds que oui.
La Silicon Valley investit désormais la politique comme Wall Street auparavant. La déréglementation bancaire des années 1980 et 1990 a été portée par des élus qu'ils ont financés. Même chose pour les industries de santé. Au moment des débats sur Obamacare, il avait été calculé que l'industrie de la santé avait huit lobbyistes par élu. Et c'était avant l'arrêt Citizen United, qui a torpillé les lois sur le financement des campagnes aux États-Unis en supprimant les limites des contributions financières des entreprises (ce qui explique les sommes vertigineuses que peuvent dépenser en toute légalité les Super PAC). Depuis, il y a eu une explosion des dépenses de campagnes. Les chiffres sont vertigineux. Même pour de petites élections, quand il s'agit simplement de gagner un district sur quatre cent trente-cinq. Quand on me demande si les États-Unis sont une ploutocratie, je réponds que oui.
Propos recueillis par Anne-Sophie Simpere