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06.03.2025 à 11:03

La petite FILLE oubliée de Souky, quand le roman graphique passe de l’encre de chine à l’aquarelle, découvrez la dernière création originale de Bubble éditions

L'Autre Quotidien
Aleona a 11 ans lorsqu’elle réalise que sa mère bascule dans la folie. Refusant de partager ce fardeau pour la protéger et par crainte d’être jugée, la petite fille trouve refuge dans l’écriture de son journal. Mais ces notes intimes vont être rattrapées par la réalité…

Texte intégral 1598 mots

Aleona a 11 ans lorsqu’elle réalise que sa mère bascule dans la folie. Refusant de partager ce fardeau pour la protéger et par crainte d’être jugée, la petite fille trouve refuge dans l’écriture de son journal. Mais ces notes intimes vont être rattrapées par la réalité…

LA petite FILLE oubliée est un récit poignant et intime sur la solitude de l’enfance face aux défaillances parentales. Avec le point de vue d’une enfant isolée, l’album pose un regard singulier sur la société des adultes qui l’enferme sous le poids du silence et des responsabilités. 

Une oeuvre qui démarre en noir & blanc pour finir avec une très belle palette de couleur pour accompagner l’évolution des personnages et des émotions.

Aux origines du projet 

Une histoire inspirée de l’enfance de l’auteur jonchée de vérités et de questions où l’imaginaire agit comme un rempart face à la détresse du quotidien. Souky travaille sur ce livre depuis 3 ans et à souhaité concevoir toutes les planches de manière traditionnelle, apprenant et perfectionnant chaque technique de la plume à l’aquarelle en passant par les crayons de couleur.

👀 Lire les 18 premièress pages ici

De son vrai nom Hansith Soukanhgna, passe son bac d’arts appliqués à Paris tout en travaillant dans un vidéo club spécialisé dans le cinéma hongkongais, japonais et coréen. Puis vendeur de jouets, mangas et d’animations japonaises, disquaire de K-pop…

Il ouvre son blog BD soukyblog en 2010 dans lequel apparaissent ses premiers strips donnant naissance à des personnages tels que le Captain Poulet. Membre du collectif Nekomix depuis 2011 où il réalise ses premières bandes dessinées dans le fanzine éponyme.

Publié chez Bubble Éditions, LA petite FILLE oubliée est sa première bande dessinée.

💡 Sur la page de la campagne, vous retrouverez également des planches originales, des portraits personnalisés, des commissions, et d’autres surprises. Pour tout savoir sur la campagne, découvrir l’avancée du projet et les news ça se passe par ici.

Souky mets en vente 12 planches —parmi une sélection de 15, afin de vous laisser le choix— cliquez ici pour les découvrir en détail.

Note à l’intention des lecteurices : Bubble édition et 9ème Art.fr sont des marques appartenant toutes deux à Bubble. Cela n’enlève en rien à cette bonne nouvelle mais il est bon de le préciser pour être transparent.

Illustrations : ©Souky / Bubble éditions 

Thomas Mourier, le 10/03/2025
Souki - LA petite FILLE oubliée - Bubble éditions

-> Les liens renvoient sur le site Bubble notre partenaire.

06.03.2025 à 10:46

Concevoir une ville aux spécificités africaines ?

L'Autre Quotidien
Qu’il s’agisse du modèle de gouvernance de proximité d’Issa Diabaté ou de l’approche néovernaculaire de Sénamé Koffi Agbodjinou, une alternative africaine à la fabrique urbaine habituelle semble se dessiner. Une Chronique d’Abidjan.

Texte intégral 2699 mots

Qu’il s’agisse du modèle de gouvernance de proximité d’Issa Diabaté ou de l’approche néovernaculaire de Sénamé Koffi Agbodjinou, une alternative africaine à la fabrique urbaine habituelle semble se dessiner. Une Chronique d’Abidjan.

Depuis sa création, Abidjan est le théâtre d’un face-à-face centenaire entre gouvernance et africanité. D’un côté, ses tours de béton et de verre, et ses multiples ponts enjambant la lagune, traduisent une ambition tournée vers une économie globalisée et une quête de modernité. De l’autre, ses trottoirs habités et ses pratiques urbaines informelles incarnent une micro-économie vibrante et vivante, porte-drapeau d’une identité propre à lacité africaine.

Souvent pointées du doigt par les politiques urbaines locales pour les problèmes d’insalubrité et d’insécurité qu’elles peuvent engendrer, ces pratiques restent pourtant indissociables du quotidien abidjanais. Mais en quoi consistent-elles réellement ? Comment sont-elles vécues par les habitants ?

Dans les métropoles occidentales, ces formes d’activités existent, mais restent limitées en temps et en espace, souvent cantonnées aux zones touristiques.

À Abidjan, en revanche, elles sont omniprésentes. Les grands axes routiers deviennent des lieux d’échanges où marchandeurs et automobilistes interagissent au rythme des feux de circulation. Dès que le feu rouge s’allume, les vendeurs à la criée se faufilent entre les véhicules à l’arrêt, bras chargés de marchandises. Ils proposent de tout : des bouteilles d’eau et des sachets de bissap pour se rafraîchir sous la chaleur accablante, jusqu’aux objets artisanaux les plus variés. Un véritable marché en mouvement, où les bords de route se transforment en commerces déambulatoires.

Ce n’est pas tout. Sur les trottoirs, qu’ils soient larges ou exigus, s’improvisent des terrasses pour les cafés et les traditionnels makis abidjanais. Les espaces intérieurs s’étendent spontanément sur l’espace public, créant une occupation fluide et organique de la rue. Derrière cette appropriation spontanée de la voirie, une organisation tacite se met en place entre commerçants et vendeurs. Malgré les nombreuses politiques visant à faire disparaître ces activités, elles résistent et restent la norme dans la majorité des quartiers d’Abidjan.

Dès lors, deux questions s’imposent : ne faudrait-il pas concevoir une ville qui prenne enfin en compte ces spécificités africaines ? Comment intégrer ces pratiques sans compromettre l’élaboration d’une ville « structurée » ?

Les réponses à ces questions ne sont peut-être pas aussi « parachutées » que les autorités locales le pensent.

L’architecte ivoirien Issa Diabaté, associé de l’agence Koffi & Diabaté, propose une autre manière de « faire la ville » en Afrique. Comme il l’explique dans Le Point : « Alors le phénomène des quartiers informels est souvent pensé comme un phénomène négatif, mais en réalité les quartiers informels font partie intégrante des villes et il faut plutôt s’interroger sur comment les rattacher à la ville ».*

D’ailleurs, lors de la dernière biennale de Venise, Koffi & Diabaté ont proposé un « manifeste qui définirait un nouveau contrat entre la ville, ses citoyens et les modes de gouvernance ».** Ce manifeste définit un nouveau contrat entre la ville, ses citoyens et ses modes de gouvernance. L’idée maîtresse ? S’inspirer du modèle du village africain, où l’organisation sociale repose sur une gouvernance de proximité. Dans ce cadre, les chefs de village jouent un rôle clé dans la régulation des activités locales, assurant un contrôle direct sur leur développement. À l’inverse, dans la métropole, ce rapport d’autorité s’efface, laissant place trop souvent à l’insalubrité et à l’insécurité.

Repenser la ville à partir de cette gouvernance de proximité, qui a fait ses preuves, et l’adapter aux défis contemporains et à plus grande échelle, pourrait être une première étape essentielle pour réinventer la ville de demain. Car si Abidjan doit se développer, c’est en s’appuyant sur ses propres modèles, et non en imposant des schémas venus d’ailleurs. Koffi & Diabaté n’a, selon moi, pas réussi, clairement et pour l’instant, à appliquer leurs principes mis en avant à la Biennale de manière concrète.

Par ailleurs, ce modèle pourrait également être appliqué à d’autres métropoles d’Afrique de l’Ouest, voire du continent, dont les enjeux sont similaires au cas abidjanais : l’explosion démographique, l’éclatement de la ville, la crise de logements, etc. C’est dans cette optique qu’émergent d’autres approches pour imaginer une ville plus durable dans d‘autres métropoles africaines. À Lomé, par exemple, l’architecte et anthropologue togolais Sénamé Koffi Agbodjinou propose, lui aussi, un modèle urbain ancré dans les réalités anthropologiques des Africains. Sa réponse, bien que différente de celle d’Issa Diabaté, n’en est pas moins complémentaire.

Ecodesign camp Ouidah @ Sename Koffi

Fondateur du « WoeLab », un espace collaboratif dédié à l’innovation technologique et sociale, Sénamé Koffi Agbodjinou défend l’idée d’une ville néovernaculaire africaine. « Il faut penser un nouveau schéma de cité qui ne fasse pas violence à la ruralité car cette dernière est constitutive de la personnalité africaine et de notre conception de la société ».***

Ce concept repose sur un équilibre entre tradition et modernité, où l’architecture vernaculaire et les savoir-faire locaux sont réinterprétés à l’ère du numérique. Il plaide notamment pour une fabrication urbaine participative, où les habitants, à travers des micro-fabriques et des technologies open source, pourraient être acteurs de la transformation de leur propre environnement.

À travers cette vision, il propose un urbanisme plus inclusif et résilient, où la technologie n’est pas un outil d’uniformisation mais un levier d’adaptation aux réalités locales. En d’autres termes, loin d’imposer un modèle figé venu d’ailleurs, il s’agit d’exploiter les ressources locales et les dynamiques communautaires pour construire une ville qui évolue avec ses habitants. Ce modèle n’est d’ailleurs pas qu’utopie ; le projet « HubCité », porté par Senamé à Lomé, et qui consiste à créer des petits laboratoires dans les quartiers, se développe petit à petit.

Ainsi, qu’il s’agisse du modèle de gouvernance de proximité d’Issa Diabaté ou de l’approche néovernaculaire de Sénamé Koffi Agbodjinou, une alternative africaine à la fabrique urbaine habituelle semble se dessiner. Affaire à suivre !

Thierry Gedeon, Conteur d’architecture le 10/03/2025
Concevoir une ville aux spécificités africaines ? via Chroniques d’Architecture

Villageois réunis autour d’un arbre @Indigo Côte d’Ivoire



06.03.2025 à 10:22

Merde in France : invendable autant que passionnant

L'Autre Quotidien
Sonder les cœurs d’une France sillonnée en Fiat Panda durant l’été 2024 de tous les dangers, comme un pays inconnu : un exercice déjanté de journalisme à colin-maillard, très savoureux et subtilement dérangeant. Encore un Invendable de haute volée.

Texte intégral 3898 mots

Sonder les cœurs d’une France sillonnée en Fiat Panda durant l’été 2024 de tous les dangers, comme un pays inconnu : un exercice déjanté de journalisme à colin-maillard, très savoureux et subtilement dérangeant. Encore un Invendable de haute volée.

On y est, c’est le dernier de la saison et un peu la fin d’un cycle. Le temps passe, dixit les Neg Marrons dont peu d’entre nous se souviennent, déjà, alors c’est dire. Vous tenez entre vos doigts frémissants le troisième volet de nos errances, celles d’une petite équipe qui vous a vus grandir avec émotion, ô cercle de nos lecteurs, peuple fanatique. Ce numéro est notre chant du cygne. Ça se passe en France, eh oui, pourquoi pas ? Comme Ulysse ou Dupont de Ligonnès, on boucle l’aventure à la maison et puis on disparaît. Consolez-vous, dans quelques mois d’autres noms balaieront les nôtres et on ne vous gâche pas les surprises mais elles seront fantastiques. Vous entendrez des voix de femmes – ce ne sera pas trop tôt – et d’hommes qui vous embarqueront vers on ne vous dit pas encore où mais ça sera dingo, vous découvrirez d’autres pisse-la-ligne professionnels, avec leurs états d’âme, leurs façons de flairer le monde, leurs obsessions particulières. Prenez-nous pour ce que nous sommes, un premier grand amour avant tous les autres, une passion introductrice, une antichambre, des aventures à venir, renversantes, débridées, brrr, vous devez être tout excités.
Le temps viendra d’évoquer la saison prochaine, passé l’hiver qui nous est tombé dessus. D’ici là, laissez-nous vous causer d’une saison douce, la fin du printemps, le début de l’été, il y a une éternité. Rappelez-vous, Françoise Hardy était encore de ce monde, Kendji Girac était allé tâter l’autre, la tour Eiffel semblait nue sans ses anneaux et le Rassemblement national n’avait jamais obtenu plus de cent sièges à l’Assemblée nationale. C’était le délicieux mois de mai 2024, nous roulions en Fiat Panda 1995 par monts et par vaux, évitant les péages, titillant le chaland sur les terrains minés de « l’identité française » et des médias. Ca devait être une affaire de 5 000 kilomètres en terre natale. Nous étions partis de la vallée de la Roya avant les élections européennes pour atterrir à Paris à la fin des Jeux olympiques. On voulait voir ce qu’il se passerait dans l’intervalle, tracer une espèce de spirale dans l’espace métropolitain, prendre des détours et snober les stations services Total qui vous souhaite la bienvenue.
Voilà, ça repartait, la route et les invitations à gauche à droite pour pérorer sur ce qui unit et divise « l’archipel », comme dirait l’autre, qui s’appelle un pays. On prenait la tangente pour tailler une bavette avec tous les premiers quidam venus, avec Yves Dufour qui aime Solidarnosc, François Baroin et Mitterrand, avec la Frédo pour qui c’est plutôt naturopathie, yoga et France Soir, avec Mohamed qui aime la boxe, le FLN et les flics d’Hénin-Beaumont ou bien avec Élise et sa collègue tunisienne, ses potes de l’Action Française et ses bouchers pas hallal. Bref, on croisait tout un tas de gens sympathiques qui nous invitaient chez eux ou bien partageaient juste un peu de leurs lubies au comptoir, à la pompe, au coin de la rue. On traînait puisque, décidément, c’est une méthode qui n’en finit pas de faire ses preuves et qu’on avait trouvé ce titre merveilleusement poétique, « Merde in France », qui valait à lui seul un voyage.
« Merde in France (cacapoum) », c’est le nom d’une masterclass du rock enregistrée par le playboy Jacques Dutronc en 1984, soit très exactement quarante ans avant notre escapade. C’est un pur hasard du calendrier et il ne faut pas chercher d’explication trop loin. C’est un certain Jérôme B. (sans lien familial connu ou reconnu avec l’Olivier B. d' »Autostop Poutine ») qui nous l’a soufflé, ce titre-là. Au départ, on trouvait juste que c’était « très français », le jeu de mots bancal, le franglais, le « merde » qui sonne bien. Comme on aime les chansons à texte vraiment bien léchées, on trouvait que c’était un bel hommage.

Il fallait oser placer cette troisième (quatrième si l’on n’oublie pas le mythique numéro zéro, « Berlin en berline ») livraison d’Invendable sous le signe d’un sublime et provocateur rock yaourt conçu, en effet, il y a quarante ans tout pile : « Merde in France » nous entraîne (presque) aux six coins de l’Hexagone, poussant la forme particulière de journalisme pratiquée par cette équipe – certes un peu folle mais incroyablement déterminée – dans ses retranchements, puisqu’il s’agit peu ou prou de traiter ce pays comme les États-Unis de la « verticale du vide » dans le n°1, « Let’s Get Lost », ou comme la Russie des arrières de la guerre dans le n°2, « Autostop Poutine ». : surmonter les réflexes de l’ère du soupçon généralisé sans bénéficier de la couverture (ou alors réduite à sa plus simple expression) de l’étranger, de passage et curieux. Tout en conservant, quelles qu’en soient les difficultés, une éthique impeccable, ne trahissant pas ses hôtes en dépit de ce que peut souffler en maintes occasions le for intérieur de ces journalistes qui n’en pensent pas moins : on pressent et on constate, texte en main, que là n’est pas le moindre des défis réussis ici par Louis, Léo et Léa, nouvelle embarquée à bord pour cette virée-ci.

Et puis, et puis, vous savez ce qui est arrivé : la mort de Françoise Hardy, la résurrection de Kendji, oui, on l’a dit, mais surtout ce qui n’en finit pas d’arriver et qu’on ne sait pas encore tellement nommer, ce qui nous faisait nous étirer chaque matin sur des sièges pas totalement neufs, en travers d’un champ camarguais, d’un plateau limousin ou d’un parking breton avec des pensées politiques un peu floues mais l’idée fixe qu’il y avait comme un couac dans ce pays, une couille dans le potage pour reprendre cette merveille de gauloiserie pure souche – et Dieu sait que la pureté de souche est une sacrée soupe. On s’était engagés sur les départementales françaises la fleur aux dents, le Pastis entre les pédales, avec l’assurance joyeuse d’être à rebours de l’actualité, de n’avoir rien à vendre aux journaux et de l’avoir bien cherché. Et puis, et puis, Jupiter a prononcé la dissolution, le con.
On s’est retrouvés en Panda au milieu du gros bazar, nous les curieux naïfs, nous les interloqués sans avis, nous qui relançons à grands renforts de « Ah bon ? » les dingueries de nos concitoyens, celles de Tika qui n’en peut plus de « les » voir traîner devant sa boutique et pense qu’elle finira dans un fait divers, et celles du frérot Santa Fe qui rêve d’une vie pieuse dans un village tchétchène avec une belle vue sur les montagnes, sa daronne à l’abri et des grosses liasses parce que ouais, Santa Fe veut une vie simple mais aussi du roro. Ces deux-là habitent à quelques mètres l’un de l’autre, c’est pratique pour faire le grand écart entre leurs mondes, plier bagage et ainsi de suite, sur trois mois et dix mille kilomètres, finalement, tout de même, histoire de labourer comme il se devait ce fameux « archipel français » et se demander si c’était vraiment le sujet. Dans le doute, on est allés bêcher devant notre porte en se disant que la merde serait un bon terreau. Notre seule ambition était de remuer tout ça pour exhaler un peu le fumet, le fumet bien de chez nous, le bon fumet DU PEUPLE DE FRANCE.

Si Invendable, malgré tant de mauvais augures décernés par la profession journalistique au début du projet, se vend – et même bien, à en juger par l’engouement que provoque désormais à la modeste échelle de notre librairie à Ground Control l’arrivée d’un nouveau numéro -, c’est bien qu’il introduit dans la notion même de reportage quelque chose de spécial. Quelque chose qui ne saurait se réduire au gonzo cher à Hunter S. Thompson et à ses émules – même s’il en procède éventuellement. Quelque chose qui a peut-être trait à une capacité rare à « ouvrir le dialogue », à pratiquer une écoute empathique pourtant sans complaisance, jusque dans les circonstances les plus invraisemblables, quelque chose qui conduit au cœur des individus et des situations, qui rend les anecdotes signifiantes, et qui interroge discrètement, mais en profondeur, sans donner de leçons – au grand jamais. Alors, de cette brume électrique bien particulière, surgissent l’inattendu et le déroutant, sourdent ce qui conforte certains de nos (inévitables) préjugés ou ce qui au contraire les réduit, le temps d’une rencontre si superbement saisie et racontée, en lambeaux désemparés. On tient ainsi entre ses mains impatientes un petit morceau de grand art (offert à prix tout à fait vil), un grand art du récit échevelé qui ne se contemple pas en train d’écrire, mais qui nous offre pourtant, précisément, un formidable nombre de clés sur la production de cette observation non-participante et totalement salutaire.

Se promener en France change forcément le rapport aux interlocuteurs, qui sont pas fous. On est à la fois observateurs et acteurs, jugés, interpellés, pris à partie. De la vallée de la Roya au Puy du Fou, en passant par le Pays basque, le Vieux-Lyon, Longwy, Cergy, Tarnac ou Roubaix, on s’est employés de notre mieux à la mettre en veilleuse parce qu’on ne voulait surtout pas promener nos obsessions, mais saisir celles des autres. Notre idée brillante consistait à se taper 10 000 kilomètres de départementales pour entrer en communion avec un maximum de ce que le peuple élu appelle nos « compatriotes », provoquer une série de rencontres triées sur le volet du hasard, pousser sournoisement tout un tas de gens sur des pistes glissantes en nous évertuant à ne pas trop les rattraper si l’envie leur venait de déraper sur les questions tout aussi sérieuses des piscines creusées, des charpentes à retaper ou d’une quelconque querelle de voisinage. Ce qui nous enthousiasmait dans ce voyage à domicile, cette « plongée dans la France profonde » comme le résument des gens bien intentionnés, c’était de faire une sorte de photographie de l’été 2024, un été inhabituellement chahuté où le dissolvant jupitéro-macronien allait verser généreusement de son liquide au moulin. Ça n’emballait pas les rédactions, jusqu’à ce rebondissement inattendu de la dissolution et des élections législatives anticipées parce que « les élections », ouais, c’est un sujet, alors que « trois mois à traîner en Fiat Panda à travers la France », non.
« Le problème, c’est qu’en débarquant comme vous faites, sans rendez-vous, vous parlez pas aux personnes référentes, vous rencontrez n’importe qui. » C’est une néo-rurale du plateau de Millevaches qui a jeté ça au visage de Léa, un beau jour, avec un zeste de dédain, alors qu’on s’était quand même pointés bien civilement à un spectacle d’école primaire pas non plus foudroyant pour faire copain-copain sur notre temps libre avec les citoyens de Faux-la-Montagne. Léa croyait tourner un documentaire sur Louis et moi alors que ce « vous » qu’elle théorisait dans son appartement exigu des Abbesses, était devenu un « nous » dès lors qu’elle s’était engouffrée dans la reine de l’exiguïté à moteur avec sa caméra. Ça l’amusait, Léa, de remplacer Nico qui était parti se faire courser par des colons quelque part en Cisjordanie ; ça l’intéressait de nous observer, nous, « les garçons », travailler-traîner, et puis d’imaginer son propre dispositif pour faire de l’Invendable en vidéo. Quand elle avait proposé de se joindre à l’équipe sur de longues portions du voyage, Louis et moi avions répondu oui sans trop y réfléchir. Par chance, Léa était de bonne compagnie et elle se retrouvait parfaitement dans notre sacerdoce de psychologues marginaux.
Alors on tendait la joue à trois pour que les gens puissent enfin s’exprimer, bordel, dans ce pays où on peut plus rien dire, merde, et où les quelques braves qui votent encore s’égosillent dans les urnes sans avoir la sensation d’être jamais entendus. Sans savoir ce que l’été nous réservait, tout seuls, comme des grands, on poursuivait cette mission vaine et laborieuse de parcourir un territoire plus grand, plus nuancé, plus cultivé, plus politisé, plus informé qu’on ne pourrait l’imaginer, pour mettre le doigt sur le malaise puisque, visiblement, malaise il y a. Relisez les réactions dans la presse après la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques : « C’est comme si la France s’était mise en congé de ses névroses » ; « La France s’est mise en vacances d’elle-même » ; « C’est pas complètement foutu, on peut être ensemble et être heureux ensemble ». Nous, si un pote lâche ce genre de dingueries dans le train du retour après un week-end à la mer, on va pas se mentir, ça nous fait plaisir, bien sûr, mais ça nous inquiète pas mal aussi.

Hugues Charybde, le 10/03/2025
Collectif - Invendable- éditions Invendable

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