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30.06.2025 à 19:43

Courrier des lecteurs 2025

Desk Russie

Merci infiniment pour votre invitation à la célébration des 4 ans de Desk Russie et du 100e numéro de la newsletter. Un immense bravo pour ce cap symbolique, et pour tout ce […]

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Texte intégral 2035 mots

Merci infiniment pour votre invitation à la célébration des 4 ans de Desk Russie et du 100e numéro de la newsletter. Un immense bravo pour ce cap symbolique, et pour tout ce que vous accomplissez.

Votre Fête était un moment simple et précieux à la fois – à l’image du projet que vous portez avec tant de conviction et de maîtrise. Le cadre du Théâtre du Soleil, unique en son genre, les échanges avec des amis ou avec ceux qui me connaissaient par mes interventions publiques et le dîner absolument délicieux (félicitations au chef !) – tout était parfait !

Je vous félicite encore très sincèrement pour l’existence de Desk Russie, un média aussi rigoureux qu’indispensable dans un paysage brouillé par la désinformation.

Je vous souhaite une magnifique continuation !

Alla Poédie


Je tenais à vous remercier sincèrement pour cette excellente initiative à l’occasion de l’anniversaire de Desk Russie.

Cette garden party fut un réel plaisir, qui a donné l’occasion à de nombreuses rencontres d’anciens et de nouveaux amis, tous engagés dans le soutien à l’Ukraine, dans différentes activités. Il est important de prendre parfois le temps de partager, des moments d’échanges et de convivialité.

Le buffet était somptueux et délicieux et le cadre parfaitement adapté. La prestation du groupe SC, avec notre excellent ami Volodymyr, en dépit de la chaleur, est toujours un régal tant dans les compositions que dans les reprises.

Bref, un grand merci pour cette magnifique soirée.
Bien à vous.
Florent M.


Je suis une fidèle abonnée de Desk Russie depuis son tout début, et j’apprécie votre remarquable travail de dénonciation des ingérences russes, ainsi, bien sûr, que votre combat pour l’Ukraine.
Je suis scandalisée de la présence au Salon du Livre de Xenia Fedorova sur le stand Fayard pour son livre Bannie, ce samedi 12 avril. Cela contredit justement le titre du livre.

Qu’en pensez-vous ? Ne faudrait-il pas au contraire bannir ces voix de Moscou, d’autant plus que la guerre continue à faire rage et que la propagande russe redouble de vigueur ? Il faudrait sans doute une action commune, associations, etc.

Restant à votre disposition,
Amicalement,
Dominique V., le 10 avril 2025


Bonjour,

Un petit mot pour remercier et féliciter chaleureusement madame Françoise Thom pour la qualité de son excellent article sur les visées américaines de la Russie de Poutine.
La lecture de ce papier terrifiant devrait être conseillée à chaque Américain… avant qu’il ne soit trop tard.
Mais il est sûrement déjà trop tard.
Et notre impuissance face au désastre que l’on voit se profiler devant nous rend cette réalité encore plus dure à accepter.
Nous sommes les témoins tétanisés de la démolition d’un monde et de la naissance du chaos.

Merci à toute votre équipe également, pour l’éclairage indispensable qu’elle nous offre depuis bientôt 4 ans, nous donnant ainsi matière à résister à la propagande aussi vivace que nauséabonde du Kremlin.
Bravo à vous.

David B., le 30 mars 2025


Le 24 février 2025, trois ans après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, nous assistons à un défilé de chefs d’États européens à Washington. La venue d’E. Macron est prévue ce jour-là. Le moment est mal choisi pour rencontrer le nouveau président des USA qui vient d’afficher son allégeance à Moscou. Le voir oui, mais pour lui dire quoi ?

Depuis son investiture, Donald Trump a mis son programme de règlement de la guerre en Ukraine sur la table. Sa conversation téléphonique rendue publique avec Poutine est la liste de tous ses renoncements, au point d’avoir du mal à distinguer son programme de celui du chef du Kremlin : 20 % de l’Ukraine cédés à la Russie, non-adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, Zelensky traité de dictateur, l’Ukraine devenue agresseur de la Russie, le financement de la reconstruction de l’Ukraine à la charge de l’Europe…

Par ces déclarations, le locataire de la Maison-Blanche fait des États-Unis, jusqu’alors l’allié de l’Europe, un complice du dictateur du Kremlin. Aligné sur les positions de Poutine, méprisant l’Ukraine et l’Europe, les premiers concernés, nous pouvons nous demander ce que vont lui dire nos dirigeants à Washington. Les Ukrainiens combattent pour notre liberté à tous. Leurs alliés sont-ils à la hauteur ? Après l’inaction, les atermoiements, n’est-il pas temps qu’ils affirment clairement leur soutien à l’Ukraine ? L’heure de la politique-business est terminée.

Nous assistons à un partage du monde entre deux grandes puissances nucléaires, à un démantèlement ne tenant aucun compte des traités internationaux établis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, au piétinement de la charte de l’ONU. La victoire de la force sur le droit ouvrirait la porte à toutes les aventures guerrières. À Munich, J. D. Vance, vice-président des USA, a dit que les ennemis de son pays ne sont pas la Chine ou la Russie, mais les lois sur la liberté d’expression prises par des États européens.

Nous, Européens, ne sommes pas devenus les vassaux des Américains. Nous n’acceptons pas que le dictateur Poutine avec l’appui de Trump règne sur nos pays.

Condamné par la Cour pénale internationale pour la déportation d’enfants, commanditaire de multiples assassinats, auteur d’une guerre qui détruit un pays et provoque des centaines de milliers de victimes, Poutine n’a pas sa place à la table de négociation, mais sur le banc des accusés. Trump non plus, il devrait être également devant les tribunaux pour tentative de coup d’État après l’assaut du Capitole. Allons-nous laisser ces passibles de justice modeler le monde à leur profit ?

La place de l’Europe n’est pas à Washington, elle est à Kyïv.

Dans ce grand bouleversement auquel on assiste en direct, une voix forte de l’Europe est indispensable. Je me prends à rêver à celle d’un de Gaulle ou d’un Churchill affirmant haut et fort les valeurs démocratiques. Pour que cette voix soit entendue, il faut que l’Europe se retrouve à Kyïv et non à Washington.

L’image des chefs d’État européens avec la Grande-Bretagne et le Président Zelensky ensemble sur la place Maïdan serait la meilleure réponse à Poutine et Trump. À cette assemblée pourrait se constituer une coalition qui dirait « niet » aux tentatives de régler le sort de l’Europe sur son dos. Cette coalition pourrait affirmer qu’elle ne participera pas à un simulacre de négociation sans l’Ukraine, pas plus que ne sera présente l’Ukraine sans l’Europe. Elle pourrait annoncer l’accentuation de son effort de défense et les grandes lignes d’un programme de paix.

À ceux qui ne comprennent que la force, il faut montrer qu’ils n’ont pas toutes les cartes en mains. La Russie n’est pas en aussi bonne santé qu’elle le dit et l’Europe peut être forte, unie et déterminée face à la barbarie.

Roger E., le 23 février 2025


Dans la newsletter n° 94, nous avons demandé à nos abonnés s’ils consultent les rubriques Agenda et Nouvelles parutions de notre site. Plusieurs d’entre vous nous ont répondu. Nous publions ici quelques extraits de ces messages. Par souci de confidentialité, nous ne mentionnons que les prénoms et l’initiale du nom. Nous vous remercions chaleureusement pour ces précieux retours.

Bonjour,
Dans le dernier Desk Russie, vous demandez un retour sur la fréquentation de ces rubriques.
Je vous confirme que je lis avec grand intérêt et curiosité – non seulement TOUTES les éditions de Desk Russie – mais également les agendas et nouvelles parutions.
Je vous souhaite bonne continuation, de la patience et bon courage.
Slava Ukraine !
Andrea A.

Je lis toujours les rubriques Agenda et Nouvelles parutions.
N’étant pas sur Paris, je ne vais pas aux événements prévus, mais quand il y a une conférence qui est mise en ligne, il m’arrive de l’écouter.
Quant aux livres, j’en achète régulièrement suite aux conseils que vous donnez sur votre site.
Mes remerciements pour votre investissement et votre travail.
Nathalie P.

Je consulte votre rubrique Nouvelles parutions avec beaucoup d’intérêt.
Bravo pour votre excellent travail !
Louise H.

Un petit mot pour vous informer que j’utilise avec grand intérêt votre service Agenda et peux désormais assister à certaines activités.
Un grand merci.
Marie L.

Je voudrais vous remercier du fond du cœur pour votre extraordinaire travail, qui montre toute l’intelligence, la compétence et le dévouement des contributeurs.
Par ailleurs, j’ai effectivement remarqué que la présentation du site avait changé, elle est désormais très claire et il est facile et agréable de naviguer dedans.
Je vous lis très régulièrement, j’ai déjà fait un petit versement il y a quelques mois, ce que, bien sûr, je vais réitérer très prochainement.
Claire M.

Abonnée à votre site, je me permets de vous donner mon avis, comme vous le demandez dans votre dernier envoi, quant aux rubriques Agenda et Nouvelles parutions.
Habitant en Belgique, je ne consulte pas l’agenda, les événements se déroulant essentiellement en France.
En revanche, je consulte très fréquemment tout ce qui se rapporte aux nouvelles parutions : j’y trouve de nombreuses suggestions de lecture, me permettant de me tenir informée du contexte géopolitique actuel et/ou de découvrir des auteurs.
Très satisfaite du contenu de cette rubrique, je ne peux qu’encourager votre association à l’alimenter régulièrement, tant elle est utile à la lectrice que je suis.
Bonne continuation à toute l’équipe !
C. P.

Lectrice assidue de Desk Russie, je consulte peu l’agenda. Je suis domiciliée à Bonn, en Allemagne, donc impossibilité d’assister à des événements qui ont lieu en France.
Par contre, j’apprécie particulièrement les Nouvelles parutions, où je puise d’excellentes idées de lecture.
Merci et bonne continuation.
Thérèse P.

Je reçois la newsletter (que je lis attentivement, et grâce à laquelle je suis allée à l’INALCO suivre un débat récemment), mais non, je ne connaissais pas ni n’utilisais la rubrique. C’est vraiment très bien fait. Je vois que de nombreux événements sont organisés.
J’apprécie beaucoup cette rubrique, qui complète souvent (pour les petits éditeurs) ma bibliographie des Rossica qui paraît deux fois par an dans La Revue russe.
Françoise B.

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15.06.2025 à 17:42

Faire front de l’Atlantique à l’Indo-Pacifique

Jean-Sylvestre Mongrenier

Le président français semble vouloir ressusciter le « non-alignement ». Or les théâtres euro-atlantique et indopacifique sont interconnectés ; c’est en bonne intelligence politique, stratégique et militaire que les Alliés doivent faire front.

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Texte intégral 3258 mots

Invité à prononcer le discours d’ouverture du Dialogue de Shangri-La, à Singapour, le 30 mai dernier, Emmanuel Macron a présenté la France et l’Europe en « troisième voie », posant ainsi une fausse symétrie entre l’Amérique d’une part et l’axe sino-russe d’autre part. Quand les errances de la présidence Trump ouvrent de nouveaux horizons aux puissances qui veulent enfoncer le dernier clou du cercueil de l’Occident, le président français, soixante-dix ans après la conférence de Bandung (18-24 avril 1955), semble vouloir ressusciter le « non-alignement ». Si l’on comprend la nécessité pour l’Europe de s’affirmer, le lyrisme gaullien ne convainc pas totalement. Les théâtres euro-atlantique et indo-pacifique sont interconnectés ; c’est en bonne intelligence politique, stratégique et militaire que les Alliés doivent faire front.

De prime abord, les errances de l’Administration Trump ne sauraient être vues comme la confirmation d’une fatalité historique qui conduirait mécaniquement au découplage géostratégique entre les deux rives de l’Atlantique Nord. En l’état des choses, l’OTAN demeure en place, les grands exercices se déroulent normalement et le Pentagone prévoit de renforcer la partie nord de l’Europe où les contradictions militaro-stratégiques s’accentuent. Alors que des sources officieuses laissaient penser que les États-Unis renonceraient d’eux-mêmes à nommer un officier général américain au poste de Commandement suprême des Forces alliées (le SACEUR), le Pentagone vient de désigner le Lieutenant-général Alexus Grynkewich, appelé à prendre ses fonctions en août prochain, après l’approbation du Sénat. Parallèlement, la revue générale des déploiements américains suit son cours. Très probablement, elle conduira à la réduction des effectifs militaires américains en Europe, mais les observateurs avertis soulignent le sérieux de ces travaux, sans précipitation et signe d’un quelconque esprit doctrinaire.

Le « burden sharing » plutôt que le « burden shifting » ?

À quelques jours du sommet de La Haye (24-25 juin 2025), la perspective d’un rééquilibrage des engagements et des responsabilités militaires entre les deux rives de l’Atlantique Nord semble donc l’emporter sur celle du retrait des États-Unis de l’OTAN1. En somme, le « burden sharing » plutôt que le « burden shifting »2. Que les alliés européens des États-Unis se gardent toutefois d’un lâche soulagement. L’effort qu’il leur faut prodiguer est important et s’inscrit dans la durée : les dépenses militaro-sécuritaires en Europe devront atteindre la cible des 5% du PIB, selon l’objectif qui sera retenu à La Haye. La situation financière de plusieurs pays européens, dont la France, et la nécessité de rationaliser ces efforts conduisent à faire preuve de « créativité » comptable : relâchement des critères budgétaires dans la zone euro, Fonds européen de défense et plan de réarmement de la Commission européenne, réorientation de la Banque européenne d’investissement, « Banque de l’OTAN », entre autres propositions3.

Au-delà des aspects comptables, ces efforts devront se concrétiser par le déploiement d’hommes et de capacités militaires sur le terrain. Ils impliquent aussi que les alliés européens créent de nouveaux postes de commandement au sein de l’OTAN. Dans la zone nordico-baltique comme dans le bassin pontico-méditerranéen, des coopérations renforcées entre nations européennes répondront à la guerre hybride que la Russie mène dans ces espaces, testant ainsi leur résolution et leurs systèmes de défense. Dans ce remaniement du dispositif euro-atlantique, les États-Unis conserveraient un rôle important (dissuasion nucléaire élargie, protection de l’espace aérien, transport stratégique, guerre électronique et renseignement), mais ils devraient réallouer une partie de leurs ressources budgétaires et de leurs moyens militaires dans la région Indo-Pacifique, face à la Chine populaire qui considère la Méditerranée asiatique (mers de Chine du Sud et de l’Est) comme sienne et n’est pas si loin de revendiquer le Pacifique occidental4 (la base de Guam est dans le viseur de l’Armée populaire de Libération).

D’un point de vue européen, il serait erroné de penser que le « partage du fardeau « à l’intérieur de l’OTAN n’impliquera pas de contreparties dans la région Indo-Pacifique. Certes, l’agression militaire à grande échelle de la Russie en Ukraine et l’ombre portée de la menace russe sur la zone euro-atlantique, bien au-delà des États baltes, de la Pologne et de la Roumanie, exclut le « China turn » de l’OTAN dont il fut question dans un passé récent. Il reste que face à l’alliance sino-russe5, dont témoignent l’aide multiforme de la Chine populaire à la guerre du Kremlin, la tentative chinoise de s’emparer de la Méditerranée asiatique (plus vaste encore que la mer Méditerranée), et aux menaces sur la liberté de navigation subies par les nations occidentales, ces nations ne peuvent pas considérer cet espace comme un lointain théâtre exotique. Il suffit de regarder une mappemonde depuis le pôle Nord pour constater l’interconnexion entre les théâtres euro-atlantique et asiatique, reliés par la route maritime du Nord, le long des côtes russes.

Bref, l’OTAN pourrait survivre au trumpisme, mais certains des alliés européens des États-Unis devront s’investir plus encore dans la protection des lignes de navigation entre l’Europe et l’Asie, de la liberté de navigation et de  la sécurité des détroits qui conditionne la circulation des navires, voire la protection des territoires, des eaux territoriales et des zones économiques exclusives pour ceux qui sont physiquement présents dans cette partie du monde. C’est le cas de la France, puissance riveraine de l’Indo-Pacifique dont les marges de manœuvre géopolitiques reposent sur le maintien de relations fortes avec les États-Unis et l’organisation continue de coopérations militaires bilatérales concrètes, navales en tout premier lieu6. Le président français peut bien jouer avec le thème du non-alignement, cela ne dépassera pas le stade du stratagème et de la diplomatie publique, sans rien changer au fond des choses. Sauf à ce que l’Union européenne, sous la direction de la France, se mue en un acteur géostratégique global, ce qui serait une anticipation hardie.

mongrenier clemenceau 1
Le groupe aéronaval CLEMENCEAU 25 dans l’océan Pacifique // Marine nationale

Vers un pilier politico-militaire paneuropéen

Il reste que le scénario du « partage du fardeau » au sein de l’OTAN pourrait ne pas concerner l’Ukraine : l’idée selon laquelle le soutien financier et militaro-industriel relèverait des alliés européens semble s’imposer aux États-Unis, au-delà des clivages partisans (le secrétaire à la Défense américain n’a pas participé à la dernière conférence de Ramstein). Dans un tel cas de figure, ce serait purement et simplement un « burden shifting », le fardeau passant à l’Europe. Or il importe que l’Ukraine, toujours invaincue, le demeure car elle constitue la première ligne de défense de l’Europe, à l’est des frontières de l’ensemble euro-atlantique. En termes quantitatifs, les pays européens fournissent déjà un peu plus de la moitié de cette aide, mais se substituer en totalité aux États-Unis sera coûteux ; la tâche exigera que l’on mène des batailles politico-budgétaires, à l’intérieur de chaque État comme à l’échelle de l’Union européenne7.

Par ailleurs, les États européens ne possèdent pas la totalité des moyens nécessaires au soutien militaro-industriel à l’Ukraine (arsenaux et stocks d’armes et de munitions) ; il faudrait trouver les voies d’un compromis avec les États-Unis, quitte à financer sur fonds européens des livraisons de matériels et de munitions américaines, tant que l’industrie d’armement du Vieux Continent n’aura pas atteint les niveaux de production requis (vaille que vaille, cette production s’accroît). Le plus simple à court terme serait de confisquer les avoirs russes afin de financer de telles acquisitions. Quant à la perspective d’un déploiement en Ukraine d’éléments militaires européens, elle semble se dérober car un cessez-le-feu est très peu probable, a fortiori un accord de paix, dont il s’agirait de garantir l’application. Pourtant, une brusque transformation de la situation militaire pourrait requérir un tel déploiement : dans l’hypothèse d’un effondrement du front ukrainien – qui n’est pas à l’ordre du jour –, les alliés seraient contraints de former une zone de sécurité en avant des frontières orientales de l’ensemble euro-atlantique8.

Enfin, si la perpétuation de l’OTAN, au prix d’un « partage du fardeau » entre les deux rives de l’Atlantique Nord, serait une bonne chose, cela ne saurait nourrir un optimisme excessif. De fait, le conflit avec la Russie prend l’allure d’une guerre perpétuelle – du moins une sorte de Guerre de Cent ans, engagée depuis 1945, interrompue par un « armistice » d’une quinzaine d’années après la chute du « rideau de fer » –, c’est-à-dire un conflit de longue haleine que seule une nouvelle « Katastroïka » russe pourrait interrompre (la chute du régime). Dès lors, bien des développements et des retournements sont possibles, d’autant plus qu’une guerre dans la Méditerranée asiatique et sur le théâtre Pacifique aurait des conséquences à l’autre extrémité de la masse terrestre euro-asiatique. Le concept eurasiatique n’a donc pas perdu de sa pertinence.

En guise de conclusion

Qui plus est, les errances de la présidence Trump n’en finissent pas d’inquiéter les marchés, les gouvernements des pays alliés et l’establishment diplomatico-stratégique occidental, au péril de l’unité et de la force de l’Occident. Certes, nous ne doutons pas que des « hommes de bien » continuent à œuvrer au Pentagone comme au Département d’État. Au sein même de l’administration, quelques figures cherchent à pallier les insuffisances du chef de l’exécutif et à compenser les effets de décisions malheureuses. Il reste que la société américaine n’apparaît plus comme étant politiquement structurée. L’affrontement sur la place publique (numérique) entre Donald Trump et Elon Musk, ainsi que la rupture de la coalition au pouvoir des MAGA et des milliardaires de la haute technologie, révèlent l’étendue du désastre. Or l’absence d’une direction claire et avisée menace jusqu’aux bases financières et monétaires de la puissance des États-Unis (perte de confiance dans le dollar et dans les bons du Trésor américain), surendettés, ce qui pourrait avoir des conséquences gravissimes sur la projection militaire extérieure, au cas l’option géopolitique du « grand retranchement » prendrait le dessus.  

Aussi la perpétuation de l’alliance avec les États-Unis est nécessaire, pour autant que Donald Trump ne soit pas saisi par son « ombre » (au sens jungien du terme) lors du prochain sommet de l’OTAN. Elle est nécessaire parce que salutaire, mais cela ne saurait signifier que les gouvernements européens renoncent à assurer leur indépendance militaire, un objectif d’ailleurs conforme aux dernières demandes américaines. Conformément au « concept de l’haltère », forgé en son temps par Georges Kennan, théoricien du containment, le projet devrait être celui d’un pilier nord-américain et d’un pilier paneuropéen, unis par une alliance rééquilibrée, piliers capables de fonctionner indépendamment l’un de l’autre, si besoin était. En d’autres termes, l’enjeu pour les États européens et leur allié ukrainien est de se mettre à la hauteur des défis et des menaces de façon à pouvoir faire face, quand bien même les États-Unis s’abîmeraient dans leurs contradictions internes. Dans un tel cas, les Occidentaux de l’Ancien Monde auraient à lutter pour retrouver le rang qui était le leur à la veille de la grande « guerre civile européenne », entre 1914 et 1945.

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15.06.2025 à 17:41

La haine de classe des Russes envers l’Ukraine et les Ukrainiens

Serhiy Klymovsky

Pourquoi la guerre contre l’Ukraine suscite-t-elle une large approbation dans la société russe ? Selon cet article polémique d’un historien et blogueur ukrainien, ce phénomène est ancien et s’expliquerait par une « haine de classe ».

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Texte intégral 2525 mots

Pourquoi y a-t-il une forte approbation de la guerre contre l’Ukraine dans la société russe ? Selon l’historien et blogueur ukrainien Serhiy Klymovsky, le phénomène est ancien et s’explique par une « haine de classe » : les Ukrainiens sont différents des Russes, ils ont une autre façon de penser et de vivre au quotidien, alors que, selon la doxa officielle, ils ne représentent pas un peuple différent des Russes. Par conséquent, la guerre contre eux n’est rien d’autre qu’une croisade contre les hérétiques, les satanistes et les fascistes. Desk Russie publie cet article polémique qui affirme que, face à la mentalité russe, seule une claire victoire ukrainienne pourrait mettre fin à la guerre.   

Alors que Poutine se plaint à Trump et au pape des drones ukrainiens, que Musk se dispute avec Trump et que la Maison-Blanche tente de convaincre Zelensky qu’il est grand temps de changer de direction, à Moscou, une foule animée par la haine de classe envers les Ukrainiens exige de la direction russe une frappe nucléaire sur Kyïv. Une haine de classe, car les Russes ne reconnaissent pas les Ukrainiens comme une nation, ni l’Ukraine comme un pays, et qualifient donc l’État ukrainien de projet anti-russe. Ils ne disent pas qui est derrière ce projet, mais ce n’est certainement pas l’état-major autrichien.

La formule « l’État ukrainien comme anti-Russie » a été inventée au Kremlin et diffusée en juillet 2021 dans un article intitulé « Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens », signé par Poutine. Seuls ceux qui ont soutenu des thèses sur l’histoire de l’Ukraine s’opposent timidement à cette formule en Fédération de Russie, car l’objet de leurs recherches disparaît, et avec lui, leurs diplômes pourraient être annulés. Les communistes, accusés par Poutine d’avoir eux aussi inventé l’Ukraine sous Lénine, se comportent comme des Juifs qui auraient inventé le porc casher.

La raison pour laquelle les adeptes du Kremlin refusent de reconnaître les Ukrainiens comme nation est évidente : une nation a droit à un État, à un territoire, etc., conformément à la Charte des Nations Unies. C’est pourquoi leur « opération militaire spéciale » ressemble à du porc casher, il ne faut pas chercher plus loin. Une question beaucoup plus importante est celle de savoir pourquoi la formule poutinienne a été si facilement acceptée par la majorité des Russes, qui ont eu au moins cent ans pour se convaincre personnellement de l’existence de l’Ukraine et des Ukrainiens, et pour s’apercevoir que ceux-ci ont une mentalité différente, même lorsqu’ils parlent russe. Même lorsqu’ils vivaient en URSS, les Ukrainiens cultivaient des potagers et des vergers près de leur maison, élevaient du bétail et étaient constamment occupés à quelque chose. En somme, ils se comportaient comme les fameux koulaks, pensaient à demain et, selon les Russes, étaient aussi affairés et rusés que les Juifs.

Cette image courante et répandue des Ukrainiens en URSS n’a pas disparu après 1991, elle s’est au contraire renforcée. La plupart des Russes considéraient, depuis bien longtemps, les Ukrainiens comme des éléments socialement étrangers, nécessitant une profonde rééducation. Il s’agissait d’une aversion intuitive ou, à tout le moins, d’une méfiance du monde des esclaves envers le monde des travailleurs indépendants. Je dis intuitive, car seuls quelques Russes se sont plongés dans la comparaison entre l’histoire de l’Ukraine et celle de la Moscovie pour tenter de trouver une explication rationnelle aux différences entre les deux peuples.

Mais la plupart de ceux qui s’y plongeaient ne percevaient l’Ukraine qu’à travers le voile romantique de la liberté des cosaques zaporogues et du Taras Boulba de Gogol, avec une conclusion générale : c’étaient des bandits des steppes, mais plus avancés que ceux du Caucase et fortement corrompus par l’Europe. Cette « corruption » a toujours irrité les Russes. En 2014, au moment de l’occupation de la Crimée, ils étaient furieux que les prix y soient convertis en dollars. En Russie, le dollar est réservé aux riches et à ceux qui présentent leur passeport, mais en Crimée, comme partout en Ukraine, tout le monde l’utilisait librement et le changeait même dans les villages. Ce « chaos » ne provoque rien d’autre qu’une haine de classe chez le Russe moyen, lorsqu’il constate qu’on peut aussi vivre ainsi.

Le Russe typique éprouve depuis cent ans une hostilité de classe envers les Ukrainiens et l’Ukraine. Cette hostilité est intrinsèque, indépendamment de la façon dont le Kremlin qualifie l’Ukraine, d’anti-Russie ou de « peuple frère ». Le Russe n’a jamais considéré l’Ukrainien comme son égal, et encore moins comme son frère. Le célèbre appel de Maïakovski à ne pas se moquer des Ukrainiens est un exemple frappant de la manière dont le grand art, à la demande du parti, s’efforçait de maintenir cette animosité dans les limites de la bienséance.

Les Ukrainiens ont toujours existé et existent encore pour les Russes, même lorsque les « philosophes » et les propagandistes moscovites nient leur existence en tant que nation. Pour les Russes, les Ukrainiens n’existent pas en tant que nation distincte, mais comme une sorte de malentendu historique qui ne mérite que le mépris ou la pitié. L’idéologie soviétique a involontairement ajouté à cela une base de haine de classe. À cause de cette haine de classe, les Russes ont plus de facilité à accepter les Caucasiens et les habitants d’Asie centrale que les Ukrainiens. Ceux-là sont perçus comme des sauvages, et on est moins exigeant avec les sauvages. Avec les Ukrainiens, tout est plus compliqué, car aux yeux des Russes, ce ne sont clairement pas des sauvages, mais des hérétiques socio-mentaux, qui vivent et pensent différemment.

Il existe deux méthodes pour traiter les hérétiques, qui peuvent être combinées : les brûler tous sur le bûcher ou les rééduquer longuement, en veillant à ce qu’ils ne vous rééduquent pas vous-même. La troisième option, qui consiste à reconnaître aux hérétiques le droit d’exister en tant qu’esclaves des impérialistes, est inacceptable pour les Russes, car l’empire aspire à l’unification totale. Si l’unification échoue, l’empire doit manœuvrer pour gagner du temps ou se préparer à l’effondrement. Après l’annexion de la Crimée, le Kremlin se prépare très sérieusement à l’effondrement de la Fédération de Russie. 

Au Kremlin, on connaît cette animosité des Russes envers les Ukrainiens et on tente de l’exploiter depuis les années 1990, sans trop s’attarder sur sa nature. Pour les dirigeants russes, peu importe qu’elle soit sociale, nationale ou autre. L’essentiel pour eux est de savoir l’utiliser pour résoudre les problèmes actuels de l’empire moscovite.

Il faut reconnaître qu’ils y parviennent. En dix ans, les maîtres du Kremlin ont réussi à élever cette animosité du niveau quotidien au niveau géopolitique et à la transformer en haine totale. En 2022, les manifestations contre l’agression à grande échelle, non déguisée, contre l’Ukraine ont été beaucoup plus faibles en Russie qu’en 2014 et se sont très rapidement arrêtées. Les slogans scandés par la foule le 2 juin 2025 à Moscou – « Poutine, lance une bombe nucléaire sur Kiev ! » – marquent le point culminant de cette haine totale et l’aboutissement des efforts du Kremlin pour préparer la Russie à une nouvelle mobilisation massive. Les Russes n’ont plus honte non seulement de faire la guerre aux Ukrainiens, mais aussi d’exiger leur extermination totale, sans distinction entre les « Petits Russes » et les « banderistes ». Le Dieu russe reconnaîtra les siens.

En trois ans, le Kremlin a finalement résolu une tâche difficile : ne pas définir la guerre contre l’Ukraine comme une grande guerre patriotique, mais la mener comme une croisade contre les hérétiques, les satanistes et les fascistes. Kadyrov, bien qu’il ait diligemment répété à l’automne 2022 qu’il fallait mener une campagne commune contre les « satanistes occidentaux », n’a eu qu’une influence négligeable sur le processus. Le chef de l’Église orthodoxe russe Kirill et les grands propagandistes comme Vladimir Soloviev ou Margarita Simonian ont eu une influence bien plus grande sur la transformation de l’animosité de classe en haine totale envers les Ukrainiens. 

La direction russe semble avoir réussi à résoudre les problèmes actuels de l’empire par la guerre contre l’Ukraine. Il y a pourtant certaines nuances à apporter.

Tout d’abord, concernant la nature sociale de la haine des Russes envers l’Ukraine. C’est là que se cache le diable russe. Un esclave a trois priorités sacrées : sa ration, son avancement professionnel et l’autorité de son maître. La réduction de sa ration et la descente dans la hiérarchie servile ont un effet démoralisant sur lui. Mais la chute de l’autorité du maître est encore plus démoralisante. Un maître faible ou libéral suscite chez l’esclave une pensée séditieuse à la Dostoïevski, selon laquelle tout est permis puisque Dieu n’existe pas et que le maître est faible, tandis qu’un maître battu provoque la panique et la recherche d’une nouvelle solution, comme s’allier avec la Chine ou vendre ses ressources naturelles et ses pipelines à Trump. Car Trump est fort, il met tout le monde à genoux, c’est un vrai maître, celui dont nous avons besoin. Avec lui, nous pourrons même mettre les Chinois à genoux, sans parler de l’Ukraine, de l’Europe ou du Japon.

Un esclave réagit instantanément lorsque son maître le bat. On se souvient de la réaction immédiate des Russes à l’opération d’Izioum-Balaklia en 20229 et au retrait de leur armée de Kherson. La réaction à l’entrée des forces armées ukrainiennes dans la région de Koursk a été faible, car seule Soudja a été perdue et l’offensive s’est rapidement essoufflée. Tout peut arriver en temps de guerre, ont décidé les Russes, qui n’ont pas cédé à la panique. Seuls les propagandistes ont paniqué, car ils ne savaient pas quelle serait la réaction populaire. Mais deux ponts détruits et cinq aérodromes militaires incendiés les 31 mai et 1er juin ont donné aux Russes le sentiment que leur maître avait été sévèrement battu, et ils ont crié en toute sincérité à Moscou : « Poutine, frappe Kiev avec une bombe nucléaire ! »

Leur réaction à la marche de Prigojine est également intéressante. Elle a clairement montré que les Russes n’étaient pas contre le remplacement de Poutine et de Choïgou, car ils pensaient que Prigojine  trouverait les munitions et les soldats nécessaires pour prendre Kyïv en trois jours. À leurs yeux, Prigojine ressemblait davantage à un maître que Poutine discutant avec ses « partenaires occidentaux ».

Pour les esclaves, des concepts tels que la justice, la morale, les faits et autres sont des mots vides de sens. C’est pourquoi il est inutile de discuter avec les Russes. Seules les paroles du maître et sa capacité à les concrétiser ont un sens pour eux.

C’est là que réside le secret du mème sur « l’âme russe mystérieuse ». Il n’y a rien de mystérieux, il n’y a qu’une psychologie d’esclaves. Mais comme ce sujet n’a jamais intéressé l’Europe – parce que dans le christianisme, l’esclavage était considéré comme une anomalie temporaire, et que 15 ans après la découverte de l’Amérique, les moines espagnols ont protesté et obtenu du roi Charles qu’il l’interdise dans le Nouveau Monde –, personne, à part les anciens Romains, ne s’est penché sur la question.

C’est pourquoi l’Europe ne comprenait pas la psychologie de l’ « homme russe » dans son ensemble, et Tolstoï, Leskov, Dostoïevski et d’autres écrivains ne faisaient que remuer la boue au fond du creuset, en rendant la question encore plus confuse. Quant à Gogol et Tchekhov, ils ont brillé dans leurs descriptions et analyses du phénomène, mais ne sont pas passés à des généralisations systématiques. Néanmoins, la définition de la psychologie et du comportement des Russes en tant qu’esclaves se retrouve non seulement chez Lermontov, mais aussi chez d’autres auteurs.

La conclusion pratique dans la situation actuelle de la guerre russo-ukrainienne est que seule une défaite militaire éclatante de la Fédération de Russie, démontrant la faiblesse du Maître, peut provoquer une révolte des esclaves et, par conséquent, la fin de la guerre. La réduction des rations et les problèmes de carrière dus aux sanctions économiques ne sont que le terreau qui la prépare. Sans une chute spectaculaire du Maître aux yeux des esclaves, il est impossible de les pousser à bouger et à chercher différentes alternatives.

En transformant l’animosité envers les Ukrainiens en haine, allant jusqu’à la menace d’une frappe nucléaire, la direction russe a elle-même créé les conditions idéales pour cela. Au Kremlin, on a oublié une vieille vérité : un empire ne doit pas déclencher de guerre à ses frontières s’il ne peut pas gagner rapidement. On peut le faire quelque part au-delà des mers, ou dans un Afghanistan lointain bien que frontalier, mais pas quand il faut construire des fortifications dans la région de Leningrad. C’est le prélude à l’autodestruction.

Traduit du russe par Desk Russie

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<p>Cet article La haine de classe des Russes envers l’Ukraine et les Ukrainiens a été publié par desk russie.</p>

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