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28.02.2025 à 11:13

Toute énergie libérée par Evan M. Cohen

L'Autre Quotidien
Un aperçu de la nouvelle bande dessinée de l'illustrateur et dessinateur de bandes dessinées Evan M. Cohen. "Energy" explore les thèmes de la transition et du dépassement des difficultés d'aujourd'hui dans l'espoir d'un avenir meilleur. La bande dessinée sera bientôt disponible sur evanmcohen.bigcartel.com !

Texte intégral 968 mots

Un aperçu de la nouvelle bande dessinée de l'illustrateur et dessinateur de bandes dessinées Evan M. Cohen. "Energy" explore les thèmes de la transition et du dépassement des difficultés d'aujourd'hui dans l'espoir d'un avenir meilleur. La bande dessinée sera bientôt disponible sur evanmcohen.bigcartel.com !

Connu par l'inconnu,

Prêté pour être possédé,

Combien de vie

Avant de donner ?

Je passe les années à tourner.

Malade et incertain

De la cause

Et du remède.

Le silence m'appelle,

Je me penche en arrière,

Je tombe en avant

Je suis toujours sur la bonne voie.

Entre être et voir,

je suis ma peau

Qui contient tout.

La santé ou la richesse,

Le confort ou le moi,

Seul ou avec de l'aide ?

En ayant l'air moins,

Sans pureté et sans égal,

Est-il impuissant d'espérer moins ?

Quelle est ma valeur

Dans la saleté,

Quand je suis

En sécurité

Une signification secrète ?

Je me soulève

Pour une meilleure vue,

Passé mon ancienne vie

Vers quelque chose de nouveau.

Evan M. Cohen’s Website
Evan M. Cohen on Instagram

Maskara Snake, le 3/03/2025
Evan M. Cohen - Energy

28.02.2025 à 10:50

Des oliviers pour et par Antoine Schneck

L'Autre Quotidien
« Au cœur des Pouilles, je suis allé, nous confie Antoine Schneck, à la rencontre d’habitants millénaires de cette campagne aride du Sud de l’Italie. Ils étaient mes hôtes, Ottavio, Gino, Cosimo, et les autres, comme les nomment ces hommes qui se succèdent de génération en génération pour s’occuper d’eux. J’ai attendu la nuit pour les photographier, lorsque toute la couleur du paysage s’évanouit, et que les oliviers se parent entièrement de tonalités d’argent, laissant apparaitre leurs formes minérales. »

Texte intégral 1432 mots

« Au cœur des Pouilles, je suis allé, nous confie Antoine Schneck, à la rencontre d’habitants millénaires de cette campagne aride du Sud de l’Italie. Ils étaient mes hôtes, Ottavio, Gino, Cosimo, et les autres, comme les nomment ces hommes qui se succèdent de génération en génération pour s’occuper d’eux. J’ai attendu la nuit pour les photographier, lorsque toute la couleur du paysage s’évanouit, et que les oliviers se parent entièrement de tonalités d’argent, laissant apparaitre leurs formes minérales. »

Antoine Schneck, Ottavio — Tirage pigmentaire — 100 x 100 cm © Antoine Schneck, Courtesy Galerie Berthet-Aittouarès

Son intérêt se porte autant sur l’altérité que sur les formes concrètes que celle-ci prend pour nous apparaitre, formes qui nous obligent, afin de les regarder vraiment avec lucidité, à nous interroger sur les modalités du voir. Ces œuvres incroyables, pour lesquelles Antoine Schneck a multiplié et assemblé les images avant de retravailler chaque arbre, feuille à feuille, ne sont rien d’autre que la recherche de ce qui fait le portrait, l’individualité.

« Le monde est vaste : il n’y a pas deux jours qui soient semblables, ni même deux heures, et il n’y a jamais eu deux feuilles d’un arbre semblables depuis la création du monde ; et les pures et authentiques productions d’art, comme celles de la nature, sont toutes distinctes l’une de l’autre.» C’est de John Constable, cela pourrait être dédié à l’Oeuvre d’Antoine Schneck.

Antoine Schneck, Tommaso — Tirage pigmentaire 100 x 100 cm © Antoine Schneck, Courtesy Galerie Berthet-Aittouarès

Les Oliviers d’Antoine Schneck s’inscrivent dans l’identité même de son travail. Une fois encore, ce qu’il s’agit de rendre dans ces portraits, est un mélange insécable la vision et de l’émotion.
Antoine Schneck s’intéresse à l’autre, sous toutes ses formes, c’est l’évidence même. Alors portrait, oui, les photographies des oliviers le sont.

Joe le Galeriste, le 3/03/2025
Antoine Schneck - Oliviers -> 29/03/2025

Galerie Berthet – Aittouarès 14 et 29, rue de Seine 75006 Paris

28.02.2025 à 10:29

Femme/Lutte/Présent

L'Autre Quotidien
Exhumant le tissu onirique de l’oppression infra-ordinaire, une rare, savoureuse et formidable fiction féministe de convergence des luttes.

Texte intégral 4346 mots

Exhumant le tissu onirique de l’oppression infra-ordinaire, une rare, savoureuse et formidable fiction féministe de convergence des luttes.

Angèle avait froid. Elle portait un cache-cœur en laine jaune mais cela ne suffisait pas. À part ça elle se sentait bien. Il était huit heures et demie du matin et elle attendait Barbara et les autres. Il n’y avait pas de café. Il y avait un chat maigre noir et blanc. Il était aussi légèrement ébouriffé. Peut-être avait-il combattu durant la nuit. Il était assis sur un muret non loin d’Angèle, devant le Blockhaus. C’était ainsi qu’on appelait le local de l’Association des Femmes. La construction avait été rénovée à une époque pour les festivités, les mariages, les baptêmes, les fêtes de villages ou de saints. Elle aurait dû être crépie mais elle était restée sans. Les crédits n’étaient pas arrivés. Les rayons du soleil donnaient l’impression de trop l’éclairer. Le bâtiment carré resplendissait alors qu’on aurait préféré qu’il reste dans l’ombre. Il était inesthétique. Angèle hésitait. Barbara risquait d’avoir du retard, il devait bien y avoir un café. Il y avait longtemps qu’elle n’était pas venue. Elle cherchait à se souvenir. Elle bougeait ses mains et ses bras pour ne pas se laisser envahir par le froid. Elle faisait des moulinets pour faire circuler le sang et le chat malade avait été attiré par son mouvement. Au lieu d’avoir peur, il s’était légèrement approché. Il devait avoir très faim. Angèle pensa qu’elle aurait bien aimé lui donner une coupelle de lait. Cette pensée était réconfortante pour elle et pour lui. Le temps passait et Barbara n’arrivait toujours pas. Angèle était de plus en plus obnubilée par cette histoire de café. En même temps elle avait peur de louper Barbara, elle avait fait des efforts pour arriver à l’heure et ce serait dommage que cette bonne volonté ne serve à rien. Elle avait reparcouru le terrain vague et remouillé ses chaussures de rosée limpide puis elle avait remonté la ruelle sans croiser personne. Elle se dirigea instinctivement. Elle arriva sur une place. Le café était là. Devant il y avait un car de touristes. Le chauffeur était seul, il somnolait calmement au volant. À l’intérieur du café, il régnait une agitation confuse. Les odeurs étaient entassées les unes au-dessus des autres. La raie au beurre noir ou un autre poisson de mer puis le vin, un peu la bière, le croque-monsieur, le tabac, les haleines, l’odeur de transpiration des corps, ils ne devaient pas aérer souvent. Par-dessus toutes ces odeurs, il y avait celle, corsée, du café, elle suffisait pour un nouveau départ. La plupart des personnes du car étaient assises. Seul un groupe de trois était en train d’évoluer autour du comptoir. Ils se passaient des tasses remplies de café au lait. Ils procédaient d’une drôle de façon. Il y avait forcément du café au lait répandu, les mouvements n’étaient pas bien coordonnés, la première personne avait agi avec trop d’empressement, trop d’enthousiasme et la soucoupe avait cogné le poignet de son coéquipier. Celui-ci avait eu un bon réflexe, il avait étalé sa paume afin de présenter la surface la plus large à la soucoupe et éviter la catastrophe. À un moment pourtant, il s’était retrouvé tangent. Les gens n’avaient jamais que deux mains avait pensé Angèle. Tous les gens, quels qu’ils soient. Ce n’était pas fait pour porter trois tasses à la fois. Mais le premier avait l’air de penser différemment. À peine la deuxième envoyée, il se précipitait au comptoir pour attraper la troisième et la refiler sans plus tarder. Sans penser que l’autre était à peine en train de passer la première tasse au troisième. D’autant plus qu’il n’aurait pu la porter tout seul. Angèle s’était demandé s’il était idiot. Tout cela ne faisait pas avancer ses affaires. Personne n’était venu lui demander ce qu’elle voulait. Il y avait beaucoup trop à faire avec les personnes du car qui représentaient une clientèle conséquente. Elle n’avait pas envie de se lever, de traverser la salle, de s’approcher du comptoir au milieu de toute cette agitation matinale. Elle ne voulait pas importuner la patronne et se la mettre à dos alors qu’elle comptait lui demander en plus du café une petite tasse de lait à part pour emporter. Angèle continua à regarder le tournoi de tasses. Aussi invraisemblable que cela paraisse, elles étaient toutes en passé d’arriver à bon port. Le premier, celui dont on pouvait supposer qu’il n’avait aucune intelligence quand on le voyait empêtrer les autres avec sa propre tasse, était en train de porter la corbeille de pain. Il y avait une ambiance de cantine, une drôle d’ambiance, l’idée d’une collectivité de gens en train de s’occuper de leur petit déjeuner, de ne rien faire d’autre, d’être absorbés par les tintements de cuillères, la mie trempée dans le café au lait ou dans le chocolat, la boisson lactée sur les commissures, les serviettes en papier pour essuyer. Personne ne parlait. Angèle avait fait un petit signe. Elle continuait de regarder. Elle le faisait plus discrètement maintenant car plus aucune scène particulière ne se distinguait. Elle entendait les suçotis, les clapotements, les soupirs, l’écrasement de la croûte entre les mâchoires et les têtes étaient baissées. Il y avait quelque chose d’ensemble qui était harmonieux pensait-elle. Elle était peintre. Elle n’était plus peintre. Elle ne savait plus où elle en était avec ça. Elle ne voulait pas y penser. C’était le trou noir de ses pensées. Tout s’annulait là, tous les tableaux qu’elle avait peints se fondaient là-dedans, s’écrasaient lamentablement les uns contre les autres et entraînaient tout le reste des choses si elle avait la malheureuse idée de se demander si elle était peintre. Elle tentait de se tenir à distance de cette question. Cela ne réussissait pas toujours. Il y avait très peu de distance entre voir quelque chose et en faire un tableau et peu de distance après entre faire un tableau et être peintre. 

Dans un immeuble labyrinthique au statut incertain, le Blockhaus si joliment et paradoxalement nommé, des femmes se réunissent au sein d’une association. Elles y partagent leurs expériences, leurs oppressions et leurs luttes. Témoignages désorientés mais toujours mystérieusement combatifs, les récits alternés (et alternatifs à plus d’un titre) d’Angèle, de Mira, de Barbara, de Mariette, de Suzanne, de Simone, de Marouchka, de Vanessa, dessinent une réalité triste et bétonnée, sans issue véritablement apparente, mais contre laquelle il s’agit bien de se battre, sans relâche et même sans espoir – en maniant un subtil humour (à froid) du désastre qui lorgnerait du côté de son homologue volodinien.

En face, paternaliste indifférent, violeur aux aguets, gaslighter impénitent, fétichiste automobile, hiérarque sournois, et pouvant épouser encore bien d’autres oripeaux patriarcaux jusqu’aux plus extrêmes, il y a Brosi, Sirob, Sorbi, Boris, tant de facettes à peine disjointes, malgré leurs différences de statut social, d’un oppresseur qui ne prend que rarement la peine de se déguiser.

Un café, une cave, un portail, un couloir, un local photocopie, un garage, une salle d’attente, un cabinet médical, un espace de dépôt de plainte deviennent ici autant de lieux ordinaires savamment dévoyés, rendus à leur nudité fourmillante de scènes primitives à rejouer sans cesse.

Personnages pas si secondaires, Ousmé, Amzat, Hélio, des travailleurs et clandestins, d’autres opprimés en somme, organisent comme mine de rien, comme malgré les probabilités de défaite, une subtile convergence des luttes, pour faire mentir peu à peu, néanmoins, ce qui se voudrait la mathématique banale de l’écrasement au quotidien.

Mira descendait à la cave chercher une paire de skis pour le docteur Brosi. C’était un homme qui aimait la montagne pour cette raison. Il écoutait la radio tout au long du trajet, s’arrêtait manger des quenelles à l’heure du déjeuner puis faisait ensuite bonne route jusqu’à la station où il arrivait vers les 17 h 30. Il dévalait les pistes dès le lendemain. Mira avait lu les instructions. Cave n° 622. Les skis sont longs et verts, vous ne pouvez pas vous tromper, au 4e sous-sol. C’était une épreuve. On regrettait l’air, le soleil, le vent entre les arbres ou sur les cheveux, toute autre douceur qu’offrait le monde à sa surface. Mira passait dans les couloirs. On la voyait mal, plutôt de dos, nous. Elle se déplaçait souplement. Elle offrait un dos large et musclé à la situation. Le docteur Brosi la coinça un peu plus loin. Il avait allongé le pied pour la faire traîtreusement tomber sur le ciment. Il avait eu la détente un peu lente. Il n’avait pas atteint le mollet. Le coup s’était perdu dans une espèce de toile de jute. Au lieu de se déchirer brutalement, le tissu avait donné l’impression de se décomposer en poussière. Comme si on avait mis le pied dans un seau rempli de cendres, qu’est-ce que c’était que cette robe s’était demandé Brosi. Il avait perdu l’équilibre. Mira avait reculé. La lumière s’était éteinte. Ils respiraient peut-être à deux mètres l’un de l’autre au croisement des deux couloirs qui desservaient les numéros 405 à 710. Les portes des caves étaient en bois. L’atmosphère, sèche et chaude, contrairement aux zones situées plus bas, au nord-ouest. Le docteur Borosi avait le souffle court. Il lâcha le mur auquel il s’était rattrapé de justesse. Il s’était râpé la peau. Il avait la sensation qu’un chat l’avait griffé au poignet.
– Ça va ? Je ne vous ai pas fait mal ? demanda-t-il.
Il parlait bas, il n’y avait aucune résonance. Il imaginait qu’elle était tout près, encore à l’intersection. Il passait sa langue sur ses égratignures. Il portait des chaussures noires, pas impeccables, banales. Il remit ses mains sur le mur de droite, il avançait comme ça très doucement à moitié collé contre le mur. L’espace était étroit. En général, à la surface, il la tutoyait. Elle était jeune mais alphabétisée. Il sentit le vide au bout de ses doigts. Il mettait la main là où elle était un instant auparavant, deux ou trois secondes calculait-il, il n’y avait aucun effluve particulier, l’air était reposé. Il se déplaquait du mur. Il se déplaçait dans une enfilade de cloisons minces plus ou moins cimentées. Il marchait maintenant au milieu du couloir des 600. Il ne cherchait pas à ne faire aucun bruit. On entendait ses pas. Il pariait qu’elle s’était enfermée au 622.

Il existe des textes précurseurs. Beaucoup d’entre eux, saisis vingt ans plus tard, créeront souvent une admiration de nature avant tout archéologique. Et puis il a des textes fabuleusement intempestifs et toujours magnifiquement actuels : « La révolution par les femmes », publié pour la première fois chez Tristram en 2006 avant d’être réédité en ce début 2025, chez le même éditeur inspiré, est indéniablement de ceux-là.

En créant un climat extrêmement spécifique, par lequel Franz Kafka (et sa force de micro-description, de méticulosité retournant le machinal contre lui-même) irriguerait un quotidien ordinaire, voire infra-ordinaire, devenant révolte science-fictive, embrasée par le détournement presque subreptice de telle ou telle métaphore, Corinne Aguzou nous offre un extraordinaire antidote à la résignation – against all odds, serait-on tenté de calculer avec ses héroïnes et héros, du bas de toute leur humilité si résolue.

Tissé de formules qui se glissent comme autant de slogans intériorisés instigateurs de l’action souterraine (autre figure volodinienne, Maria Soudaïeva n’est parfois pas si loin), comme « Le féminisme est un oubli collectif récurrent » (Barbara, p 47), « Elle avait fait partie du collectif de lutte contre la catégorisation des femmes en sous-groupes humiliants » (Marouchka, p 62) ou encore « Ce n’était pas une interdiction juridique. Mais une interdiction consensuelle intériorisée presque à jamais dans les tréfonds individuels. » (Barbara, p 90), déjouant les soumissions chimiques rampantes des incitations à l’alcool et à l’ivresse qui serviraient de carburant aux viols projetés, « La Révolution par les femmes » déploie sa formidable logique de l’absurde, traçant ses salutaires équivalences entre violences économiques et violences sexuelles, pour rappeler encore, contre certains airs du temps, que les émancipations authentiques doivent être conçues, non pas chacune ou chacun dans son coin, mais bien toutes et tous ensemble.

Mira sentait que son corps était de plus en plus incertain, plutôt, elle était en train de ne plus sentir qu’elle avait un corps, il lui devenait étranger, elle était dans le corps de quelqu’un d’autre, chaude et inerte. Pendant ce temps l’autre, la vraie, logeait à l’air libre, se balançait entre des arbres, tapotait la tête d’une lionne douce, funambulait. Mira luttait contre ce qu’elle savait être un effet de la stratégie d’anéantissement engagée par l’exterminateur. Elle refusait de se dédoubler. Des bribes du Mémento du Jour Maudit revenaient : MON INNOCENCE ne me sert à rien. MON INNOCENCE C’EST MON IGNORANCE DU MAL. Les rêves enfantins qui pouvaient laisser supposer que ce n’était pas sur moi que l’ignominie fondait étaient à prohiber. Ce n’était pas le moment de rêver. Même si ce genre de rêve était vraiment enthousiasmant. La lionne amie, tout le monde aurait voulu en avoir une par exemple. Mais pour l’instant, mieux valait revenir à la réalité, donc à l’odeur écoeurante de ce tueur miteux qui s’était bêtement entaillé le crâne dans le noir en la pourchassant probablement pour lui extorquer des renseignements qu’elle ne lui fournirait jamais plutôt crever dans une cave. Elle le méprisait royalement. Il faisait partie de cette bande de pillards qui avaient réussi à infiltrer et faire fonctionner les démocraties les plus avancées tout en les soumettant durablement à d’infâmes profits personnels. La possession des biens les plus vils donnait lieu à des calculs politiques sans nom, à des luttes âpres et malsaines. Mira ne pensait pas que sa situation actuelle se rapportait à la fatalité et ne concernait qu’elle. Elle savait que cette position humiliante était courante, banalisée, tue, ravalée, enfouie dans nos inconscients et façon à nous empêcher de trop souffrir. La lumière s’alluma. Cet événement joua en sa faveur. Contrairement à Brosi qui avait le dessus et aucune envie d’être dérangé, elle avait besoin d’une bonne diversion. Dans le fond, que la lumière s’allume était équitable, permettait de redistribuer les chances. Elle aperçut le visage de Brosi qu’elle ne reconnut pas. Ses yeux étaient minuscules. Il mettait du temps à comprendre que la lumière s’était tout simplement allumée. Il refusait probablement le fait, animé par son envie délirante de soumettre à l’obscurité totale l’esprit léger, libre et aventureux qu’il subodorait tapi chez cette voltigeuse professionnelle. Mira profita de la posture hébétée adoptée par Brosi entre ses seins. Elle se dégagea par petites secousses violentes et ininterrompues. Un mouvement spiralé rapide et nerveux qui partait du bas de la colonne vertébrale et prenait de l’ampleur en montant. Brosi comprit vite de quoi il retournait. Il ne connaissait pas exactement la prise mais il en avait entendu parler. Il mettait en place une force d’inertie supposée l’empêcher d’être éjecté à deux mètres. Aucun des deux n’avait le temps de se préoccuper de savoir qui avait appuyé sur un interrupteur, dans quelle partie des sous-sols, avec quelles intentions.

Hugues Charybde, le 3/03/2025
Corinne Aguzou - La révolution par les femmes - éditions Tristram

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