TOUS LES TITRES
+

▸ les 4 dernières parutions

Accès libre

26.04.2025 à 06:49

Alma Dufour, Vincent Jarousseau : le RN, Marine Le Pen et les classes populaires

la Rédaction
Percée de RN dans les classes populaires, sentiment d’abandon par les représentants politiques et besoin de protection étatique : l’analyse des affects politiques conduisant de nombreux Français à voter pour le Rassemblement national (et à s’en remettre à la figure de Marine Le Pen) paraît plus que jamais importante. Pour analyser cette dynamique électorale sans verser […]

Lire 142 mots

Percée de RN dans les classes populaires, sentiment d’abandon par les représentants politiques et besoin de protection étatique : l’analyse des affects politiques conduisant de nombreux Français à voter pour le Rassemblement national (et à s’en remettre à la figure de Marine Le Pen) paraît plus que jamais importante. Pour analyser cette dynamique électorale sans verser dans une grille de lecture moralisatrice, nous accueillons deux personnalités dont les travaux et le parcours militant jettent un regard singulier sur ce phénomène :

👤 Alma Dufour, militante politique engagée à gauche et députée France insoumise

👤 Vincent Jarousseau, Photojournaliste et documentariste, auteur du livre Dans les âmes et dans les urnes (Les Arènes, 2025)

24.04.2025 à 11:41

Après le pape François, un virage réactionnaire de l’Église catholique ?

Pablo Castaño
En 12 ans, le pape François a apporté un progressisme certes limité mais profondément nécessaire pour renouveler une institution archaïque. Ses réformes internes autant que ses prises de parole fortes pour l’environnement, la justice sociale et l’humanité envers les migrants resteront dans les mémoires. Mais à l’heure où l’extrême-droite se renforce dans le monde entier, cet esprit risque fort de s’éteindre lors du conclave à venir.

Texte intégral 2116 mots

A la tête de l’Église catholique durant douze ans, le pape François a défendu une vision au progressisme certes limité mais en rupture avec le statu quo qui prévalait. Ses réformes internes autant que ses prises de parole fortes pour l’environnement, la justice sociale et la paix resteront dans les mémoires. De même, son discours orienté vers le « Sud global » marque une rupture avec l’occidentalisme. Mais à l’heure où l’extrême-droite se renforce dans le monde entier, cet esprit risque fort de s’éteindre lors du conclave à venir [1].

Il se pourrait bien que nous considérions un jour la dernière décennie comme une anomalie dans l’histoire moderne de l’Église catholique. Le pape François — figure de proue de cette période, et considéré comme radical selon les normes de la hiérarchie catholique — n’est plus, et nous pourrions maintenant assister à un virage politique majeur du Saint-Siège. En fin de compte, et de manière inquiétante, la mort de François pourrait bien signifier un alignement de la papauté avec l’extrême droite mondiale.

Progressisme limité

Cela n’avait pourtant rien d’inéluctable. Élu en 2013, Jorge Mario Bergoglio, premier pape latino-américain de l’histoire, a introduit au Vatican une attention particulière à la justice sociale, profondément ancrée dans la théologie radicale de la libération de sa région d’origine — ainsi qu’un intérêt sans précédent pour les questions environnementales et les droits des migrants. Ce fut un changement radical de priorités, après les pontificats conservateurs de Jean-Paul II et Benoît XVI, tous deux plus soucieux de maintenir la morale traditionnelle que de raviver les valeurs chrétiennes fondamentales d’égalité et de fraternité.

Jorge Mario Bergoglio a introduit au Vatican une attention particulière à la justice sociale, profondément ancrée dans la théologie radicale de la libération, ainsi qu’un intérêt sans précédent pour les questions environnementales et les droits des migrants.

Contrairement à ses prédécesseurs, François a consacré deux de ses encycliques — les déclarations papales les plus importantes — à des questions explicitement politiques : Laudato si (2015), centrée sur la crise environnementale, et Fratelli tutti (2020), sur la justice sociale. Cette dernière affirmait notamment « le droit de chaque individu à trouver un lieu répondant à ses besoins fondamentaux » — un signe du soutien indéfectible de François aux migrants, alors que les sentiments anti-immigration montaient en Europe et aux États-Unis. François ne cachait pas son mépris pour les leaders populistes d’extrême droite comme Donald Trump ou son compatriote argentin Javier Milei (ce dernier l’ayant qualifié de « gauchiste crasseux »).

Le pontificat de Bergoglio a aussi été marqué par une évolution dans l’attitude de l’Église sur les questions de genre et de sexualité, certes moins radicale que ce que certains espéraient. Sa position sur la sexualité était beaucoup plus libérale que celle de ses prédécesseurs : on se souvient notamment de sa fameuse réponse « Qui suis-je pour juger ? », lorsqu’on l’interrogea sur l’homosexualité dans l’Église. Il a également irrité les ultraconservateurs en permettant aux prêtres de bénir des couples « en situation irrégulière » — y compris des couples de même sexe — et en surprenant beaucoup en nommant des femmes à des postes de pouvoir au sein de l’administration du Vatican.

François a conservé l’orthodoxie catholique sur d’autres questions. Il s’est farouchement opposé au droit à l’avortement, même en cas de viol.

Cependant, François a conservé l’orthodoxie catholique sur d’autres questions. Il s’est farouchement opposé au droit à l’avortement, même en cas de viol. De manière choquante, il a même comparé les médecins qui pratiquent des avortements à des « tueurs à gages ». Pour de nombreux catholiques progressistes, ce fut un rappel brutal des limites du changement sous son pontificat.

Réformes internes importantes mais insuffisantes

Sur le plan institutionnel, le bilan de François est également contrasté. Dès son arrivée, il a voulu assainir une bureaucratie vaticane entachée par des scandales de corruption révélés par les « Vatileaks ». Il a lancé une réforme financière ambitieuse : 5 000 comptes bancaires suspects ont été fermés, des mécanismes de contrôle ont été mis en place, et des réglementations contre le blanchiment d’argent ont été adoptées. Pourtant, en 2015, une nouvelle fuite de documents, « Vatileaks 2 », a révélé que les problèmes persistaient. Et en 2016, les Panama Papers ont montré que l’Église possédait d’importants investissements offshore. Des décennies de pratiques opaques et vénales ne pouvaient être effacées en quelques années.

À lire aussi... L’Église et le socialisme, deux visions du monde incompatibl…

Plus que ces scandales de corruption, ce sont les affaires de pédocriminalité au sein de l’Eglise qui avaient particulièrement terni l’image du culte catholique. Des milliers de cas d’abus sexuels de prêtres sur des enfants ont été délibérément couverts par les papes Jean-Paul II et Benoît XVI. François a cherché à mettre fin à l’impunité des coupables de ces actes en prenant des mesures fortes, comme l’exclusion du cardinal américain Theodore McCarrick, reconnu coupable en 2019 d’avoir commis et couvert des abus sexuels.

Toujours en 2019, le Vatican a organisé un sommet sur la pédophilie, qui a permis de mettre en place de nouveaux protocoles pour recenser les témoignages des victimes. Pourtant, cinq ans après, le premier rapport de la commission pour la protection des mineurs a révélé de sérieux manquements dans le traitement de ces plaintes. Avec le décès du pape François, l’avenir de ces réformes reste incertain.

Orientation géopolitique en faveur du « Sud global »

Au-delà des intrigues et secrets bien gardés du Vatican, l’accession de François à la papauté a également marqué un tournant en matière d’orientation géopolitique, le Saint-Siège s’alignant bien plus sur les positions du Sud global. Contrairement à Jean-Paul II, qui était un fervent allié de Washington dans la lutte contre le communisme, François s’est distancé des leaders occidentaux sur la question des relations avec l’Ukraine, la Chine et la Palestine (le sort des Palestiniens était encore au cœur de son dernier message public pour la fête de Pâques 2025, ndlr).

Contrairement à Jean-Paul II, qui était un fervent allié de Washington dans la lutte contre le communisme, François s’est distancé des leaders occidentaux sur la question des relations avec l’Ukraine, la Chine et la Palestine.

En 2018, le Saint-Siège a ainsi signé un accord controversé avec la République populaire de Chine, que la première administration Trump a vivement dénoncé. Par la suite, lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, il a appelé le Président ukrainien, mais aussi rendu visite à l’ambassadeur russe pour lui exprimer ses craintes sur le conflit. Un geste interprété par les Occidentaux comme un signe d’une sympathie à l’égard de Vladimir Poutine. Enfin, le souverain pontife a qualifié le massacre des civils de Gaza par Israël de « terrorisme », une déclaration qui a détonné avec le silence, voire la complicité, de la plupart des gouvernements occidentaux sur la question.

Un conclave aux enjeux majeurs

Le pape François étant maintenant décédé, la suite demeure une question ouverte. Le conclave qui élit le nouveau pape mêle la pompe religieuse à l’intrigue politique — une caractéristique emblématique de l’histoire du Vatican. Lorsqu’un pape meurt, un régime de sede vacante est déclaré, ce qui déclenche le processus du conclave : une réunion de tous les cardinaux électeurs du monde entier, âgés de moins de 80 ans, qui se tient entre quinze et vingt jours après le décès du pape.

Il s’agit d’une réunion secrète où les cardinaux sont coupés du monde extérieur : ils n’ont pas accès à Internet et ne quittent la chapelle Sixtine que pour manger et dormir à la Casa Santa Marta. Le conclave se poursuit jusqu’à ce qu’un cardinal obtienne les deux tiers des voix — ce qui nécessite généralement plusieurs tours de scrutin — et c’est alors que la célèbre fumata bianca (fumée blanche) signale l’élection d’un nouveau pontife. Ces dernières décennies, les successions papales ont été réglées en deux ou trois jours (deux votes ont lieu chaque jour).

Entre la mort du pape et le début du conclave se tiennent les Congrégations générales, durant lesquelles tous les cardinaux discutent de l’état de l’Église. C’est là que se déroule l’essentiel des manœuvres politiques visant à orienter le résultat du vote. Cette phase a été cruciale dans l’élection de Bergoglio. Comme le raconte Gerard O’Connell, correspondant au Vatican du magazine America, dans son livre The Election of Pope Francis, l’archevêque de Buenos Aires avait alors gagné en popularité auprès des prélats grâce à sa position ferme en faveur de la transparence financière — un sujet sensible après les révélations des Vatileaks.

Même si les murs de la chapelle Sixtine sont épais, le Vatican reste influencé par les tendances politiques mondiales.

Il est difficile de prédire l’issue du prochain conclave. Toutefois, il existe de bonnes raisons de penser que le successeur de François sera un pape plus conservateur. D’abord parce que son pontificat a été profondément transformateur, tant sur le plan institutionnel que dans sa communication publique, ce qui rend peu probable que les cardinaux choisissent un candidat aussi réformateur. L’Église a tendance à résister au changement radical et prolongé (un autre facteur en faveur du conservatisme est l’influence toujours importante d’organisations catholiques intégristes comme l’Opus Dei et les Chevaliers de l’Ordre de Malte, dont les relais financiers et politiques dans les milieux conservateurs restent puissants, ndlr).

Mais surtout, même si les murs de la chapelle Sixtine sont épais, le Vatican reste influencé par les tendances politiques mondiales. Avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, et l’extrême droite en progression à l’échelle mondiale, élire un nouveau pape aussi progressiste que François reviendrait à nager à contre-courant — et l’histoire montre que le Vatican s’est toujours davantage adapté aux nouvelles réalités qu’il ne les a affrontées. C’est pourquoi il est probable que la prochaine fumata bianca annonce une figure plus conservatrice que Jorge Bergoglio. Le climat actuel suggère même qu’il pourrait s’agir de l’antithèse même du pape « progressiste ».

[1] Article traduit depuis notre partenaire Jacobin.

23.04.2025 à 09:51

Guerre commerciale : la nostalgie du libre-échange n’est pas la solution

Rune Møller Stahl
Le chaos engendré par la guerre commerciale de Trump a conduit les libéraux à vanter à nouveau les bienfaits du libre-échange. Mais la théorie des avantages comparatifs de Ricardo est invalidée par la réalité des 40 dernières années, qui ont surtout bénéficié aux multinationales.

Texte intégral 1987 mots

La guerre commerciale de Trump a semé le chaos à travers le monde. Face à elle, la tentation d’en revenir au libre-échange est forte. Même à gauche, l’ouverture des frontières économiques est perçue avec une certaine nostalgie. Cette vision des choses occulte la brutalité occasionnée par des décennies de libre-échange, qui fut l’arme des classe dominantes contre les travailleurs [1].

La guerre commerciale déclenchée par Donald Trump a provoqué une panique sur les marchés mondiaux, envoyant des ondes de choc dans les chaînes d’approvisionnement internationales. Les marchés boursiers sont en chute libre, les prévisions de croissance ont été fortement revues à la baisse, et une récession économique avec une montée du chômage se profile. Cela a poussé beaucoup à regretter les temps plus ordonnés d’avant Trump — une nostalgie pour la mondialisation libérale des années 2000, avec un libre-échange mondial sans entrave et une économie mondiale régie par des règles prévisibles. Le géopolitiste Ian Bremmer affirme ainsi avec confiance que « la mondialisation a contribué à faire des États-Unis le pays le plus prospère de l’histoire », et dans le New York Times, l’éditorialiste Thomas Friedman écrit que notre époque a été « l’une des plus relativement paisibles et prospères de l’histoire… grâce à un réseau toujours plus serré de mondialisation et de commerce ».

À première vue, cette réaction est compréhensible. Il y a en effet de nombreuses raisons pour lesquelles la guerre tarifaire de Trump est contre-productive. Les droits de douane sont une forme de taxe principalement payée par les consommateurs. Ce sont des taxes non progressives, qui frappent les plus pauvres de manière disproportionnée, car ils consacrent une plus grande part de leur revenu à des biens de consommation courante désormais soumis à ces nouveaux droits. Si Trump met à exécution sa promesse d’utiliser ces recettes pour financer des baisses d’impôts pour les riches, cela pourrait devenir l’une des réformes fiscales les plus régressives de l’histoire des États-Unis.

Si Trump met à exécution sa promesse d’utiliser ces recettes pour financer des baisses d’impôts pour les riches, il s’agirait d’une des réformes fiscales les plus régressives de l’histoire des États-Unis.

Mais la nostalgie de l’ère du libre-échange n’offre pas d’avenir, peu importe ce que l’on pense de Trump et de son programme. La vague de mécontentement qui a conduit à la victoire de Trump est intimement liée aux tensions provoquées par la mondialisation. L’ordre mondial néolibéral, dominant depuis la chute de l’Union soviétique, a combiné libre-échange et déréglementation financière, entraînant une augmentation des inégalités, une désindustrialisation et des pertes d’emplois. Il n’est donc pas surprenant que ce soient les électeurs de la classe ouvrière des régions les plus touchées du Midwest américain qui aient fait basculer l’élection de 2016 en faveur de Trump, car il promettait de s’attaquer à la mondialisation et aux accords de libre-échange qui leur avaient coûté leurs emplois et ravagé leurs communautés.

La sortie de cette guerre commerciale ne devrait donc pas consister simplement à revenir au statu quo ante, puisque c’est précisément ce qui nous a menés ici.

Les problèmes du libre-échange

Lorsque l’on parle de libre-échange mondial, il est important de comprendre que celui-ci n’est pas le résultat naturel des forces du marché. Au contraire, le régime commercial mondial est le fruit de politiques étatiques actives, façonnées par les acteurs les plus puissants de la planète. Au XIXe siècle, la Grande-Bretagne a ouvert des marchés dans le monde entier à coups de canons. En Chine, les empires européens ont mené deux guerres sanglantes — connues sous le nom de guerres de l’opium — pour empêcher les Chinois d’interdire le commerce de l’opium sur leur territoire.

Le régime commercial actuel a été façonné lors des « Uruguay rounds » dans les années 1980, culminant avec la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1995. Il s’agit d’un produit de la domination unipolaire américaine après la chute du mur de Berlin. Ce régime s’est concentré sur la réduction des droits de douane, mais aussi sur l’interdiction faite aux pays de mettre en place d’autres formes de réglementation — appelées « barrières techniques au commerce », comme les normes environnementales ou les conditions de travail. Les syndicats occidentaux mettent en garde depuis les années 1990 contre les menaces que ce système fait peser sur les emplois locaux, tandis que les pays en développement ont dénoncé le fait qu’ils se voyaient refuser les mesures de protection que les pays riches avaient utilisées pour se développer.

À lire aussi... Guerre commerciale : vers la dédollarisation et la mort de l…

Ce régime a largement profité, depuis quarante ans, aux grandes entreprises des États-Unis et de l’Occident, qui pouvaient réduire leurs coûts salariaux et éviter les réglementations en délocalisant leur production vers les pays du Sud. Certains pays asiatiques ont utilisé cette mondialisation des chaînes de production pour renforcer leur secteur industriel et réaliser leur développement économique. Dans les années 2000, la Chine en particulier a combiné une forte planification étatique avec les règles du libre-échange pour gravir les échelons de la chaîne de valeur mondiale, vers une production technologique plus avancée.

Le mythe des avantages comparatifs

La théorie qui sous-tend les avantages du libre-échange remonte à l’économiste du XIXe siècle David Ricardo, dont la théorie des avantages comparatifs fait toujours référence aujourd’hui dans la pensée économique dominante. L’idée est que les pays — peu importe leur niveau de développement — peuvent bénéficier du commerce en se spécialisant dans les secteurs où ils sont relativement les plus efficaces. Cela signifie qu’un pays A, plus pauvre, qui n’excelle que dans quelques domaines, peut tout de même tirer profit d’échanges avec un pays B, beaucoup plus compétitif dans tous les secteurs.

L’idée de commerce gagnant-gagnant n’a en réalité existé que sur le papier. En pratique, la spécialisation selon les avantages comparatifs immédiats a enfermé les pays périphériques dans une dépendance à la production de matières premières volatiles.

Mais cette idée de commerce gagnant-gagnant n’a en réalité existé que sur le papier. En pratique, la spécialisation selon les avantages comparatifs immédiats a enfermé les pays périphériques dans une dépendance à la production de matières premières volatiles. L’économiste Ha-Joon Chang a démontré que les pays qui ont réussi à utiliser le commerce comme moteur de développement économique — comme la Corée du Sud, son pays natal — ont activement utilisé l’intervention de l’État pour modifier leurs avantages comparatifs. Si la Corée du Sud avait suivi aveuglément la théorie de Ricardo, elle ne compterait pas aujourd’hui de géants industriels comme Samsung et Hyundai. Son économie serait encore dominée par le riz et le poisson.

Mais avec la mondialisation financière, toute politique allant à l’encontre des intérêts du capital était immédiatement sanctionnée par les marchés. Cela a conduit à une compétition salariale entre travailleurs, les entreprises pouvant facilement délocaliser vers des régions à faibles coûts. Cela a aussi engendré une concurrence fiscale, les pays abaissant leurs impôts pour attirer les investissements. Les résultats sont clairs : des inégalités croissantes à l’échelle mondiale, les salaires étant perdants face au capital. Dans les pays riches, la délocalisation a touché de plein fouet la classe ouvrière, tandis que dans des pays comme la Chine ou l’Inde, les fruits de la croissance ont principalement profité aux chefs d’entreprise. Cette course vers le bas fiscale a également mis à mal les systèmes de protection sociale.

À lire aussi... Accord UE-MERCOSUR : face à l’obsession libre-échangiste de …

Les véritables enjeux du commerce mondial

Pour la gauche, la véritable question dans la politique commerciale n’est pas tant la circulation des biens que la mobilité sans restriction du capital. Depuis les années 1980, la libéralisation des flux financiers et des réseaux de production a permis aux entreprises de se relocaliser avec une grande facilité, utilisant la menace des délocalisations pour discipliner le travail et restreindre la prise de décision démocratique. Cette mobilité est devenue une caractéristique structurelle de l’économie mondiale, déséquilibrant profondément le rapport de force en faveur du capital.

Le commerce a joué un rôle disciplinaire. Il n’a pas seulement facilité les échanges ; il a redéfini le terrain de la politique intérieure en limitant les marges de manœuvre des États.

Dans ce contexte, le commerce a joué un rôle disciplinaire. Il n’a pas seulement facilité les échanges ; il a redéfini le terrain de la politique intérieure en limitant les marges de manœuvre des États. La peur de la fuite des capitaux a sapé la négociation collective, érodé les bases fiscales, et forcé les États à participer à une course vers le bas en matière de salaires, de réglementations et de prestations sociales. La rhétorique de la compétitivité a remplacé les questions de justice, et la politique économique a été réduite à ce que les marchés considèrent comme acceptable.

Ce que l’on oublie souvent lorsqu’on appelle à « relocaliser » l’industrie, c’est que les acquis sociaux des économies industrielles de l’après-guerre étaient le fruit d’institutions syndicales fortes, et non de la seule activité manufacturière. Sans un haut niveau de syndicalisation et d’organisation politique, le retour de la production industrielle n’améliorera probablement pas les conditions de la classe ouvrière.

Le véritable défi n’est ni de restaurer une ère révolue de la mondialisation, ni de se replier derrière des frontières nationales. Un débat sérieux sur le commerce mondial à gauche doit commencer par l’ambition de transformer les règles du jeu globales, afin que le commerce ne soit plus un outil de coercition au service du capital.

[1] Article issu de notre partenaire Jacobin.

3 / 4