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28.02.2025 à 10:02

« Désarmer Bolloré par le livre »

En poussant la porte de la librairie Publico, à deux pas de République à Paris, une forte odeur de papier et de café vous sautent aux narines, tandis que des portraits de figures de la gauche radicale s’étalent largement sur les murs. Papiers en main et notes griffonnées sur un bout de feuille, l’administratrice du … Continued

Texte intégral 2464 mots

En poussant la porte de la librairie Publico, à deux pas de République à Paris, une forte odeur de papier et de café vous sautent aux narines, tandis que des portraits de figures de la gauche radicale s’étalent largement sur les murs. Papiers en main et notes griffonnées sur un bout de feuille, l’administratrice du lieu, Hélène Hernandez, nous accueille avec un large sourire. Rapidement, elle prévient qu’ici “on vend des livres, on ne vend pas du livre”. La nuance semble essentielle pour celle qui anime aussi des émissions sur Radio Libertaire (station de radio de la Fédération anarchiste, NDLR).

Publico fait partie de la centaine de librairies ayant signé la tribune publiée par le site Contre-Attaque en novembre 2024: « Ne laissons pas Bolloré et ses idées prendre le pouvoir sur nos librairies ». Elle fait suite à la mainmise de Vivendi (groupe français de médias et de divertissement appartenant à Vincent Bolloré, NDLR) sur le groupe Hachette depuis 2023 grâce au rachat de 60% de Lagardère (JDD, Europe 1, Relay). Depuis deux ans, le monde du livre s’affole et voit sa liberté se réduire au profit de groupes industriels détenus par des milliardaires comme Vincent Bolloré, Daniel Kretinsky (qui a récupéré Editis à l’industriel breton) ou Pierre-Édouard Stérin (autre milliardaire classé très à droite, qui espère faire naître près de 300 librairies). Des fortunes au service de projets “idéologiquement marqués et dangereux”, nous souligne un membre de l’association Les Soulèvements de la Terre, qui souhaite rester anonyme. Porteuse de cet engagement, l’association se bat contre la concentration de l’édition entre les mains de grandes fortunes d’extrême droite. Une tribune qui a servi de prélude à une série de contestations et de blocages à la fin janvier. En effet, depuis la dissolution de l’Assemblée l’été dernier, des dizaines d’antennes locales de syndicats, des associations antifascistes, des mouvements d’écologie radicale tels qu’Extinction Rébellion et les Soulèvements se sont affiliés à un appel à Désarmer Bolloré. Une manière de répondre au bulldozer breton et d’entrer en résistance idéologique.

Publico, l’une des principales librairies anarchistes de France donc, a fait le choix de limiter au maximum la présence de livres issus du groupe Hachette. Pour sa gérante, proposer des ouvrages générant des profits pour Bolloré serait une trahison envers ses clients et ses valeurs. Hélène Hernandez rappelle en effet que le milliardaire breton « a fait fortune dans les colonies en Afrique grâce à une politique extractiviste ».

Une radicalité partagée par Utopia, librairie indépendante du 5ème arrondissement de la capitale. Pour Laure, sa responsable : “Vendre des livres, c’est faire passer d’autres choses à travers eux”. Le lieu qui se veut “populaire et éducatif” est par ailleurs spécialisé dans l’écologie politique, en opposition frontale d’après elle à la politique des entreprises du groupe Bolloré.

Il est certain pour les signataires de la tribune, dénonçant des options idéologiques fascisantes, que le contexte est alarmant, autant dans le domaine éducatif que pour le grand public. Hachette regroupe en son sein une cinquantaine de maisons d’éditions (Fayard, Grasset, Stock…), 50% des manuels scolaires, et se place comme le premier groupe français dans l’édition et le troisième au monde avec près de trois milliards de chiffre d’affaires en 2023. 

Tentaculaire, le groupe Vivendi exerce désormais un contrôle sur l’ensemble de la chaîne du livre, de l’édition à la distribution, en passant par les points de vente comme L’Écume des Pages, la fameuse librairie de Saint-Germain-des-Près, à deux pas du Flore, ou par l’ensemble des Relay dans les gares et aéroports français. Pour Hélène, cette stratégie s’explique simplement : “Le milliardaire cherche à vider certaines maisons d’édition pour y installer ses propres réseaux. Obtenir le monopole nécessite de maîtriser toute la chaîne du livre.” Une ambition déjà illustrée par la nomination de Lise Boëll, éditrice d’Éric Zemmour, à la tête de Fayard sur décision directe de Vincent Bolloré, évinçant ainsi Isabelle Saporta, directrice générale de la maison à ce moment-là.

Pour la petite centaine de libraires signataires, il est hors de question de subir “le monopole de Bolloré”. Le collectif des « Soulèvements de la terre » nous précise mettre en place des actions “pour que les gens savent à qui appartiennent ces maisons et à qu’ils donnent de l’argent.” 

Les « Soulèvements » assurent qu’ils n’appellent pas « au boycott total des éditions Bolloré, mais alertent et invitent les lecteurs à se tourner vers des indépendants, et les libraires à ne pas exposer explicitement les livres de chez Hachette« . Hélène Hernandez abonde dans ce sens: « Même Publico vend quelques livres de Hachette et reçoit à la librairie des auteurs qui publient dans les différentes maisons du groupe. Si on aime, on vend, mais on fait attention à ce qu’on prend et on évite de les exposer. On informe”. Chez Utopia, les libraires sont plus radicaux puisqu’ils ont “arrêté de travailler avec Fayard, ne diffusent plus leurs livres et la question de l’ensemble du groupe Hachette doit être discutée en interne”.

Le collectif « Désarmer Bolloré » regroupe des dizaines d’associations, syndicats, collectifs militants pour faire face à la pieuvre Bolloré. Il a mis en place une série d’actions pour contrer l’empire du milliardaire breton

D’autres libraires, non signataires de la tribune, ne sont pas pour autant en reste. Pour La Librairie du Château dans le Périgord, non affiliée à l’appel, l’engagement et la prise de position « sont identiques au sein de leurs rayons« . La gérante nous confie que la ligne directrice est d’avoir en rayon « plus de maisons indépendantes, moins de Hachette. »

Tout ce tissu d’indépendants précieux se bat pour défendre la « liberté de pensée et la liberté d’expression” ajoute Hélène de chez Publico. Une action qui prend aussi la forme de marques-page, à l’effigie de Bolloré ou de figures de la gauche, pour signaler au lecteur de « qui édite le livre, à qui appartient le groupe et l’inviter à se tourner vers des indépendants » expliquent les Soulèvements.

La diffusion se fait soit directement par les libraires volontaires, soit par distribution pirate sur les grands points de vente tels que les supermarchés ou les Relay. « On n’a pas les mêmes armes que Bolloré, on ne force personne mais on informe du choix possible » affirme Laure d’Utopia.

Le sujet reste néanmoins sensible et de nombreuses librairies refusent de s’expliquer sur leur signature. D’autres semblent prises en étau entre leur liberté éditoriale et la réalité économique. “La tribune est courageuse, mais les signataires s’exposent à des pressions et des réprimandes avec des remises moins importantes. Hachette a un tel pouvoir que la maison a les moyens de sanctionner une telle prise de position”

Une librairie parisienne confie qu’elle “ne peut pas vivre sans Hachette. Ceux qui croient le contraire, c’est bye-bye pour eux”, assumant pleinement son choix de ne pas signer la tribune, comme certains de ses collègues. Ces derniers ont été mis sous pression et se sont exposés à des menaces, des mails venant de lecteurs, de clients et même de libraires les accusant de porter atteinte à la liberté d’expression, d’être des « censeurs staliniens« , aussi dangereux que ceux qu’ils dénoncent. 

Un des libraires signataire de la tribune a pu ainsi recevoir en décembre 2024 le mail qui suit.

Un exemple, parmi d’autres, de messages parfois envers bien plus virulents envers les libraires. Le collectif a également essuyé les critiques d’opposants politiques et subi le rouleau compresseur médiatique. Quelques jours après la publication de la tribune, le JDD « bolloréisé », recueillait toutes les réactions des sympathisants du milliardaire sur le sujet, de Gilles-William Goldnadel à Eugénie Bastié en passant par Fabrice Di Vizio. Les réactions sur X (ex-Twitter) furent également vives et les appels au boycott des signataires largement relayés. 

Les protagonistes savaient déjà à quoi ils s’exposaient. « Il y a cinq ans, un militant anti-anarchiste a été condamné pour tentative de meurtre sur un de nos libraires. Ils n’ont pas attendu Bolloré pour s’attaquer à nous » confie Hélène.

À la Librairie du Château aussi on reçoit les « mails hostiles et les critiques affichés sur les vitrines. Une invitation d’Edwy Plenel pour une rencontre a fait grincer certains lecteurs ou habitants d’Excideuil » glisse la gérante. Les « Soulèvements » nuancent les critiques de censure auxquelles ils s’exposent, rappelant « qu’on est face à un personnage violent, Bolloré, qui interdit toute critique de ses industries et impose une ligne politique de l’ordre de la mission civilisationnelle poussée dans ses médias. » Et d’ajouter : « Eux sont des censeurs au quotidien, pas nous”.

Le groupe Hachette et sa grosse cinquantaine de maison d’édition restent le premier groupe d’édition en France et le troisième dans le monde

Il est certain que la concentration dans l’édition devient de plus en plus inquiétante, dénonce la librairie Publico. Six ou sept groupes se partagent la plus grosse part du gâteau et possèdent la plupart des grandes maisons d’éditions. Une concentration qui affecte toute la chaîne du livre. Il est très difficile de se passer de ces groupes pour la plupart des librairies et de boycotter ne serait-ce que le seul Hachette. « Le danger est réel puisqu’avant on pouvait faire le choix de privilégier les maisons sans actionnaires. Aujourd’hui ils sont partout« , déplore Hélène. “L’édition, l’école de journalisme, la presse: c’est la pieuvre d’extrême droite” martèle Laure d’Utopia.

« Une catastrophe pour le monde de l’édition », assènent les signataires de la tribune. Face au rouleau-compresseur Bolloré, armé de médias audiovisuels et de relais en tout genre prêts à le défendre coûte que coûte, les quelques 80 librairies signataires refusent de plier. Le combat des libraires indépendants est inégal, et rude, mais il importe pour notre futur collectif. « Le livre reste une arme » disait Eric Hazan, fondateur de la maison La Fabrique.

Thibaut Combe

27.02.2025 à 21:15

«L’histoire de Souleymane : les invisibles aux Césars» avec Boris Lojkine

Né du confinement et de l’image de ces rues vides où seuls les livreurs restaient visibles, le film « L’Histoire de Souleymane » témoigne de la rencontre entre la solitude de l’exilé et celle du travailleur numérique dans un capitalisme ubérisé. Présenté à Cannes 2024, le film a su se faire une place malgré l’absence de noms … Continued

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Né du confinement et de l’image de ces rues vides où seuls les livreurs restaient visibles, le film « L’Histoire de Souleymane » témoigne de la rencontre entre la solitude de l’exilé et celle du travailleur numérique dans un capitalisme ubérisé. Présenté à Cannes 2024, le film a su se faire une place malgré l’absence de noms bankables au casting. Son acteur principal, Abu Sangaré, malgré plusieurs récompenses, est resté longtemps non régularisé, la reconnaissance artistique ne suffisant pas à obtenir des droits fondamentaux.

Son réalisateur, Boris Lojkine, était l’invité de Bénédicte Martin jeudi 27 février. Ensemble, ils sont revenus sur les étapes de création du film jusqu’à sa consécration, avec sa nomination dans de nombreuses catégories aux Césars 2025, et ont évoqué le rôle essentiel des travailleurs migrants, souvent présentés par la classe médiatique et politique comme des poids alors qu’ils participent activement à l’économie française.

25.02.2025 à 23:39

«L’identité française vaut-elle un débat ?» avec François Bégaudeau et Laurent Ozon

« Qu’est-ce que signifie être français ? Quels droits cela confère-t-il ? Quelles obligations cela implique-t-il ? » a lancé François Bayrou, le 7 février dernier sur RMC, invitant à une réflexion nationale sur le sujet dans les mois à venir, ainsi que Nicolas Sarkozy l’avait fait lors de son quinquennat. Une fois de plus … Continued

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« Qu’est-ce que signifie être français ? Quels droits cela confère-t-il ? Quelles obligations cela implique-t-il ? » a lancé François Bayrou, le 7 février dernier sur RMC, invitant à une réflexion nationale sur le sujet dans les mois à venir, ainsi que Nicolas Sarkozy l’avait fait lors de son quinquennat. Une fois de plus les questions migratoires, le droit du sol, et les affaires d’OQTF se retrouvent sur le devant de la scène médiatique et politique, dans une France où le vote d’extrême droite explose. De quoi cette obsession est-elle le nom? Vraie question pour l’avenir d’un pays fracturé, ou diversion utilisée par un pouvoir très impopulaire dans une France au bord de la récession?

Pour en débattre Aude Lancelin et François Bégaudeau ont reçu Laurent Ozon, chef d’entreprise et ancien membre du bureau politique du FN, dans le troisième épisode de « L’Explication ». Un débat d’une vive intensité, à ne pas manquer !

19.02.2025 à 11:50

Gérard Noiriel : « Pour contrer un discours social, on a martelé des discours identitaires accusant les étrangers »

Droit du sol remis en cause, polémiques à répétition sur les OQTF non exécutées, et maintenant, « sentiment de submersion migratoire » dans la bouche même de l’ex-centriste François Bayrou, dernier premier ministre en date d’Emmanuel Macron. Depuis la dissolution de l’été dernier et les deux gouvernements successifs mis en place par l’Élysée, les idées de l’extrême … Continued

Texte intégral 3027 mots

Droit du sol remis en cause, polémiques à répétition sur les OQTF non exécutées, et maintenant, « sentiment de submersion migratoire » dans la bouche même de l’ex-centriste François Bayrou, dernier premier ministre en date d’Emmanuel Macron. Depuis la dissolution de l’été dernier et les deux gouvernements successifs mis en place par l’Élysée, les idées de l’extrême droite inspirent plus que jamais les discours politiques et médiatiques. Aujourd’hui, qu’est-ce qui sépare encore le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, nouveau héros de la droite porté à bout de bras par toute la sphère Bolloré, des positions d’une Marine Le Pen ou d’un Éric Zemmour sur la question des étrangers? Peu à peu l’idée de « préférence nationale » s’est imposée dans le discours de la droite dite « républicaine ». Une idée née dans les années 1880, et qui ressurgit dès que la patronat en a besoin pour contrer la montée en puissance d’un mouvement ouvrier puissant et unifié, affirme Gérard Noiriel, directeur de recherches à l’EHESS et spécialiste des questions sur l’immigration. En 2024, il livrait le concentré de sa réflexion sur le sujet: Préférence nationale. Leçon d’histoire à l’usage des contemporains. Pour QG, il revient sur les thèses de cet essai, publié chez Gallimard. Interview par Thibaut Combe

Gérard Noiriel, directeur de recherches à l’EHESS et spécialiste des questions d’immigration, était invité de QG en 2023.
Le Replay de l’émission ici : https://urlr.me/HVgPb5

QG: Votre essai sur la préférence nationale semble chaque jour davantage être étayé par l’actualité politique française, qui a mis cap au pire. Qu’est-ce qui vous a poussé à l’écrire en 2024 ?

L’adoption de la loi « Asile, immigration » en décembre 2023 a été pour moi une preuve supplémentaire de la dérive actuelle d’un gouvernement qui se dit par ailleurs respectueux des « valeurs de la République ». Dans ce cours essai de la collection Tracts, j’ai rassemblé les principaux enseignements des 30 années de recherche que j’ai consacrées à cette question, en rappelant comment l’extrême droite avait imposé dans le discours public le slogan sur « la préférence nationale ».

QG : Quand et comment est née cette idée de « préférence nationale », dont la gauche semblait par ailleurs être proche au départ, dans les années 1880 ?

L’expression « préférence nationale » n’était pas vraiment utilisée avant les années 1980. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que dès les débuts de la IIIe République s’est imposée l’idée que les élus du peuple devaient protéger en priorité les travailleurs français par rapport aux étrangers. C’est la conséquence de la rupture fondamentale qu’a imposée la IIIe République grâce à une politique ayant permis l’intégration des classes populaires au sein de l’Etat nation. C’est ce que j’appelle la « nationalisation » de la société française. Dès les années 1880, un clivage apparaît sur cette question au sein de la gauche. Même si elle s’est efforcée de relativiser le « nous Français » – au nom duquel la droite stigmatise ou rejette les immigrés étrangers – en valorisant le « nous êtres humains », la question de l’immigration a toujours été une pomme de discorde au sein de la gauche. Le député de l’Ain, Christophe Pradon (1847-1919), élu en 1881, a joué un rôle essentiel dans la légitimation du « problème de l’immigration » dans le débat public. Pourtant, il appartenait à la gauche dite modérée. Mais ses arguments sur la protection du travail national n’étaient pas partagés par l’extrême gauche marxiste, emmenée par Jules Guesde, le leader du Parti Ouvrier Français (POF).

QG : Pour autant, la bourgeoisie n’a–t-elle pas utilisé la nation, et favorisé la peur de l’étranger pour éviter que les ouvriers du monde ne s’allient, et que tout cela ne débouche sur la révolution annoncée par Marx ? 

En 1848, quand Marx et Engels publient le Manifeste du Parti Communiste, avec cette fameuse conclusion : « prolétaires de tous les pays, unissez-vous », la nationalisation des sociétés européennes ne s’est pas encore vraiment produite. Dans les décennies suivantes, l’intégration des partis ouvriers européens au sein de leur Etat (processus illustré par des revendications et des luttes qui s’adressent désormais uniquement à leur propre gouvernement), va rendre de plus en plus difficiles les mobilisations dépassant le cadre des frontières nationales. C’est ce nouveau contexte qui va permettre à la bourgeoisie d’exploiter le « nationalisme » pour lutter contre les formes de solidarité entre ouvriers français et étrangers. C’est aussi un moyen de présenter les étrangers comme la principale menace pour le peuple français, afin de discréditer la lutte des classes.

Le Parti Ouvrier Français, issu d’une gauche marxiste, était opposé aux reformes socialistes qui privilégiaient les travailleurs français. Déjà dans les années 1880, la gauche se divisait sur la question des ouvriers étrangers

QG : À partir de 1883, la rhétorique de la « préférence nationale » avance plusieurs idées qui deviendront familières sur la question des étranger : non-assimilation, danger pour la sécurité nationale et aggravation du chômage pour les Français. A t-on réussi à avancer de manière progressiste sur le sujet ? 

Le fait que les arguments sur le « problème de l’immigration » fabriqués dans les années 1880 soient aujourd’hui encore mobilisés par la droite et l’extrême droite ne signifie pas que cette histoire soit linéaire. Dans les périodes où le patronat français a eu massivement besoin des travailleurs immigrés, il y a eu des avancées progressistes concernant le respect des droits humains. Ce fut le cas notamment au cours des « trente glorieuses » avec la signature de la Convention de Genève concernant les réfugiés (1951) ou la loi de 1972 contre le racisme.

QG : Dès 1930, on refuse le renouvellement des cartes de séjour aux étrangers, leur interdisant l’accès au travail. N’est-ce pas une fabrication de la misère, un processus contre-productif puisqu’on pousse les gens dans la précarité et potentiellement à la criminalité ou à du travail illégal? 

Vous avez raison. Ces politiques sécuritaires aboutissent finalement à des résultats inverses à ceux qui sont claironnés. Lorsque vous privez les individus du minimum des droits humains nécessaires pour survivre, il ne leur reste que des solutions désespérées.

QG: Quand la France a un besoin de main d’œuvre, l’immigration n’est pas un sujet. Pour autant, dès qu’une crise apparaît, les premiers visés sont les étrangers. La classe politique se défausse sur cette communauté, facile à stigmatiser ? 

Oui, il s’agit là d’un fait incontestable. Lorsque les flux migratoires sont les plus élevés (années 1920, années 1960), c’est une question complètement marginale dans le débat public. En 1968, c’est l’extrême gauche qui repolitise la question de l’immigration pour dénoncer la surexploitation d’un prolétariat parqué dans les bidonvilles. Mais quelques années plus tard, quand la conjoncture économique se retourne, la droite et l’extrême droite s’emparent du sujet pour détourner la colère des classes populaires victimes de la crise économique. Paradoxalement, c’est quand l’immigration s’arrête que les portes-parole de la classe dominante commencent à gloser sur l’envahissement et le « grand remplacement ». Dans la plupart des pays démocratiques, c’est la droite et l’extrême droite qui exploitent ces références nationales qui sont placées au centre de leur programme politique.

QG : Vous dites que le sujet de l’immigration est d’abord un problème socio-économique. L’immigration a été un levier important pour faire tourner des industries particulières ?

En ce qui concerne la France, il est évident que l’immigration a été l’une des dimensions essentielles de l’action de l’Etat pour combler les déficit du marché du travail. Depuis la fin du XIXe siècle, les travailleurs étrangers ont occupé une place essentielle dans l’industrie minière, l’industrie lourde, le BTP, l’agriculture. Tous les gens sérieux, même dans les milieux patronaux, savent qu’aujourd’hui encore l’économie française aura besoin de faire appel à des centaines de milliers d’immigrés pour faire face aux pénuries de main d’oeuvre, notamment dans le secteur des services. La place des femmes est de plus en plus importante aujourd’hui dans ces nouveaux flux migratoires.

Manifestations d’étudiants, en 1935, pour protester contre l’arrivée de médecins étrangers fuyant le nazisme

QG : Le domaine le plus touché est celui de la médecine depuis les années 1930. Comment s’est construit le racisme dans cette profession ?

Je montre que les formes de concurrence qui ont pu toucher, sur le marché du travail, les Français et les étrangers n’ont pas concernés que les classes populaires (ouvriers, artisans, petits commerçants). Dans les années 1930, parmi les dizaines de milliers de réfugiés ayant fui le nazisme, un certain nombre appartenaient aux professions libérales. Les médecins et les avocats français (y compris les étudiants) se sont mobilisés contre ceux qu’ils appelaient « les métèques », ce qui a alimenté l’antisémitisme dans des milieux sociaux qui ont massivement soutenu le régime de Vichy en 1940. 

QG : La préférence et l’identité nationales sont des idées vieilles de près de 150 ans. Comment ont-t-elles réussi à traverser les époques ?

Depuis la fin du XIXe siècle, le sentiment d’appartenance nationale a été puissamment inculqué par toute une série de moyens, comme la langue, le droit, les discours sécuritaires et les commentaires martelés chaque jour dans l’actualité politico-médiatique. Le constat que j’ai fait, c’est que nous vivons dans une société qui reste fondamentalement structurée sur une base nationale. C’est ce qui explique l’impact que peuvent avoir les discours qui manipulent le « nous Français » pour accuser les étrangers de tous les maux. L’une des principales contradictions de la situation actuelle, c’est que la plupart des sphères d’activité sont aujourd’hui mondialisées (l’économie, la culture, le sport etc), mais la compétition politique reste encore prisonnière de la logique nationale. On le voit bien avec la crise que traverse l’Europe actuellement.

QG : La droite a fait de l’immigration, la sécurité et la place des étrangers un cheval de bataille. Qu’a-t-elle à gagner à se positionner aussi fermement sur cette question ? 

J’ai montré que dès la fin du XIXe siècle, la vie politique s’était restructurée autour d’un clivage opposant « la droite nationale-sécuritaire » et la gauche « sociale-humanitaire ». Dans un système politique fondé sur la logique parlementaire, la prise du pouvoir d’Etat suppose de gagner les élections en expliquant aux citoyens quels sont les responsables de leurs malheurs. La montée en puissance du mouvement ouvrier a permis à la gauche de dénoncer le rôle des patrons capitalistes. C’est pour contrer ce discours social que les partis qui défendent les intérêts de la bourgeoisie ont martelé des discours identitaires accusant les étrangers d’être les responsables des malheurs des Français. Les contextes de guerre ou d’actions terroristes ont été systématiquement exploités pour alimenter des discours nationalistes, xénophobes, antisémites et racistes.

Les discours identitaires, portés par Jean-Marie et Marine Le Pen, imprègnent aujourd’hui le paysage politique et médiatique. À tel point que la frontière entre un Bruno Retailleau et le RN semble floue.

QG : Vous soutenez qu’une des solutions pour que la gauche reconquiert les classes populaires serait d’articuler la question des inégalités socio-économiques à celle des droits humains. Est-ce encore possible aujourd’hui ?

L’histoire montre effectivement que la gauche a pu devenir hégémonique en France quand elle a proposé des programmes associant la lutte contre les injustices sociales et pour les droits humains (ce fut le cas en 1936 et en 1981). La déception des classes populaires à l’égard de la gauche au pouvoir au cours des années 1980, mais aussi la crise profonde du mouvement ouvrier victime de l’offensive néo-libérale, l’atomisation des luttes pour défendre des causes qui ont du mal à se coordonner dans un programme d’ensemble (féminisme, antiracisme, écologie etc) expliquent les difficultés actuelles de la gauche. 

QG : Du macronisme au RN, en passant par le PS, le moment semble être à la course à l’outrance anti-immigration. Comment en sommes-nous arrivés à un climat aussi hostile envers les étrangers?

Le déclin du mouvement ouvrier et des luttes socio-économiques est l’une des raisons majeures de l’affaiblissement de la gauche aujourd’hui et de la recrudescence des nationalismes. Au lieu d’alimenter pour la ènième fois les discours dénonçant la « lepénisation des esprits », il faudrait prendre au sérieux la contrainte nationale qui pèse sur l’action politique. Il ne s’agit pas, bien sûr, de justifier les mesures scandaleuses que la droite et l’extrême droite actuelles sont en train de multiplier à l’encontre des immigrés étrangers. Il s’agit plutôt de trouver les moyens d’élargir le « nous Français » en privilégiant ce que les victimes de notre société ont en commun, de façon à détacher du RN et de ses alliés les électeurs et les électrices qui leur font confiance aujourd’hui.

Propos recueillis par Thibaut Combe

Gérard Noiriel est un historien français spécialisé sur les thématiques de l’immigration, de l’identité nationale. Il a notamment écrit Le Creuset français : Histoire de l’immigration XIXᵉ-XXᵉ siècles (Seuil, 2018), Les Origines républicaines de Vichy (Hachette, 2013), Une histoire populaire de la France : de la guerre de Cent Ans à nos jours (Points, 2016), et Le Venin dans la plume : Édouard Drumont, Éric Zemmour et la part sombre de la République (La Découverte, 2019).

18.02.2025 à 21:30

«Vers la fin de l’hégémonie occidentale» avec Régis Le Sommier

Les interventions militaires occidentales, de l’Irak à l’Ukraine, ont engendré échecs stratégiques et ressentiment mondial. L’hégémonie américaine vacille face à un Sud global émergent, tandis que les conflits en Ukraine et à Gaza restent dominés par un récit médiatique occidental excluant les voix dissidentes C’est dans ce contexte que Régis Le Sommier, grand reporter, ex-directeur … Continued

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Les interventions militaires occidentales, de l’Irak à l’Ukraine, ont engendré échecs stratégiques et ressentiment mondial. L’hégémonie américaine vacille face à un Sud global émergent, tandis que les conflits en Ukraine et à Gaza restent dominés par un récit médiatique occidental excluant les voix dissidentes

C’est dans ce contexte que Régis Le Sommier, grand reporter, ex-directeur adjoint de rédaction de Paris Match, était l’invité d’Aude Lancelin ce mardi 18 février sur QG. Aujourd’hui à la tête du média Omerta, il a partagé son expérience de terrain dans un monde de plus en plus polarisé, où la quête de vérité est devenue un enjeu de pouvoir autant qu’une exigence journalistique

18.02.2025 à 18:27

À Tulsa, la résistance au regard de l’histoire

Pour se rendre à Tulsa (Oklahoma) depuis Montréal, on peut choisir de transiter par l’aéroport de La Guardia. Situé au cœur de Queens, à New York, le lieu est peut-être le seul sujet sur lequel Donald Trump et Joe Biden ont parlé publiquement d’une aussi même voix, l’actuel président américain ayant estimé en 2016 que … Continued

Texte intégral 6109 mots

Pour se rendre à Tulsa (Oklahoma) depuis Montréal, on peut choisir de transiter par l’aéroport de La Guardia. Situé au cœur de Queens, à New York, le lieu est peut-être le seul sujet sur lequel Donald Trump et Joe Biden ont parlé publiquement d’une aussi même voix, l’actuel président américain ayant estimé en 2016 que l’installation aéroportuaire était digne « du Tiers Monde », faisant écho à une tirade semblable de l’ancien président démocrate prononcée deux années plus tôt. Une décennie plus tard, les terminaux rutilants et disproportionnés de Delta Airlines visent à laver cette comparaison qui se voulait infamante. À l’image de la ville elle-même, plus hors de prix que jamais, les infrastructures aéroportuaires new-yorkaises ont achevé une dispendieuse transformation. Certes, le fait d’avoir dû débourser l’équivalent d’une vingtaine d’euros pour s’accorder une pinte au bar, au terme d’une bien longue escale, a de quoi faire tressaillir. Mais la résignation prend vite le dessus. Ne nous serine-t-on pas depuis le 5 novembre que Donald Trump doit sa réélection aux taux d’inflation spectaculaires de l’ère Biden ?

C’est précisément de l’une des universités les plus progressistes de New York et du monde transatlantique – la New School for Social Research – que seront originaires plusieurs intervenants à la conférence inaugurale du Center for Heterodox Economics (« Centre d’Économie Hétérodoxe », surnommé le « Che »), au premier rang desquels sa directrice, l’économiste Clara Mattei. Rattaché à l’Université de Tulsa, ce nouveau centre d’économie critique vient d’ouvrir ses portes. L’événement inaugural qui s’y tient du 6 au 9 février 2025 entend donc donner le ton et augurer de ses activités futures. La carrière de Clara Mattei – dont le premier ouvrage a déjà reçu un certain nombre de louanges sur le site de QG – décollait à New York, mais cette dernière a préféré se dépayser dans l’un des plus éminents « red states », bastion du nationalisme chrétien, dans lequel le Républicain Trump a recueilli pas loin de 70% des suffrages en novembre dernier. 

Quelques semaines après l’entrée en fonction de Donald Trump pour un second mandat, QG vous propose un reportage en Oklahoma, où la résistance intellectuelle et l’activisme syndical et communautaire tentent de s’organiser de concert à l’ombre d’une histoire tragique, celle d’un État forgé par l’épuration ethnique et d’une ville meurtrie par la haine raciale. 

Une colonie intérieure

Qu’on se le tienne d’emblée pour dit : l’Oklahoma a toutes les caractéristiques d’une colonie intérieure. À mi-chemin entre le Sud et le Midwest, l’État est créé à la suite du déplacement forcé de plusieurs populations autochtones vers l’ouest du pays ; il est l’un des derniers à avoir rejoint l’Union. Au XXe siècle, il a bâti sa prospérité sur le saccage de l’environnement (« Drill, baby, drill! ») et la ville de Tulsa, en particulier, a été le théâtre d’actes de haine raciale d’une férocité difficilement concevable en temps de paix. 

La reconnaissance de l’Oklahoma comme 46ème État par Teddy Roosevelt se fait donc sous le sceau de l’épuration ethnique. Elle grave dans la loi ce qui avait été gravé dans le sang et dans la glaise : le déracinement des « Cinq nations » dites « civilisées » de leurs terres d’Alabama et de Géorgie, et leur déplacement par-delà le fleuve Mississippi, vers le « Territoire indien », qui deviendra la partie orientale de l’État. Cette série de déportations – dont la plus connue, « le chemin des larmes » (trail of tears), est intervenue à la fin des années 1830 – fait que l’est de l’État est presque intégralement composé de territoires autochtones, dont les plus peuplés sont sous juridiction Osage, Cree (Muskogee), Cherokee, Choctaw, Chickasaw ou Séminole. On parle 26 langues autochtones en Oklahoma, le nom de l’État provenant lui-même du Chacta okla (« peuple ») et humma (« rouge »). 

Rapidement, on y découvre des gisements de pétrole très abondants, si bien que Tulsa devient au tournant du siècle « la capitale mondiale » de l’or noir. Sa population est multipliée par dix entre 1907 et 1921. L’industrie de l’extraction devient vite, on s’en doute, un levier de croissance considérable. L’aéroport international de Tulsa a même pour réputation d’avoir été le plus affairé du monde au terme des roaring twenties. L’enrichissement lié aux ressources énergétiques fossiles ne profite pourtant pas tellement aux populations relocalisées de force sur place, comme le prouvent les meurtres en série de dizaines de propriétaires de terres pétrolifères Osage tout au long des années 1920, qui forment notamment la trame du dernier long métrage de Martin Scorsese. Les splendides immeubles Art déco du centre-ville semi-désert de Tulsa sont le témoignage d’une époque qui fut pour certains dorée. La seconde ville la plus peuplée de l’Oklahoma peut effectivement s’enorgueillir de posséder le troisième patrimoine d’architecture Art déco des États-Unis. Si les bureaux que ces bâtiments abritent au centre-ville paraissent désormais bien vides, le parking de la gigantesque église méthodiste de Boston Avenue – rare exemple d’architecture ecclésiastique Art déco, qui plus est dessiné par une femme – ne désemplit pas, lui, en ce dimanche matin de février.

Bien que confinée au quartier de Greenwood, la population africaine-américaine de Tulsa a pleinement contribué à ce dynamisme économique, avec des activités commerciales florissantes qui donnèrent naissance à une petite bourgeoisie noire et valurent à Greenwood le surnom de « Black Wall Street ». L’abolition de l’esclavage en 1865 est suivie de près par les lois Jim Crow ; dès lors, l’ouest des États-Unis offre une échappatoire, et l’Oklahoma voit même le développement d’une cinquantaine de villes peuplées uniquement d’Afro-Américains, qui échappent ainsi tant bien que mal à la répression politique et à la marginalisation économique que leur promettait la ségrégation. Mais une recrudescence des activités du Ku Klux Klan gangrène l’Oklahoma rural au début du siècle, et ses membres se tiennent à l’affût de la moindre étincelle qui permettrait de déchaîner leur haine. Quelques mois après le Red Summer et les attaques incessantes de l’organisation terroriste contre les communautés noires des grandes villes (Chicago, Washington D.C) comme des campagnes (en Arkansas), le prétexte tant attendu se présente à Tulsa le 30 mai 1921. Une histoire montée de toute pièce va déclencher un déchaînement de violence aveugle et mener à la destruction complète du quartier de Greenwood.

Les esprits s’échauffent lorsqu’une jeune fille blanche de 17 ans, Sarah Page, accusa un jeune homme noir de 19 ans, Dick Rowland, de l’avoir agressée dans un ascenseur du centre-ville, avant de se rétracter par la suite. Reprise sans vérification dans le Tulsa Tribune sur un ton incendiaire dès le lendemain, l’accusation fut accueillie comme une divine surprise par les suprémacistes blancs. Désireux d’en découdre, ils se réunirent par centaines autour de la prison dans laquelle Dick Rowland était détenu. Alertés par des rumeurs de lynchage, plusieurs groupes d’homme noirs de Greenwood se précipitèrent vers le tribunal pour tenter de protéger Rowland, et les centaines d’hommes blancs qui les y trouvèrent forcèrent l’altercation. Dès les premiers coups de feu tirés, la foule fondit comme un seul homme sur Greenwood et mit en quelques heures le quartier à feu et à sang.

La garde nationale, mobilisée par le gouverneur et partie d’Oklahoma City, ne parviendra à Tulsa qu’au matin. Toute la nuit durant, les assaillants blancs incendièrent les commerces et les habitations, empêchant les pompiers d’intervenir pour maîtriser les flammes. Les suprémacistes tirèrent profit du chaos pour piller les propriétés et abattre sans distinction de nombreux hommes, femmes, enfants et aînés noirs. Déterminer le nombre de victimes reste extrêmement difficile, et de nouvelles fouilles sont en cours depuis 2019. La commission d’enquête de 2001 tablait toutefois sur une estimation totale de 150 à 300 morts, avec des centaines de blessés et de déplacés. La nuit du 31 mai au 1er juin 1921 fut longtemps considérée de manière apolitique comme une « émeute », ce qui permit d’ailleurs aux compagnies d’assurance de ne jamais dédommager les habitants de Greenwood qui avaient tout perdu.

Le quartier renaquit pourtant vite des décombres, riche d’une scène culturelle et artistique qui connut son apogée dans les années 1940. Hélas, les habitants de Greenwood n’en avaient pas fini avec les mauvais coups ; ils virent leur quartier défiguré par l’extension de l’autoroute 244, qui eut pour effet d’un peu plus ségréguer spatialement les populations noires et d’accélérer le déclin économique du quartier dans les années 1960 et 1970. On est toujours frappé de constater aujourd’hui à quel point le tracé des huit voies de l’Interstate 244 forme une barrière physique intimidante qui ne peut que continuer de nuire à l’entrepreneuriat, à la sociabilité et à l’égalité dans l’accès au logement, ou aux services de santé, et d’éducation.

L’histoire de l’Oklahoma fait ainsi écho à une fameuse affirmation de Karl Marx dans les derniers chapitres du Premier livre du Capital. Il y évoque l’accumulation primitive, à savoir le « vol » originel, le rapt fondateur qui a permis au mode de production capitaliste d’émerger, à grand renfort d’enclosures agricoles, d’industrialisation hâtive et de conquêtes coloniales. Après description de ces fléaux, Marx conclut que le capital « vient au monde dégoulinant de sang et de saleté par tous ses pores, de la tête aux pieds ». Logiquement, les écrits du penseur allemand ont régulièrement été convoqués en ce début février 2025, pour cette conférence inaugurale du « Che » à Tulsa. 

Penser en hétérodoxe

La soirée liminaire du 6 février était dévolue à la définition de l’hétérodoxie, cet ensemble d’approches en économie qui constitue, aux dires de l’éminent Jamie Galbraith, « la bannière commune de l’indépendance intellectuelle ». Fortes de leur pluralisme et de leur interdisciplinarité, les approches hétérodoxes reconnaissent que des alternatives variées existent pour transformer la société ; on ne saurait donc être hétérodoxe et doctrinaire. Problème, toujours selon Galbraith, ces approches se définissent davantage par ce qu’elles rejettent que par ce qu’elles préconisent, si ce n’est la résolution qu’il fait sienne d’adopter une approche institutionnaliste : de concevoir qu’aucun marché n’est « libre », et qu’aucun marché n’existe sans État, postulat qui a le mérite d’unir sous le même étendard libéraux critiques (comme les post-Keynésiens), féministes, écologistes ainsi que les diverses chapelles marxistes. 

La tâche qui nous incombe, nous dit Anwar Shaikh, professeur émérite d’économie à la New School, consiste à tenter d’approcher le réel pas à pas, de se confronter collectivement à l’orthodoxie, et de ne pas rechigner à la dispute. Il faut, de plus, se garder de succomber au nationalisme méthodologique qui pourrait mener à chercher vainement des modèles vertueux parmi les nations et à négliger le rôle des interdépendances, ajoute Ingrid Kvangraven, professeure au King’s College de Londres. Elle rappelle amèrement que son pays d’origine, la Norvège, doit sa prospérité, ses bonnes pratiques environnementales et son très large parc automobile électrisé à l’exploitation des terres rares dans les pays du Sud et à l’export d’hydrocarbures. Déconstruire ce que l’on veut nous faire tenir pour acquis (le « sens commun ») exige ainsi d’étudier de manière rigoureuse les courants dominants, sans néanmoins se fatiguer à convaincre les chercheurs néoclassiques, qui sont là où ils sont pour défendre la cause capitaliste et ne possèdent aucun intérêt à changer d’avis. L’objectif est plutôt de clarifier sa propre pensée, de produire un savoir émancipateur qui met le doigt sur les injustices et de propager celui-ci, tout en étant prêt à subir des attaques féroces, car il est dangereux pour les possédants de s’entendre dire que les inégalités économiques n’ont rien de naturel et peuvent être corrigées.

Le programme des deux jours suivants fut à l’avenant. Difficile, il est vrai, d’échapper aux menues frasques propres aux conférences de ce genre : quelques fichiers Powerpoint surchargés et illisibles qui noient la pensée, des applaudissements un tantinet m’as-tu-vu dans le public lorsqu’il est question de soutien à la Palestine, des chemises de jeunes premiers un peu trop ouvertes sur des torses velus, quelques invités stars qui se décommandent à la dernière minute, etc. Quelques rares errements et postures, au milieu de discussions qui se sont généralement avérées stimulantes, esquissant les contours d’un espace de partage entre université et activisme, d’un nouveau type de lieu où échanger des idées et des pratiques. Le besoin d’inventer un espace où créer de la praxis (réconcilier la théorie avec l’action) devient des plus impérieux lorsque l’on fait face à ce que l’économiste grec Costas Lapavitsas nomme un « interrègne ». Les mots lucides de l’économiste argentino-brésilien Matias Vernengo résonnent avec une gravité particulière : alors que l’on se prépare à traverser « un très long hiver », il est crucial que les communautés de pensée hétérodoxes puissent continuer à se reproduire.

Aux dires de nombreux participants, les hétérodoxes seraient les vrais légataires des économistes physiocrates et classiques comme François Quesnay, Adam Smith et David Ricardo, puisque ces derniers n’auraient jamais envisagé la séparation disciplinaire entre l’économie et la politique en champs d’étude distincts. Celle-ci fut la conséquence la plus funeste de la révolution marginaliste de la fin du XIXe siècle, emmenée par ces oiseaux de malheur qu’étaient Léon Walras, Carl Menger, Alfred Marshall et Vilfredo Pareto. Si l’on exclut le conflit social de l’équation économique, comment pourrait-on effectivement penser le phénomène tant voué aux gémonies de l’inflation, qui ne possède de signification en tant qu’indicateur que dans la mesure où on l’associe à une réflexion sur les revenus du travail. Car qu’importe au fond que les prix augmentent, tant que les salaires suivent ? Comme le rappelle Vernengo, les électeurs ne votent pas en fonction du taux d’inflation, ils votent comme ils le font parce que leurs salaires ne suivent pas l’inflation, en partie parce que les syndicats ont été largement éviscérés. Même la Banque Mondiale estime qu’une inflation inférieure à 40% est sans impact sur la croissance, et il est vrai qu’historiquement les temps de disette sont plutôt associés à la déflation. 

La sortie des clichés doit aussi primer dans l’analyse des politiques d’austérité, dont les effets récessifs n’ont rien de l’erreur mais tout du projet de classe. Clara Mattei réduit en miettes la présentation qui nous est faite de l’austérité comme une série d’agrégats (ce que l’État dépense, ce qu’il taxe…) et nous exhorte à regarder les glissements qui s’opèrent: d’où l’argent public est retiré pour être réinvesti, le plus souvent en direction des prisons et surtout du complexe militaro-industriel. L’État n’a jamais pris le large ; il intervient plus que jamais, et efficacement avec ça, pour préserver le statu quo et stabiliser l’architecture existante afin que la même loi d’airain demeure : faire que l’immense majorité n’ait d’autre option pour survivre que de travailler pour des salaires trop faibles, sans que des conceptions alternatives de l’ordre économique ne puissent les arracher à ce sort. L’austérité révèle ainsi la tension irréconciliable qui existe entre besoins sociaux et logiques de profit. Elle relève de l’ADN même du capitalisme, puisqu’elle est la seule solution dont disposent ses défenseurs pour stabiliser un système qui fonctionne au détriment du grand nombre. Et qu’importent les récessions que l’arme austéritaire provoque à court terme, car la baisse d’activité et le chômage servent à alimenter les rangs de l’armée de réserve, celle qui est prête à vendre sa force de travail pour un salaire insuffisant, et dont le dénuement fait mécaniquement pression à la baisse sur l’ensemble des salaires. Comme l’ont montré les travaux de Michal Kalecki, le plus marxiste des keynésiens, les capitalistes n’ont pas intérêt au plein emploi.

Même si les approches quantitatives étaient également à l’honneur lors de la conférence, l’histoire de l’économie politique a occupé le haut du pavé. Appréhender l’économie politique historiquement permet de dénaturaliser et démystifier ce que l’on considère comme allant de soi. L’historien de Berkeley, Trevor Jackson, a usé de sa voix la plus solennelle pour nous en convaincre : la connaissance de l’histoire – et plus particulièrement de l’histoire de la vie économique, à savoir des conditions matérielles et sociales d’existence des travailleuses et des travailleurs – n’a rien perdu de sa dimension radicale et émancipatrice. Il importe de connaître le passé non pas pour en tirer des « leçons », mais parce que celui-ci est fondamentalement différent du présent. On en vient alors à la réalisation que si le monde était différent autrefois, il peut tout à fait être transformé à nouveau. Il nous faut ainsi nourrir une forme de solidarité transhistorique, par laquelle on apprendrait des luttes passées pour comprendre ce qui distingue celles qui marquent notre époque et déterminent en partie notre avenir. 

D’un point de vue plus stratégique, ces réflexions ont nourri la conversation sur les récits économiques dominants et la nécessité de leur opposer des contre-récits convaincants. Pourquoi les récits qui légitiment l’austérité sont-ils si facilement tolérés ? Alors que chacun sait que nulle technologie n’est neutre dès lors qu’elle est enchâssée dans un système économique particulier, pourquoi prend-t-on pour argent comptant les souhaits dystopiques de quelques milliardaires qui nous suggèrent que l’Intelligence Artificielle va remplacer les travailleurs ? Comment porter efficacement le contre-récit qui verrait dans l’IA une opportunité rêvée pour diminuer le temps du travail et gagner à la fois en qualité de vie et en productivité ? Comment réduire à néant ces mythes mortifères ?

C’est par une plus forte association aux luttes sociales, au niveau interne comme international, que le monde scientifique peut espérer contribuer à déconstruire les balivernes dont on nous rebat les oreilles pour envisager des futurs plus justes. Une dimension particulièrement bien intégrée au projet du « Che ». 

S’associer aux luttes

En tant que lieu chargé d’une histoire si tragique, Tulsa représente un endroit de prédilection où faire converger les combats intellectuels avec les luttes pour la reconnaissance et la subsistance. La table ronde sur l’économie politique de la Palestine occupée, dont la tenue même a fait l’objet de critiques et de pressions (situation désormais tragiquement banale dans les universités états-uniennes comme canadiennes), en a donné l’occasion. Ses intervenants et intervenantes ont pu donner à entendre des vérités négligées qui émanent des politiques de destruction systématique d’Israël à Gaza, quelques jours seulement après la conférence de presse conjointe de Donald Trump et de Benjamin Netanyahou, au cours de laquelle l’épuration ethnique fut évoquée sur un ton presque badin, comme s’il s’agissait d’un levier de développement capitaliste comme un autre.

Pour Raja Khalidi, directeur du Palestinian Economic Policy Research Institute situé à Ramallah, la réponse génocidaire d’Israël au 7 octobre ouvre une nouvelle phase qui dépasse ce que l’économie politique peut nous permettre de comprendre. La chercheuse Lamees Farraj attire notre attention sur les 17 à 20% de travailleurs palestiniens intégrés au marché du travail israélien dans la construction et l’agriculture, qui ont vu leurs permis tout simplement suspendus à la suite du 7 octobre, et leurs revenus fondre en conséquence. Shir Hever, chercheur en économie politique et manager de l’Alliance for Justice between Israelis and Palestinians, rappelle l’état catastrophique des institutions politiques et économiques israéliennes. Un an et demi après le début de la guerre à Gaza, le fait que l’économie israélienne est en train de s’effondrer est encore largement passé sous silence. Le pays est devenu l’un des pires endroits du monde où investir (90% des investissements dans le secteur technologique se sont volatilisés). La seule industrie dans laquelle Israël continue d’exporter est celle de l’armement, alors même que toutes les technologies de pointe dont l’État hébreu se gargarisait ont échoué à prévenir l’attaque surprise du 7 octobre. Une occasion de plus de rappeler, s’il en était besoin, que les armes utilisées pour perpétrer le génocide sont avant tout américaines.

D’autres activistes internationaux ont fait le déplacement à Tulsa, comme Thiago Vasconcelos, directeur de coopérative agroécologique et organisateur local du mouvement paysan des sans terres du Brésil (Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem Terra).Il faut noter qu’un fort contingent d’économistes brésiliennes ou originaires du Brésil (Luiza Nassif Pires, Clara Brenck, Carolina Alves) a aussi fait le déplacement, témoignant du dynamisme et de la résilience de la pensée critique dans ce pays, malgré plusieurs années de bolsonarisme. La leader du plus puissant syndicat islandais (VR Union), Halla Gunnarsdóttir, est également intervenue pour célébrer la « générosité intellectuelle », celle dont les universitaires doivent faire preuve pour déconstruire les clichés économiques qui restent vivaces dans l’un des pays le plus syndiqués au monde (la fameuse courbe de Phillips, qui proscrit de facto l’augmentation des salaires), arguant du besoin urgent et désespéré de contre-récits alors même qu’un nombre croissant de ménages islandais ressent la précarité dans une économie pourtant relativement bien-portante.

Les luttes sociales américaines ont également été mises à l’honneur, avec plusieurs intervenants et organisateurs locaux originaires de Chinatown et du Lower East Side de New York. Parmi eux, Wing Lam et Zishun Ning du Chinese Staff and Workers’ Association (CSWA), qui luttent contre les dynamiques de spéculation immobilière qui brisent les liens de solidarité au cœur de ces quartiers, et contre certaines législations d’un autre temps – la fameuse journée de 24 heures, légale dans l’État si progressiste de New York – qui mènent à de la « super-exploitation ». Comme nous l’explique d’une voix calme et résolue JoAnn Lum, ancienne journaliste devenue organisatrice au sein de la National Mobilization Against Sweatshops, ce type d’arrangements avec le droit est notamment monnaie courante dans le secteur des soins à la personne, pourtant en partie financé par le Medicaid gouvernemental. L’industrie (privée) du soin paie seulement 13 heures sur les 24 travaillées et détruit le corps des femmes qui s’occupent des personnes dépendantes. Pour Zishun Ning, les 1% sont plus unis que les 99%, car tout est fait pour diviser les travailleurs et travailleuses. Le jeune homme n’est pas tendre avec le système éducatif, qu’il accuse d’avoir relayé les politiques de l’identité qui empêchent les travailleurs et travailleuses de s’unir, alors même que certains propriétaires fonciers chinois – Jonathan Chu ou Margaret Chin à New York – font montre d’une cupidité qui dépasse celle des propriétaires blancs d’autrefois.

D’autres activistes locaux de Tulsa et d’ailleurs étaient présents, comme des militants en faveur du revenu universel ou Kelsey Royce, engagée dans un collectif citoyen qui combat le népotisme et la corruption au niveau local. Impossible de rester insensible, enfin, face au discours de Britanny Newton, engagée pour la hausse du salaire minimum en Caroline du Nord. Avec sa verve tranchante, la jeune femme nous explique que trois choix s’offraient à elle après le lycée : le community college, le fast food, ou l’armée. Dans l’impossibilité de s’acquitter les frais d’inscription du college, elle a choisi de servir l’armée pendant huit ans. Depuis sa démobilisation, la vétérane Britanny Newton se bat pour faire avancer la cause de l’augmentation des salaires – le salaire minimum est aujourd’hui fixé à 7.25 dollars en Caroline du Nord, soit moins de 7 euros – depuis le comté de Columbus, l’un des plus pauvres de l’État. En mettant en résonance des théories scientifiques et des connaissances universitaires avec tous ces combats concrets sur le terrain, la conférence inaugurale du « Che » a efficacement fusionné théorie et action dans une praxis appliquée à l’échelle locale, nourrie des expériences des hommes et surtout des femmes qui prennent soin des autres et continuent de se battre contre l’indignité.

En définitive, la conférence inaugurale du « Che » attire notre attention sur la nécessité, à l’heure de Trump 2.0, d’organiser la résistance intellectuelle dans des espaces hybrides, ou dans d’autres espaces que les universités. Ces dernières, il est douloureux de l’admettre, tendent bien souvent à récompenser la veulerie des arrivistes et le conformisme des suiveurs, et à accorder de la visibilité à celles et ceux qui sauront réciter le plus doctement le discours attendu par les bailleurs de fonds. Ces espaces autres peuvent être les syndicats, les associations, les réseaux travaillant dans les politiques publiques, les organisations communautaires, les think-tanks (pas tous de droite, aux États-Unis), les médias indépendants, etc. La multiplicité des canaux d’action et la diversité de l’écosystème invitent à une nécessaire division du travail : à l’évidence, tous les scientifiques ne peuvent pas devenir des activistes. 

Au terme du processus mené à son terme de néolibéralisation de l’université qui a œuvré à séparer le monde de la connaissance de la société, le « Che’ »constitue donc une belle expérimentation. Ouvert à tous, fort d’un contingent d’étudiants et d’étudiantes inscrits dans un cursus en économie hétérodoxe, aspirant à accueillir des événements mensuels qui réunissent universitaires et activistes, il constitue un nouvel espace au niveau local au sein duquel ouvrir la conversation. Sa création nous rappelle que savoir s’organiser est une science, surtout à l’heure où de nombreux mouvements sociaux ont été réprimés ou marginalisés. 

Malgré les obstacles qu’ils ne manqueront pas de rencontrer, l’enthousiasme de Clara Mattei et de ses camaradess Scott Carter, Bruno Theodosio et Jisu Park, n’en demeure pas moins communicatif. Leur volonté de nourrir la pensée critique et de soutenir l’activisme à une échelle rapprochée semble être la voie à emprunter dans un pays si décentralisé, et mérite tout notre soutien. La tâche sera ardue, le climat sera adverse, mais le combat demeure crucial au sein d’une nation de plus en plus oligarchique et divisée, dont la population est en mauvaise santé, qui n’en finit plus de perdre le contrôle du monde, et qui serait mieux avisée de panser ses plaies internes plutôt que de se vautrer dans de sempiternelles aventures impérialistes. 

Thibault Biscahie, envoyé spécial à Tulsa

Photos Thibault Biscahie

L’auteur remercie le Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal pour son soutien.

 1Killers of the Flower Moon (2023).

2Le Tulsa Tribune titra ce jour-là : « Nab Negro for Attacking Girl in Elevator » (« Épinglez le Negro qui a attaqué la jeune fille de l’ascenseur »), déclarant à tort que l’altercation était une tentative de viol.

3Professeur d’économie à l’Université du Texas à Austin, James K. Galbraith est le fils de John Kenneth Galbraith, conseiller économique des Présidents F. D. Roosevelt, J. F. Kennedy et L. B. Johnson.

13.02.2025 à 23:28

«De quoi la tempête Trump est-elle le nom?» avec Nicolas Conquer, Annie Lacroix-Riz et Roland Gori

Où vont les États-Unis – et avec eux le reste du monde – sous l’influence grandissante du tandem Trump-Musk ? Incarnation d’un nouveau modèle de pouvoir, techno-libéral, cette alliance est perçue par la gauche comme un fascisme de nouvelle génération, tandis que les droites mondiales exultent. S’agit-il d’un retour en force de la première puissance … Continued

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Où vont les États-Unis – et avec eux le reste du monde – sous l’influence grandissante du tandem Trump-Musk ? Incarnation d’un nouveau modèle de pouvoir, techno-libéral, cette alliance est perçue par la gauche comme un fascisme de nouvelle génération, tandis que les droites mondiales exultent. S’agit-il d’un retour en force de la première puissance militaire mondiale, ou au contraire de l’accélération de son inéluctable déclin ? Aude Lancelin a reçu trois invités pour discuter âprement des bouleversements en cours: Roland Gori, psychanalyste, Annie Lacroix-Riz, historienne communiste et Nicolas Conquer, porte-parole français du GOP (Parti Républicain américain)

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