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22.10.2025 à 10:03

Baromètre sur les budgets et choix culturels des collectivités territoriales : volet national 2025

Frédérique Cassegrain

Comment les collectivités territoriales et intercommunalités envisagent-elles l’évolution de leurs dépenses culturelles en 2025 dans un contexte national où il leur est demandé de réaliser des économies budgétaires substantielles ? Quelles sont leurs priorités ? Comment s’orientent leurs choix de politique culturelle ?

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Texte intégral 6173 mots

[La publication complète du baromètre 2025 est disponible ici.]

Outil annuel de mesure de l’évolution de l’action publique territoriale de la culture, le baromètre s’appuie sur une enquête réalisée auprès d’un échantillon de collectivités territoriales par l’Observatoire des politiques culturelles avec le soutien du ministère de la Culture (DEPS et DGDCER), et en partenariat avec Régions de France, Départements de France, France urbaine, Intercommunalités de France, Villes de France, FNADAC, FNCC, Culture·Co.

Le volet national du baromètre 2025 repose sur les données déclarées L’enquête a été menée par questionnaire (via emailing et campagne téléphonique auprès des directeurs et directrices des affaires culturelles prioritairement) de fin mars à juin 2025. par un échantillon de 214 collectivités (régions, départements, collectivités à statut particulier, communes de plus de 50 000 habitants) et intercommunalités (comprenant une ville de plus de 50 000 habitants) en matière d’évolution des budgets primitifs et de positionnement culturel. Il concerne également des éléments de conjoncture.

Avec un nombre de répondants supérieur aux enquêtes 2023 et 2024, le baromètre 2025 offre des résultats consolidés pour les principales catégories territoriales. Le taux de réponse est de 92 % pour les régions, 80 % pour les départements, 63 % pour les collectivités d’Outre-mer à statut particulier, 55 % pour les communes de plus de 50 000 habitants ainsi que pour les intercommunalités comprenant une ville de cette taille (dont 73 % de taux de réponse pour les métropoles) L’échantillon est constitué de : 12 régions ; 74 départements ; 75 communes de plus de 50 000 habitants, dont 23 communes de plus de 100 000 habitants et 52 communes de 50 000 à 100 000 habitants ; 46 intercommunalités comprenant une ville de plus de 50 000 habitants, dont 16 métropoles, 4 communautés urbaines, 26 communautés d’agglomération ; 7 collectivités d’Outre-mer à statut particulier (collectivités d’Outre-mer et collectivités à statut particulier situées en Outre-mer)..

Ce qu’il faut retenir : Au regard des alertes nombreuses exprimées par les acteurs culturels, le baromètre 2023 et, dans une moindre mesure, celui de 2024, où la stabilité budgétaire dominait, présentaient une situation moins mauvaise qu’attendu pour les budgets culturels – tendances à relativiser toutefois au regard des flambées inflationnistes ces dernières années (+5,2 % en 2022, +4,9 % en 2023, +2 % en 2024).

2025 marque une rupture : la situation des collectivités territoriales et de leurs groupements s’est fortement dégradée, avec une tendance à la baisse budgétaire inédite par son ampleur. En particulier au niveau des régions et des départements. Les effets s’en font vivement ressentir au niveau des subventions versées aux associations culturelles. Le repli du bloc local, qui représente plus de 80 % du financement culturel des collectivités territoriales, apparaît moins conséquent que celui des départements et des régions, ce qui permet, dans une certaine mesure, de contenir le choc budgétaire pour la culture.  

Si le repli budgétaire est net par rapport au baromètre 2024, les déclarations des directeurs et directrices des affaires culturelles (DAC) font apparaître une certaine continuité par rapport à l’année précédente en ce qui concerne les orientations de politique culturelle et les positionnements en matière de coopération publique.

1. Évolutions des budgets primitifs, des emplois culturels et des subventions des collectivités et intercommunalités

Comme les années précédentes Les fourchettes budgétaires ont été adaptées dans l’enquête cette année au regard de l’amplitude des évolutions. Toute comparaison des tendances budgétaires entre le baromètre 2025 et les baromètres précédents nécessite une vigilance dans la lecture des graphiques. , l’enquête nous renseigne d’abord sur le contexte budgétaire général des collectivités et intercommunalités Cf. graphique p. 23 de la publication complète du baromètre 2025. : 40 % des répondants indiquent une baisse du budget primitif total (non uniquement culture) de leur collectivité entre 2024 et 2025. Ils étaient seulement 15 % à déclarer une baisse entre 2023 et 2024.

La contraction des budgets se ressent nettement sur la culture. 47 % des répondants déclarent une baisse du budget culturel total entre 2024 et 2025. Pour plus de 20 % de l’échantillon, la baisse de ce budget est supérieure à 10 %. Seuls 22 % des répondants font état d’une augmentation du budget culturel total (le plus souvent sous forme d’une faible augmentation).

La proportion de baisse des budgets culturels totaux est supérieure à celle des budgets primitifs totaux. L’enquête indique toutefois que 63 % des répondants considèrent que, en 2025, les contraintes budgétaires pour la culture au sein de leur collectivité sont identiques à celles des autres domaines d’action publique, 16 % les perçoivent moins importantes que pour les autres domaines d’action publique et 18 % plus importantes Cf. graphique p. 33 de la publication complète du baromètre 2025.. En matière de choix budgétaires, la culture n’est pas perçue comme étant particulièrement plus « sacrifiée » que d’autres secteurs.

La situation des budgets culturels totaux diffère selon les niveaux de collectivités. Régions et départements sont particulièrement affectés. Près de 60 % des régions indiquent une baisse cette année, et 64 % des départements (pour 15 % d’entre eux, la baisse du budget culturel total est supérieure à 20 %). Bien que dégradée, la situation des autres catégories territoriales reste plus équilibrée entre baisses, stabilité et hausses.

Les budgets culturels de fonctionnement sont particulièrement touchés : près d’un répondant sur deux déclare une baisse de budget culturel de fonctionnement – hors masse salariale – entre 2024 et 2025 (ils étaient 21 % entre 2023 et 2024), dont une proportion importante de baisses fortes (dépassant les 10 % et dans certains cas les 20 %).

À l’inverse, moins de 20 % des répondants augmentent leur budget culturel de fonctionnement (très rarement au-delà d’une hausse supérieure à 10 %), et 30 % les maintiennent. Pour l’ensemble des niveaux de collectivités, les évolutions déclarées de budgets culturels de fonctionnement sont beaucoup plus défavorables entre 2024 et 2025 que durant les périodes précédentes Il faut considérer à part les collectivités d’Outre-mer à statut particulier car les données 2025 sont difficilement comparables avec celles du baromètre précédent dont l’échantillon de répondants n’était pas significatif..

Deux tiers des régions déclarent une baisse en fonctionnement. Et près de 70 % des départements de l’échantillon (ils étaient 20 % à le déclarer entre 2023 et 2024) ; un tiers d’entre eux les baisse de plus de 10 %. Seuls 11 % des départements déclarent une hausse cette année, et il s’agit d’augmentations de budgets souvent modérées.

La situation du bloc local (communes et intercommunalités) est un peu moins dégradée que pour les régions et les départements, avec une tendance à la stabilité qui reste significative, notamment pour les métropoles. Cette relative robustesse du bloc local est d’autant plus déterminante qu’il prend en charge les quatre cinquièmes des dépenses culturelles de fonctionnement des collectivités territoriales.

Indication de lecture : 36 % des collectivités répondantes déclarent une baisse en fonctionnement en matière de festivals et événements, 35 % déclarent une baisse pour ce qui est du spectacle vivant, etc.

Tous les domaines de politique culturelle sont significativement impactés par les baisses de budgets de fonctionnement. Pour chacun d’eux, la part des répondants qui indiquent une hausse entre 2024 et 2025 est en retrait par rapport à la période précédente ; et la part des répondants qui indiquent une baisse a doublé ou triplé.

Les domaines les plus affectés par les baisses sont les festivals et événements, le spectacle vivant, l’action culturelle/EAC. Pour ce dernier domaine, 31 % des collectivités et intercommunalités indiquent une baisse entre 2024 et 2025, contre 10 % des répondants entre 2023 et 2024.

Parmi les catégories de collectivités où les budgets de fonctionnement sont le plus en recul, citons le cas des régions concernant le spectacle vivant et l’action culturelle/EAC (une région sur deux indique une baisse dans ces domaines), et des départements en matière de festivals-événements ainsi que de spectacle vivant (au minimum 55 % d’entre eux déclarent une baisse dans ces domaines).

En matière d’évolution des budgets culturels d’investissement entre 2024 et 2025, il y a un peu plus de baisses déclarées (36 % des collectivités et intercommunalités) que de stabilité et de hausse (près de 30 % des répondants dans les deux cas). Là encore, par rapport à l’an dernier, la situation est plus dégradée pour les départements et les régions (près de 60 % d’entre eux baissent leurs budgets culturels d’investissement) que pour les autres catégories de répondants.

Pour ce qui est des communes et des intercommunalités, l’évolution des budgets culturels d’investissement entre 2024 et 2025 est assez proche de celle de la période 2023-2024, avec une majorité de stabilité et de hausse. Rappelons que le bloc local représente presque les trois quarts des dépenses culturelles d’investissement de l’ensemble des collectivités territoriales.  

26 % des répondants déclarent une baisse des emplois culturels entre 2024 et 2025. Ces déclarations de diminution sont en progression forte par rapport à l’enquête précédente (2023-2024) pour plusieurs catégories de collectivités qui sont particulièrement employeuses dans ce domaine comme les départements (38 % de répondants cette année contre 15 % l’année précédente) et les communes (27 % contre 18 %).

En 2025, la dégradation de la situation budgétaire des collectivités se manifeste particulièrement en matière de subventions versées aux associations culturelles. 42 % des collectivités déclarent diminuer leurs subventions entre 2024 et 2025 ; elles étaient 11 % dans ce cas entre 2023 et 2024. 

Seules 12 % d’entre elles déclarent une hausse entre 2024 et 2025, contre 27 % sur la période précédente.

Les baisses déclarées de subventions ont ainsi bondi pour tous les types de collectivités. À l’inverse de la tendance entre 2023 et 2024, les déclarations de baisse sont plus nombreuses cette année que les déclarations de hausse, quelle que soit la catégorie territoriale En mettant de côté les collectivités d’Outre-mer à statut particulier dont l’échantillon du précédent baromètre n’est pas comparable avec l’enquête 2025. Cette dernière montre qu’une majorité de collectivités à statut particulier d’Outre-mer parvient à augmenter son soutien aux associations culturelles.

68 % des départements indiquent une diminution des subventions versées aux associations culturelles ; ils étaient 21 % dans ce cas entre 2023 et 2024. Seuls 4 % des départements évoquent une hausse en 2025.

58 % des régions de l’échantillon évoquent une diminution des subventions aux associations culturelles (contre 8 % entre 2023 et 2024) et aucune région n’indique de hausse. 

38 % des métropoles déclarent une baisse entre 2024 et 2025 contre seulement 5 % d’entre elles entre 2023 et 2024.

Concernant les communes, principales financeuses des associations culturelles, une majorité déclare maintenir à un même niveau les subventions qui leur sont dédiées en 2025.

2. Positionnement des collectivités et intercommunalités en matière culturelle

a/ Coopération publique

Le sentiment d’une stabilité du système de coopération publique domine pour une majorité de collectivités et intercommunalités : la moitié des DAC considèrent que la coopération avec la politique culturelle de l’État n’a pas évolué et ils sont plus de la moitié en ce qui concerne la coopération avec les autres niveaux de collectivités territoriales Cf. graphique p. 47 de la publication complète du baromètre 2025.. Toutefois, le taux de réponses relatant une dégradation de la coopération publique en matière de culture a doublé par rapport au baromètre précédent : 13 % de l’ensemble des répondants indiquent que la coopération a diminué avec l’État et 19 % qu’elle a diminué avec la politique culturelle des autres niveaux de collectivités. Le modèle coopératif des politiques culturelles n’est pas abandonné, mais il apparaît fragilisé sous l’effet notamment des décroisements de financements et des désalignements des positionnements politiques. 

C’est en particulier au niveau des communes de plus de 50 000 habitants et des métropoles que les logiques de coopération – avec l’État et plus encore avec les autres niveaux de collectivités – sont le plus affectées par rapport au baromètre précédent. Principal financeur de la culture, le bloc local est budgétairement moins en recul en 2025 que les régions et les départements, et il se trouve dans une situation où il est amené à subir plus directement des décisions unilatérales et non concertées de retraits de la part des autres partenaires publics. 

Notons par ailleurs que la coopération avec l’État est jugée plus dynamique par plus de 40 % des départements et plus de 80 % des collectivités d’Outre-Mer à statut particulier de l’échantillon. 

De façon complémentaire, la majorité des collectivités indiquent ne pas être à la recherche d’une plus grande autonomie dans la conduite de leur politique culturelle par rapport à celle de l’État (67 %) et à celle des autres niveaux de collectivités territoriales (69 %) Cf. graphique p. 48 de la publication complète du baromètre 2025.. Les déclarations de recherche d’autonomie (fonctionnelle et/ou politique) sont en diminution par rapport au précédent baromètre. Ces résultats peuvent être lus comme le souhait, dans un contexte défavorable, de préserver autant que possible les partenariats à l’œuvre et les logiques de mutualisation budgétaire. 

Catégorie la plus en recherche d’autonomie ces dernières années dans la construction de ses choix culturels, les régions sont dans une situation un peu particulière : si 42 % d’entre elles expriment encore une volonté en ce sens par rapport à l’État, elles étaient près de 70 % à le revendiquer en 2024. Régions et État (déconcentré) ont toujours noué des relations complexes, tendues entre la volonté d’affirmer leurs propres préoccupations, d’un côté, et de faire valoir des priorités nationales appliquées à un territoire régional, de l’autre. Mais sans doute que l’affaiblissement budgétaire des régions dans le domaine de la culture, en 2025, atténue au moins conjoncturellement les velléités culturelles de celles-ci.

Le souhait de bénéficier de davantage d’indépendance vis-à-vis des autres niveaux de collectivités territoriales dans le pilotage des politiques publiques de la culture est moins fort qu’en 2024 pour toutes les catégories sauf les départements (mais dans des proportions toujours minoritaires).

En complément des questionnements sur la coopération publique territoriale, le baromètre 2025 a permis de tester auprès des responsables publics l’hypothèse d’une évolution des cadres législatifs de la décentralisation dans le domaine de la culture. Près d’un répondant sur deux est favorable à un élargissement des compétences obligatoires en matière culturelle pour les collectivités territoriales et leurs groupements. 14 % n’y sont pas favorables. Et 37 % ne savent pas se positionner Cf. graphique p. 50 de la publication complète du baromètre 2025..

Le souhait d’inscrire dans la loi de nouveaux segments de politique culturelle est majoritaire pour les régions, les départements, les métropoles et les collectivités d’Outre-mer à statut particulier, sans que l’on puisse dire s’il est principalement motivé par un besoin de sécurisation du secteur de la culture et/ou de spécialisation des responsabilités des différents partenaires publics au regard des restrictions budgétaires.

Les répondants ont été interrogés sur le(s) niveau(x) de collectivité(s) pour le(s)quel(s) ils seraient favorables à un élargissement législatif des compétences obligatoires en matière culturelle. Ils évoquent majoritairement leur propre niveau territorial comme échelon privilégié dans la perspective d’un tel élargissement.

La pérennisation de l’héritage politique et technique de la coopération s’accompagne ainsi de la volonté de renforcer les logiques de décentralisation en compétences obligatoires dans le domaine de la culture. Autrement dit, d’aller plus loin dans la codification législative d’une partie de l’action publique culturelle et de sa répartition entre collectivités territoriales. Alors que de nouvelles réformes territoriales pourraient se profiler, les motifs invoqués ici pour y accentuer la présence des enjeux culturels sont de plusieurs ordres : clarification et répartition des rôles entre niveaux de collectivités, consolidation et harmonisation de certaines politiques publiques (notamment en matière de lecture et d’enseignement artistique), recherche d’une plus grande équité territoriale. D’autres motivations encore portent sur la sécurisation du soutien à la création et aux équipements de diffusion.

b/ Orientations de politique culturelle

Quels sont les objectifs politiques qui orientent en priorité les choix culturels des exécutifs ? Les réponses des collectivités et intercommunalités – demandées sous forme de trois mots-clés – sont représentées sur le nuage de mots ci-dessous. En 2025, pour l’ensemble de l’échantillon, plusieurs orientations (les occurrences les plus fréquentes) se dégagent, qui prolongent les résultats des précédents baromètres et confortent cette priorisation globale de l’action publique culturelle : accessibilité, territoire, attractivité, éducation artistique et culturelle.

Pour faciliter la lecture et atténuer les effets liés à la pluralité des termes utilisés pour qualifier un même type de positionnement culturel, une thématisation en 14 registres d’action a été élaborée à partir des objectifs politiques qui orientent en priorité les choix des exécutifs des collectivités et intercommunalités répondantes. Chaque thème inclut une série de mots-clés, dont voici les principaux exemples :

→ Accès : accessibilité/accès (pour tous), culture pour tous, démocratisation, médiation, publics…

→ Création artistique : création, soutien aux artistes, présence artistique…

→ Démocratie culturelle : diversité, participation, droits culturels…

→ Domaines culturels : patrimoine, lecture publique, arts plastiques, numérique, industries culturelles…

→ Éducation-jeunesse : jeunesse, éducation, EAC, jeune public…

→ Gouvernance-coopération : partenariats, coopération, mutualisation, réseaux, concertation…

→ Impact social : lien social, inclusion, vivre ensemble, mixité, solidarité, cohésion, émancipation… 

→ Ingénierie : accompagnement, structuration, ingénierie…

→ Logiques économiques : budget, modèle économique, économies budgétaires…

→ Logiques territoriales : territoire, attractivité, rayonnement, équité, proximité, ancrage territorial, maillage, identité, ruralité, aménagement… 

→ Offre : diffusion, équipements, événementiel, qualité, exigence, lisibilité…

→ Principes d’action publique : continuité, efficacité, innovation, pluridisciplinarité…

→ Transitions : transition, environnement…

→ Divers : cette catégorie correspond à plusieurs terminologies générales qui ne rentrent pas dans les catégories précédentes.

Les logiques territoriales, d’accès et d’offre continuent à dominer les choix de priorisation de l’action publique culturelle, dans la lignée du précédent baromètre. Pour la deuxième année, le registre de la démocratie culturelle apparaît renforcé. Celui de l’éducation-jeunesse connaît un léger fléchissement cette année.

On note des variations dans les priorités affichées selon les niveaux de collectivités : 

→ régions : les logiques territoriales dominent très largement les choix culturels des exécutifs cette année, suivies des registres d’accès, des transitions et des logiques économiques ; 

→ départements : les logiques territoriales et d’accès sont prioritaires, devant les registres d’éducation-jeunesse et de démocratie culturelle ;

→ communes : le registre de l’accès est prioritaire devant les logiques territoriales, la démocratie culturelle, les logiques d’offre et d’impact social. Comme en 2023 et en 2024, il s’agit de la catégorie de collectivité où la palette des registres prioritaires de politiques culturelles investis est la plus large : autrement dit, l’échelon communal apparaît comme étant le plus généraliste et le moins focalisé sur tel ou tel registre d’action ;

→ intercommunalités : les logiques territoriales sont plébiscitées par les exécutifs, devant le registre de l’offre. Pour les métropoles, le registre de la gouvernance-coopération est également important alors que celui de l’éducation-jeunesse est plus mobilisé par les communautés urbaines et d’agglomération ;

→ collectivités d’Outre-mer à statut particulier : les registres d’impact social et d’ingénierie sont particulièrement mis en avant.

3. Focus sur la transition écologique et sur les entraves à la liberté de création/diffusion artistique et les atteintes matérielles contre des œuvres ou des équipements culturels

Les DAC ont été interrogés sur l’importance accordée aux problématiques de transition écologique dans la politique culturelle de leur collectivité, sur une échelle de 0 (inexistante) à 5 (très importante). Le baromètre 2025 conforte les données déclarées dans l’enquête 2024, avec un renforcement perçu cette année au niveau régional : la place de la transition écologique dans la politique culturelle est jugée plus prépondérante pour les régions (note de 3,7 sur 5), devant les communes de plus de 100 000 habitants (3,5), les métropoles (3,1), les communes de moins de 100 000 habitants (2,5), les communautés urbaines et d’agglomération (2,4), les collectivités d’Outre-mer à statut particulier (2) et les départements (1,9) Cf. graphique p. 56 de la publication complète du baromètre 2025..

Il a également été demandé aux responsables culturels quelles démarches ont été impulsées par leur service en faveur de la transition écologique. Près de 13 % indiquent ne pas avoir mis en place d’action spécifique, contre 18 % dans l’enquête 2024. Pour les collectivités et intercommunalités qui en déclarent, les mesures de sobriété énergétique (équipements culturels, adaptation du patrimoine…) sont – comme dans l’enquête précédente – les plus citées (près de 60 % de l’ensemble des répondants ; cette modalité arrive en tête pour toutes les catégories territoriales sauf les régions), devant les actions de mutualisation de matériel (près de la moitié de l’ensemble des répondants ; en nette hausse par rapport au baromètre précédent) et les actions de formation des agents.

Enfin, pour la seconde année, le baromètre a porté un regard sur les formes de pressions qui impactent la liberté de création/diffusion artistique ainsi que sur les atteintes matérielles contre des œuvres ou des équipements culturels pris pour cible.

Plus de 8 déclarants sur 10 ne constatent pas d’entraves à la liberté de création/diffusion artistique sur leur territoire en 2024-2025. Les données déclarées sont quasi-identiques à celles de l’enquête précédente, avec 2 % des répondants qui en constatent autant qu’avant et 8 % qui considèrent qu’elles sont en augmentation.

Les précisions apportées par les responsables culturels montrent qu’une partie des entraves à la liberté de création/diffusion artistique s’apparente à des intimidations et des pressions citoyennes et associatives, ainsi qu’à des obstructions politiques, administratives et idéologiques (par exemple : suppression de subvention, intervention dans la programmation…), et parfois à une forme d’autocensure. 

La proportion d’atteintes matérielles contre des œuvres ou des équipements culturels a légèrement baissé en 2025 par rapport au précédent baromètre dont les données faisaient état d’événements liés aux émeutes de l’été 2023. 83 % des collectivités et intercommunalités ne constatent pas d’atteintes matérielles aux biens culturels en 2024-2025 contre 76 % en 2023-2024.

10 % des déclarants en constatent en 2024-2025. Il s’agit principalement de dégradations et vols dans des équipements – très majoritairement des médiathèques –, de dégradations et vols d’œuvres dans l’espace public, et d’actes de vandalisme dont des tags.

L’ensemble des traitements, notamment par catégories territoriales, est disponible dans la publication complète du baromètre 2025 (à télécharger ici).

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16.10.2025 à 09:43

Droits culturels : des grands principes à la pratique

Aurélie Doulmet

Les droits culturels défendent une vision élargie de la culture, loin de se limiter à la vie artistique. Environnement, alimentation, santé, rapport au corps, technique… l’ensemble des activités et modes de vie humains relèvent, dans cette perspective, d’une dimension culturelle. Un paradigme qui conduit à repenser l’approche des politiques culturelles mais aussi celle d’autres politiques […]

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Les droits culturels défendent une vision élargie de la culture, loin de se limiter à la vie artistique. Environnement, alimentation, santé, rapport au corps, technique… l’ensemble des activités et modes de vie humains relèvent, dans cette perspective, d’une dimension culturelle. Un paradigme qui conduit à repenser l’approche des politiques culturelles mais aussi celle d’autres politiques publiques. Ainsi, les politiques environnementales, agricoles, numériques ou économiques… peuvent être questionnées au prisme des droits culturels. Une mise en pratique que développe Jean-Damien Collin dans cet entretien.

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09.10.2025 à 12:19

Extrême droite et culture, un pacte faustien inenvisageable ?

Frédérique Cassegrain

Il est consensuel dans le secteur culturel de s’opposer, plus ou moins frontalement, à l’extrême droite. Au lieu d’évacuer la question d’emblée, mieux vaut l’affronter : que risqueraient les acteur·rices culturel·les à travailler avec des élu·es de ce bord politique ? L’enjeu de survie du secteur culturel, particulièrement menacé dans le contexte actuel, ne vaut-il pas la peine de considérer la question sérieusement ? Et, au-delà, quels discours et positionnements construire pour que la culture (re)devienne crédible et désirable auprès du plus grand nombre ?
Dans ce contexte, rendu encore plus sensible par la série d’élections des quatre prochaines années, le pôle Haute Fidélité s’interroge sur le rôle des organisations de la société civile et sur les stratégies pour « réarmer » le secteur culturel.

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Cet article est republié à partir de Haute Fidélité, pôle des musiques actuelles en Hauts-de-France. Lire l’article original.

© Ryanniel Masucol – Pexels

Des intérêts réciproques au rapprochement ?

« L’extrême droite et ses idées sont l’ennemi de la culture », « lorsqu’on travaille dans la culture, on est forcément en lutte permanente avec l’extrême droite, car quand elle arrive au pouvoir, elle frappe systématiquement sur la culture et la liberté d’expression », « Le monde des arts et de la culture (…) participe à la construction collective d’un avenir durable, vivable, désirable, plus juste. Autant de notions incompatibles avec les idées de l’extrême droite. » Ces trois verbatims, respectivement issus d’un tract de la CGT-Spectacle, du témoignage d’un photographe de spectacle lors d’une manifestation, et d’une pétition signée par 500 artistes de la musique avant les législatives anticipées de 2024 « “La culture est dans le viseur de l’extrême droite” : à Paris, une première mobilisation syndicale contre la montée du RN », Libération, 13 juin 2024 ; « [Tribune] 500 artistes se mobilisent pour dire non à l’extrême droite », Les Inrockuptibles, 21 juin 2024., résument le consensus apparent au sein du secteur culturel. L’extrême droite est un ennemi irréductible et ontologique. Cependant, travailler en lien avec les centaines d’élu·es du Rassemblement National (RN), de Reconquête ou de l’Union des Droites pour la République (UDR) L’UDR est le parti emmené par Éric Ciotti. En dépit de chiffres parfois contradictoires, on a compté 139 député·es RN et UDR, 35 député·es européen·nes RN ou issu·es de Reconquête, 840 conseillers·ères municipaux·ales RN dans 258 communes (dont 13 maires dans des villes de plus de 9 000 habitants), 252 conseillers·ères régionaux·ales et 26 conseillers·ères départementaux·ales RN. Beaucoup de professionnel·les du secteur culturel doivent ainsi collaborer avec ces nombreux·ses élu·es au quotidien. et des personnalités dont on réprouve les idées est un dilemme très concret qui se pose pour de nombreux acteur·rices culturel·les. Nul doute que cela va le devenir encore plus dans les mois, les années à venir. Il semble donc intéressant d’examiner l’hypothèse sous-jacente, sans posture dogmatique a priori : que se passerait-il si ces deux mondes devaient œuvrer ensemble ?

On est peut-être à un tournant des politiques culturelles en France.

Le contexte politique et budgétaire actuel voit la remise en cause du soutien public à la culture et un détricotage assumé de la compétence partagée entre collectivités et État. En d’autres termes, le consensus transpartisan autour de la culture semble derrière nous, les financements croisés caractéristiques de ce système sont fragilisés et on est peut-être à un tournant des politiques culturelles en France Le baromètre mesurant l’évolution des budgets culturels des collectivités territoriales, réalisé annuellement par l’Observatoire des politiques culturelles (OPC), montre que près de la moitié des collectivités interrogées ont diminué leur budget culturel sur 2024-2025. Une « rupture historique » transcendant les clivages politiques, au dire du codirecteur de l’OPC Vincent Guillon. Voir « Le soutien des collectivités territoriales à la culture s’effondre partout en France, selon un baromètre national », Le Monde, 9 juillet 2025.. Dans une période où la question culturelle est largement désinvestie par le personnel politique, et le secteur culturel de plus en plus l’objet d’attaques de sa part, celui-ci a besoin d’allié·es dans le champ politique qui prennent fait et cause pour lui. Les quatre années à venir seront émaillées d’échéances électorales Élections municipales en mars 2026, présidentielles en 2027, régionales et départementales en mars 2028, législatives et européennes en 2029. et, sans préjuger d’un raz-de-marée de l’extrême droite comme aiment à prophétiser les médias, des collectivités et des positions de pouvoir risquent de basculer en sa faveur. En accord avec leur stratégie de normalisation, des élu·es d’extrême droite multiplient les signaux « rassurants » et les appels du pied aux acteur·rices culturel·les (généralisation des courriers de félicitations accompagnant l’octroi de subventions), électorat qui ne leur est clairement pas acquis. Ouvrir un dialogue avec ces élu.es apparaît donc tentant pour mieux cerner les intentions déguisées derrière ce qui est affiché, a fortiori en contexte électoral, pour faire levier auprès des autres formations politiques afin qu’elles réinvestissent les questions culturelles et répondent aux préoccupations des acteur·rices du secteur.

Une (fausse) évidence : l’extrême droite au pouvoir, une mise au pas de la culture sans précédent ?

Avant d’en venir là, une double question s’impose : quelles sont les ambitions de l’extrême droite en matière culturelle, et comment cela se traduit une fois celle-ci arrivée au pouvoir ? Si l’on prend le cas du parti le plus emblématique en France, le RN, son programme pour les dernières élections présidentielles et européennes montre une certaine constance. Dans les faits, il contient peu de propositions en matière culturelle, si ce n’est en matière de sauvegarde du patrimoine, de défense de la francophonie et de privatisation de l’audiovisuel public. Dans le fond, elles traduisent une vision fortement identitaire, conservatrice et néolibérale de la culture. La politique publique de la culture n’est pas traitée comme un sujet à part entière par le RN, le parti n’étant pas historiquement lié à l’ensemble d’interventions, d’institutions et de valeurs qui l’incarnent. Mais les sujets culturels y sont considérés comme essentiels et plutôt traités via son tamis idéologique, comme l’observe Vincent Guillon, au travers des « thématiques du « grand remplacement », de « l’identité française », de la dépossession et de l’insécurité culturelles, des fondements religieux et historiques de la société, du déclin culturel et civilisationnel » « La culture à l’épreuve de l’extrême droite : des discours au passage à l’acte », Observatoire des politiques culturelles, 26 juin 2024..

La mise au pas autoritaire de la culture, qui vient d’emblée à l’esprit à l’évocation du RN, est-elle une généralité dans les exécutifs territoriaux contrôlés par ses élu·es ? Le politiste Emmanuel Négrier, qui s’est penché sur la question à l’aube des législatives anticipées de 2024, dessine un tableau plus nuancé. A partir de quelques cas de figure, il montre que « la folklorisation et le rejet de la diversité culturelle sont donc à la fois présents et discrets dans la gestion RN des villes » « Quelle place pour la culture dans le programme du RN ? », The Conversation, E. Négrier, 19 juin 2024.. Il l’explique par une volonté délibérée de ne pas faire de vague, en accord avec la stratégie de dédiabolisation du parti qui passe notamment par le fait de prouver la capacité du RN à gouverner en assumant une posture idéologique la plus neutre possible. Si l’extrême droite se faisait beaucoup plus interventionniste dans les grandes villes du Sud-Est conquises lors des municipales des années 1990, Vincent Guillon explique lui aussi que la séquence 2014-2020 ouvre la voie à une gestion municipale de la culture qui joue en majorité la carte de la respectabilité et la continuité des partenariats et soutiens culturels « La culture à l’épreuve de l’extrême droite : des discours au passage à l’acte », op. cit.. Cela tient notamment au fait que la culture est moins considérée comme une priorité que d’autres secteurs tels que l’économie ou la sécurité. Cet interventionnisme diffus n’empêche pas l’affirmation de choix politiques : rejet plus ou moins direct du soutien à certaines esthétiques (rap, techno), ou aux acteurs les plus investis dans l’éducation populaire et les quartiers prioritaires (éviction de la Ligue des Droits de l’Homme à Hénin-Beaumont), exacerbation d’une « identité française » et d’une histoire nationale et locale fantasmées (Fête du cochon à Hayange, célébration de l’Algérie française à Perpignan), reprise en main de programmation, dé-conventionnement et conflits avec des équipes artistiques (théâtre de l’Escapade à Hénin-Beaumont, Cie Arène Théâtre à Moissac)…

Il faut en revanche rappeler que l’extrême droite n’a pas le monopole des ingérences. Historiquement, les élu·es de tous bords ont interféré dans la conduite des affaires culturelles, et menacé l’autonomie de ses acteur·rices à divers degrés V. Dubois et al.Le politique, l’artiste et le gestionnaire. (Re)configurations locales et (dé)politisation de la culture, Ed. du Croquant, 2012, 274 p.. Professionnel·les du secteur et élu·es se disputent régulièrement les frontières de leurs prérogatives. Cela se traduit par de vifs antagonismes Un forum organisé par l’Association des maires de France (AMF) en décembre 2024 sur le thème de la programmation culturelle a bien montré les dissensus forts entre directeur·rices de lieux et élu·es. Les premier·ères opposant aux second·es leur rôle de médiateur avec la société et le respect de la liberté de diffusion, certain·es élu·es revendiquant au contraire un droit de regard sur les contenus artistiques financés par de l’argent public en tant qu’un mandat leur est confié par la population à ce titre. Voir aussi « Culture : malaise entre élus et professionnels », La gazette des communes, 13 mars 2015., et par des atteintes à la liberté de création et de diffusion artistiques dont l’essor important ces dernières années a conduit à une alerte de la commission culture du Sénat en décembre 2024 Malgré une loi de 2016 sanctuarisant la liberté de création et de diffusion artistiques (dite « LCAP »), le rapport du Sénat pointe des entraves plus nombreuses, ayant une portée plus locale et motivées par des intérêts plus diversifiés couvrant tout l’échiquier politique, ainsi qu’une tendance plus fréquente à la censure préventive d’élu·es locaux·ales ou de programmateur·rices sous la pression de collectifs citoyens. Cf. « Mission d’information sur l’évaluation du volet « création » de la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) », Commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport, rapport d’information n° 117 (2024-2025) de Else Joseph et al., déposé le 6 novembre 2024, p. 14-15.. En ce sens, l’extrême droite ne fait que reconduire des pratiques politiques existantes. On peut donc se demander pourquoi leurs ingérences défraient autant la chronique, si ce n’est leur caractère peut-être plus brutal et la focalisation médiatique forte.

Au demeurant, une inconnue de taille persiste : que feront les formations d’extrême droite une fois élues et qu’elles ne seront plus en quête de respectabilité ? L’exercice du pouvoir en Hongrie, en Italie ou en Pologne montre une certaine continuité, malgré des différences : culture mise au service d’une idéologie réactionnaire et d’un récit national revisité, mise au pas des services publics et/ou privatisation des filières par des grands groupes plus ou moins proches des gouvernements, autocensure structurelle des artistes et des institutions « Culture : quand l’extrême droite est au pouvoir », Le Quotidien de l’Art, 6 juin 2024.… Ces mesures d’inspiration fasciste Si l’on reprend la définition, avec le sociologue Ugo Palheta qui insiste sur son caractère imparfait, du fascisme comme « mouvement de masse qui prétend œuvrer à la régénération d’une « communauté imaginaire » considérée comme organique (nation, race et/ou civilisation) et dont on craint la décomposition, voire la disparition : une régénération qui doit passer par la purification ethno-raciale, par l’anéantissement de toute forme de conflit social et de toute contestation (politique, syndicale, religieuse, journalistique ou artistique), autrement dit par l’évitement de tout ce qui paraît mettre en péril l’unité fantasmatique de cette « communauté imaginaire », en particulier la présence visible de minorités ethno-raciales et l’activisme des mouvements d’émancipation ». Cf. Ugo Palheta, Comment le fascisme gagne la France. De Macron à Le Pen, La Découverte, 2025, p. 37-38. montrent que les logiciels idéologiques de l’extrême droite et des acteur·rices du secteur culturel sont insolubles, rendant toute forme de compromis impossible et tout rapprochement vain et périlleux.

Faire face et reconstruire notre discours

Une fois la piste du rapprochement avec l’extrême droite écartée, quelles alternatives s’offrent à nous pour sortir de la sidération actuelle et faire face aux difficultés croissantes ? Il y a sûrement déjà un enjeu à acter le basculement du centre de gravité de l’échiquier politique vers des positions très conservatrices et réactionnaires, autrefois trustées par l’extrême droite. Autrement dit, ce sont peut-être moins les élu·es d’extrême droite qui constituent le danger que l’assimilation décomplexée de leurs idées par le champ politique. En témoignent particulièrement les politiques menées par les Régions Auvergne-Rhône-Alpes et Pays de la Loire, sous l’impulsion de leur exécutif présidé par des élu·es Les Républicains et Horizons, qu’on peut résumer par le triptyque intimidations/coupes budgétaires/attaques idéologiques« Entre coupes budgétaires et censure, la culture cherche son souffle », Blast, 23 mars 2025.. L’erreur consisterait à y voir des cas isolés, quand cette porosité se retrouve dans la communauté de votes très forte à l’Assemblée nationale entre député·es des groupes Droite Républicaine (DR) et RN Sur l’examen de 2 876 scrutins publics analysés depuis le début de la 17ème législature, ces deux groupes ont voté en moyenne sept fois sur dix les mêmes textes et motions, une communauté de votes un peu plus importante qu’entre les groupes DR et Ensemble pour la République (six fois sur dix). « À l’Assemblée, la droite plus proche du RN que des macronistes », Politico, 2 juillet 2025.. Le fait que les attaques du secteur culturel, de ses valeurs et de ses acteur·rices, soient de plus en plus frontales, répétées et généralisées à un spectre politico-médiatique large appelle à agir en conséquence. L’ensemble des atteintes doivent être systématiquement documentées et dénoncées, leurs impacts mesurés, et les risques encourus médiatisés auprès du grand public.

Ce sont peut-être moins les élu·es d’extrême droite qui constituent le danger que l’assimilation décomplexée de leurs idées par le champ politique.

Mais cela est insuffisant et demande aussi d’autres formes de réponses, plus réflexives. Il y a un enjeu majeur à (re)construire au sein du secteur culturel un discours et un positionnement face au narratif de l’extrême droite, qui soient audibles par le plus grand nombre et redonnent à la culture une image désirable, une volonté partagée de défendre ce secteur et ses acteur·rices. Si absurdes qu’ils puissent paraître à celles et ceux qui y travaillent, souvent dans la précarité, les discours assimilant le secteur culturel à une caste de privilégié·es vivant confortablement d’argent public semblent trouver un écho chez beaucoup de citoyen·nes. Probablement parce que l’image de déconnexion et d’entre-soi dont souffre le secteur a fait son chemin et achève de le rendre non essentiel dans l’opinion : à l’heure où les injonctions à tailler dans les services publics deviennent la norme, qu’est-ce qui justifierait en effet de préserver le financement de la culture au détriment de la santé ou de l’éducation ? Il y a ici un réel travail de fond pour réinventer un récit qui parle à la population dans sa diversité. C’est-à-dire qui ne se focalise pas sur la défense des emplois, sur les « dates en moins » ou sur la création artistique, mais incarne des thématiques qui touchent au quotidien des personnes pour rendre les attaques de la culture socialement inacceptables. La réinvention de ce discours doit aussi permettre d’aller chercher les plus rétif·ves, du côté de l’électorat d’extrême droite. Le récent ouvrage du chercheur Félicien Faury montre que les ressorts du vote RN se caractérisent notamment par une dimension raciste et une détestation des élites culturelles, son électorat se sentant moins solidaire des personnes au fort capital culturel que des dominants économiques F. Faury, Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l’extrême droite, Seuil, 2024, cf. chapitre 5 et particulièrement p. 185-191.. La critique des « assisté·es » et la « valeur travail » étant prégnantes au sein de cet électorat, l’assimilation des acteur·rices culturel·les à une forme d’assistanat rencontre donc un écho particulièrement favorable chez lui. Le discours convenu sur la culture vectrice du vivre-ensemble et de diversité ne suffira plus à faire face en l’état actuel. Il serait plus porteur de jouer sur des affects communs (l’attachement aux services publics, une meilleure redistribution des richesses), des conditions de vie et des préoccupations quotidiennes partagées (la précarité, la crainte du déclassement), en les ramenant aux raccourcis trompeurs et aux faiblesses du discours social de l’extrême droite (la « préférence nationale » comme réponse).

Se regarder en face et repenser nos pratiques

Qui plus est, tenter de comprendre et de convaincre ne solutionnera pas tout. Ce serait se cantonner à une posture de « sachant » et sous-tend que les « autres » ont tort alors que nous sommes dans le vrai, des raisons alimentant en partie la défiance de l’électorat d’extrême droite Ibid.. Et cela conduirait à éloigner toute tentative d’introspection, qui paraît aujourd’hui nécessaire à au moins deux égards : prendre acte du fait que la culture, telle que nous la mettons en œuvre, ne parle pas à tous·tes et que nous avons une responsabilité ; réexaminer en conséquence ce qu’on propose et la conception de la politique publique de la culture qui la sous-tend.

Prendre acte du fait que la culture, telle que nous la mettons en œuvre, ne parle pas à tous·tes et que nous avons une responsabilité.

À la suite des travaux pionniers de Pierre Bourdieu, les enquêtes sur les pratiques culturelles des Français nous enseignent depuis plusieurs décennies que la stratification sociale perdure malgré des inflexions. En dépit d’une diversification de l’offre et de l’essor global des sorties culturelles, la fréquentation des lieux culturels demeure plus souvent le fait des catégories supérieures urbaines diplômées et de publics vieillissants Elle est encore plus liée à l’appartenance sociale en 2008 que 35 ans plus tôt, les taux de non-fréquentation s’étant accrus dans tous les groupes sociaux à l’exception des cadres supérieurs. Cf. P. Coulangeon, Les métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui, Grasset, 2011, 165 p. La dernière enquête de 2018 montre une réduction notable des écarts sociaux pour la fréquentation des bibliothèques et des théâtres, une stabilité relative pour le cinéma et un creusement des écarts pour les lieux patrimoniaux (musées, expositions, monuments) ou les concerts de musique classique, de rock et de jazz. P. Lombardo et L. Wolff, 50 ans de pratiques culturelles en France, DEPS, coll. « Culture études », 2020-2, juillet 2020, p. 3, 47, 60 et 65.. Quand on sait que 3 % de la population seulement a un abonnement a une salle de spectacle L. Garcia et al.Les sorties culturelles des Français et leurs pratiques en ligne en 2023, 2024-2, avril 2024, p. 16., est-ce qu’on peut considérer que nous sommes irréprochables ou que nous ne pouvons pas mieux faire ? Armé·es des meilleures intentions, sincèrement convaincu·es du bien-fondé de notre action et ne ménageant pas nos efforts, nous laissons tout de même la majeure partie de la population de côté. Il y a là un énorme paradoxe quand on revendique s’adresser à tous·tes, doxa des professionnel·les de la culture. Comme le rappelle fréquemment le sociologue Fabrice Raffin, l’échec de la démocratisation culturelle est consommé, et celle-ci a longtemps servi d’alibi à la production d’une culture institutionnelle pour l’essentiel définie par les professionnel·les de ces institutions et leurs publics attitrés « Politiques culturelles et classes populaires : rendez-vous manqué », La gazette des communes, 21 octobre 2024.Un nombre considérable de personnes issues de milieux populaires ou de classes moyennes ont la conviction chevillée au corps que cette culture n’est pas faite « pour eux », et ne voient pas l’intérêt de fréquenter des lieux et des événements culturels Entre un tiers et 45 % des personnes déclarent ne pas être allées au concert, au cinéma et au théâtre sur les douze derniers mois par désintérêt, et autour de 15 % des personnes car elles estiment ne pas se sentir à leur place dans ces lieux. Cf. L. Garcia et al.op. cit., p. 26. Sur la fréquentation de festivals musiques actuelles, voir : « Quartiers populaires : “les festivals c’est pas fait pour nous” », Booska-P, 12 juillet 2023.. Peut-on se contenter de leur dire que le « monde des arts et de la culture est en prise directe avec la société et ses évolutions [et] participe à la construction collective d’un avenir durable, vivable, désirable, plus juste » « [Tribune] 500 artistes se mobilisent pour dire non à l’extrême droite », op. cit. ? Ou doit-on chercher à incarner cette diversité autrement et refonder un pacte de confiance ? D’autres pratiques et attentes en matière culturelle doivent être prises en considération sous peine d’alimenter des ressentiments et d’éloigner encore davantage une partie de la population de la vie démocratique Une note du Conseil d’analyse économique suggère que de fortes dépenses culturelles de fonctionnement peuvent contribuer à réduire l’abstention. Toutefois, si cela semble opérant pour les populations déjà usagères des lieux culturels, cela peut en revanche contribuer à alimenter la défiance de celles qui ne le sont pas contre les institutions et leurs représentant·es (élu·es, équipes de lieux, etc.). Pour une analyse plus complète : « La culture contre l’abstention », Fncc.fr, 20 avril 2022.. Le recul historique suggère que ce n’est pas (qu’) une question de manque de moyens, d’accès aux équipements ou de médiation insuffisante, dans la mesure où ces tentatives d’ouverture se révèlent au mieux peu fructueuses, au pire contre-productives Sur le renforcement de la distance sociale et symbolique d’un public « captif » résultant de la médiation culturelle, C. Ghebaur, « « Une fois devant, ils aimeront. » Médiation culturelle, appropriation et non-publics en banlieue parisienne », Cahiers d’anthropologie sociale, n° 12(2), 2015, p. 127-143..

Si les constats sur la crise de la culture ne datent pas d’hier et sont souvent instrumentalisés V. Guillon, « Politique culturelle : le théâtre public en héritage », L’Observatoire. La revue des politiques culturelles, n° 62 [En ligne], juillet 2024., un ensemble de marqueurs montrent clairement une polycrise profonde à l’œuvre (des financements, des publics, de sens). Et les réponses jusqu’à présent ne sont pas à la hauteur des défis, comme l’a révélé la séquence ouverte par la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024. Absence de remise en question sérieuse des milieux culturels Robin Renucci, metteur en scène et directeur du théâtre national de la Criée, en offre une illustration emblématique dans l’émission « Le Temps du débat » de France Culture, diffusée une semaine avant les législatives anticipées et interrogeant la part de responsabilité du monde culturel dans la montée en puissance de l’extrême droite., positionnements pas définis voire clivés vis-à-vis de l’extrême droite On pense notamment aux critiques ayant ciblé les rares voix dissonantes du spectacle vivant public à avoir tenté une introspection à l’orée des législatives anticipées (Ariane Mnouchkine, Éric Ruf). Par exemple, « Alors redevenez “la Grande Ariane” », l’Humanité, 21 juin 2024., mobilisation balbutiante et dispersée pour faire face aux attaques diverses sur le monde associatif On a ainsi du mal à voir en quoi la Mobilisation et Coopération Arts et Culture (MCAC), relancée en avril 2025 par une cinquantaine d’organisations (dont Haute Fidélité), ne fait pas en partie doublon par rapport à la Mobilisation des associations citoyennes, vu la proximité des mots d’ordre et des buts affichés : marcher en ordre dispersé peut conduire à l’essoufflement de l’énergie militante, à diluer l’impact des forces mobilisées et le sens de ce pour quoi on lutte., discours de défense du secteur culturel qui peine à trouver ses arguments, soutien des concitoyen·nes introuvable en raison d’une assise auprès des classes moyennes et populaires qui n’a cessé de diminuer depuis les années 1970 M. Glas, Quand l’art chasse le populaire. Socio-histoire du théâtre en France depuis 1945, Agone, 2023, 384 p. Pour une synthèse par l’autrice, « Quand le théâtre public perd de vue le populaire : socio-histoire d’une contradiction », Observatoire des politiques culturelles, 26 septembre 2024., parole politique longtemps inaudible Voir à ce propos la conclusion de la résolution du Conseil économique, social et environnemental, « Crise du secteur culturel : l’urgence d’agir », 9 mai 2023, p. 20-21. Des responsables politiques, plutôt situé·es à gauche de l’échiquier politique, commencent à prendre position, à l’instar d’élu·es socialistes appelant dans une tribune au Monde à sanctuariser les budgets culturels des municipalités en 2026, ou de François Ruffin qui plaide « pour un nouveau contrat entre l’art et le peuple » dans un récent billet de blog.… Ces dynamiques tiennent en partie à une double tendance à l’œuvre depuis des décennies, qui participe à l’atomisation du secteur culturel et entrave sa capacité à être en prise avec la société : la montée en puissance d’une conception libérale de la culture, qui se traduit entre autres par des politiques de soutien à des « filières culturelles » (en grande partie envisagées sous un prisme économique et par des appels à projets toujours plus prégnants) ; la dépolitisation des artistes et des professionnel·les de la culture, illustrée par latonie des milieux culturels à l’été 2024, qui a conduit à une mobilisation tardive et inégale pour les législatives anticipées « Le monde de la culture se mobilise (timidement) contre le RN à quelques jours du vote », Beaux Arts Magazine, 28 juin 2024. Pour le secteur musical, lire : « Contre le RN, le monde de la musique en mode sourdine », Les Jours, 22 juin 2024. Cette dépolitisation s’inscrit dans un contexte plus large d’autocensure et de mise à distance de la critique des politiques publiques qui touche massivement le secteur associatif subventionné, comme le confirme la première enquête statistique nationale réalisée auprès de 2 700 associations représentatives du secteur dans sa diversité. Cf. « Libertés associatives : « L’autocensure est un phénomène massif » », Mediapart, 30 juin 2025..

Le monde de la culture se fantasme en rempart contre la barbarie, alors qu’il a du mal aujourd’hui ne serait-ce qu’à se coaliser et à fédérer autour de lui. Le centre de gravité des réflexions et mobilisations actuelles devrait moins tourner autour du « comment on sauve nos activités et nos emplois » que du « comment on renoue avec le corps social, pour qu’il nous aide à sauver nos activités et nos emplois ». Dit autrement, il faut peut-être tenir stratégiquement deux bouts ensemble : rappeler avec force à quoi sert la culture et la valeur créée pour la société, et remettre à plat collectivement notre modèle en bout de course pour faire en sorte que chacun·e regagne en pouvoir sur sa vie culturelle.

Le monde de la culture se fantasme en rempart contre la barbarie, alors qu’il a du mal aujourd’hui ne serait-ce qu’à se coaliser et à fédérer autour de lui.

Ce second chantier doit impérativement se faire avec les citoyen·nes, pas « en leur nom ». À défaut, le risque est grand de le cantonner à des enjeux politico-administratifs et à des ajustements à la marge décidés par une minorité, au lieu d’en faire une question sociale et un objet de débat public. C’est pourtant l’écueil qui guette les récentes initiatives en ce sens, malgré un constat commun sur le besoin de refonder les politiques culturelles : appel de Culture·Co à des Assises nationales de la culture et préparation par ses adhérents d’une position nationale sur l’avenir des politiques culturelles territoriales, travaux de la commission Culture de Régions de France pour aboutir à la construction de propositions nouvelles La synthèse des premières consultations menées auprès de représentant·es du monde culturel est disponible en suivant ce lien., appels divers à réinventer le service public de la culture Cf. entre autres : « Réinventer le service public de la culture », L’Affut. Le magazine de l’A. Agence culturelle Nouvelle-Aquitaine, printemps-été 2025, p. 4-7., appel à des États généraux de la culture initié par le Parti Communiste Français « « Nous décrétons l’état d’urgence culturelle » : l’appel pour de nouveaux États généraux de la culture », L’Humanité, 20 juillet 2025.… On voit mal comment les préoccupations et aspirations citoyennes vont infuser dans ces espaces qui fleurent l’entre-soi « expert », alors que cela devrait être un prérequis. L’organisation d’une Convention citoyenne de la culture, récemment proposée par le Syndicat national des arts vivants (Synavi) Synavi, « Déclaration du Mans », 30 juin 2025., aurait au moins ce mérite-là – malgré toutes les limites des Conventions citoyennes. Les questions à trancher sont nombreuses et nous concernent tous·tes au premier chef : que choisit-on de soutenir (ou non) et à quel degré, de sanctuariser (la culture comme compétence obligatoire par exemple), qui prend en charge quoi parmi les collectivités locales et l’Etat, quelle répartition des financements au sein du secteur pour asseoir au mieux la diversité artistique et culturelle, quelle place de la création artistique subventionnée – historiquement survalorisée en France – par rapport aux autres missions de service public, quels outils et moyens pour asseoir une culture au service de l’émancipation de chacun·e et de la justice sociale, etc.

Un des cadres possibles pour repenser ce modèle culturel en déclin est celui des droits culturels. Alors que cette notion est consacrée par deux lois depuis une décennie (NOTRe en 2015 et LCAP en 2016), elle n’a jamais permis de redessiner la politique culturelle française « A la recherche des ‘droits culturels‘ », Terra Nova, M-O. Padis, 11 mars 2024.. Si le manque de volontarisme politique est en cause, la méconnaissance et l’absence de mise en pratique par les responsables culturel·les Une synthèse du Cycle des Hautes Études de la Culture sur le sujet est limpide : « Pour autant, la notion de droits culturels est en l’état mal comprise et difficilement appropriée par les acteurs, ce qui explique son manque de portage politique et institutionnel. La majorité des acteurs culturels questionnés par le groupe n’ont aucune connaissance de la notion de droits culturels, d’autres s’en revendiquent à tort, et plusieurs mettent bien en œuvre une démarche adéquate mais sans le savoir. » Cf. Cycle des Hautes Études de la Culture, Session 19-20 – « Territoires de cultures », Synthèse du rapport du Groupe 5. Les droits culturels au service du lien citoyen et territorial, 2021, p. 1., voire leurs résistances parfois très fortes Pour un état des lieux des controverses, R. Sourisseau et C. Offroy, Démocratisation, démocratie et droits culturels, rapport d’étude, juin 2019, particulièrement p. 41-46. Voir aussi S. Montero et A. Chêne, « Les scènes culturelles labellisées à l’épreuve du modèle émergent du tiers-lieu culturel », Culture & Musées, n° 45 [En ligne], juin 2025., font partie du problème. Le résultat : au moment où nous nous battons pour ne pas prendre l’eau et où le ministère de la Culture alloue péniblement 6 millions d’euros (ME) supplémentaires au plan « Mieux produire, mieux diffuser » (après avoir consenti une baisse de 114 ME sur son budget 2025), l’Espagne lance un ambitieux Plan pour les droits culturels issu d’une année de concertations, en le dotant de 79 ME et en créant une direction des droits culturels au sein de son ministère de la Culture. Au risque de rappeler une évidence, il ne suffit pas de faire des « hors les murs » ou des « scènes ouvertes » pour concrétiser les droits culturels. Cela requiert de réinventer des rôles et des fonctions souvent « sacro-saints » (création, programmation et diffusion), en reconsidérant le monopole des professionnel·les sur la prescription culturelle Monopole qui est le plus souvent ardemment défendu, mais qui peut aussi être totalement dénié par celles et ceux qui l’exercent. Dans un récent manifeste sur la programmation dans le spectacle vivant, ses auteur·rices présentent ce « travail d’artisan » comme un acte « désintéressé » et « au service de l’autre ». Un discours qui évacue tous les enjeux de pouvoir et de domination, les logiques de carrière et autres profits sociaux et symboliques qu’en retirent les professionnel·les.. Et, plus profondément, de se départir d’une conception de la « culture-catalogue » (aménager un « déjà-là » institué en mettant les œuvres d’art au centre) au profit d’une « culture-processus », consistant à mettre les relations entre personnes et autres vivants au cœur, pour décider continuellement ce qui « fait culture » dans le respect de la liberté et de l’égalité de chacun·e « Où rechercher les droits culturels des personnes ? », La Grande Conversation, J-M. Lucas, 24 avril 2025.. Une piste ardue bien que prometteuse, face aux visions autoritaires et liberticides de la culture véhiculées par un nombre croissant d’élu·es, et aux impasses décrites qui font de la culture un vecteur d’exclusion et de ressentiment. Cet exercice d’introspection individuel et collectif pourrait être le prix de l’alternative au pacte faustien, et contribuer à la préservation de ce qui nous anime.

Article ébauché en avril 2025 / Publié en septembre 2025

Cet article s’est nourri des échanges avec Anne-Cécile DOUILLET, professeure de science politique à l’Université de Lille et directrice du Ceraps

Vincent GUILLON, codirecteur de l’Observatoire des politiques culturelles et professeur associé à l’IEP de Grenoble

Aurélie HANNEDOUCHE, directrice du Syndicat des musiques actuelles

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