01.10.2024 à 14:17
Olivier Petitjean
Selon La Lettre de l'Expansion, le conseiller d'Emmanuel Macron en charge des entreprises publiques et de la concurrence rejoint le bureau parisien de la banque d'affaires Perella Weinberg Partners en tant que « executive director ». La banque, impliquée dans la plupart des grandes fusions-acquisitions de la place parisienne de ces dernières années, apparaît comme un véritable nid de pantoufleurs, puisqu'il y retrouvera David Azéma, l'ancien patron de l'Agence des participations de l'État, (…)
- Les portes tournantes / France, Lobbying et influence, concurrence, État actionnaire, L'État au service des entreprisesSelon La Lettre de l'Expansion, le conseiller d'Emmanuel Macron en charge des entreprises publiques et de la concurrence rejoint le bureau parisien de la banque d'affaires Perella Weinberg Partners en tant que « executive director ». La banque, impliquée dans la plupart des grandes fusions-acquisitions de la place parisienne de ces dernières années, apparaît comme un véritable nid de pantoufleurs, puisqu'il y retrouvera David Azéma, l'ancien patron de l'Agence des participations de l'État, ainsi que Stéphane Richard, l'ancien PDG d'Orange.
Victor Blonde était conseiller « participations publiques, consommation et concurrence » dans le cabinet du président de la République Emmanuel Macron depuis septembre 2020. Il exerçait conjointement cette fonction auprès de Matignon. Inspecteur des Finances, il avait exercé des fonctions au sein de l'Agence des participations de l'Etat, où il s'occupait du secteur des transports. Au sortir de l'ENA, il a même passé quelques mois au sein de la direction « exploration & production » de TotalEnergies [1].
La banque Perella Weinberg est familière avec les sommets de l'Etat français puisqu'elle est dirigée depuis 2017 par David Azéma. Commissaire de l'Agence des participations de l'Etat entre 2012 et 2014 (et passé auparavant par la SNCF, Vinci et Keolis), celui-ci avait d'abord rejoint Bank of America - Merill Lynch, avant d'être appelé par Perella Weinberg pour ouvrir leur bureau parisien. Il y est rejoint l'année suivante par Philippe Capron, lui aussi Inspecteur des Finances et ancien directeur financier d'Arcelor, Vivendi et Veolia. En 2022, un autre Inspecteur des Finances les rejoint en tant que président non-exécutif, l'ancien PDG d'Orange Stéphane Richard, débarqué en raison de son rôle dans l'affaire « Crédit lyonnais-Tapie » à l'époque où il était directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy.
Lire aussi Les portes tournantes
Fondée en 2006 par des anciens de Goldman Sachs et Morgan Stanley, la banque d'affaires est spécialiste des grandes opérations de fusions-acquisitions. En France, David Azéma et Perella Weinberg ont notamment conseillé Veolia dans le cadre de sa bataille pour mettre la main sur Suez en 2020 et 2021 – un dossier que Victor Blonde a probablement eu à suivre dans le cadre de ses fonctions, tout comme celui de la restructuration et de la revente d'Atos, pour lequel Perella Weinberg a également été mandaté. La banque a également accompagné le groupe Lactalis au moment où il envisageait de racheter Danone, en 2022. Auparavant, elle a conseillé PSA en vue de sa fusion avec FiatChrysler pour former le groupe Stellantis (un autre dossier impliquant l'État actionnaire).
L'Agence des participations de l'État fait régulièrement appel à des banques d'affaires pour la conseiller sur des opérations impliquant des entreprises dans lesquelles elle détient des parts. Les montants des honoraires ne sont pas connus. Plusieurs des anciens dirigeants de l'APE de ces dernières années ont rejoint le secteur financier, à l'image de Régis Turrini (aujourd'hui chez UBS), Bruno Bézard (Cathay Capital) et Martin Vial (Montefiore).
Olivier Petitjean
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03.07.2024 à 07:30
Anne-Sophie Simpere
Fondée en 1990, l'association Contribuables associés incarne un autre type d'entité typique de la galaxie Atlas : l'association de contribuables. Extrait de notre rapport Le réseau Atlas, la France et l'extrême-droitisation des esprits.
À ses débuts, Contribuables associés a recouru aux services de Kevin Avrams, fondateur de plusieurs « taxpayers associations » au Canada. Contribuables associés est en outre très liée aux autres partenaires du réseau en France. Parmi ses fondateurs, on (…)
Fondée en 1990, l'association Contribuables associés incarne un autre type d'entité typique de la galaxie Atlas : l'association de contribuables. Extrait de notre rapport Le réseau Atlas, la France et l'extrême-droitisation des esprits.
À ses débuts, Contribuables associés a recouru aux services de Kevin Avrams, fondateur de plusieurs « taxpayers associations » au Canada [1]. Contribuables associés est en outre très liée aux autres partenaires du réseau en France. Parmi ses fondateurs, on retrouve ainsi Bernard Zimmern, le riche chef d'entreprise qui a créé l'Ifrap. Guy Plunier, l'ex-cadre de Michelin qui a monté la première organisation financée par Atlas en France, a aussi fait partie de son conseil d'administration. L'association a également contribué financièrement à la bourse Tocqueville, qui envoie chaque année des français découvrir les think tanks libertariens-conservateurs aux États-Unis – dont Agnès Verdier-Molinié en 2004.
Aux origines de Contribuables associés, on trouve en outre François Laarman, qui a également aidé au développement de l'Ifrap. Cet « entrepreneur militant » a importé en France les techniques de mailing direct, c'est-à-dire l'envoi de publicités ciblées grâce à l'achat et à la revente de fichiers de contacts. Pour créer Contribuables Associés, Laarman s'est inspiré de modèles américains et en particulier des méthodes de Richard Viguerie. Celui-ci a révolutionné dans les années 1960 les techniques de publipostage au profit des conservateurs américains, en envoyant des messages sur des questions sociales clivantes (comme le droit à l'avortement ou l'égalité des droits), avec des accroches sensationnalistes jouant sur les peurs, les mécontentements et les rancoeurs de ses cibles. Le but : susciter l'indignation avec des messages chocs pour obtenir des signatures de pétitions et des dons. Les publipostages servent autant à engranger des soutiens que de l'argent. Leur multiplication permet de collecter des contacts supplémentaires et d'améliorer encore l'efficacité du ciblage en l'affinant [2]. Les réseaux sociaux ont encore démultiplié le potentiel de ces méthodes, qui intéressent le réseau Atlas et ses membres depuis longtemps. Outre Contribuables associés, Laarman les a appliquées avec son neveu Vincent aux associations SOS Education, Sauvegarde retraite (où on retrouve là encore Guy Plunier), ou encore l'Institut pour la Justice, organisation qui a récemment participé à l'organisation d'une manifestation d'extrême-droite suite au meurtre de Lola [3].
Écrire des courriers ou des emails pour défendre une position politique n'est pas, en soi, un problème : toutes les associations et organisations politiques le font. La pratique devient bien plus critiquable quand les informations contenues dans le publipostage relèvent de l'approximation douteuse, du raccourci, voire du mensonge. Plusieurs pétitions de Contribuables associés ont ainsi été épinglées pour avoir diffusé des informations trompeuses ou erronées [4]. Suivant les préceptes du marketing conservateur aux États-Unis, les messages n'appellent pas à une fine analyse. Leur ton enflammé, pour ne pas dire outrancier, est là pour scandaliser.
« L'injustice vous révolte ? » titrait ainsi une récente pétition sur la taxe foncière. Avant de raconter une histoire « scandaleuse » de propriétaires contraints de payer des dommages et intérêts pour indemniser la chute d'une squatteuse, chez eux, qui refusait de quitter les lieux : « M. et Mme C. ont travaillé et épargné patiemment toute leur vie pour acquérir un petit appartement pour le mettre en location. Leur locataire s'appelle Mme S. Pas de chance : Mme S. arrête de payer son loyer. C'est une catastrophe pour M. et Mme C., qui perdent ainsi plusieurs milliers d'euros. Or ils ont besoin de ce pécule pour compléter leur petite retraite et soutenir leurs enfants » [5]. Et cette locataire les aurait ensuite poursuivis en justice !
Pourtant, en allant lire le jugement rendu par la Cour de cassation, l'histoire est un peu différente : « certes Mme [S] était occupante sans droit ni titre au jour de l'accident mais qu'il ne semble pas que cette situation ait préoccupé les parties concernées, puisqu'il n'est justifié d'aucune procédure d'expulsion, d'aucun commandement de quitter les lieux à la suite du jugement, d'aucune mesure à cette fin (...) qu'ainsi l'argument d'une occupation des lieux qui aurait favorisé l'accident ne saurait prospérer, celle-ci ayant été semble-t-il largement tolérée [6]. »
Selon un article du Monde sur cette affaire, la locataire se serait vu signifier son congé non pas pour défaut de paiement du loyer, mais suite à un contentieux lié à un dégât des eaux. En outre, pendant cette occupation sans titre, elle aurait continué à verser aux propriétaires, chaque mois, l'équivalent d'un loyer [7]. Des propriétaires qui n'ont jamais entrepris des travaux nécessaires dans l'appartement. On est donc bien loin de l'histoire du couple de retraités acculés par une vilaine squatteuse. Mais celles et ceux qui reçoivent le message alarmiste de Contribuables associés iront-ils vérifier les détails de l'affaire ? À la fin, on leur demandera de signer une pétition pour le durcissement de la loi anti-squatteurs, mais aussi pour la suppression de la taxe d'habitation, le gel de la taxe foncière, et l'assouplissement des critères du diagnostic de performance énergétique (DPE). Bref, une série de demandes qui bénéficient avant tout aux investisseurs immobiliers.
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Faites un donC'est certainement ce type de marketing qui permet à Contribuables associés de se revendiquer première association civique non subventionnée de France avec plus de 350 000 membres [8] dont elle défendrait les intérêts. Pourtant, quand on regarde les statuts de l'organisation, le pouvoir de décision est confié à un conseil d'administration de trois à neuf membres, élu uniquement par les membres fondateurs (trois personnes) et des membres participants cooptés par ledit conseil d'administration. On est donc dans un cercle assez fermé où l'on retrouve d'ailleurs plusieurs personnalités liées à d'autres think tanks Atlas. Les 350 000 membres sont des « membres adhérents », statut qui ne donne aucun pouvoir mais qui est attribué simplement pour avoir participé à une action (signature de pétition par exemple) ou fait un don. Il paraît fort probable qu'une grande partie de ces « membres » ignore l'être.
Les causes défendues par Contribuables associés sont à l'image de sa gouvernance. Comme l'Ifrap, l'association s'insurge contre la fraude sociale en ignorant la fraude fiscale. Ses campagnes visent avant tout la fiscalité des plus fortunés, critiquant les taxes sur les propriétés, les successions ou l'ISF dont elle voulait aussi la suppression [9]. En 2017, l'association demande même, sous couvert de simplification, de remettre en cause la progressivité de l'impôt en fonction des ressources et d'instaurer un taux unique [10]. Elle est aussi vent debout contre les politiques environnementales, en particulier le développement des éoliennes, et a rejoint l'Association des climato-réalistes [11] (plus sceptique que réaliste). Contribuables associés veut réduire l'État à ses fonctions régaliennes (justice, armée et diplomatie) et s'attaque aux prestations sociales et à la fonction publique. Sans surprise, l'association est très virulente à l'encontre des organisations d'aide aux migrants, du coût des migrations ou de l'école publique qui serait le nid du « wokime », contraignant les parents à se réfugier dans le privé. L'occasion de plaider pour un « chèque éducation » [12] et la privatisation du système éducatif [13].
Derrière Contribuables associés, on retrouve encore une fois des entrepreneurs et des personnalités politiques de droite et d'extrême-droite. Outre Bernard Zimmern, ses fondateurs sont Bernard Legrand et François Laarman, tous deux entrepreneurs, associés à Alain Dumait, qui sera le premier président de l'association. Dumait a été maire du IIe arrondissement de Paris de 1983 à 1989, puis adjoint au maire de 1989 à 2001. Depuis la fin des années 1990, il milite pour un rapprochement entre la droite et l'extrême-droite, et finit par rallier le FN en 2011, pour les sénatoriales [14]. La deuxième présidente de Contribuables associés, Benoite Taffin, fut elle aussi élue à la mairie du IIe arrondissement de Paris de 1983 à 2001. Elle signe en 1998 une déclaration contre le PACS [15]. Pendant plusieurs années, elle anime le Libre Journal des contribuables sur la très droitière Radio Courtoisie. Parmi ses successeurs à la présidence de Contribuables associés, on peut encore nommer Alain Mathieu, qui est aussi passé par l'Ifrap, et a commencé sa carrière au ministère des Finances avant de la poursuivre comme chef d'entreprise (Procrédit, le Bon Marché, Conforama, Sonorma). Le président actuel de l'association est Alexandre Pesey, directeur et fondateur de l'Institut de Formation Politique (IFP), un autre partenaire du réseau Atlas en France dont il sera question plus loin. Un institut d'où vient également le directeur actuel de Contribuables associés, Benoit Perrin, qui aurait aussi été proche de Zemmour [16]. Avant Perrin, le directeur de Contribuables associés était Bartolomé Lenoir, devenu ensuite conseiller du président des Républicains et directeur d'Une Certaine Idée, le média des Républicains, et qui a également été auditeur à l'IFP.
La proximité de Contribuables associés avec le monde politique ne se vérifie pas qu'au niveau de ses dirigeants. Guillaume de Thieulloy par exemple, son chargé des relations institutionnelles entre 2002 et 2003, est aussi directeur de publication du Salon Beige, un blog catholique conservateur d'extrême-droite [17] qui diffuse entre autres des pétitions contre Disney qu'il accuse de financer l'avortement et d'avoir un « agenda LGBT » [18]. De Thieulloy dirige plusieurs autres publications de la sphère catholique traditionaliste et intégriste, et sera un collaborateur de Jean-Claude Gaudin (UMP) à la mairie de Marseille puis au Sénat, avant de rejoindre l'équipe du sénateur LR Sébastien Meurant, qui rallie Eric Zemmour en 2022. Jeanne Pavard, chez Contribuables associés de 2007 à 2010, est ensuite recrutée par le député Hervé Mariton. En 2013, Mediapart révèle les liens de Pavard avec des groupes d'extrême droite, si gênants que Mariton est contraint de se séparer de cette collaboratrice [19]. Elle rejoindra par la suite l'équipe du député européen Front national Jean-François Jalkh et travaille aujourd'hui pour SOS Chrétiens d'Orient [20]. Jean Eudes le Moulec, directeur de la communication de l'association depuis janvier 2023, était auparavant le collaborateur du député Joachim Son Forget, rallié à Eric Zemmour en 2022. L'un de ses prédécesseurs à ce poste, Samuel Lafont, organise en 2015 un tour de France en bus pour porter les revendications de l'association, à la manière des « bus tours » organisés par de nombreuses autres « taxpayers associations » dans les pays anglo-saxons. Auparavant, Lafont est très actif dans la « Manif pour tous ». En 2017, il soutient François Fillon aux présidentielles, puis rejoint en 2022 l'équipe d'Eric Zemmour.
Ces liens personnels se reflètent au niveau de l'association dans son ensemble. En 2022, Contribuables associés participe aux Universités d'été de Reconquête [21]. Fin 2023, le président LR Eric Ciotti préside une table-ronde organisée par l'association sur « le coût de l'immigration » [22]. Comme pour l'Ifrap, ce sont très majoritairement des députés Républicains ou Rassemblement national qui utilisent le travail de Contribuables associés dans leurs rapports, questions ou amendements [23]. Pourtant, l'association se défend de ces liens avec des partis ou de grandes entreprises : « Contribuables Associés est une association indépendante de tout parti et politiquement neutre, conformément à ses statuts, ce qui lui permet d'avoir une large audience en regroupant 350 000 membres répartis sur tout la France », écrit-elle en 2013, dans un droit de réponse au Parisien, qui avait mentionné sa proximité avec l'extrême-droite [24].
Si son ton est plus virulent que celui de l'Ifrap [25] ou des autres think tanks libéraux français, Contribuables associés reste assez efficace pour faire entendre sa voix, au-delà même de ses publipostages. La publication d'un baromètre pour évaluer les dépenses des communes, ou la communication sur le controversé « jour de libération fiscale » [26] – en partenariat avec l'institut Molinari, autre membre français du réseau Atlas – lui permettent d'obtenir une bonne couverture médiatique, où l'organisation est présentée comme une simple association de contribuables, sans mention de ses liens avec le monde politique ou le monde des affaires. Récemment, l'association a mis en ligne une vidéo devenue virale « 3 mille milliards : les secrets d'un État en faillite », qui a été vue plus de 1,6 million de fois, attirant l'attention de médias comme BFM ou Télérama. Peut-être l'occasion pour Contribuables associés d'être récompensée au « Lights, Camera, Liberty Film Festival » du réseau Atlas (voir plus haut) ? Le film est réalisé par Charles Thimon et Charles Guillemin, qui étaient aussi derrière le documentaire « Eoliennes : du rêve aux réalités », une charge virulente que le réalisateur lui-même présentait comme « partial et partiel », ne laissant aucune place à des avis divergents [27]. Outre les médias, Contribuables associés porte son message libertarien-conservateur auprès des politiques, notamment à travers des rendez-vous parlementaires auxquels assistent des dizaines de députés et sénateurs [28]. Mais, contrairement à l'Ifrap, l'association ne déclare pas ses activités de lobbying auprès de la HATVP.
Anne-Sophie Simpere
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photo : Fred Romero cc
[1] « Avrams did a short term consulting project for Francois Laarman at the Paris-based Contribuables. » Email de Brad Lips à Alejandro Chafuen, 22 mars 2000.
[2] L. Benjamin Rolsky, « Conservatives pioneered direct mail to stoke discontent. It worked », The Washington Post, 4 août 2022 - https://www.washingtonpost.com/made-by-history/2022/08/04/conservatives-pioneered-direct-mail-stoke-discontent-it-has-worked/
[3] Corentin Lesueur, « Institut pour la justice : derrière la manifestation en hommage à Lola, une association aux combats communs à l'extrême-droite », Le Monde, 20 octobre 2022. https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/10/20/institut-pour-la-justice-derriere-la-manifestation-en-hommage-a-lola-une-association-aux-combats-communs-a-l-extreme-droite_6146689_3224.html
[4] Pierre Breteau, « La critique parcellaire d'une association libérale sur les effectifs de Matignon », Le Monde, Les décodeurs, 29 janvier 2018, https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/01/29/quand-un-think-tank-liberal-s-indigne-du-nombre-de-personnes-travaillant-a-matignon_5248810_4355770.html, ou Samuel Laurent, « Macron et la « taxe sur les loyers fictifs » : une rumeur qui ne meurt jamais, en six points », Le Monde, Les décodeurs, 22 mars 2017, https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/03/22/macron-et-la-taxe-sur-les-loyers-fictifs-une-rumeur-qui-ne-meurt-jamais-en-six-points_5099077_4355770.html ou Adrien Sénécat, « La « nouvelle taxe contre les familles »… qui n'existait pas », Le Monde, Les décodeurs, 1er septembre 2016 https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/09/01/la-nouvelle-taxe-contre-les-familles-qui-n-existait-pas_4991121_4355770.html ou Samuel Laurent, « Pourquoi le concept de « libération fiscale » n'est (toujours) pas rigoureux », Le Monde, Les décodeurs, 26 juillet 2016 https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/07/26/pourquoi-le-concept-de-liberation-fiscale-n-est-toujours-pas-rigoureux_4974861_4355770.html, ou Maxime Vaudano, « Des élus se sont-ils vraiment attribué un « parachute doré » ?, Le Monde, Les décodeurs, 25 mars 2015- https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/03/25/les-elus-se-sont-ils-vraiment-vote-en-douce-un-parachute-dore_4600451_4355770.html
[6] Cour de cassation, Pourvoi n° 19-26.249, 15 septembre 2022. https://www.courdecassation.fr/decision/6322ce8539bd63fcb09450b1
[7] Rafaële Rivais, « Logement occupé illégalement : les propriétaires restent responsables en cas de défaut d'entretien », Le Monde, 3 octobre 2022. https://www.lemonde.fr/argent/article/2022/10/03/logement-occupe-illegalement-les-proprietaires-restent-responsables-en-cas-de-defaut-d-entretien_6144124_1657007.html
[8] Voir le site de Contribuables associés, « Qui sommes-nous ? » : https://www.touscontribuables.org/qui-sommes-nous-v1-old/qui-sommes-nous-v1a-old/notre-histoire-nos-missions-notre-adn
[9] Eudes Baufreton, directeur de Contribuables Associés, « Suppression de l'ISF : le combat de Contribuables Associés », 31 mai 2017 - https://www.touscontribuables.org/les-combats-de-contribuables-associes/les-impots-et-taxes/ifi/de-la-necessite-de-supprimer-l-isf?highlight=WyJpc2YiXQ==
[10] Contribuables associés, « Une bonne réforme fiscale : l'impôt à taux unique », 3 mars 2017 - https://www.touscontribuables.org/les-combats-de-contribuables-associes/les-impots-et-taxes/une-bonne-reforme-fiscale-l-impot-a-taux-unique
[11] Coralie Schaud, « Climato-réaliste », Libération, 30 décembre 2016 https://www.liberation.fr/futurs/2016/12/30/climato-realiste_1538245/?redirected=1
[12] Le « chèque éducation » est un système de financement de l'éducation où les parents se voient remettre une subvention qu'ils versent ensuite à l'établissement de leur choix. Le système favorise l'émergence d'un marché privé de l'éducation, la compétition entre les établissement, et porte le risque d'augmenter les inégalités et la ségrégation entre les élèves (ces critiques viennent de pays où il a été mis en place, comme la Suède ou la Belgique)
[13] Fabrice Durtal, « Éducation nationale : une bérézina scolaire à 60 milliards d'euros par an », Tous contribuables n°28 " Éducation nationale : les fossoyeurs " , 1er septembre 2023 - https://www.touscontribuables.org/les-combats-de-contribuables-associes/deseducation-nationale-une-faillite-a-59-milliards-d-euros-annuels?highlight=WyJ3b2tpc21lIl0=
[14] Christophe Forcari, « Tête de liste, Alain Dumait cache le Front », Libération, 20 septembre 2011 - https://www.liberation.fr/france/2011/09/20/tete-de-liste-alain-dumait-cache-le-front_762343/
[15] Michele Aulagnon, « Les signatures de maires opposés à tout contrat d'union entre personnes de même sexe affluent », Le Monde, 18 avril 1998 - https://www.lemonde.fr/archives/article/1998/04/18/les-signatures-de-maires-opposes-a-tout-contrat-d-union-entre-personnes-de-meme-sexe-affluent_3650798_1819218.html
[16] Selon l'enquête d'Etienne Girard sur Eric Zemmour, Benoit Perrin aurait participé à des réunions chez Sarah Knafo en vue de la candidature de Zemmour aux présidentielles de 2022. Voir Etienne Girard, Le radicalisé. Enquête sur Eric Zemmour, éd. du Seuil, oct. 2021
[17] Le salon belge : https://lesalonbeige.fr/
[18] Pétition « Larguez Disney » : https://dumpdisney.com/disneydechet/?utm_source=EB220704LA01
[19] Marine Turchi, « Le CV d'extrême droite de l'assistante parlementaire d'Hervé Mariton », Mediapart, 4 juin 2013. https://www.mediapart.fr/journal/france/300513/le-cv-dextreme-droite-de-lassistante-parlementaire-dherve-mariton
[20] Voir le profil Linkedin de Jeanne Pavard : https://www.linkedin.com/in/jeanne-pavard-315584144/?trk=people-guest_people_search-card&originalSubdomain=fr
[21] Programme des Universités d'été de Reconquête, du 8 au 11 septembre 2022 : https://compte.parti-reconquete.fr/assets/Programme-UDT-2022.pdf
[22] Programme des Universités d'été de Reconquête, du 8 au 11 septembre 2022 : https://compte.parti-reconquete.fr/assets/Programme-UDT-2022.pdf
[23] Avec une exception lors de la précédente législature, où Contribuables associés a été cité par un député LFI.
[24] « Droit de réponse de l'association Contribuables Associés. », Le Parisien, 5 décembre 2013. https://www.leparisien.fr/archives/droit-de-reponse-de-l-association-contribuables-associes-05-12-2013-3377927.php
[25] Contribuables associés a pu se montrer virulente au point d'être condamnée pour diffamation contre une inspectrice des impôts, une condamnation validée par la Cour européenne des droits de l'Homme qui constate que la requérante a échoué à démontrer, devant les juridictions internes, aussi bien la vérité de ces allégations que sa bonne foi. CEDH, 18 février 2010, Req. 42396/04, Taffin et contribuables associés c/ France
[26] « Chaque année, plusieurs médias reprennent ce calcul issu d'institutions libérales, pourtant dénoncé comme peu fiable par de nombreux économistes. » ; Samuel Laurent, « Pourquoi le concept de « libération fiscale » n'est (toujours) pas rigoureux », Le Monde, 26 juillet 2016 - https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/07/26/pourquoi-le-concept-de-liberation-fiscale-n-est-toujours-pas-rigoureux_4974861_4355770.html : indice critiqué par de nombreux économistes, alors qu'il est largement repris dans les médias
[27] Léa Mabilon, « Qui est derrière le documentaire « Eoliennes : du rêve aux réalités » ? », Libération, Check News, 17 juin 2021 - https://www.liberation.fr/environnement/qui-est-derriere-le-documentaire-eoliennes-du-reve-aux-realites-20210617_H74JOSU7YRCUDAXW7E4YZS4LGA/?redirected=1
[28] Voir sur le site de Contribuables associés « les rendez-vous parlementaires » : https://www.touscontribuables.org/les-combats-de-contribuables-associes/elus/rendez-vous-parlementaires
25.06.2024 à 10:55
Piera Rocco di Torrepadula
Les terres agricoles françaises sont de plus en plus la propriété d'entreprises ou d'investisseurs. Avec la montée en puissance de cette « agriculture sociétaire » et l'emprise croissante des coopératives et firmes agroalimentaires qui leur dictent leurs pratiques, les agriculteurs se retrouvent en situation de « quasi salariat ».
Le mouvement des agriculteurs qui a agité la France au début de l'année a été présenté par les médias comme un énième épisode opposant monde agricole et (…)
Les terres agricoles françaises sont de plus en plus la propriété d'entreprises ou d'investisseurs. Avec la montée en puissance de cette « agriculture sociétaire » et l'emprise croissante des coopératives et firmes agroalimentaires qui leur dictent leurs pratiques, les agriculteurs se retrouvent en situation de « quasi salariat ».
Le mouvement des agriculteurs qui a agité la France au début de l'année a été présenté par les médias comme un énième épisode opposant monde agricole et gouvernement, ville et campagne, écologie et travail de la terre. Quelques voix se sont élevées pour souligner les contradictions et les inégalités grandissantes au sein du secteur agricole lui-même. Loin des préoccupations exprimées des chefs d'exploitation endettés et des ouvriers agricoles, grands groupes comme Lactalis ou Avril, la holding dirigée par Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, dominent leurs filières respectives et prospèrent. La soumission croissante de l'économie agricole aux investisseurs et aux grandes entreprises se vérifie aussi si l'on se penche sur le foncier et le contrôle de la terre.
Au cours de la Révolution française, la redistribution des terres jusqu'alors possédées par les seigneurs ou le clergé avait posé les bases du développement d'une société démocratique moderne. Tout au long du XXe siècle, les paysans insurgés scandaient “La terre à ceux qui la travaillent !”. Mais le mouvement semble s'être inversé, et la réalisation de ce slogan paraît de plus en plus lointaine. Aujourd'hui, selon l'Insee, 5% des exploitants agricoles utilisent 25% des surfaces agricoles disponibles en France. En 2020, la taille moyenne des exploitations françaises était de 69 hectares, trois fois plus que ce qu'elle était il y a 50 ans [1].
La concentration du foncier agricole est allé de pair avec l'arrivée d'investisseurs provenant d'autres secteurs. C'est ainsi que dans le patrimoine foncier du groupe de grande distribution Auchan, on trouve plus de 800 hectares de terres agricoles [2]. D'autres exemples ont attiré l'attention des médias , comme les 1700 hectares que la société chinoise Reward a acquis dans l'Indre pour y cultiver du blé. La même entreprise possède également 900 hectares dans l'Allier [3]. Le projet du propriétaire, le milliardaire Kequin Hu, était d'ouvrir une chaîne de boulangeries en Chine. L'entreprise a fait faillite en 2019, ne parvenant pas à rembourser ses dettes, mais les terres demeurent possédées par Ressource Investment, autre société du patron de Reward [4]. Dans le secteur du vin, le groupe Grand Chais de France revendique plus de 3000 hectares dans l'Hexagone si on additionne tous les domaines qu'il liste sur son site internet. Son concurrent Castel Frères, dont le propriétaire Pierre Castel est l'une des premières fortunes de France, possède 1400 hectares de vignobles [5].
Des sociétés s'accaparant de larges portions de terre et fonctionnant dans une logique financière peuvent se trouver aussi dans les mains de particuliers. C'est ainsi que la société Agro Team, créée par un couple normand, a pu acheter 12 sociétés d'exploitations agricoles couvrant 2121 hectares dans la Vienne pour plus de 10 millions d'euros [6]. Ces sociétés d'exploitations avaient été accumulées au cours des années par un agriculteur céréalier, qui a ensuite vendu aux actionnaires d'Agro Team, déjà détenteurs, entre autres, d'une holding ainsi que d'une société de conseil basée à Paris. Avec l'acquisition de la ferme, et le statut d'exploitant agricole, le couple et leurs deux associés ont droit à 500 000 euros d'aides par an dans le cadre de la Politique agricole commune, et potentiellement à un million de mètres cubes d'eau provenant d'un projet de bassine encore à réaliser.
Selon les autorités locales, les 12 sociétés d'exploitations rachetées avaient accumulé trop de capital pour que des petits agriculteurs les reprennent, rendant ainsi inévitable l'achat par Agro Team, même contre l'avis du Comité technique départemental. Jacques Pasquier, paysan retraité de la Confédération Paysanne de la Vienne, note que cette concentration de terres agricoles dément le prétendu engagement du gouvernement à protéger la « souveraineté alimentaire ». Au contraire, poursuit-il, cette agriculture de firme tend de plus en plus à se spécialiser dans la récolte de « matières premières » comme les céréales ou le lait, destinées à l'industrie agroalimentaire, un marché plus lucratif que la vente de produits frais. « La France doit importer la moitié de ses fruits et légumes, dit-il, mais ces sociétés vont toutes cultiver du colza pour les carburants ou des protéines végétales pour l'alimentation des élevages. »
Le cas d'Agro Team soulève aussi des questions sur le nombre réel de paysans dans les campagnes françaises. Le recensement agricole, qui se base sur le nombre d'exploitations agricoles, faisait état de 416 436 agriculteurs en 2022. Mais ce calcul ne prend pas en compte le fait qu'il peut y avoir un seul propriétaire derrière des dizaines d'exploitations. Dans ce cas précis, seulement quatre actionnaires peuvent prendre le contrôle de douze exploitations agricoles alors qu'ils en possèdent déjà d'autres ailleurs. Selon Pasquier, il pourrait y avoir ainsi dans certaines régions jusqu'à 30% d'agriculteurs en moins par rapport à ce qui est recensé.
Un constat partagé par Coline Sovran, autrice d'un rapport publié par Terres de Liens, intitulé « La propriété des terres agricoles en France : à qui profite la terre ? » : « Parmi les 400 000 chefs d'exploitation agricoles recensés en France, on peut se douter qu'il y a un certain nombre d'agri-managers qui pilotent de loin leur ferme parmi d'autres actions, comme le fait très bien Arnaud Rousseau. »
Ce dernier, céréalier et secrétaire général de la FNSEA, se targue d'un statut d'exploitant parce qu'il st, avec sa femme, à la tête de 700 hectares en Seine-et-Marne. Or, c'est le fait d'être le président du conseil d'administration d'Avril Gestion qui lui a donné le poids nécessaire pour diriger le premier syndicat agricole en France. Avril, anciennement Sofiprotéol, s'occupe de la production d'huiles et protéines végétales dans le monde entier. Parmi ses actionnaires, on trouve également des banques, comme le Crédit Agricole, et d'autres institutions financières comme Natixis.
Plus les exploitations s'agrandissent, plus elles ont besoin de capital, explique Sovran. (« Donc il faut aller chercher des investissements extérieurs, poursuit-elle, et si on regarde qui est au conseil d'administration de ces grands groupes, c'est là qu'on va retrouver tout le monde autour de la même table. » Au CA du groupe Avril, on trouve des personnages comme Anne Lauvergeon, ancienne patronne d'Areva.
Et qui travaille la terre ? En 2019, il y avait 250 000 ouvriers agricoles selon l'Insee, qui sont salariés et ne possèdent ni les surfaces qu'ils cultivent, ni les sociétés d'exploitation. Plusieurs d'entre eux sont employés par des entreprises de travaux agricoles (ETA), vraies firmes de sous-traitance qui vendent leurs services aux propriétaires terriens, voire même aux chefs d'exploitation. Vingt pour cent des exploitations en grandes cultures auraient totalement délégué leurs surfaces à ces entreprises, d'après l'économiste et ingénieure agronome Geneviève Nguyen [7]. « Si on compte les saisonniers, ajoute Pasquier, à équivalent temps plein il y a probablement déjà plus d'ouvriers agricoles que d'agriculteurs en France. »
Aujourd'hui, 69% des exploitants travaillent encore à leur compte et n'ont aucun salarié. Mais ces exploitations individuelles connaissent une forte baisse. Selon les projections de l'Insee, la moitié de celles-ci pourrait disparaître d'ici 2035, et ce au profit des « exploitations sociétaires », qui deviendraient le modèle d'agriculture majoritaire dans le pays. Dans ce modèle, la ferme devient une entreprise dont on peut vendre et acheter des parts, et les terres agricoles sont des actifs s'intégrant dans des portefeuilles d'investissement.
Il existe des entités chargées d'assurer un usage équitable et sûr des terres agricoles, appelées Safers (Société d'aménagement foncier et d'établissement rural). Concrètement, les Safers doivent approuver toute vente d'exploitation, dont elles peuvent choisir l'acheteur et le prix à l'hectare. Mais en acquérant des parts d'exploitation agricole sous forme d'actions, il devient facile de les contourner. La loi Sempastous a été adoptée en 2021 pour répondre à ce vide juridique. D'après cette loi, lors de l'acquisition de parts d'une société agricole, le préfet peut l'interdire ou demander une compensation au bénéficiaire. Tout de même, « il y a beaucoup de trous dans la raquette », d'après Colline Sovran. De fait, rien n'empêche ces groupes de multiplier leurs surfaces d'exploitation. Seuls les cas dépassant un certain seuil par actionnaire seront examinés, sans tenir compte de les liens qui peuvent exister entre différents actionnaires, souvent issus d'une même entreprise mère.
« Le recensement agricole ne prend pas du tout en compte les liens capitalistiques qui peuvent exister entre plusieurs exploitations », continue Sovran. Des relations que Terre de Liens a étudiées à propos du groupe Altho, producteur des chips Brets. Bien que possédant seulement 84 hectares, Altho contrôle trois sociétés exploitant 135 hectares chacune, en plus d'acheter ses pommes de terre à 341 agriculteurs, qui exploitent à leur tour 2 383 hectares [8]. Suite à la publication du rapport de Terre de liens, Altho a précisé que ces terres ne servaient pas à cultiver des pommes de terre, mais à « accueillir le réseau d'irrigation d'Altho (existant depuis 2006) qui utilise l'eau épurée venant de la
station d'épuration de l'usine de Saint-Gérand », ajoutant qu'elle n'avait aucun projet d'expansion foncière directe ou indirecte.
Car à la propriété directe de terres par des grandes coopératives ou des firmes agroalimentaires s'ajoute, de fait, le contrôle indirect qu'elles exercent pat le biais de leurs contrats avec les agriculteurs, qui démultiplie encore leur emprise foncière. D'après la fiche MAJIC sur la propriété foncière des personnes morales, accessible en ligne, des coopératives comme Arterris et Axereal possèdent respectivement 523 et 385 hectares. Vivescia possède 684 hectares de terre, mais cela pâlit face à la surface dont elle collecte les récoltes : un million d'hectares [9].
Aujourd'hui les principales coopératives françaises comme InVivo, Vivescia ou Agrial ont des chiffres d'affaires supérieurs à 5 milliards d'euros. Elles agissent dans une logique de profit comme des entreprises privées. Parfois elles achètent même des entreprises privées, comme InVivo, qui a acquis en 2021 l'entreprise familiale Soufflet, un géant de la collecte de céréales qui a investi dans différentes activités, de la sélection de semences à la restauration rapide, notamment avec les sandwichs de son enseigne Pomme de Pain. InVivo peut aussi revendiquer, à travers ses adhérents, 25 000 hectares de vignes. Côté distribution, la branche InVivo Retail a fusionné avec une compagnie financière possédée par Xavier Niel (propriétaire d'Iliad), Matthieu Pigasse (actionnaire, avec Niel, du groupe Le Monde) et Moez-Alexandre Zouari (actionnaire de Picard et détenteur de plusieurs franchises Casino) [10].
La concentration des actifs de la filière agroalimentaire entre les mains de quelques entreprises représente également des risques au niveau environnemental, explique Gilles Billen, directeur de recherche au CNRS émérite en biogéochimie, qui a travaillé sur l'évolution des filières alimentaires en France : (« Aujourd'hui le dogme est la spécialisation. On fait ce qu'on fait le mieux et on essaie d'être le premier sur le marché international. Jamais vous ne verrez une entreprise avoir comme projet de faire un petit peu de tout parce que ça répond à la demande locale. » Or la monoculture empêche de boucler le cycle de matières comme l'azote par exemple. (« Un modèle reposant sur des cultures plus variées, comme la polyculture élevage, permettrait de se passer des pesticides et des engrais », suggère-t-il. Or, le choix ne repose souvent pas sur les agriculteurs. Les marges de profits ne se font pas dans les champs mais dans la transformation agroalimentaire et dans la distribution. Ainsi, les agriculteurs se retrouvent dans une situation proche du salariat vis-à-vis des collecteurs et des aides d'Etat, conclut Billen. Face aux risques de crises environnementales et économiques liées à la production agricole, on est selon lui dans « un néolibéralisme tout à fait débridé ».
Piera Rocco di Torrepadula