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11.08.2025 à 23:59

La junte au Niger dissout des syndicats du secteur de la justice

Human Rights Watch
Click to expand Image Le général Mohamed Toumba, ministre de l'Intérieur, qui faisait parti des officiers ayant renversé le président nigérien Mohamed Bazoum en juillet 2023, s'addresse à ses militants à Niamey, au Niger, le 6 aout 2023. © 2023 AP Photo/Sam Mednick, File

Le 7 août, la junte militaire nigérienne a annoncé la dissolution de quatre principaux syndicats du secteur de la justice. Cette décision porte atteinte aux droits des travailleurs à la liberté d'association et à l'indépendance du système judiciaire.

Cette dissolution s'inscrit dans un schéma de répression de la junte militaire qui, depuis sa prise de pouvoir en juillet 2023, a intensifié ses attaques contre l'opposition politique, les médias, les syndicats et les groupes de la société civile, réduisant ainsi l'espace civique et politique du pays.

Le 7 août, le général Mohamed Toumba, ministre de l'Intérieur, a signé quatre décrets décrétant la dissolution du Syndicat autonome des magistrats (SANAM), de l'Union des magistrats du Niger (UNAM), du Syndicat national des agents de justice (SNAJ) et du Syndicat des cadres et des agents techniques du ministère de la Justice (SYNCAT).

Bien que les décrets n'aient fourni aucune explication pour les dissolutions, le 8 août, le ministre de la Justice, Alio Daouda, a déclaré que les syndicats avaient « dévié » de leurs rôles et privilégié des « intérêts personnels ». La dissolution des syndicats du secteur de la justice soulève aussi des inquiétudes concernant l'indépendance judiciaire dans le pays.

En réponse, l’Intersyndicale des travailleurs du Niger a décrit cette décision comme « une atteinte grave aux libertés fondamentales », et a appelé le gouvernement à revenir sur sa décision.

Les autorités militaires avaient déjà attaqué les syndicats dans le passé. En avril, la junte avait dissous trois syndicats représentant les forces paramilitaires du pays, qui participent aux opérations de contre-insurrection aux côtés de l'armée contre des groupes armés islamistes.

Les autorités militaires du Niger continuent également de détenir de manière arbitraire l'ancien président Mohamed Bazoum et sa femme à Niamey, la capitale, malgré une décision d'un tribunal régional ordonnant leur libération. Ils continuent également de détenir de manière arbitraire Moussa Tiangari, éminent activiste des droits humains et détracteur du gouvernement, depuis décembre 2024.

En février, le dirigeant de la junte, le général de brigade Abdourahmane Tiani, a prolongé le règne de la junte en repoussant les élections.

Les syndicats ont joué un rôle essentiel dans le renforcement de la démocratie au Niger. Le SANAM avait mis en garde plusieurs gouvernements au fil des années de ne pas s'ingérer dans les affaires judiciaires.

Les autorités nigériennes devraient permettre aux travailleurs de s'associer et de s'organiser librement, conformément à leurs obligations internationales, et non de fermer des organisations syndicales importantes. Elles devraient révoquer leur décision de dissoudre les quatre syndicats et protéger la liberté d'association ainsi que l'indépendance des tribunaux.

07.08.2025 à 06:00

Gaza : Les frappes israéliennes contre des écoles exacerbent le danger pour les civils

Human Rights Watch
Click to expand Image L'école Al-Zeitoun C dans la ville de Gaza, touchée par une frappe aérienne israélienne le 21 septembre 2024. Au moins 34 Palestiniens déplacés, dont au moins 21 enfants qui s'y étaient réfugiés, ont été tués. © 2024 Dawoud Abo Alkas/Anadolu via Getty Images Les attaques meurtrières des forces israéliennes contre des écoles abritant des civils palestiniens mettent en évidence l’absence de lieux sûrs pour les personnes déplacées, qui constituent la grande majorité de la population de Gaza.  Depuis octobre 2023, des centaines d’attaques israéliennes ont touché plus de 500 établissements scolaires, dont beaucoup servaient d’abris, tuant des centaines de civils et causant des dégâts importants à presque toutes les écoles de Gaza.  Les attaques israéliennes ont privé les civils d’un accès sûr à des abris et contribueront à perturber l’accès à l’éducation pendant de nombreuses années, dans la mesure où la réparation et la reconstruction des écoles peuvent nécessiter beaucoup de temps et la mobilisation de ressources importantes.

(Jérusalem, 7 août 2025) – Les attaques meurtrières menées par les forces israéliennes contre des écoles qui abritent des civils palestiniens mettent en évidence l’absence de lieux sûrs pour les personnes déplacées de Gaza, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Depuis octobre 2023, les autorités israéliennes ont mené des centaines de frappes contre des écoles qui abritaient des Palestiniens déplacés, notamment des attaques illégales et indiscriminées utilisant des munitions américaines qui ont tué des centaines de civils et endommagé ou détruit la quasi-totalité des écoles de Gaza.

Les récentes frappes israéliennes contre des écoles transformées en abris s’inscrivent dans le cadre de l’offensive militaire actuelle des forces israéliennes qui a détruit la plus grande partie des infrastructures civiles restantes à Gaza et a de nouveau déplacé des centaines de milliers de Palestiniens en aggravant une situation humanitaire déjà désastreuse. Les gouvernements, notamment celui des États-Unis qui a fourni des armes utilisées dans certaines attaques illégales, devraient imposer un embargo sur les armes au gouvernement israélien et prendre d’autres mesures urgentes pour faire respecter la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide (Convention sur le génocide).

« Les frappes israéliennes contre des écoles abritant des familles déplacées donnent un aperçu du carnage à grande échelle perpétré par les forces israéliennes à Gaza », a déclaré Gerry Simpson, Directeur adjoint à la division Crises, conflits et armement à Human Rights Watch. « Les gouvernements ne devraient pas tolérer cet horrible massacre de civils palestiniens qui ne cherchent qu’à se mettre à l’abri. »

Human Rights Watch a enquêté sur les attaques israéliennes qui ont frappé l’école pour filles Khadija à Deir al-Balah le 27 juillet 2024 et tué au moins 15 personnes, et l’école al-Zeitoun C dans le quartier al-Zeitoun de la ville de Gaza le 21 septembre 2024, qui a fait au moins 34 morts. Human Rights Watch n’a trouvé aucune preuve de la présence de cibles militaires dans l’une ou l’autre de ces écoles.

Click to expand Image Un garçon debout dans les décombres de l'école Khadija à Deir al-Balah, dans le centre de Gaza, touchée par une frappe aérienne israélienne le 27 juillet 2024. Au moins 15 Palestiniens déplacés ont été tués dans cette attaque. © 2024 Rizek Abdeljawad/Xinhua via Getty Images

Ces conclusions s’appuient sur l’analyse d’images satellites, de photos et de vidéos des attaques et de leurs conséquences, sur des contenus publiés sur les réseaux sociaux concernant des hommes dont on sait qu’ils ont péri lors des deux frappes, ainsi que sur des entretiens téléphoniques avec deux personnes qui ont été témoins des conséquences de la frappe contre l’école Khadija et une autre qui était présente au moment de l’attaque contre l’école al-Zeitoun C.

Les autorités israéliennes n’ont pas rendu publiques les informations relatives aux attaques documentées par Human Rights Watch, notamment les détails concernant la cible visée ou les précautions prises lors de ces attaques pour minimiser les dommages causés aux civils. Elles n’ont pas répondu à une lettre datée du 15 juillet qui résume les conclusions de Human Rights Watch concernant ces frappes et demande des informations spécifiques les concernant.

L’absence de cible militaire dans les frappes contre les écoles Khadija et al-Zeitoun rendrait ces attaques illégales et indiscriminées et constituerait une violation du droit international humanitaire. Les écoles et autres établissements d’enseignement sont des biens civils protégés contre les attaques. Ils perdent cette protection lorsqu’ils sont utilisés à des fins militaires ou occupés par des forces militaires. L’utilisation d’écoles pour héberger des civils ne modifie pas leur statut juridique.

Entre le 1er et le 10 juillet 2025, les forces israéliennes ont frappé au moins 10 écoles transformées en abris, dont certaines avaient déjà été endommagées, tuant 59 personnes et déplaçant de nouveau des dizaines de familles, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA). L’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) a indiqué qu’environ un million de personnes déplacées à Gaza s’étaient réfugiées dans des écoles pendant les hostilités et qu’au 18 juillet, au moins 836 personnes réfugiées dans des écoles avaient été tuées et qu’au moins 2 527 autres avaient été blessées.

La dernière évaluation en date du cluster Éducation dans les territoires palestiniens occupés d’OCHA a révélé que 97 % des établissements scolaires de Gaza (547 sur 564) ont subi des dégâts plus ou moins importants, y compris 462 (76%) qui ont été « directement touchés » et 518 (92%) qui nécessitent « une reconstruction complète ou d’importants travaux de réhabilitation pour redevenir fonctionnels ».

Les attaques israéliennes ont privé les civils d’un accès sûr à des abris et contribueront à perturber l’accès à l’éducation pendant de nombreuses années, dans la mesure où la réparation et la reconstruction des écoles peuvent nécessiter beaucoup de temps et la mobilisation de ressources importantes, avec un impact négatif significatif sur les enfants, les parents et les enseignants.

Une enquête publiée le 24 juillet par les médias israéliens +972Magazine et Local Call a fait état de la mise en place par l’armée israélienne d’« une cellule spéciale chargée d’identifier systématiquement les écoles, qualifiées de “centres de gravité” afin de les bombarder, affirmant que des membres du Hamas s’y cachaient parmi des centaines de civils ». Le rapport note que les double-frappes (« double tap » en anglais, qui désigne une deuxième frappe contre un même site dans le but de cibler les survivants de la première frappe, mais aussi les premiers secours) « sont devenues particulièrement courantes ces derniers mois dans les situations où Israël bombarde des écoles à Gaza ».

L’armée israélienne a affirmé, à propos de dizaines d’attaques contre des écoles, que le Hamas ou d’autres combattants palestiniens ou encore des centres de « commandement et de contrôle » étaient déployés dans ces écoles, sans toutefois fournir d’informations plus précises. Human Rights Watch n’a connaissance que de sept cas dans lesquels l’armée israélienne a publié les noms et photos de membres présumés de groupes armés palestiniens qui, selon elle, se trouvaient dans une école au moment de l’attaque.

Après l’attaque du 6 juin 2024 contre l’école al-Sardi, l’armée israélienne a révélé les noms de 17 combattants présumés. Cependant, après avoir examiné ces noms, Human Rights Watch a constaté que trois d’entre eux semblaient avoir été tués lors d’attaques précédentes.

La présence de groupes armés palestiniens dans l’une des écoles attaquées ne rendrait pas nécessairement les attaques légales. Les lois de la guerre interdisent les attaques contre des objectifs militaires si les dommages prévisibles pour les civils et biens civils sont disproportionnés par rapport au gain militaire escompté de l’attaque.

Les lois de la guerre imposent également aux parties belligérantes, sauf si les circonstances ne le permettent pas, de donner un « avertissement en temps utile et par des moyens efficaces » avant toute attaque susceptible d’affecter la population civile.

Le déploiement de groupes armés dans des écoles transformées en abris exposerait les civils à des risques inutiles. Les lois de la guerre obligent les parties belligérantes à prendre toutes les précautions possibles contre les effets de telles attaques et à éviter de placer des cibles militaires à proximité de zones densément peuplées.

Les violations graves des lois de la guerre commises par des individus ayant une intention criminelle, c’est-à-dire de manière délibérée ou par négligence, constituent des crimes de guerre. Les individus peuvent également être tenus pénalement responsables s’ils ont aidé, facilité, soutenu ou encouragé un crime de guerre. Tous les états parties à un conflit armé sont tenus d’enquêter sur les crimes de guerre présumés commis par les membres de leurs forces armées.

La Déclaration sur la sécurité dans les écoles, une déclaration politique internationale approuvée par 121 pays, vise à protéger l’éducation en temps de guerre en renforçant la prévention et la réponse aux attaques contre les élèves, les enseignants, les écoles et les universités, notamment en évitant l’utilisation des établissements scolaires à des fins militaires. Si Israël n’a pas signé cette déclaration, la Palestine y a adhéré en 2015.

Les gouvernements devraient suspendre les transferts d’armes vers Israël, compte tenu du risque évident que ces armes puissent être utilisées pour commettre ou faciliter des violations graves du droit international humanitaire. La fourniture par le gouvernement des États-Unis d’armes à Israël, qui ont été utilisées à plusieurs reprises pour frapper des écoles transformées en abris et commettre des crimes de guerre manifestes, rend les États-Unis complices de leur utilisation illégale.

Le 10 juin, la Commission d’enquête des Nations Unies sur le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et Israël a déclaré que les autorités israéliennes avaient « détruit le système éducatif de Gaza » et que ses attaques contre des sites éducatifs, religieux et culturels dans le territoire palestinien occupé faisaient « partie d’une offensive généralisée et implacable contre le peuple palestinien, dans le cadre de laquelle les forces israéliennes ont commis des crimes de guerre et le crime contre l’humanité d’extermination ».

« Après presque deux ans d’attaques répétées menées par Israël, tuant des civils dans des écoles et d’autres lieux protégés, les gouvernements qui fournissent un soutien militaire à Israël ne peuvent pas prétendre qu’ils n’étaient pas conscients des conséquences de leurs actes », a déclaré Gerry Simpson. « Les gouvernements devraient suspendre tous les transferts d’armes vers Israël et prendre d’autres mesures pour empêcher de nouvelles atrocités de masse. »

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+ Liban : Le Monde  OLJ

06.08.2025 à 22:55

RD Congo : Un groupe armé massacre des dizaines de personnes dans une église

Human Rights Watch
Click to expand Image L'enterrement de personnes tuées par le groupe armé Forces démocratiques alliées dans une paroisse dans la ville de Komanda, dans la province de l'Ituri, dans l'est de la République démocratique du Congo, le 28 juillet 2025. © 2025 Reuters/Stringer

(Nairobi) – Le groupe armé Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces, ou ADF) a tué plus de 40 personnes, dont plusieurs enfants, à l'aide d'armes à feu et de machettes lors d'un rassemblement de nuit dans l’enceinte d’une paroisse les 26 et 27 juillet 2025, dans l'est de la République démocratique du Congo, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Plusieurs autres enfants ont été enlevés et sont toujours portés disparus.

Les ADF, dirigées par des Ougandais, ont prêté allégeance à l'État islamique (EI) en 2019, mais les liens actuels entre les deux groupes armés ne sont pas clairs. L'EI a revendiqué l'attaque de la ville de Komanda, dans la province de l'Ituri, sur sa chaîne Telegram, indiquant que 45 personnes avaient été tuées. Ce massacre accentue les inquiétudes quant à la capacité de l'armée nationale congolaise, stationnée à proximité, et de la force de maintien de la paix de l'ONU à protéger les civils.

« Les meurtres de civils commis par les Forces démocratiques alliées, y compris de fidèles se trouvant dans une église, sont d'une incompréhensible brutalité », a déclaré Clémentine de Montjoye, chercheuse senior sur les Grands Lacs à Human Rights Watch. « Le massacre de Komanda et les autres tueries de masse perpétrées cette année mettent en évidence l'insécurité dans l'est de la RD Congo et la nécessité pour le gouvernement congolais de renforcer d'urgence ses mesures pour protéger les civils et traduire les responsables en justice. »

Des habitants de Komanda et des témoins ont rapporté à Human Rights Watch que des fidèles s'étaient rassemblés à l'église catholique le 26 juillet dans le cadre d'une célébration religieuse et que beaucoup d'entre eux avaient passé la nuit dans la paroisse avant la messe du dimanche. Les combattants des ADF ont pénétré dans l'enceinte de la paroisse vers 1 heure du matin le 27 juillet et ont commencé leur attaque sur un bâtiment où des personnes dormaient, selon des témoins. Des survivants et un témoin ont déclaré que les combattants avaient attaqué des personnes en leur assénant des coups à la tête avec des instruments contondants ainsi qu'avec des machettes et des armes à feu. Selon la paroisse, au moins 33 personnes sont mortes sur le coup ou des suites de leurs blessures.

« Ils nous ont dit de nous asseoir, puis ils ont commencé à frapper les gens [avec des objets contondants] à l'arrière du cou. Ils ont tué deux personnes que je ne connaissais pas, et c'est là que j'ai décidé de m'enfuir avec quatre autres personnes », a déclaré un rescapé à Human Rights Watch. « Nous avons réussi à nous enfuir – ils ont tiré sur nous, mais ils ne nous ont pas touchés. »

Les combattants des ADF ont tué au moins cinq autres personnes dans la ville et incendié des maisons et des kiosks, selon un responsable local de la société civile et des médias. Des vidéos publiées sur les réseaux sociaux et géolocalisées par Human Rights Watch montrent des bâtiments incendiés sur la route principale de la ville, près de l'église.

Human Rights Watch a reçu les noms de 39 personnes tuées, 9 blessées et de 9 enfants âgés de 7 à 14 ans qui ont été enlevés. Selon une liste fournie par la paroisse le 2 août, plus de 30 personnes ont été enlevées et 7 blessées lors de l'attaque sur le bâtiment à côté de l'église. Le 27 juillet, la mission de maintien de la paix des Nations Unies en RD Congo (MONUSCO) a fait état d'au moins 43 morts, dont 9 enfants, ainsi que de personnes tuées dans les zones environnantes. Selon deux sources, des personnes kidnappées se sont échappées.

L'armée congolaise était déployée à environ 3 kilomètres au sud de l'église, tandis que la MONUSCO se trouvait à environ un kilomètre au sud. Human Rights Watch a reçu des informations selon lesquelles des problèmes de réseau au moment de l'attaque ont entravé les capacités à donner l'alerte.

« Pendant tout ce temps, ni les FARDC [armée congolaise] ni la MONUSCO ne sont intervenues », a déclaré un leader de la société civile. « La police n'est pas venue non plus. Ils sont tous finalement arrivés, mais il était trop tard. Ils n'ont pu que constater les dégâts. »

Le gouvernement a imposé l'état de siège dans le Nord-Kivu et en Ituri en avril 2021 afin de mettre fin à l'insécurité dans ces deux provinces. Cependant, l'état de siège n'a pas mis un terme aux abus commis contre les civils. Il a permis à l'armée et à la police de restreindre la liberté d'expression et de réprimer les manifestations pacifiques en recourant à la force létale ainsi que d’arrêter arbitrairement et de poursuivre en justice des militants, des journalistes et des membres de l'opposition politique.

L'influente Conférence épiscopale nationale du Congo a déclaré le 29 juillet que « [n]otre indignation est d’autant plus grande parce que ce énième massacre survient dans l’une des Provinces placées sous l’état de siège depuis plusieurs années, appuyé par la mutualisation des forces armées de la RD Congo (FARDC) et celles de l’Ouganda (UPDF), avec la présence pluri décennale de la Mission des Nations Unies pour le Maintien de la Paix (MONUSCO). »

Le gouvernement congolais a condamné ces meurtres, les qualifiant d'« horribles », et des responsables militaires les ont décrits comme un « massacre à grande échelle » en réponse aux récentes opérations militaires menées contre les ADF. La MONUSCO a condamné ces meurtres et averti que ces attaques aggraveraient « une situation humanitaire déjà extrêmement préoccupante dans la province. »

En réponse aux questions écrites de Human Rights Watch, une responsable de l’information du bataillon d’intervention rapide de la base de la MONUSCO à Komanda a déclaré que « les ADF sont connus pour employer des tactiques meurtrières silencieuses, frappant rapidement, de manière organisée et imprévisible. Dans ce cas précis, l'attaque a eu lieu aux premières heures du matin, visant un rassemblement religieux auquel participaient un grand nombre de civils » et que la MONUSCO avait pris des mesures pour « intensifier les efforts de protection dans la région ».

Une source militaire congolaise a déclaré à Human Rights Watch qu'une enquête de la justice militaire avait été ouverte et que des troupes supplémentaires avaient été déployées dans la région afin d'assurer la protection des civils. Le gouvernement congolais et la MONUSCO devraient compléter l’enquête sur l'attaque de juillet et sur la réponse des forces armées et de la MONUSCO de toute urgence et rendre ses conclusions publiques.

Les autorités congolaises, avec l'aide de la MONUSCO, devraient adopter des mesures pour rétablir la confiance avec les civils, notamment en renforçant les réseaux d'alerte précoce et en consultant les communautés et les groupes civiques sur les besoins en matière de protection. Les autorités devraient prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les civils, notamment en réagissant rapidement aux informations faisant état d'activités et de mouvements de groupes armés. En outre, des efforts devraient être déployés pour traduire en justice les auteurs de ces meurtres, qui pourraient constituer des crimes de guerre, a déclaré Human Rights Watch.

Ces dernières années, le groupe armé ADF a été impliqué dans de nombreux meurtres et enlèvements dans les territoires de Beni et Lubero, situés dans la province du Nord-Kivu, et de plus en plus dans le territoire voisin d'Irumu, dans la province de l’Ituri. Selon l'ONU, les attaques des ADF au début du mois de juillet ont tué 82 civils en Ituri et au Nord-Kivu. Le Groupe d'experts des Nations Unies sur la RD Congo a indiqué que « janvier 2025 a marqué la deuxième fois où les ADF ont fait plus de 200 morts en un seul mois – principalement dans la région de Beni et le territoire de Lubero ». En 2024, les ADF étaient le groupe armé responsable du plus grand nombre de meurtres en RD Congo, principalement des civils.

Au début de l'année 2025, les forces armées ougandaises ont accru une opération militaire conjointe, baptisée « Opération Shujaa », qui avait débuté fin 2021. L'ONU a toutefois signalé que cette opération « n’a pas réduit la violence des ADF contre les civils dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri ». Certains experts en matière de sécurité estiment que le déploiement conjoint a repoussé les ADF de certains de leurs bastions situés près de la frontière ougandaise pour s’enfoncer davantage dans les provinces de l'Ituri et du Nord-Kivu.

L'Union africaine et le Conseil de sécurité des Nations Unies devraient faire pression pour qu'une stratégie crédible soit mise en place afin de remédier à la crise sécuritaire qui s'aggrave et aux graves violations des droits humains dans toutes les régions de l'est de la RD Congo, a déclaré Human Rights Watch.

« Le président Félix Tshisekedi, avec un soutien international, devrait se concentrer sur la protection des civils et renforcer la surveillance militaire dans l'est de la RD Congo afin de protéger les communautés qui souffrent depuis longtemps contre de nouvelles atrocités », a conclu Clémentine de Montjoye. « Le gouvernement a le devoir de protéger les civils et de garantir que justice soit rendue aux victimes de ces atrocités répétées. »

06.08.2025 à 22:07

Le Cameroun persiste dans sa décision d’exclure un candidat de l’opposition des élections

Human Rights Watch
Click to expand Image Le homme politique camerounais Maurice Kamto, nouvellement désigné comme candidat à la présidentielle du Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (MANIDEM), s'exprime lors d'une conférence de presse à Yaoundé, le 19 juillet 2025. © 2025 AFP via Getty Images

Le 5 août, le Conseil constitutionnel du Cameroun a appuyé la décision de la commission électorale d'exclure Maurice Kamto, opposant politique de premier plan et adversaire du président sortant Paul Biya, des prochaines élections présidentielles du pays. Cette décision menace la crédibilité du processus électoral et a déclenché une nouvelle vague de répression contre l'opposition politique.

La commission électorale camerounaise avait rejeté la candidature de Maurice Kamto le mois dernier, affirmant que le parti Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (MANIDEM), qui le soutenait, avait également parrainé un deuxième candidat. Cependant, le président du MANIDEM a déclaré que son parti ne soutenait que Maurice Kamto et que la décision de la commission électorale était arbitraire.

Maurice Kamto avait fait appel de cette décision devant le Conseil constitutionnel, qui a rejeté son recours, le considérant comme « non fondé ». Il a également rejeté 34 requêtes d'autres candidats potentiels et ses décisions ne peuvent faire l'objet d'aucun recours.

« La décision du Conseil constitutionnel repose sur des motifs politiques plutôt que juridiques », a déclaré Hyppolite Meli Tiakouang, membre de l'équipe juridique de Maurice Kamto, à Human Rights Watch. « Maurice Kamto est victime de manœuvres frauduleuses qui visent à étouffer toute opposition, préparant ainsi le terrain pour des élections inéquitables. »

L’exclusion de l’opposant politique a suscité des critiques parmi ses partisans et les membres de son parti, qui ont organisé des marches et des manifestations pacifiques dans la capitale, Yaoundé, depuis le 26 juillet. Les forces de sécurité ont utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser la foule, notamment des dizaines de partisans de Maurice Kamto, qui s'étaient rassemblés devant le Conseil constitutionnel le 4 août. Elles ont arrêté au moins 35 de ses partisans depuis le 26 juillet.

Les personnes arrêtées, dont sept femmes, sont détenues dans différents commissariats de police et brigades de la gendarmerie à Yaoundé pour des chefs d'accusation tels que trouble à l'ordre public et rébellion. Leurs avocats ont qualifié ces accusations de motivées par des raisons politiques.

La décision d'exclure Maurice Kamto de la course à la présidence reflète la persistante intolérance du gouvernement à l'égard de toute opposition et dissidence et intervient dans un contexte de répression accrue à l'encontre d’opposants, d’activistes et d’avocats à l'approche des élections, prévues plus tard cette année.

L'exclusion de Maurice Kamto porte atteinte au droit des Camerounais de participer à des élections libres et équitables. Maurice Kamto devrait être autorisé à se présenter aux élections et les citoyens Camerounais devraient pouvoir choisir librement leur candidat. Les autorités devraient mettre fin à la répression de l'opposition et libérer immédiatement toutes les personnes arrêtées pour des raisons politiques, afin que les élections ne soient pas considérées comme inéquitables avant même le début de la campagne électorale.

05.08.2025 à 06:00

Afghanistan : Une répression implacable marque quatre ans de règne des talibans

Human Rights Watch
Click to expand Image Des Afghans expulsés d'Iran arrivaient à Islam Qala, en Afghanistan, peu après avoir franchi la frontière entre les deux pays, le 3 juillet 2025. © 2025 Elise Blanchard/Getty Images

(New York) – Les talibans ont intensifié leur répression depuis leur retour au pouvoir en Afghanistan le 15 août 2021, en renforçant les restrictions sur les droits des femmes et des filles, en détenant des journalistes et en réduisant au silence toute dissidence, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le pays est aujourd’hui confronté à l’une des pires crises humanitaires au monde, exacerbée par la réduction de l’aide des gouvernements donateurs et le retour de 1,9 million de réfugiés afghans expulsés d’Iran et du Pakistan.

Les talibans ont continué à interdire aux filles de poursuivre leurs études au-delà de la sixième année et aux femmes d’accéder à l’université. Les femmes sont également soumises à des restrictions sévères en matière d’emploi, de liberté de mouvement et d’accès aux espaces et services publics. Ces violations de leurs droits ont limité leur accès à l’aide humanitaire et aux soins de santé. Le 8 juillet 2025, la Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt contre le chef des talibans, Haibatullah Akhundzada, et le président de la Cour suprême afghane, Abdul Hakim Haqqani, pour crime contre l’humanité de persécution pour des motifs liés au genre.

« Le quatrième anniversaire du retour au pouvoir des talibans nous rappelle cruellement la gravité de leurs exactions, en particulier contre les femmes et les filles », a déclaré Fereshta Abbasi, chercheuse sur l’Afghanistan à Human Rights Watch. « Les actes odieux des talibans devraient inciter les gouvernements à soutenir les efforts visant à traduire en justice les dirigeants talibans, et tous les autres individus responsables de crimes graves en Afghanistan. »

Les talibans ont appliqué avec rigueur une loi draconienne de 2024 sur la « propagation de la vertu et la prévention du vice », qui impose des règles en matière vestimentaire et de comportement. Des comités chargés de faire respecter la loi au niveau local ont mené des opérations de contrôle sur les lieux de travail, surveillé les espaces publics et mis en place des barrages dans les rues pour inspecter les téléphones portables et interroger les occupants des véhicules ainsi que les piétons.

Les responsables talibans ont arrêté des personnes pour de prétendues infractions à la loi, comme le fait d’écouter de la musique, de porter des hijabs jugés inappropriés ou de ne pas respecter la séparation entre femmes et hommes sur le lieu de travail. L’application stricte de l’obligation pour les femmes d’être accompagnées d’un parent de sexe masculin a accru les difficultés et les restrictions quotidiennes auxquelles elles sont confrontées, tout en rendant plus difficile encore leur accès à l’aide humanitaire et aux services publics tels que les soins de santé.

Une coalition d’organisations afghanes et internationales de défense des droits humains a renouvelé son appel à des mesures, en septembre 2024. Elle a exhorté le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à mettre en place un mécanisme international indépendant de mise en œuvre de l’obligation de rendre des comptes pour l’Afghanistan qui serait chargé d’enquêter, de collecter, de conserver et d’analyser les preuves des graves violations et abus commis dans ce pays.

Ces quatre dernières années, les pays membres de l’ONU n’ont pas pris de mesures efficaces pour mettre fin aux violations flagrantes des droits humains commises en Afghanistan, a déclaré Human Rights Watch. L’Union européenne devrait proposer la création d’un mécanisme complet d’obligation de rendre des comptes pour l’Afghanistan dans le cadre de la résolution annuelle qu’elle présentera au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies pour adoption en septembre.

L’Iran et le Pakistan ont expulsé près de deux millions d’Afghans dans le cadre de la répression menée par ces gouvernements contre les immigrants et les réfugiés. Parmi les personnes renvoyées de force figurent des Afghans qui ont fui en Iran et au Pakistan par crainte de persécutions après la prise du pouvoir par les talibans. Bon nombre de ceux qui ont été expulsés ou contraints de partir vivaient hors d’Afghanistan depuis des décennies, voire depuis toujours dans certains cas. Ces chiffres s’ajoutent aux millions de personnes déplacées à l’intérieur de l’Afghanistan, une situation qui met la délivrance d’aide humanitaire à rude épreuve.

Le 18 juillet dernier, l’Allemagne a en outre expulsé 81 Afghans vers Kaboul, une première sous le gouvernement du chancelier Friedrich Merz, qui a annoncé que ces expulsions se poursuivraient. Aux États-Unis, l’administration Trump a mis fin au statut de protection temporaire accordé aux ressortissants afghans, a sévèrement limité le programme de libération conditionnelle pour raisons humanitaires pour les Afghans, a suspendu indéfiniment toutes les admissions de réfugiés et a inscrit l’Afghanistan sur la liste des pays soumis à une interdiction de voyager, rendant ainsi des milliers de ressortissants afghans passibles d’expulsion, notamment vers des pays tiers.

Les médias afghans ont dû se conformer à des réglementations strictes qui limitent le contenu de ce qu’ils diffusent, notamment en interdisant la publication d’images de certaines personnes et en imposant des exigences vagues visant à empêcher la publication de tout contenu contraire à l’islam. Les journalistes ont déclaré qu’ils s’autocensuraient de plus en plus pour éviter les représailles des autorités.

Les coupes budgétaires de l’administration Trump dans les programmes d’aide des États-Unis – qui représentaient plus de 40 % de l’aide humanitaire à l’Afghanistan jusqu’en janvier 2025 – ont porté un coup sévère aux efforts d’aide alimentaire qui étaient essentiels pour garantir l’accès à la nourriture, pénalisant de manière disproportionnée les femmes et les filles. La moitié de la population afghane, soit environ 23 millions d’habitants, a besoin de l’aide alimentaire. En juillet, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) a rapporté que plus de 400 établissements de santé avaient fermé leurs portes en raison d’un manque de fonds, dont une grande partie provenait de l’aide publique au développement des pays donateurs. 

La suppression de l’aide étrangère a aggravé la malnutrition, en particulier chez les enfants. Ces coupes ont également remis en cause des programmes éducatifs en ligne essentiels destinés aux filles et aux femmes.

« Les répercussions globales du retour au pouvoir des talibans sont devenues de plus en plus évidentes ces quatre dernières années », a conclu Fereshta Abbasi. « Les autres gouvernements devraient trouver un équilibre subtil entre la nécessité de faire pression sur les talibans pour qu’ils mettent fin à leurs abus, et le besoin d’atténuer la crise humanitaire en Afghanistan. Aucun gouvernement ne devrait renvoyer des Afghans de force dans leur pays. »

01.08.2025 à 06:00

Gaza : Les meurtres par les forces israéliennes de Palestiniens en quête de nourriture sont des crimes de guerre

Human Rights Watch
Click to expand Image Une foule de Palestiniens rassemblés devant un site de distribution de nourriture géré par la Fondation humanitaire pour Gaza (Gaza Humanitarian Foundation, GHF), soutenue par les États-Unis, dans le corridor de Netzarim, au centre de la bande de Gaza, le 29 mai 2025.  © 2025 Ahmad Salem/Bloomberg via Getty Images Les forces israéliennes, soutenues par les États-Unis et des entrepreneurs privés, ont mis en place un système de distribution d'aide défaillant et militarisé, qui a transformé les opérations de distribution d'aide en véritables bains de sang.La situation humanitaire désastreuse est la conséquence directe de l'utilisation par Israël de la famine comme arme de guerre – un crime de guerre – ainsi que de son blocage intentionnel et continuel de l’aide humanitaire et des services de base ; ces actions constituent le crime contre l'humanité d'extermination, et des actes de génocide.Les autres États devraient faire pression sur les autorités israéliennes pour qu'elles cessent immédiatement de recourir contre les civils palestiniens à la force létale comme méthode de contrôle des foules, qu'elles lèvent les nombreuses restrictions illégales de l'aide humanitaire, et qu'elles suspendent ce système de distribution défaillant.

(Jérusalem, 1er août 2025) – Les forces israéliennes présentes sur les sites d'un nouveau système de distribution d'aide humanitaire soutenu par les États-Unis à Gaza ont régulièrement ouvert le feu sur des civils palestiniens affamés, commettant de graves violations du droit international qui constituent des crimes de guerre, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

Des incidents ayant fait de nombreuses victimes se sont produits quasi quotidiennement sur les quatre sites gérés par la Fondation humanitaire pour Gaza (Gaza Humanitarian Foundation, GHF), qui agit en coordination avec l'armée israélienne, ou à proximité de ces sites. Au moins 859 Palestiniens ont été tués alors qu'ils tentaient d'obtenir de la nourriture sur les sites de la GHF entre le 27 mai et le 31 juillet, la plupart par l'armée israélienne, selon les Nations Unies. La situation humanitaire désastreuse est la conséquence directe de l'utilisation par Israël de la famine comme arme de guerre – ce qui constitue un crime de guerre – ainsi que de son blocage intentionnel et continuel de l’aide humanitaire et des services de base ; ces actions qui se poursuivent constituent le crime contre l'humanité d'extermination, et des actes de génocide.

« Non seulement les forces israéliennes affament délibérément des civils palestiniens à Gaza, mais elles tirent presque quotidiennement sur ceux qui cherchent désespérément de la nourriture pour leurs familles », a déclaré Belkis Wille, directrice adjointe de la division Crises et conflits à Human Rights Watch. « Les forces israéliennes, soutenues par les États-Unis et des entrepreneurs privés, ont mis en place un système de distribution d'aide humanitaire défaillant et militarisé, qui a transformé les opérations de distribution d'aide en véritables bains de sang. »

Les autres États devraient faire pression sur les autorités israéliennes pour qu’elles cessent immédiatement de recourir à la force létale comme méthode de contrôle des foules contre les civils palestiniens, qu’elles lèvent les nombreuses restrictions illégales sur l’entrée de l’aide humanitaire, et qu’elles suspendent ce système de distribution défectueux, a déclaré Human Rights Watch. Au lieu de cela, l'ONU et d'autres organisations humanitaires devraient être autorisées à reprendre les distributions d'aide à travers Gaza à grande échelle et sans restrictions, car elles ont prouvé leur capacité à nourrir la population conformément aux normes humanitaires et comme exigé par les ordonnances contraignantes émises par la Cour internationale de Justice (en janvier, en mars et en mai 2024), dans le cadre de l’affaire portée par l’Afrique du Sud contre Israël pour génocide.

En mai, après plus de 11 semaines d’un blocus total imposé par Israël à Gaza, le mécanisme de distribution de la GHF a commencé à être mis en œuvre. Selon diverses sources, l'objectif des autorités israéliennes était de remplacer à terme l’acheminement de l’aide humanitaire par l’ONU et d’autres organisations humanitaires, par le système de la GHF. 

Les autorités israéliennes ont justifié ces mesures en affirmant que le Hamas avait détourné l'aide, mais un récent article du New York Times, basé sur des sources militaires israéliennes, indique que l'armée israélienne ne dispose d’aucune preuve que le Hamas ait systématiquement détourné l'aide de l'ONU. Le système dirigé par l’ONU reste opérationnel, mais est soumis à des restrictions significatives imposées par les autorités israéliennes, notamment quant à la quantité et au type d'aide autorisée et à sa destination.

Quatre sites de distribution d'aide humanitaire par la GHF à Gaza Click to expand Image Carte montrant l'emplacement des 4 sites de distribution d'aide par l’organisme GHF à Gaza. Les zones en couleur violette représentent des zones militarisées contrôlées par les forces israéliennes, et/ou soumises à des ordres d’évacuation depuis le 18 mars.  © 2025 OCHA/Graphisme Human Rights Watch

Le système GHF est géré par deux sociétés privées sous-traitantes américaines : Safe Reach Solutions (SRS) et UG Solutions, en coordination avec l’armée israélienne. Ces sociétés ont déclaré qu'elles s'engageaient à « livrer uniquement de la nourriture aux civils en souffrance » et qu'elles étaient indépendantes de tout gouvernement, mais les quatre sites de distribution se trouvent dans des zones militarisées. Trois sites se trouvent à Rafah, que les autorités israéliennes ont en grande partie rasé et où elles envisagent de concentrer la population de Gaza. Le quatrieme site se trouve dans une « zone de sécurité » israélienne, connue sous le nom de corridor de Netzarim, qui coupe Gaza en deux. Aucun de ces quatre sites n'est accessible aux habitants du nord de Gaza, qui continuent de dépendre du système de distribution d’aide humanitaire géré par l'ONU.

En juillet, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 10 personnes qui étaient sur le terrain à Gaza ces derniers mois et qui ont été témoins de violences sur ou à proximité des sites d'aide, ou qui ont soigné les personnes blessées et tuées sur ces sites. Parmi les personnes interrogées figuraient Anthony Bailey Aguilar, lieutenant-colonel à la retraite des forces spéciales de l'armée américaine, qui travaillait à Gaza en tant qu'entrepreneur en sécurité pour UG Solutions, notamment dans les centres de contrôle et lors de dizaines d’opérations de distribution d’aide menées sur les quatre sites de la GHF entre mai et juin ; un travailleur humanitaire étranger qui a travaillé à Gaza en juin ; deux médecins étrangers qui ont travaillé à Gaza en mai, juin et juillet et ont soigné des civils blessés sur ou à proximité des sites de distribution d'aide de la GHF ; et six témoins palestiniens d'incidents violents liés aux distributions. Les chercheurs ont également analysé des images satellite (de différentes résolutions spatiales), vérifié des vidéos et des photographies, dont celles prises par Anthony Bailey Aguilar, analysé les métadonnées des documents et examiné les publications de la GHF sur les réseaux sociaux.

Le 19 juillet, Human Rights Watch a adressé à la GHF, à SRS, à UG Solutions, à l’armée israélienne et au gouvernement des États-Unis des courriers accompagnés d’un résumé de conclusions et d’une liste de questions. L’armée israélienne, UG Solutions, l’avocat de UG Solutions, et l’avocat de GHF/SRS ont répondu, et leurs réponses globales sont reflétées dans la version complète en anglais de ce communiqué.

Les quatre sites de distribution de la GHF ont été sélectionnés et construits par l'armée israélienne, a indiqué l'avocat de la GHF à Human Rights Watch. Grâce à l'imagerie satellite, les chercheurs ont confirmé que les sites se trouvent dans des zones militarisées, entourées d'avant-postes militaires. L'avocat de la GHF a déclaré que la Fondation avait embauché SRS pour gérer les sites de distribution, qui à son tour avait embauché UG Solutions pour assurer la sécurité des sites. 

Plutôt que de livrer de la nourriture aux habitants dans des centaines de sites accessibles à travers Gaza, le nouveau mécanisme oblige cependant les Palestiniens à traverser des terrains dangereux et détruits. Selon cinq témoins, les forces israéliennes contrôlent le mouvement des Palestiniens vers les sites par l'utilisation de balles réelles. À l’intérieur des sites, la distribution de l’aide elle-même est une « mêlée générale » incontrôlée, comme l’a décrit Anthony Bailey Aguilar, qui laisse souvent les personnes les plus vulnérables et les plus faibles sans rien. Human Rights Watch a analysé les annonces faites sur la page Facebook de la GHF concernant 105 distributions sur les 4 sites, et a constaté que 54 fenêtres de distribution duraient moins de 20 minutes et que 20 distributions étaient annoncées comme terminées avant le début de leur heure d'ouverture officielle.

Un Palestinien a expliqué à Human Rights Watch avoir quitté son domicile vers 21 heures pour tenter de rejoindre un site qui devait ouvrir à 9 heures le lendemain. En chemin, a-t-il déclaré, un char israélien a ouvert le feu sur lui et sur d'autres personnes alors qu'ils se dirigeaient vers le site : « Si vous arrêtiez de marcher ou faisiez quoi que ce soit qu'ils ne voulaient pas, ils vous tiraient dessus. » Lors d'un autre incident, Anthony Bailey Aguilar a déclaré avoir été témoin d'un tir de char israélien sur un véhicule civil juste à l'extérieur du Site 4, tir qui, selon lui, a tué quatre personnes à l'intérieur du véhicule, le 8 juin. Un autre entrepreneur qui s’est exprimé sur ITV News a décrit la même attaque contre la voiture.

Un autre Palestinien qui s'est rendu sur l'un des sites d'aide a décrit le voyage difficile et risqué : « Tant de personnes qui ont besoin d'aide ne la reçoivent pas, faute de pouvoir se rendre sur le site. Ceux qui y vont tentent leur chance, et c'est remarquable s'ils reviennent vivants. »

Selon sept témoins avec lesquels Human Rights Watch s’est entretenu, les forces israéliennes tiraient régulièrement sur des civils. Trois témoins palestiniens et Anthony Bailey Aguilar ont également affirmé avoir vu des gardes armés, présents sur les sites de la GHF, utiliser des balles réelles et d'autres armes contre des civils lors des distributions d'aide. Ces gardes armés seraient apparemment des sous-traitants d'UG Solutions, étant donné que la lettre de l’avocat de la GHF et SRS a confirmé que les seuls entrepreneurs possédant des armes à l'intérieur des sites de distribution sont ceux d'UG Solutions. La GHF, SRS et UG Solutions ont nié les allégations selon lesquelles leurs sous-traitants auraient utilisé la force contre des civils et ont déclaré que le personnel d'UG Solutions n'utilisait la force létale qu'en dernier recours et n'avait jamais blessé de civils ni de demandeurs d'aide. 

Le mécanisme d'aide n'a pas réussi à résoudre le problème de la famine à Gaza, a déclaré Human Rights Watch. L'avocat de la GHF a indiqué avoir livré 95 millions de repas à Gaza au 28 juillet. Cependant, même à pleine capacité sur les quatre sites, le programme de la GHF ne peut fournir qu'une soixantaine de camions de nourriture par jour, selon Anthony Bailey Aguilar, comparés aux 600 camions par jour qui sont entrés à Gaza dans le cadre du programme d'aide dirigé par l'ONU pendant le cessez-le-feu début 2025. 

Le 29 juillet, les plus grands experts mondiaux en matière d’insécurité alimentaire, le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), ont déclaré que le « pire scénario de famine se joue actuellement dans la bande de Gaza ». Le ministère de la Santé de Gaza a indiqué qu'au 30 juillet, 154 personnes, dont 89 enfants, sont mortes de malnutrition depuis le 7 octobre 2023, la majorité d'entre elles depuis le 19 juillet. Le 27 juillet, l’armée israélienne a annoncé qu’elle reprendrait les largages aériens, désignerait des voies sécurisées pour l'entrée de l'aide et mettrait en œuvre des « pauses humanitaires » dans les zones peuplées pour faciliter l'aide.

Le droit international humanitaire ou lois de la guerre, applicable aux hostilités entre les forces israéliennes et les groupes armés palestiniens, exigent que les parties fassent à tout moment la distinction entre les civils et les combattants. Les attaques ne peuvent être dirigées que contre des objectifs militaires, les attaques qui ciblent des civils et des biens civils, ou sont indiscriminées, sont interdites. Le droit international des droits humains, qui s'applique également à Gaza, interdit l'utilisation létale intentionnelle d'armes à feu par les responsables de l'application des lois, sauf lorsque cela est « strictement inévitable pour protéger la vie ». Ces normes s’appliquent également au personnel de sécurité privée exerçant des pouvoirs de police.

En vertu de ces deux corpus juridiques, les autorités peuvent prendre des mesures pour assurer l'acheminement de l'aide, mais le recours à la force létale contre les civils est strictement limité. Par exemple, si des civils s'écartaient d'un itinéraire désigné par les forces armées israéliennes, cela ne ferait pas d'eux, en soi, des cibles pouvant être légalement attaquées. Une telle situation ne justifierait pas non plus le recours intentionnel à la force létale par les forces de police, considéré comme « strictement inévitable pour protéger des vies ». L'homicide volontaire et illégal de civils de la population occupée constitue un crime de guerre. 

L'usage répété et injustifié de la force létale contre des civils palestiniens par les forces israéliennes constitue une violation du droit international humanitaire et des droits humains. Human Rights Watch n'a connaissance d'aucun élément dans les cas documentés indiquant que les personnes tuées représentaient une menace imminente pour la vie au moment où elles ont été tuées. Le recours intentionnel à la force létale par ceux qui exercent des pouvoirs de police sans justification légale constitue également une violation du droit international des droits humains. Les meurtres réguliers commis par les forces israéliennes à proximité des sites de la GHF constituent également des crimes de guerre, compte tenu de tous les éléments indiquant qu'il s'agit d'assassinats délibérés et ciblés de personnes dont les autorités israéliennes savent qu'elles sont des civils palestiniens. 

Le 26 juin, un mois après que SRS a commencé à distribuer de l'aide sur les sites, le gouvernement des États-Unis a annoncé qu'il allouait 30 millions de dollars à la GHF. La source de financement du premier mois des distributions de la GHF reste inconnue ; dans sa lettre à Human Rights Watch, l'avocat de la GHF a déclaré que la Fondation avait « reçu 100 millions de dollars d'un gouvernement autre que celui des États-Unis ou d'Israël », sans préciser le gouvernement concerné.

L’administration Trump a envoyé l’allocation en contournant les approbations du Congrès. Les États-Unis sont complices des violations israéliennes des lois de la guerre à Gaza, étant donné qu’ils fournissent une aide militaire substantielle malgré la connaissance des graves violations persistantes.

Le Congrès des États-Unis devrait également exiger des notifications sur tout financement supplémentaire destiné à la GHF et réclamer un rapport sur la manière dont les fonds américains sont actuellement utilisés, notamment une évaluation de l'efficacité de l'aide aux Palestiniens affamés.

Conformément à leurs obligations en vertu de la Convention sur le génocide, les États devraient utiliser toutes les formes de pression dont ils disposent, notamment des sanctions ciblées, un embargo sur les armes et la suspension des accords commerciaux préférentiels, pour mettre fin aux atrocités criminelles continues des autorités israéliennes. 

« Il est indéfendable qu’au lieu d’utiliser leur influence considérable pour faire pression sur Israël afin qu’il mette fin à ses actes de génocide en cours, les États-Unis soutiennent et financent même un mécanisme mortel qui conduit les forces israéliennes à tuer des civils palestiniens affamés comme méthode de contrôle des foules », a conclu Belkis Wille. « Les États devraient agir de toute urgence pour mettre fin à l’extermination des Palestiniens. »

Suite plus détaillée en anglais : 

www.hrw.org/news/2025/08/01/gaza-israeli-killings-of-palestinians-seeking-food-a-war-crime

 

31.07.2025 à 06:00

Le Burkina Faso libère des journalistes et un activiste enrôlés illégalement

Human Rights Watch
Click to expand Image Guezouma Sanogo (à gauche) et Boukari Ouoba. © Privé

Au début du mois de juillet 2025, les autorités burkinabè ont libéré cinq journalistes et un militant des droits humains qui avaient été illégalement enrôlés de force dans l'armée après avoir critiqué la junte militaire. Bien qu'il s'agisse d'une évolution positive, leur libération rappelle aussi cruellement que d'autres personnes sont toujours portées disparues, certaines depuis 2024, sans qu'aucun indice ne permette de savoir où elles se trouvent.

Le 24 mars 2024, à Ouagadougou, la capitale du pays, les autorités ont arrêté Guezouma Sanogo, Boukari Ouoba et Phil Roland Zongo, trois membres de l'Association des journalistes du Burkina (AJB), ainsi que Luc Pagbelguem, journaliste sur la chaîne de télévision privée BF1, pour avoir dénoncé les restrictions à la liberté d'expression imposées par la junte. Le 2 avril, une vidéo a circulé sur les réseaux sociaux montrant Guezouma Sanogo, Boukari Ouoba et Luc Pagbelguem en uniforme militaire, ce qui a suscité des inquiétudes quant à leur conscription. La conscription de Phil Roland Zongo n'a été rendue publique et confirmée qu’au moment de sa libération.

Le 18 juin 2024, Kalifara Séré, commentateur sur la chaîne BF1 TV, a été porté disparu après une réunion avec des membres du Conseil supérieur de la communication (CSC), l'autorité de régulation des médias au Burkina Faso. Des membres du CSC avaient interrogé Kalifara Séré au sujet d'un commentaire dans lequel il avait exprimé des doutes quant à l'authenticité de photographies montrant le chef de l'État. En octobre 2024, les autorités ont finalement reconnu qu'il avait été enrôlé dans l'armée, avec deux autres journalistes, Serge Oulon et Adama Bayala. On ignore toujours où se trouvent Serge Oulon et Adama Bayala.

Le 29 novembre 2023, des hommes en civil se présentant comme des membres des services de renseignement nationaux ont enlevé Lamine Ouattara, membre du Mouvement burkinabè des droits de l'homme et des peuples (MBDHP), à son domicile. Des proches de Lamine Ouattara ont confirmé qu'il avait aussi été enrôlé illégalement.

Human Rights Watch a documenté le recours par la junte à une loi d'urgence de vaste portée pour enrôler des détracteurs, des journalistes, des militants des droits humains et des magistrats afin de les réduire au silence.

Si les gouvernements sont habilités à enrôler des civils adultes pour la défense nationale, toute conscription doit toutefois être mise en œuvre de manière à informer les conscrits potentiels de la durée du service militaire, et à leur donner la possibilité de contester leur obligation de servir.

Les autorités burkinabè devraient immédiatement libérer toutes les personnes encore détenues illégalement, et cesser d'utiliser la conscription pour réprimer les médias et les détracteurs.

30.07.2025 à 06:00

Russie : Blocage, perturbations et isolement croissant d’Internet

Human Rights Watch
Click to expand Image © 2025 Brian Stauffer pour Human Rights Watch Les autorités russes exercent une censure massive en ligne, restreignent les sites web et les plateformes en ligne qu’elles jugent subversifs, et procèdent de plus en plus à des coupures arbitraires d’Internet dont l’ampleur s’est intensifiée.En vertu du droit international, la Russie a l’obligation de garantir l’accès à l’information, la liberté d’expression et le droit à la vie privée, y compris en ligne.Les gouvernements occidentaux, les organisations internationales et les entreprises de technologie devraient soutenir les efforts de la société civile pour créer des outils permettant de surmonter la censure de l’État et pour garantir l’accès à des informations indépendantes.

(Vilnius) – Les autorités russes ont intensifié la censure en ligne, les perturbations d’Internet et la surveillance depuis le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en février 2022, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.

30 juillet 2025 Disrupted, Throttled, and Blocked

Le rapport de 50 pages, intitulé « Disrupted, Throttled and Blocked: State Censorship, Control, and Increasing Isolation of Internet Users in Russia » (« Internet perturbé, ralenti et bloqué : Censure par l’État, contrôle et isolement accru des internautes en Russie ») documente l’impact des capacités technologiques croissantes du gouvernement et de son contrôle sur l’infrastructure d’Internet dans ce pays. Human Rights Watch a constaté que cela permet aux autorités de procéder à un blocage et à une restriction plus généralisés et non transparents des sites web indésirables et des outils de contournement de la censure, ainsi qu’à des perturbations et des coupures d’Internet sous le prétexte de garantir la sécurité publique et la sûreté nationale.

« Pendant des années, les autorités russes ont méticuleusement développé leurs outils juridiques et technologiques afin de convertir l’espace de l’Internet russe en un forum étroitement contrôlé et isolé », a déclaré Anastasiia Kruope, chercheuse adjointe auprès de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « Leurs efforts ont conduit à une censure généralisée, à des perturbations d’Internet à grande échelle et à un affaiblissement de la sécurité et de la vie privée, en violation de leurs responsabilités en matière de droits humains en vertu du droit international. » 

Human Rights Watch a mené des entretiens avec 13 journalistes et experts indépendants russes et internationaux sur la censure d’Internet et les droits numériques, la sécurité de l’information, la gouvernance d’Internet et la politique numérique. Les chercheurs ont également analysé les lois et les règlements, ainsi qu’un large éventail de sources ouvertes en anglais et en russe, telles que des articles de recherche universitaire, des forums informatiques russes et des données recueillies par des projets russes et internationaux de surveillance de la censure sur Internet.

Human Rights Watch a adressé des courriers à huit entreprises de technologie – cinq sociétés étrangères et trois sociétés russes – ainsi qu’au gouvernement russe, au sujet de ses conclusions. Les réponses de l’entreprise américaine Cloudflare et de la société de technologie russe Yandex sont reflétées dans le rapport et figurent en annexe de ce document, qui est publié sur le site web de Human Rights Watch.

Les autorités russes ont bloqué des milliers de sites web, y compris des sites de médias indépendants et d’organisations de défense des droits humains, des pages web d’opposants politiques, ainsi que des plateformes de réseaux sociaux, pour non-respect de la législation draconienne qui régit les activités en ligne en Russie.

Certains sites étrangers et diverses plateformes ont cessé de fournir des services aux internautes russes en raison des sanctions et des pressions politiques qui ont suivi l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en février 2022.

L’accès aux applications ou aux sites web bloqués, comme Instagram ou Facebook, est quasiment impossible en Russie sans passer par un réseau privé virtuel (Virtual Private Network, VPN), outil qui permet aux internautes de contourner la censure. Pourtant, d’après certaines estimations, environ la moitié de la population du pays ne sait pas utiliser ces outils, et les autorités les bloquent de plus en plus.

Ceci, associé à une promotion active par l’État d’alternatives russes, a forcé un nombre croissant d’internautes à basculer sur les navigateurs et les plateformes de réseaux sociaux russes qui proposent à leurs utilisateurs du contenu et des interprétations des événements actuels et historiques soutenus par le gouvernement. Les internautes sont également confrontés à des risques plus élevés de voir leurs données personnelles transmises aux services de police.

La loi russe exige que les sites web qui publient des annonces consacrent 5 % à des « publicités sociales », définies comme visant « des objectifs caritatifs ou d’autres objectifs ayant une valeur sociale, ainsi que la protection des intérêts de l’État ».

Le navigateur de Yandex a affiché une « publicité sociale » du gouvernement exhortant les citoyens à rejoindre les forces armées russes, apparemment pour combattre sur le front ukrainien, plus de deux milliards de fois au cours des deux dernières années. L’entreprise Yandex affirme qu’elle interdit strictement la publicité politique.

En parallèle, les autorités russes font de plus en plus pression sur les entreprises de technologie étrangères dont les services sont populaires auprès des internautes russes, comme Apple, Google et Mozilla, afin qu’elles suppriment les VPN et autres contenus que le gouvernement juge subversifs, en les menaçant d’amendes et de blocage. Les autorités font pression sur les fournisseurs d’hébergement et les services de réseau de diffusion de contenu étrangers, tels que Cloudflare, l’un des réseaux de diffusion de contenu populaires en Russie, pour qu’ils se conforment à la législation en vigueur sous peine d’être confrontés à des ralentissements et à des blocages. En mai 2025, l’entreprise Cloudflare a indiqué à Human Rights Watch qu’elle n’est généralement pas en mesure d’identifier ou de confirmer des blocages ordonnés par le gouvernement, et qu’elle n’a jamais bloqué de sites web à la demande du gouvernement.

En décembre 2024, Apple, Amazon Web Services (AWS) et Mozilla ont répondu à des questions posées par Human Rights Watch. Apple a déclaré à Human Rights Watch que le respect des « ordres légaux » de la Russie était nécessaire « pour continuer à fournir des services de communication à la population russe ». AWS a répondu que l’entreprise « se conforme aux lois sur les sanctions applicables dans les territoires où elle exerce ses activités et qu’elle dispose de politiques et de procédures pour garantir la conformité ». La société a également confirmé qu’elle n’avait pas de bureaux ou d’infrastructures en Russie et que, depuis mars 2022, elle n’autorisait plus de nouveaux abonnements à ses services pour les personnes basées en Russie et en Biélorussie. Mozilla a souligné son engagement à soutenir les internautes en Russie et dans le monde, en plaidant pour un Internet ouvert et accessible à tous.

Le 8 juillet, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un arrêt concluant que la Russie avait violé la liberté d’expression et le droit à un procès équitable en infligeant des amendes et d’autres sanctions à Google entre 2021 et 2023, au motif que la société avait refusé de retirer des vidéos à caractère politique et d’autres contenus de YouTube à la demande des autorités russes.

La censure croissante en ligne est menée à l’aide d’un type de dispositifs appelés « moyens technologiques pour contrer les menaces » (ТСПУ ou TSPU). Ces dispositifs sont installés sur pratiquement tous les réseaux des fournisseurs d’accès Internet (FAI) du pays conformément aux exigences énoncées dans la loi dite sur « l’Internet souverain » et ses règlements, qui visent à créer un segment russe de l’Internet totalement isolé.

Les TSPU permettent également au gouvernement de procéder à des exercices d’« isolement d’Internet » et à des coupures régionales au motif de protéger la sécurité publique. Les autorités affirment que ces tests n’ont aucun impact pour les internautes moyens ; cependant, des utilisateurs ont signalé des perturbations d’Internet au cours de ces « exercices », telles que des échecs de transactions bancaires en ligne ou un accès perturbé aux sites web de l’État et aux applications de taxi.

Les autorités ont également exercé une plus grande mainmise sur Internet en Russie en prenant le contrôle de son architecture. Elles ont regroupé plus de la moitié des adresses IP russes pour en confier la gestion à sept fournisseurs d’accès Internet liés à l’État et ont diminué le nombre total de FAI. Le gouvernement a également créé un système national de noms de domaine, qui fonctionne comme un registre des adresses Internet, et des certificats de sécurité de la couche transport gouvernementaux, qui vérifient que le site web appartient à une entité de confiance et que le service est crypté.

Les zones de l’Ukraine occupées par la Russie avant et après l’invasion à grande échelle en février 2022 sont soumises à une censure en ligne et à des perturbations d’Internet similaires.

La Russie devrait mettre fin à toute censure de la liberté d’expression sur Internet protégée au niveau international et veiller à ce que toute restriction en ligne soit légale, nécessaire et proportionnée, ce qui exige qu’elle soit limitée dans sa portée et transparente. Les autorités devraient stopper leurs efforts pour regrouper et contrôler l’architecture d’Internet, qui entravent le droit de rechercher et de communiquer des informations et portent atteinte à la vie privée. Elles devraient mettre un terme aux coupures d’Internet et garantir la transparence concernant les ingérences du gouvernement dans l’Internet. Elles devraient également cesser de faire pression sur les entreprises de technologie étrangères et russes pour qu’elles divulguent les données de leurs utilisateurs et censurent les contenus de manière non conforme aux normes internationales.

Les entreprises de technologie étrangères et russes devraient résister à la pression de l’État concernant la censure des contenus et la divulgation des données de leurs utilisateurs en violation du droit international en employant tous les moyens légaux et les solutions technologiques disponibles. Elles devraient également veiller à ne pas se livrer à la censure.

Les gouvernements occidentaux ainsi que les organisations internationales et intergouvernementales devraient soutenir les efforts de la société civile pour créer des outils permettant de contourner la censure étatique afin de promouvoir l’accès à des sources d’information indépendantes et garantir la vie privée des utilisateurs en ligne.

« Les autorités russes ont mis en place un arsenal exhaustif constitué de politiques et de moyens technologiques visant à étendre leur censure et contrôle d’Internet, et qui ne sont généralement pas visibles par un internaute ordinaire », a conclu Anastasiia Kruope. « Ces mesures apparemment invisibles ont des conséquences dévastatrices pour l’accès à l’information, la vie privée et la liberté d’expression de chaque internaute en Russie. »

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Articles, TV

RFI  La Croix  Euronews

France24 (vidéo) Sur X

30.07.2025 à 05:00

Cameroun : Le principal candidat de l'opposition exclu de l’élection présidentielle

Human Rights Watch
Click to expand Image Le homme politique camerounais Maurice Kamto, nouvellement désigné comme candidat à la présidentielle du Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (MANIDEM), s'exprime lors d'une conférence de presse à Yaoundé, le 19 juillet 2025. © 2025 AFP via Getty Images

(Nairobi) – La décision prise par le Conseil électoral camerounais d'exclure Maurice Kamto, leader clé de l'opposition politique et adversaire de l’actuel président, Paul Biya, de l’élection présidentielle à venir soulève des inquiétudes quant à la crédibilité du processus électoral, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.

Le 26 juillet, le Conseil électoral du Cameroun (Elections Cameroon, ELECAM) a approuvé 13 des 83 candidats potentiels, dont Paul Biya, âgé de 92 ans et à la tête du pays depuis 1982. L’élection est prévue pour le 12 octobre. Les candidats exclus disposaient de 72 heures pour faire appel de cette décision auprès du Conseil constitutionnel.

«  Le Conseil électoral du Cameroun a semé le doute sur l'élection avant même que les votants n'aient exprimé leur choix », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior au sein de la division Afrique à Human Rights Watch. « Exclure l'opposant le plus populaire du processus électoral jettera une ombre sur les résultats qui seront finalement annoncés. »

La décision d'exclure Maurice Kamto de la course à la présidence reflète l'intolérance de longue date du gouvernement à l'égard de toute opposition et de la dissidence, et intervient dans un contexte de répression accrue des opposants, des activistes et des avocats depuis le milieu de l'année 2024, alors que l’élection prévue plus tard cette année approche.

Le Conseil électoral a justifié sa décision d'exclure Maurice Kamto en expliquant que son parti, le Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (MANIDEM), soutenait également un autre candidat, Dieudonné Yebga.

Cependant, les avocats de Maurice Kamto et d'Anicet Ekane, le président du MANIDEM, ont déclaré que ce parti ne soutenait pas Dieudonné Yebga, et que la décision du Conseil était arbitraire et motivée par des considérations politiques. Le parti a tenté d'organiser une conférence de presse à son siège à Douala, la plus grande ville du Cameroun, mais les forces de sécurité l’en ont empêché.

Maurice Kamto, qui était auparavant le chef du parti d'opposition Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) et qui avait concouru contre Paul Biya lors des élections de 2018, a cherché à se présenter comme candidat du MANIDEM à l’élection prévue cette année, car le code électoral camerounais interdit aux partis sans représentants élus de présenter un candidat.

Les avocats de Maurice Kamto ont fait appel de la décision du Conseil électoral et ont déposé un recours auprès du Conseil constitutionnel le 28 juillet. Dieudonné Yebga a également annoncé qu'il ferait appel auprès du Conseil constitutionnel.

« La décision d’ELECAM n'a aucune base juridique et vise seulement à éliminer un candidat clé de l’élection, soutenant la stratégie de confiscation du pouvoir par le parti majoritaire », a déclaré Menkem Sother, l’un des avocats de Maurice Kamto, à Human Rights Watch.

Paul Biya en est à son septième mandat. Il a été réélu pour la dernière fois en 2018, après quoi Maurice Kamto a contesté les résultats officiels et s'est déclaré vainqueur de l'élection.

L'élection de Paul Biya en 2018 a déclenché une vague de répression politique. Après le scrutin, des manifestations menées par l'opposition ont éclaté dans tout le pays, et le gouvernement a réagi par une répression sévère, déployant la police, l'armée et les gendarmes qui ont fait un usage excessif de la force contre les manifestants. En janvier 2019, Maurice Kamto et plus de 200 de ses partisans ont été arrêtés et placés en détention. Maurice Kamto a été accusé d'insurrection, d'hostilité envers la patrie et d'association de malfaiteurs, entre autres chefs d'accusation. Il a été libéré le 5 octobre 2019 et les charges ont été abandonnées, mais la répression contre l'opposition s'est poursuivie.

Début septembre 2020, les autorités ont interdit les manifestations dans tout le Cameroun après que le MRC dirigé par Maurice Kamto a encouragé la population à protester contre la décision du gouvernement d'organiser des élections régionales en décembre de cette année. Les partis d'opposition avaient exprimé leurs inquiétudes quant au fait que les élections ne pourraient pas se dérouler librement et équitablement sans une réforme préalable du code électoral et sans avoir remédié à l’insécurité dans les régions anglophones minoritaires du pays, où des groupes séparatistes et les forces de sécurité se sont affrontés à plusieurs reprises.

Le 22 septembre 2020, les forces de sécurité camerounaises ont utilisé des gaz lacrymogènes et des canons à eau et ont arrêté plus de 550 personnes, principalement des membres et des sympathisants du MRC, pour disperser des manifestations pacifiques à travers le pays. Bon nombre des personnes arrêtées ont été passées à tabac et maltraitées. Si la plupart d'entre elles ont finalement été libérées, d'autres, dont Olivier Bibou Nissack et Alain Fogue Tedom, deux dirigeants du MRC, sont toujours derrière les barreaux après avoir été condamnés à sept ans de prison.

En décembre 2023, Maurice Kamto a annoncé la création de l'Alliance politique pour le changement (APC), une coalition d'opposition dirigée par Jean-Michel Nintcheu, membre du Parlement camerounais. En mars 2024, le ministre de l'Administration territoriale a toutefois interdit la coalition, la qualifiant d'« illégale » et de « clandestine ».

Le Cameroun est un État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et, à ce titre, est tenu de veiller à ce que chaque citoyen, sans discrimination fondée sur ses opinions politiques, ait la possibilité de participer et de voter lors d'élections véritablement libres. Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a estimé que « le droit à la liberté d'expression, de réunion et d'association est une condition essentielle à l'exercice effectif du droit de vote et doit être pleinement protégé ».

« La décision d'ELECAM réduit de facto le prochain scrutin à une simple formalité, enterre ce qui reste de la démocratie au Cameroun et fait craindre une recrudescence de la violence », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Le Conseil électoral devrait revenir sur sa décision, et permettre aux Camerounais de décider eux-mêmes de leur avenir. »

29.07.2025 à 01:00

Myanmar : L'Armée d'Arakan opprime les musulmans rohingyas

Human Rights Watch
Click to expand Image Une famille de Rohingyas ayant fui la ville de Buthidaung, dans l’État de Rakhine au Myanmar, photographiée devant leur hutte dans le camp de réfugiés de Cox's Bazar, au Bangladesh, le 25 juin 2024. © 2024 Mohammad Ponir

(Bangkok, 29 juillet 2025) – L'Armée d'Arakan, un groupe armé ethnique opérant dans l'État de Rakhine, dans l'ouest du Myanmar, a imposé de sévères restrictions à la population rohingya et commis de graves exactions, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

Les gains territoriaux de l'Armée d'Arakan dans cet État s'accompagnent de restrictions de mouvement, de pillages, de détentions arbitraires, de mauvais traitements, de travail forcé et de recrutement illégal, entre autres exactions contre les Rohingyas. En outre, l'armée du Myanmar soumet depuis longtemps les Rohingyas à des atrocités criminelles, notamment le crime contre l'humanité d'apartheid.

« L'Armée d'Arakan mène contre les Rohingyas une politique d'oppression similaire à celle imposée depuis longtemps par l'armée du Myanmar dans l'État de Rakhine », a déclaré Elaine Pearson, directrice de la division Asie à Human Rights Watch. « L'Armée d'Arakan devrait mettre fin à ses pratiques abusives et discriminatoires, et respecter le droit international. »

L'Armée d'Arakan s'était engagée à instaurer une gouvernance inclusive et équitable dans les zones reprises à la junte militaire birmane, après la reprise des combats en novembre 2023. Cependant, les Rohingyas décrivent la vie sous l'Armée d'Arakan et son aile politique, la Ligue unie d'Arakan, comme dure et restrictive, avec des réglementations et des pratiques discriminatoires.

Entre avril et juillet 2025, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 12 réfugiés rohingyas qui avaient fui le canton de Buthidaung, dans le nord de l'État de Rakhine, et cherché refuge au Bangladesh.

« La vie sous le contrôle de l'Armée d'Arakan était incroyablement restrictive », a déclaré un réfugié rohingya de 62 ans arrivé au Bangladesh en juin. « Nous n'avions pas le droit de travailler, de pêcher, de cultiver la terre, ni même de nous déplacer sans autorisation. Nous étions confrontés à d'extrêmes pénuries alimentaires, la plupart des gens mendiant les uns auprès des autres. »

Les Rohingyas de l'État de Rakhine sont pris en étau entre les forces armées du Myanmar et l'Armée d'Arakan. Ces deux forces commettent de graves exactions, notamment des exécutions extrajudiciaires, des incendies criminels généralisés et des enrôlements illégaux de combattants. Depuis fin 2023, plus de 400 000 personnes ont été déplacées à l'intérieur des États de Rakhine et de Chin, et près de 200 000 personnes ont fui vers le Bangladesh.

Un autre Rohingya, également âgé de 62 ans, a déclaré avoir été déplacé avec sa femme et ses deux enfants à cinq reprises au cours de l'année écoulée. « La vie pendant cette période a été incroyablement difficile », a-t-il déclaré. « Les déplacements entre les villages étaient restreints, et nécessitaient des permis rarement accordés. »

Les villageois rohinygas ont indiqué que les permis pour se déplacer entre les villages de Buthidaung, valables une journée seulement, coûtaient entre 3 000 et 5 000 kyats (1,40 à 2,40 dollars US) et nécessitaient les signatures d’un administrateur musulman local, ainsi que de l'Armée d'Arakan ou de son aile politique. Ils ont ajouté que l'Armée d'Arakan avait instauré un couvre-feu dans la région. « S'ils trouvaient quelqu'un devant sa maison [après l’heure du couvre-feu], ils l'arrêtaient », a déclaré un homme. « Et après, on ignorait où il se trouvait. »

Les restrictions imposées par l'Armée d'Arakan aux moyens de subsistance et à l'agriculture, aggravées par l'extorsion et les prix exorbitants, ont aggravé les graves pénuries alimentaires et le blocus de l'aide humanitaire imposé par la junte, en vigueur depuis fin 2023. Certains Rohingyas ont déclaré survivre en mendiant auprès de familles recevant de l'argent de proches à l'étranger. D'autres travaillaient comme journaliers pour un salaire dérisoire, qui parfois n’était même pas payé.

« Nous avons dû lutter pour survivre », a déclaré un autre Rohingya âgé d'une soixantaine d'années, arrivé au Bangladesh en mai dernier. « Je travaillais comme ouvrier, acceptant n'importe quel travail proposé par l'Armée d'Arakan... Au début, ils nous payaient la moitié [du salaire journalier précédent], mais plus tard, ils ont complètement cessé de nous payer. »

Des villageois rohingyas ont déclaré que l'Armée d'Arakan avait confisqué des terres agricoles, des maisons, du bétail, des prises de pêche, du bois de chauffage et même des terrains de cimetières. Deux hommes originaires de Kin Taung, dans le canton de Buthidaung, ont déclaré que l'Armée d'Arakan avait démoli leur cimetière en mai, leur ordonnant d'utiliser les rizières pour des enterrements.

L'Armée du Salut des Rohingyas d'Arakan (Arakan Rohingya Salvation Army, ARSA) et d'autres groupes armés rohingyas, après avoir combattu aux côtés de l'armée du Myanmar en 2024, déploient à nouveau des combattants dans des affrontements contre l'Armée d'Arakan dans le nord de l'État de Rakhine. Les combats, ainsi que le recrutement forcé de villageois rohingyas par l'Armée d'Arakan, ont exacerbé les tensions communautaires entre les Rohingyas, majoritairement musulmans, et les Rakhines bouddhistes.

Trois Rohingyas ont déclaré avoir fui pour protéger leurs fils, dont des adolescents, contre le risque de recrutement forcé par l'Armée d'Arakan. Un réfugié rohingya de 57 ans est arrivé au Bangladesh avec sa famille en juin, après que l'Armée d'Arakan a commencé à rechercher son fils âgé de 17 ans. « J'ai dû le cacher dans différents villages pendant deux mois », a-t-il déclaré.

L'un des hommes âgés de 62 ans a déclaré que son fils avait été sélectionné pour être recruté par l'administrateur du village de Kin Taung en avril. « Je vivais dans la peur constante alors qu'ils essayaient de le forcer à s'engager », a-t-il déclaré. « Ils ciblent les enfants issus de familles pauvres. Mon fils était terrifié à l'idée d'être recruté et a fui le village il y a 45 jours. Il est porté disparu depuis. »

L'Armée d'Arakan a arrêté cet homme lorsqu’ils n’ont pas pu retrouver son fils, et l'a détenu pendant 35 jours, avec deux autres personnes. « Ils me battaient constamment », a-t-il déclaré. « Je n'ai été libéré qu'après avoir promis de leur amener mon fils. » Lorsqu'il a préféré se cacher par la suite, l'Armée d'Arakan a incendié sa maison familiale. Il a déclaré n'avoir eu d'autre choix que de fuir vers le Bangladesh.

L'Armée d'Arakan a gravement maltraité les Rohingyas qu'elle soupçonne de collaborer avec l'ARSA ou avec l'armée birmane. En décembre 2024, elle a arrêté un Rohingya âgé de 35 ans dans le village de Keya Zinga Para. « Ils m'ont accusé de travailler pour l'armée [du Myanmar] et de recevoir une formation militaire, ce qui n'était pas le cas », a-t-il déclaré. « J'ai été emmené à Buthidaung, au poste de police du quartier 3. Ils me battaient souvent et violemment, avec des bâtons de bambou. J'ai encore du mal à marcher. »

Un Rohingya de 19 ans a passé cinq mois dans l'Armée d'Arakan après avoir été enlevé du village de Nga Yat Chaung en mai 2024 pour y être soumis à du travail forcé illégal. Il a expliqué que les Rohingyas étaient souvent envoyés au front comme « boucliers humains ». « Si quelqu'un résistait, les [combattants de l’Armée d’Arakan] le frappaient, et se moquaient de lui », a-t-il déclaré. « Nous avons demandé à être traités sur un pied d'égalité. Ils ont dit qu'ils nous traiteraient comme le faisaient les Birmans [majorité ethnique], nous traitant de “kalars” [terme insultant envers les musulmans] bengalis. »

Le droit international humanitaire applicable, notamment l'article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et le droit international coutumier, interdisent la torture et autres mauvais traitements infligés aux détenus, le pillage, le recrutement d'enfants (personnes âgées de moins de 18 ans) et le travail forcé dangereux, entre autres abus.

L'Armée d'Arakan ainsi que les groupes armés rohingyas collaborent avec des réseaux de passeurs, profitant de l'exode vers le Bangladesh. Les Rohingyas ont déclaré avoir payé entre 800 000 et 1,25 million de kyats (380 à 595 dollars US) par personne pour le voyage.

Le Bangladesh a enregistré 120 000 nouveaux arrivants dans les camps depuis mai 2024 ; des dizaines de milliers d'autres personnes ne sont toujours pas enregistrées. Les nouveaux arrivants ont déclaré ne bénéficier d'aucune aide ni d'aucun soutien officiels. Les autorités bangladaises affirment que le rapatriement des Rohingyas vers le Myanmar est la seule solution à cette crise. Les Nations Unies et les gouvernements concernés devraient toutefois souligner que les conditions d'un retour sûr, durable et digne vers le Myanmar ne sont pas actuellement réunies.

« Les donateurs et les gouvernements influents devraient redoubler d'efforts pour protéger le peuple rohingya, notamment son droit à la sécurité et à la liberté, que ce soit au Myanmar ou au Bangladesh », a affirmé Elaine Pearson. « Ils devraient aussi faire pression sur l'Armée d'Arakan pour qu'elle respecte les droits de toutes les communautés dans l'État de Rakhine. »

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28.07.2025 à 06:01

Venezuela : La persécution politique continue, un an après l’élection présidentielle

Human Rights Watch
Click to expand Image Deux femmes agenouillées par terre plaçaient des photos de leurs proches détenus parmi d’autres photos, lors d’une manifestation tenue devant le bureau du Procureur général à Caracas, le 21 novembre 2024, pour demander la libération de prisonniers politiques au Venezuela. © 2024 Federico Parra/AFP via Getty Images

(Washington) – Un an après l'élection présidentielle, les autorités vénézuéliennes commettent des exactions généralisées contre leurs détracteurs, notamment par le biais d'arrestations basées sur des motifs politiques, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

Quelques heures après la fermeture des bureaux de vote le 28 juillet 2024, le Conseil national électoral (Consejo Nacional Electoral, CNE) avait annoncé la réélection de Nicolás Maduro. Toutefois, des observateurs internationaux avaient alors critiqué le processus en raison de son manque de transparence et d'intégrité, et remis en question les résultats annoncés. À ce jour, les autorités vénézuéliennes n'ont toujours pas publié le décompte officiel des voix, tandis que les décomptes publiés par l'opposition indiquaient une victoire du candidat de l'opposition, Edmundo González. Depuis l’élection, les autorités vénézuéliennes ont exercé une répression brutale, marquée par des meurtres, des disparitions forcées, des arrestations arbitraires et des actes de torture. Au 21 juillet, 853 prisonniers politiques se trouvaient toujours derrière les barreaux, selon l'organisation de défense des droits humains Foro Penal.

« Les autorités vénézuéliennes commettent systématiquement des violations des droits humains à l’encontre de personnes qui les critiquent », a déclaré Juanita Goebertus, directrice de la division Amériques à Human Rights Watch. « Les récentes libérations de personnes détenues arbitrairement ne masquent pas le fait que des centaines d’autres prisonniers politiques restent derrière les barreaux. »

Suite à l'annonce de la réélection de Nicolás Maduro, des milliers de Vénézuéliens étaient descendus dans la rue, principalement dans des quartiers pauvres. En réponse, le gouvernement avait lancé son « Opération Toc Toc » (« Operación Tun Tun »), une campagne d'intimidation, de harcèlement et de répression à l’échelle nationale.

Human Rights Watch a documenté des meurtres de manifestants et l'arrestation de centaines d'opposants politiques, de défenseurs des droits humains et de détracteurs du gouvernement, dont des ressortissants étrangers. De nombreuses personnes ont été inculpées de crimes comme « incitation à la haine » et « terrorisme », définis de manière vague et passibles de peines pouvant aller jusqu'à 30 ans de prison. Plusieurs personnes ayant mené des actions protégées par le droit international relatif aux droits humains – comme manifester, critiquer le gouvernement ou participer à des activités de l'opposition – ont été détenus arbitrairement, et soumises à des procédures judiciaires entachées de graves irrégularités.

Des autorités vénézuéliennes ont fréquemment nié avoir procédé à des arrestations ou à des disparitions forcées, caractérisées selon le droit international par le refus de divulguer des informations au sujet d’une personne détenue, y compris le lieu de sa détention. Des familles ont été contraintes de rechercher leurs proches dans des centres de détention et des morgues pendant des jours, voire des semaines. De nombreux détenus ont été placés à l’isolement, certains depuis le jour de leur arrestation ; ils ont été privés de la possibilité de recevoir la visite de leurs proches ou de leur avocat, ou de consulter les dossiers juridiques les concernant. Nombre d'entre eux ont été inculpés lors d'audiences virtuelles et collectives, ce qui a encore davantage porté atteinte à leur droit à une procédure régulière.

Certains détenus ont été détenus au secret pendant des mois. Parmi eux figurent Freddy Superlano, coordinateur national du parti d'opposition Voluntad Popular ; Perkins Rocha, coordinateur juridique du parti d'opposition Vente Venezuela ; Jesús Armas, membre de l'équipe de campagne de l'opposant Edmundo González ; Enrique Márquez, candidat à l’élection présidentielle de 2024 ; et Eduardo Torres, avocat auprès du Programme vénézuélien d’éducation et d’action en matière de droits humains (Programa Venezolano de Educación Acción en Derechos Humanos, PROVEA).

Certains détenus ont été soumis à des mauvais traitements et à la torture, notamment des coups, des décharges électriques, l'usage asphyxiant de sacs plastiques, l'isolement cellulaire et la détention dans des cellules disciplinaires exiguës, sombres et surpeuplées.

Le Bureau du Procureur général affirme avoir libéré des centaines de détenus, bien que nombre d'entre eux fassent toujours l'objet d'une enquête criminelle. De nombreux individus ont été contraints de signer des documents leur interdisant de divulguer des informations sur leur arrestation ou les poursuites judiciaires engagées contre eux. Certains ont été contraints de participer à l’enregistrement de vidéos dans lesquelles ils affirmaient que leurs droits avaient été respectés pendant leur détention.

Le 18 juillet, les autorités vénézuéliennes ont annoncé la libération de 80 personnes. Elles ont également libéré 10 citoyens et résidents permanents américains, en échange de la libération de 252 migrants vénézuéliens que le gouvernement américain avait expulsés vers le Salvador ; ils y étaient détenus au secret au Centre de confinement du terrorisme (Centro de Confinamiento del Terrorismo, CECOT), une immense prison de triste notoriété.

Selon le parti Vente Venezuela, une quarantaine d'autres détracteurs du gouvernement ont été arrêtés depuis les récentes libérations. Certains ont été ensuite remis en liberté.

« Depuis des années, le gouvernement Maduro pratique le système de la “porte tournante”, libérant certaines personnes qui étaient détenues arbitrairement, tout en en arrêtant d'autres individus », a observé Juanita Goebertus. « Les gouvernements étrangers, y compris les États-Unis, devraient se rendre compte qu'ils sont manipulés par un gouvernement qui libère des prisonniers politiques tout en en détenant d'autres, consolidant ainsi son régime autoritaire. »

Les gouvernements étrangers devraient dénoncer la politique de la carotte et du bâton employée par le président Maduro, selon Human Rights Watch. Ce système récompense les autorités et les forces de sécurité responsables d’abus, renforçant ainsi leur loyauté envers le gouvernement, tout en punissant, torturant ou poussant à l'exil des opposants, des détracteurs et même des membres des forces de sécurité qui soutiennent la démocratie et les droits humains.

Les gouvernements étrangers devraient soutenir pleinement les efforts visant la reddition de comptes pour les violations des droits humains au Venezuela, et faire pression sur les autres gouvernements ou acteurs économiques qui contribuent à cette répression. Ils devraient aussi accroître le soutien à la société civile, aux journalistes indépendants et à tous ceux qui œuvrent pour la défense de la démocratie et des droits humains au Venezuela, et étendre d'urgence les protections pour toutes les personnes contraintes de quitter ce pays.

La communauté internationale devrait saisir toutes les occasions de faire pression pour aboutir à des progrès significatifs en matière de droits humains au Venezuela. Cela implique de s'appuyer sur les forums régionaux et internationaux, comme le prochain sommet Union européenne -Communauté des États latino-américains et caribéens (Comunidad de Estados Latinoamericanos y Caribeños, CELAC) qui se tiendra en Colombie en novembre. Le Vatican devrait également saisir l'occasion de la canonisation de deux Vénézuéliens, prévue en octobre, pour réclamer la libération inconditionnelle de tous les prisonniers politiques dans ce pays.

« Un an après l’élection présidentielle de 2024, de nombreux Vénézuéliens continuent de risquer leur vie et leur liberté pour défendre la démocratie », a conclu Juanita Goebertus. « Les gouvernements qui dialoguent avec Nicolás Maduro ne devraient pas se contenter de libérations isolées de prisonniers : ils devraient exiger des améliorations substantielles et durables en matière de droits humains, afin de démanteler la machine de terreur d'État qui contrôle actuellement le Venezuela. »

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25.07.2025 à 06:00

Sahel : L'Union africaine nomme un envoyé spécial

Human Rights Watch
Click to expand Image Le président du Burundi, Évariste Ndayishimiye, photographié lors du sommet Union européenne-Union africaine à Bruxelles, le 17 février 2022. © 2022 Valeria Mongelli/Bloomberg via Getty Images

(Nairobi) – La nomination par l'Union africaine (UA) du président du Burundi au poste d'envoyé spécial pour le Sahel renforce la capacité de l'UA à répondre aux enjeux les plus urgents en matière de droits humains au Mali, au Burkina Faso et au Niger, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch dans une lettre adressée au président Évariste Ndayishimiye.

La nomination d’Évariste Ndayishimiye le 17 juillet 2025 intervient à un moment critique pour le Sahel, marqué par une recrudescence des menaces contre les civils dans le cadre de conflits armés, l'autoritarisme croissant des juntes militaires et la marginalisation grandissante d'institutions indépendantes, notamment l'UA et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Ces dynamiques ont érodé l'état de droit, renforcé l'impunité pour les violations graves des droits humains et rendu les civils de plus en plus vulnérables.

« Malgré le bilan très préoccupant du Burundi en matière de droits humains, le président Ndayishimiye a désormais l'opportunité de promouvoir les droits humains ainsi qu'une gouvernance fondée sur les droits dans la région du Sahel », a déclaré Allan Ngari, directeur du plaidoyer pour l'Afrique à Human Rights Watch. « Ne pas le faire reviendrait à tolérer dangereusement l'autoritarisme sous couvert de diplomatie. »

Évariste Ndayishimiye devrait mettre l'accent sur le respect des droits humains et de l'État de droit dans l'approche de l'UA vis-à-vis du Sahel et répondre aux préoccupations majeures suivantes :

Les groupes armés islamistes et les forces de sécurité gouvernementales continuent de commettre de graves violations du droit international humanitaire, y compris des crimes de guerre et de potentiels crimes contre l'humanité. À la mi-2025, les conflits armés au Sahel avaient causé la mort d'au moins plusieurs dizaines de milliers de civils, provoquant l'une des crises humanitaires les plus graves au monde et contraignant plus de trois millions de personnes à quitter leur foyer.

Depuis 2020, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont connu des coups d'État militaires. Les juntes militaires au pouvoir ont fait preuve d'intolérance vis-à-vis de l'opposition politique et de la dissidence. L'espace civique et politique s'est réduit à mesure que la répression contre les journalistes, les militants de la société civile et les membres des partis d'opposition s'est intensifiée, notamment par le biais de détentions arbitraires, de disparitions forcées et de conscriptions illégales. Les dirigeants militaires des trois pays ont consolidé leur pouvoir sans élections, retardant ainsi le retour à un régime civil démocratique.

Les autorités du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont ignoré les appels à la reddition des comptes et n'ont pas respecté leurs obligations légales internationales d'enquêter sur les violations graves des droits humains commises par leurs forces de sécurité et de traduire les responsables en justice, laissant ainsi l'impunité s'installer et encourageant les auteurs de ces violations. En 2025, les trois pays ont officiellement quitté la CEDEAO, privant ainsi leurs citoyens de la possibilité de demander justice pour des violations des droits humains devant la Cour de justice de la CEDEAO. 

« L'envoyé spécial de l'UA devrait engager un dialogue constructif avec les autorités du Mali, du Burkina Faso et du Niger sur les obligations de leurs gouvernements respectifs en matière de protection des droits humains », a conclu Allan Ngari. « Il devrait veiller à ce que la stratégie de l'UA pour le Sahel donne la priorité à la protection des civils en danger, au respect des droits civils et politiques, ainsi qu'à la promotion de la justice et de la reddition des comptes. »
 

24.07.2025 à 23:00

La CIJ qualifie la lutte contre la crise climatique d’obligation juridique internationale

Human Rights Watch
Click to expand Image Ralph Regenvanu, ministre du Changement climatique du Vanuatu, s'exprimait devant le siège de Cour internationale de Justice, à La Haye, aux Pays-Bas, le 23 juillet 2025 ; ce jour-là, la CIJ a publié un avis consultatif sur les obligations juridiques des États face au changement climatique.  © 2025 Peter Dejong/AP Photo

Le 23 juillet, la Cour internationale de Justice (CIJ) a publié de manière unanime un avis consultatif qualifiant le changement climatique de « problème existentiel d'ampleur planétaire qui met en péril toutes les formes de vie et la santé même de notre planète ».

Cet avis consultatif, intitulé « Obligations des États en matière de changement climatique », était attendu depuis longtemps et constitue un important pas en avant. Il a été publié après une campagne menée sans relâche pendant cinq années par de jeunes activistes écologiques – notamment les Étudiants des îles du Pacifique luttant contre le changement climatique (Pacific Islands Students Fighting Climate Change, PISFCC) et la Jeunesse mondiale pour la justice climatique (World’s Youth for Climate Justice, WY4CJ) – parallèlement aux efforts diplomatiques menés par le Vanuatu. En 2022, Human Rights Watch avait rejoint 220 autres organisations de la société civile appelant les États à soutenir la demande d'avis consultatif présentée par le Vanuatu à l'Assemblée générale des Nations Unies ; en mars 2023, celle-ci a adopté une résolution appelant la CIJ à émettre un tel avis consultatif.

La Cour a examiné les arguments juridiques de près de 100 pays et organisations internationales avant de répondre aux deux questions posées par l'Assemblée générale : (a) quelles sont les obligations des États en matière de changement climatique, en vertu du droit international, et (b) quelles sont les conséquences juridiques lorsque ces obligations sont violées et causent des dommages aux personnes et aux États ?

La Cour a conclu que les impacts du changement climatique sur les droits humains nécessitent « des mesures d’atténuation et d’adaptation, compte dûment tenu de la protection des droits de l’homme, [de] l’adoption de normes et de lois, et [de] la réglementation des activités des acteurs privés ».

La Cour a observé que « [le] fait pour un État de ne pas prendre les mesures appropriées pour protéger le système climatique contre les émissions de GES [gaz à effet de serre], notamment en produisant ou en utilisant des combustibles fossiles ou en octroyant des permis d’exploration ou des subventions pour les combustibles fossiles » pourrait constituer une violation du droit international. Human Rights Watch a documenté la manière dont la production de combustibles fossiles porte atteinte aux droits des communautés riveraines de ces infrastructures.

La Cour a également reconnu que « les changements climatiques pourraient créer des conditions susceptibles de mettre en danger la vie d’individus qui pourraient devoir chercher refuge dans un autre pays, ou se trouver empêchés de retourner dans le leur » ; la CIJ a exhorté les pays à éviter de renvoyer des personnes dans leur pays d'origine, dans de telles circonstances.

La Cour a ajouté que le manquement au devoir de protéger le système climatique entraîne des conséquences juridiques : cela « peut signifier que l’État est tenu d’annuler toutes les mesures » contribuant aux dommages climatiques.

Les États devraient désormais réviser leurs engagements nationaux en matière d'émissions de gaz à effet de serre, afin de se maintenir collectivement sous la limite de 1,5 °C de réchauffement supplémentaire fixée par l'Accord de Paris. Human Rights Watch poursuivra ses actions de plaidoyer, afin que les pays s’engagent à mettre en œuvre des plans climatiques ambitieux, et à éliminent progressivement le recours aux combustibles fossiles.

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24.07.2025 à 18:43

Ukraine : Une nouvelle loi sape l’indépendance des organismes anti-corruption

Human Rights Watch
Click to expand Image Des Ukrainiens manifestaient contre une nouvelle loi limitant l'indépendance des institutions anti-corruption, dans la capitale Kiev, le 22 juillet 2025. Ce rassemblement, tenu près du Bureau présidentiel, était la première grande manifestation de ce type depuis l'invasion russe en février 2022. © 2025 Stanislav Kozliuk/Reuters

(Kiev, 24 juillet 2025) – Une nouvelle loi adoptée le 22 juillet par le Parlement ukrainien (« Verkhovna Rada », ou Conseil suprême) prive de facto les principaux organes anti-corruption de leur indépendance et porte atteinte à l'état de droit dans ce pays, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

Le Parlement devrait abroger ces amendements, engager une véritable consultation avec la société civile ukrainienne et garantir que les organes essentiels de lutte contre la corruption puissent poursuivre leur travail en toute indépendance et sans ingérence. Ces modifications législatives pourraient également avoir un impact sur les efforts de l'Ukraine en vue de son adhésion à l'Union européenne, pour lesquels les réformes relatives à l'état de droit sont une condition essentielle.

« Saper l'indépendance des organes anti-corruption, surtout lors de la guerre brutale menée par la Russie contre l'Ukraine, risque d'affaiblir les fondements démocratiques de ce pays et de diminuer les chances de sa future intégration dans l’Union européenne », a déclaré Rachel Denber, directrice adjointe de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « Le Parlement devrait immédiatement abroger ces amendements afin de protéger l'état de droit et les droits humains, qui sont essentiels au redressement de l'Ukraine et à la voie vers la justice. »

Le projet de loi n° 12414 a été initialement présenté par un groupe de parlementaires du parti au pouvoir, Serviteur du Peuple, afin de traiter les cas de personnes disparues dans les zones proches de la ligne de front. Le projet a été adopté en première lecture en janvier. Cependant, le 22 juillet, des amendements troublants concernant les organismes ukrainiens de lutte contre la corruption y ont été introduits de manière inattendue.

Plus tard durant cette journée, le Comité parlementaire sur les forces de l'ordre a recommandé le vote du projet de loi, qui a été adopté par 263 voix pour, et 13 contre. Malgré les nombreux appels de la société civile et de certains responsables politiques qui souhaitaient que le président Volodymyr Zelensky y oppose son veto, il a promulguée cette loi le même jour.

Les nouvelles modifications législatives limitent considérablement les pouvoirs du Bureau national de lutte contre la corruption (Natsionalne Antykoruptsiine Biuro Ukrainy, NABU) et du Bureau du procureur spécialisé dans la lutte contre la corruption (Specializovana antykorupcijna prokuratura, SAPO), deux organismes clés créés pour enquêter sur la corruption de haut niveau, en élargissant considérablement l'autorité du procureur général sur leurs enquêtes.

Ces amendements permettent au procureur général de réaffecter des dossiers du NABU à d'autres organes s'il juge leur enquête préliminaire inefficace ou si des « circonstances objectives » rendent le fonctionnement du NABU impossible sous la loi martiale. Auparavant, le Code de procédure pénale ukrainien interdisait le transfert d'affaires relevant de la compétence du NABU à d'autres organismes chargés de l'application des lois. Cette nouvelle disposition crée une faille importante permettant de soustraire entièrement des affaires politiquement sensibles à la compétence du NABU, ont déclaré des organisations ukrainiennes à Human Rights Watch. La nouvelle loi habilite également le procureur général à demander des documents d'enquête préliminaire à tout procureur du SAPO et à les transférer à un procureur externe. Elle retire également au chef de l'agence le pouvoir d'inculper de hauts fonctionnaires pour corruption, faisant du procureur général le seul organe doté de cette autorité.

Enfin, le procureur général peut désormais donner des instructions directes aux procureurs anticorruption de l'Agence spécialisée anticorruption, remplaçant ainsi le système précédent où ces procureurs étaient uniquement subordonnés à la direction de l'agence.

La rapidité et la rapidité avec lesquelles les amendements ont été présentés et adoptés – modifiant totalement l'objectif initial du projet de loi – ont suscité de nombreuses critiques au sein de la société civile ukrainienne. Un activiste l'a décrit à HRW comme un « coup de poignard dans le dos ». D'autres ont critiqué l'impact global de la nouvelle législation sur la lutte contre la corruption.

Volodymyr Yavorsky, avocat spécialisé dans les droits humains et directeur de programme du Centre ukrainien pour les libertés civiles, a déclaré que la nouvelle loi « détruit la réforme du parquet et l'indépendance des procureurs, en particulier du NABU et du SAPO ».

« Désormais, toute enquête contre des hauts fonctionnaires n'est possible qu'avec l'autorisation écrite du procureur général, qui est une personnalité politiquement totalement dépendante du président », a-t-il expliqué. « De plus, les motifs de perquisition sans décision de justice ont été considérablement élargis. Tout cela est contraire à la pratique de la Cour européenne des droits de l'homme et aux normes de l'UE. »

La prévention et la lutte contre la corruption constituent une priorité absolue du programme de réformes UE-Ukraine depuis les manifestations d'EuroMaïdan. En tant que pays candidat à l'adhésion à l'UE, l'Ukraine est tenue de se conformer aux normes européennes en matière d'État de droit et de respecter de nombreuses obligations liées au renforcement de l'indépendance et de l'efficacité de ses institutions de lutte contre la corruption. La lutte contre la corruption était l'un des principes fondamentaux de l'accord d'association UE-Ukraine, signé en 2014.

Les 22 et 23 juillet, des milliers de personnes à travers l'Ukraine, dont de nombreux adolescents et jeunes adultes, ont manifesté contre ce qu'ils considèrent comme une attaque contre la lutte contre la corruption et un recul du processus démocratique ukrainien. Il s'agissait des premières manifestations antigouvernementales de grande ampleur en Ukraine depuis le début de l'invasion russe, avec des manifestations à Kiev, Odessa, Lviv et plusieurs autres villes.

La création du Bureau de lutte contre la corruption et la mise en place d'institutions anticorruption véritablement indépendantes étaient une exigence fondamentale de l'Union européenne pour que l'Ukraine progresse dans son projet d’adhésion à l'UE. L'unité spécialisée du parquet est chargée de veiller au respect de la législation par le Bureau de lutte contre la corruption lors des enquêtes, et ses procureurs représentent les affaires instruites par le NABU devant les tribunaux. Les responsables des deux organismes sont sélectionnés indépendamment par voie de concours.

L'adoption de la loi a été précédée en juillet par des dizaines de perquisitions d'employés du NABU, menées par des agents du Bureau du Procureur général, des Services de sécurité ukrainiens et du Bureau d'enquête d'État. Ces perquisitions auraient été menées sans mandat judiciaire et en violation de multiples procédures régulières. Les autorités ont ouvert des enquêtes contre plusieurs employés du NABU, soupçonnés de divers crimes et délits, allant de la « coopération avec l'État agresseur » et de la trahison à des accidents de la route survenus en 2021 et 2023.

Mi-juillet, les autorités ont ouvert une procédure pénale contre Vitaliy Shabunin, un éminent activiste anti-corruption qui a joué un rôle clé dans la révélation des allégations de corruption gouvernementale dans le domaine de l'approvisionnement en armes. La directrice exécutive du Centre d'action anti-corruption (AntAC), cofondé par Shabunin, estime que les autorités ont agi contre Shabunin parce qu’AntAC a tendance à « tester les lignes rouges » en Ukraine.

« Le bureau présidentiel désapprouve clairement nos révélations sur la corruption et les initiatives gouvernementales néfastes », a déclaré Daria Kaleniuk, directrice exécutive d’AntAC. « Nous considérons [l’action judiciaire contre Shabunin] comme une tentative d’entraver notre travail. »

Plusieurs responsables politiques, blogueurs politiques respectés et journalistes ont exprimé de profondes inquiétudes face à ces développements, reflétant un sentiment apparemment plus large au sein de la société civile et de l'armée.

Un éminent activiste et blogueur ukrainien a qualifié la nouvelle législation d'« acte de subversion interne en temps de guerre » ; cette loi « démoralise considérablement la population et crée un terrain propice à la discorde et à la confrontation internes … [et] sape la confiance dans les institutions de l'État ».

Les partenaires internationaux de l'Ukraine ont également exprimé leurs inquiétudes concernant la nouvelle législation ukrainienne. La Commissaire européenne à l'Élargissement, Marta Kos, a qualifié le vote parlementaire du 22 juillet de « sérieux recul », soulignant que de tels organismes indépendants sont « essentiels à l'adhésion de l'Ukraine à l'UE » et insistant sur le fait que « l'état de droit demeure au cœur des négociations d'adhésion à l'UE ».

Un porte-parole de la Commission européenne a déclaré : « L'UE fournit une aide financière importante à l'Ukraine, qui dépend des progrès en matière de transparence, de réforme judiciaire et de gouvernance démocratique. »

Le directeur de la division anticorruption de la direction des affaires financières et des entreprises de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a déclaré, dans une lettre adressée au cabinet du président Zelensky, que la nouvelle législation compromet considérablement l'indépendance des organismes ukrainiens spécialisés dans la lutte contre la corruption, menace l'adhésion de l'Ukraine à l'OCDE et « porte atteinte à sa crédibilité auprès des partenaires internationaux, en particulier ceux qui envisagent d'investir dans le secteur de la défense et la reconstruction à long terme de l'Ukraine ».

« Priver les organismes de lutte contre la corruption de leur indépendance menace l'état de droit en Ukraine », a conclu Rachel Denber. « Les autorités devraient abroger ces amendements et respecter les normes de protection des droits humains. »

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24.07.2025 à 18:41

République centrafricaine : La CPI condamne deux leaders anti-balaka

Human Rights Watch
Click to expand Image Alfred Yékatom (à gauche) et Patrice-Édouard Ngaïssona (à droite), deux ex-chefs de milices « anti-balaka » accusés de crimes graves commis en République centrafricaine, photographiés lors de leurs comparutions respectives devant la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, aux Pays-Bas, le 23 novembre 2018 et le 25 janvier 2019.  © 2018/2019 Piroschka van de Wouw/ Koen Van Well/AP Photo

(Genève) – La condamnation par la Cour pénale internationale (CPI) de deux chefs de milices anti-balaka pour des crimes graves commis en République centrafricaine est une étape importante pour la justice dans le pays, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Le 24 juillet 2025, les juges de la CPI ont reconnu Alfred Yékatom coupable de chefs d’accusation impliquant 20 crimes de guerre et crimes contre l’humanité, et Patrice-Édouard Ngaïssona coupable de chefs d’accusation impliquant 28 crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en République centrafricaine entre décembre 2013 et août 2014. Les juges ont condamné Alfred Yékatom à 15 ans de prison et Patrice-Édouard Ngaïssona à 12 ans de prison.

« Ce premier jugement tant attendu de la CPI pour les crimes graves perpétrés en République centrafricaine depuis 2012 constitue une mesure de justice importante pour les victimes des abus commis par les anti-balaka », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Mais ce verdict souligne également qu’il reste beaucoup à faire, et que la CPI et les tribunaux de la République centrafricaine devraient s’employer à résoudre le manque de responsabilisation qui perdure pour les crimes graves dans le pays. »

Les chefs d’accusation pour lesquels Alfred Yékatom et Patrice-Édouard Ngaïssona ont été condamnés comprennent le meurtre, le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile, le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments consacrés à la religion, la déportation ou le transfert forcé et le déplacement de la population civile, ainsi que la persécution. Les deux chefs anti-balaka ont été acquittés de certains chefs d’accusation, notamment d’enrôlement d’enfants soldats pour Alfred Yékatom et de viol pour Patrice-Édouard Ngaïssona.

Après que les leaders de la Séléka majoritairement musulmane ont évincé le président de l’époque François Bozizé en 2013, des milices appelées « anti-balaka » se sont livrées à des attaques de représailles contre la Séléka. Au cours des combats, les anti-balaka ont pris pour cible des civils musulmans, qu’ils percevaient comme des soutiens de leurs ennemis.

Human Rights Watch a documenté les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par les forces de la Séléka et des anti-balaka depuis 2013. Certains des abus les plus flagrants ont été perpétrés dans les régions centrales de la République centrafricaine entre la fin de l’année 2014 et avril 2017. Human Rights Watch a documenté des centaines de cas de viol et d’esclavage sexuel imputés aux groupes anti-balaka et aux combattants des factions de la Séléka.

Alfred Yékatom, connu sous le nom de « Rombhot », était caporal-chef de l’armée nationale avant le conflit et s’est auto-promu au rang de « colonel » lorsqu’il est devenu un des principaux chefs de file anti-balaka en 2013. Patrice-Édouard Ngaïssona, ancien ministre des Sports, était un coordinateur politique autoproclamé des anti-balaka et a par la suite occupé un poste de direction au sein de la Confédération africaine de football. Human Rights Watch a interviewé Patrice-Édouard Ngaïssona lors d’un entretien filmé le 3 septembre 2014, au cours duquel il n’a pas contesté la responsabilité des anti-balaka dans certains abus ou le fait qu’il était un leader du groupe.

La Cour devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que les communautés affectées en République centrafricaine soient informées du jugement et des prochaines étapes, y compris tout appel et toute procédure de réparation, a indiqué Human Rights Watch.

Alfred Yékatom et Patrice-Édouard Ngaïssona sont les premiers leaders anti-balaka à être condamnés par la CPI. Un autre commandant anti-balaka, Maxime Mokom, a été remis à la Cour en mars 2022, mais le procureur a retiré les charges portées à son encontre en octobre 2023, invoquant un manque de preuves et de témoins. Le procès d’un leader de la Séléka, Mahamat Said Abdel Kani, est en cours. En janvier 2019, la CPI a émis un mandat d’arrêt à l’encontre d’un autre chef de la Séléka, Noureddine Adam. Les scellés du mandat d’arrêt ont été levés en juillet 2022, et Noureddine Adam est toujours en liberté.

La CPI a ouvert l’enquête sur les crimes perpétrés en République centrafricaine depuis 2012 à la suite d’une demande du gouvernement de la République centrafricaine en 2014. Il s’agissait de la deuxième enquête de la CPI sur les crimes commis dans le pays. La première enquête portait sur un conflit antérieur, en 2002 et 2003, et a abouti à l’acquittement de Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président de la RD Congo. En décembre 2022, le procureur de la CPI a annoncé la fin des activités d’enquête de son bureau en République centrafricaine.

Les enquêtes de la CPI en République centrafricaine ont été complétées par des procédures devant la Cour pénale spéciale à Bangui, composée de juges et de procureurs internationaux et centrafricains. Cette Cour, créée pour mener des enquêtes et poursuivre les crimes internationaux graves commis en République centrafricaine depuis 2003, a commencé ses activités en 2018.

Elle a rendu des jugements dans trois procès et plusieurs enquêtes sont en cours. Le 7 juillet 2025, les juges de la Cour pénale spéciale ont renvoyé en jugement l’affaire contre trois leaders anti-balaka, dont Edmond Beïna, pour des crimes présumés commis à Guen, Gadzi et Djomo, dans la province de Mambéré-Kadéï, dans la région sud-ouest du pays, en février et mars 2014. Edmond Beïna est également recherché par la CPI ; le Bureau du procureur de la CPI et le gouvernement centrafricain se disputent actuellement la compétence pour le juger.

La condamnation d’Alfred Yékatom et de Patrice-Édouard Ngaïssona intervient alors que la CPI est soumise à une pression extrême de la part d’Israël et des États-Unis, après l’émission par la Cour de mandats d’arrêt à l’encontre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et de l’ancien ministre israélien de la Défense Yoav Gallant en novembre 2024 pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité à Gaza. Le 6 février 2025, le président des États-Unis Donald Trump a signé un décret autorisant le gel des avoirs des responsables de la CPI et d’autres personnes soutenant le travail de la Cour et l’interdiction de leur entrée sur le territoire américain.

« Le jugement contre Alfred Yékatom et Patrice-Édouard Ngaïssona est une étape importante, mais des milliers de victimes de crimes atroces en République centrafricaine attendent toujours que justice soit rendue », a conclu Lewis Mudge. « Les pays membres de la CPI et les partenaires internationaux devraient redoubler d’efforts pour soutenir la CPI et la Cour pénale spéciale afin de s’assurer que ces institutions disposent du soutien politique et des ressources dont elles ont besoin pour s’acquitter de leurs mandats essentiels. »

23.07.2025 à 20:47

Yémen : Les attaques des Houthis contre deux navires étaient manifestement des crimes de guerre

Human Rights Watch
Click to expand Image Le navire commercial Eternity C coulait en mer Rouge après avoir été touché par un missile houthi, le 8 juillet 2025.  © 2025 Houthi Media Center/Getty Images

(Beyrouth, le 23 juillet 2025) – Les attaques menées par le groupe armé yémenite Houthi contre deux cargos commerciaux en mer Rouge entre le 6 et le 9 juillet ont violé les lois de la guerre et manifestement constitué des crimes de guerre, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les Houthis ont coulé les deux navires, tuant et blessant plusieurs membres d'équipage, et semblent détenir illégalement six membres d'équipage secourus.

Les Houthis, qui contrôlent la majeure partie du Yémen depuis 2015, ont tenté de justifier ces attaques en invoquant les hostilités avec Israël qui ont débuté en octobre 2023. Human Rights Watch n'a toutefois trouvé aucune preuve que les navires étaient des cibles militaires au regard des lois applicables aux conflits armés. De plus, aucun des deux navires n'avait de lien avec Israël ni ne se dirigeait vers ce pays. L'un des navires avait récemment acheminé de l'aide humanitaire en Somalie.

« Les Houthis ont cherché à justifier ces attaques illégales en invoquant les violations israéliennes contre les Palestiniens », a déclaré Niku Jafarnia, chercheuse sur le Yémen et Bahreïn à Human Rights Watch. « Les Houthis devraient cesser toutes leurs attaques contre les navires ne participant pas au conflit, et libérer immédiatement les membres d'équipage qu'ils détiennent. »

Le 6 juillet, les forces navales houthies ont attaqué le MV Magic Seas, un vraquier grec battant pavillon libérien, à environ 51 milles nautiques au sud-ouest du port de Hodeidah, contrôlé par les Houthis. Le lendemain, le site United Kingdom Maritime Trade Operations (UKMTO), un programme de signalement volontaire entre les navires marchands et les forces militaires opérant dans la région de la mer Rouge et de l'océan Indien, a signalé que plusieurs petites embarcations avaient tiré des grenades propulsées par roquettes sur le Magic Seas, provoquant un incendie à bord. Un navire marchand passant a secouru les 22 membres d'équipage du navire, qui avaient abandonné le navire. Le navire a coulé le lendemain.

Le 7 juillet, les forces navales houthies ont attaqué un navire commercial grec battant pavillon libérien, le MV Eternity C, juste à l'ouest de Hodeidah. L'UKMTO a indiqué qu'une petite embarcation déployant plusieurs grenades propulsées par roquettes avait tiré sur le navire juste à l'ouest de Hodeidah. Les Houthis ont confirmé leur emploi de drones et de six missiles de croisière et balistiques pour attaquer le navire. Les attaques se sont poursuivies le 8 juillet, et le navire a fini par couler le 9 juillet.

L'Eternity C comptait 25 membres d'équipage. Selon Reuters, quatre membres d'équipage pourraient avoir été tués. Le 10 juillet, l'opérateur grec du navire a indiqué que dix membres d'équipage avaient été secourus en mer. Sur les onze personnes portées disparues, six seraient détenues par les Houthis. Le porte-parole des Houthis, Yahya Saree, a affirmé que les forces houthistes avaient secouru plusieurs membres d'équipage, leur avaient prodigué des soins médicaux et les avaient transférés en lieu sûr. Cependant, il semble que les Houthis les détiennent toujours illégalement.

Les Houthis ont déclaré que les navires attaqués et leur compagnie d'exploitation avaient violé l'interdiction imposée par les Houthis de commercer avec les ports israéliens et avaient refusé de cesser les escales. Cependant, le Magic Seas faisait route vers la Turquie depuis la Chine et transportait des engrais et des billettes d'acier, tandis que l’Eternity C faisait route vers l'Arabie saoudite depuis la Somalie après avoir livré de l'aide humanitaire au Programme alimentaire mondial des Nations Unies. Les actions menées par les Houthis en mer Rouge ne remplissent les exigences requises pour un blocus naval qui pourrait être justifié légalement en vertu du droit international maritime, a déclaré Human Rights Watch.

Human Rights Watch a examiné des vidéos et des photos publiées par les Houthis sur les réseaux sociaux, montrant leurs forces attaquant et coulant les deux navires. Une vidéo comprend l'enregistrement audio d'une conversation, dont Human Rights Watch n'a pas pu confirmer l'authenticité, au cours de laquelle les Houthis ordonnent à l'équipage du Magic Sea d'arrêter le navire. La vidéo montre les forces houthies abordant apparemment le navire, puis plusieurs explosions avant que le navire ne coule. Une autre vidéo semble montrer des attaques contre l'Eternity C, et son naufrage.

Depuis novembre 2023, les Houthis ont attaqué des dizaines de navires marchands en mer Rouge, des actes que Human Rights Watch avait précédemment qualifiés de crimes de guerre. Les Houthis avaient déjà arrêté 25 membres d'équipage du Galaxy Leader, un porte-avions lié au Royaume-Uni et exploité par le Japon, immatriculé aux Bahamas, et saisi le navire. Ils ont détenu l'équipage pendant 14 mois et le maintiennent toujours.

Le Manuel de San Remo sur le droit international applicable aux conflits armés en mer, publié en 1994, largement considéré comme reflétant le droit coutumier de la guerre, limite strictement les attaques aux objectifs militaires. Les navires marchands sont des biens civils qui ne peuvent être attaqués, sauf s'ils participent à des actes militaires belligérants pour le compte de l'ennemi, transportent des troupes ou du matériel militaire, ou présentent une menace immédiate pour le navire attaquant. Tous les navires engagés dans des missions humanitaires sont exemptés d'attaques.

Les forces houthies responsables de ces deux attaques ont violé le droit de la guerre applicable au conflit armé entre les Houthis et Israël. Elles ont délibérément attaqué des navires commerciaux clairement identifiables comme civils, qui n'étaient pas engagés dans des activités belligérantes et ne représentaient aucune menace militaire pour les forces houthies. La détention des membres d'équipage secourus est également interdite. Les commandants qui ordonnent ou exécutent délibérément ces attaques illégales, maltraitent les détenus ou sont tenus responsables de leur responsabilité de commandement sont responsables de crimes de guerre.

Ces attaques représentent aussi des menaces environnementales à long terme pour la région, a ajouté Human Rights Watch. Wim Zwijnenburg, analyste chez PAX, une organisation non gouvernementale néerlandaise, a déclaré que des images satellite montrent d'importantes nappes de pétrole provenant des zones où les deux navires ont coulé. Il a ajouté que ces nappes menacent la faune de Bera'Isole, une réserve naturelle protégée sur la côte érythréenne qui abrite une communauté de pêcheurs. Il a ajouté qu'au 22 juillet, PAX avait également « vu des nappes de pétrole s'échouer près de la petite communauté de pêcheurs d'Idi ».

Abdulqader Alkharraz, ancien spécialiste de l'environnement au sein du gouvernement yéménite, a déclaré que le Yémen subissait encore les conséquences des précédentes attaques houthies sur l'environnement, les moyens de subsistance et la santé, comme le naufrage du MV Rubymar, un vraquier battant pavillon bélizien coulé le 2 mars 2024. Le navire transportait 21 000 tonnes d'engrais chimiques dangereux. Abdulqader Alkharraz a précisé que ce naufrage avait entraîné d'importantes pertes de vie marine : « Nous avons constaté que la mortalité des poissons était due au déversement et à la pollution résultant du naufrage du Rubymar, qui a atteint les côtes yéménites de Mokha et d'Al-Khokha », à environ 16 à 20 milles nautiques de l'épave.

Abdulqader Alkharraz a ajouté qu'« il sera difficile de contenir cette crise maintenant, notamment en raison de la nature des engrais transportés par le Magic Seas, qui se dissolvent rapidement et sont difficiles à suivre ». Il a ajouté que la réponse nécessaire pour atténuer la contamination par le navire était « extrêmement coûteuse pour un pays en développement comme le Yémen ».

Le droit international humanitaire coutumier prévoit que les parties belligérantes doivent respecter la protection et la préservation de l'environnement naturel. Toutes les mesures possibles doivent être prises pour minimiser les dommages environnementaux. Le recours à des méthodes ou moyens de guerre destinés ou susceptibles de causer des dommages étendus, durables et graves à l'environnement naturel est interdit.

Les forces israéliennes ont délibérément attaqué des infrastructures critiques au Yémen, notamment le port de Hodeidah, point d'entrée de la majeure partie de l'aide humanitaire au Yémen, et l'aéroport de Sanaa. Quant aux Houthis, ils ont attaqué délibérément et sans discernement des zones et des infrastructures civiles en Israël, notamment l'aéroport de Tel-Aviv. Human Rights Watch a précédemment conclu que les attaques menées par les Houthis ainsi que par Israël étaient susceptibles de constituer des crimes de guerre.

« Il est crucial que les gouvernements concernés reconnaissent les crimes de guerre, quelle que soit la partie responsable », a conclu Niku Jafarnia. « Les gouvernements devraient d’urgence agir pour atténuer l'impact humanitaire des abus, et nettoyer rapidement les déversements de pétrole et de produits chimiques résultant des naufrages afin d'atténuer la catastrophe environnementale. »

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Articles

OLJ  Marine-Oceans  Ouest France  

23.07.2025 à 20:00

Les plaintes désespérées de Palestiniens affamés ne doivent pas être ignorées

Human Rights Watch
Click to expand Image Une mère palestinienne était agenouillée devant sa fille âgée de six ans, souffrant visiblement de malnutrition, dans un refuge situé dans la ville de Gaza, le 11 mai 2025.  © 2025 Majdi Fathi/NurPhoto via AP Photo

L'été dernier, mon fils, alors âgé de deux mois, est tombé malade alors que nous visitions des proches en Californie. Sous nos yeux, il a rapidement maigri ; son poids a chuté en dessous du niveau enregistré peu après sa naissance, provoquant dans son corps un état de choc. Par la suite, les médecins nous ont dit qu'il avait failli mourir durant cette période.

Je n'oublierai jamais ce que j'ai ressenti en voyant ses os saillir, en l'entendant pleurer sans pouvoir le calmer, et en regardant son triste visage qu’aucun sourire n’éclairait, pendant plusieurs jours d’affilée.

Ceci est proche de la réalité quotidienne à laquelle sont confrontés les parents à Gaza, mais dans des circonstances bien plus dramatiques.

Le ministère de la Santé de Gaza a signalé qu'entre le 19 et le 22 juillet, 33 personnes sont mortes de malnutrition. Déjà en mai dernier, les experts du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (Integrated Food Security Phase Classification, IPC), avaient averti que la population de Gaza était confrontée à « des niveaux élevés d'insécurité alimentaire aiguë », avec un « risque critique de famine ». Depuis, la situation s’est encore détériorée ; le 16 juillet, une agence des Nations Unies a signalé que le taux de famine chez les enfants de Gaza avait atteint son « plus haut niveau » en juin.

La pénurie alimentaire à laquelle sont confrontés les Palestiniens à Gaza, et qui a probablement déjà fait des milliers de morts, est une crise entièrement imputable à des décisions humaines. Elle résulte de la politique délibérée d'Israël consistant à utiliser la famine comme arme de guerre, un crime de guerre que Human Rights Watch a documenté pour la première fois en décembre 2023. Des mois de recherche sur les restrictions imposées par Israël à l'aide humanitaires et aux services de base nous ont conduits à la conclusion inéluctable que les autorités israéliennes imposent délibérément des conditions de vie destinées à entraîner la destruction physique des Palestiniens de Gaza, entièrement ou en partie, ce qui constitue le crime contre l'humanité d'extermination et des actes de génocide.

Après 16 jours passés dans un hôpital moderne en Californie, mon fils s'est finalement rétabli. Mais à Gaza, en raison des attaques systématiques d'Israël contre les infrastructures sanitaires et de son blocus illégal qui dure depuis des années, les enfants n'ont pas accès à des soins de santé de même qualité.

Le 21 juillet, 28 pays ont conjointement appelé le gouvernement israélien à « lever immédiatement les restrictions qu’il impose à l’acheminement de l’aide humanitaire ». Mais il faut plus que des mots : les États devraient employer divers moyens de pression – notamment un embargo sur les ventes d’armes à Israël, des sanctions ciblées contre des responsables israéliens et la suspension d’accords commerciaux préférentiels avec Israël – pour empêcher une situation de famine massive. Plus de 1 000 organisations palestiniennes et internationales ont appelé à la mise en place d’un « convoi humanitaire diplomatique », parmi d’autres moyens d’acheminer l’aide à Gaza.

Imaginez voir vos enfants pleurer de manière inconsolable, le ventre vide, et que vous ne puissiez rien faire. C’est le genre de sentiment exprimé dans les appels à l'aide désespérés émanant de Gaza. L’Histoire jugera tous les gouvernements selon la manière dont ils y répondront.

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X / Vidéo AFP https://x.com/hrw_fr/status/1948144921065467938

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