02.03.2025 à 18:09
Médias et travail : célébrer la « valeur travail », invisibiliser les travailleurs (vidéo)
Acrimed sur Blast.
- Travail, salaires, emploi, etc. / Travail, Chômage, emploi, Accidents du travail, Acrimed sur Blast
28.02.2025 à 10:00
C8, BHL, Wikipédia et compagnie : revue de presse de la semaine
Critique des médias : une revue de presse hebdomadaire. Si ce n'est exhaustive, au moins indicative [1]. Au programme : du 21/02/2025 au 27/02/2025. « BHL : nouvelle parade médiatique », Acrimed, 25/02. « Cher Bernard Henri-Lévy », Blast, 22/02. « Le Point et l'éditocratie contre Wikipédia », Acrimed, 21/02. « Wikipédia, leur mauvaise conscience », Arrêt sur images, 21/02. « Sophia Aram, Caroline Fourest, Raphaël Enthoven : pourquoi veulent-ils tous la mort de Wikipédia ? », Le Média, 26/02. « "Cessez-le-feu" à Gaza : les œillères et les partis pris du Parisien », Acrimed, 27/02. « Que sont nos médias devenus ? », UJFP, 25/02. « Antisémitisme et "collabos" : les grands écarts de Franz-Olivier Giesbert », Blast, 25/02. « Bayrou et Bétharram : les médias face au scandale », Arrêt sur images, 21/02. « Affaire Bétharram : les mensonges de Bayrou, la complicité des médias », Blast, 23/02. « Les violences sur les enfants, nouvelle "tendance" de la téléréalité ? », Arrêt sur images, 22/02. « Affaire Louise : anatomie d'une instrumentalisation ratée », L'Humanité, 22/02. « Jacques Cardoze enterre C8 avec des enquêtes faisandées », Télérama, 21/02. « Le "JDD", l'Arcom et C8 : "révélations choc", (très) peu d'investigation », Arrêt sur images, 27/02. « Bernard Arnault, les patrons et la surtaxe : ne parlez surtout pas de chantage », Arrêt sur images, 23/02. « La fin de NRJ 12, un scénario noir pour le groupe NRJ », Le Monde, 21/02. « La disparition de C8 va-t-elle mettre "400 personnes au chômage" ? », Libération, 23/02. « Licenciements économiques chez PlayBac Presse (Le Petit Quotidien, l'Actu…) », L'Informé, 25/02. « Le mépris doit changer de camp ! », SNJ, 27/02. « La mission Soriano relance les rivalités entre quotidiens et magazines », La Lettre, 24/02. « Marianne : un tiers de la rédaction quitte le navire de Daniel Kretinsky », La Lettre, 25/02. « Guerre à Gaza : la rédaction de RMC veut écarter cette "Grande Gueule" après ses propos sur les Palestiniens », Huffington Post, 25/02. « Un nouveau patron de la rédaction chez Midi Libre », La Lettre, 27/02. « "20 Heures" de TF1 : enquête interne et mise en retrait du rédacteur en chef après un "incident" », Libération, 21/02. « On ne laisse pas Baba dans un coin », Les Jours, 27/02. « Publicités clandestines, agressions sexuelles, insultes : la liste des 36 alertes et amendes de l'Arcom à l'adresse de C8 », Libération, 25/02. « Soumya Bourouaha : "Loin d'être neutre dans sa ligne éditoriale, C8 a progressivement basculé dans une volonté manifeste de manipuler l'opinion" », L'Humanité, 27/02. « Hanouna, Wauquiez et Retailleau : pas touche à l'État de droit », Arrêt sur images, 22/02. « Askolovitch, "Madame Gardin" et moi », Arrêt sur images, 24/02. « "Brûler l'ambassade d'Algérie" : comment les propos de Louis Sarkozy sont devenus un sujet », Arrêt sur images, 25/02. « "Il n'y a aucune erreur factuelle" : La production de "Sur le front" défend Hugo Clément accusé de "complotisme" par des scientifiques après un reportage sur France 5 », PureMédias, 27/02. Et aussi, dans le monde : États-Unis, États-Unis (bis), États-Unis (ter), Canada, Mali, Russie, Chine, Iran, Turquie,Turquie (bis)... Retrouver toutes les revues de presse ici. [1] Précisons-le : référencer un article dans cette revue de presse ne signifie pas forcément que nous y souscrivons sans réserve. Texte intégral 1381 mots
Critique des médias
Économie des médias
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27.02.2025 à 17:29
« Cessez-le-feu » à Gaza : les œillères et les partis pris du Parisien
Déshumanisation et double standard.
- 2010-... La désinformation continue / Gaza, Israël, Palestine, Le ParisienLe 16 janvier 2025, à l'annonce d'un accord de « cessez-le-feu » entre l'État d'Israël et le Hamas, le Proche-Orient retrouvait le chemin de la Une du Parisien. Nous avons compilé tous les articles parus dans la version papier entre le 16 janvier et le 6 février, soit les trois premières semaines sur les six qu'est censée couvrir la première phase de cet accord. Leur analyse ne vient nullement contredire la conclusion du deuxième volet que nous avions consacré aux Unes du quotidien : « Alors que la guerre génocidaire fait rage […] en Palestine, le quotidien poursuit tête baissée sa caricature du double standard, où désinformation et déshumanisation des Palestiniens vont de pair. » « Jusqu'au bout, Israël n'a pas su s'il fallait y croire. » Cet incipit du premier article consacré aux suites de l'accord de « cessez-le-feu » à Gaza suffirait à synthétiser la ligne éditoriale du Parisien : raconter les événements du point de vue israélien et laisser Gaza hors-champ, au point de désinformer – parfois tout court, souvent par omission, toujours grossièrement – s'agissant du vécu des Palestiniens. Entre le 16 janvier et le 6 février, 29 articles ont nourri les pages de la rubrique « International » consacrées à la situation au Proche-Orient. Près des deux tiers (17) sont des reportages et des récits portant sur Israël, les otages israéliens, leur entourage, leurs souffrances ou leur libération. Sept autres sont des articles « grand angle » rapportant les termes de l'accord et ce qu'en dit la presse israélienne (16/01), les coulisses de la « trêve signée Trump » et le « rôle du Qatar » (17/01), les velléités du président américain de « déplacer les Gazaouis » (27/01) ou de « prendre le contrôle » de Gaza (6/02) et les réactions qu'elle suscitent en Israël, entre « euphorie et scepticisme » (6/02) ; ou encore des interrogations sur « la survie politique de Netanyahou » (31/01). Restent donc un édito, intitulé « Le séisme du 7 octobre » (17/01), deux interviews, menées avec le négociateur israélien Gershon Baskin (17/01) et l'ancien ambassadeur de France à Washington Gérard Araud (6/02)… et seulement 2 articles dédiés aux Palestiniens de Gaza [1], auxquels s'ajoute – au sein d'un article plus large sur les retours d'otages – un court focus sur « la libération de près de 800 prisonniers palestiniens ». Énoncé dans le chapô, cet événement y est d'emblée décrit comme une source d'« inquiétude » et donc commenté… selon un point de vue israélien, ce que laissait déjà entendre le titre de l'article en question : « Israël partagé entre la joie de retrouver les otages et le prix à payer » (19/01). « Prix à payer qui fait grincer des dents », nous dit même la suite de l'article. Une métaphore parmi d'autres pour réifier les prisonniers palestiniens : « monnaie d'échange aux otages » par exemple (2/02), mais aussi « contreparties qui crispent une partie de l'opinion » (20/01) – israélienne, pour peu que la précision fût nécessaire. Au sein du corpus, si l'on trouve 125 occurrences des termes « otage » et « captif », exclusivement employés pour désigner les Israéliens, on n'en trouve aucune pour « prisons israéliennes » ; quant aux « prisonniers » palestiniens, ils apparaissent de manière totalement résiduelle : seulement 20 occurrences, soit plus de six fois moins. Leur invisibilisation saute aux yeux dès les titres, puisqu'aucun ne les mentionne au cours de ces trois semaines. Ils ne sont pas, à proprement parler, une « information ». Pas une seule voix palestinienne n'est d'ailleurs présente pour exprimer un témoignage sur leurs libérations : ni famille, ni proche. Les Palestiniens qui assistent aux libérations d'otages israéliens à Gaza sont en revanche animalisés, systématiquement décrits comme une « foule » tantôt « désordonnée » (25/01), « déchaînée » (1/02) ou « chaotique » (26/01), quand la rédaction ne parle pas plus simplement de « hordes de sympathisants » (26/01) qui « gênent la progression des camionnettes blanches dans lesquelles se trouvent [les otages] » (31/01). Dès le premier article consacré aux suites du « cessez-le-feu », Le Parisien indique du reste à ses lecteurs l'essentiel de ce qu'il tient à leur faire savoir concernant les prisonniers palestiniens : « Un terroriste libéré sera le meurtrier de demain ». Choisie en guise d'intertitre, cette citation est un slogan scandé par « des manifestants […] réunis à Jérusalem pour protester contre les négociations en cours ». La rédaction aurait pu mettre en relief d'autres jugements ou d'autres acteurs, mais elle a décidé de distinguer ceux-ci. Et il n'en va pas là d'un accident éditorial, tant le portrait des prisonniers se brosse en un seul mot : une menace. En trois semaines, aucun article à part entière n'est dédié à couvrir leur libération, dont on ne dispose d'ailleurs d'aucune photographie – à titre de comparaison, les otages israéliens et les rassemblements qui les soutiennent font l'objet de 15 clichés. La couverture la plus « étoffée » provient de l'article du 19 janvier précédemment cité. Seuls deux noms sont alors donnés : Ahmed Barghouti et Zakaria Zubaidi [2], dont la rédaction indique qu'il a été libéré en 2011 puis « renvoyé en prison, ainsi que de nombreux autres détenus qui ont été aussi condamnés à des dizaines de peines de prison à perpétuité », mais aussi « trois membres de la cellule de Silwan impliqués dans le meurtre de 35 personnes ». En dehors de Mohammed Odeh, mentionné dans un article consacré au deuil de la mère de David Gritz (« Je lui pardonne », 2/02) – assassiné par Mohammed Odeh lors d'un attentat en 2002 –, il n'y aura aucun autre nom de prisonnier palestinien en trois semaines. Aucune femme, ni aucun enfant ne sont évoqués. Par omission, et parce qu'ils ne sont réduits qu'à des chiffres, tous sont donc assimilés à une masse informe de terroristes en puissance. Ce qu'induisent également les « mises en perspectives » du Parisien, convoquant pour cela quatre sources… univoques : le fondateur du Forum Gvoura [3], les ministres israéliens d'extrême droite vent debout contre l'accord de trêve, l'ancien directeur des services pénitentiaires israéliens et le directeur du Shin Bet (le service de sécurité intérieure israélien). « [Ce dernier] a rappelé cette semaine que "82 % des 1 027 prisonniers palestiniens relâchés en 2011 […] ont repris des activités liées au terrorisme. Tandis que 15 % d'entre eux ont planifié ou perpétré des attentats". Le plus connu n'est autre que l'architecte des attaques du 7 Octobre, Yahya Sinouar, éliminé voilà trois mois par Tsahal. » Aucune prise de distance, ni aucun recoupement de ces données ne semblent valoir la peine : les services israéliens parlent, Le Parisien transcrit. A contrario, lorsque 46 700 morts à Gaza sont évoqués dans un article du 17 janvier, la journaliste se sent obligée de marquer son détachement – en dépit de moult études de sources tierces qui les confirment et les estiment sous-évaluées –, présentant le bilan comme « [d]es chiffres non vérifiables du ministère de la Santé du Hamas. » Sans doute la rédaction a-t-elle dûment vérifié et corroboré les précédents… De fait, la propagande israélienne continue d'aller bon train au Parisien. Et il n'existe pas de garde-fou : les articles sont dépourvus de toute référence aux résolutions de l'ONU concernant Gaza ; on ne compte que deux occurrences du terme « droit international », lequel n'est cité que grâce à deux interviewés [4] ; les positions de la CIJ n'existent pas ; les multiples rapports des ONG ne sont nulle part rappelés aux lecteurs, et les termes « colonisation », « territoire occupé » ou « génocide » sont absents du corpus. Pour remplacer ce dernier, Le Parisien choisit d'innover avec une formule de choix : « fiasco humanitaire de Gaza » (19/01). Comme un « fiasco » médiatique, en quelque sorte. Dans le même temps, on évoque souvent l'armée israélienne par son acronyme – 11 occurrences de « Tsahal » – et on continue d'appeler Benyamin Netanyahou « Bibi » (31/01 et 6/02) ; on évite d'ailleurs de trop éreinter le Premier ministre en passant sous silence le mandat d'arrêt de la CPI émis contre lui. L'article consacré aux récentes déclarations du président américain – selon lesquelles les Palestiniens de Gaza devraient être expulsés en Égypte et en Jordanie – n'en finit pas non plus de recourir à des euphémismes. Le professeur d'histoire Vincent Lemire dit-il qu'« il s'agit d'un nettoyage ethnique » ? Le Parisien préfère parler de « déplacement ». « Trump propose de déplacer les Gazaouis » reformulait déjà le titre. « Faire le ménage » à Gaza, comme le déclare Donald Trump ? Une « rhétorique toute personnelle », juge Le Parisien, dont la rédaction, « pragmatique », entreprend de savoir s'il en va là d'un « scénario réalisable ». Annonce-t-il vouloir « prendre le contrôle » de Gaza ? Le Parisien questionne : « Tout est à jeter [dans son projet] ? » ; « La méthode Trump peut-elle faire bouger les lignes ? » Et lorsque l'historienne israélienne Fania Oz-Salzberger déclare que « "les êtres humains ne sont pas des jouets que l'on peut déplacer au gré des caprices d'un seigneur de guerre […]" […], tout en jugeant possible "un déménagement temporaire par consentement" », Le Parisien trouve la « position nuancée ». Les termes sont également choisis avec soin pour relayer les récits des autorités civiles et militaires israéliennes. On parle ainsi de « mainten[ir] une zone tampon de sécurité » à Gaza (16/01) ; on affirme à trois reprises que depuis l'annonce du « cessez-le-feu », « Tsahal frapp[e] les positions ennemies » (16, 20 et 25/01) et « a bombardé […] cinquante cibles dans la bande de Gaza. Preuve de la guerre inlassable de Tsahal contre l'organisation terroriste responsable des massacres du 7 Octobre. » (17/01) Le Parisien continue d'ailleurs de consacrer cette date comme le début – et presque la fin – de l'histoire : parfois écrite à la manière d'un nom propre, « 7-Octobre », elle est mentionnée 35 fois dans les 29 articles. Le terme « massacre », utilisé à 8 reprises, lui est exclusivement associé, à l'instar du terme « meurtrier » : jamais employé pour qualifier les bombardements israéliens, ses usages renvoient aux attaques du Hamas, à une exception près. De façon plus générale, nombre de qualificatifs véhiculant l'effroi sont à sens unique, réservés au 7 octobre ou au quotidien des victimes, des otages et de leurs familles depuis. Gaza et les Palestiniens en sont, quant à eux, largement privés. Le terme « terroriste » revient lui aussi fréquemment, 21 fois. Toutes les occurrences désignent les combattants du Hamas, dont les descriptions convoquent la monstruosité : « L'ennemi semble ressurgir des entrailles au premier silence des armes » (25/01) ; « des combattants du Hamas remonteraient à la surface à la faveur de l'arrêt des coups de canon, sortant du méandre de tunnels » (20/01). On ne trouve aucun champ lexical dépréciatif associé aux soldats israéliens, lesquels, d'ailleurs, ne « tuent » jamais (ou presque [5]) dans les pages du Parisien. Là où les Israéliens « ont été tués ou enlevés le jour du pogrom » (18/01), là où « 117 [habitants d'un kibboutz] sont tombés sous les balles du groupe islamiste » (25/01), on peut lire qu'à Gaza, « 27 personnes sont mortes » le 15 janvier (16/01) ou que « les autorités déplorent des dizaines de milliers de morts en quinze mois de conflit » (17/01). Dans un cas, on parle de « raid sanglant des terroristes islamistes dans le sud d'Israël » (16/01) ; dans l'autre, de « quinze mois d'un conflit armé meurtrier » (16/01) ou de « quinze mois de guerre [qui] ont aussi causé des problèmes d'accès à l'eau et à la nourriture » (17/01). Alors que depuis plus d'un an, ONG et instances internationales documentent les bombardements délibérés sur les infrastructures et décrivent la famine comme une arme et un crime de guerre, les journalistes mobilisent toutes les tournures possibles et imaginables pour déresponsabiliser les autorités civiles et militaires israéliennes, légitimant de fait le génocide de la population palestinienne, dont les victimes, en majorité, sont des femmes et des enfants. Le 17 janvier, il faut attendre la dernière page (sur quatre) du dossier pour lire un premier encart de 510 mots sur les Palestiniens de Gaza, lesquels partagent la page du journal avec une publicité – plus volumineuse que l'article – pour… Picard. Le message est décidément de très bon goût : « Régalez-vous sur le pouce sans que ça ne vous coûte un bras. » Est-il nécessaire de rappeler ici les maladies liées à la faim et le nombre d'amputés à Gaza – dont de nombreux enfants, opérés sans anesthésie ? Un deuxième choix de maquettage enfonce le clou : la photo illustrant cet article est celle d'une manifestation… en soutien aux otages israéliens, à Tel-Aviv. Inconsistance ou mépris délibéré ? Dans cet article, seul un Palestinien s'exprime, aux côtés de deux responsables d'ONG – Médecins sans frontières et Médecins du monde. Le deuxième (et dernier) article sur Gaza, publié le 20 janvier, est du même acabit. Deux fines colonnes, reléguées au bout de la double-page consacrée à la libération de trois otages israéliennes. Cette fois, les témoignages de quatre Palestiniens sont rapportés. Mais le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils ne pèsent pas lourd. Nous avons ainsi dénombré toutes les fois où des Israéliens et des Palestiniens étaient cités au cours de ces trois semaines d'observation, en dehors des responsables politiques et militaires, des « experts », journalistes ou universitaires [6]. Le résultat est sans appel : 89% des 108 citations sont des voix israéliennes (ex-otages et leurs familles, citoyens lambdas, associations de défense des otages, etc.), contre 12 (11%) accordées à des Palestiniens. Uniquement des individus : contrairement aux Israéliens, aucune forme de structure collective palestinienne n'est donnée à voir ni à entendre. À bien lire Le Parisien, ils n'ont d'ailleurs aucun soutien nulle part dans le monde : si un article est dédié au « millier de personnes » rassemblées au Trocadéro, à Paris, en soutien des otages (19/01), les nombreuses manifestations de solidarité avec le peuple palestinien n'ont pas droit à une ligne dans le quotidien. Privés de voix, les Palestiniens sont naturellement des « sans-nom ». Seulement 9 (15 occurrences cumulées) sont donnés. Ceux des 5 habitants de Gaza et des 3 prisonniers évoqués plus haut, mais aussi celui d'un Palestinien tué, le seul à être prononcé parmi des dizaines de milliers d'autres victimes, anonymes quant à elles : Yahya Sinouar, l'ancien chef du Hamas à Gaza, lequel concentre 4 des 15 occurrences… Côté israélien, au cours de ces mêmes trois semaines, on lira 239 fois le nom d'un otage ou ex-otage, de leurs proches et de citoyens israéliens (69 noms au total sont donnés). Bien d'autres indicateurs permettent de mesurer cette (dés)humanisation à sens unique. Les liens de parenté par exemple, dont sont encore dépossédés les Palestiniens, qui ne sont presque jamais des « mères » ou des « pères », des « filles » ou des « fils », des « grands-parents », des « enfants » ou des « proches », etc. [7]. Là encore, la disproportion donne toute sa mesure puisque dans 91% des cas, l'évocation de ces liens concerne des Israéliens. Sans voix, sans nom, sans famille, sans âge, les Palestiniens sont aussi invisibles car sans visage. Il est en effet intéressant de constater que les termes « visage » (13 occurrences), « image » (9), « photo » (7), « regard » (3) ou « portrait » (2) renvoient systématiquement à des descriptions d'enfants, de femmes et d'hommes israéliens, charriant émotions et compassion : - Leurs portraits – entourés de peluches et de jouets – captent d'emblée l'attention : ceux de Kfir et Ariel Bibas, les deux plus jeunes otages retenus par le Hamas depuis 470 jours. (18/01) - Les caméras postées sur la célèbre place des Otages, à Tel-Aviv, captent des visages fermés, mutiques, sidérés par ce qu'ils découvrent. (26/01) - Elles affichent des visages souriants, pour la plupart juvéniles et des prénoms : Doron, Emily, Ziv, Gali et Keith (le seul sexagénaire). (20/01) - « Pourquoi suis-je encore là ? Pourquoi je reste si longtemps ? » Le regard de Nevenka Gritz se perd quelques instants à sa fenêtre. Elle a 88 ans et le deuil voile un quart de son existence. (2/02) - Au mur, un grand cadre rassemble les photos d'une jeune femme rayonnante. Bar, la fille de Meir et Katya, dansait au festival Nova le 7 octobre 2023. […] Les terroristes l'abattent. Bar aura 23 ans pour toujours. (26/01) - Les prisonnières sont « mortes de peur ». Une image, dans la soirée, frappe l'opinion. Quand elle enlace ses proches, Emily Damari dévoile une main bandée. (25/01) Au fil des articles, on ne trouve aucun tableau humain similaire s'agissant des Palestiniens. S'il leur arrive souvent de décrire des images (télévisées ou autres) figurant otages et citoyens israéliens, les journalistes n'ont même pas pris la peine d'en faire de même avec les (nombreuses) photos et vidéos postées sur les réseaux sociaux par les Palestiniens. Seules quelques phrases de description portent sur les libérations d'otages à Gaza et au soir de l'annonce du cessez-le-feu. Les Palestiniens sont alors des bruits – « La soirée de mercredi a été marquée par des scènes de liesse partout dans l'enclave » (17/01) – ou des « terroristes » en puissance : « À l'écran, des 4 x 4 blancs parfaitement rangés renferment les captives. Une foule chaotique acclame les combattants ennemis dans la ville de Gaza. » (26/01) Le projecteur est 100% braqué sur les souffrances israéliennes, tant individuelles que collectives. Des articles font état de leurs blessures physiques et morales – aucune occurrence des termes « blessé » ou « blessure » n'existe côté palestinien –, analysent le stress post-traumatique des otages, le « cruel ascenseur émotionnel » (16/01) et l'« année de deuil » (18/01) de leurs proches, toutes et tous membres d'une « société éprouvée » ayant traversé un « cauchemar collectif sans précédent » (16/01). Le problème n'est évidemment pas l'existence de ces mots, et encore moins de ces récits, mais leur absence quasi systématique s'agissant des Palestiniens, avec lesquels aucune proximité n'est possible, déshumanisés en tant qu'individus et en tant que peuple. Du reste, les dés étaient pipés à la seule lecture des titres des 19 articles dédiés surtout aux uns, très peu aux autres… Dans notre premier article consacré au flagrant déséquilibre des Unes du Parisien, nous espérions que « les pages intérieures atténuent [leurs] grossiers angles morts ». Un an plus tard, on voit qu'il n'en est rien… et l'espoir est éteint. L'occasion de boucler la boucle en prolongeant, pour finir, le bilan depuis le 7 octobre 2023. De cette date jusqu'au 6 février 2025, sur les 559 Unes du Parisien, 65 évoquent la situation au Proche-Orient, en gros-titre ou en manchette. Depuis le 8 septembre 2024, date de notre dernier recensement, gros-titres et manchettes confondus, 15 traitent explicitement d'Israël, des Israéliens et de la communauté juive tandis que 5 évoquent Gaza. Dans le premier cas, quatre invitent à la compassion avec les otages, deux portent sur les souffrances de la population israélienne et des Juifs en France, deux sur le cessez-le-feu – que nous avons comptabilisées également pour Gaza –, trois sur la guerre au Liban, deux sur les relations avec l'Iran, deux sur le match de football France-Israël. Sur les cinq couvertures du Parisien où apparaît Gaza, seules deux figurent des Palestiniens. Sur la première (16/01/2025), une image de rassemblement joyeux côté palestinien à Deir al-Balah (Gaza), jouxtée d'une photo figurant des Israéliens réunis à Tel-Aviv, titrée « L'espoir », en lettres capitales. La deuxième (13/10/2024) met en valeur un prêtre de Gaza. Sur la photo, il sourit, assis devant des ruines et quelques habitants en arrière-plan. Avec ce titre : « Le curé de Gaza : "Le pape m'appelle tous les soirs" ». Cette Une est la seule recensée qui laisse imaginer la souffrance des Gazaouis… chrétiens. Sur la troisième Une ne figure qu'un bandeau annonçant la mort du chef du Hamas, puis une manchette sur la déclaration de Donald Trump (avec sa photo) et enfin, la couverture commune sur « les coulisses du cessez-le-feu ». En photo, un bombardement à Gaza. Pas de Palestinien, pas de souffrance, pas d'humanisation. Rien d'autre. Pourtant, depuis notre dernier recensement, nombre d'événements auraient mérité la Une, depuis les mandats d'arrêt de la CPI jusqu'aux centaines de milliers d'écoliers et étudiants privés de rentrée scolaire pour la deuxième année consécutive, en passant par le plan des généraux de septembre visant à « nettoyer » le nord de Gaza, baptisé « Opération ordre et nettoyage » et surnommé « famine et extermination » [8]. Le Parisien aurait pu faire sa Une sur l'exode forcé de milliers de familles dans le dénuement le plus total, sur l'arrestation arbitraire, images à l'appui, de centaines de personnes à l'hôpital Kamal Adwan, puis sa destruction, sans oublier l'enlèvement spectaculaire de son directeur, le docteur Hossam Abou Safiya, devenu depuis une légende de la résistance pacifique palestinienne partout dans le monde… Et ce n'est qu'un petit échantillon. Depuis le 7 octobre 2023 et à date du 24 février 2025, le site internet du quotidien distingue 55 « Reportages sur la guerre Israël-Hamas » parmi ses productions… et seuls 15 articles portent sur les Palestiniens. Où que l'on regarde, Le Parisien ne s'embarrasse d'aucune forme. Il choisit définitivement un camp et donne à voir, en permanence, une ligne hiérarchisant les vies humaines et les souffrances. Pauline Perrenot, avec Meriem Laribi [1] Nous avons désindexé du corpus l'article « Cisjordanie, le nouveau front » (23/01), ce qui ne biaise pas l'analyse en cours. [2] Marwan Barghouti est également mentionné mais uniquement en tant que proche d'Ahmed Barghouti : sa libération n'est pas prévue à ce stade et Le Parisien ne mentionne d'ailleurs même pas qu'il est membre du Conseil législatif palestinien, dirigeant du Fatah, ni qu'il est en prison depuis 2002. [3] Association regroupant des familles d'otages et de soldats morts à Gaza, qui manifesta contre les négociations actuelles. [4] Le professeur d'histoire Vincent Lemire (27/01) et l'ancien diplomate Gérard Araud (6/02). [5] On ne trouve que deux collocations du verbe « tuer » rapportées à l'armée israélienne, à propos de la mort de Yahya Sinouar et de trois otages, en décembre 2023. [6] Les inclure aurait d'autant plus aggravé le déséquilibre puisque ces catégories sont très majoritairement représentées côté israélien et pour commenter les libérations d'otages. On ne compte par exemple que 7 citations de représentantes d'ONG intervenant à Gaza. [7] Nous avons effectué cette recherche sur la base de 23 entrées lexicales signifiant des liens de parenté et amicaux. [8] Meron Rapoport, « A plan to liquidate northern Gaza is gaining steam », +972 Magazine, 17/09/2024. Texte intégral 4937 mots
Prisonniers palestiniens : terroristes ou fantômes
Propagande israélienne
Palestiniens : la déshumanisation sous toutes ses formes
- Leurs petits-enfants, Kfir et Ariel Bibas, sont devenus le visage poupon du calvaire d'Israël. Les deux bambins roux ont alors 9 mois et 4 ans. (25/01)Unes : les miroirs grossissants