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13.02.2025 à 10:53

Au Panama, des syndicalistes et des écologistes dénoncent le sabotage de leurs droits et de leurs libertés

La clôture des comptes bancaires de SUNTRACS, le Syndicat unique des travailleurs de la construction et assimilés au Panama (Sindicato Único Nacional de Trabajadores de la Industria de la Construcción y Similares), a suscité de vives inquiétudes chez de nombreux acteurs sociaux et observateurs concernant le niveau de respect des droits et libertés syndicaux (et de l'activisme en général) dans ce pays d'Amérique centrale.
Les représentants syndicaux et environnementaux ont qualifié cet acte (…)

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Texte intégral 2659 mots

La clôture des comptes bancaires de SUNTRACS, le Syndicat unique des travailleurs de la construction et assimilés au Panama (Sindicato Único Nacional de Trabajadores de la Industria de la Construcción y Similares), a suscité de vives inquiétudes chez de nombreux acteurs sociaux et observateurs concernant le niveau de respect des droits et libertés syndicaux (et de l'activisme en général) dans ce pays d'Amérique centrale.

Les représentants syndicaux et environnementaux ont qualifié cet acte de mesure coercitive suite à la participation de SUNTRACS aux mobilisations sociales massives — actives depuis des mois — visant à éliminer le contrat de concession minière entre l'État panaméen et Minera Panamá S.A., une filiale de First Quantum Minerals, une compagnie transnationale canadienne, à la fin de l'année 2023. Enfin, le 28 novembre de cette même année, la Cour suprême de justice (CSJ) a déclaré inconstitutionnelle la loi 406, qui avait permis d'approuver le contrat de concession.

« La persécution contre le syndicat est brutale et affecte notre capacité de fonctionnement », a déclaré Saúl Méndez, secrétaire général de SUNTRACS, à Equal Times.

C'est à la mi-novembre 2023 que Caja de Ahorros (CA), l'une des deux banques nationales, a clôturé les comptes bancaires de SUNTRACS, y compris les comptes individuels de plusieurs de ses dirigeants. La banque a déclaré, en application de politiques internes et du contrat de services bancaires, qu'elle avait détecté des « mouvements suspects » de fonds pour un présumé « financement d'activités terroristes ».

M. Méndez rejette catégoriquement cette affirmation. Il a ajouté que son principal financement provenait des 2 % du montant des cotisations syndicales. Ces cotisations, ajoute-t-il, représentent un pourcentage du salaire des travailleurs affiliés et servent à financer divers services et activités du syndicat, notamment la défense des droits du travail, l'organisation de grèves et de manifestations ainsi que l'aide sociale et économique à ses membres.

« Cela signifie que les ressources du syndicat sont légitimes, car elles proviennent des travailleurs et de leur salaire. Tout cet argent est déposé sur un compte bancaire [et sert] à honorer ses engagements », précise-t-il encore, soulignant qu'après avoir été client de la banque pendant 30 ans sans le moindre problème, la clôture des comptes n'était pas seulement une surprise, mais aussi un acte « arbitraire, illégal, inconstitutionnel et criminel ».

C'est ce dossier (qui entremêle d'importantes restrictions à la liberté d'expression et de réunion, ainsi que la détention arbitraire de membres de syndicats) qui a valu au Panama d'être épinglé dans l'Indice mondial des droits dans le monde de la Confédération syndicale internationale (CSI) ; un indice qui évalue le niveau de respect des droits et libertés fondamentaux des travailleurs et des syndicats à travers le monde.

En outre, le Service de médiation (Defensoría del Pueblo) du Panama a identifié « une violation des droits humains en matière d'association et de liberté syndicale », au détriment de SUNTRACS. L'Organisation internationale du travail (OIT), en réponse à une lettre envoyée par le syndicat, a confirmé qu'elle s'était penchée sur la situation et qu'elle attendait une réponse du gouvernement (qui n'a pas encore été fournie). Elle a également mis en exergue l'usage excessif de la force lors des manifestations de protestation contre le contrat d'exploitation minière.

Bien que la liberté syndicale soit reconnue dans la Constitution panaméenne, ainsi que dans de nombreux traités internationaux dont le Panama est signataire, Eduardo Gil, secrétaire général de Convergencia Sindical (CS), a averti qu'en matière de mise en œuvre (et compte tenu de la détérioration des droits et libertés syndicaux observée au cours des dernières décennies), des progrès s'imposent de toute urgence.

De plus, M. Gil estime que l'on est désormais davantage conscient du fait que la liberté syndicale est déjà violée au Panama et qu'il existe une intention politique de contrôler ces groupes, « en commençant précisément par le syndicat le plus puissant [en nombre de dirigeants syndicaux et de travailleurs affiliés] ».

Un autre défi auquel est confronté le pays est l'absence de protection adéquate pour les défenseurs ou activistes environnementaux, a déclaré à Equal Times Lilian González Guevara, directrice générale du CIAM (Centro de Incidencia Ambiental de Panamá), le Centre de plaidoyer environnemental du Panama.

Mme González explique que les activistes environnementaux se trouvent dans une « situation singulière », car ils ne disposent d'aucune législation spécifique pour leur protection. Elle reconnaît toutefois que la ratification par le Panama de l'Accord d'Escazú est un premier pas : l'État panaméen est désormais tenu de garantir un environnement propice au travail des défenseurs de l'environnement et de prendre des mesures adaptées, efficaces et opportunes pour prévenir, investiguer et sanctionner les attaques, les menaces ou les intimidations dont les défenseurs de l'environnement peuvent être l'objet.

Les experts consultés pour cet article s'accordent à dire que, compte tenu de ce contexte, il est clairement nécessaire de renforcer la protection des droits syndicaux et des droits des défenseurs de l'environnement au Panama et de veiller à ce que les actions des institutions respectent ces droits fondamentaux, étant donné les risques de menaces, de mort et de persécution politique.

Des attaques contre les activistes de plus en plus nombreuses

Cet appel intervient après les conséquences tragiques des manifestations contre le contrat minier : quatre activistes ont été tués lors de la répression des manifestations, selon le rapport Missing Voices de Global Witness 2024.

Cette organisation, qui souligne que « l'Amérique latine enregistre systématiquement le plus grand nombre d'assassinats avérés de défenseurs du sol et de l'environnement », a présenté une donnée inquiétante concernant le Panama : si cinq décès ont été signalés dans ce pays entre 2012 et 2023, l'année 2023 s'est achevée sur un bilan de quatre morts.

La directrice générale du CIAM rappelle qu'un autre cas emblématique des manifestations de 2023 a été l'agression du photographe et activiste Aubrey Baxter, qui a perdu un œil à cause d'un plomb tiré par la police nationale alors qu'il couvrait les manifestations. En 2024, un rapport mondial de l'UNESCO a signalé que 7 journalistes environnementaux sur 10 avaient été victimes d'agressions dans le cadre de leur travail.

Parallèlement, suite à la participation de SUNTRACS aux manifestations contre l'exploitation minière, la CSI a dénoncé la persécution des dirigeants syndicaux de la part des autorités panaméennes. Elle a notamment mentionné que le secrétaire général de SUNTRACS et Jaime Caballero, secrétaire aux relations extérieures, ont été poursuivis par le ministère public, accusés d'avoir commis des crimes contre la liberté et l'ordre économique préjudiciables à la société panaméenne. Jaime Caballero a été arrêté le 26 février 2024. Peu de temps après, le 10 mars 2024, les bureaux de SUNTRACS dans la province de Panama Ouest étaient incendiés.

« Ces violations dressent un tableau inquiétant de la situation des droits des travailleurs dans le pays », prévient la CSI dans son rapport.

Pour M. Méndez, cette mention de la CSI attire l'attention de tous sur une réalité souvent occultée. Il rappelle que ce n'est pas la première fois que le Panama figure dans un rapport sur les violations des droits fondamentaux, étant donné que des jugements ont été rendus par la Cour interaméricaine des droits de l'homme et l'OIT, et que plusieurs plaintes concernant les droits syndicaux ont été déposées auprès de cette dernière.

Justement, l'OIT, à travers le rapport sur l'Application des normes internationales du travail 2024, a identifié des inquiétudes sur la liberté syndicale et la protection des droits des travailleurs à s'organiser et à négocier collectivement au Panama. L'organisme a recommandé au pays de renforcer les garanties pour les syndicats et de veiller à ce qu'il n'y ait pas de représailles contre les dirigeants syndicaux.

Multiplication des défis

Jusqu'à présent, les poursuites judiciaires engagées à la suite de manifestations sociales, et à plusieurs reprises contre des dirigeants, restent l'un des principaux défis pour les syndicats, déclare M. Gil.

La directrice générale du CIAM a également déclaré que le fait d'être la cible de poursuites, qu'elles soient pénales ou criminelles (en d'autres termes, d'être confronté à une utilisation stratégique du système juridique pour discréditer, réduire au silence ou harceler), ouvre la porte à l'intimidation ou à la persécution par des acteurs privés contre les activistes. Plus grave encore, ajoute-t-elle, est le risque d'atteinte à la vie et à l'intégrité physique.

Par exemple, M. González explique qu'ils ont suivi au moins deux dossiers. Le premier concerne le directeur de la Fondation Agua y Tierra, Jacinto Rodríguez, qui a fait l'objet d'une procédure administrative devant un juge de paix intentée par une société immobilière, en réponse à la plainte déposée par M. Rodríguez au sujet d'un projet situé à proximité d'une plage de nidification des tortues. Le promoteur immobilier demandait une compensation de 10.000 dollars US ( soit environ 9.600 euros).

« Tant le directeur de la fondation que la société ont reçu un avertissement écrit pour violation de la coexistence pacifique. Bien qu'il s'agisse d'une sanction mineure, les autorités ont manqué de diligence, tant dans l'application de la loi spéciale pour la protection des tortues que dans le soutien apporté au défenseur dans le processus », reproche la directrice générale du CIAM.

D'autres défis mentionnés par le secrétaire général de CS ont trait aux exigences bureaucratiques pour l'enregistrement d'un syndicat et aux procédures ordinaires du ministère du Travail et du Développement de l'emploi (Mitradel), qui non seulement rendent l'exercice du syndicalisme difficile, mais privent également les travailleurs de toute défense.

En guise de répression économique, ajoute-t-il, on peut citer la clôture ou la suspension des comptes bancaires, ainsi que la non-distribution des ressources de formation syndicale qui sont garanties par divers instruments réglementaires.

La capacité à construire un espace civique pour une participation effective à la prise de décision, le manque de soutien aux organisations, l'accès insuffisant à l'information, la lenteur des procédures de plaintes juridiques, le risque de répression ou de violence policière sont autant de défis supplémentaires mentionnés par la directrice générale du CIAM.

Pression internationale

Au titre des enseignements tirés, le secrétaire général de CS reconnaît que la pression internationale est essentielle pour que le Panama respecte la liberté syndicale et les droits du travail et de la négociation collective. Pour ce faire, ajoute-t-il, il est essentiel que les syndicats soient en mesure de défendre leurs positions dans les instances internationales (en particulier l'OIT) et de les argumenter.

« Nous savons que, dans ces instances, il nous incombe de prouver que le pays mène une politique antisyndicale visant à restreindre la participation des syndicats, mais également d'agression à l'encontre des dirigeants », souligne M. Gil.

« Même si cela peut affecter la réputation internationale du pays, nous sommes conscients qu'il s'agit d'un mécanisme habituellement utilisé lorsque les canaux de dialogue sont fermés et qu'il n'y a pas de possibilité d'accord ou de mécanismes qui garantissent effectivement ces droits », ajoute-t-il.

La directrice générale du CIAM estime que, bien que le Panama soit encore à la traîne en matière de respect total de la liberté syndicale et de la protestation sociale, le pays dispose encore du temps nécessaire pour appuyer sur « le frein » et défendre les droits humains avant que de graves scénarios ne se produisent comme dans d'autres pays de la région, à l'instar du Mexique et de la Colombie.

« Le Panama est encore en mesure d'œuvrer à la défense des droits humains et à leur respect », déclare-t-elle.

Le secrétaire général de SUNTRACS insiste sur le fait que, malheureusement, toute personne qui élève la voix pour protester fait l'objet d'une série d'accusations visant à la discréditer, à la diaboliser et à distordre les informations lorsqu'elle adopte des positions contraires à celles des employeurs et du gouvernement. « Telle est la situation que nous vivons actuellement », explique-t-il.

Il rappelle que la clôture de ses comptes a considérablement affecté la capacité de SUNTRACS à gérer ses finances et à effectuer les paiements à ses membres et à ses fournisseurs. Face à cette situation, poursuit-il, le syndicat a exploré d'autres solutions pour assurer la continuité de ses opérations financières, y compris la possibilité d'ouvrir des comptes dans des banques à l'étranger.

Bien que les démarches à l'étranger se poursuivent, M. Méndez a déclaré que l'un des principaux problèmes détectés est que, même si l'argent se trouve dans des banques étrangères, il est impossible de le renvoyer au Panama si aucune banque ne l'accepte.

« Tout cela fait partie de la stratégie d'encerclement mise en place par le système financier, qui ne nous permet pas d'opérer à l'échelle nationale ou internationale. Malgré tout, nous prenons bel et bien des mesures pour transférer une partie de nos ressources à l'étranger », avoue le secrétaire général de SUNTRACS.

En décembre 2024, la troisième chambre de la CSJ a reconnu le bien-fondé de la plainte déposée par SUNTRACS contre la banque CA. Actuellement, le syndicat attend la suite de la procédure judiciaire.

En leur qualité de représentants du gouvernement, Equal Times a tenté d'interviewer Eduardo Leblanc, le Médiateur (Defensor del Pueblo), et Jackeline Muñoz, la ministre du Travail et du Développement de l'emploi, afin d'approfondir les réalités entourant la liberté et les droits des activistes syndicaux et environnementaux, mais nous n'avions reçu aucune réponse au moment de clôturer cet article.

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