07.03.2025 à 18:28
Seize ans après, Claude Askolovitch tente de classer l'affaire Siné
« Ce que nous vivions en 2008 peut sembler dérisoire en comparaison de notre temps. »
- La presse satirique et Charlie Hebdo / Claude Askolovitch, France Inter, Siné Mensuel, Charlie Hebdo, SinéJuillet 2008 : Siné est renvoyé de Charlie Hebdo par Philippe Val. Cette affaire, qui a ébranlé la presse, avait fait vaciller la rédaction de l'hebdomadaire satirique [1]. C'est une histoire (ancienne) que les vivants peuvent réécrire à l'envi. Claude Askolovitch, qui en fut l'un des principaux instigateurs, fait partie de ceux-là. Alors que le dernier (et ultime) numéro de Siné Mensuel sort dans les kiosques, le libelliste y consacre un bout de sa revue de presse sur France Inter (5/03/2025) : Siné c'était un anar du dessin, qui avait entrepris de choquer le bourgeois dans la guerre d'Algérie. Mort en 2016, il avait lancé son journal en 2008 après avoir été renvoyé de Charlie hebdo pour une chronique où il moquait une éventuelle conversion au judaïsme d'un fils de Nicolas Sarkozy. A l'époque, l'été 2008, on s'était disputé sur la nature antisémite ou non du texte... Catherine Sinet qui, après son époux, a poursuivi son journal rappelle en ouverture que « le sieur Askolovitch », oui c'est moi, avait lancé cette polémique, c'était sur une autre radio. Il est étrange et juste de lire mon nom ainsi dans ce numéro qui va rester. Ce que nous vivions en 2008 peut sembler dérisoire en comparaison de notre temps – nous en parlons parfois Catherine Sinet et moi. Askolovitch raconte ici de manière très arrondie l'affaire et suggère même que Catherine Sinet et lui en ont devisé ensuite comme de vieux amis après une brouille. Et pourtant… Le rôle d'Askolovitch à l'époque n'avait pas été simplement de se « disput[er] sur le nature antisémite ou non du texte » mais bien de livrer la première estocade et de mobiliser l'armada médiatique contre Siné… jusqu'à provoquer son départ de l'hebdomadaire satirique. Et puis, contrairement à ce qu'il prétend, Catherine Sinet et lui n'en parlent pas « parfois ». Contactée par nos soins, la directrice du mensuel nous rappelle qu'ils ne se sont eus qu'une seule fois au téléphone il y a quelques mois et que la conversation n'avait rien d'amical. D'ailleurs, nous dit-elle, « cette histoire a complètement chamboulé ma vie. » Alors, rappelons les faits rapidement. Eté 2008, le dessinateur Siné écrit : « Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et déjà conseiller général de l'UMP, est sorti presque sous les applaudissements de son procès en correctionnelle pour délit de fuite en scooter. Le parquet a même demandé sa relaxe ! Il faut dire que le plaignant est arabe ! Ce n'est pas tout : il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d'épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit ! » [2] Philippe Val qui déteste Siné cherchait un prétexte : il l'a trouvé. Grâce à son entregent, il mobilise les inquisiteurs médiatiques habituels (Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut, Laurent Joffrin, Daniel Leconte, Élisabeth Badinter ou Joann Sfar) pour dénigrer Siné dans la presse et lui faire un procès en antisémitisme. Il somme le dessinateur de s'excuser. Apprenant qu'une pétition contre lui circule au sein du journal, ce dernier refuse. La LICRA porte plainte contre Siné pour antisémitisme et Charlie Hebdo le renvoie. Le dessinateur fonde Siné Hebdo (qui devient Siné Mensuel). Il gagne ses procès et quelques années plus tard Charlie Hebdo est condamné à « verser des dommages et intérêts au dessinateur Siné pour rupture abusive du contrat qui le liait au journal depuis 16 années. » [3] Mais au départ, c'est bien Claude Askolovitch, journaliste alors au Nouvel Observateur qui est à l'origine de cette cabale. Lors d'une intervention sur RTL dans « On refait le monde » (émission de cabotinage – ancêtre de ce qui se fait de pire en termes d'émission de débats [4]), il dit à propos du texte de Siné, paru six jours plus tôt : C'est un article antisémite dans un journal qui ne l'est pas (...). Philippe Val n'a pas lu cette chronique, parce qu'il déteste tellement Siné qui fait partie de la vieille garde de Charlie Hebdo, d'un gauchisme imbécile qu'il exècre, dixit Philippe Val, qu'il ne les lit plus. (...) Et la semaine prochaine, il va faire son éditorial, je l'ai eu au téléphone, pour expliquer que Siné est une ordure, a dérapé totalement, et qu'il devrait partir. Dans la foulée, Siné intente un procès pour diffamation à l'encontre du chroniqueur. Pour tenter d'éteindre le feu, ce dernier propose à Catherine Sinet « qu'on se voie pour dîner ». « On ne va pas se faire des procès ! » lui aurait-il dit. Le couple ne se laisse pas amadouer. Aujourd'hui encore, elle n'en revient pas : « Je suis sur le cul qu'il m'ait appelée pour un dîner ! ». « Ce que nous vivions alors peut sembler dérisoire en comparaison de notre temps » commente à présent Askolovitch. Une façon de minimiser l'emballement médiatique suscité par sa chronique et la réaction de Val ? Pourtant, à l'époque déjà, Pierre Rimbert notait sur le site du Monde diplomatique que « depuis le début des années 1990, on ne comptait plus les adversaires de l'impérialisme, du néolibéralisme, des médias dominants…, qualifiés d'antisémites, voire de "nazis" par quelque gardien de l'ordre social. » Et d'égrener la liste des vilains : « Edgar Morin, Pierre Péan et Philippe Cohen, Daniel Mermet, Hugo Chavez, Pascal Boniface, Jacques Bouveresse, Charles Enderlin, Pierre Bourdieu, José Bové… sans oublier Le Monde diplomatique » qui furent « tour à tour suspectés ou accusés d'antisémitisme ». Seize années plus tard, la liste s'est encore allongée, mais les procureurs médiatiques sont toujours les mêmes et Claude Askolovitch est l'un des leurs [5]. Mathias Reymond [1] Lire Mohicans de Denis Robert, Julliard, 2015. [2] Charlie Hebdo, 2 juillet 2008. [3] Lire nos articles : « Charlie Hebdo condamné dans l'affaire Siné : "Tout le monde en parle" ? » et « Une nouvelle victoire de Siné contre l'éditocratie ». [4] Lire « Les cabotins des ondes », Le Monde Diplomatique, mai 2006. [5] Au diapason des médias dominants, il décochait récemment des flèches contre LFI (en particulier sur X contre Rima Hassan ou Aymeric Caron) Texte intégral 1542 mots
07.03.2025 à 10:00
Jean-Michel Aphatie, Barbara Lefebvre, Hanouna et compagnie : revue de presse de la semaine
Critique des médias : une revue de presse hebdomadaire. Si ce n'est exhaustive, au moins indicative [1]. Au programme : du 28/02/2025 au 06/03/2025. « Médias mainstream : servir les patrons, invisibiliser les travailleurs », Blast, 2/03. « L'obsession Retailleau », Acrimed, 4/03. « Chère Barbara Lefebvre », Blast, 1/03. « Sur CNews, "L'heure des pros" pro-Trump, pro-Poutine et complotiste de Pascal Praud », Télérama, 4/03. « Ary Abittan dans "C à vous" : qu'est-ce qu'on a fait au service public ? », Arrêt sur images, 1/03. « Hanouna version Bolloré, du trublion télé au propulseur de l'extrême droite », Arrêt sur images, 28/02. « Hanouna : un nouveau "TPMP" en ligne dure », Les Jours, 5/03. « Du "Point" à Elon Musk, qui veut la peau de Wikipédia ? », Arrêt sur images, 28/02. « Fin de partie pour Siné Mensuel », Blast, 5/03. « Les dessous de la nouvelle chaîne de Cyril Hanouna, Zoubida TV », L'Informé, 3/03. « Loin de la TNT, Cyril Hanouna séduit toujours 1,3 million de téléspectateurs », Le Figaro, 5/03. « France télévisions serre la vis sur les notes de frais », La Lettre, 4/03. « France TV : les préparatifs de la course à la présidence », La Lettre, 5/03. « L'audience radio, future victime collatérale de l'interdiction du démarchage téléphonique abusif ? », Le Figaro, 5/03. « L'arrivée de Cyril Hanouna dans le Groupe M6 suscite l'opposition des journalistes », Le Monde, 28/02. « Aphatie mis "en retrait" par RTL après ses propos sur l'Algérie et Oradour », Arrêt sur images, 5/03. « "Il faut vider la bande de Gaza" : retour sur dix jours de gestion de crise aux "Grandes gueules" », Arrêt sur images, 4/03. « Le malaise persiste au Parisien sur la couverture de LVMH », La Lettre, 6/03. « Médias : Les anciens patrons du Canard enchaîné condamnés pour discrimination syndicale », Blast, 3/03. « Bolloré embauche la propagandiste pro-Poutine Xenia Fedorova, ex-patronne de Russia Today », StreetPress, 6/03. « "C'est sa décision" : Après sa condamnation, Christophe Dechavanne quitte "Quelle époque !" sur France 2 le temps de la procédure judiciaire », Pure Médias, 28/02. « Censure électorale : le Conseil d'État donne raison à "Mediapart" », Arrêt sur images, 28/02. « Comment Meriem Laribi a fait entrer Gaza à l'Elysée », Arrêt sur images, 3/03. « Périclès : "Souveraine Tech", le média soutenu par le projet du milliardaire conservateur Pierre-Edouard Stérin », Le Monde, 3/03. « Comment le milliardaire d'extrême droite Stérin inonde le web d'influenceurs cathos-réac », StreetPress, 6/03. « Contrôle technique annuel ? L'État obligé de démentir des médias », Arrêt sur images, 28/02. « Seine-Saint-Denis : la vendeuse de journaux est la star du marché », La Revue des médias, 4/03. « "Guerre civile" : à Crépol et Romans-sur-Isère, des journalistes locaux en première ligne », La Revue des médias, 6/03. « Avant de s'éteindre, C8 diffuse par surprise le film anti-avortement "Unplanned" », Libération, 1/03. « "Libéré" de l'Arcom, Cyril Hanouna rappelé à l'ordre par… YouTube », L'Informé, 5/03. Et aussi, dans le monde : Allemagne, États-Unis, États-Unis (bis), Égypte, Nicaragua, Italie, Ghana, Mexique, Burundi, Équateur, Russie... Marie Bénilde, Le péril Bolloré, La Dispute, 7 mars 2025. Christophe Magis, Pour une critique matérialiste des médias, Éditions sociales, 7 mars 2025. Retrouver toutes les revues de presse ici. [1] Précisons-le : référencer un article dans cette revue de presse ne signifie pas forcément que nous y souscrivons sans réserve. Texte intégral 1424 mots
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Parutions
04.03.2025 à 14:56
Médias et capital politique. Plus d'une dizaine de Unes depuis septembre 2024 : Bruno Retailleau est sans nul doute l'obsession médiatique des derniers mois – il y a quelques semaines, le gratin des éditorialistes et journalistes politiques composant le jury du « Trombinoscope » l'a d'ailleurs élu « personnalité politique de l'année ». À l'exception de celle de Libération, ces Unes lui sont toutes favorables. Les médias de droite et d'extrême droite accompagnent quant à eux leur « champion » du moment et signent, bien sûr, leur alignement idéologique. Mais plus généralement, ces Unes témoignent de la concordance avec laquelle les grands médias suivent le tempo des « personnalités » qui concentrent le plus fort capital politique… et assurent elles-mêmes au mieux leur promotion et le développement de leur capital médiatique : communication agressive, saturation de l'espace, proximité avec les éditorialistes, etc. Bref, la construction médiatique des « incontournables » fonctionne à plein. Comme Emmanuel Macron avant lui, superstar médiatique observée jusqu'à l'obsession, mais aussi Alain Juppé, Bernard Cazeneuve, Gabriel Attal, Raphaël Glucksmann, Jordan Bardella ou encore Éric Zemmour, c'est au tour de Bruno Retailleau d'être celui qui, du point de vue des médias, « fait l'actu ». De quoi, en retour, renforcer encore davantage son capital politique… et demeurer au premier plan. Maxime Friot et Pauline Perrenot Lire 409 mots