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08.03.2025 à 20:15

Guerre en Ukraine : l’Europe de la défense contre le non-alignement ?

William Bouchardon
Suite à l’altercation entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky, l’Europe découvre son impuissance après des décennies de dépendance à l’égard des États-Unis. Dans cet extrait, William Bouchardon, secrétaire de rédaction du Vent Se Lève, revient sur les raisons de l’abandon de l’Ukraine par Donald Trump, l’inféodation de l’Europe à Washington et les pistes pour en […]

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Suite à l’altercation entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky, l’Europe découvre son impuissance après des décennies de dépendance à l’égard des États-Unis. Dans cet extrait, William Bouchardon, secrétaire de rédaction du Vent Se Lève, revient sur les raisons de l’abandon de l’Ukraine par Donald Trump, l’inféodation de l’Europe à Washington et les pistes pour en sortir. Alors que « l’Europe de la défense » est sur toutes les lèvres, elle soulève de nombreuses questions.

04.03.2025 à 21:09

Les fantaisies bellicistes ne sauveront pas l’Ukraine

Ingar Solty
Suite à l’humiliation infligée à Volodymyr Zelensky dans le Bureau ovale, de nombreux commentateurs ont ressuscité une vieille théorie disqualifiée comme conspirationniste, selon laquelle Donald Trump serait un agent russe. La réalité est bien plus prosaïque. Loin d’être téléguidé par le Kremlin, il agit en vertu d’une impitoyable Realpolitik. À bien des égards, la guerre […]

Texte intégral 1658 mots

Suite à l’humiliation infligée à Volodymyr Zelensky dans le Bureau ovale, de nombreux commentateurs ont ressuscité une vieille théorie disqualifiée comme conspirationniste, selon laquelle Donald Trump serait un agent russe. La réalité est bien plus prosaïque. Loin d’être téléguidé par le Kremlin, il agit en vertu d’une impitoyable Realpolitik. À bien des égards, la guerre d’Ukraine est un cas d’école d’impérialisme contemporain. Russe d’abord, sous la forme de l’invasion brutale du pays, américain ensuite, avec un plan de mise sous tutelle économique. Elle constitue également une leçon intellectuelle : durant deux ans et demi, commentateurs, éditorialistes et « analystes » auront promu une explication psychologisante et dépolitisante du conflit. Il est urgent pour la gauche de l’abandonner, à l’heure où les morts continuent de s’empiler sur le front – et où les États européens évoquent un plan de militarisation à marche forcée, au détriment des systèmes sociaux du Vieux continent.

Dès le commencement de l’invasion du pays, de nombreux commentateurs ont cherché à expliquer les objectifs du Kremlin sur la base d’un folklore ultranationaliste russe, destiné à flatter l’opinion intérieure. L’histoire récente du pays, son économie politique, sa place dans l’arène géopolitique mondiale et sa stratégie militaire concrète vis-à-vis de l’Ukraine semblaient n’avoir que peu d’importance. Ce choix – y compris à gauche -, consistant à évincer tout prisme matérialiste, a laissé la place à des analyses discursives superficielles, souvent alignées sur les éléments de langage des États occidentaux.

Préférant s’en tenir aux discours plutôt qu’aux faits, ces brillants analystes ont relevé que Vladimir Poutine avait qualifié l’effondrement de l’URSS de « plus grande tragédie du XXe siècle » et mis en doute l’existence de l’Ukraine comme État-nation. Ils en ont ainsi déduit que la Russie ne se contenterait pas d’envahir l’Ukraine, mais finirait par s’en prendre à l’ensemble de l’espace post-soviétique, y compris à des États non membres de l’OTAN comme la Géorgie, la Moldavie ou le Kazakhstan, voire aux pays baltes protégés par l’Alliance atlantique mais abritant d’importantes minorités russes.

Des analyses de cette nature, qui ont nourrit un alarmisme légitimant la militarisation occidentale, font pourtant abstraction du décalage flagrant entre les intentions supposées et les capacités réelles. Pire : elles se maintiennent envers et contre tout, y compris face à la contradiction évidente entre ces craintes et la stratégie militaire effective de la Russie au début du conflit.

Les mêmes qui assurent que la Russie aurait les moyens d’envahir l’Union européenne sont aussi ceux qui, depuis deux ans, répètent que Moscou est sur le point de s’effondrer et que la victoire ukrainienne est à portée de main.

Personne ne se lancerait dans la conquête d’un pays de 44 millions d’habitants s’étendant sur 600 000 km² – soit presque deux fois la taille de l’Allemagne – avec seulement 190.000 soldats. À titre de comparaison, en 1939, l’Allemagne nazie a envahi la Pologne avec 1,5 million de soldats, appuyés par près de 900 bombardiers et plus de 400 avions de chasse. Deux ans plus tard, lorsqu’elle a lancé son offensive contre l’Union soviétique, elle a mobilisé trois millions d’hommes – la plus grande force d’invasion de l’histoire –, un effort qui s’est pourtant soldé par un échec.

Ceux qui s’attachent à étudier l’histoire plutôt qu’à analyser les discours des uns et des autres auraient pu voir, dès le départ, que la configuration des forces russes trahissait des objectifs plus limités. Au-delà des objectifs de politique intérieure, les objectifs de Poutine étaient clairs : (1) annexer officiellement le Donbass et transformer Kherson et Zaporijjia en nouvelles régions russes – des cartes avaient déjà été imprimées en ce sens –, (2) établir un corridor terrestre vers la Crimée, annexée en 2014, et (3) provoquer un changement de régime à Kiev afin d’assurer que l’Ukraine, déchirée entre l’Est et l’Ouest, reste neutre et ne devienne pas un avant-poste de l’OTAN et de l’influence américaine.

Mais pourquoi s’embarrasser d’une analyse fondée sur l’histoire globale et régionale, l’économie politique internationale, les théories de l’impérialisme et les études stratégiques, lorsqu’on peut tout simplement répéter les éléments de langage des uns et des autres ?

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Il est en effet plus simple de s’en tenir à une rhétorique qui banalise la mémoire de la Shoah, selon laquelle Poutine serait un nouvel Hitler, sa guerre en Ukraine une « guerre d’anéantissement » – comme l’a affirmé Berthold Kohler, rédacteur en chef de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, relativisant ainsi l’extermination menée par l’Allemagne nazie à l’Est, qui, en moins de quatre ans, a coûté la vie à vingt-sept millions de Soviétiques. Selon cette logique, la Russie s’apprêterait à « envahir l’Europe », et si d’ici 2029 le continent ne devient pas « apte à la guerre » et ne se transforme pas en État-caserne autoritaire, alors Moscou marchera sur Varsovie avant de défiler sous la porte de Brandebourg, à en croire la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock (Verts).

Les mêmes qui assurent que la Russie, malgré l’échec manifeste de son offensive en Ukraine, aurait les moyens de défier l’OTAN et de conquérir l’Union européenne, sont aussi ceux qui, depuis deux ans, répètent que Moscou est sur le point de s’effondrer et que la victoire ukrainienne est à portée de main. Il suffirait, affirment-ils, d’une dernière livraison d’armes occidentales, d’une mobilisation forcée massive et du recrutement économique de la jeunesse ouvrière ukrainienne sous la contrainte.

Mais revenons aux grilles de lecture, ces clés de compréhension du réel. Certains continuent d’« analyser » le basculement de la politique étrangère américaine, de Joe Biden à Donald Trump, ainsi que le conflit ouvert entre l’administration Trump et Zelensky, en invoquant des facteurs aussi réducteurs que la personnalité des dirigeants, leur idéologie ou même leur supposée irrationalité, entre caprices d’enfant, narcissisme et égoïsme.

Un exemple parmi tant d’autres : Katrin Eigendorf, correspondante de guerre pour l’Europe de l’Est à la télévision publique allemande ZDF, suivie par près de 70 000 personnes, qui, comme 99 % des commentateurs libéraux, n’a sans doute pas regardé l’intégralité des quarante-neuf minutes du débat en question. Elle a pourtant affirmé que « rarement Trump et [J.D.] Vance auront montré si clairement qui était leur ami et qui était leur ennemi », ajoutant que « le président américain est l’homme de Poutine et reprend ses mensonges ». Une lecture intellectuellement indigente, digne des théories du « grand homme » de l’histoire du XIXe siècle.

Où en sommes-nous donc après cette confrontation mise en scène, vendredi dernier, dans le Bureau ovale, entre Donald Trump, son vice-président J. D. Vance et Volodymyr Zelensky ? Trump s’adressait à sa base MAGA et, plus largement, à l’électorat américain. Zelensky, lui, jouait un numéro pour son propre camp, celui-là même qui pourrait finir par le liquider, et plus encore pour les Européens, dans l’espoir de les entraîner vers un accroissement du soutien militaire.

Autant d’évidences que certains ont refusé de voir. Les interprétations libérales les plus absurdes ont immédiatement attribué à Poutine le coup politique de Trump – autrement dit, l’exploitation coloniale de l’Ukraine à ce moment charnière de rivalité géopolitique, de reconfiguration étatique et de guerre. Pour ces commentateurs, la Russie, avec une économie de la taille de celle de l’Italie, aurait mis les États-Unis « dans sa poche ». En d’autres termes, les libéraux inversent la logique des rapports de force, tout en s’obstinant à aboyer du mauvais côté, dans une simplification binaire des plus grossières.

Aussi absurdes soient-elles, ces analyses ont envahi les réseaux sociaux. Les hashtags #TrumpIsARussianAsset, #PutinsPuppet et #PutinsPuppets se sont répandus avec une viralité à en faire frémir les bots russes.

Si quelque chose doit émerger de cette effusion de sang, c’est bien un retour à une analyse matérialiste, afin d’éviter que la tragédie ukrainienne ne se répète sous forme de farce. Plus encore dans un contexte où le Pentagone et les élites européennes convergent pour demander au Vieux continent de sacrifier ses États-providences sur l’autel de Raytheon, Lockheed Martin, Northrop Grumman, Rheinmetall et Thalès.

Article originellement publié par notre partenaire Jacobin sous le titre « Liberal Delusions Won’t Save Ukraine »

01.03.2025 à 20:18

Italie : fuite en avant répressive du gouvernement Meloni

Carlotta Caciagli
La loi 1660, approuvé par les députés italiens en septembre 2024, envoyait un message clair : ordre et répression. Elle dévoile toute sa dimension anti-sociale. Prévoyant de sanctionner plus fermement les contestations, elle durcit également les conditions imposées aux détenus dans les prisons – et ouvre la voie aux entreprises dans le système pénitentiaire. Par Carlotta Caciagli, […]

Texte intégral 1122 mots

La loi 1660, approuvé par les députés italiens en septembre 2024, envoyait un message clair : ordre et répression. Elle dévoile toute sa dimension anti-sociale. Prévoyant de sanctionner plus fermement les contestations, elle durcit également les conditions imposées aux détenus dans les prisons – et ouvre la voie aux entreprises dans le système pénitentiaire. Par Carlotta Caciagli, traduction Letizia Freitas [1].

Radicalisation de mesures pré-existantes

De nombreuses larmes de crocodile ont été versées, de Marco Minniti [ancien ministre de l’Intérieur NDLR] et Maurizio Lupi [ancien ministre des Infrastructures et des Transports NDLR] jusqu’au dernier maire ayant mis en application le décret Daspo [qui interdit d’accès à un lieu déterminé pour des raisons d’ordre public NDLR]. Parmi les voix qui, aujourd’hui, s’indignent, de nombreuses ont soutenu des décrets répressifs ces quinze dernières années.

De quelle manière le débat a-t-il pu se détériorer au point que la question des inégalités sociales et de la pauvreté puisse être traitée comme un simple problème d’ordre public ? Les mesures auparavant en vigueur étaient déjà inadaptées et, à bien des égards, anticonstitutionnelles. Une détérioration ultérieure était difficile à imaginer, mais le gouvernement italien y est parvenu. Comment ? Principalement par des modifications ad hoc et quelque peu artificielles du code de procédure pénale.

Préparer une force de travail docile et peu chère au service du privé

Le projet de loi intervient essentiellement dans trois domaines : gestion des comportements individuels et collectifs dans l’espace public, conditions imposées aux détenus dans les prisons et prérogatives des forces de l’ordre. Si chacune des mesures se traduit par une réduction des droits sociaux et humains, elle sous-traite également à des acteurs privés des tâches autrefois assumées par les pouvoirs publics.

En ce qui concerne l’espace public et urbain, des actions telles que « l’occupation arbitraire d’immeubles destinés à l’habitation d’autrui » sont qualifiées de criminelles. Une peine allant de deux à sept ans de réclusion est prévue pour toute personne qui occuperait des habitations ou des dépendances (garages, jardins, terrasses). Le projet ne prévoit pas de circonstances atténuantes pour l’occupant, mais uniquement des circonstances aggravantes fondées sur le profil du propriétaire dont le bien est occupé.

Mais sur cette mesure comme sur d’autres, il faut bien reconnaître que Giorgia Meloni ne part pas de zéro. L’ancien ministre Maurizio Lupi n’avait-il pas ouvert la voie à l’actuelle réforme avec le Piano Casa, ce décret de 2014 visant à protéger le droit de propriété des immeubles contre les mouvements sociaux en faveur du droit au logement ?

L’introduction d’une règle surnommée « anti-Gandhi » est plus digne d’attention encore. Elle vise à punir d’emprisonnement quiconque bloque une route ou une voie ferrée. Si les participants sont nombreux – c’est-à-dire si l’action prend une dimension politique – les peines sont durcies. Si, au cours de la manifestation, des dommages (de toute nature, y compris morale) sont causés à des agents publics, la peine est majorée. Tout comme elle l’est si « la violence ou la menace est commise dans le but d’empêcher la réalisation d’un ouvrage public ou d’une infrastructure stratégique ».

Stratégique, comme le pont du détroit de Messine, comme la Tav [Treno ad alta velocità, TGV, NDLR] Turin-Lyon, et comme tous les incinérateurs, gazéificateurs et bases militaires que l’on tente régulièrement d’implanter sur le territoire. De plus, le Code pénal sera à son tour modifié afin de punir davantage les auteurs de délits commis à proximité des gares.

Américanisation du système pénitentiaire ?

En ce qui concerne la prison, le projet de loi intervient de deux manières. Tout d’abord, en tentant de réglementer les émeutes dans les établissements pénitentiaires – caractérisées comme des actes de violence, de menaces ou de résistance aux ordres – en introduisant le délit de « résistance passive ». Par « résistance passive », il faut entendre « les conduites qui, compte tenu du nombre de personnes impliquées et du contexte dans lequel opèrent les agents publics ou les chargés d’une mission de service public, empêchent l’accomplissement des actes nécessaires à la gestion de l’ordre et de la sécurité ». Sont ainsi visées les révoltes contre la malnutrition et les conditions dégradantes d’incarcération.

Mais il y a plus : désormais, l’organisation du travail des détenus est révisée par décret. Les initiatives de promotion du travail entendent davantage impliquer… les entreprises privées. En somme, il s’agit de préparer une force de travail docile et peu chère à se mettre au service du privé.

Limitations généralisée des droits ? Pas pour les forces de l’ordre. En plus de permettre aux policiers et aux gendarmes de porter leur arme en-dehors des heures de service, le projet introduit la possibilité, sans aucune contrainte, pour le personnel de police, de s’équiper de « dispositifs de vidéosurveillance portables adaptés à l’enregistrement de l’activité opérationnelle et de son déroulement ». Des appareils qui peuvent également être utilisés dans n’importe quel lieu où sont détenues des personnes soumises à une restriction de leur liberté personnelle.

Ces mesures pourront être financées grâce à une autorisation de dépenses pour les années 2024, 2025 et 2026. Pour promouvoir le travail en milieu carcéral, on y fait entrer les entreprises, tandis que pour les « body cam » des agents de la Police ferroviaire, l’addition sera payée par les contribuables…

Face à une attaque aussi massive contre les droits individuels et sociaux, s’indigner et dénoncer les « mesures fascistes » ne suffira pas. Il est nécessaire de reconstruire des organisations professionnelles, des syndicats et des partis d’opposition. Un exercice face auquel l’opposition italienne bute depuis des décennies.

Note :

[1] Article initialement publié par notre partenaire Jacobin Italia sous le titre « La repressione è servita », traduit pour LVSL par Letizia Freitas.

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