TOUS LES TITRES
+

▸ les 10 dernières parutions

Accès libre

28.07.2025 à 10:11

Le revers de la carte postale : marées touristiques et marasme citoyen à Douarnenez

Frédérique Cassegrain

Dans quelle ville voulons-nous vivre ? C’est par cette question qu’a débuté l’enquête menée par des habitants réunis au sein du collectif Droit à la ville Douarnenez. Une recherche-action entreprise en réaction au « lissage » progressif de leur ville en carte postale touristique, au détriment du patrimoine côtier et d’un accès au logement. Dans l’ouvrage qu’ils ont composé à plusieurs voix se fait entendre la revendication d’une communauté déterminée à porter la vision d’un tourisme moins excluant et inégalitaire. En voici quelques extraits publiés avec l’aimable autorisation des éditions du commun.

L’article Le revers de la carte postale : marées touristiques et marasme citoyen à Douarnenez est apparu en premier sur Observatoire des politiques culturelles.

Texte intégral 5030 mots
Carte postale de propagande sur laquelle il est écrit : « Douarnenez, sous les pavés la plage »avec le mot « pavés » barré et remplacé par « précarité ».
© Alec Vivier-Reynaud

Article paru dans L’Observatoire no 61, décembre 2023

Le livre Habiter une ville touristique Collectif Droit à la ville Douarnenez, Habiter une ville touristique. Une vue sur mer pour les précaires, éditions du commun, Rennes, 2023. que notre collectif a publié aux éditions du commun est le fruit d’un travail de recherche-action, un travail d’enquête mené par ou avec des personnes extérieures au champ académique mais faisant partie du terrain d’étude et qui vise à transformer la réalité observée. Ici, en l’occurrence, des habitant·es qui veulent comprendre ce qui arrive à leur ville et souhaitent agir, faire agir sur son devenir. Ce travail a commencé pendant l’été 2018, quand l’Abri du marin, grand bâtiment donnant sur le port du Rosmeur, construit pour servir de foyer aux marins en escale, et devenu par la suite le siège de la revue maritime Le Chasse-marée – un édifice emblématique en cela de la trajectoire d’une ville du travail de la mer vers le travail de la mémoire –, fut racheté afin d’être transformé en centre international d’art numérique. La presse locale s’est exaltée avec une communication agressive de ce projet privé qui venait « donner un coup de pied dans une ruche assoupie » et qui, déjà, faisait la conquête de quelques opportunistes emporté·es par ce rêve de dynamisme au point d’y voir l’arrivée « du Messie « Douarnenez. Maison des lumières : un projet sous tension », Le Télégramme, 31 août 2018. ». C’était un coup d’envoi. Les années qui ont suivi nous ont mis la fièvre. Aujourd’hui, nous pouvons affirmer, comme prévu, que ce projet médiatique était autant une coquille vide « Elle suspend la vente de l’Abri du marin et tend la main à la mairie », Le Télégramme, 6 août 2021. qu’un prétexte à la spéculation « À Douarnenez, avis de tempête autour de l’Abri du marin », Le Télégramme, 12 août 2021.. Acheté 290 000 euros en 2018, l’Abri du marin est remis en vente 900 000 euros trois ans plus tard sans grands travaux effectués « L’Abri du marin de Douarnenez est de nouveau en vente », Le Télégramme, 29 juillet 2021.. Le port du Rosmeur, façade touristique de la ville, fut rénové, redessiné, minéralisé, nimbé de lumières bleues par un artiste bien coté qui vécut jadis à Douarnenez. Les architectes des bâtiments de France cherchèrent à imposer un nuancier de blanc « typique de bord de mer » aux façades colorées du Rosmeur, les cafés du port durent harmoniser l’esthétique de leurs terrasses. Les élu·es aménageaient la carte postale et encourageaient le marché à faire main basse sur la ville. Un ancien gymnase a été démoli pour devenir Ker Cachou, un projet de logements haut de gamme, l’usine Supergel rachetée pour y installer des lofts et un espace de coworking, et les travaux commencent aujourd’hui dans une colonie de vacances appelée à devenir le domaine Petra Alba (pierre blanche en latin), site luxueux réservé à quelques touristes et résident·es secondaires qui profiteront d’une piscine chauffée et de cabanes de style norvégien avec parement en granit. En juin 2018, Le Télégramme prédisait déjà une ville en bonne voie pour « retrouver son lustre d’antan ». Nous faisions un autre pronostic, un autre constat. Celui d’une ville qui se construit sans ses habitant·es. Un soir d’octobre, réuni·es à quelque 250 personnes dans la salle des fêtes, nous nous demandions : « Dans quelle ville voulons-nous vivre ? ». C’est à partir de cette question que s’est constitué le collectif Droit à la ville.

Nous ne sommes pas un collectif opposé au tourisme, degemer mat « Bienvenue » en breton (expression largement utilisée dans les communications publicitaires de la région)., à Douarnenez. Nous sommes en revanche opposé·es au devenir touristique de la ville, à cette idée que cette économie sauverait une ville qui n’aurait guère d’autres possibilités pour sortir de ce destin-déclin, de ce marasme économique qui faisait la trame des représentations de Douarnenez dans l’imaginaire collectif. Dans les années 1940, il y avait plus de 20 000 Douarnenistes. La ville en compte aujourd’hui quelque 14 000 et chaque recensement dit combien ce nombre s’érode. Nous avons commencé ce travail de recherche avec cet apparent paradoxe : dans une ville dont la population stagne ou diminue, les espaces à vendre ou à louer gagnent en valeur. Qu’il soit de plus en plus cher et difficile d’habiter dans une ville plus pauvre que la moyenne, voilà une forme singulière de déclin. La réunion publique organisée en 2018 réunit des habitant·es opposé·es au seul espoir d’une économie du tourisme qui viendrait remplacer celle de la pêche. Pourtant, dans ces années de crise, quand la pêche est partie vers les langoustes des mers chaudes, avant de presque quitter la ville et que la criée fut sauvée in extremis de la fermeture, Douarnenez a continué d’attirer des habitant·es. Quand, à Rome, Angkor Vat ou Teotihuacán, un empire s’effondre et laisse ses monuments en ruine, la période qui suit, celle qui précède l’empire suivant, n’est pas une période vide. Après Rome, il restait toujours les Romains. Ces trente dernières années, Douarnenez vivait, malgré tout, et pas si mal. La ville a même connu un essor associatif et culturel qui a marqué durablement les traditions locales et les sociabilités du centre-ville. Dans son lent déclin, elle a gagné un festival de cinéma renommé et des fanfares déterminées à faire du reuz En breton : « du bruit, de l’agitation, du bordel ». ; la ville est réputée pour son très carnavalesque mois de février et pour son patrimoine vivant. Depuis un bistrot animé toute l’année, on peut voir Douarnenez danser. Ce n’est pas pour rien que les promoteurs immobiliers vantent l’authenticité de la cité Penn Sardin, ni que les touristes la trouvent animée et vivante. Dans ses années de crise, Douarnenez était accueillante et hospitalière. Elle savait attirer et elle savait retenir.

© Concours de cartes postales, Droit à la ville Douarnenez, 2021

Le patrimoine à l’assaut du logement ouvrier

Les zones de protection du patrimoine architectural urbain et paysager (ZPPAUP) ont été créées à la fin des années 1970 et visent à définir un mode de gestion des sites d’intérêt patrimonial, en accord avec l’État et les collectivités locales. Leur objectif est de mettre en valeur des quartiers et des sites à protéger pour des motifs d’ordre esthétique ou historique. Une fois votées, les recommandations inscrites dans les règlements de la ZPPAUP peuvent s’imposer aux sites remarquables relevés dans l’étude et sur le plan local d’urbanisme voté par les communes. Elles s’imposent aussi dans les permis de construire de n’importe quel bâtiment compris dans le périmètre d’intervention.

L’AVAP Aire de valorisation architecturale et patrimoniale. En droit de l’urbanisme français, une aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP ou AMVAP) est une servitude d’utilité publique ayant pour objet de « promouvoir la mise en valeur du patrimoine bâti et des espaces ». Les AVAP ont été instituées par la loi Grenelle II du 12 juillet 2010 en remplacement des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP). remplace l’ancienne ZPPAUP au milieu des années 2010, avec les mêmes objectifs mais en y ajoutant un diagnostic environnemental. En 2011, les architectes à l’origine du rapport de présentation de l’AVAP à Douarnenez s’attardent sur les ensembles de logements collectifs construits à partir des années 1950. Concernant l’ensemble HLM de Pouldavid, le rapport conclut que les immeubles « perturbent l’esthétique », et que leur construction est une « erreur d’autant plus dérangeante qu’elle se situe dans un lieu stratégique », l’axe touristique Quimper-Audierne. Quant aux immeubles surplombant la plage des Dames, ce sont des « constructions hors d’échelle en frange littorale ». Dans son rapport, les logements collectifs des années 1950 et 1960, construits en bord de mer, y sont considérés comme « sans rapport avec le bâti proche Cette critique n’est pas faite aux quelques « demeures de maîtres » insérées entre les collectifs populaires du littoral. », et doivent faire l’objet d’études architecturales spécifiques pour en « réduire la volumétrie ». Si l’on parcourt le plan de règlement de l’AVAP dans lequel les bâtiments sont classés en plusieurs catégories (monument historique, bâtiment remarquable à conserver, bâtiment sans intérêt patrimonial, etc.), la conclusion est encore plus nette. L’ensemble HLM surplombant la plage des Dames et tous les immeubles d’habitations populaires qui les entourent sont classés dans une autre catégorie, celle des « bâtiments en rupture dont le remplacement est souhaitable ». Ces documents, loin de se limiter à un rôle d’analyse patrimoniale, participent à la production de représentations nouvelles sur l’urbanisation industrielle et sur les ensembles ouvriers construits dans le passé. Ils orientent les budgets et les politiques de rénovations urbaines de la ville sur des zones d’intérêts patrimoniaux et touristiques, sans considération pour l’histoire, ni même pour la fonction sociale de ces logements, l’enjeu touristique sur le littoral primant toujours sur l’usage et les besoins.

Loin d’être neutre, le patrimoine est une construction historique et sociale. Le processus de patrimonialisation relève d’un con0it entre groupes sociaux et individus sur ce qui mérite d’être protégé et ce qui peut être « remplacé ». Les intérêts des élites locales, des aménageurs et des acteurs économiques en attente de rentabilité peuvent produire des politiques de patrimonialisation qui dépossèdent les résident·es de l’usage de leurs lieux et amplifient les effets ségrégatifs inhérents aux processus urbains contemporains.

Dans le cadre de la rénovation complète du port du Rosmeur, livré en 2018, une lutte est engagée par une association de plaisanciers contre les élu·es. Douarnenez Communauté, à l’initiative des travaux, demande la destruction de la cabane des plaisanciers installée depuis plus de quarante ans. Pour se conformer à la nouvelle « charte esthétique » validée par l’architecte des Bâtiments de France, les élu·es refusent qu’à la suite des travaux la cabane en bois soit remise en place. Ils s’opposent aussi à la présence des racks en métal, pourtant indispensables au rangement des annexes permettant de rejoindre les bateaux au mouillage. Pour Erwan Le Floch, président de Douarnenez Communauté au moment des faits, la chose est claire. Sans faire état d’une solution alternative il affirme que « les annexes doivent disparaître du futur trottoir « Rosmeur. Henri fait de la résistance », Le Télégramme, 2 novembre 2018. ». Concernant la cabane, bureau de l’association des plaisanciers, le remplacement est trouvé par le président de la communauté de communes : il propose de les reloger à seulement vingt mètres, dans l’ancien local à poubelles du HLM de la Glacière. Plus globalement, c’est l’existence même d’une gestion associative du port qui est remise en cause depuis 2018. Dans un objectif d’harmonisation de l’offre d’accueil des plaisanciers des ports répartis entre Douarnenez et Concarneau, tous devront être dotés des mêmes niveaux d’équipement. Cette montée en gamme de l’offre de service pour Douarnenez doit être répercutée sur le prix des places. À Douarnenez, il est maintenu bas par la seule volonté des associations gestionnaires, pour « permettre à toutes les classes sociales la pratique de la navigation en mer Ibid. ».

Les représentations de ces espaces patrimonialisés et les usages touristiques que les élu·es souhaitent promouvoir entrent ici en conflit avec les usages historiques et populaires d’un ancien port de pêche. 

La carte postale contre les habitant·es

En centre-ville, un autre aspect des politiques de rénovation et d’encadrement des usages de l’espace public se joue autour de mesures visant à déplacer les populations marginalisées des espaces insérés dans les trajectoires de déplacements touristiques. À quelques dizaines de mètres de l’office du tourisme, sur la route du centreville, le passage Jean Bart disposait d’un muret en pierre que de nombreuses personnes utilisaient comme banc. Parmi ces usager·es, certaines personnes marginalisées ou vivant à la rue s’y retrouvaient. Au printemps 2021, à quelques semaines du début de la saison touristique, les services techniques municipaux sont mobilisés pour détruire ce muret et son parterre de fleurs. Quelques années auparavant, le service culturel de la mairie avait déjà choisi le passage Jean Bart pour accueillir la première étape d’un « chemin de fresques » sur la légendaire cité d’Ys à Douarnenez. En 2017, l’adjointe à la culture choisit le passage pour accueillir la deuxième fresque car « c’est un passage très emprunté, mais plus ou moins propre, plus ou moins agréable « Art. Le passage Jean Bart éclairci par les flots », Le Télégramme, 15 juin 2017. ». Ce mur, qui appartient à l’office HLM, était régulièrement utilisé comme support pour des tags et graffitis. Depuis 2017, cette opération a été renouvelée sur la majorité des passages couverts et autres lieux de rassemblement du centre-ville, en cas de pluie. La thématique de la cité d’Ys n’est pas anodine. En 2007, la dernière majorité de gauche décidait de produire le Chemin de la sardine, ensemble de panneaux touristiques retraçant l’épopée sardinière depuis l’époque gallo-romaine jusqu’au temps des conserveries industrielles. Dix ans plus tard, la mairie de droite, s’inspirant de cette réalisation, décide de valoriser le récit mythique de la ville légendaire engloutie par les flots. Ce mythe, que l’on retrouve déjà dans les premiers carnets de voyage évoquant Douarnenez, est fondateur de l’imaginaire touristique produit ici depuis le XVIIIe siècle. L’engagement des élu·es dans la production d’un récit communal participe à orienter et sélectionner, parmi les identités fondatrices en présence, les représentations qui seront données à voir dans l’espace public.

© Concours de cartes postales, Droit à la ville Douarnenez, 2021

La représentation de la station touristique ne peut tolérer la présence ostentatoire de la précarité et de la pauvreté. Le lieu de vacances doit rompre avec cette expérience métropolitaine des déplacements quotidiens marquée par la proximité de la pauvreté et de la misère. En réponse aux goûts supposés des touristes « haut de gamme » et pour se conformer au cadre d’une urbanisation touristique, la municipalité engage un processus de cartepostalisation « La “cartepostalisation” est un néologisme qui désigne en géographie du tourisme le fait que de nombreux sites soient transformés, consciemment ou inconsciemment, afin d’évoquer des paysages de cartes postales, et donc une image standardisée, ce qui a tendance à gommer leurs spécificités pour les faire ressembler à d’autres lieux référents. » Source. à travers un ensemble de mesures coordonnées :

• Une politique d’urbanisation visant à promouvoir un patrimoine choisi qui exclut les bâtiments industriels, les logements sociaux et ouvriers des espaces de consommation touristique. Une politique répressive qui repousse dans les périphéries la présence de populations marginalisées et précarisées.

• Une campagne de communication et de promotion publicitaire visant à produire ou relayer des représentations liées à l’imaginaire dela nature, du patrimoine (avec le Port-Musée et les fêtes maritimes et gastronomiques comme l’inauguration de la place du Kouign amann), de l’authenticité et des récits mythologiques bretons.

En septembre 2020, les services municipaux décident d’agir contre l’occupation d’une maison abandonnée depuis plusieurs années en périphérie du centre-ville. Après avoir dépêché une équipe de techniciens municipaux pour couper illégalement le compteur d’eau de la maison et couler du sable pour en empêcher sa réouverture, ils décident de se mobiliser en créant le hashtag « #squat » sur leurs réseaux sociaux. Prétextant une augmentation récente du nombre de squats, la mairie regrette le « principe simple et parfaitement maîtrisé des squatteurs. Passé un délai de 48 heures, l’expulsion doit répondre à une procédure légale qui s’avère longue et exigeante. » La police municipale souhaite « mettre en garde la population » et précise que les maisons choisies ne sont « souvent pas habitées ». Le communiqué de la mairie conclut en appelant à mettre en œuvre « tous les dispositifs afin d’éviter le squat » et appelle les habitant·es à la délation en signalant « tout événement anormal sur un tel bien ou à ses alentours Communiqué de la mairie de Douarnenez publié sur Facebook le 14 septembre 2020. ».

La cartepostalisation favorise les logiques de marché et les intérêts touristiques. Elle oriente les politiques locales en matière de développement économique et d’attractivité, les rénovations urbaines, la construction d’équipements publics et les politiques de l’habitat. En plus d’un ensemble de mesures et d’orientations économiques au profit du tourisme, ce phénomène agit sur les représentations, l’identité des territoires et les usages de l’espace public. La cartepostalisation s’accompagne d’une politique répressive d’éloignement et d’invisibilisation des populations précarisées et marginalisées, et plus globalement des stigmates architecturaux des villes ouvrières et industrielles qui ne correspondent plus au récit communal de la station touristique.

Ces effets de marché et les conséquences inégalitaires qu’ils induisent relèvent d’un domaine économique qui dépasse les compétences des politiques publiques. Mais les élu·es locaux les accompagnent, voire provoquent, les conditions de l’attractivité du territoire et du développement du foncier touristique et saisonnier. Leurs conséquences sur la situation de mal-logement sont pourtant répertoriées dans les études réalisées ces vingt dernières années.

Dès le début des années 2000, on observe les prémices d’une crise des prix combinée à l’assèchement des offres accessibles à cause du développement du foncier touristique et saisonnier. Même s’il est relativement bas à Douarnenez, le taux de résidences secondaires connaît une croissance constante, la construction de logements sociaux ralentit, la population se paupérise, le nombre de logements vacants et insalubres augmente et les projets haut de gamme de promoteurs immobiliers se développent. Résultat : le mal-logement s’aggrave. La situation provoque un phénomène de ségrégation sociale. Les quartiers HLM périphériques et leurs habitant·es jouissent d’une image et d’une qualité de vie dégradées, les classes populaires du centre-ville continuent à vivre dans des logements en mauvais état et les habitant·es nouvellement installé·es choisissent en majorité ces quartiers centraux, ce qui accélère la montée des prix et transforme la structure sociale et les usages du centre-ville.

© Tiphaine Lacroix

Imaginer un tourisme désirable

Puisque nous n’allons pas porter une banderole Tourist go home, nous devons trouver autre chose. Pourquoi pas Tourists leave our homes, go and find a tent or a hotel room « Touristes, laissez nos maisons, trouvez-vous une tente ou une chambre d’hôtel. » ? Accueillir le tourisme est difficile en raison des conséquences de cette économie sur notre écologie sociale. Parce que la fréquentation de haute saison produit de la fatigue et même un réel épuisement pour les travailleur·euses de l’économie saisonnière. Parce que la mise en tourisme transforme un lieu de vie en cadre pittoresque et aliène les façades derrière lesquelles nous habitons quand notre ville devient spectacle et parce que le tourisme crée ce triste phénomène de club. Imaginer un tourisme désirable nécessite de trouver d’autres modes de production touristique. Le mode actuel, qui transforme tout logement en potentiel productif – tout est louable sur Airbnb, même les cabanes de jardin –, amène à porter un nouveau regard sur l’ancien mode, celui de l’après-guerre, des gîtes de France, de la chambre chez l’habitant·e et du camping municipal. En se gardant de toute nostalgie pour l’époque de la planification touristique et de l’artificialisation de pans entiers du pays, cet ancien mode de production touristique des territoires apparaît comme un moment où les politiques publiques se souciaient des vacances des pauvres et de leurs enfants. Dans le Douarnenez contemporain où le privé a les coudées franches et où se développent les projets de tourisme de standing, les eaux du calcul égoïste sont un peu plus glaçantes.

Imaginer un tourisme désirable c’est penser avec l’idée du tourisme, c’est-à-dire le concept de vacances en dehors de chez soi ; alors il faut trouver un nouvel agencement avec les territoires visités, avec le chez-soi de celles et ceux qui accueillent. Peut-être ne plus construire en dur et en grand mais imaginer le souple et l’impermanent, tentes, yourtes et bungalows, ces habitats légers que la plupart des maires ont en horreur. Le tourisme serait plus désirable dans des lieux qui se démontent et des espaces pensés comme temporaires. Cette impermanence peut aussi être celle de l’usage plutôt que celle de l’architecture, il est possible de construire en dur et dans la durée des bâtiments qui pourront changer de fonctionnalité au gré des besoins. Repenser l’architecture touristique devrait se faire avec un changement des exigences touristiques, ne plus chercher à tout prix une vue sur mer pour ses vacances et savoir bien vivre le littoral depuis l’intérieur des terres, à quelques minutes de vélo.

Imaginer un tourisme désirable, c’est faire en sorte de voir ce qu’il y a de désirable dans le tourisme. À l’évidence, il y a le repos, le temps pour soi permis par cinq semaines de congés payés. Le temps des vacances, en tant qu’affranchissement temporaire des normes du travail, est à souhaiter pour toutes et tous. Alors, tant que nous vivons dans une société salariale, vive les vacances ! Il faut même défendre cette propriété sociale qu’est le droit aux vacances, la protéger du rêve libéral d’une non-société de propriétaires autonomes qui brouille avec insistance les frontières entre le travail rémunérateur et le reste de l’existence. Dans la société des auto-entrepreneur·ses et des tâcheron·nes de l’économie numérisée des services, il n’y a pas de semaine de congés payés. Ce qu’il y a de désirable dans le tourisme ce sont donc les vacances. Certes, il est possible d’imaginer les vacances sans le tourisme mais, là encore, il est vain de chercher à cacher le monde tel qu’il est pour toutes celles et ceux qui n’ont que quelques semaines par an pour voir autre chose que le paysage du quotidien. L’urbanisme fonctionnel a produit des villes étouffantes quand nous, habitant·es des territoires visités, vivons dans un cadre exceptionnel où la mer attend au bout des rues. Et nous sommes d’accord pour le partager, comment ne pourrions-nous ne pas l’être ? Un jour, les notions de tourisme et de vacances s’éloigneront de notre imaginaire collectif. Après tout, il n’existait pas de « touristes » avant le XIXe siècle et une grande partie de l’humanité ne s’est jamais projetée dans ce désir touristique du voyage d’agrément. Alors il faut croire que le tourisme disparaîtra avec la société qui l’a permis. Comment partirons-nous en vacances dans un siècle ? Comment ira-t-on voir la mer ? Peut-être que des règles municipales s’occuperont de gérer localement des maisons de vacances, disponibles sur inscription ? Qu’on considérera les vacances comme un besoin de base, pris en charge collectivement. Ce chantier pour l’imaginaire est ouvert ici.

Les extraits de l’ouvrage Habiter une ville touristique sont issus des pages 26 à 28 ; 132 à 134 ; 134 à 137 et 203 à 232.

L’article Le revers de la carte postale : marées touristiques et marasme citoyen à Douarnenez est apparu en premier sur Observatoire des politiques culturelles.

22.07.2025 à 15:22

Le jeu vidéo peut-il trouver sa place dans les lieux culturels ?

Frédérique Cassegrain

Alors que 44 % des Français jouent aux jeux vidéo, cette pratique culturelle peine à quitter l’univers domestique et à trouver sa place dans les lieux artistiques. Pourtant des initiatives existent. Faire du jeu vidéo un nouveau médium artistique et une forme d’expression créative est au cœur du projet du collectif Sous les Néons.

L’article Le jeu vidéo peut-il trouver sa place dans les lieux culturels ? est apparu en premier sur Observatoire des politiques culturelles.

Texte intégral 3222 mots
Dessin : Bap Tiste

En novembre 2024, le Théâtre de l’Élysée (Lyon, 7e) accueillait deux demi-journées intitulées « Quelles places pour le jeu vidéo dans les structures artistiques et culturelles ? » https://tube.felinn.org/w/p/q7uNDunqYoMidCXBwzdZmz?playlistPosition=1.  Nous avons rencontré Nicolas Ligeon, codirecteur du théâtre et cofondateur du collectif Sous les Néons. Nicolas se présente comme un « professionnel du spectacle vivant, du côté du service public de la culture ». Sa carrière traverse plusieurs lieux et contextes : en milieu rural, urbain, dans les arts du spectacle, du cirque et de la marionnette. Il nous accueille au Théâtre de l’Élysée, membre du réseau des Scènes découvertes lyonnaises, en rappelant qu’initialement le jeu vidéo n’était « pas du tout son truc ». C’est en 2019, à la suite des confinements liés au Covid qu’il se replonge dans cet univers vidéoludique. D’abord frappé par l’aspect plastique et la diversité des esthétiques proposées, il réalisera, après une période d’expérimentation, qu’il était sûrement « passé à côté de quelque chose ». L’envie de partager ses découvertes est, depuis, un marqueur fort de son travail.

Pouvez-vous présenter le collectif Sous les Néons et ce qu’il défend ?

Nicolas Ligeon – Au départ, j’ai eu envie de faire venir cet univers du jeu vidéo au sein du Théâtre de l’Élysée que je codirige et qui est un formidable espace de liberté. J’ai d’abord installé des jeux dans le hall d’entrée pour susciter la curiosité du public et l’amener à les découvrir. Ça allait de jeux très beaux, très « léchés », à d’autres plus glitchés « Dans un jeu vidéo, un glitch est un bug qui touche des éléments animés, comme des armes, des véhicules ou des personnages, par exemple. », https://www.esma-artistique.com/lexique/glitch/, venus de développeurs « solo ». Puis, chemin faisant, on m’a présenté Simon Bachelier qui évolue en tant que producteur et éditeur sur la scène indépendante du jeu vidéo, et nous avons été rejoints par la programmeuse Diane Landais. À nous trois, nous avons fondé le noyau du collectif Sous les Néons. Aujourd’hui, on est un petit groupe d’environ 7-8 personnes : certaines interviennent en tant que bénévoles pour les soirées à l’Élysée, d’autres s’occupent de la médiation, de l’installation des machines, des Playformances, etc.

Sous les Néons a pour sous-titre : « collectif d’expérimentation d’autres pratiques du jeu vidéo ». Ces « autres pratiques » sont celles que nous proposons dans des lieux publics ou privés, ouverts à tous sans discrimination. Nous sommes donc à l’opposé de la pratique usuelle qui consiste à jouer chez soi, sur son ordinateur, sa console, son téléphone… ou en ligne avec des collègues, des amis, à se réunir en soirée… Venant du théâtre public, je m’interrogeais aussi sur la façon dont le service public de la culture pouvait se saisir du jeu vidéo. Nous sommes partis du constat que les pratiques ont énormément changé avec l’évolution des outils numériques et la démocratisation des ordinateurs de poche, appelés « téléphones », qui permettent dorénavant de jouer partout, où que l’on se trouve. À cela s’ajoute également l’augmentation d’une nouvelle pratique due à l’avènement des plateformes de streaming, et notamment Twitch : celle de regarder jouer. On avait l’habitude, lorsqu’on joue chez soi et qu’on n’a qu’une seule manette, d’attendre son tour et par conséquent de regarder l’autre jouer, mais en même temps de participer pleinement à l’aventure. Grâce au streaming, ce phénomène s’est amplifié, et regarder d’autres personnes jouer en ligne en interprétant un jeu à leur manière est devenu courant. 

C’est cette idée que nous avons voulu explorer avec le collectif : puisque le jeu vidéo ne concerne pas uniquement ceux qui jouent, nous nous sommes dit qu’il remplissait les mêmes fonctions que d’autres œuvres artistiques (un livre, un film, etc.) et que nous pouvions l’aborder en ces termes, tout en conservant sa spécificité, afin de toucher les gens différemment. Ni mieux, ni moins bien, mais différemment.

Qu’est-ce qui a motivé l’intégration du jeu vidéo dans la programmation du théâtre de l’Élysée ? Est-ce devenu un marqueur fort ?

N. L. –  Le Théâtre de l’Élysée est soutenu par la DRAC et la Ville pour programmer des artistes émergents dans ses murs. On est financé pour prendre des risques, donner à voir de nouvelles formes de création et offrir aux jeunes compagnies l’opportunité d’aller au bout de la fabrication de leur spectacle et le confronter ensuite à un public. En plus de cette mission, on a toujours laissé une place dans notre programmation à l’accueil de projets différents, à d’autres langages issus de « cultures en marge ». Par exemple, nous proposons « Pour la suite du monde », un événement de cinéma documentaire sur l’intersectionnalité des luttes, ou encore le Fact (festival Arts et Création Trans). C’est dans l’ADN de notre théâtre de se tourner vers des cultures peu reconnues et en cours de structuration pour les aider à débuter. Il était donc assez naturel qu’un projet de jeu vidéo ait sa place dans un lieu tel que le nôtre où l’expérimentation est possible. Avant de faire partie de Sous les Néons, Simon était membre d’un autre collectif, One Life Remains qui fabriquait des jeux vidéo expérimentaux. Il organisait également des Playformances à Paris, qui se sont arrêtées avec le Covid, et il m’a proposé de relancer ce concept à Lyon.  C’est comme ça que nous avons organisé, en novembre 2021, notre première soirée Playformance au Théâtre de l’Élysée.

Qu’est-ce qu’une Playformance ?

N. L. –  On a écrit un manifeste https://www.souslesneons.com/playformance/fr/ pour présenter notre démarche et, même s’il n’avait pas vocation à expliquer ce qu’est une Playformance, de nombreuses personnes nous ont appelés des quatre coins de France parce qu’elles avaient envie de la proposer dans leurs structures. On l’a donc un peu imaginé comme un concept open source Se dit d’un logiciel dont le code source est libre d’accès, réutilisable et modifiable (Linux, par exemple). [Recommandation officielle : logiciel libre.], Larousse en ligne. : chacun peut utiliser le principe de Playformance, s’il est en accord avec le manifeste qui pose certaines valeurs d’inclusivité et, formellement, quelques éléments à suivre. Une Playformance, c’est l’acte de jouer à un jeu vidéo en direct devant un public au service d’un récit. Donc ce n’est pas simplement parler du jeu lui-même ou le commenter. Dans le référentiel du spectacle, je dirais qu’il s’agit plutôt d’interroger comment un jeu vidéo peut être un matériau pour écrire une petite forme théâtrale sans aucun registre prédéfini. Certaines Playformances sont purement humoristiques, d’autres très intimes, militantes, poétiques, ou alors complètement performatives. Dans la forme, ça ressemble à du stand-up : une personne sur scène, équipée d’un micro, parle au public pendant qu’elle joue et le jeu est projeté sur un écran derrière elle. Cela donne des choses étonnantes, proposées par des gens dont la scène n’est absolument pas le métier mais qui connaissent tellement bien le jeu qu’elles ont compris en quoi sa mécanique pouvait servir à raconter autre chose. Mailler une réflexion avec un jeu amène du sensible, une autre aisance, et ça touche différemment les gens.

Un jeu vidéo est donc bien plus qu’un jeu. C’est une œuvre en soi qui, comme n’importe quelle autre, produit des effets sur la personne : on en sort avec des émotions, des sensations, etc. Et en arrière-plan, pour ceux qui s’y intéressent un peu plus, c’est aussi tout un environnement : la façon dont il a été conçu, ce qu’il raconte, ses références, ce qu’il défend, etc. Cet ensemble-là est une ressource qui peut éveiller la créativité.

Ces Playformances sont-elles programmées dans des lieux variés ?

N. L. –  Elles sont programmées à la fois dans des événements dédiés au jeu vidéo et dans des lieux culturels. On a proposé des scènes ouvertes aux Subs, à Lyon, auxquelles les gens peuvent s’inscrire, sans aucune sélection. Depuis quatre ans, nous organisons régulièrement des Playformances à l’Espace Aragon (Villard-Bonnot – 38). L’équipe nous a fait confiance sans trop savoir ce que c’était. La première année, il y avait 20 personnes dans la salle dont 12 travaillant dans le lieu. Trois ans après, on a accueilli 120 personnes et c’était presque complet. Mais effectivement, on a davantage de demandes venant de lieux culturels, ou socioculturels, plus que purement artistiques. Beaucoup nous programment sans connaître, simplement parce que le concept les séduit. Mais je pense que les lieux du spectacle vivant ne s’y retrouvent pas à 100 %, parce qu’une Playformance ne coche pas toutes les cases de ce que l’on attend d’un « spectacle », au sens classique. Les critères d’analyse esthétique du théâtre (mise en scène, dramaturgie, interprétation, écriture…) sont encore très présents, et j’aurais tendance à dire qu’on oublie un peu l’un des enjeux essentiels du théâtre : qu’est-ce que ça produit ? Qu’est-ce que ça fait aux gens qui regardent ?

Approcher le jeu vidéo sous l’angle des droits culturels apporte un autre point de vue qui me semble intéressant. La pratique du jeu vidéo est en effet très répandue, une diversité de personnes y prétend et elles ont envie d’en dire quelque chose. Pour faire une Playformance, il n’existe pas d’autre légitimité que celle de jouer, pas même de bien savoir jouer. On n’attend pas un spectacle avec des comédiens professionnels.  Et c’est beau de voir des personnes très différentes, investies dans ce qu’elles font. Cela produit autre chose. C’est du théâtre dans son acception anthropologique.

Est-il néanmoins si facile pour le jeu vidéo de trouver sa place au sein de structures culturelles ou socioculturelles ?

N. L. –  Non, ce n’est pas facile parce que le jeu vidéo n’a pas été conçu pour ça. C’est à l’origine un objet de consommation intime et un produit industriel que l’on achète sur des plateformes, donc quel serait l’intérêt d’aller dans des lieux culturels ?

Par ailleurs, il souffre encore d’une assez mauvaise image, pour le dire vite : de la violence, de la guerre, etc. En 2025, on lui attribue toujours la responsabilité d’avoir inspiré certaines tueries ou autres actes terribles. Le ciblage marketing des garçons adolescents, dans les années 1980-1990 (jusqu’à nommer une console « Game Boy ») n’a pas aidé non plus à rendre le jeu vidéo inclusif. Il a été perçu comme du pur divertissement et c’est tout : une sorte d’objet de consommation de masse, plutôt que d’art populaire. Mais aujourd’hui, il existe des choses extraordinaires dans cette très vaste production vidéoludique. D’ailleurs, l’industrie du jeu vidéo en France, et en Auvergne-Rhône-Alpes en particulier, est plutôt florissante malgré la séquence compliquée que le secteur traverse actuellement avec un grand nombre de licenciements, des dénonciations de management toxique ou les affaires liées au VHSS.

Il faut savoir aussi que l’industrie française du jeu vidéo est adossée aux politiques publiques et qu’elle bénéficie d’aides à la production, du crédit d’impôt, de leviers pour mettre en avant les jeux français dans les grands salons internationaux, etc. Cet ensemble de mesures montre que les pouvoirs publics ont saisi l’importance du jeu vidéo en tant que vecteur d’économie, mais aussi de soft power. Même si l’entrée est essentiellement économique, cet accompagnement de l’État et des Régions, a pour effet de légitimer ce secteur, de le valoriser en tant que tel et, par ricochet, sa pratique. De plus, avec l’appui de grands médias prescripteurs (Libération, France Inter…), le jeu vidéo est de plus en plus reconnu à sa juste valeur. Des directeurs et directrices de lieux culturels commencent à percevoir l’intérêt de travailler cette « matière jeu vidéo », notamment dans ce qu’elle peut offrir de moments collectifs. Mais pour cela, il faut connaître ces cultures. Les lieux avec qui nous travaillons nous font confiance sur des sélections de jeux, des expositions, et ils s’appuient sur nous pour les éclairer, leur montrer ce qu’il y a d’intéressant à faire.

Le jeu vidéo fait partie des pratiques culturelles largement partagées par la population. Or il semble encore peu pris en compte par les politiques culturelles. Quelle est votre analyse à ce sujet ?

N. L. – Je crois que c’est un peu en train de changer du fait des enquêtes sur les pratiques culturelles des Français « Au cours des deux dernières décennies, la pratique, au moins occasionnelle, des jeux vidéo progresse fortement dans la population, en restant majoritairement masculine. Au sein des personnes âgées de 15 ans et plus, respectivement 39 % des femmes et 49 % des hommes jouent en 2018, contre 15 % des femmes et 24 % des hommes en 2008. » dans L. Wolff, Ph. Lombardo, Cinquante ans de pratiques culturelles en France, ministère de la Culture, Département des études, de la prospective et des statistiques, Paris, 2020. qui mettent en évidence l’essor incroyable de la pratique du jeu vidéo. Il y a tout de même un secteur qui s’est attaqué au jeu vidéo depuis plusieurs années – et il faut lui rendre justice – qui est celui de la lecture publique. Tout d’abord à travers la question du prêt et de l’accessibilité, car certaines personnes ne jouent pas faute de moyens. Les médiathèques ont aussi mis en place des ateliers, des rencontres, comme elles le feraient autour d’œuvres littéraires ou cinématographiques. Mais en dehors de ce secteur, les autres s’en sont assez peu emparés, ou alors essentiellement par l’entrée technologique, comme le font les musées par exemple.

Aujourd’hui la politique publique porte principalement sur la partie industrielle, pas sur l’accompagnement des pratiques. La politique culturelle en France reste aussi très liée à une politique d’équipement. Or, à l’heure où de nombreux lieux se demandent quoi faire pour le renouvellement des publics, je pense qu’il y aurait matière à développer des projets autour des jeux vidéo dans des structures artistiques ou socioculturelles. Les événements qui incorporent cette culture peuvent être en accord avec les objectifs de ces lieux (la démocratisation culturelle, la diversification des publics, etc.), notamment parce que le jeu vidéo est un peu moins situé socialement que d’autres pratiques. En revanche, il reste des mythes à déconstruire : par exemple, l’idée qu’il y aurait « les gamers » et « les autres », ce qui est faux. Les cultures vidéoludiques sont très hétérogènes. Certaines personnes ne se disent pas joueuses, alors qu’elles ont une pratique sur téléphone ou sur une vieille console. Un autre mythe, assez prégnant chez les opérateurs culturels, consiste à croire que l’on attire forcément un public jeune avec du jeu vidéo. En fait non, ce n’est pas aussi simple ! Sur ce point, il reste beaucoup à faire en matière de formation. L’idée n’est pas de transformer un théâtre en salle d’arcade, mais plutôt de s’ouvrir à ces pratiques. En revanche, cela demande de connaître ce domaine. Avec le collectif, cela fait maintenant quatre ans que nous nous sommes lancés dans cette aventure, mais je continue à écouter beaucoup de podcasts, à me documenter, et j’ai encore du travail devant moi. Il faut pour l’instant s’appuyer sur les quelques personnes qui creusent cette thématique et, petit à petit, on peut espérer que cette culture soit davantage enseignée et transmise.

L’article Le jeu vidéo peut-il trouver sa place dans les lieux culturels ? est apparu en premier sur Observatoire des politiques culturelles.

22.07.2025 à 14:57

En Corrèze, la culture monte à La Baze

Frédérique Cassegrain

La Baze, tiers-lieu culturel, fait vivre la création au rythme des saisons et des générations. Rare en zone rurale – seuls 20 % sont culturels en Nouvelle-Aquitaine, contre 31 % au niveau national – elle cultive sa différence depuis trois étés.

L’article En Corrèze, la culture monte à La Baze est apparu en premier sur Observatoire des politiques culturelles.

Texte intégral 1009 mots

Un ancien corps de ferme devenu tiers-lieu où la culture se construit avec et pour les habitants

À La Baze, la musique rassemble. La fanfare, ouverte à tous, mêle répertoire populaire et énergie collective. © Sylvestre Nonique-Desvergnes

Cet article est republié à partir de l’Observatoire des tiers-lieux. Lire l’article original

Un hameau, des champs, une départementale. Et derrière, trois bâtisses – une maison, une grange, un hangar – dont l’une abrite une salle de répétition. On y entend parfois une vielle à roue, parfois du théâtre contemporain. Bienvenue à La Baze, « tiers-espace culturel » installé à Chamboulive, 1158 habitants, en Corrèze. En milieu rural, la mise à disposition d’un bien public peut devenir un levier puissant pour faire émerger des initiatives culturelles citoyennes, porteuses de lien social et de dynamisme local. La Baze incarne cet élan : un tiers-lieu qui mêle création artistique, enracinement dans les traditions populaires et médiation intergénérationnelle au cœur du territoire.

Initié par l’association Lost In Traditions, ce projet est né il y a trois ans d’un constat commun à plusieurs compagnies du territoire. « Il n’existait pas ici de lieu dédié à la pratique artistique partagée avec les habitants. On avait besoin d’un endroit pour répéter, créer, se retrouver », raconte Martina Raccanelli, présidente de l’association. Le rêve a pris vie dans cet ancien ensemble agricole des années 1950, transformé en salle de concert estivale, buvette, chambres, et espaces de réunion, sur un hectare et demi.

Avec ses trois bâtisses, La Baze fait vivre la création dans une ancienne ferme devenue lieu de rencontres et d’expérimentations artistiques. © Sylvestre Nonique-Desvergnes

Depuis 2023, La Baze est en convention avec la commune, garante auprès de l’Établissement public foncier, propriétaire du bien. Objectif : le rachat solidaire via la SCI l’Arban avant la fin de l’année 2025. « La Baze sera locataire garanti pour mettre en œuvre son projet », précise Martina.

Pas de salariés ici, mais une dizaine de bénévoles, 80 adhérents et une gouvernance en cercles : l’association pilote, des coopérateurs mutualisant outils et savoir-faire et des partenaires ponctuels. Le projet se veut triple : école d’art populaire, création professionnelle et carrefour du territoire.

Au cœur de La Baze, culture et médiation se mêlent. « On veut que les habitants se sentent chez eux. L’art populaire est au centre », souligne Martina. Des événements ont lieu deux fois par mois, et des résidences tout au long de la saison. En juin 2023, la restitution d’un spectacle intergénérationnel, créé avec des professionnels et des amateurs autour du Cercle de craie caucasien de Brecht, a marqué les esprits. Les agriculteurs du coin présents ont été touchés par la pièce, axée sur les notions de commun et de vivant.

La musique, ici, ça se danse, ça se joue, ça se vit. Ce sont des récits transmis oralement, qui traversent les générations.

La musique traditionnelle joue un rôle moteur. Le collectif Lost revisite les répertoires populaires en les mêlant aux sons d’aujourd’hui. « La musique, ici, ça se danse, ça se joue, ça se vit. Ce sont des récits transmis oralement, qui traversent les générations. » La Fanfare de la Manu, ouverte à tous sans condition de niveau, incarne cet esprit.

Financée en partie par le Fonds d’innovation territoriale (2022–2024), La Baze attire aussi les regards académiques. Le laboratoire UBIC de l’université Bordeaux-Montaigne l’étudie comme modèle de recomposition de la culture comme bien commun. François Pouthier, chercheur, y voit un lieu « assemblier », un trait d’union entre société civile et collectivités, où se développe un « travail d’insectorialité ».

Les projets ne manquent pas : travaux de rénovation, structuration économique, ouverture plus régulière. Et surtout, rester fidèle à l’esprit du lieu. « Un lieu comme La Baze doit porter la notion de commun, de faire ensemble », conclut Martina.

L’article En Corrèze, la culture monte à La Baze est apparu en premier sur Observatoire des politiques culturelles.

3 / 10