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25.04.2025 à 18:19

1er mai : « travailleurs de tous les pays, unissez-vous ! » – L’analyse de Francis Parny, Président des insoumis communistes

Nadim Fevrier

1er mai. Oui, bien sûr, le mot d’ordre date de 1864, proclamé par Marx lors de la création de la première internationale des travailleurs. Mais il est tellement d’actualité. Ceux que Trump agresse dans son attitude impérialiste, ce sont les travailleurs du monde entier. Pas la France, pas l’Europe, pas la Chine, mais tous les travailleurs de ces pays et de tous les pays, en particulier les moins développés.

La récession, c’est moins d’emplois, l’inflation c’est la baisse du pouvoir d’achat, la négation de la crise écologique pour poursuivre la politique de l’offre sans aucune règle c’est la destruction de nos écosystèmes, en particulier des plus vulnérables constitués dans l’appropriation capitaliste coloniale de la terre. L’Insoumission relaye dans ses colonnes cet article de Francis Parny, président des insoumis communistes. Notre article.

Trump est l’agresseur numéro un des travailleurs

Ils peuvent lui répliquer le 1er mai qui est la journée internationale des droits des travailleurs et dont la célébration a été décidée après la manifestation du 1er mai 1886 justement aux États-Unis pour obtenir la journée de huit heures.

Trump n’est d’ailleurs que le serviteur zélé des milliardaires de son pays dont les 7 plus riches ont dit leur objectif : nous avons le pouvoir, nous sommes riches, mais nous voulons plus de pouvoir et plus de richesses.

En France, Macron n’est pas en reste et c’est Bernard Arnault premier milliardaire du pays qui dicte sa loi à l’image de ses collègues « de classe » américains.

Comment ne pas constater que ses prises de paroles politiques se multiplient. Présent à l’investiture de Trump, il déclare que les États-Unis sont bien plus accueillants que la France pour les entreprises. Bien avant les « droits de douanes ». Il déclare que les Français doivent réduire leur train de vie de la même façon que Macron avait parlé de la fin de l’abondance. La traduction budgétaire de ces propos, c’est 40 milliards de dépenses publiques en moins. Et bien sûr récemment le milliardaire français va jusqu’à indiquer qu’il ira produire aux États-Unis en rejetant la faute sur l’Europe ! Non, le capital n’a pas de patrie. Il va exploiter les travailleurs là où c’est le plus rentable pour lui.

Les Crayons de L’Insoumission, par Xab / La Plume Rieuse.

Porter un 1er mai internationaliste

Bien sûr, des dispositions gouvernementales bien différentes devraient être prises. La France insoumise vient de faire connaître ses propositions pour une politique qui défend sa souveraineté économique. La CGT a aussi produit des propositions en ce sens. Mais tout cela suppose de prendre le pouvoir ; par les urnes évidemment.

Pour cela, il nous faut convaincre que nous portons un autre projet pour nous et aussi pour le monde. Dans la continuité de tous nos efforts pour convaincre qu’il n’est pas de changement sans rupture avec ce capitalisme. Dans la suite des voyages de Jean-Luc Mélenchon qui trouvent au Canada comme aux États-Unis des gens qui regrettent qu’une telle politique de rupture ne soit pas portée chez eux, par une grande force politique.

L’altermondialisme est un élément essentiel de notre capacité à rassembler en France même.

Pour aller plus loin : À New York, Jean-Luc Mélenchon s’attaque à l’obscurantisme trumpiste

La « nouvelle France » doit faire entendre sa voix

La nouvelle France doit engager ce combat. Aux côtés des organisations syndicales et des associations comme nous le faisons pour le 1er mai afin de continuer de tisser des liens populaires dans le respect de chacun.

Les jeunes ont identifié clairement qu’il n’y a pas d’aménagement possible à ce système. Le mot rupture pour eux n’est pas seulement une exigence programmatique, mais un mode de vie. Leurs actions se veulent radicales parce que cette société les exclus « radicalement » de tout avenir humain.

Les femmes veulent assumer pleinement leurs droits conquis si chèrement en accédant à l’égalité sociale comme à l’exercice de la propriété de leur corps. Elles ont bien vu que Trump mêle l’agression sociale et sexiste à égalité dès ses premiers propos.

Les Françaises et les Français racisés présents dans les quartiers et dans toutes les zones de relégation sociale savent que le combat populaire a deux volets, celui qu’il faut mener en France et celui qu’il faut mener pour un autre monde.

Ils se reconnaissent dans la cause palestinienne parce qu’ils se sentent aussi discriminés.

Ils se reconnaissent également dans tous ces pays exclus du commerce international faute d’un développement économique suffisant qui les maintiens dans une dépendance coloniale. Le programme « l’avenir en commun » n’oublie pas de souligner l’importance de l’AFD (agence française de développement) et du rôle que devrait jouer l’ONU pour aider ces pays. Il ne peut y avoir de commerce équitable sans un développement minimum de tous les pays. C’est faire preuve d’humanité que de promouvoir une politique internationale qui s’attaque à cette question, mais c’est aussi reconnaître, comme le disait Aminata Traoré (ancienne ministre au Mali) que les problèmes des pays du nord ne peuvent être réglés sans régler les problèmes des pays du sud.

Les travailleurs doivent défendre la Paix

La manifestation du 1er mai sera aussi une formidable occasion de répondre à Trump « nous voulons la paix, pas la guerre ».

Les États-Unis ont déjà perdu la guerre commerciale qu’ils prétendent engager. Trump l’a reconnu le jour où il a déclaré que le marché ne pouvait permettre de « gagner » la concurrence commerciale avec la Chine.

Dès lors comme toujours, le capitalisme envisage la guerre comme seul moyen de développer l’accumulation de richesses pour la classe capitaliste. Les États occidentaux le suivront dans cette aventure comme le montre leur acquiescement à tout propos de leur leader. Seuls les peuples peuvent s’y opposer en faisant entendre leur voix, leur souci d’un monde ordonné, respectant le droit international et inflexible à l’égard des auteurs de massacres et de crimes de guerre.

« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous »

Ce premier mai a des couleurs internationales.

Francis Parny, président des Insoumis communistes

25.04.2025 à 17:57

Il y a 80 ans, l’Italie se débarrassait du fascisme : aujourd’hui, l’extrême droite gâche la fête

Nadim Fevrier

Le 25 avril est un peu la 2e fête nationale italienne : on y commémore la victoire sur le fascisme, en 1945, après une guerre où se mêlent lutte contre les Allemands et guerre civile contre l’ultra-fasciste République de Salò fondée par Mussolini en 1943. L’Italie fête cette année le 80e anniversaire de cette Libération italienne, fête gâchée par le gouvernement dirigé par l’extrême droite, sous prétexte de deuil papal. Ce matin, la lecture d’un article de Il Manifesto a inspiré à l’un de nos rédacteurs une réflexion sur cette amputation de la Fête de la Libération en Italie. Notre article.

La double lutte des partisans italiens contre les ultra-fascistes dirigés par Mussolini et l’armée allemande (1943-1945)

En 1943, Mussolini fonde la République de Salò, sans jeu de mots, du nom de la petite ville du bord du lac de Garde, en Italie du nord, où son gouvernement s’est établi. Le Duce avait été évincé de la tête du gouvernement italien quelques mois plus tôt, le 25 juillet 1943, par les responsables de son propre parti, le Parti National Fasciste, et arrêté, face à l’avancée des armées alliées vers Rome.

Placé en détention dans le massif du Gran Sasso, le plus haut sommet d’Italie centrale, dans les Abruzzes, il en a été délivré le 12 septembre, lors d’un raid rocambolesque ordonné par Hitler et mené par un commando SS. Il fonde alors la « République sociale italienne » le 23 septembre 1943, État en réalité contrôlé par la Wehrmacht, l’armée allemande. Un gouvernement ultra-fasciste se met en place.

Il lutte, avec l’aide des nazis (on parle alors des nazi-fascistes), contre les partisans, c’est-à-dire les résistants italiens, essentiellement les communistes, les socialistes et les démocrates-chrétiens, durant une guerre civile terrible.

Près de 100 000 partigiani à la fin de 1944, peut-être 200 000 à la fin de la guerre au printemps 1945, participent à cette lutte armée particulièrement violente. Le gouvernement de Mussolini laisse se dérouler les représailles allemandes contre les civils, comme le massacre des fosses ardéatines, près de Rome : 335 morts le 24 mars 1944, ou à Marzabotto, près de Bologne : 770 morts entre le 29 septembre et le 5 octobre 1944. Près de 44 000 partisans seraient tombés sous les balles des « nazi-fascistes » entre 1943 et 1945.

La République de Salò a aussi adopté une politique très antisémite et a activement participé à la Shoah : en quelques mois, plus de 8 500 Juifs des zones contrôlées par la République de Salò sont arrêtés, la plupart par la police du régime fasciste, et déportés à Auschwitz où ils ont été assassinés.

Pour finir, la ligne de défense allemande en Italie centrale, dite « ligne gothique », après avoir longtemps contenu les Alliés, cède enfin en décembre 1944. La défaite des nazi-fascistes se profile alors. Le 25 avril 1945, Mussolini, aux abois, tente de fuir avec une colonne de la Wehrmacht, piteusement déguisé en soldat allemand. Arrêté au bord du lac de Côme le 27 avril 1945, il est fusillé par les partisans le lendemain et son corps exposé et humilié sur une place de Milan.

Le 2 juin 1946, les Italiens (et, pour la première fois, les Italiennes) se prononcent en faveur d’un régime républicain, la monarchie s’étant, avec Victor-Emmanuel III, compromise avec le fascisme : le 2 juin, Fête de la République, devient alors jour de fête nationale italienne. Le 25 avril, Fête de la Libération, reste toutefois important dans le cœur des Italiens et a été aussi déclaré comme jour de fête nationale.

25 avril 2025 : Une fête mutilée

Or cette année, pour le 25 avril, le gouvernement italien, par la voix de Nello Musumeci, « ministre pour la Protection civile et les Politiques maritimes », le Retailleau italien, a appelé à « la sobriété que la circonstance impose à chacun », sans interdire formellement les manifestations.

Il s’agit, sous prétexte de deuil national à la suite de la mort du pape François, de limiter voire, dans certaines villes, d’annuler les cérémonies officielles de commémoration du 25 avril. Un prétexte pour ne pas fêter la fin du fascisme : quelle aubaine pour la droite et l’extrême droite au pouvoir en Italie !

https://x.com/JLMelenchon/status/1914322896912031902

Ainsi, dans la petite ville de Domodossola, au pied des Alpes lombardes, le maire Lucio Pizzi (catalogué au centre-droit) a annulé le cortège officiel avec musique et limitera la cérémonie à un simple discours. Or, la vallée d’Ossola est un peu à l’Italie ce que le Vercors est à la France : un haut lieu de la résistance des partigiani (combattants antifascistes) qui avaient, en septembre et octobre 1944, libéré la région des Allemands et des fascistes et fondé la « République d’Ossola », mais qui est tombée le 23 octobre 1944, à l’image de « notre » République martyr du Vercors.

Pour aller plus loin : En Italie, grandeur de l’historien communiste Luciano Canfora face au pouvoir néofasciste de Giorgia Meloni

Se sont illustrés dans cette République d’Ossola Gisela Floreanini, qui en a été ministre (la première femme ministre en Italie !) ou le communiste Umberto Terracini, futur président de l’Assemblée constituante italienne. Aujourd’hui, la région de Lombardie, dont Milan est la capitale, a « oublié » d’organiser les cérémonies officielles !

Sans surprise, de nombreux autres maires de droite et d’extrême droite ont annulé ou fortement limité les festivités : à Trieste (Frioul-Vénétie julienne), Ancône (Marches), Foligno (Ombrie), Orbetello (Toscane), etc. Plus étonnant (quoique…), des municipalités de centre-gauche ont aussi gâché la fête, annulant les concerts prévus, comme à Cesena (Émilie-Romagne) ou Legnano près de Milan. Sous prétexte du décès du pape François, c’est la République combattante et populaire qui est visée.

Encore deux exemples préoccupants et significatifs : dans la petite ville de Cinisello di Lombardia, le maire « centre-droit » annule et interdit toute célébration. Le secrétaire local de la CGIL (premier syndicat italien) appelle à manifester tout de même : « désobéir est nécessaire » a-t-il déclaré ! À Romano di Lombardia, le président du conseil communal Paolo Patelli a même interdit de chanter “Bella Ciao”, le chant des partisans italiens !

La boucle est bouclée : le nœud coulant du fascisme se resserre peu à peu sur l’Italie qui s’en était débarrassée il y a 80 ans. C’était un 25 avril.

Un matin je me suis levé
O bella ciao, bella ciao…
Un matin je me suis levé
Et j’ai trouvé l’envahisseur

Par Sébastien Poyard

25.04.2025 à 16:37

« Fanon » : un biopic sur un révolutionnaire et le théoricien du Tiers-mondisme

Nadim Fevrier

Fanon. L’Insoumission.fr publie un nouvel article de sa rubrique « Nos murs ont des oreilles – Arts et mouvement des idées ». Son but est de porter attention à la place de l’imaginaire et de son influence en politique avec l’idée que se relier aux artistes et aux intellectuels est un atout pour penser le présent et regarder le futur.

Le film de Jean-Claude Barny raconte un épisode de la vie de Franz Fanon. Les biopics français sur les figures subversives porteuses d’alternatives sont rares. Encore moins quand elles sont racisées. Spike Lee a filmé « Malcom X ». Ava DuVernay, « Selma » sur la vie de Martin Luther King. Julie Dash, « Rosa Parks story ». Peter Miller, « Sacco and Vanzetti », « Free Angela » de Shola Lynch

Quid de Robespierre, Saint-Just, Babeuf, Eugène Varlin, Louise Michel, Blanqui… Désert aussi au XXe siècle. Une des multiples raisons pour saluer « Fanon ». Un film sur la vie du psychiatre-philosophe martiniquais des « frères opprimés ». Un moment fort de rencontre avec une vie et une théorie. Un film qui bouleverse et conquiert un public contre le marché et ses prévisions. Notre article.

« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouches. Ma voix la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. » – Aimé Césaire – Cahier d’un retour au pays natal

« Fanon » se déroule au moment de son arrivée à l’hôpital Blida d’Alger. Accueil enveloppé d’un racisme ordinaire, un an avant la guerre d’Algérie. Mise en place d’une psychiatrie institutionnelle à usage des patients algériens séparés des colons. Écriture de son célèbre essai « Les Damnés de la terre » sur la colonisation et le capitalisme, les aliénations créées par l’histoire, les luttes d’émancipation nationale…

Participation de Frantz Fanon à la guerre de libération de l’Algérie et abandon de la nationalité française. Sa vie de couple, la naissance de leur fils Olivier et sa mort à 36 ans. Un homme total. Abolition des frontières de l’intime et du social.

« Si tu ne veux pas l’homme qui est en face de toi, comment croirais-je à l’homme qui peut être en toi ? »- Franz Fanon

Certaines critiques n’ont pas manqué. Celles de l’extrême-droite ou des nostalgiques des colonies. N’en parlons pas. D’autres disent le film « trop lisse ». « Didactique, édifiant »… On peinerait à retrouver la trace des exigences de ces critiques dans leurs journaux. Souvent aussi dans leurs articles. Et c’est surtout faire un mauvais procès au film et à Jean-Claude Barny… Même si la figure de Fanon – théoricien du peuple, de ses aliénations historiques, de ses combats – se prête mal à l’héroïcisation. Moins individu romantique que révolutionnaire et porteur de collectif.

Difficile cependant de reprocher le didactisme quand le film se veut passeur. Révélateur d’une personnalité non reconnue à sa valeur et à son actualité. Pour ses combats pour une autre psychiatrie. Alors même qu’un Français sur cinq souffre d’un trouble psychique et qu’une tribune parue dans le journal Le Monde lance un appel : « Le temps presse face au risque d’abandon des malades mentaux ». Pour ses contributions théoriques et ses combats contre le racisme et pour les indépendances.

« Qu’as-tu à dire si ce n’est qu’ils savent mentir/Sur des années entières de travail pour nous anéantir/Pire encore pour qu’on oublie les massacres/Qu’on en perde son créole et se cherche des reflets nacres/ (…)/Qu’as-tu à dire à ces corps pris pour chair à canon/À ces damnés d’la terre chers à Frantz Fanon/Des champs d’coton au ghetto à fond d’cale du bateau/Depuis l’temps qu’on nous enfonce la même lame de couteau » – La Rumeur – Nature morte

Le nom de Franz Fanon n’a pas été oublié. D’abord, en Algérie où trois hôpitaux et de nombreuses rues portent son nom. En Amérique où il était un maître pour les Blacks Panthers. À l’inverse des héritiers des colons. Il aura fallu des décennies pour que l’État français accepte qu’il y ait une rue Fanon en Martinique. Malgré les insistances répétées d’Aimé Césaire.

Et on se rappelle 2019 : la municipalité de Bordeaux avait annulé un baptême de rue sous la pression du Front national. En France, la mémoire de Fanon subsiste chez les rappeurs. La Rumeur, Ministère AMER – Les damnés, Rocé – titre Album Les damnés de la terre, Casey , Nekfeu, Médine. Qui a parlé de l’inculture du rap ? Et par quelques documentaires. Ceux de Mehdi Lallaoui « Sur les traces de Frantz Fanon » ou de Mathieu Glissant Frantz Fanon, trajectoire d’un révolté.

« L’errance et la dérive, disons que c’est l’appétit du monde » – Edouard Glissant – Introduction à une poétique
du divers

Le film de Jean-Claude Barny a ce mérite d’organiser en grand des retrouvailles. Malgré la faiblesse du nombre de salles où il est distribué. Quatre salles à Paris seulement pour sa sortie nationale. 90 % des films s’effondrent en seconde semaine. « Fanon » progresse, double ou triple ses entrées. Comme « Zion ».

Le bouche-à-oreille est une arme du peuple. On dit que certaines salles fêtent la fin de la projection aux chants de « Free Palestine ». L’identification ne fonctionne pas que pour Captain America. Porte grande ouverte à une œuvre qui compte dans l’histoire et a toute son actualité. Pour le 100e anniversaire de la naissance de Franz Fanon.

« La justice est indivisible. Une injustice commise quelque part est une menace pour la justice dans le monde entier » – Angela Davis – Une lutte trêve

Sobre et efficace, le film est plus subtil qu’un simple biopic. S’y joue la contradiction apparente entre l’encaissement placide du racisme par le personnage principal et ses réponses en termes collectifs. Avec les patients, pour leur dignité et leur condition humaine. Avec le peuple algérien, pour la conquête de son indépendance. Narratif et épique. Au plus près des visages et des paysages. Leurs accidents en révèlent la grandeur et la beauté.

Fanon est aussi un manifeste d’inventions. Avec des incursions frappantes dans les cerveaux des protagonistes. Illustration de la théorie de Fanon de l’origine culturelle du trouble psychique. Sans effets de discontinuité ou de rupture filmique. En incluant et imageant des concepts psychanalytiques. Passage à l’acte. Névroses obsessionnelles. Pulsion de mort. Introjection du dehors vers le dedans… Autant de troubles reliés pour Fanon à l’oppression colonisatrice.

Et puis il y a le traitement de la pensée de Fanon. On l’entend. Dans les échanges. Dans la dictée de son livre… On la voit. Par-dessus l’épaule de l’auteur, sur la feuille dans la machine, dans un livre. Ou dans des textes citations qui font légende. Comme Lupin avec Omar Sy a relancé la lecture de Maurice Leblanc, on espère le même effet pour « Peau noire, masques blancs » et « Les Damnés de la terre ». Pensée nécessaire dans de nombreux domaines

« Sans la reconnaissance de la valeur humaine de la folie, c’est l’homme même qui disparaît » – François Tosquelles

L’actualité nous fait considérer aujourd’hui les liens entre la dégradation de la vie sociale, les menaces qui pèsent sur la planète d’une part, les troubles de l’angoisse et les progrès de la maladie mentale de l’autre. Fanon tissait ces liens entre le colonialisme et les colonisés. Il combattait dans sa pratique et dans ses écrits les théories psychiatriques en cours. Celles d’Antoine Porot par exemple et son « Manuel alphabétique de psychiatrie » de Porot réédité en 2010. Encore de référence.

C’est pourtant Porot qui disait : « Hâbleur, menteur, voleur et fainéant, le Nord-Africain musulman se définit comme un débile hystérique, sujet, de surcroît, à des impulsions homicides imprévisibles » ou « L’Algérien n’a pas de cortex, ou, pour être plus précis, il est dominé, comme chez les vertébrés inférieurs, par l’activité du diencéphale ». Pour Fanon, c’est bien plutôt la colonisation qui entraîne une dépersonnalisation, qui fait de l’homme colonisé un être « aliéné », propre à être pris en charge par l’autorité colonisatrice.

On voit dans le film de Barny l’illustration à l’œuvre des avancées de Tosquelles dans la mise en œuvre d’une psychothérapie institutionnelle respectueuse de l’humanité et de la citoyenneté des patients, poursuivie par Jean Our à La Borde par exemple. La santé mentale décrétée « Grande cause nationale 2025 » est toujours le parent pauvre de l’hôpital lui-même bien appauvri.

« Dire que la Terre est la maison de l’humanité, c’est reproduire à la totalité de la Terre le fantasme excluant qui vise à cacher la pluralité d’acteurs et à éviter cette humaine tâche politique de composer un monde avec autrui » Malcom Ferdinand – Une écologie décoloniale

Franz Fanon est un combattant des indépendances et de l’indépendance de l’Algérie. Aujourd’hui, on somme du délinquant au député d’aimer la France en bloc et de chanter la Marseillaise. Franz Fanon s’est déchu lui-même, par honte, de la nationalité française. Lui qui s’était engagé dès ses 18 ans, des Antilles, pour lutter contre le nazisme. Au nom de la Liberté. De l’Egalité. De la Fraternité.

On lui avait interdit de défiler pour la libération du fait de sa couleur de peau. Lui qui fréquentait le tout Paris et Jean-Paul Sartre, il disait : « le Sud américain est, pour le nègre, un doux pays à côté des cafés de Saint-Germain ».

Franz Fanon est un des fondateurs et acteur de la pensée postcoloniale. Le tiers-mondisme comme l’atermondialisme lui doivent beaucoup. Il considère que l’indépendance nationale n’a de sens qu’en intégrant les questions sociales. Le pain, la terre.. Comme le pouvoir.

L’indépendance pour un « régime tout entier tourné vers l’ensemble du peuple, basé sur le principe que l’homme est le bien le plus précieux ». Merci donc à Jean-Claude Barny comme à tous les acteurs du film, professionnels comme amateurs, d’avoir fait ressurgir la figure et les mots de Franz Fanon. Notre pays en a bien besoin.

Par Laurent Klajnbaum

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