31.07.2025 à 06:00
Le Burkina Faso libère des journalistes et un activiste enrôlés illégalement
Au début du mois de juillet 2025, les autorités burkinabè ont libéré cinq journalistes et un militant des droits humains qui avaient été illégalement enrôlés de force dans l'armée après avoir critiqué la junte militaire. Bien qu'il s'agisse d'une évolution positive, leur libération rappelle aussi cruellement que d'autres personnes sont toujours portées disparues, certaines depuis 2024, sans qu'aucun indice ne permette de savoir où elles se trouvent.
Le 24 mars 2024, à Ouagadougou, la capitale du pays, les autorités ont arrêté Guezouma Sanogo, Boukari Ouoba et Phil Roland Zongo, trois membres de l'Association des journalistes du Burkina (AJB), ainsi que Luc Pagbelguem, journaliste sur la chaîne de télévision privée BF1, pour avoir dénoncé les restrictions à la liberté d'expression imposées par la junte. Le 2 avril, une vidéo a circulé sur les réseaux sociaux montrant Guezouma Sanogo, Boukari Ouoba et Luc Pagbelguem en uniforme militaire, ce qui a suscité des inquiétudes quant à leur conscription. La conscription de Phil Roland Zongo n'a été rendue publique et confirmée qu’au moment de sa libération.
Le 18 juin 2024, Kalifara Séré, commentateur sur la chaîne BF1 TV, a été porté disparu après une réunion avec des membres du Conseil supérieur de la communication (CSC), l'autorité de régulation des médias au Burkina Faso. Des membres du CSC avaient interrogé Kalifara Séré au sujet d'un commentaire dans lequel il avait exprimé des doutes quant à l'authenticité de photographies montrant le chef de l'État. En octobre 2024, les autorités ont finalement reconnu qu'il avait été enrôlé dans l'armée, avec deux autres journalistes, Serge Oulon et Adama Bayala. On ignore toujours où se trouvent Serge Oulon et Adama Bayala.
Le 29 novembre 2023, des hommes en civil se présentant comme des membres des services de renseignement nationaux ont enlevé Lamine Ouattara, membre du Mouvement burkinabè des droits de l'homme et des peuples (MBDHP), à son domicile. Des proches de Lamine Ouattara ont confirmé qu'il avait aussi été enrôlé illégalement.
Human Rights Watch a documenté le recours par la junte à une loi d'urgence de vaste portée pour enrôler des détracteurs, des journalistes, des militants des droits humains et des magistrats afin de les réduire au silence.
Si les gouvernements sont habilités à enrôler des civils adultes pour la défense nationale, toute conscription doit toutefois être mise en œuvre de manière à informer les conscrits potentiels de la durée du service militaire, et à leur donner la possibilité de contester leur obligation de servir.
Les autorités burkinabè devraient immédiatement libérer toutes les personnes encore détenues illégalement, et cesser d'utiliser la conscription pour réprimer les médias et les détracteurs.
30.07.2025 à 06:00
Russie : Blocage, perturbations et isolement croissant d’Internet
(Vilnius) – Les autorités russes ont intensifié la censure en ligne, les perturbations d’Internet et la surveillance depuis le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en février 2022, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.
30 juillet 2025 Disrupted, Throttled, and BlockedLe rapport de 50 pages, intitulé « Disrupted, Throttled and Blocked: State Censorship, Control, and Increasing Isolation of Internet Users in Russia » (« Internet perturbé, ralenti et bloqué : Censure par l’État, contrôle et isolement accru des internautes en Russie ») documente l’impact des capacités technologiques croissantes du gouvernement et de son contrôle sur l’infrastructure d’Internet dans ce pays. Human Rights Watch a constaté que cela permet aux autorités de procéder à un blocage et à une restriction plus généralisés et non transparents des sites web indésirables et des outils de contournement de la censure, ainsi qu’à des perturbations et des coupures d’Internet sous le prétexte de garantir la sécurité publique et la sûreté nationale.
« Pendant des années, les autorités russes ont méticuleusement développé leurs outils juridiques et technologiques afin de convertir l’espace de l’Internet russe en un forum étroitement contrôlé et isolé », a déclaré Anastasiia Kruope, chercheuse adjointe auprès de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « Leurs efforts ont conduit à une censure généralisée, à des perturbations d’Internet à grande échelle et à un affaiblissement de la sécurité et de la vie privée, en violation de leurs responsabilités en matière de droits humains en vertu du droit international. »
Human Rights Watch a mené des entretiens avec 13 journalistes et experts indépendants russes et internationaux sur la censure d’Internet et les droits numériques, la sécurité de l’information, la gouvernance d’Internet et la politique numérique. Les chercheurs ont également analysé les lois et les règlements, ainsi qu’un large éventail de sources ouvertes en anglais et en russe, telles que des articles de recherche universitaire, des forums informatiques russes et des données recueillies par des projets russes et internationaux de surveillance de la censure sur Internet.
Human Rights Watch a adressé des courriers à huit entreprises de technologie – cinq sociétés étrangères et trois sociétés russes – ainsi qu’au gouvernement russe, au sujet de ses conclusions. Les réponses de l’entreprise américaine Cloudflare et de la société de technologie russe Yandex sont reflétées dans le rapport et figurent en annexe de ce document, qui est publié sur le site web de Human Rights Watch.
Les autorités russes ont bloqué des milliers de sites web, y compris des sites de médias indépendants et d’organisations de défense des droits humains, des pages web d’opposants politiques, ainsi que des plateformes de réseaux sociaux, pour non-respect de la législation draconienne qui régit les activités en ligne en Russie.
Certains sites étrangers et diverses plateformes ont cessé de fournir des services aux internautes russes en raison des sanctions et des pressions politiques qui ont suivi l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en février 2022.
L’accès aux applications ou aux sites web bloqués, comme Instagram ou Facebook, est quasiment impossible en Russie sans passer par un réseau privé virtuel (Virtual Private Network, VPN), outil qui permet aux internautes de contourner la censure. Pourtant, d’après certaines estimations, environ la moitié de la population du pays ne sait pas utiliser ces outils, et les autorités les bloquent de plus en plus.
Ceci, associé à une promotion active par l’État d’alternatives russes, a forcé un nombre croissant d’internautes à basculer sur les navigateurs et les plateformes de réseaux sociaux russes qui proposent à leurs utilisateurs du contenu et des interprétations des événements actuels et historiques soutenus par le gouvernement. Les internautes sont également confrontés à des risques plus élevés de voir leurs données personnelles transmises aux services de police.
La loi russe exige que les sites web qui publient des annonces consacrent 5 % à des « publicités sociales », définies comme visant « des objectifs caritatifs ou d’autres objectifs ayant une valeur sociale, ainsi que la protection des intérêts de l’État ».
Le navigateur de Yandex a affiché une « publicité sociale » du gouvernement exhortant les citoyens à rejoindre les forces armées russes, apparemment pour combattre sur le front ukrainien, plus de deux milliards de fois au cours des deux dernières années. L’entreprise Yandex affirme qu’elle interdit strictement la publicité politique.
En parallèle, les autorités russes font de plus en plus pression sur les entreprises de technologie étrangères dont les services sont populaires auprès des internautes russes, comme Apple, Google et Mozilla, afin qu’elles suppriment les VPN et autres contenus que le gouvernement juge subversifs, en les menaçant d’amendes et de blocage. Les autorités font pression sur les fournisseurs d’hébergement et les services de réseau de diffusion de contenu étrangers, tels que Cloudflare, l’un des réseaux de diffusion de contenu populaires en Russie, pour qu’ils se conforment à la législation en vigueur sous peine d’être confrontés à des ralentissements et à des blocages. En mai 2025, l’entreprise Cloudflare a indiqué à Human Rights Watch qu’elle n’est généralement pas en mesure d’identifier ou de confirmer des blocages ordonnés par le gouvernement, et qu’elle n’a jamais bloqué de sites web à la demande du gouvernement.
En décembre 2024, Apple, Amazon Web Services (AWS) et Mozilla ont répondu à des questions posées par Human Rights Watch. Apple a déclaré à Human Rights Watch que le respect des « ordres légaux » de la Russie était nécessaire « pour continuer à fournir des services de communication à la population russe ». AWS a répondu que l’entreprise « se conforme aux lois sur les sanctions applicables dans les territoires où elle exerce ses activités et qu’elle dispose de politiques et de procédures pour garantir la conformité ». La société a également confirmé qu’elle n’avait pas de bureaux ou d’infrastructures en Russie et que, depuis mars 2022, elle n’autorisait plus de nouveaux abonnements à ses services pour les personnes basées en Russie et en Biélorussie. Mozilla a souligné son engagement à soutenir les internautes en Russie et dans le monde, en plaidant pour un Internet ouvert et accessible à tous.
Le 8 juillet, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un arrêt concluant que la Russie avait violé la liberté d’expression et le droit à un procès équitable en infligeant des amendes et d’autres sanctions à Google entre 2021 et 2023, au motif que la société avait refusé de retirer des vidéos à caractère politique et d’autres contenus de YouTube à la demande des autorités russes.
La censure croissante en ligne est menée à l’aide d’un type de dispositifs appelés « moyens technologiques pour contrer les menaces » (ТСПУ ou TSPU). Ces dispositifs sont installés sur pratiquement tous les réseaux des fournisseurs d’accès Internet (FAI) du pays conformément aux exigences énoncées dans la loi dite sur « l’Internet souverain » et ses règlements, qui visent à créer un segment russe de l’Internet totalement isolé.
Les TSPU permettent également au gouvernement de procéder à des exercices d’« isolement d’Internet » et à des coupures régionales au motif de protéger la sécurité publique. Les autorités affirment que ces tests n’ont aucun impact pour les internautes moyens ; cependant, des utilisateurs ont signalé des perturbations d’Internet au cours de ces « exercices », telles que des échecs de transactions bancaires en ligne ou un accès perturbé aux sites web de l’État et aux applications de taxi.
Les autorités ont également exercé une plus grande mainmise sur Internet en Russie en prenant le contrôle de son architecture. Elles ont regroupé plus de la moitié des adresses IP russes pour en confier la gestion à sept fournisseurs d’accès Internet liés à l’État et ont diminué le nombre total de FAI. Le gouvernement a également créé un système national de noms de domaine, qui fonctionne comme un registre des adresses Internet, et des certificats de sécurité de la couche transport gouvernementaux, qui vérifient que le site web appartient à une entité de confiance et que le service est crypté.
Les zones de l’Ukraine occupées par la Russie avant et après l’invasion à grande échelle en février 2022 sont soumises à une censure en ligne et à des perturbations d’Internet similaires.
La Russie devrait mettre fin à toute censure de la liberté d’expression sur Internet protégée au niveau international et veiller à ce que toute restriction en ligne soit légale, nécessaire et proportionnée, ce qui exige qu’elle soit limitée dans sa portée et transparente. Les autorités devraient stopper leurs efforts pour regrouper et contrôler l’architecture d’Internet, qui entravent le droit de rechercher et de communiquer des informations et portent atteinte à la vie privée. Elles devraient mettre un terme aux coupures d’Internet et garantir la transparence concernant les ingérences du gouvernement dans l’Internet. Elles devraient également cesser de faire pression sur les entreprises de technologie étrangères et russes pour qu’elles divulguent les données de leurs utilisateurs et censurent les contenus de manière non conforme aux normes internationales.
Les entreprises de technologie étrangères et russes devraient résister à la pression de l’État concernant la censure des contenus et la divulgation des données de leurs utilisateurs en violation du droit international en employant tous les moyens légaux et les solutions technologiques disponibles. Elles devraient également veiller à ne pas se livrer à la censure.
Les gouvernements occidentaux ainsi que les organisations internationales et intergouvernementales devraient soutenir les efforts de la société civile pour créer des outils permettant de contourner la censure étatique afin de promouvoir l’accès à des sources d’information indépendantes et garantir la vie privée des utilisateurs en ligne.
« Les autorités russes ont mis en place un arsenal exhaustif constitué de politiques et de moyens technologiques visant à étendre leur censure et contrôle d’Internet, et qui ne sont généralement pas visibles par un internaute ordinaire », a conclu Anastasiia Kruope. « Ces mesures apparemment invisibles ont des conséquences dévastatrices pour l’accès à l’information, la vie privée et la liberté d’expression de chaque internaute en Russie. »
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Articles, TV
RFI La Croix Euronews
France24 (vidéo) Sur X
30.07.2025 à 05:00
Cameroun : Le principal candidat de l'opposition exclu de l’élection présidentielle
(Nairobi) – La décision prise par le Conseil électoral camerounais d'exclure Maurice Kamto, leader clé de l'opposition politique et adversaire de l’actuel président, Paul Biya, de l’élection présidentielle à venir soulève des inquiétudes quant à la crédibilité du processus électoral, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.
Le 26 juillet, le Conseil électoral du Cameroun (Elections Cameroon, ELECAM) a approuvé 13 des 83 candidats potentiels, dont Paul Biya, âgé de 92 ans et à la tête du pays depuis 1982. L’élection est prévue pour le 12 octobre. Les candidats exclus disposaient de 72 heures pour faire appel de cette décision auprès du Conseil constitutionnel.
« Le Conseil électoral du Cameroun a semé le doute sur l'élection avant même que les votants n'aient exprimé leur choix », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior au sein de la division Afrique à Human Rights Watch. « Exclure l'opposant le plus populaire du processus électoral jettera une ombre sur les résultats qui seront finalement annoncés. »
La décision d'exclure Maurice Kamto de la course à la présidence reflète l'intolérance de longue date du gouvernement à l'égard de toute opposition et de la dissidence, et intervient dans un contexte de répression accrue des opposants, des activistes et des avocats depuis le milieu de l'année 2024, alors que l’élection prévue plus tard cette année approche.
Le Conseil électoral a justifié sa décision d'exclure Maurice Kamto en expliquant que son parti, le Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (MANIDEM), soutenait également un autre candidat, Dieudonné Yebga.
Cependant, les avocats de Maurice Kamto et d'Anicet Ekane, le président du MANIDEM, ont déclaré que ce parti ne soutenait pas Dieudonné Yebga, et que la décision du Conseil était arbitraire et motivée par des considérations politiques. Le parti a tenté d'organiser une conférence de presse à son siège à Douala, la plus grande ville du Cameroun, mais les forces de sécurité l’en ont empêché.
Maurice Kamto, qui était auparavant le chef du parti d'opposition Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) et qui avait concouru contre Paul Biya lors des élections de 2018, a cherché à se présenter comme candidat du MANIDEM à l’élection prévue cette année, car le code électoral camerounais interdit aux partis sans représentants élus de présenter un candidat.
Les avocats de Maurice Kamto ont fait appel de la décision du Conseil électoral et ont déposé un recours auprès du Conseil constitutionnel le 28 juillet. Dieudonné Yebga a également annoncé qu'il ferait appel auprès du Conseil constitutionnel.
« La décision d’ELECAM n'a aucune base juridique et vise seulement à éliminer un candidat clé de l’élection, soutenant la stratégie de confiscation du pouvoir par le parti majoritaire », a déclaré Menkem Sother, l’un des avocats de Maurice Kamto, à Human Rights Watch.
Paul Biya en est à son septième mandat. Il a été réélu pour la dernière fois en 2018, après quoi Maurice Kamto a contesté les résultats officiels et s'est déclaré vainqueur de l'élection.
L'élection de Paul Biya en 2018 a déclenché une vague de répression politique. Après le scrutin, des manifestations menées par l'opposition ont éclaté dans tout le pays, et le gouvernement a réagi par une répression sévère, déployant la police, l'armée et les gendarmes qui ont fait un usage excessif de la force contre les manifestants. En janvier 2019, Maurice Kamto et plus de 200 de ses partisans ont été arrêtés et placés en détention. Maurice Kamto a été accusé d'insurrection, d'hostilité envers la patrie et d'association de malfaiteurs, entre autres chefs d'accusation. Il a été libéré le 5 octobre 2019 et les charges ont été abandonnées, mais la répression contre l'opposition s'est poursuivie.
Début septembre 2020, les autorités ont interdit les manifestations dans tout le Cameroun après que le MRC dirigé par Maurice Kamto a encouragé la population à protester contre la décision du gouvernement d'organiser des élections régionales en décembre de cette année. Les partis d'opposition avaient exprimé leurs inquiétudes quant au fait que les élections ne pourraient pas se dérouler librement et équitablement sans une réforme préalable du code électoral et sans avoir remédié à l’insécurité dans les régions anglophones minoritaires du pays, où des groupes séparatistes et les forces de sécurité se sont affrontés à plusieurs reprises.
Le 22 septembre 2020, les forces de sécurité camerounaises ont utilisé des gaz lacrymogènes et des canons à eau et ont arrêté plus de 550 personnes, principalement des membres et des sympathisants du MRC, pour disperser des manifestations pacifiques à travers le pays. Bon nombre des personnes arrêtées ont été passées à tabac et maltraitées. Si la plupart d'entre elles ont finalement été libérées, d'autres, dont Olivier Bibou Nissack et Alain Fogue Tedom, deux dirigeants du MRC, sont toujours derrière les barreaux après avoir été condamnés à sept ans de prison.
En décembre 2023, Maurice Kamto a annoncé la création de l'Alliance politique pour le changement (APC), une coalition d'opposition dirigée par Jean-Michel Nintcheu, membre du Parlement camerounais. En mars 2024, le ministre de l'Administration territoriale a toutefois interdit la coalition, la qualifiant d'« illégale » et de « clandestine ».
Le Cameroun est un État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et, à ce titre, est tenu de veiller à ce que chaque citoyen, sans discrimination fondée sur ses opinions politiques, ait la possibilité de participer et de voter lors d'élections véritablement libres. Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a estimé que « le droit à la liberté d'expression, de réunion et d'association est une condition essentielle à l'exercice effectif du droit de vote et doit être pleinement protégé ».
« La décision d'ELECAM réduit de facto le prochain scrutin à une simple formalité, enterre ce qui reste de la démocratie au Cameroun et fait craindre une recrudescence de la violence », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Le Conseil électoral devrait revenir sur sa décision, et permettre aux Camerounais de décider eux-mêmes de leur avenir. »
29.07.2025 à 01:00
Myanmar : L'Armée d'Arakan opprime les musulmans rohingyas
(Bangkok, 29 juillet 2025) – L'Armée d'Arakan, un groupe armé ethnique opérant dans l'État de Rakhine, dans l'ouest du Myanmar, a imposé de sévères restrictions à la population rohingya et commis de graves exactions, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Les gains territoriaux de l'Armée d'Arakan dans cet État s'accompagnent de restrictions de mouvement, de pillages, de détentions arbitraires, de mauvais traitements, de travail forcé et de recrutement illégal, entre autres exactions contre les Rohingyas. En outre, l'armée du Myanmar soumet depuis longtemps les Rohingyas à des atrocités criminelles, notamment le crime contre l'humanité d'apartheid.
« L'Armée d'Arakan mène contre les Rohingyas une politique d'oppression similaire à celle imposée depuis longtemps par l'armée du Myanmar dans l'État de Rakhine », a déclaré Elaine Pearson, directrice de la division Asie à Human Rights Watch. « L'Armée d'Arakan devrait mettre fin à ses pratiques abusives et discriminatoires, et respecter le droit international. »
L'Armée d'Arakan s'était engagée à instaurer une gouvernance inclusive et équitable dans les zones reprises à la junte militaire birmane, après la reprise des combats en novembre 2023. Cependant, les Rohingyas décrivent la vie sous l'Armée d'Arakan et son aile politique, la Ligue unie d'Arakan, comme dure et restrictive, avec des réglementations et des pratiques discriminatoires.
Entre avril et juillet 2025, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 12 réfugiés rohingyas qui avaient fui le canton de Buthidaung, dans le nord de l'État de Rakhine, et cherché refuge au Bangladesh.
« La vie sous le contrôle de l'Armée d'Arakan était incroyablement restrictive », a déclaré un réfugié rohingya de 62 ans arrivé au Bangladesh en juin. « Nous n'avions pas le droit de travailler, de pêcher, de cultiver la terre, ni même de nous déplacer sans autorisation. Nous étions confrontés à d'extrêmes pénuries alimentaires, la plupart des gens mendiant les uns auprès des autres. »
Les Rohingyas de l'État de Rakhine sont pris en étau entre les forces armées du Myanmar et l'Armée d'Arakan. Ces deux forces commettent de graves exactions, notamment des exécutions extrajudiciaires, des incendies criminels généralisés et des enrôlements illégaux de combattants. Depuis fin 2023, plus de 400 000 personnes ont été déplacées à l'intérieur des États de Rakhine et de Chin, et près de 200 000 personnes ont fui vers le Bangladesh.
Un autre Rohingya, également âgé de 62 ans, a déclaré avoir été déplacé avec sa femme et ses deux enfants à cinq reprises au cours de l'année écoulée. « La vie pendant cette période a été incroyablement difficile », a-t-il déclaré. « Les déplacements entre les villages étaient restreints, et nécessitaient des permis rarement accordés. »
Les villageois rohinygas ont indiqué que les permis pour se déplacer entre les villages de Buthidaung, valables une journée seulement, coûtaient entre 3 000 et 5 000 kyats (1,40 à 2,40 dollars US) et nécessitaient les signatures d’un administrateur musulman local, ainsi que de l'Armée d'Arakan ou de son aile politique. Ils ont ajouté que l'Armée d'Arakan avait instauré un couvre-feu dans la région. « S'ils trouvaient quelqu'un devant sa maison [après l’heure du couvre-feu], ils l'arrêtaient », a déclaré un homme. « Et après, on ignorait où il se trouvait. »
Les restrictions imposées par l'Armée d'Arakan aux moyens de subsistance et à l'agriculture, aggravées par l'extorsion et les prix exorbitants, ont aggravé les graves pénuries alimentaires et le blocus de l'aide humanitaire imposé par la junte, en vigueur depuis fin 2023. Certains Rohingyas ont déclaré survivre en mendiant auprès de familles recevant de l'argent de proches à l'étranger. D'autres travaillaient comme journaliers pour un salaire dérisoire, qui parfois n’était même pas payé.
« Nous avons dû lutter pour survivre », a déclaré un autre Rohingya âgé d'une soixantaine d'années, arrivé au Bangladesh en mai dernier. « Je travaillais comme ouvrier, acceptant n'importe quel travail proposé par l'Armée d'Arakan... Au début, ils nous payaient la moitié [du salaire journalier précédent], mais plus tard, ils ont complètement cessé de nous payer. »
Des villageois rohingyas ont déclaré que l'Armée d'Arakan avait confisqué des terres agricoles, des maisons, du bétail, des prises de pêche, du bois de chauffage et même des terrains de cimetières. Deux hommes originaires de Kin Taung, dans le canton de Buthidaung, ont déclaré que l'Armée d'Arakan avait démoli leur cimetière en mai, leur ordonnant d'utiliser les rizières pour des enterrements.
L'Armée du Salut des Rohingyas d'Arakan (Arakan Rohingya Salvation Army, ARSA) et d'autres groupes armés rohingyas, après avoir combattu aux côtés de l'armée du Myanmar en 2024, déploient à nouveau des combattants dans des affrontements contre l'Armée d'Arakan dans le nord de l'État de Rakhine. Les combats, ainsi que le recrutement forcé de villageois rohingyas par l'Armée d'Arakan, ont exacerbé les tensions communautaires entre les Rohingyas, majoritairement musulmans, et les Rakhines bouddhistes.
Trois Rohingyas ont déclaré avoir fui pour protéger leurs fils, dont des adolescents, contre le risque de recrutement forcé par l'Armée d'Arakan. Un réfugié rohingya de 57 ans est arrivé au Bangladesh avec sa famille en juin, après que l'Armée d'Arakan a commencé à rechercher son fils âgé de 17 ans. « J'ai dû le cacher dans différents villages pendant deux mois », a-t-il déclaré.
L'un des hommes âgés de 62 ans a déclaré que son fils avait été sélectionné pour être recruté par l'administrateur du village de Kin Taung en avril. « Je vivais dans la peur constante alors qu'ils essayaient de le forcer à s'engager », a-t-il déclaré. « Ils ciblent les enfants issus de familles pauvres. Mon fils était terrifié à l'idée d'être recruté et a fui le village il y a 45 jours. Il est porté disparu depuis. »
L'Armée d'Arakan a arrêté cet homme lorsqu’ils n’ont pas pu retrouver son fils, et l'a détenu pendant 35 jours, avec deux autres personnes. « Ils me battaient constamment », a-t-il déclaré. « Je n'ai été libéré qu'après avoir promis de leur amener mon fils. » Lorsqu'il a préféré se cacher par la suite, l'Armée d'Arakan a incendié sa maison familiale. Il a déclaré n'avoir eu d'autre choix que de fuir vers le Bangladesh.
L'Armée d'Arakan a gravement maltraité les Rohingyas qu'elle soupçonne de collaborer avec l'ARSA ou avec l'armée birmane. En décembre 2024, elle a arrêté un Rohingya âgé de 35 ans dans le village de Keya Zinga Para. « Ils m'ont accusé de travailler pour l'armée [du Myanmar] et de recevoir une formation militaire, ce qui n'était pas le cas », a-t-il déclaré. « J'ai été emmené à Buthidaung, au poste de police du quartier 3. Ils me battaient souvent et violemment, avec des bâtons de bambou. J'ai encore du mal à marcher. »
Un Rohingya de 19 ans a passé cinq mois dans l'Armée d'Arakan après avoir été enlevé du village de Nga Yat Chaung en mai 2024 pour y être soumis à du travail forcé illégal. Il a expliqué que les Rohingyas étaient souvent envoyés au front comme « boucliers humains ». « Si quelqu'un résistait, les [combattants de l’Armée d’Arakan] le frappaient, et se moquaient de lui », a-t-il déclaré. « Nous avons demandé à être traités sur un pied d'égalité. Ils ont dit qu'ils nous traiteraient comme le faisaient les Birmans [majorité ethnique], nous traitant de “kalars” [terme insultant envers les musulmans] bengalis. »
Le droit international humanitaire applicable, notamment l'article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et le droit international coutumier, interdisent la torture et autres mauvais traitements infligés aux détenus, le pillage, le recrutement d'enfants (personnes âgées de moins de 18 ans) et le travail forcé dangereux, entre autres abus.
L'Armée d'Arakan ainsi que les groupes armés rohingyas collaborent avec des réseaux de passeurs, profitant de l'exode vers le Bangladesh. Les Rohingyas ont déclaré avoir payé entre 800 000 et 1,25 million de kyats (380 à 595 dollars US) par personne pour le voyage.
Le Bangladesh a enregistré 120 000 nouveaux arrivants dans les camps depuis mai 2024 ; des dizaines de milliers d'autres personnes ne sont toujours pas enregistrées. Les nouveaux arrivants ont déclaré ne bénéficier d'aucune aide ni d'aucun soutien officiels. Les autorités bangladaises affirment que le rapatriement des Rohingyas vers le Myanmar est la seule solution à cette crise. Les Nations Unies et les gouvernements concernés devraient toutefois souligner que les conditions d'un retour sûr, durable et digne vers le Myanmar ne sont pas actuellement réunies.
« Les donateurs et les gouvernements influents devraient redoubler d'efforts pour protéger le peuple rohingya, notamment son droit à la sécurité et à la liberté, que ce soit au Myanmar ou au Bangladesh », a affirmé Elaine Pearson. « Ils devraient aussi faire pression sur l'Armée d'Arakan pour qu'elle respecte les droits de toutes les communautés dans l'État de Rakhine. »
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28.07.2025 à 06:01
Venezuela : La persécution politique continue, un an après l’élection présidentielle
(Washington) – Un an après l'élection présidentielle, les autorités vénézuéliennes commettent des exactions généralisées contre leurs détracteurs, notamment par le biais d'arrestations basées sur des motifs politiques, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Quelques heures après la fermeture des bureaux de vote le 28 juillet 2024, le Conseil national électoral (Consejo Nacional Electoral, CNE) avait annoncé la réélection de Nicolás Maduro. Toutefois, des observateurs internationaux avaient alors critiqué le processus en raison de son manque de transparence et d'intégrité, et remis en question les résultats annoncés. À ce jour, les autorités vénézuéliennes n'ont toujours pas publié le décompte officiel des voix, tandis que les décomptes publiés par l'opposition indiquaient une victoire du candidat de l'opposition, Edmundo González. Depuis l’élection, les autorités vénézuéliennes ont exercé une répression brutale, marquée par des meurtres, des disparitions forcées, des arrestations arbitraires et des actes de torture. Au 21 juillet, 853 prisonniers politiques se trouvaient toujours derrière les barreaux, selon l'organisation de défense des droits humains Foro Penal.
« Les autorités vénézuéliennes commettent systématiquement des violations des droits humains à l’encontre de personnes qui les critiquent », a déclaré Juanita Goebertus, directrice de la division Amériques à Human Rights Watch. « Les récentes libérations de personnes détenues arbitrairement ne masquent pas le fait que des centaines d’autres prisonniers politiques restent derrière les barreaux. »
Suite à l'annonce de la réélection de Nicolás Maduro, des milliers de Vénézuéliens étaient descendus dans la rue, principalement dans des quartiers pauvres. En réponse, le gouvernement avait lancé son « Opération Toc Toc » (« Operación Tun Tun »), une campagne d'intimidation, de harcèlement et de répression à l’échelle nationale.
Human Rights Watch a documenté des meurtres de manifestants et l'arrestation de centaines d'opposants politiques, de défenseurs des droits humains et de détracteurs du gouvernement, dont des ressortissants étrangers. De nombreuses personnes ont été inculpées de crimes comme « incitation à la haine » et « terrorisme », définis de manière vague et passibles de peines pouvant aller jusqu'à 30 ans de prison. Plusieurs personnes ayant mené des actions protégées par le droit international relatif aux droits humains – comme manifester, critiquer le gouvernement ou participer à des activités de l'opposition – ont été détenus arbitrairement, et soumises à des procédures judiciaires entachées de graves irrégularités.
Des autorités vénézuéliennes ont fréquemment nié avoir procédé à des arrestations ou à des disparitions forcées, caractérisées selon le droit international par le refus de divulguer des informations au sujet d’une personne détenue, y compris le lieu de sa détention. Des familles ont été contraintes de rechercher leurs proches dans des centres de détention et des morgues pendant des jours, voire des semaines. De nombreux détenus ont été placés à l’isolement, certains depuis le jour de leur arrestation ; ils ont été privés de la possibilité de recevoir la visite de leurs proches ou de leur avocat, ou de consulter les dossiers juridiques les concernant. Nombre d'entre eux ont été inculpés lors d'audiences virtuelles et collectives, ce qui a encore davantage porté atteinte à leur droit à une procédure régulière.
Certains détenus ont été détenus au secret pendant des mois. Parmi eux figurent Freddy Superlano, coordinateur national du parti d'opposition Voluntad Popular ; Perkins Rocha, coordinateur juridique du parti d'opposition Vente Venezuela ; Jesús Armas, membre de l'équipe de campagne de l'opposant Edmundo González ; Enrique Márquez, candidat à l’élection présidentielle de 2024 ; et Eduardo Torres, avocat auprès du Programme vénézuélien d’éducation et d’action en matière de droits humains (Programa Venezolano de Educación Acción en Derechos Humanos, PROVEA).
Certains détenus ont été soumis à des mauvais traitements et à la torture, notamment des coups, des décharges électriques, l'usage asphyxiant de sacs plastiques, l'isolement cellulaire et la détention dans des cellules disciplinaires exiguës, sombres et surpeuplées.
Le Bureau du Procureur général affirme avoir libéré des centaines de détenus, bien que nombre d'entre eux fassent toujours l'objet d'une enquête criminelle. De nombreux individus ont été contraints de signer des documents leur interdisant de divulguer des informations sur leur arrestation ou les poursuites judiciaires engagées contre eux. Certains ont été contraints de participer à l’enregistrement de vidéos dans lesquelles ils affirmaient que leurs droits avaient été respectés pendant leur détention.
Le 18 juillet, les autorités vénézuéliennes ont annoncé la libération de 80 personnes. Elles ont également libéré 10 citoyens et résidents permanents américains, en échange de la libération de 252 migrants vénézuéliens que le gouvernement américain avait expulsés vers le Salvador ; ils y étaient détenus au secret au Centre de confinement du terrorisme (Centro de Confinamiento del Terrorismo, CECOT), une immense prison de triste notoriété.
Selon le parti Vente Venezuela, une quarantaine d'autres détracteurs du gouvernement ont été arrêtés depuis les récentes libérations. Certains ont été ensuite remis en liberté.
« Depuis des années, le gouvernement Maduro pratique le système de la “porte tournante”, libérant certaines personnes qui étaient détenues arbitrairement, tout en en arrêtant d'autres individus », a observé Juanita Goebertus. « Les gouvernements étrangers, y compris les États-Unis, devraient se rendre compte qu'ils sont manipulés par un gouvernement qui libère des prisonniers politiques tout en en détenant d'autres, consolidant ainsi son régime autoritaire. »
Les gouvernements étrangers devraient dénoncer la politique de la carotte et du bâton employée par le président Maduro, selon Human Rights Watch. Ce système récompense les autorités et les forces de sécurité responsables d’abus, renforçant ainsi leur loyauté envers le gouvernement, tout en punissant, torturant ou poussant à l'exil des opposants, des détracteurs et même des membres des forces de sécurité qui soutiennent la démocratie et les droits humains.
Les gouvernements étrangers devraient soutenir pleinement les efforts visant la reddition de comptes pour les violations des droits humains au Venezuela, et faire pression sur les autres gouvernements ou acteurs économiques qui contribuent à cette répression. Ils devraient aussi accroître le soutien à la société civile, aux journalistes indépendants et à tous ceux qui œuvrent pour la défense de la démocratie et des droits humains au Venezuela, et étendre d'urgence les protections pour toutes les personnes contraintes de quitter ce pays.
La communauté internationale devrait saisir toutes les occasions de faire pression pour aboutir à des progrès significatifs en matière de droits humains au Venezuela. Cela implique de s'appuyer sur les forums régionaux et internationaux, comme le prochain sommet Union européenne -Communauté des États latino-américains et caribéens (Comunidad de Estados Latinoamericanos y Caribeños, CELAC) qui se tiendra en Colombie en novembre. Le Vatican devrait également saisir l'occasion de la canonisation de deux Vénézuéliens, prévue en octobre, pour réclamer la libération inconditionnelle de tous les prisonniers politiques dans ce pays.
« Un an après l’élection présidentielle de 2024, de nombreux Vénézuéliens continuent de risquer leur vie et leur liberté pour défendre la démocratie », a conclu Juanita Goebertus. « Les gouvernements qui dialoguent avec Nicolás Maduro ne devraient pas se contenter de libérations isolées de prisonniers : ils devraient exiger des améliorations substantielles et durables en matière de droits humains, afin de démanteler la machine de terreur d'État qui contrôle actuellement le Venezuela. »
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25.07.2025 à 06:00
Sahel : L'Union africaine nomme un envoyé spécial
(Nairobi) – La nomination par l'Union africaine (UA) du président du Burundi au poste d'envoyé spécial pour le Sahel renforce la capacité de l'UA à répondre aux enjeux les plus urgents en matière de droits humains au Mali, au Burkina Faso et au Niger, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch dans une lettre adressée au président Évariste Ndayishimiye.
La nomination d’Évariste Ndayishimiye le 17 juillet 2025 intervient à un moment critique pour le Sahel, marqué par une recrudescence des menaces contre les civils dans le cadre de conflits armés, l'autoritarisme croissant des juntes militaires et la marginalisation grandissante d'institutions indépendantes, notamment l'UA et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Ces dynamiques ont érodé l'état de droit, renforcé l'impunité pour les violations graves des droits humains et rendu les civils de plus en plus vulnérables.
« Malgré le bilan très préoccupant du Burundi en matière de droits humains, le président Ndayishimiye a désormais l'opportunité de promouvoir les droits humains ainsi qu'une gouvernance fondée sur les droits dans la région du Sahel », a déclaré Allan Ngari, directeur du plaidoyer pour l'Afrique à Human Rights Watch. « Ne pas le faire reviendrait à tolérer dangereusement l'autoritarisme sous couvert de diplomatie. »
Évariste Ndayishimiye devrait mettre l'accent sur le respect des droits humains et de l'État de droit dans l'approche de l'UA vis-à-vis du Sahel et répondre aux préoccupations majeures suivantes :
Les groupes armés islamistes et les forces de sécurité gouvernementales continuent de commettre de graves violations du droit international humanitaire, y compris des crimes de guerre et de potentiels crimes contre l'humanité. À la mi-2025, les conflits armés au Sahel avaient causé la mort d'au moins plusieurs dizaines de milliers de civils, provoquant l'une des crises humanitaires les plus graves au monde et contraignant plus de trois millions de personnes à quitter leur foyer.
Depuis 2020, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont connu des coups d'État militaires. Les juntes militaires au pouvoir ont fait preuve d'intolérance vis-à-vis de l'opposition politique et de la dissidence. L'espace civique et politique s'est réduit à mesure que la répression contre les journalistes, les militants de la société civile et les membres des partis d'opposition s'est intensifiée, notamment par le biais de détentions arbitraires, de disparitions forcées et de conscriptions illégales. Les dirigeants militaires des trois pays ont consolidé leur pouvoir sans élections, retardant ainsi le retour à un régime civil démocratique.
Les autorités du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont ignoré les appels à la reddition des comptes et n'ont pas respecté leurs obligations légales internationales d'enquêter sur les violations graves des droits humains commises par leurs forces de sécurité et de traduire les responsables en justice, laissant ainsi l'impunité s'installer et encourageant les auteurs de ces violations. En 2025, les trois pays ont officiellement quitté la CEDEAO, privant ainsi leurs citoyens de la possibilité de demander justice pour des violations des droits humains devant la Cour de justice de la CEDEAO.
« L'envoyé spécial de l'UA devrait engager un dialogue constructif avec les autorités du Mali, du Burkina Faso et du Niger sur les obligations de leurs gouvernements respectifs en matière de protection des droits humains », a conclu Allan Ngari. « Il devrait veiller à ce que la stratégie de l'UA pour le Sahel donne la priorité à la protection des civils en danger, au respect des droits civils et politiques, ainsi qu'à la promotion de la justice et de la reddition des comptes. »
24.07.2025 à 23:00
La CIJ qualifie la lutte contre la crise climatique d’obligation juridique internationale
Le 23 juillet, la Cour internationale de Justice (CIJ) a publié de manière unanime un avis consultatif qualifiant le changement climatique de « problème existentiel d'ampleur planétaire qui met en péril toutes les formes de vie et la santé même de notre planète ».
Cet avis consultatif, intitulé « Obligations des États en matière de changement climatique », était attendu depuis longtemps et constitue un important pas en avant. Il a été publié après une campagne menée sans relâche pendant cinq années par de jeunes activistes écologiques – notamment les Étudiants des îles du Pacifique luttant contre le changement climatique (Pacific Islands Students Fighting Climate Change, PISFCC) et la Jeunesse mondiale pour la justice climatique (World’s Youth for Climate Justice, WY4CJ) – parallèlement aux efforts diplomatiques menés par le Vanuatu. En 2022, Human Rights Watch avait rejoint 220 autres organisations de la société civile appelant les États à soutenir la demande d'avis consultatif présentée par le Vanuatu à l'Assemblée générale des Nations Unies ; en mars 2023, celle-ci a adopté une résolution appelant la CIJ à émettre un tel avis consultatif.
La Cour a examiné les arguments juridiques de près de 100 pays et organisations internationales avant de répondre aux deux questions posées par l'Assemblée générale : (a) quelles sont les obligations des États en matière de changement climatique, en vertu du droit international, et (b) quelles sont les conséquences juridiques lorsque ces obligations sont violées et causent des dommages aux personnes et aux États ?
La Cour a conclu que les impacts du changement climatique sur les droits humains nécessitent « des mesures d’atténuation et d’adaptation, compte dûment tenu de la protection des droits de l’homme, [de] l’adoption de normes et de lois, et [de] la réglementation des activités des acteurs privés ».
La Cour a observé que « [le] fait pour un État de ne pas prendre les mesures appropriées pour protéger le système climatique contre les émissions de GES [gaz à effet de serre], notamment en produisant ou en utilisant des combustibles fossiles ou en octroyant des permis d’exploration ou des subventions pour les combustibles fossiles » pourrait constituer une violation du droit international. Human Rights Watch a documenté la manière dont la production de combustibles fossiles porte atteinte aux droits des communautés riveraines de ces infrastructures.
La Cour a également reconnu que « les changements climatiques pourraient créer des conditions susceptibles de mettre en danger la vie d’individus qui pourraient devoir chercher refuge dans un autre pays, ou se trouver empêchés de retourner dans le leur » ; la CIJ a exhorté les pays à éviter de renvoyer des personnes dans leur pays d'origine, dans de telles circonstances.
La Cour a ajouté que le manquement au devoir de protéger le système climatique entraîne des conséquences juridiques : cela « peut signifier que l’État est tenu d’annuler toutes les mesures » contribuant aux dommages climatiques.
Les États devraient désormais réviser leurs engagements nationaux en matière d'émissions de gaz à effet de serre, afin de se maintenir collectivement sous la limite de 1,5 °C de réchauffement supplémentaire fixée par l'Accord de Paris. Human Rights Watch poursuivra ses actions de plaidoyer, afin que les pays s’engagent à mettre en œuvre des plans climatiques ambitieux, et à éliminent progressivement le recours aux combustibles fossiles.
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24.07.2025 à 18:43
Ukraine : Une nouvelle loi sape l’indépendance des organismes anti-corruption
(Kiev, 24 juillet 2025) – Une nouvelle loi adoptée le 22 juillet par le Parlement ukrainien (« Verkhovna Rada », ou Conseil suprême) prive de facto les principaux organes anti-corruption de leur indépendance et porte atteinte à l'état de droit dans ce pays, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Le Parlement devrait abroger ces amendements, engager une véritable consultation avec la société civile ukrainienne et garantir que les organes essentiels de lutte contre la corruption puissent poursuivre leur travail en toute indépendance et sans ingérence. Ces modifications législatives pourraient également avoir un impact sur les efforts de l'Ukraine en vue de son adhésion à l'Union européenne, pour lesquels les réformes relatives à l'état de droit sont une condition essentielle.
« Saper l'indépendance des organes anti-corruption, surtout lors de la guerre brutale menée par la Russie contre l'Ukraine, risque d'affaiblir les fondements démocratiques de ce pays et de diminuer les chances de sa future intégration dans l’Union européenne », a déclaré Rachel Denber, directrice adjointe de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « Le Parlement devrait immédiatement abroger ces amendements afin de protéger l'état de droit et les droits humains, qui sont essentiels au redressement de l'Ukraine et à la voie vers la justice. »
Le projet de loi n° 12414 a été initialement présenté par un groupe de parlementaires du parti au pouvoir, Serviteur du Peuple, afin de traiter les cas de personnes disparues dans les zones proches de la ligne de front. Le projet a été adopté en première lecture en janvier. Cependant, le 22 juillet, des amendements troublants concernant les organismes ukrainiens de lutte contre la corruption y ont été introduits de manière inattendue.
Plus tard durant cette journée, le Comité parlementaire sur les forces de l'ordre a recommandé le vote du projet de loi, qui a été adopté par 263 voix pour, et 13 contre. Malgré les nombreux appels de la société civile et de certains responsables politiques qui souhaitaient que le président Volodymyr Zelensky y oppose son veto, il a promulguée cette loi le même jour.
Les nouvelles modifications législatives limitent considérablement les pouvoirs du Bureau national de lutte contre la corruption (Natsionalne Antykoruptsiine Biuro Ukrainy, NABU) et du Bureau du procureur spécialisé dans la lutte contre la corruption (Specializovana antykorupcijna prokuratura, SAPO), deux organismes clés créés pour enquêter sur la corruption de haut niveau, en élargissant considérablement l'autorité du procureur général sur leurs enquêtes.
Ces amendements permettent au procureur général de réaffecter des dossiers du NABU à d'autres organes s'il juge leur enquête préliminaire inefficace ou si des « circonstances objectives » rendent le fonctionnement du NABU impossible sous la loi martiale. Auparavant, le Code de procédure pénale ukrainien interdisait le transfert d'affaires relevant de la compétence du NABU à d'autres organismes chargés de l'application des lois. Cette nouvelle disposition crée une faille importante permettant de soustraire entièrement des affaires politiquement sensibles à la compétence du NABU, ont déclaré des organisations ukrainiennes à Human Rights Watch. La nouvelle loi habilite également le procureur général à demander des documents d'enquête préliminaire à tout procureur du SAPO et à les transférer à un procureur externe. Elle retire également au chef de l'agence le pouvoir d'inculper de hauts fonctionnaires pour corruption, faisant du procureur général le seul organe doté de cette autorité.
Enfin, le procureur général peut désormais donner des instructions directes aux procureurs anticorruption de l'Agence spécialisée anticorruption, remplaçant ainsi le système précédent où ces procureurs étaient uniquement subordonnés à la direction de l'agence.
La rapidité et la rapidité avec lesquelles les amendements ont été présentés et adoptés – modifiant totalement l'objectif initial du projet de loi – ont suscité de nombreuses critiques au sein de la société civile ukrainienne. Un activiste l'a décrit à HRW comme un « coup de poignard dans le dos ». D'autres ont critiqué l'impact global de la nouvelle législation sur la lutte contre la corruption.
Volodymyr Yavorsky, avocat spécialisé dans les droits humains et directeur de programme du Centre ukrainien pour les libertés civiles, a déclaré que la nouvelle loi « détruit la réforme du parquet et l'indépendance des procureurs, en particulier du NABU et du SAPO ».
« Désormais, toute enquête contre des hauts fonctionnaires n'est possible qu'avec l'autorisation écrite du procureur général, qui est une personnalité politiquement totalement dépendante du président », a-t-il expliqué. « De plus, les motifs de perquisition sans décision de justice ont été considérablement élargis. Tout cela est contraire à la pratique de la Cour européenne des droits de l'homme et aux normes de l'UE. »
La prévention et la lutte contre la corruption constituent une priorité absolue du programme de réformes UE-Ukraine depuis les manifestations d'EuroMaïdan. En tant que pays candidat à l'adhésion à l'UE, l'Ukraine est tenue de se conformer aux normes européennes en matière d'État de droit et de respecter de nombreuses obligations liées au renforcement de l'indépendance et de l'efficacité de ses institutions de lutte contre la corruption. La lutte contre la corruption était l'un des principes fondamentaux de l'accord d'association UE-Ukraine, signé en 2014.
Les 22 et 23 juillet, des milliers de personnes à travers l'Ukraine, dont de nombreux adolescents et jeunes adultes, ont manifesté contre ce qu'ils considèrent comme une attaque contre la lutte contre la corruption et un recul du processus démocratique ukrainien. Il s'agissait des premières manifestations antigouvernementales de grande ampleur en Ukraine depuis le début de l'invasion russe, avec des manifestations à Kiev, Odessa, Lviv et plusieurs autres villes.
La création du Bureau de lutte contre la corruption et la mise en place d'institutions anticorruption véritablement indépendantes étaient une exigence fondamentale de l'Union européenne pour que l'Ukraine progresse dans son projet d’adhésion à l'UE. L'unité spécialisée du parquet est chargée de veiller au respect de la législation par le Bureau de lutte contre la corruption lors des enquêtes, et ses procureurs représentent les affaires instruites par le NABU devant les tribunaux. Les responsables des deux organismes sont sélectionnés indépendamment par voie de concours.
L'adoption de la loi a été précédée en juillet par des dizaines de perquisitions d'employés du NABU, menées par des agents du Bureau du Procureur général, des Services de sécurité ukrainiens et du Bureau d'enquête d'État. Ces perquisitions auraient été menées sans mandat judiciaire et en violation de multiples procédures régulières. Les autorités ont ouvert des enquêtes contre plusieurs employés du NABU, soupçonnés de divers crimes et délits, allant de la « coopération avec l'État agresseur » et de la trahison à des accidents de la route survenus en 2021 et 2023.
Mi-juillet, les autorités ont ouvert une procédure pénale contre Vitaliy Shabunin, un éminent activiste anti-corruption qui a joué un rôle clé dans la révélation des allégations de corruption gouvernementale dans le domaine de l'approvisionnement en armes. La directrice exécutive du Centre d'action anti-corruption (AntAC), cofondé par Shabunin, estime que les autorités ont agi contre Shabunin parce qu’AntAC a tendance à « tester les lignes rouges » en Ukraine.
« Le bureau présidentiel désapprouve clairement nos révélations sur la corruption et les initiatives gouvernementales néfastes », a déclaré Daria Kaleniuk, directrice exécutive d’AntAC. « Nous considérons [l’action judiciaire contre Shabunin] comme une tentative d’entraver notre travail. »
Plusieurs responsables politiques, blogueurs politiques respectés et journalistes ont exprimé de profondes inquiétudes face à ces développements, reflétant un sentiment apparemment plus large au sein de la société civile et de l'armée.
Un éminent activiste et blogueur ukrainien a qualifié la nouvelle législation d'« acte de subversion interne en temps de guerre » ; cette loi « démoralise considérablement la population et crée un terrain propice à la discorde et à la confrontation internes … [et] sape la confiance dans les institutions de l'État ».
Les partenaires internationaux de l'Ukraine ont également exprimé leurs inquiétudes concernant la nouvelle législation ukrainienne. La Commissaire européenne à l'Élargissement, Marta Kos, a qualifié le vote parlementaire du 22 juillet de « sérieux recul », soulignant que de tels organismes indépendants sont « essentiels à l'adhésion de l'Ukraine à l'UE » et insistant sur le fait que « l'état de droit demeure au cœur des négociations d'adhésion à l'UE ».
Un porte-parole de la Commission européenne a déclaré : « L'UE fournit une aide financière importante à l'Ukraine, qui dépend des progrès en matière de transparence, de réforme judiciaire et de gouvernance démocratique. »
Le directeur de la division anticorruption de la direction des affaires financières et des entreprises de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a déclaré, dans une lettre adressée au cabinet du président Zelensky, que la nouvelle législation compromet considérablement l'indépendance des organismes ukrainiens spécialisés dans la lutte contre la corruption, menace l'adhésion de l'Ukraine à l'OCDE et « porte atteinte à sa crédibilité auprès des partenaires internationaux, en particulier ceux qui envisagent d'investir dans le secteur de la défense et la reconstruction à long terme de l'Ukraine ».
« Priver les organismes de lutte contre la corruption de leur indépendance menace l'état de droit en Ukraine », a conclu Rachel Denber. « Les autorités devraient abroger ces amendements et respecter les normes de protection des droits humains. »
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24.07.2025 à 18:41
République centrafricaine : La CPI condamne deux leaders anti-balaka
(Genève) – La condamnation par la Cour pénale internationale (CPI) de deux chefs de milices anti-balaka pour des crimes graves commis en République centrafricaine est une étape importante pour la justice dans le pays, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Le 24 juillet 2025, les juges de la CPI ont reconnu Alfred Yékatom coupable de chefs d’accusation impliquant 20 crimes de guerre et crimes contre l’humanité, et Patrice-Édouard Ngaïssona coupable de chefs d’accusation impliquant 28 crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en République centrafricaine entre décembre 2013 et août 2014. Les juges ont condamné Alfred Yékatom à 15 ans de prison et Patrice-Édouard Ngaïssona à 12 ans de prison.
« Ce premier jugement tant attendu de la CPI pour les crimes graves perpétrés en République centrafricaine depuis 2012 constitue une mesure de justice importante pour les victimes des abus commis par les anti-balaka », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Mais ce verdict souligne également qu’il reste beaucoup à faire, et que la CPI et les tribunaux de la République centrafricaine devraient s’employer à résoudre le manque de responsabilisation qui perdure pour les crimes graves dans le pays. »
Les chefs d’accusation pour lesquels Alfred Yékatom et Patrice-Édouard Ngaïssona ont été condamnés comprennent le meurtre, le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile, le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments consacrés à la religion, la déportation ou le transfert forcé et le déplacement de la population civile, ainsi que la persécution. Les deux chefs anti-balaka ont été acquittés de certains chefs d’accusation, notamment d’enrôlement d’enfants soldats pour Alfred Yékatom et de viol pour Patrice-Édouard Ngaïssona.
Après que les leaders de la Séléka majoritairement musulmane ont évincé le président de l’époque François Bozizé en 2013, des milices appelées « anti-balaka » se sont livrées à des attaques de représailles contre la Séléka. Au cours des combats, les anti-balaka ont pris pour cible des civils musulmans, qu’ils percevaient comme des soutiens de leurs ennemis.
Human Rights Watch a documenté les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par les forces de la Séléka et des anti-balaka depuis 2013. Certains des abus les plus flagrants ont été perpétrés dans les régions centrales de la République centrafricaine entre la fin de l’année 2014 et avril 2017. Human Rights Watch a documenté des centaines de cas de viol et d’esclavage sexuel imputés aux groupes anti-balaka et aux combattants des factions de la Séléka.
Alfred Yékatom, connu sous le nom de « Rombhot », était caporal-chef de l’armée nationale avant le conflit et s’est auto-promu au rang de « colonel » lorsqu’il est devenu un des principaux chefs de file anti-balaka en 2013. Patrice-Édouard Ngaïssona, ancien ministre des Sports, était un coordinateur politique autoproclamé des anti-balaka et a par la suite occupé un poste de direction au sein de la Confédération africaine de football. Human Rights Watch a interviewé Patrice-Édouard Ngaïssona lors d’un entretien filmé le 3 septembre 2014, au cours duquel il n’a pas contesté la responsabilité des anti-balaka dans certains abus ou le fait qu’il était un leader du groupe.
La Cour devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que les communautés affectées en République centrafricaine soient informées du jugement et des prochaines étapes, y compris tout appel et toute procédure de réparation, a indiqué Human Rights Watch.
Alfred Yékatom et Patrice-Édouard Ngaïssona sont les premiers leaders anti-balaka à être condamnés par la CPI. Un autre commandant anti-balaka, Maxime Mokom, a été remis à la Cour en mars 2022, mais le procureur a retiré les charges portées à son encontre en octobre 2023, invoquant un manque de preuves et de témoins. Le procès d’un leader de la Séléka, Mahamat Said Abdel Kani, est en cours. En janvier 2019, la CPI a émis un mandat d’arrêt à l’encontre d’un autre chef de la Séléka, Noureddine Adam. Les scellés du mandat d’arrêt ont été levés en juillet 2022, et Noureddine Adam est toujours en liberté.
La CPI a ouvert l’enquête sur les crimes perpétrés en République centrafricaine depuis 2012 à la suite d’une demande du gouvernement de la République centrafricaine en 2014. Il s’agissait de la deuxième enquête de la CPI sur les crimes commis dans le pays. La première enquête portait sur un conflit antérieur, en 2002 et 2003, et a abouti à l’acquittement de Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président de la RD Congo. En décembre 2022, le procureur de la CPI a annoncé la fin des activités d’enquête de son bureau en République centrafricaine.
Les enquêtes de la CPI en République centrafricaine ont été complétées par des procédures devant la Cour pénale spéciale à Bangui, composée de juges et de procureurs internationaux et centrafricains. Cette Cour, créée pour mener des enquêtes et poursuivre les crimes internationaux graves commis en République centrafricaine depuis 2003, a commencé ses activités en 2018.
Elle a rendu des jugements dans trois procès et plusieurs enquêtes sont en cours. Le 7 juillet 2025, les juges de la Cour pénale spéciale ont renvoyé en jugement l’affaire contre trois leaders anti-balaka, dont Edmond Beïna, pour des crimes présumés commis à Guen, Gadzi et Djomo, dans la province de Mambéré-Kadéï, dans la région sud-ouest du pays, en février et mars 2014. Edmond Beïna est également recherché par la CPI ; le Bureau du procureur de la CPI et le gouvernement centrafricain se disputent actuellement la compétence pour le juger.
La condamnation d’Alfred Yékatom et de Patrice-Édouard Ngaïssona intervient alors que la CPI est soumise à une pression extrême de la part d’Israël et des États-Unis, après l’émission par la Cour de mandats d’arrêt à l’encontre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et de l’ancien ministre israélien de la Défense Yoav Gallant en novembre 2024 pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité à Gaza. Le 6 février 2025, le président des États-Unis Donald Trump a signé un décret autorisant le gel des avoirs des responsables de la CPI et d’autres personnes soutenant le travail de la Cour et l’interdiction de leur entrée sur le territoire américain.
« Le jugement contre Alfred Yékatom et Patrice-Édouard Ngaïssona est une étape importante, mais des milliers de victimes de crimes atroces en République centrafricaine attendent toujours que justice soit rendue », a conclu Lewis Mudge. « Les pays membres de la CPI et les partenaires internationaux devraient redoubler d’efforts pour soutenir la CPI et la Cour pénale spéciale afin de s’assurer que ces institutions disposent du soutien politique et des ressources dont elles ont besoin pour s’acquitter de leurs mandats essentiels. »
23.07.2025 à 20:47
Yémen : Les attaques des Houthis contre deux navires étaient manifestement des crimes de guerre
(Beyrouth, le 23 juillet 2025) – Les attaques menées par le groupe armé yémenite Houthi contre deux cargos commerciaux en mer Rouge entre le 6 et le 9 juillet ont violé les lois de la guerre et manifestement constitué des crimes de guerre, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les Houthis ont coulé les deux navires, tuant et blessant plusieurs membres d'équipage, et semblent détenir illégalement six membres d'équipage secourus.
Les Houthis, qui contrôlent la majeure partie du Yémen depuis 2015, ont tenté de justifier ces attaques en invoquant les hostilités avec Israël qui ont débuté en octobre 2023. Human Rights Watch n'a toutefois trouvé aucune preuve que les navires étaient des cibles militaires au regard des lois applicables aux conflits armés. De plus, aucun des deux navires n'avait de lien avec Israël ni ne se dirigeait vers ce pays. L'un des navires avait récemment acheminé de l'aide humanitaire en Somalie.
« Les Houthis ont cherché à justifier ces attaques illégales en invoquant les violations israéliennes contre les Palestiniens », a déclaré Niku Jafarnia, chercheuse sur le Yémen et Bahreïn à Human Rights Watch. « Les Houthis devraient cesser toutes leurs attaques contre les navires ne participant pas au conflit, et libérer immédiatement les membres d'équipage qu'ils détiennent. »
Le 6 juillet, les forces navales houthies ont attaqué le MV Magic Seas, un vraquier grec battant pavillon libérien, à environ 51 milles nautiques au sud-ouest du port de Hodeidah, contrôlé par les Houthis. Le lendemain, le site United Kingdom Maritime Trade Operations (UKMTO), un programme de signalement volontaire entre les navires marchands et les forces militaires opérant dans la région de la mer Rouge et de l'océan Indien, a signalé que plusieurs petites embarcations avaient tiré des grenades propulsées par roquettes sur le Magic Seas, provoquant un incendie à bord. Un navire marchand passant a secouru les 22 membres d'équipage du navire, qui avaient abandonné le navire. Le navire a coulé le lendemain.
Le 7 juillet, les forces navales houthies ont attaqué un navire commercial grec battant pavillon libérien, le MV Eternity C, juste à l'ouest de Hodeidah. L'UKMTO a indiqué qu'une petite embarcation déployant plusieurs grenades propulsées par roquettes avait tiré sur le navire juste à l'ouest de Hodeidah. Les Houthis ont confirmé leur emploi de drones et de six missiles de croisière et balistiques pour attaquer le navire. Les attaques se sont poursuivies le 8 juillet, et le navire a fini par couler le 9 juillet.
L'Eternity C comptait 25 membres d'équipage. Selon Reuters, quatre membres d'équipage pourraient avoir été tués. Le 10 juillet, l'opérateur grec du navire a indiqué que dix membres d'équipage avaient été secourus en mer. Sur les onze personnes portées disparues, six seraient détenues par les Houthis. Le porte-parole des Houthis, Yahya Saree, a affirmé que les forces houthistes avaient secouru plusieurs membres d'équipage, leur avaient prodigué des soins médicaux et les avaient transférés en lieu sûr. Cependant, il semble que les Houthis les détiennent toujours illégalement.
Les Houthis ont déclaré que les navires attaqués et leur compagnie d'exploitation avaient violé l'interdiction imposée par les Houthis de commercer avec les ports israéliens et avaient refusé de cesser les escales. Cependant, le Magic Seas faisait route vers la Turquie depuis la Chine et transportait des engrais et des billettes d'acier, tandis que l’Eternity C faisait route vers l'Arabie saoudite depuis la Somalie après avoir livré de l'aide humanitaire au Programme alimentaire mondial des Nations Unies. Les actions menées par les Houthis en mer Rouge ne remplissent les exigences requises pour un blocus naval qui pourrait être justifié légalement en vertu du droit international maritime, a déclaré Human Rights Watch.
Human Rights Watch a examiné des vidéos et des photos publiées par les Houthis sur les réseaux sociaux, montrant leurs forces attaquant et coulant les deux navires. Une vidéo comprend l'enregistrement audio d'une conversation, dont Human Rights Watch n'a pas pu confirmer l'authenticité, au cours de laquelle les Houthis ordonnent à l'équipage du Magic Sea d'arrêter le navire. La vidéo montre les forces houthies abordant apparemment le navire, puis plusieurs explosions avant que le navire ne coule. Une autre vidéo semble montrer des attaques contre l'Eternity C, et son naufrage.
Depuis novembre 2023, les Houthis ont attaqué des dizaines de navires marchands en mer Rouge, des actes que Human Rights Watch avait précédemment qualifiés de crimes de guerre. Les Houthis avaient déjà arrêté 25 membres d'équipage du Galaxy Leader, un porte-avions lié au Royaume-Uni et exploité par le Japon, immatriculé aux Bahamas, et saisi le navire. Ils ont détenu l'équipage pendant 14 mois et le maintiennent toujours.
Le Manuel de San Remo sur le droit international applicable aux conflits armés en mer, publié en 1994, largement considéré comme reflétant le droit coutumier de la guerre, limite strictement les attaques aux objectifs militaires. Les navires marchands sont des biens civils qui ne peuvent être attaqués, sauf s'ils participent à des actes militaires belligérants pour le compte de l'ennemi, transportent des troupes ou du matériel militaire, ou présentent une menace immédiate pour le navire attaquant. Tous les navires engagés dans des missions humanitaires sont exemptés d'attaques.
Les forces houthies responsables de ces deux attaques ont violé le droit de la guerre applicable au conflit armé entre les Houthis et Israël. Elles ont délibérément attaqué des navires commerciaux clairement identifiables comme civils, qui n'étaient pas engagés dans des activités belligérantes et ne représentaient aucune menace militaire pour les forces houthies. La détention des membres d'équipage secourus est également interdite. Les commandants qui ordonnent ou exécutent délibérément ces attaques illégales, maltraitent les détenus ou sont tenus responsables de leur responsabilité de commandement sont responsables de crimes de guerre.
Ces attaques représentent aussi des menaces environnementales à long terme pour la région, a ajouté Human Rights Watch. Wim Zwijnenburg, analyste chez PAX, une organisation non gouvernementale néerlandaise, a déclaré que des images satellite montrent d'importantes nappes de pétrole provenant des zones où les deux navires ont coulé. Il a ajouté que ces nappes menacent la faune de Bera'Isole, une réserve naturelle protégée sur la côte érythréenne qui abrite une communauté de pêcheurs. Il a ajouté qu'au 22 juillet, PAX avait également « vu des nappes de pétrole s'échouer près de la petite communauté de pêcheurs d'Idi ».
Abdulqader Alkharraz, ancien spécialiste de l'environnement au sein du gouvernement yéménite, a déclaré que le Yémen subissait encore les conséquences des précédentes attaques houthies sur l'environnement, les moyens de subsistance et la santé, comme le naufrage du MV Rubymar, un vraquier battant pavillon bélizien coulé le 2 mars 2024. Le navire transportait 21 000 tonnes d'engrais chimiques dangereux. Abdulqader Alkharraz a précisé que ce naufrage avait entraîné d'importantes pertes de vie marine : « Nous avons constaté que la mortalité des poissons était due au déversement et à la pollution résultant du naufrage du Rubymar, qui a atteint les côtes yéménites de Mokha et d'Al-Khokha », à environ 16 à 20 milles nautiques de l'épave.
Abdulqader Alkharraz a ajouté qu'« il sera difficile de contenir cette crise maintenant, notamment en raison de la nature des engrais transportés par le Magic Seas, qui se dissolvent rapidement et sont difficiles à suivre ». Il a ajouté que la réponse nécessaire pour atténuer la contamination par le navire était « extrêmement coûteuse pour un pays en développement comme le Yémen ».
Le droit international humanitaire coutumier prévoit que les parties belligérantes doivent respecter la protection et la préservation de l'environnement naturel. Toutes les mesures possibles doivent être prises pour minimiser les dommages environnementaux. Le recours à des méthodes ou moyens de guerre destinés ou susceptibles de causer des dommages étendus, durables et graves à l'environnement naturel est interdit.
Les forces israéliennes ont délibérément attaqué des infrastructures critiques au Yémen, notamment le port de Hodeidah, point d'entrée de la majeure partie de l'aide humanitaire au Yémen, et l'aéroport de Sanaa. Quant aux Houthis, ils ont attaqué délibérément et sans discernement des zones et des infrastructures civiles en Israël, notamment l'aéroport de Tel-Aviv. Human Rights Watch a précédemment conclu que les attaques menées par les Houthis ainsi que par Israël étaient susceptibles de constituer des crimes de guerre.
« Il est crucial que les gouvernements concernés reconnaissent les crimes de guerre, quelle que soit la partie responsable », a conclu Niku Jafarnia. « Les gouvernements devraient d’urgence agir pour atténuer l'impact humanitaire des abus, et nettoyer rapidement les déversements de pétrole et de produits chimiques résultant des naufrages afin d'atténuer la catastrophe environnementale. »
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Articles
OLJ Marine-Oceans Ouest France
23.07.2025 à 20:00
Les plaintes désespérées de Palestiniens affamés ne doivent pas être ignorées
L'été dernier, mon fils, alors âgé de deux mois, est tombé malade alors que nous visitions des proches en Californie. Sous nos yeux, il a rapidement maigri ; son poids a chuté en dessous du niveau enregistré peu après sa naissance, provoquant dans son corps un état de choc. Par la suite, les médecins nous ont dit qu'il avait failli mourir durant cette période.
Je n'oublierai jamais ce que j'ai ressenti en voyant ses os saillir, en l'entendant pleurer sans pouvoir le calmer, et en regardant son triste visage qu’aucun sourire n’éclairait, pendant plusieurs jours d’affilée.
Ceci est proche de la réalité quotidienne à laquelle sont confrontés les parents à Gaza, mais dans des circonstances bien plus dramatiques.
Le ministère de la Santé de Gaza a signalé qu'entre le 19 et le 22 juillet, 33 personnes sont mortes de malnutrition. Déjà en mai dernier, les experts du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (Integrated Food Security Phase Classification, IPC), avaient averti que la population de Gaza était confrontée à « des niveaux élevés d'insécurité alimentaire aiguë », avec un « risque critique de famine ». Depuis, la situation s’est encore détériorée ; le 16 juillet, une agence des Nations Unies a signalé que le taux de famine chez les enfants de Gaza avait atteint son « plus haut niveau » en juin.
La pénurie alimentaire à laquelle sont confrontés les Palestiniens à Gaza, et qui a probablement déjà fait des milliers de morts, est une crise entièrement imputable à des décisions humaines. Elle résulte de la politique délibérée d'Israël consistant à utiliser la famine comme arme de guerre, un crime de guerre que Human Rights Watch a documenté pour la première fois en décembre 2023. Des mois de recherche sur les restrictions imposées par Israël à l'aide humanitaires et aux services de base nous ont conduits à la conclusion inéluctable que les autorités israéliennes imposent délibérément des conditions de vie destinées à entraîner la destruction physique des Palestiniens de Gaza, entièrement ou en partie, ce qui constitue le crime contre l'humanité d'extermination et des actes de génocide.
Après 16 jours passés dans un hôpital moderne en Californie, mon fils s'est finalement rétabli. Mais à Gaza, en raison des attaques systématiques d'Israël contre les infrastructures sanitaires et de son blocus illégal qui dure depuis des années, les enfants n'ont pas accès à des soins de santé de même qualité.
Le 21 juillet, 28 pays ont conjointement appelé le gouvernement israélien à « lever immédiatement les restrictions qu’il impose à l’acheminement de l’aide humanitaire ». Mais il faut plus que des mots : les États devraient employer divers moyens de pression – notamment un embargo sur les ventes d’armes à Israël, des sanctions ciblées contre des responsables israéliens et la suspension d’accords commerciaux préférentiels avec Israël – pour empêcher une situation de famine massive. Plus de 1 000 organisations palestiniennes et internationales ont appelé à la mise en place d’un « convoi humanitaire diplomatique », parmi d’autres moyens d’acheminer l’aide à Gaza.
Imaginez voir vos enfants pleurer de manière inconsolable, le ventre vide, et que vous ne puissiez rien faire. C’est le genre de sentiment exprimé dans les appels à l'aide désespérés émanant de Gaza. L’Histoire jugera tous les gouvernements selon la manière dont ils y répondront.
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X / Vidéo AFP https://x.com/hrw_fr/status/1948144921065467938